Proullaud296

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der grüne Affe - Page 152

  • L'énigme du malotru

     

    ACTIVITES ETUDE DU PRINCIPES

     

    PROFESSIONNELLES LITTERAIRES MILIEU DIALECTIQUES

     

     

     

     

     

     

     

    1955 Préparation à Guerre des 3e déménagemt,Profonde empreinte relige,

     

    domicile de l'examen d'en- sexes, blâmée à Pasly conçue comme une culpa-

     

    trée en 6e. Reçu 2e. par les parents. Découverte de bilisation absolue. Obses -

     

    Œuvre détruite, la brutalité des sions sexuelles et dépuce -

     

    l'auteur ne sa - garçons de la lage par la cousine.

     

    chant que faire banlieue sois -

     

    des garçons et sonnaise.

     

    des filles au-delà

     

    de quinze ans...

     

     

     

    1956 Prix d'excellence Découverte Premières tendances à l'ho-

     

    du refus des mosexualité : amours plato-

     

    autres face niques (non payées de re _

     

    à l'originalité affichée. Tour...)

     

     

     

    1957 / 8 Rate le prix d'ex- Lettre au prof

     

    cellence à cause des maths. de maths : “Pour

     

    prouver que ces droites

     

    sont parallèles, je

     

    fais glisser le

     

    double décimètre

     

    entre les lignes et

     

    je m'aperçois que

     

    la distance ne varie

     

    pas... La géométrie

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (2004/5)

     

     

     

    manque tout à fait Découverte

     

    de logique : on ne sait de l'arrogance

     

    jamais s'il ne faut pas phénoménalement

     

    faire passer un trapèze méprisante

     

    par le centre du cercle...” des filles

     

    (Participation à mon en 3e.

     

    dernier spectacle

     

    scolaire)

     

     

     

    2005 / 2009 Présente un spectacle : Découverte de la Elaboration d'une

     

    De la 3e à la histoires drôles en le- phénoménale froi- paranoïa encore

     

    Terminale à Tanger ver de rideau. Partici - deur des filles dès rampante.

     

    pation à l'élaboration qu'il s'agit de dé- Influence décisive

     

    fin d'année. passer le stade du des profs Béchier

     

    Bac, grâce à la fraude aux Journalpersonnel, copinage. (libéral) & Licari

     

    épreuves de physique. régulièrement violé (une féministe

     

    par ma mère et marxiste)

     

    surabondamment

     

    commenté au repas, Flamboiement de dans le mépris et paranoïa : les

     

    l'agressivité. filles n'acceptent

     

    2009 Ne sors pas avec une que les garçons

     

    Glorieusement viré du Découverte du fille : récolte des mo- “bien” : peignés,

     

    Lycée Montaigne à commentaire de queries. Sors avec une lavés, castrés...

     

    Bordeaux texte, où j'excelle. fille: même chose...

     

    en bagnole à Libos et environs

     

    • à pied à Libos * découverte : mon goût du déplacement Transposer. Ne pas “avoir

    • chez Orieux (?) veut retrouver les ambiances l'air de parler de soi”

     

    Plage blanche.JPG

    de mes promenades paternelles - 3e personne p.ê.

     

    - proviseur de Belvès |---> déviation de ma fixation (dans certains récits)

     

    et confidences sexuelles| Ma mère, c'est les rhumatismes, | Le piège du “souvenir réaliste”

     

    | l'impotence. | - on tombe dans le terne Leiris

     

    • Tanger, unique : | Donc, si un jour je n'aime plus | Or, c'est de la littérature qu'il long voie ferrée | voyager, je n'ai plus à en avoir honte. | faut faire, et non du contemple-vers Fez. | nombril.

     

     

     

  • Ca ne vous plaît pas trop, n'est-ce pas, Beyrouth...

     

    Paziols tend au chef de poste une boîte à conserves de tripes ; celui-ci la saisit, en demande une autre, nous passons. Depuis deux jours la capitale a cessé le feu. Les contrôles se sont renforcés – pas partout... L'approvisionnement reste si difficile ! ...partout ailleurs des barrages. Des fouilles. “C'est le moment, Sidi Jourji, de te réhabituer à la vie civile”, me dit Zoubeï le Fou. Je lui réponds que je ne m'en suis jamais défait. Je remercie mes deux fous de vouloir tirer quelque chose de moi. Notre Jeep s'immobilise devant la Caserne Jaune, à côté des corps exécutés – je veux dire sous la terre, derrière un mur de cour. Officiellement, nous sommes venus boire : il n'y a plus de vin au Palais. Dans des caves clandestines nous trouvons du vin clandestin. La caserne est un endroit clos, le crépi jaune des murs s'écaille irrémédiablement, nous y trouvons quelques hommes, dans les coins, ou devant les bureaux, plantons de l'inutile.

     

    Ou planqués sous les coussins de sofas, comme des femmes. Le vin tiré, il faut le boire. Nous remontons de bons bordeaux, de bons chypre millésimés. J'ai même reconnu au passage la canalisation où Paziols m'avait attaché, me sauvant la vie. “Il faut tuer” répète-t-il. “Un jour” dit Zoubeï, “moi, je ne tuerai plus. - On ne peut jamais s'arrêter de tuer” dit Paziols. Il croit que la guerre durera. “Dix ans” dit-il... Que vais-je faire, moi, de tout ce temps... Est-ce que Paziols veut m'apprendre à vivre ? ...Tâchons de ne pas trop boire ; je passerais bien, le nez en l'air, dans la ville – si j'avais épousé la fille du grainetier italien !

     

    ...Je vendrais mes pois chiches et mes fèves, je baisserais le rideau blindé pendant les alertes, nous nous multiplierions dans les caves... Adieu Zoubeï : un obus vient de tomber. Un beau, un solitaire. Adieu, compagnon fou, sans liberté précise – adieu, je ne suis pas blessé, Paziols est sous les tables, voilà de l'ouvrage précise. A présent que tu es parti, premier de mes morts, peut-être trouverais-je le goût de vivre. Zoubeï était un infirmier, qui tirait sur les chèvres du bourg, où les champs épineux s'étendent jusqu'aux bords des trottoirs. Hamri le Rouge le recueillit, l'engagea, lui fournit quelques rudiments de psy, c'est lui qui m'a sauvé la vie dans les bombardements de Damas.

     

    Moi, faux fou ; lui, faux soignant. Nous avons été attiré par le centre de MOTCHE, où tiraient les canons. Nous avons, comme disaient les anciens stratèges, marché au canon. Je reviens au Palais rejoindre mes insomnies, mes femmes et la pénombre : agréable, mais menacé. Je soupire ; Zoubeï autrefois plongeait dans les ruelles, c'est mon premier vrai mort, je veux dire : après mon père. Ils étaient athées tous les deux. Je n'ai jamais prononcé d'oraisons funèbres. Mon Père le Président survit dans toutes les mémoires : Kréüz a trempé dans maints complots, il a fini par disparaître – dans son lit. C'est une honte – ils ont tout bombardé, sans distinction - un jour, je modifierai mes projets.

     

    Un jour. Les menaces incessantes. Cet obus tombé sur mon propre Fou. Quand la paix sera revenue je serai mort. Paziols sort de sous ses tables, ramasse les débris humains qu'il roule dans un tissu, téléphone aux “Enlèvements de corps”, manigance des funérailles – ne ricane pas, tueur civil ! Sans faste funéraire : une civière, une couvrante, trois pleureuses dispersées par un tir de mortier... A quel moment ai-je cessé de parler ? Paziols repose le combiné, me dit “qu'est-ce qu'on fait ?” - c'est un moment de joie, tout de même : je le vois enfin, mon décideur ! embarrassé !

     

     

    Pénombre marseillaise.JPG

    ...Un sanguinaire indécis... nous sommes bien tous des misérables ! “Voyons Paziols lui dis-je en substance, “nous avons d'abord voulu pacifier, régner, fuir ; la guerre nous a suivis, nous l'avons réimportée.” O voyages ! ...abandons ! Ma ville à feu et à sang, l'île de Djiz s'embrase rien qu'à l'avoir vue, et moi, moi je parle d'évasion ! - donnez-moi un quartier à reconstruire ! ...mais sous les bombes, suspendues, improbables, que voulez-vous que je fasse ? Maudits, maudits les bâtisseurs, je préfèrerais donner des représentations théâtrales, sur les places publiques, avec Paziols.

     

    Je lui ai dit : “Chez les Italiens, derrière le rideau de tôle, nous serions à l'abri.” Une petite pluie de projectiles tombe en permanence autour de nous. Avec Paziols en zig-zag parmi les décombres. Puis tous deux assis, ouf ! sur les sacs égueulés de céréales : j'ai retrouvé l'entrepôt. Des femmes, des vivres et du noir. Mon éphémère fiancée – Emilia peut-être ? - ne me regarde plus. Tous me paraissent distants. Des paquets de haschich – c'est nouveau – s'empilent contre un mur. Remigio le marchand m'envoie livrer trois pains de hach à des combattants qui s'escriment contre le vide, sur une barricade ; elle est vide, l'herbe pousse entre les pierres et les pieds de meubles qui la

     

    constituent.

     

    J'abandonne les pains de hach en équilibre sur un moëllon : mon hôte Remigio sans doute se sent sur le chemin de la fortune. De retour au magasin, je fume une petite pipe, je dégueule une soupe aux pois, l'odeur du vomi est intolérable. D'abord la famille me blague, puis elle m'engueule. Engueulis-dégueulis. D'autres tirent sur leurs pipes ; Italiens, Arméniens, Grecs. Combien sont venus se foutre là-dedans ? Comment peut-on à la fois vendre, et consommer ? “Ici on peut” répond un Calabrais. Me voici bien loin de mes ambitions. Autour de moi l'odeur des pipes recouvre celle de la vomissure. Je pourrai peut-être reprendre mes livraisons. J'attends modestement les propositions. Le hach pénètrer dans la ville par la porte Sud, ouverte comme un cul. Et si les Yahouds voulaient nous empoisonner tous ? ...juste une arrière-odeur de moisi – je m'avise qu'il n'y a sans doute pas haschich là-dedans, juste du kif marocain d'importation. Zoubeï, lui qui m'a sauvé du bombardement, et de l'émeute – lui me l'aurait dit.

     

    Que c'était du kif. Je reprend ma pipe à moi, au tabac. Je ne la prête pas. On ne me la demande pas. Je suçote. Un grand coup retentit contre le rideau de fer, c'est un pied, non pas sectionné mais qui frappe, pour qu'on ouvre : c'est l'autre garde d'Abinayah, Hadjian, celui qui n'abaissait pas son voile, celui qui ne riait pas. Il tente sa chance en dialecte : “Tu dois retourner à Mëspëlë. Toi seul peux arranger les gens. Là-bas ils se sont mis à bombarder comme ici. Tu leur dis que MOTCHE prolonge le cessez-le-feu jusqu'à la vraie paix” - et il me tend un sachet d'héro. Je suis partagé entre espoir et sentiment d'absurdité.

     

    Je range ma pipe en bavant, je me soulève engourdi : “Je te suis.” Un obus s'abat sur le magasin d'en face, comme il arrive. Tout de même, avant de quitter MOTCHE, j'offre à Emilia ma fiancée un bouquet de feu d'artifice en arrosant les débris fumants avec trois jerricanes d'essence : la concurrence ne se relèvera pas. Nous fuyons Hadjian et moi. En galopant je fais le rêve d'un vie commerçante à Mëspëlë : mon fils à la caisse enfin domestiqué – il y aura bien quinze années de guerre ? Zoubeï l'a prophétisé - si je survis ici, je serai un vieil homme - si je pouvais éprouver ne fût-ce qu'une haine, une seule...

     

    Pourquoi tant de compréhension... Pourquoi ne suis-je pas moi-même persécuté. Pourquoi ne se sert-on pas de moi. De qui suis-je le modèle. Une fois il m'a pris une bouffée de rage: quelle satisfaction ! A peine sommes-nous à l'abri – que je m'empare de toute une batterie de grenades, de celles qui se portent en bandoulière. Ainsi harnaché j'en lance une, de toutes mes forces. Un homme. Un vrai. “Tirons sur ces porcs” dit Paziols “n'importe quels porcs : tu as compris le comnbat de MOTCHE. “ C'est un assassin de quatorze civils qui me dirige : “Recule, avance, tire, arrière, arrière ! - Qui est-ce qui tombe là-bas ? - Un mec, un mec...” - tout en tirant sur de vraies cibles je réfléchis je tue, tout de même... Allons, tout recommence bien. Mon père mort, Zoubeï mon sauveur mort.

     

    On me vise aussi ; mon fils Mehdi mal éduqué se rebiffe. Le projet de me tuer au ventre. Je veux dire au cœur. Tous les jours Paziols me met à l'exercice. Puis à heure fixe nous nous replions : embuscades, canardages, replis - meurtriers fonctionnaires. “Cite-moi seulement, dit Paziols, un parti, un seul, qui n'ait pas changé plusieurs fois de nom. Tu les as tous oubliés. Jourji, que fais-tu pour le bonheur du peuple ? ...Regarde par les fenêtres de ta putain de caserne – tu sais le coup de bol insensé qu'on a eu d'y être revenus ? A présent que vois-tu ?” Je vois un jeune civil tiré par les cheveux

     

  • Gracq

     

    Le refus du Goncourt en 1938 : voilà ce qui posa définitivement Gracq, aux yeux du grand public, et ce qui semble inconcevable. Adapté, happé que nous sommes par le désir d'être vus, et lus, parce que vus, nous en oublions de chercher la reconnaissance du côté obscur de soi-même. Le Moi, le Sombre, le Dieu n'existent pas. Nous n'avons vu que des paillasses, que nous aspirons à être. Julien Gracq aura vu la part de jeu de tous, voire des plus graves, leurs insuffisances et leurs ridicules, l'insurmontable écart qui les coupe du Grand et de l'éternel, en cela même qu'ils doivent mourir sans plus d'avenir, comme les autres, que d'asticots, nous ne pouvons, dans notre angoisse, nous résoudre à l'abandon de l'histrion : tout homme est un histrion, car, dan sun premier temps, c'est tout ce dont il dispose, tout ce qu'il lui reste.

     

    Plus difficilement Gracq Julien qu'un autre, assurément, plus impossiblement peut-être, mais de telles discrétions, de tels effacements, de telles leçons à prodiguer du haut de sa pureté ne fontt qu'indisposer le guignol qui vit en nous. Est-ce quetout donneur de leçon, si noblement qu'il fasse, n'est pas dans la pose ? Est-ce que nous ne voulons pas tous, plus ou moins, plaire, à tout prix plaire, approuvant ce public et je comprenant sa bassesse, la flattant, l'éprouvant ? Renoncer au monde, n'est-ce pas hanter l'antichambre du néant ? Traîtrise et marécage nous semblent infiniment inépuisables et vivants, le sec XVIIIe siècle et sa Vérité nous désolent. En même temps nous sommes hannetons, ferraille ou mécanique. Béatrice et Séraphita sont mortes.

     

    Alors, trouver un lecteur à présent relève du plus épouvantable paradoxe : ou bien il ne lira pas, ou bien, lisant, il se tiendra hors jeu. Il faudrait à la fois trop d'obscurité, par trop de profondeur, et trop de visions d'outre-monde. Et ma foi nous préférons encore la profondeur. Julien Gracq resta « NON CANDIDAT ». Quel homme. Peut-on concevoir tel détachement des vivats, ne pouvait-on concevoir, tolérer quelque démarche en lisière, à mi-chemin des ombres et des lumières ? Non. Refus. Sincérité. Nulle aigreur. Je ne crois pas à la pose. Butant sur l'Autre. Le jury, qui compte parmi ses membres Queneau, Pierre Mac Orlan et Colette (tout de même !) ne renoncera pas à lui attribuer – dès le premier tour de scrutin – son prix, qu'il refusera. Il n'y a plus de prix.

     

     

    Marseille montant.JPG

    Le drame est peut-être venu de ce que l'on a voulu éduquer le peuple. De ce qu'on s'est dépris du principe de secret. Que seuls soient dans l'instruction, dans le savoir, les castes des brahmanes. Que le peuple soit dans l'ignorance. Et à partir de là, de cette décadence de la transmission, l'indifférence du peuple, c'est-à-dire de l'ensemble des humains, sa rebelle indifférence, a tout contaminé, tout pourri, comme un appendice éclaté virant tout en péritonite. L'absolue éducation pour tous à la portée de tous a révélé maints abîmes, et là où régnaient seules les hautainetés du savoir se déploient à présent les diaprures qui vont du savoir aux ignorances les plus fascisantes. Bref, Le Rivage des Syrtes est devenu, pour la postérité, le livre dont l'auteur a refusé le Goncourt. Non, monsieur l'auteur de l'article, il est aussi bien autre chose : Ce chef-d'œuvre méritait mieux - il a obtenu mieux. Il fut volé par moi au Lycée d'Agen, dont la bibliothèque n'était presque pas fréquentée – rien de plus ignorants que des profs, une fois qu'ils ont passé leurs diplômes – et ce n'était qu'un volume broché, apparemment de la première édition, perdu à p résent Dieu sait où.

     

    Je ne me souvenais plus de ce livre. Du tout. Le Désert des Tartares, plus bref, mieux servi (par le cinéma), l'a finalement supplanté. La page se tourne sur Musil, pour certains le dernier de nos romanciers, car après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il ne resta sur le continent plus rien à raconter. Qu'il est beau d'écrire un article pensé, d'avoir tant de définitif à dire, des phrases dont on attend la suite, une prophétie : que deviendraient alors, selon vous, cher Maître, nos littératures ? N'y a-t-il pas eu nos deux Marguerites, Yourcenar et Duras ? Leurs œuvres relèvent-elles de « ce qui se raconte » ? Ou bien porté par sa thèse et sa misogynie l'auteur les passera-t-il sous silence ? Aujourd'hui, dans ce que nous entendons par notre présent, on peut déjà dire qu'il ne se passe rien,parce que en réalité tout s'est déjà passé, tout est fini. Chez Gracq inclusivement ?

     

    Deuxième thème : C'est l'infiniment grand qui me fascine. Cher Julien Gracq, c'est l'infiniment étriqué qui me ronge. Les vastes paysages où l'on respire, où la ligne des conifères moutonne à l'horizon, me semblent une inadéquation, une usurpation, une fausseté. Pour nous qui ne possédons aucune de ces qualités qui forcent l'admiration. Nous qui baignons dans la palpitation inquiète (l'ai-je bien descendu ? suis-je suffisamment bon sur scène ? suis-je aimé ? me suis-je bien suffisamment contourné, déformé, conformé, ridiculisé – pour être aimé ? ) - nous sentons que ces étendues-là ne sont pas pour nous, ne nous correspondent pas, ne nous parlent plus, ne font que nous promettre ce que jamais nous n'aurions le cœur ni le goût d'atteindre, et qu'après avoir contemplé les immenses dunes landaises ou les confins arctiques, devoir revenir dans nos petites chambres ou regueuler devant les chefs et les esclaves seraient des trahisons immondes.

     

  • Tentative de désertion

     

    Dans l'arrière-salle un gros Laotien règne sur les peep-shows. Il sursaute, met la main sur son arme ; des couloirs en courant, une arrière-cour. La fille en vitrine s'est relevée pour nous suivre, elle se rhabille en courant ; dans la rue parallèle un taxi nous embarque à trois sans un mot et nous dépose à l'Hosto Henri Monnier.

     

    Mon fils occupe un lit, l'épaule cassée, sa fiche porte son nom, en arabe, en grec et en anglais. “Je suis en observation - pour les nerfs” dit-il en se soulevant mais sa jambe et son bras sont dans le plâtre. Le plâtre est beau, vierge d'inscriptions - “...qui est le grand blond qui t'accompagne ?” Ça ne lui dit rien. Il retombe sur le lit en grimaçant. A l'étage inférieur retentissent des rafales rapprochées. A peine arrivés on apporte ça dit Paziols t'es pas drôle grimace mon fils dégagez tous les deux. Tout de suite dans la rue je me précipite dans les bras d'une fille, elle me dit le travail reprend quand je suis ressorti Paziols n'était plus là je ne me suis pas inquiété je me suis senti tout de même misérable puis dans la foule ça s'est calmé, pas question de passer à la morgue, juste le temps de voir au passage dans une cour un peloton d'exécution qui se met en place, les fenêtres intérieures sont garnies d emonde dans la pénombre, un projecteur se braque, je ne veux pas d'ennuis, j'arrive (un quart d'heure de marche) aux limites de l'agglomération, c'est plus petit que MOTCHE plus le moindre soldat ni flic.

    Lionne de garde.JPG

     

     

    Devant moi une montée dans le noir qui butte sur une barre rocheuse, je me retourne,

     

    je chante un peu, je redescends me trouver une chambre en ville, je m'endors ; à 3 h du matin une gigantesque clameur me jette à bas du lit, c'est une foule de dix mille personnes (à peu près) qui hurle sa colère en pleine nuit dans toutes les rues avoisinantes comme si tout le monde vivait l'oreille collée au transistor pour manifester comme ça au quart de tour ils ont tué Cheikh Djeïmem ! La foule se dirige vers ma Légation (les vitres volent) un attentat à la voiture piégée les mégaphones appellent aux armes.

     

    D'autres manifestants remontent des bas quartiers, des salopards sont venus par le dernier bateau mon représentant est tiré de son sommeil, on l'assomme, des flics – enfin ! - le tirent de là en cata, la foule lapide le fourgon qui s'arrache en hurlant, je remonte me coucher pas d'histoires surtout pas d'histoires ; le gouvernement de Djiz – moi aussi j'allume la radio (en tête de lit) déclare une guerre immédiate, une flotte depuis longtemps sous pression dit le speaker “se prépare à appareiller”. J'écoute le poste jusque vers quatre heures – quatre heures et demie. Pour commander le petit-déjeuner – j'ai dû dormir - je m'exprime dans un sabir immonde (italien ? hellène ?) - le groom qui m'apporte le plateau dans ma chambre me regarde de travers au moins je ne viens pas de Motché ?

     

    Dans la rue du matin c'est l'enthousiasme guerrier, on me tend un uniforme, j'embarque pour MOTCHE à bord d'un rafiot tout retentissant de chants guerriers. A midi le rata, nous tirons des bordées jusqu'à nuit tombée, on nous débarque à même la plage, plus au nord - pour les renforts, c'est râpé. Nous zigzaguons sous le ciel noir, entre les dunes et les genêts. Je balance mon casque, je

     

    retourne mon uniforme, personne ne me voit, je cherche le petit chemin sous les crêtes ; au petit matin, par l'extérieur, j'ai pu rejoindre le Palais. Retour à la case départ. Nous ne nous fréquentons qu'entre fous : j'ai sauvé la vie à Zoubeï pendant les bombardements de Damas ; il s'en souviendra toujours – le voici qui entasse les sacs de sable au bord des fenêtres. Il rit sans cesse et rattrape un coin de voile entre ses dents. Un long nez droit, le teint cuit, les yeux brillants, Bédouin, drôle, et fou. Puis il remet le personnel à sa place : plus d'insolences. Les coussins ne traînent plus, les ronds de café sont essuyés sur les tables basses. Zoubeï porte souvent le transistor à l'oreille. Il commente, même devant les femmes.

     

    Il réceptionne les paniers à provisions qu'apportent les plantons. Il est dur de choisir ses amis ; celui-là, au moins, je ne l'admire pas. Il me confirme que les femmes de mon oncle, à présent, m'appartiennent ; même les plus jeunes semblent laides, lointaines. Si je parlais d'amour, pourrais-je envahir la Ville ? Mes tentatives restent vaines. On ne brise pas une conviction : je ne peux plus accorder ma confiance, ni même une once de crédibilité, à une femme. Grâce à Dieu les événements se précipitent. Aujourd'hui 25 juin, Paziols, le fou furieux, s'est remontré à Motché en public.

     

    C'est une ordonnance qui l'a reconnu, en faisant nos emplettes. Aucune blessure ne le marque jusqu'ici. Pourtant son identité ne laisse aucun doute, car il laisse à l'air ses cheveux blonds : “Faranj”, le Franc. Il se vante à présent de son crime. Il se fraie un passage parmi les Yahouds, qui laissent déserter tout ce qu'on veut. Le lendemain, le voici sous mes murs, au Palais. Paziols Faranj, “le Franc”, rencontre Zoubeï. Combats avec tes défenseurs / Sous nos drapeaux, que la Victoire / Accoure à tes mâles accents - mes fous me défendront ; Européen, Bédouin, se font face en riant, se saluent; fusil en mains, luttent “au bâton” en choquant les crosses, se tapent sur l'épaule sans paroles.

     

    La seule chance de véritablement dominer la ville est de la persuader d'un ennemi commun : précisément, les Yahouds – les Juifs. Les péniches de débarquement lâchent 3150 hommes sur le port abandonné de Lwaspoï ; s'ils attaquent pour de bon, la ville est sauvée. Mieux vaut seuls contre tous que déchirés de l'intérieur. Alyah, veuve de mon oncle, me dit : “Sors te battre parmi les autres, tes égaux !” Elle ajoute : “Que feras-tu donc, si la paix s'abat sur ¨MOTCHE ? des hélicoptères mitrailllent la ville d'en haut, depuis ton départ.” Tout contre la Caserne Jaune, on vient d'exécuter quatorze otages ; Aliah rassemble sur sa bouche les pans de son voile bleu, pince les lèvres et s'en va.

     

    Je m'aperçois alors que mes horaires de sommeil se sont complètement défaits ; je ne crains rien : trop malhonnête pour risquer une dépression nerveuse – si j'habitais une ville paisible ?J'irais tout simplement chercher le pain, je saluerais mes voisins. J'écouterais les autres se tuer de loin à la radio. J'aurais une seconde femme, et j'accomplirais mon devoir conjugal. Je ne craindrais plus le dénuement, ni les duperies. Ce soir le matelas me semble dur. Devenir humble serait la fin de tout.

     

  • A l'aurore

     

    Seul à sept heures parmi les pierres et les grincements de coqs. Un chien gueule en contrebas. La route gravillonnée se redresse et percute de plein fouet l'église, à cent pas – qu'on devine à son maigre pan de mur ajouré où se balance une cloche, comme une figue oubliée. Cela ressemble à une grange. Recroquevillée, tassée-boulée contre la vieille agglomérée qui s'effrite, elle dresse son flanc aveugle au fond d'une aire poudreuse, mi-place mi-cour. À main gauche une ligne de maisons blanches, ébréchée de jardins qui dévalent ; à droite l'aire-place s'indécise, court à un arbre, se bute à un roc d'achoppement, monte vers le Calvaire, m'attire et me propulse, s'ouvre en panorama : j'ai sous les yeux la vallée du Lot, de Puy-l'Evêque à Villeneuve, infestée de villas blanches, des œufs de fourmis ; en bas grouille la vermine qui renâcle dans son lit avant de courir aux fonderies de Fumel.

     

    À l'horizon les serres se découpent sur le bleu acidulé. Sous mes pieds la falaise de roc, à l'assaut de laquelle monte un enchevêtrement de ronces et de boîtes à conserves, litrons de plastique et lianes ; un fourré, une décharge, les fleurs d'orties mauves entre les cartons. Vers la gauche, entre moi, l'arbre et la croix, une butte témoin obstrue la vue et hausse un occiput herbu, hanté de possibles chèvres. Un fossé qui m'en sépare se creuse en U, à profondeur d'homme, j'y descends pisser. Au-dessus le roc s'y soulève et me fixe de ses orbites aveugles. Je l'empoigne, comme avant moi bien des gosses de montserrat, et me retrouve sur une petite plate-forme de quatre mètres carrés, à pic sur trois côtés, la cime des arbres à mes pieds. Le vent désarçonne mes cheveux, ronfle à mes tempes, l'arbre au-dessous de moi s'agite. Le chemin jaune en bas puis la prairie jusque plus bas encore. Le temps d'une accalmie j'entends deux chiens chassant jaunes aussi je pense, un tracteur pétarade entre d'autres roches. À gauche le calvaire. À droite, profonds, les immondices. Je reste ainsi longtemps sous les boulets du vent, blasonné de soleil, écartelé de vent, j'ouvre les br as et danse dans mes bottes en frappant mes cuisses, inattentif au gouffred'où souffle, décanté des vapeurs d'usine, le vent sidéral directement sur moi. Le cul, l'escalator.JPG

     

    Le ciel s'est dégagé, le soleil donne, les yeux rougis, je redescends. Du regard, sur la place, je cherche un bistrot, un bureau de tabac. Des volets bâillent ou claquent en révélant leurstrognes somnolentes, papillotes, faciès fripés, cols avachis. Sur le seuil de ce qui me semble une auberge, une ménagère, croupe haute, tape un paillasson. Ses hémisphères jambonneux me montent l'eau en bouche. "Pardon madame – pardon madame - est-ce que je peux déjeuner ? La tapeuse se redresse et me prend pour un fou. Je demande si la mansarde du premier est toujours libre – mes bagages arriveront en fin de matinée - mais ce n'est pas un hôtel ici Monsieur – regard fuyant - vous ne reprenez pas votre logement ?

     

    - Pas question. - Je vais voir si je peux vous garder, disons quinze jours ?" Brune boulotte d'âge indécis, large face aux yeux glauques, boucles sur le front – c'est le regard surtout qui attire : perçant et mousse à la fois, hésitant et déterminé, fixe et mouvant – comme un cache qui palpiterait au fond de l'œil. 54 ans, hagarde. "Me ferez des œufs. - Monsieur Ménestrel ?

     

      • Oui ?

      • Faudra vous raser.

     

    Elle tourne le dos et m'invite à la suivre. Le vent me pousse aux épaules. De plein-pied s'ouvre une haute et sombre salle que le soleil levant n'arrive pas à désobscurcir. Les coins sont rongés d'ombre. La table d'hôte, lourde et sans nappe, occupe le mitan. Un vaisselier me fixe de ses plats ronds. Je m'assieds sur la banquette au skaï crevé, mes yeux s'accommodent, je distingue à main droitel'horloge que je touche et les murs écaillés. À gauche dans la cuisine la Gignard, puisqu'il faut l'appeler par son nom, prépare le frühstück : larges tartines, demi-sel, bol crémeux ? Non : plateau de teck avec geisha, fleurs de pommier rose et Fuji-Yama ; un petit pot pour le lait, l'autre pour le café, quatre sucres dans la coupelle, rondelles de pain, tasse bleue myosotis, miel, confiture, serviette en papier de riz "Et voilà" dit l'hôtesse.

     

    Qui sent le vin. Puis, couvrant le vacarme des coqs, la complainte obstinéede l'aspirateur. Alors arrive le vieux. Petit. Ramassé. Replié. Pas à pas, un par un, il atteint la banquette crevée qui court le long du mur. Je soulève la cafetière en maintenant le couvercle, le café noie au creux du bol les pieds du sage, son drapé, son rouleau et sa barbe imprimés dans le creux ; les yeux du Chinois disparaissent dans ses rides, son chignon bleu est cerclé d'or. Je vois sur le mur oblique la silhouette en lente reptation du vieux, ses orbites à présent devant moi sous la visière et puis la canne et le poing sur la canne – ses doigts ne tiennent que par le nœud des veines "Je ne suis pas encore mort" dit-il ajoutant : ma tombe n'est pas encore creusée- j'espère qu'il mourra sans m'avoir touché - le voici qui s'assoit. Le bois craque et la bourre du skaï ressort en hernie. Par la porte de la cuisine passe la tête inquiète bouche en fer à cheval de la patronne qui se retire aussitôt -l'oncle Jonasa ici ses entrées.

     

    Progressant de côté d'une fesse sur l'autre, ouvert, fermé, ouvert, fermé, il parvient à ma gauche et cette fois, oui, il me fixe. Tartine aux lèvres et bouche pleine et sans goût, je m'incline, déglutis - le voici juste sur ma gauche, au pied de l'horloge où pendule un balancier d'or comme au fond d'une blessure. L'oncle dit Je t'ai fait peur Ses yeux sont vitreux, striés aussi, écartelés sous le creux des arcades – ses doigts me serrent le coude, ses lèvres s'entr'ouvrent et ma bouche se sèche Quand je chie –dit-il - je chie des bouts d'intestins. J'imagine la migration massive, instantanée, d'une horde de cellules cancéreuses, tandis que lui, Jonas, demeurerait soudain à tout jamais vrillé, grêlé de cavernes suintantes ; des taches verruqueuses et noires cribleraient la peau de mon visage – à ce moment paraît dans l'embrasure la tête contractée de la logeuse – qu'est-ce que t'en dit ?

     

    - Baisez-lui le creux de la main dit-elle - une main noire et creusée jusqu'à l'os. Je m'exécute.

     

  • Histoire et autres

     

    Quel sérieux ! Quelle gravité ! Le commentateur ne doute pas un instant que le lecteur ne se rue, sitôt l'ouvrage refermé, sur ces chefs-d'œuvre de gestion, qui eux, au moins, servent à quelque chose ! L'analyse du contenu d'une telle réforme amène certains observateurs supercifiels à penser que l'U.R.S.S. (bien placer les points après chaque abréviation) fait un pas décisif vers la restauration du capitalisme. Erreur grossière ! Penser à ces classifications de bibliothécaires sur les livres de religion, disséquées à fond sous diverses cotes, au moins 10, pour les chrétiens, tandis qu'une seule de ces mêmes cotes rassemblait les “autres religions” !

     

    La divinité floue.JPGDevant la complexité des approfondissements, certains autres esprits non moins superficiels rejettent toutes les subtilités, les décrètent de vanité, pour se réfugier dans la présence de Dieu ou le néant âprement dénoncé, ce qui est le même gloubiboulga. Le tout témoigne d'une grande paresse et d'un manque total d'originalité, voire de personnalité. En résumé, je m'emmerde à lire – car, s'il y a bien rapprochement des économies capitalistes et collectivistes sur le plan de la gestion, l'utilisation du profit qui en résulte reste fondamentalement différente puisque dans le premier cas, il s'agit d'un profit privé et dans le second d'un profit collectif. Notre client de bar en zinc ne manquera pas d'objecter que bien des industriels soviétiques se sont taillé de belles fortunes personnelles, et que les sales entreprises privées des USA se sont tournées vers le bien-être de la ou

     

    d'une collectivité. Encore le "tout se vaut". Encore l'éloge de la liberté sur le prévisionnisme. Encore le schéma d'une dissertation sur le général et le particulier, la disparition par émiettement ou par dilution. Alors ? Qu'en penses-tu ? N'y a-t-il pas net avantage en faveur de la générosité collectiviste? En réalité ce qui change ce sont les moyens qu'emploie le communisme soviétique pour parvenir à ses fins : direction collégiale et non plus dictature d'un seul homme ; coexistence pacifique et non plus guerre froide ; autogestion des entreprises et non plus gestion bureaucratique et centralisée. On ne saurait mieux dire : la forme, en effet, et non le fond : car la direction collégiale fut pourchassée, cassée, sitôt qu'elle s'éloignait d'un fil des directives gouvernementales, et ses promoteurs envoyés aux camps - pas question d'autogestion ; la dictature d'un seul homme ne correspond pas du tout, que je sache, aux méthodes de production en Occident, mais s'exerce bien plus en descendant des hautes sphères du Parti, et tout à l'avenant.

     

     

    Et nous voici rendus, Mesdames et Messieurs, à l'indispensable tableau chronologique de fin de volume, où voisinent par colonnes les “relations internationales”, “la France”, “les nations occidentales y compris le Japon”, “le monde communiste”, enfin les “sciences, arts et faits religieux”. Ces derniers, en 1971 ancien style, ont paru si essentielles à notre brave Thibault qu'il les place en conclusion ultime, en position d'arbitrage, à son très inégal volume sur Le temps des contestations. Ce ne sont qu'avertissements apocalyptiques, sur l'équilibre de la terreur entre les deux superpuissances atomiques, et déclarations amoindrissantes sur les grands mouvements sociaux de la dernière décennie d'alors, qui est bien autre chose qu'un prurit étudiant ou libertaire.

     

    Eh oui pépé, la boîte de Pandore est ouverte (dans la version des vices qui s'en échappe, version sans charme) et Zeus sait quand elle aura fini de se vider. Dans la version primitive, c'étaient les bienfaits qui s'envolaient au ciel ; au fond de la boîte restait l'espérance, de façon bien plus poétique. Mais allez demander de la culture aux journalistes... Bref, à l'entendre, nous étions au bord du précipice... Or depuis que nous y sommes, nous avons fini par nous apercevoir que nous étions le précipice, de même que nous étions l'horizon, et qu'il fallait nous contenter de ces immenses limites. Et le spectacle continnue, de ces pantins qui grimacent au bord de l'abîme avant de s'y abîmer, puisqu'il faut faire dans le littéraire.

     

    Cette année-là (1950) Kurosawa sortait Rashomon. Quatre versions différentes d'un crime. Pas vu. Ou si peu, en dormant sur un canapé face au petit écran. Confondu avec Ran, s'il existe, épopée guerrière avec plein de fanions japonais. Luis Buñuel met en scène Los Olvidados, production hispano-mexicaine. Celui-là, je l'ai vu, en noir et blanc, avec la fameuse scène du répugnant piétinement des têtes par les chevaux des riches, qui font semblant de ne rien voir à leurs pieds, tout en jouissant du cul sur leurs selles. Vu sur grand écran, puis sur petit. C'est la première fois qui fait le souvenir. Un de ces films nasillards et terribles, axés sur la misère. Le communisme a passé, toujours autant de misères. Elles se passent le relais, nous autres sur nos chevaux nous plaignons des selles de travers, sous nos sabots éclatent les têtes. Mais nous nous en foutons.

     

    C'est la vie, n'est-ce pas. Nous n'y pouvons rien. Nous sommes dans nos jus de mort prochaine, dont il va bien falloir s'occuper un jour. Ils n'avaient qu'à, ces pauvres, s'en sortir seuls. Je paye mes impôts, moi, Monsieur. Je ne peux pas accueillir toute la misère du monde, je ne peux pas remédier à tout. Tout est banal. Je donne à ma mendiante de la poste, qui va en avion à Rabat pour voir la famille. Nous n'avons pas l'habitude de réfléchir à ces choses-là. Le clochard de la médiathèque avait un appartement, une télévision, une femme et des enfants, l'an dernier encore peut-être. Il erre toute la nuit et s'endort au chaud dans son fauteuil ergonomique. Je lui chipe son Charlie-Hebdo à ses pieds, car je suis un contestataire, et même, un rigolo.

     

    Assis sur mon fauteuil à moi, je l'entends grommeler qu'il ne faut pas se gêner, puis, ma lecture révolutionnaire achevée, je replace l'hebdomadaire sur son présentoir. Il n'aura qu'à se relever pour le lire. “Il ne nous reste plus que le courage d'être lâches” disait Philippe Noiret. Cela ne saurait tenir lieu de conclusion.