SIDOINE I 86/99
V, 3, 6, 8, 10, 13
Premier sac de la Ville qui frappa beaucoup plus les esprits que la chute, au mois d'août 76 de l'Empire de Rome, hier encore, sous Giscard (1976 Ancien Style) ; "le diadème qui couvre son front n'est pas une vaine parure, mais l'insigne légal de la puissance" – c'est bien là tout ce qui reste. "Détail important" précise la note 1 : "L'empereur d'Orient, Léon" ("le Lion"), "a reconnu officiellement Majorien (...) » Étrange Orient, sous perfusion, pour mille années de plus. "Les deux hommes d'ailleurs" (Léon et Majorien) prirent ensemble le consulat, aux calendes de janvier 458" – ainsi accomplissons-nous aussi tous les rites : élections, alliances ou rivalités, sans voir que nos gestes sont morts.
À partir de quand est-il trop tard ? "Le consulat, poursuit Apollinaire, "...grandit l'Empereur" – ô vénérable mascarade : elle a vécu, l'Europe romaine… Ravenne,
capitale d'Empire, à l'abri des marais -
clairons éteints dans la brume de l'aube - "le monde, je l'avoue, avait tremblé quand vous refusiez de recueillir le fruit de votre victoire" – il ne refusait pas : il hésitait -– mesurait-il les risques ?
Vaincre, assurément, mais pas trop ; sinon, liquidé par le Germain-Chef. Ce manque d'empressement fut en réalité celui de Léon, empereur d'Orient, peu soucieux de reconnaître un rival. C'est alors que déboule en plein travers de notre texte l'atroce boursouflure de la "Prosopopée de Rome", où débaculera tout le carton-pâte des panoplies - Roma bellatrix, nous dit la note - "Rome belliqueuse" avait pris place sur son trône, sein nu, tête casquée couronnée de tours". Ce que nous distinguons hélas, en cette année 457 de notre ère, c'est cette lassitude, ce ressassement sans espoir et sans répit.
R. 31
V, 14 à 35
Quant à la Flapissime Rome, "sa réserve accroît la terreur qu'elle inspire" – quelle terreur ? - "sa vaillance s'irrite d'être surpassée par sa beauté" – quelle beauté ? Rome est une hommasse qui fait la gueule. "Le tissu de sa robe est de couleur pourpre; une agrafe aiguë la mord de sa dent recourbée" – assez, assez. Sidoine barbouille. "La déesse s'appuie (...) sur l'orbe vaste d'un étincelant bouclier" – l'assistance ronflait sous une avalanche de fossiles. Romulus et Rémus, mièvres couilloncicules, osent-ils
seulement effleurer la Louve ? n'ont-ils donc pas compris, nos petits sculpte-tombes du quattrocento,à quel point ces magots replets souillent la majesté du fauve ? "on aurait eu bien peur de la caresser" - quam blandiri – "à cause de sa gueule béante" – ô niaiserie !- "pourtant, même façonnée par l'art, elle craignait de dévorer les fils de Mars" – ô profond crétinisme ! - "au premier plan le Tibre" - aurons-nous droit à la "barbe liquide" ? – "les ronflements d'un sommeil mouillé" – "madidum... soporem" – hélas, oui. ..Sa poitrine est couverte d'un manteau qu'a filé Ilia son épouse ; allongée sur la couche limpide, elle voudrait supprimer les murmures des ondes et assurer le repos de son fluide mari".
Les frontières du ridicule sont ici pulvérisées. Jusqu'aux sarcasmes en sont ratatinés. "Telles sont les splendeurs du bouclier". Son modèle en effet se trouve au chant IV de l'Iliade, où l'univers entier se reflète au bouclier d'Achille. Sidoine affuble donc sa Rome d'une "lance au manche d'ivoire", virilement ivrognisée par le "sang des guerriers". Courage ! Il ne nous reste plus qu'à révérer Bellone, déesse des guerrières, "élevant un trophée et courbant un chêne sous le poids du butin. Le trône, d'un seul bloc, est taillé dans le porphyre rouge de la montagne d'Ethiopie (...)" - les clichés s'entassent. Les Romains n’exploraient rien. Ils achetaient, ils pillaient. V 14/35 OUI
R. 32
V, 37-38/ 41-53 / 56-60
Simple soiffarde cupidité de pecquenots. C'est pour l'argent que Rome aura conquis le monde. "On y a joint d'un côté le Synnade, de l'autre la pierre de Numidie qui imite - ô douloureux z’hiatus ! – ("imitant") - gloire et beauté très loin, très loin après l'utilitaire. Description, d'ailleurs, venue de Stace (40-96). À l'assemblée des Provinces, chacune posera aux pieds de sa maîtresse, Roma, ses productions, comme chez nous en 31 sur les affiches coloniales. Sous nos yeux harassés se heurtent sans fin les syllabes et l'arbitraire flamboyant de la syntaxe : "Sitôt la déesse assise sur son trône, toute la terre à l'instant même vole vers elle" – colon y en a parlé, négro aplati : "L'Indien apporte l'ivoire, (...) le Sère des soieries" (ambassade en Chine du IIe siècle [165]), l'Attique son miel (Atthis mel), (...) – "...l'Arcadien ses chevaux, le Chalybe des armes - ils avaient inventé l’acier - "(...) le Pont, du castoréum (jus de cul du visqueux castor) (...)" tant la petite Rome a conquis de terrain.
Et la moulinette s'emballe : la Sardaigne et ses mines d'argent, pauvres de nous! "toutes les fois que le ciel s'emporte, la terre là-bas prend plus de valeur" ! interminable distribution des prix - et voici, pitié ! pitié! La Requête de l'Afrique en pleurs aux joues déchirées, "courbant le front" déjà de toute éternité, brisant les épis bien légers de sa couronne (les Vandales bloquent le grain - ) bou-ou-ouh ! moi malheuweuse là dis donc, toi donner mwin gwand homme blanc –twoisième pawtie du monde" et cinquième roue du chariot de l’empire.
...Brave général Boniface, qui donne à Genséric ses bateaux pour niquer l'hérétique : "Ce fils d'une esclave, ce pillard, Genséric (...) tient depuis longtemps mon sol sous son sceptre barbare" – mille fois les ariens, n'est-ce pas, plutôt que les donatistes, ô crétins de chrétiens prêts à s'entre-tuer, il était temps vraiment, quinze ans après la prise de Rome, de virer ces Vandales, qui "n'aiment pas ce qu'ils ne sont pas eux-mêmes" ! argument qui laisse pantois.
V 37 / 60
OUI
R. 33
V, 61-62, 65-66, 69-80, 88-89
Ce racisme social (« ne pas ressembler à tout le monde) dont je souffre et, je l'espère, résiduel, fut donc pendant des millénaires le fondement de toutes les sociétés. "Ô force assoupie du Latium - il rit d'avoir vu tes murs céder devant tes ruses". Ils ont tout emporté. Inversion des rôles..."Et tu ne brandis pas ta lance ?" Non – mais il a fait retraite, le Vandale. Avec ses troupes… majoritairement berbères. Regagné sa base sans encombre à Carthage, possédée depuis plus de quinze ans. « Ta victoire est désormais certaine, [Rome], si tu combats comme tu as coutume de le faire après une défaite." Oui, les Carthaginois furent vaincus, en - 202… Mais le temps des Scipions n'est plus. Et Majorien sera plus tard, lui l’empereur, battu sur mer, par des Vandales, avant d’avoir pris le large...
En + 410 en effet, première prise de Rome par Alaric ; en 455, rebelote avec Genséric - vite, vite, un gros badigeon de passé : "Mais (...) il te retrouva tout entière dans le bouclier de Coclès –te pertulit uno / Coclitis in clipeo" beaux cliquetis, beau mouvement de menton, effondrement : "des milliers d'hommes harcelaient un unique guerrier (...)" - le roi ennemi enfin », Porsenna, 657 ans plus tôt ! « averti par la mort de son secrétaire, déguisé en roi, et ce dernier, secrétaire, et ce dernier en roi ; puis Scaevola se fit brûler la main, pour la punir d'avoir manqué sa cible - "car le bourreau » - des attaquants - « fuyait devant les tortures de l'accusé" – cet assassin raté, Romain, orgueilleux fanatique...
Nous ne cessons de ressasser jusqu'à la nausée nos insupportables Droits de l'Homme ; de même, mille ans après sa fondation, la Ville de Rome espère, par la fausse loi de la symétrie, se tirer à nouveau de ce mauvais pas - or cette fois, plus de coup de talon au fond de l'abîme : deux sièges, deux prises, deux sacs - mais encore une fois, un seul homme", unus, "repoussa une armée entière", voyez comme le français affadit, distancie tout, lorsque le latin heurte et corusque - peut-on raviver ces étoffes-là ?
Pas plus que Sidoine redorer les trompettes romaines : Porsenna battit en retraite devant le Gaucher Brûlé, mais il s’agit d’une légende… Cette fois Genséric le Vandale occupe l'Afrique. "L'ennemi qui t'accable est lui-même inquiet", beau vers, se référant à la défaite, ensuite, des Vandales en Corse (456), en face de Rome – revanche sans lendemain.
V 61/89 OUI
R. 34
X
Déjà les Barbares occupaient l'Empire, soldats mercenaires ; en face d'eux, d’autres Germains. Les Huns païens eux-mêmes complétaient depuis des lustres le contingent romain. Et ce sont donc les Wisigoths, solidement installés d’Agen à Toulouse, qui suggérèrent (ou imposèrent?) à l'illustrissime Avitus, précepteur collabo de leur prince héritier, de revêtir la pourpre impériale : un Gaulois, empereur de Rome ! notre écervelé mondain, Sidoine, époux tout frais de Papianilla fille d'Avitus, se retrouvait ainsi en Monsieur Gendre ! qui mieux que lui chanterait la gloire du nouveau dirigeant ?
Sidoine prononça donc, devant le Sénat gaulois en extase, l'Éloge officiel ou Panégyrique du grand Avitus Augustus, Arverne. Monsieur Gendre, biberonné à l'illusion, pensait Rome éternelle – tandis que Ricimer, Suève, bombardé patrice bien avant Clovis, tenait toute la poigne du pouvoir.
X
AUCUN VERS OUI
R. 35
Une fois massacré l'impérial beau-père, Sidoine calta en s'embrenant quelque peu la toge, car lui aussi avait participé au complot gaulois. Il rejoignit le pays des Arvernes ; quelle est alors la meilleure voie de Lyon à Clermont ? combien tout était dépeuplé ! combien de mares au Diable hantées de brouillards ? Il se fit oublier. Se réfugia dans ses propriétés de belle famille en pleine Auvergne. Parcourut ses domaines, recevant du haut de sa monture d'humbles témoignages d'affection.
Très vite on est venu le resolliciter pour honorer le successeur - n'y avait-il pas du mépris pour l'histrion ? Sidoine était-il inconsistant ? Il n’avait jamais eu la moindre influence. Quelle vanité le fit-elle plier ? "Lui seul saura donner du lustre à nos cérémonies. Il n'y en a pas deux comme lui pour chanter les louanges du successeur : un riche hochet comblera le poète" (Anglade). En lui promettant la vie sauve, on le convainquit de renfourcher sa plume pour flagorner, cette fois, Majorien.
Lequel ne tarda pas (quatre années tout de même) à se faire à son tour dessouder par son ancien complice, l'incontournable Ricimer, Germain jaloux des succès militaire de Majorien. Seconde fuite de notre vaillant poète, Sidoine, autre récupération par la peau des fesses pour procéder à l'éloge officiel cette fois-ci d'Anthémius – et de trois - plaignons, en vérité ! le supplice des esprits supérieurs, Guignols de service et brosse-bottes. C'est que Rome, voyez-vous, en était encore à chercher l'Homme providentiel, avec des couilles de singe. Le formatage séculaire des mentalités romaines ne pouvait laisser envisager aucune autre analyse : l'homme à poigne, point.
Sidoine se tourna donc vers l'Église, seul moyen de s'en sortir alors sans perdre la face ou la tête : dans les ordres ! Papianilla et son époux se séparent donc, et deviennent chacun homme et femme de Dieu. Sidoine brûlant les étapes fut bombardé à l'épiscopat d'Augustonemetum ou Clermont.