Proullaud296

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der grüne Affe - Page 154

  • Les pêcheurs de lune

     

    Bonsoir. Ici l'on est sérieux, ici l'on cause, on emmerde le peuple pour son bien et pour sa culture. On vous matraque Malicorne et Manset, une fois par semaine à la même heure, ce qui est insoutenable. On vous fourgue du feuilleton sur sauce cambodgienne, des textes sur fond d'Irène Papas, rien que du superchiant, du superbâclé. Ce n'est pas ainsi qu'on attire le client. Mais nous en avons marre du discours "tout le monde il est beau tout le monde il est gentil", dentifrice et Jean-Pierre Foucaud. Ici c'est le club des grognons. Salut tout le monde, salut les Hures Graves ! Heureusement qu'il y a Costès, Desproges et Marie-André en quatrième, j'ai bien dit quatrième disque ! Place au club.

     

     

     

    / Deux disques de variété /

     

     

     

    Bon ! aujourd'hui, qu'avons-nous pêché ? Les pêcheurs de lune de Raspail, encore lui, l'inévitable, parce qu'il n'y a que lui qui me plaise en ce moment. Et qu'est-ce qu'un "pêcheur de lunes" ? un ramasseur de vieilleries, déboucheurs de flacons vides, traqueur de petits riens, de peuples disparus. Vous vous souvenez de Qui se souvient des hommes ? Raspail y déplorait la disparition lente, par civilisation européenne interposée, des derniers Indiens de la Terre de Feu. Cette fois, ce sont tous les Indiens du monde qui font défiler devant nous leurs fantômes, des Nord-Américains aux derniers Blancs du Japon... Ce qui pousse Raspail à répertorier ainsi les dernières peuplades, c'est la certitude qu'avec elles, c'est nous qui disparaissons.

     

    Il n'y a pas que des espèces animales en voie de disparition, il y a aussi les peuples humains. Quand il n'y aura plus qu'un seul peuple, le nôtre, ce peuple disparaîtra. "Nous autres civilisations..." - après nous, nulle autre ne viendra. Malheur à qui dévore, il sera dévoré. Jean Raspail rassemble ici les os et les poudres de toutes les civilisations dévorées. Où sont passés les Indiens de New-York, ceux de l'altiplano péruvien, qui se croyaient des dieux ? les Aïnos du Japon, ces Blancs qui se trompèrent de direction, l'est au lieu de l'ouest ? Il me souvient en effet que je fus passionné de Sciences et Voyages, dans les années 53-57 : ma grand-mère m'en offrait un volume par an.

     

    Bonne Mère.JPG

    En ce temps-là les Aïnous existaient encore ; ils s'incisaient la lèvre supérieure et tatouaient des moustaches à leurs femmes ; ils célébraient la fête de l'Ours. En 1987, il n'en restait que trois, posant gras et dégénérés sur une carte postale. Combien avons-nous supprimé de primitifs, au coiurs des siècles ? Que reste-t-il des Romains ? La roue du temps passe, écrasant les peuples. Mais qui dit que les hommes obéissent à la seule nature ? Nous avons appris à voler, à nager sous l'eau, pourquoi n'irions-nous pas contre les lois ? Pourquoi laissons-nous pourrir les patois ? Pourquoi le dernier Cornouaillais s'est-il éteint en 1778 sans que nul n'ait noté un mot de sa langue ? Raspail rejoint Dumézil, qui sauva une langue du Caucase. Pensez, maris et femmes, aux frustrations qui vous dévorent si vous émettez une idée, puis que survient votre conjoint qui vous en souffle une autre, tellement meilleure, objectivement meilleure ; vous abdiquez.

     

    Nécessairement. Pourquoi, nous autres races inférieures, ne parvenons-nous pas à survivre ? Pourquoi le meilleur toujours doit-il l'emporter ? Pourquoi n'aurions-nous pas, dans notre propre Histoire, conservé des plages de XVIe, de XVIIe siècle ? Personne n'y croirait donc plus ? Serait-ce si difficile de créer des conservatoires du temps comme autant de parcs nationaux, traitant le temps comme l'espace ? Pourquoi ne ferions-nous pas de la piété le moteur du souverain ? Le Puy du Fou, à cet égard exemplaire : le monde chouan reconstitué, vu et revisité par les descendants des Chouans. Mais nous devons, ensuite, poser le masque et redevenir modernes. C'est insoluble. L'Indien emplumé des stations d'autoroute n'y croit plus. Mais quand même. Rien qu'un petit vestige. Reste à parcourir les pages du volume (...)

     

  • C'est tellement bon que je vous en remets une couche

     

    Quel âge avez-vous ? - Je suis mort

     

    à quarante-cinq ans.

     

    « Mais ça fait dix ans que j'habite le caveau treize. On compte dix ans d'âge. Mon nom, c’est Michel

     

    Parmentier - je reviendrai plus tard. Pour l'instant, dormez. Les jeunes morts ont besoin de

     

    beaucoup de sommeil." ...Ou plutôt je m'enfonce dans une sorte de glaire onirique, une longue

     

    coulée de rêves emmêlés. Ma femme se penche sur moi. Le souvenir des derniers coups d'artères au

     

    fond de mes tympans "...j'entends des pas dans l'ombre" - puis des vagues, des roulis de songes -une musique poignante et lancinante de requiems mêlés, de Mozart, de Jean Gilles, de Cherubini (I

     

    et II) pour la mort de Louis XVI ; des éclairs glauques, une sourde douleur dans la nuque.

     

    Des gargouillis en bulles à la surface de mon cerveau. Et, au milieu de déchirants points d'orgue ,

     

    une voix qui me transperce : « Bernard ! Bernard ! Je te verrai la nuit prochaine !" et la face de Dieu

     

    m'éblouissait, et mon corps amoindri me semblait voltiger entre les murs de mon cercueil - je

     

    m'éveillai trempé de sueur : « Voisin ! Michel Parmentier ! » La voix me semble douce : « Vous

     

    m'avez fait peur, dit-il. Comment vous appelez-vous ? - Le Rêve ! Le Rêve ! - Quel rêve ?

     

    Comment vous appelez-vous ? - Collignon ! Bernard Collignon ! - J'aurais dû vous prévenir. Ne

     

    vous tracassez pas. Dieu n'est pas si terrible. Vous vous en tirerez avec un sermon et quelques rêves

     

    de purgatoire."

     

    A travers la vitrine.JPG

    Ce jour-là, j'eus tout le temps de penser - à ma vie, ni plus ratée ni plus perdue qu'une autre. C'était

     

    ma petite fille de sept ans que je tenais dans mes bras. C'était ma femme qui me baisait tendrement

     

    la joue avant de s'endormir - nous faisions cela religieusement. C'était le terrible accident du 18 juin

     

    40 où mon père avait laissé la vie. Le fleuve à nouveau se déroulait sans fin, avec de longues

     

    échappées ensoleillées sur ce qui aurait pu être, des paysages inconnus où mon corps s'ébattait, de

     

    voluptueuses reptations subaquatiques dans l'Aisne, mon corps ruisselant, et, à mon côté, la Fiancée

     

    me tenant par la main.

     

    La prairie inondée, les grenouilles, une de nos maisons au dos si large contre la crue épanchée de la

     

    Vesle... Quelques heures plus tard, une lueur s'infiltra par le couvercle soulevé. « Salut ! » La tête

     

    hideuse et sympathique de Parmentier : "C'est le terrain qui conserve par ici". Il inspecte le

     

    cercueil : « Ce n'est pas grand, chez vous. On ne vous a pas gâté. Nous ne pouvons pas tenir à deux,

     

    je reste sur le bord. Mais plus vous vous décomposerez, plus vous aurez de liberté de mouvements.

     

    Quand vous serez bien décharné, vous pourrez commencer à sortir.

     

    « En attendant je vous amènerai du monde. - Arrangez-moi les plis du linceul sous le pantalon, c'est

     

    insupportable. » Il le fit. "Je suis venu vous réconforter un peu avant la visite à Dieu. C'est le trac,

     

    non ? - Plutôt. » Je lui révèle que j’ai touché » ma petite fille, que j'ai sodomisé ma femme, que je

     

    me suis prostitué quelque temps, lorsque j'étais étudiant... « Diable ! fait-il en se grattant

     

    précautionneusement la tête. Avez-vous tué ? - Oui, sur une barricade. - Ecoutez - je ne veux pas

     

    être pessimiste, mais vous en aurez lourd.

     

    « Je connais un abbé, dans l'allée, en face, qui doit subir toutes les nuits des cauchemars de remords.

     

    Parce qu'il faut que je vous explique : l'enfer, le purgatoire, ce n'est pas du tout comme vous vous le

     

    figurez là-haut. Il n'y a pas d'enfer, juste le purgatoire, et même pas à jet continu, parce que le

     

    Patron sait bien que nous ne pourrions pas tenir." Il hoche la tête en soupirant : « Croyez-moi, le

     

    purgatoire, c'est infernal. Et tout le monde y passe. Le ratichon, en face, ça fait vingt ans qu'il tire. Il

     

    appréhende les nuits, il réveille ses voisins.

     

    « Enfin un conseil, soyez bien calme, bien humble, et il vous sera beaucoup pardonné. Je vous

     

    quitte, ma femme m'appelle" (je n'entendis rien) "elle ne m'a rejoint que depuis deux ans, elle est

     

    encore très... tourmentée." Je m'étonne de l'entendre parler avec cette crudité. "Oh vous savez, ici,

     

    on ne fait plus attention. Au revoir !" Je le retiens, anxieux. « Allez du courage. Tout le monde doit

     

    y passer. » Après quelques instants d'angoisse, je me sentis plongé dans un profond sommeil. Une

     

    voix me déchirait les oreilles en criant mon nom, avec les inflexions écrasées d'un haut-parleur mal

     

    réglé : « Bernard ! Bernard ! » - et il me semblait que le couvercle appuyait sur moi de toutes ses

     

    forces, comme pour expulser mon âme de mon corps.

     

    En outre, pour autant que j'en pusse juger, je sentis que j'étais sorti de ma tombe, et qu'une part de

     

    moi flottait bien au-dessus, dans un espace d'une autre nature. Je ne pouvais voir ni mon corps ni

     

    mes membres, mais je sentais, loin sous moi, ma poitrine et mes os broyés à suffoquer, tandis que,

     

    distinctement et simultanément, une espèce d'autre corps, projeté et immobilisé "en l'air" à une

     

    distance incommensurable, se trouvait maintenu là en position repliée, la tête sur les genoux, les

     

    mains derrière le dos. Osant à peine relever les yeux, je vis une immense estrade de bois nu, où

     

    trônaient des anges noirs, drapés dans leurs ailes. Je compris que ce qui me ligotait ainsi, ce qui me

     

    forçait à rester immobile, c'était la présence, l'essence même de Dieu. Je me trouvais englobé en

     

    Lui, et Sa force me pressait de toutes parts. Un Souffle Ardent me parcourut, qui intimait

     

    compréhension, sans qu'il fût besoin de mots.

     

    Il m'accusait d'inceste, et du meurtre d'un flic. Alors le Souffle m'enserrait plus âprement. Et je

     

    baissais la tête en murmurant. Et je sentais mon corps, celui d'en bas, pressés entre deux grils

     

    rougis. Je voulus regarder au moins les Anges en face! Ils se tenaient fort droit, comme il est juste :

     

    Juges, et Témoins. Ils me semblèrent ridicules, et Dieu lut en mon coeur. Je m'inventai de nouveaux

     

    crimes, et chaque aveu me courbait un peu plus : n'avoir plus assisté à la messe depuis... « Je m'en

     

    fous ! » tonna DIEU, et les Anges éclatèrent de rire, en découvrant leurs dents aiguës comme des

     

    poignards.

     

    Tranchant enfin mon sexe avec mes propres dents je le tendis à l'Ange le plus proche, qui l'enfouit

     

    sous ses plumes. Enfin je murmurai, écrasé de repentir et d'amour : « Seigneur, je ne suis que

     

    poussière. - TEL EST TON REVE, ECOUTE, dit le Seigneur.

     

    TU SENTIRAS TON AME COMBLEE DE REMORDS. ET CE REMORDS TE SERA

     

    VOLUPTE, ET CETTE VOLUPTE TE SERA PLUS GRAND HONTE ENCORE. ET DE LA

     

    HONTE MEME TU TIRERAS TA VOLUPTE. Retourne dans ta tombe, et crois en Ma

     

    Miséricorde."

     

    Tel fut Son ordre. Et les anges s'envolèrent, agitant leurs ailes noires en poussant des cris rauques.

     

  • A Jérôme B.

    2046 06 20
        Violent, terrible, grouillant de mammifères et de poireaux comme de raves analphabètes et troublants, qui peut ignorer le monde absurde de Robert Schmehl ? Souvent, de plus, vous irez au-devant de ses désirs en vous abîmant au fond des voluptés droguaires - joie : plus d'enfants, plus de renouvellement, la chair humaine enfin incessamment réparée, enfin en passe d'être éternelle, grâce aux bienfaisantes matrices des vaches et des truies.
        Les oiseaux sont tout petits.
       

    Aquarium flash.JPG

    Les fraises croissent artificiellement. Fin de l'anthropocentrisme biblique, saint Thieuloy enfin comblé : l'homme n'est plus seul à régner. Je me fouts (orthographe célinienne) de la perte de ma liberté : vous imaginez-vous, humains, qu'un seul instant il vous est donné de vivre libres ? Ni gloire, ni argent, ni conquêtes amoureuses ; ni même de voyages, les bienheureux voyages - et je devrais, vous devriez danser de satisfaction ?
         Pauvres, pauvres humains en proie aux moralistes, aux hypocrites donneurs de leçons, libérez-vous de vos chaînes, seule la mort est au bout, et nous ne sommes pas libre ! Quel message veux-tu donner aux humains ? Celui-ci : mangez, tuez et pillez, car demain est la Mort. Hélas, je ne puis supporter la vue du sang, je ne puis tolérer l'injustice ! Mon Dieu que je suis faible !
        Je ne sais plus, dit le Personnage, celui que l'auteur veut à toute force  faire passer  pour un personnage - lequel se replia sur lui-même, en position foetale, et coincé en lui-même se mit à prier, à gémir, à s'en remettre à ce Dieu qu'il niait. Robert Schmehl est le peintre que j'aurais pu être, si j'avais su dessiner, car il est très facile de dessiner : j'aurais - comme d'habitude ! - écrasé le genre humain, j'aurais humilié tout le monde de ma réussite et de ma gloire, et voilà pourquoi je ne suis pas devenu glorieux : pour ne pas vaincre éhontément.
        Il ne faut pas faire de peine à ton père.   
        Pauvre papa. C'est malin.
        Ma bibliographie est le monde entier, les livres tout entiers de laplanète entière, qui croulent et fondent sur vous dès que vous levez les yeux vers ces innombrables rayonnages d'ouvrages à vendre.  Seigneur, je suis moins intimidé chz les bouquinistes, dont les auteurs, au moins, sont morts. Je peux me situerparmi eux, mort parmi les morts.
        Les peintures neproduisent pas d'effet semblable : ce sont des livres qu'on lit d'un coup, qu'on éventre sous les spots, de la première à la dernière ligne. Une claque. Non un effeuillement. Je ne pense pas qu'aucun peintre, visitant un musée, se soit montré découragé. Mais stimulé. Je voulais me concentrer sur moi-même, sur l'oeuvre à faire. Je devais mêler ma voix à ce grand concert de feuilles convergentes.
        Ne pas se laisser détourner. Me croire absolument le seul au monde, infiniment supérieur à tous ceux-là. Non pas la modestie : une crispation d'homme seul, une élimination de tous afin d'être le meilleur. Mon lecteur trouvera tout ce qu'il souhaite : de la folie surtout, déclinée sous tout aspect, du désarroi, de l'abandon à Dieu, de la facilité, beaucoup de facilité.
        Vous aussi - il faudra bien que je vous interpelle et vous secoue à bras le corps pour vous faire tomber les ressemblances du corps comme des fruits rétifs - vous aimeriez n'est-ce pas vous permettre ces trépignements affolés - je vous ai damné le pion, j'aurai pour une fois damé le pion à tous ces redresseurs de torts, comprendrez-vous que je vous aime et vous déteste ?
        - Mais tu es comme tout le monde, comme tout le monde, rien inventé, etc...
        Complaisance. Et amour du français. Suivez je vous prie : la peinture, une représentation, du moins chez Schmehl ; littérature, expression ; langue française, belle menacée, moi en pointe, toujours ! la construction viendra plus tard. Later.  Mes ouvrages sont disponibles à mon adresse. Personne ne veut prendre le risque d'une telle médiocrité. Lassante, je veux dire.
        - Laisse-nous juger par nous-mêmes.
        - Jamais. Jamais. Vous êtes trop nuls. Et surtout, jamais libres. Jamais jamais. Je ne vous laisserai pas libres, pas plus que vous ne me l'avez laissé. Quoi, pas de gloire, pas de femmes (voir plus haut) - et vous voudriez être libres ? Vous qui m'imposez la mondialisation ?  La mort de ma langue ? ("Week-end" sournoisement remplacé par "fin de semaine" ; "one-man-show" ou "one-woman-show" par "seul(e) en scène", bravo, allez les Don Quichote, pour l'honneur, pour l'honneur,  en français dans le texte), libérez-vous de vos chaînes, seule la mort est au bout, et nous ne sommes pas libres

  • Richelieu et son dur métier

     

    Il paraît qu'un mendiant avait dit au Cardinal, sortant de la messe, qu'après tout ils étaient frères tous les deux. L'affirmation fit bien rire autour de l'ecclésiastique, lequel répondit à peu près : "A vous voir, on ne le dirait pas". Qui nous prouve que nos descendants ne s'indigneront pas devant nos différences entre hommes et femmes encore bien distinctes aujourd'hui, ou bien entre les adultes et les enfants ? Mais Richelieu se démenait sur tous les fronts à la fois. La guerre ? C'était bon pour l'Allemagne avec sa Guerre de Trente Ans. Les paysans de Normandie ? Au bout des branches.

     

    Ceux de Provence ? Ils se battent contre les artisans de ladite Provence, comme ça, l'aristocratie a la paix. Les protestants ? On les écrase à La Rochelle, et les Anglais repartent sur leurs beaux bateaux inefficaces. La ligne de conduite de Richelieu a toujours été droite comme des rails de chemin de fer : le roi, rien que le roi. Fidélité absolue au principe royal. Tenir bon. S'obstiner, ce qui donne toujours raison à la longue. Toutes les crises ont été résolues par cette fidélité sans failles, au point que nous savons le dénouement dès que le nœud se noue ; et à la fin de la Journée des Dupes, qui devait voir sa chute, c'est encore l'homme d'Eglise qui triomphe. Au point que c'en est aussi prévisible que les épisodes de Zorro, mis à part que c'est le méchant, le policier, l'espion-chef, le vindicatif et le cruel mais nécessaire Richelieu qui l'emporte.

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    Fasciste ? C'est un anachronisme. Le seul point commun, si l'on y tient, est la subordination de tout à l'intérêt de l'Etat. Mis à part que les fachos font semblant d'être purs alors qu'ils se battent pour tricher sur tout ce qui rapporte du pognon, alors que Richelieu a peu pillé par rapport aux courtisans avides. Vous le voyez, nous avons brossé à grands traits un portrait bien agité, tout à fait différent de la célèbre peinture de Philippe de Champaigne, où le Cardinal nous domine de ses airs altièrement hiératiques. Le propos n'est pas ici de suppléer les carences de l'Education Nationale qui n'apprend plus ces choses-là aux enfants n'est-ce pas, en retraçant les grandes étapes de la carrière de notre grand homme.

     

    Reportez-vous aux manuels des années 60, où s'étale cependant une erreur : le Cardinal de Richelieu ne défendait nullement les "frontières naturelles de la France", mais essayait d'éviter par exemple que les armées suédoises de Gustave-Adolphe, front carré, grand nez, grosse bite et myope, ne franchissent le Rhin, les détournant plutôt vers l'intérieur de l'Allemagne, où les massacres épargnaient du moins les ressortissants français. Il évitait que les Espagnols ne dépassassent Corbie, car ils étaient à la fois au nord et au sud en ce temps-là. Autrement, nous tombions sous un régime bigot et catholique à nous flinguer tous. Et ce qui ressort comme toujours de ces immenses biographies, c'est l'incroyable morcellement, pullulement, émiettement, pulvérisation, de tant et tant d'actions, cet inextricable écheveau d'intrigues, dont on ne voit ni ne pressent la fin (sauf celle de la fidélité au roi) : mais Richelieu ne pouvait prévoir que tout finirait à son avantage et à celui de la France. Bien des fois il se crut perdu, à deux doigts du renvoi ou de l'enchaînement au sens propre. Eut-il du courage ? Ou bien le courage faisait-il partie de sa destinée? Et la prévoyance, la présence d'esprit ?

     

    A sa mort, la première Fronde est momentanément écrasée. La bataille de Rocroi sauvera la frontière nord. Les vicissitudes ne seront pas terminées pour autant, mais Louis XIV, fils de Louis XIII à la suite d'une nuit d'orage à St-Germain-en-Laye, réglera tout cela de façon bien autoritaire – il fallait aussi résoudre le problème de la succession génitale, et le Cardinal ne pouvait pas tout de même s'y mettre en personne. Nous allons explorer quelques diverticules de ce dédale évènementiel excrémentiel : le roi vient d'apprendre l'exécution d'un ennemi intérieur, et se réjouit. Nous sommes en 1632, notre historien Philippe Erlanger suivant l'ordre chronologique avec une application totale, ce qui permet de rapprocher toutes les activités de son héros ecclésiastique : cela témoigne de la multiplicité microscopique des soucis d'icelui, loin des grandes conclusions d'ensemble qui simplifient au contraire un peu trop.

     

    Le roi donc s'exclame "Vous m'avez fait bonne justice !" Erlanger commente : "Le récit de la mort digne et pieuse du vieux soldat n'éveilla aucun scrupule en sa conscience ordinairement tourmentée. Les Mémoires de Richelieu devaient tirer l'implacable enseignement de ce déni de justice : "La multitude des coupables fait qu'il n'est pas convenable de les punir tous. Il y en a qui sont bons pour l'exemple et pour retenir à l'avenir, par crainte, les autres dans le respect des lois." Eh oui. Pragmatisme. Machiavélisme. Cynisme. J'entends bêler d'ici. C'est La raison d'Etat, titre du chapitre suivant, de mai à octobre 1632. "Au cours de l'automne 1631" (revenons en arrière pour plus de clarté, ce dont Erlanger ne se prive pas) "le duc de Roannez, un autre de ces Grands que Richelieu voulait abaisser, avait été traduit devant la Chambre de l'Arsenal et le terrible Laffemas pour crime de fausse monnaie. Il s'enfuit à Bruxelles. En mai, espérant obtenir son pardon, il alla conter au représentant de Louis XIII le vaste complot tramé par la Reine-Mère, Monsieur, les ducs de Lorraine, de Savoie et de Bouiillon. Il accusa MM. de Montmorency, de Créqui et de Chaulnes "d'être de la partie". Ouh le vilain cafteur.

     

  • Tentatives de fuite

     

    Je pense aussi : pour les gens de mon espèce agir n'est que penser plus fort. Je ne me suis jamais assis sur un tracteur. “Hamri, Hamri”, répète Paziols. Il veut se replacer sous lui. Or Hamri n'a aucun sens politique. Pas plus que celui du massacre. Qu'est-ce qu'il vient foutre à MOTCHE ? Longtemps j'ai cru que la “névrose” se soignait par des “entretiens”. J'ai joué les dingues de mon mieux, j'ai tiré sur les chèvres, puis Hamri m'a investi, puis Hamri m'a oublié. Il disait si l'on se cannonne si l'on se mitraille c'est qu'on n'a pas assez baisé.

     

    Pochoir.JPGElémentaire, Sidi Hamri. Qui disait aussi :”N'interrogez jamais les femmes ; pour elles les couilles ne sont jamais assez coupées. Les lois de la chasteté, promulguées par les hommes – sont en fait inspirées par les femmes trop heureuses d'abolir la pénétration” - etc., etc. - aussi le Docteur Hamri ne soignait que les hommes. Si je sors un jour d'ici j'irai retrouver les femmes du Palais. Hamri soudain devant moi m'investit d'une mission : et de deux. “Tu quitteras la ville” dit-il, “tu te rendras sur l'île de Djiz où sont cantonnés les renforts.” Je n'en ferai rien, de par tous les diables, je n'en ferai rien.

     

    Le lendemain sur le port je me retrouve en civil avec ordre de mission pour le Haut Commandement. L'île est cernée par les Syriens, les tirs interdisent tout débarquement. Le bateau est sous pression, nous fuyons. Paziols me suit comme un ombre bardée de cartouchières (“Tu fais ton malin. - Ta gueule”) tandis que trois individus vêtus de gris nous filent sans même prendre la peine de se dissimuler. Nous franchissons à bonne allure trois barrages de tirs sans convictions, par le hublot de ma cabine j'aperçois notre ville doublement cerclée de fer (la mer, la terre). Le bruit des machines couvre le fracas probable d'une explosion qui ravage d'un coup tout le Front de Mer de Motché.

     

    Sur le pont une foule soudain apparue au milieu des valises manifeste une joie indécente ; les cris des passagers qui s'étreignent laissent difficilement comprendre s'ils se réjouissent d'y avoir échappé - ou bien d'assister ainsi sans risque au massacre d'une faction rivale ; je saisis dans les hurlements que la seconde hypothèse est la bonne. Vers la proue éclate une violente bagarre. Au-dessus de nous l'air se déchire, une volée d'obus creuse par-devant de profondes gerbes de mer, tous suspendent le combat et se précipitent dans l'entrepont. Des vedettes nous encerclent dans leurs sillages : “Restez sur place” - les haut-parleurs retentissent - “restez sur place !” - des mitrailleuses lourdes fixées sur le pont même se tournent vers nous, leurs trépieds bien fixés. “C'est pour moi ?” crie Paziols.

     

    Je lui défonce les côtes d'un coup de coude, les filochards en gris nous collent à la peau, notre ignorance est grande. Des passagers se font rembarquer par petits groupes. Voici que nos espions nous adressent la parole avec la plus extrême déférence, se déclarent prêts à nous escorter “au Djiz” - il ne reste plus que 4 passagers. Tout s'est passé très vite. Les hommes gris enlèvent leur chapeau. Ils ne souhaitent nullement la paix. Bien au contraire ils se vantent, le premier d'avoir tué trois membres de sa belle-famille “en protestation contre [s]on divorce”; il revient de Bulgarie et s'exprime en anglais.

     

    L'autre espion raconte en éclatant de rire qu'il a vidé son chargeur contre une maternelle. “I am Greek”, nous dit-il. Son anglais est pire que l'autre ; il précise qu'il n'y avait personne à l'intérieur de l'école. Je lis dans les yeux de Paziols qu'il les trouve insupportablement niais ; nous leur sautons dessus, nous les ligotons, nous les enfermons. “Ces hommes-là dit Paziols ne sont pas de ma race.” Le navire ne porte plus que nous quatre, et l'équipage. Il se dirige à bonne allure vers le nord-ouest : nous serons le soir-même à Mëspëlë. Le port pacifique aura mis ses lumières, les putes nous attendront dans les rues renfoncées.

     

    Ce sera la paix. En attendant ce moment béni où je m'agiterai entre les cuisses des femmes, je descends aux cales pour surprendre les confidences des assassins gris. “Je regrette de ne pas être une femme”, me confie le premier au milieu de ses liens. “Je n'aurais pas été arrêté, je n'aurais pas tué.” Je le détrompe. Il me répond avec mépris que “les femmes ne décident pas”. L'autre, ligoté lui aussi, dévide une lassante justification : les enfants sont son obsession ; il regrette de n'avoir provoqué que des blessures, chez des passants. “Même pas un mort”, regrette-t-il. Les enfants lui couraient après en le traitant de fou. “Les adultes au moins, dit-il, respectent les différences.” Je dis : “Vous êtes à fond de cale, et je suis libre ; c'est une différence”. Sur le port le soir tombe.

     

    Les lumières tracent les avenues, d'un quartier à l'autre. Ni barrage, ni couvre-feu. Les voitures circulent. Nous tendons nos passeports au bas de la passerelle. Un employé au crâne nu nous retient quelque temps à son bureau, sous un ventilateur : “Les putes sont en grève.” Drôle de pays. Dès que nous avons pu ressortir, nous avons constaté une agitation qui nous semble, à nous , extraordinaire : des passants qui courent en évitant de se heurter, des automobiles qui roulent en bon ordre, des panneaux lumineux – une vraie ville ; alors j'ai eu conscience de la mort.

     

    Paziols s'assoit sur le trottoir à hauteur d'essence, les passants le contournent en grommelant, il me dit que nous allons chercher l'hôpital, “pour trouver ton fils” dit-il. Pourquopi pas en effet. Mais je me demande quels renforts Hamri nous demande de contacter. Pourvu que ce ne soient pas les mêmes que les nôtres. Nous serions ridicules. dit Paziols. Il se lève d'un coup : “Regarde !” Les policiers Yahouds arrêtent sans ménagement un homme grand et brun - je vois mon fils partout ; tout homme qui se fait arrêter est nécessairement mon fils. Les Yahiouds le font monter dans une voiture à grands coups de matraques.

     

    Ce sont eux qui ont bombardé l'hôpital de Hamri, à Damas. Ils sont partout. “Tu n'écoutais donc plus la radio ? - Plus depuis toi, Paziols. - Les Yahouds se sont emparés de toute la partie sud de l'Ile de Djiz. Des pourparlers d'annexion sont en cours.” Nous nous mêlons à la foule sans nous asseoir, ni sur un rebord de trottoir ni ailleurs, des policiers yahoudi parcourent les rues grouillantes deux par deux, avec leur casque colonial et leur long bâton blanc ; les filles qui ne font pas grève posent dans les vitrines. On ne nous frappera pas dans le dos.

     

    Paziols est véritablement fou ; il défonce une vitrine d'un coup de coude et retombe à l'intérieur avec la fille. Je saute à même le verre pour les ramasser. L'alarme fait un bruit d'enfer contre mon tympan. La foule indifférente. La fille reste au sol, assise, la main sur l'oreille. Une porte intérieure nous engloutit.

     

  • Amiel

     

    La divinité floue.JPG

     

     

    Impossible de se procurer dans son intégralité le Journal d'Amiel, qui fut retiré des usuels de la Bibliothèque municipale, faute de consultants sans doute, et sous la pression des utilitaristes. N'ayant ni la volonté de poirotter indéfiniment pour obtenir enfin, du but des lèvres, communication du tome 1 au guichet, ni le goût d'une dépense effroyable, ni le temps nécessaire pour tout lire alors que j'ai 68 ans bien sonnés, je me contente des articles de la Toile, et cesserai sitôt achevée la consultation de la première page de ce répertoire. Voici ce que je pense : d'abord, comme l'auteur, j'admire (bien ironiquement) ceux qui peuvent ainsi donner leur opinion sans mélange et sans hésitation.

     

    Cela m'arrive, mais je n'en fais plus gloire. Les goûts changent avec le temps et les humeurs, chacun peut vérifier cela, malgré le nombre croissant de dogmatiques. Amiel m'attire, je reconnais en lui un grand style, clair, une grande sincérité, une honnêteté à toute épreuve. Il a vécu à l'intérieur, une vie de femme dit-il, sans s'impliquer dans le monde extérieur. C'est devenu, par dépit, ma vie aussi : je conçois parfaitement la grandeur utile d'un long séjour dans ce bac à sable intitulé pompeusement « la Vie », où chacun, hurlant dans sa culotte courte, distribue les coups de pelle, et pan un coup de râteau, et pan un coup de seau, et c'est moi qui ai la plus grosse, et c'est moi qui pisse le plus loin – non, merci. Je n'étais pas doué, j'ai toujours été faible, plaintif et orgueilleux.

     

    Mon bac à sable personnel me suffit, j'y rencontre autant d'adversaires, et je ne parviens pas à comprendre si cela m'avantage ou me nuit. Gagnebin écrit sur Amiel : Bernard Bouvier publie une édition du Journal d'Amiel « selon des principes tout à fait différents » - l'année 1857 existe en édition abordable. Mais c'est tout, ou rien. « Il s'agit dans ces milliers de page de « choisir assez librement pour que le Journal intime reprenne sa physionomie naturelle, sa diversité dans la monotonie, plutôt qu'une variété concentrée dans une unité artificielle » - assurément, monsieur Bouvier. Rien ne vaut dans ce cas le carottage podologique, sans apprêt. Or la suite de votre propos dément ce que vous venez de dire : « il s'agit de « choisir les parties négligées ou interdites du manuscrit », des fragments destinés à enrichir, à rendre plus vraie et plus vivante la figure de l'auteur. » Nous rappelons que Gagnebin cite Bouvier, et que nous commentons le tout...

     

    Ainsi donc, le journal serait un terreau commun à tout homme, et nous devrions nous attacher à la figure, forcément sympathique, d'Amiel, universitaire genevois. Pourquoi pas. Ici se présente une aporie : celle de l'individu, de savoir s'il existe. Mais nous avons déjà remué cet insoluble problème, et voudrions poursuivre notre route. Il est fort commode en effet de se jeter dans les jambes un obstacle connu, un tacle, afin d'étouffer toute découverte. « L'édition Mercier-Schérer avait révélé le critique littéraire, le moraliste, le psychologue, le peintre de paysage ; » le voici pourvu de bien des qualités : le genre du journal serait donc plus différenciant que prévu. Il serait à la fois révélateur d'universel et de particulier. Nos découvertes en vérité progressent. « L'édition Bernard Bouvier étendait son champ aux confidences amères ou irritées d'Amiel sur sa famille, sur Genève, sur l'enseignement académique, à ses relations féminines et aux contraintes du célibat, à ses observations sans cesse renouvelées sur son moi. » En effet, les prédécesseurs avaient soigneusement gommé tout ce qui pouvait déplaire, mouvements de découragement, réflexions moroses ou négatives.

     

    Se révèle donc ici la curiosité de tout lecteur, à savoir le mauvais côté des choses, la critique voire la satire, et les détails croustillants sur la vie privée (masturbation, nombre de poils du cul). Car, soyons honnête, nous ne lirions les dizaines de pages monotones que dans l'espoir de tomber sur de la colère ou de l'érotisme. Il ne s'agit plus d'édifier, mais de soulever le toit de soi-même comme Asmodée ou Asmoth dans la Bible le faisait chez les autres. Ce qui fait l'individualité de l'homme, c'est finalement la friction de cet homme contre la société, ses aigreurs, ses relations agréables ou non, en somme, l'anecdote, l'évènement, le vécu. La vie, dont le journal veut retrancher son auteur.

     

    « Néanmoins elle ne fournissait encore aucune idée de l'allure véritable du Journal intime. » Mais Gagnebin va nous arranger tout cela : il publiera, je l'espère, le journal en bloc, ses rocs et son sable, ses marécages et ses redressements de tête. Alors demandons-nous ce que nous faisons là, gloseur de glosateur, au lieu d'acheter tout simplement le tome 1. Nous ne parviendrons pas à bout du tout. Nous recommencerions le grand enlisement des Mémoires de St-Simon, dont nous savons pertinemment que le temps nous interdit l'achèvement. Enfin, Cabanis vint, St-Simon l'admirable, et nous le lûmes deux fois, ne nous en apercevant qu'après la seconde lecture. « J'ai comparé », nous dit Gagnebin, « les fragments retenus par Bernard Bouvier avec le manuscrit d'Amiel ». Nous n'en doutons pas. « L'éditeur a supprimé tous les petits faits qui meublent l'existence de l'homme : ses lectures, ses causeries dans la rue, ses visites quotidiennes à des amis, car Amiel ne saurait passer seul une soirée. » Moi non plus : il me faut ma télé.