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Bernanos

COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »

BERNANOS « MONSIEUR OUINE » 64 05 16 1

 

 

 

Monsieur Ouine de Bernanos, mauvais titre, évoquant la stupidité méchante, une porte qui couine sur un insecte qu'elle écrase : pas porteur, pas vendeur. 1946, sale époque, épuration, suspicions, accusations gluantes et insaisissables. Antisémitisme peut-être de l'auteur, curaillerie, soutane et dessous mal lavés, prof mal fringué en habits de velours et à gros souliers. Qui flaire son nez partout, se lave peu, éructe et grogne et bande dans ses humeurs gluantes. Guéret : Chaminadour, bled infect selon Jouhandeau, lieu où je l'ai lu, peu inspirant, car la campagne est belle mais la ville sans attraits pour moi, pour moi vous dis-je et c'est assez.

Présentation confuse des personnages écrivis-je sur ce livre de poche au temps où l'on publiait pour de bon, et de ce premier pas glissant j'ai dérapé tout du long de l'œuvre sans y rien comprendre, sans y vouloir rien comprendre, et l'ai fini de même en poussant un grand ouf intérieur. Puis je subis une influence, encore à mon âge, celle d'Asensio nommé Stalker, mauvais nom, pas porteur, pas vendeur ; il tient Monsieur Ouine comme un de ces chefs-d'œuvres inconnus dont se constelle l'histoire de la littérature. Vous savez que cette rubrique se veut l'histoire d'un homme et d'un combat, entre son goût et le livre, où les contradictions s'entrebattent. Car je suis chacun de vous, et vous êtes un de mes moi possibles.

visqueux, Ouine,religion

 

Trêve de couillonnades : une fois de plus, une fois de trop, la Simhat Torah frappe encore, et je lis la fin, la reliant en boucle au début, que les ignares, fiers de leur science, prononcent inn-ki-pitt au lieu d'incipit, comme ils prononcent aussi sans doute l'alboum, le calcioum et l'aquarioum. Laissons ces avortons à leurs éruditions hors de propos. L'agonie de ce professeur costaud et ravieilli, monsieur Ouine, est une épouvante, car il parle, il s'incline sur le petit Steeny, 13 ans, et lui déverse dessus tout son désespoir, son désarroi de mourant. Il se décrit englouti lentement comme une grenouille par un serpent, lui dit le jeune homme. Il a vécu la bouche ouverte, en batracien guettant le passage de l'insecte divin, la grâce laïque, le moment où l'extase s'accomplit, dans un orgasme avec toute la terre, avec toute l'Explication.

Et ce moment, l'éternel étudiant nommé le maître l'attend sans cesse jusqu'à ce qu'il agonise, et son agonie se manifeste dans la logorrhée, dans le sens mystérieux enfin dévoilé par un spasme de rien. Monsieu Ouine est obscène, Monsieur Ouine est gluant, il souille tout ce qu'il touche de sa langue et de son souffle de bête, il veut bouffer les enfants de treize ans. Or, tout à fait au début, une longue femme vaporeuse, la mère, jeune veuve, laisse faire une gouvernante anglaise qui elle aussi se penche sur l'enfant Steeny, et veut l'embrasser, le serrer contre elle, contre le rebord de la fenêtre

ouverte sur l'été. L'enfant recule, renâcle, comme j'aurais fait peut-être avec une vraie femme en prétendant le contraire. Le livre contient toute une histoire, un grand nombre de personnages, une fugue, une mort, un chantage, une autre agonie, peut-être bien, dit Asensio Stalker, Ouine est-il un criminel qui s'installe dans le village et se met à tout épier, à se mêler de tout, mais ce n'est qu'en toute fin et à seconde lecture que le véritable sujet se décèle : déjà la quête du pourquoi, l'observation de la misère de l'homme sans grâce, ni physique ni divine, et qui erre. Le drame est que le héros fut conçu répugnant comme un serpent de Paradis, ridicule, emphatique, mystérieux comme un obsédé de Nabokov (« Vous allez voir, je vais vous révéler quelque chose, je vais vous montrer quelque chose, regardez bien au fond de la braguette de mon cerveau »), mais il ne dit rien.

Tout le livre nous avons cru que le corps du jeune Steeeny l'intéressait, alors que sa pédophilie n'est que pédagogique, il veut par ses manigances contaminer l'âme de son enfantin confident, souhaitant qu'il se confie en retour, par un transvasement réciproque du pur et de l'ignoble, de l'immense lassitude à l'ingénuité, en bon Faust suce-moëlle. Nœud vital. Faute d'avoir senti ce motif essentiel, nous avons pataugé dans la prose, la pose du héros et son marécage, confondant les personnages à l'envi (sans « e »), ne sachant plus qui était mort et qui ne l'était plus, dans les ténèbres d'une chambre nocturne aux relents viciés de plus de 200 pages. Pour votre et notre gouverne, lisons d'abord l'article de Wikipédia le vilipendé : «Bernanos s'attaque de nouveau aux figures du mal et à la déchéance de l'humanité sans Dieu. ».

Le personnage central serait-il une incarnation de ce mal ? Oui, car à force d'observer ce mal on se contamine Monjoie. « Il s'agit à la fois d'un récit policier (autour d'un meurtre) et d'une galerie de portraits », bon, je n'étais pas tombé loin, car ce faux polar me semblait bien encombré de considérations annexes longuement développées. Il s'agissait donc de portraits, ce qui justifie tout, et deux morceaux qui se recollent, deux. Même pas au centre, mais comme une sorte de viscosité cachée, se trouve un mystérieux et inquiétant personnage, l'ancien professeur Monsieur Ouine dont le corps est mou, l'esprit perdu et la souffrance terrible. Nous ne saurions mieux dire. Merci à l'anonyme rédacteur de ce texte. Voyons donc ces pages du début, intimement, malsainement mêlées de nature et de dialogues trop humains :

« Elle a pris ce petit visage à pleines mains – ses longues mains, ses longues mains douces – et regarde Steeny dans les yeux avec une audace tranquille. Comme ses yeux sont pâles ! On dirait qu'ils s'effacent peu à peu, se retirent… les voilà maintenant plus pâles encore, d'un gris bleuté, à peine vivants, avec une paillette d'or qui danse. « Non ! non ! s'écrie Steeny. Non ! » Et il se jette en arrière, les dents serrées, sa jolie figure crispée d'angoisse, comme s'il allait vomir. Mon Dieu !

« Que se passe-t-il ? Voyons, Steeny, interroge une voix inquiète, toute proche, de l'autre côté des persiennes closes. » Essayons de comprendre : une femme interroge les yeux d'un enfant qui sort d'un cauchemar, à moins que ce réveil et cette femme ne soient justement qu'un cauchemar bien réel. Dans ce cas, l'autre voix, à l'extérieur donc puisque « de l'autre côté des persiennes closes », serait celle d'une autre femme (nous le pressentons, sans que l'auteur nous l'ait dit), et ce serait sa mère. « Est-ce vous, miss ? »

« Mais elle l'a déjà repoussé, violemment, sauvagement, et reste debout sur le seuil, indifférente.

« Hé bien, Steeny, méchant garçon ! »

Il hausse les épaules, jette vers la porte un regard dur, un regard d'homme.

«  Man ?

- Je croyais t'avoir entendu crier, dit la voix déjà lasse. Si tu sors, prends garde au soleil ! mon chéri, quelle chaleur ! »

Quelle chaleur en effet ! L'air vibre entre les lamelles de bois. Son nez contre la persienne, Steeny le hume, l'aspire, le sent descendre au creux de sa poitrine jusqu'à ce lieu magique où retentissent toutes les terreurs et toutes les joies du monde. » Non, c'est un endroit de la poitrine, ce n'est (apparemment) pas plus bas. La maman est dehors, déprimée, douce à crever, tandis que la Miss embrasse et puis rejette le petit jeune homme. Trop de tendresse tue l'âme, trop de dorloteries, Proust grand enfant sentait déjà cela. Plus tard viendront les douceurs non moins suspectes de l'homme manquant.

Une fois de plus se confirme cette nécessité de lire lentement, et non pas comme on s'engouffre dans un express. Une fois de plus aussi, l'enfant reste le témoin privilégié de tout, tout roman comporte un enfant, tout roman est une formation. Et l'ange frôlera toutes les corruptions sans en attraper la moindre parcelle. Malaise dès ces premières lignes.

« Encore ! Encore ! Cela pue la céruse et le mastic, une odeur plus puissante que l'alcool où se mêle bizarrement l'haleine toujours moite des grands tilleuls de l'allée. Voilà que le sommeil l'a pris en traître, d'un coup sur la nuque, en assassin, avant même qu'il ait ouvert les yeux. L'étroite fenêtre s'ébranle lentement, vacille, puis s'allonge démesurément aspirée par en haut. » Reprenons. Les sensations ramènent le lecteur et l'enfant au début d'une sieste, puis à de la chaleur, à des parfums toxiques (la céruse) ou vaguement écœurants, sans oublier la fente étroite des persiennes et de la fenêtre qui colle et s'ébranle. Malaise encore. Mal être. Grandissement difficile d'un enfant garçon coincé entre deux mères poules, sensualité morbide d'un adolescent commençant. Curieusement, mes souvenirs d'enfance ne comportent aucune sensualité, car déjà réinterprétée, vite dégagée en touche dans le hors-jeu d'une intellectualité prématurée. Ceci pour mes auditeurs frustrés. « La salle entière la suit, les quatre murs s'emplissent de vent, battent tout à coup comme des voiles…

………………………………………………………………………………………………………

 

« Steeny ! »

Ce sont les persiennes qui claquent, la lumière entre à flots dans la chambre.

«  Quelle folie de choisir une place pareille pour dormir ! De l'autre côté de la pelouse, nuos t'entendions. N'est-ce pas, miss ?

- M. Steeny a seulement tort de faire la sieste, le médecin l'a défendu. »

Elle pose la main sur son front, ou plutôt elle la place lentement, presse de la paume les tempes, glisse dans la chevelure emmêlée ses doigts mystérieux toujours frais.

« Si Madame veut le permettre... »

Mais Madame secoue la tête, d'un air de consentir à tout – oui, qu'importe ! - pourvu que la nuit vienne bien vite. »

 

Le jeune homme est surveillé. Il semble de santé fragile, ce que n'arrange pas le surcouvage. Sa mère et sa gouvernante anglaise, sa « miss », entretiennent une intimité de femmes seules. Nous supposons que cette fois, ce sont les doigts frais de sa mère qui le caressent, la chose n'est pas nette. Ce que Madame doit permettre, c'est la réflexion du médecin, peut-être, ou bien les caresses de la miss qui se prolongent en présence de la mère ? Malgré les coups de vent d'aération et d'évasion, les sensations restent trompeuses, ambiguës (la pièce qui s'enfuit par la fenêtre, les caresses interchangeables et mal distinctes dans leurs intentions…). « La nuit ! Et elle essaie vainement de réprimer un frisson de plaisir qui passe sur son joli visage ainsi qu'une ride sur l'eau.

« Steeny m'accompagnera. Je vais promener le chien. » Il n'ira pas. Il ne manquerait plus que cela. Pas de soleil, pas d'homme surtout ! Rien de tel pour préparer le terrain à Monsieur Ouine, qui sera méprisé, mais aussi admiré. C'est de Bernanos, c'était le n°595 du Livre de Poche, en 1960…

 

Commentaires

  • Saviez-vous qui Bernanos visait avec Monsieur Ouine ?
    Gide... Monsieur Oui Non... Curieux de tout, convaincu de rien.
    Quand Bernanos a publié Sous le soleil, un des correcteurs avait présenté les épreuves à Gide qui aurait repoussé le manuscrit après l'avoir feuilleté : "Tout ça c'est du Barbey."
    Le correcteur répondit : "En beaucoup mieux."
    Et Gide : "Justement."

    Une clef essentielle chez Bernanos, c'est le secret et le rêve. Le secret, c'est toujours celui de la Chute et tout secret entraîne le monde dans une spirale onirique et déréalisante. Personnellement, je considère La Joie comme un très grand roman métaphysique qui pourrait illustrer les théories de René Girard sur la violence mimétique.

  • Bernanos c'est notre Dostoïevski et pour moi, un des plus grands romanciers français. Peut-être LE romancier français, loin devant Céline et Proust.

  • Bernanos est le contrefort, Dostoïevski est l'Himalaya. Cela dit, si monsieur Ouine-on est André Gide, bien des choses s'éclaircissent. Pour moi, il m'avait agacé. En ce moment, je lis "ElHadj", de Gide, outrageusement parodié par Michel Tournier.

  • Non, non... Je les mets à égalité en intensité. Relisez L'imposture et la Joie qui, au départ, ne formaient qu'un seul livre intitulé Les Ténèbres.
    Et ses conférences dans La liberté, pour quoi faire ? Bernanos se tient sur le seuil et il nous dit adieu tandis que nous nous éloignons, de plus en plus loin, de pus en plus vite, happés par le tourbillon du Kali Yuga...
    Gide... rien ne m'a marqué.

  • En effet, Gide me' semble inconsistant. Il a révisé "L'immoraliste", en l'aiguisant quelque peu, en supprimant quelques aspects narratifs. Mais il est bien le fils du Barrès du "Culte du moi" ("le jardin de Bérénice" et autres guimauves. En revanche, "La colline inspirée" établit le lien entre Péguy et Bernanos. Je lis aussi Hervé Bazin, "L'Eglise verte", mais ça, c'est de la petite bière pour collégiens. Enfin, ceux qui savent lire.

  • Barrès... La colline inspirée, oui. Très bon livre. J'avais lu quelque part qu'au départ, il songeait à l'intituler... Svastika !
    Hervé Bazin... J'aimais bien La Tête contre les murs.

  • Barrès... La colline inspirée, oui. Très bon livre. J'avais lu quelque part qu'au départ, il songeait à l'intituler... Svastika !
    Hervé Bazin... J'aimais bien La Tête contre les murs.

  • Je ne sais plus ce que j'écris ni ce que je lis, j'aimerais bien dormir, dormir... Dans "la Pléiade", ils ont eu la mauvaise idée de mettre les variantes à 'L'immoraliste" à la fin du volume, très importantes, et je dois sans arrêt faire le va et vient.

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