Proullaud296

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der grüne Affe - Page 125

  • Description de Nostradamus

     

     

    Ici j'inaugure, je systématise l'exercice intitulé « descriptions. » Simone de Beauvoir l'a essayé, puis estima que c'était là quelque chose d'inutile. Sans doute avait-elle à se prendre au sérieux. Moi qui ai tout perdu, je considère aujourd'hui un portrait de Nostradamus, en page de couverture d'un livre allemand, que je traduis. La première chose qui vient à l'esprit est que Nostradamus a l'air con. D'aucuns diront même que c'est un con. Il est dans un cercle, entouré d'une légende en tous petits caractères et en langue latine. Il porte une de ces coiffures qui jadis distinguaient les gens honorables : avec une boudette au sommet, une grande galette sur un crâne.

     

    Il regarde de côté, vers la droite. Une fois pour toutes par « droite » ou « gauche » nous désignerons l'illustration par rapport à nous. Sa gauche par conséquent, côté ombreux, c'est l'avenir qu'il aperçoit. Il porte une longue barbe séparée en deux versants, ce que je déteste par-dessus tout,comme je déteste tout principe masculin. Son front est large. Il se dégage de toute sa figure une impression d'extrême puérilité sous la barbe, comme si un postiche lui avait été accroché. De méfiance aussi. Un léger bridage des paupières sur des yeux en amandes. Un air de grande fausseté, de méchanceté.

     

    Le portraitiste n'était guère inspiré. Sur les épaules de son modèle, deux grands pans d'étoffe rouge qui doivent se recroiser sur le ventre. L'ensemble légèrement plus à gauche qu'à droite, une position de trois-quarts du visage, de sorte qu'un œil affleure la délimitation du dessin. Tel est le confus savant que Catherine de Médicis honora de sa visite à Salon-de-Provence. J'ai lu sa lettre à son fils César. C'est quelque chose d'extrêmement confus, même pour celui qui s'est accoutumé à lire le français du XVIe siècle. Même traduits en français, ses propos restent d'une obscurité, d'une abstrusion, d'une répétitivité extrêmes.

     

    La traduction d'un ouvrage de Manfred Dimde sur les prédictions de ce personnage me lancent dans une certaine perplexité. Je compare avec les prédictions traduites par Fontbrune : mêmes fumées, mêmes manipulations éhontées du texte primitif, dont je donne ici un exemple : Henricus Secundus, n'ayant jamais signifié autre chose qu'Henri II, se voit sollicité en « Henri le Favorisé », id est des dieux, ce qui renverrait à Henri V, devant régner sur la France à la fin du XXe siècle : on a vu, on n'a rien vu. Ce n'est qu'un exemple. Il serait intéressant (pour le sceptique) de comparer les prédictions telles qu'elles ont été déchiffrées en 1980 par Fontbrune et telles qu'elles se présentent en 2006.

     

    Le cul du magasin de munitions.JPGCela s'appellerait non plus « Histoire de la Science-Fiction » (ce qui a été fait je pense) mais « Nostradamus à travers les âges ». Ce fameux Harmageddon qui devait survenir en 1999 (très précisément !) se voit encore repoussé devant nous. Dieu merci, si Dieu y est pour quelque chose. Il est sans cesse évoqué (par prudence ?) dans la lettre « à [s]on fils César ». Nostradamus devait croire en ce qu'il écrivait. Mais à la manière d'un poète. Tout me semble littérature. Je pense aux « coq-à-l'âne » de Marot. Nostradamus était enseveli dans sa fantaisie, il ne devait avoir de la réalité vraie qu'une image fumeuse et déformée – sauf sans doute pour sa fortune, comme ils font tous.

     

    Ce portrait montre un homme sur ses gardes. Les accusations de sorcellerie n'étaient jamais loin dans ces siècles extrêmement cons. Il porte des traits réguliers, des sourcils bien arqués, une peau fraîche, rose et lisse, il est moins vieux sans doute que je ne le pense, à cause de la barbe bien rousse. Il n'a pas dû dépasser de beaucoup la soixantaine en sa vie, comme tous également. Il semble réfréner une possession divine, il a le regard de côté d'un chat. Cela fait de ma part deux portraits, un atteint par l' a priori, l'autre plus indulgent, après le filtre de la litérarisation.

     

    Nous irons jusqu'à voir ici non pas un portrait médaillé de la plus belle tradition plate, mais l'expression d'un tourment, le dessin d'un homme sur le qui vive, d'une extrême sagesse, d'une ironie certaine destinée à éloigner le curieux, le malveillant, le pourvoyeur de bûchers. J'ai hâte de m'instruire sur la vie de cet homme, qui survécut aux guerres de Religion. Car on se massacrait fort. Et que voulaient-ils donc savoir de si primordial sur l'avenir, tous ces princes ? L'avenir s'annule de lui-même. Ce qu'est devenu le royaume de France en 1622, qui importait aux régnants du XVIe siècle je suppose n'est plus que du passé irrémédiablement fané, dont nous n'entrevoyons plus à présent la moindre influence...

     

  • Paranoïa d'Espagne

     

    ZAMAN 5 été 2050

     

    Je hurlerais, sur tous les tons : ASSASSINS ! ASSASSINS ! ASSASSINS ! contre tous ceux (contre tous) qui m'auraient fait obstacle même imaginaire, accumulé à longueur du temps dont le tort unique est je passe, retour du Moi d'Avant, du Moi Faux-Juif assimilé ? banalisé, fondu, ou mis-à-part, tous funambules conformistes ou fous, philosophe ou révolte – contre le temps le temps surtout déterminant de l'homme. Les animaux n'ont pas la notion du temps. Mais ils se souviennent des mauvais tourments (ma vie d'avant vécue par d'autres solution de continuité d'où dis continuité – qui peut savoir ce qui passe dans le crâne du chat, de l'hippocampe – la puce ?) - nous, c'est le temps, l'espace.

     

    L'animal a conscience de l'espace. Pourtant la tortue, l'insecte, confient au sol leurs petits ; je reçois à mon bureau, petit et sombre au fond d'une salle basse, des paquets de romans par dix.

     

     

     

    CABAÑAS DE VIRTUS / LEÓN Y CASTILLA 09 04 2050

    La vieille caserne oubliée.JPG

     

     

     

     

    J'ai oublié chez moi les précieux plans d'écriture.

     

    Me voici bloqué dans le vent et le brouillard à 900 mètres d'altitude, près des "Cabanes de Vertu", à l'autre bout du plan d'au de Reinosa. Comble d'aventure pour un bourgeois ! L'air glacé circule autour d ema voiture-charançon, le froid aux genoux se supporte encore, dans mon pantalon d'été. Ce qu ej'ai vu jusqu'ici : Pampelune et ses vierges, Bilbao et son Musée Guggy, Santander et ses trois rues à putes, en pente. Les pensées vont et viennent. Première série : 1963, voyage à Reinosa, ramené par la Guardia Civil à minuit. C'était la première fois qu'ils me voyaient, les Martinez: un demi-fou, tête baissée, hagard.

     

    Ils ne m'ont pas fait de réflexions, ils m'ont conduit à ma chambre, qui tétait celle des deux frères. Je pissais dans un vase de nuit, que la mère, énorme, vidait le lendemain matin. Quand elle disparaissait dans les cabinets, derrière la vitre cathédrale, on devinait qu'elle se retournait, puis s'asseyait dans un gros retroussis de jupes. Elle devait toucher les quatre parois à la fois. Je n'allais jamais là de nuit : j'aurais dû réveiller tout le monde, nous étions sept dans un minuscule appartement. Ma correspondante, Teresa, était blanche et molle. Sa petite sœur, semée de taches de rousseur, ne connaissait rien à l'amour, et je touchais sa cuisse tout au long de la mienne autour de la table.

     

    Je n'ai risqué la main sous la nappe qu'une fois, crainte que la petite sœur n'éclatât tout à coup d'un de ces terribles mots d'enfants – pourquoi il me touche comme ça le Monsieur ? A quatorze ans, elle restait d'une naïveté incroyable. Elle apprenait, paraît-il, le français. J'ai suivi ligne à ligne le livre scolaire qu'elle épelait. Si je n'avais pas suivi sa lecture mot à mot, il m'eût été impossible de reconnaître ma propre langue. Je l'ai dit à tous, personne ne m'a cru. "J'exagérais". D'ailleurs je me retirais souvent dans un petit renfoncement formant saillie sur la rue, un de ces oriels sur plusieurs étages dont il y avait tant à Reinosa. Coincé entre deux plantes vertes, et croyant faire coup double, j'apprenais le portugais...

     

    Je fus bizarre, désagréable. La tolérance de ces gens fut proprement incroyable. Aucun ne manifesta à mon égard la moindre restriction. Teresa me fit simplement observer une fois que je disais toujours des profundidades. Même en France en effet je prenais souvent des mines pédantes, afin de bien exhiber la différence qu'il y avait entre ces jeunes gens si ordinaires et moi-même. Je ne m'en rendais pas compte ; cela vient après coup. La honte en est irréparable. L'un des articles de mon Credo était quetout enfant de dix-neuf ans (n'oubliez pas qu'en ce temps-là, le français n'était majeur qu'à 21 ans ; en Espagne, sous Franco, à 23 ans pour les garçons, 25 pour les filles) normalement constitué, semblable donc à moi, devait infiniment souffrir de vivre chez ses parents, qui ne savaient que le brimer. Aussi je m'efforçais par tous les moyens, par toutes les llusions, d'éveiller la haine ou du moins la méfiance des deux filles envers leurs père et mère, auprès de qui les deux sœurs se sentaient le mieux du monde. Les grands frères, âgés de 23 et 25 ans, ce qui pour moi était immense, n'éveillaient en moi aucune curiosité ; il en fut de même pour eux : ils rentraient tard le soir, après une tournée de cinéma ou de bistrots (quoique je n'aie jamais senti sur eux les moindres odeur d'alcool ou titubation suspectes), pour occuper les deux autres lits, superposés, de la pièce, depuis leur enfance assurément.

     

  • Textes libres à sa mémère

     

    Sûr que ça va se terminer par une grosse envie de dormir. Preuve par neuf que l'écriture ne serait pas essentielle pour moi. Ordinateur hors d'usage. David veut absolument que j'en achète un autre – or il nous reste, tous prélèvements prélevés, 300 euros à deux pour le mois : au-dessous du seuil de pauvreté. Je me plains, parfaitement : d'autres sont plus pauvres, certes, mais ils ne sont pas morts, que je sache : mes plaintes cesseront quand on aura cessé de les plaindre, eux. J'écris cela dans les marges d'un énième cahier consacré à des tenures de budget, réduire sur ceci, réduire sur cela. Et de la Volonté ! Non. Duperie. Quand nous gagnions deux fois plus en Autriche, toujours notre budget boitait.

     

    Nous n'allons pas réduire sur notre nourriture, tout de même...

     

    X

     

    Lointain.JPG

    J'en ai toujours tenu pour les plus faibles, ceux qu'il faut aider à surmonter la vie – à condition toutefois que ce ne soient ni des milliers ni des millions : les masses miséreuses, besogneuses, m'ont toujours inspiré la plus vive répulsion. Mais dormir sous un porche qui vous pompe toute votre énergie, ça, oui. Je suis désolé, Domi, mais le fait (j'ai bien dit le fait, et non l'imagination) que ma femme n'ait jamais réussi à vouloir exercer le moindre métier parce que c'était « ennuyeux » m'a effectivement privé de tous moyens financiers. Le fait, et non l'imagination, qu'elle me réclamait sans cesse du temps libre m'a lessivé, réellement, empêché, matériellement, de réviser mes programmes d'agrégation – admissible, donc, en 77, 79, 83, 95...

    1. Et je fus jugé « ridicule » dans le compte rendu de la dernière fois. « Ridicule »... Bande de cons coincés. « D'accord... » me répétait inlassablement l'examinateur d'ancien français, « d'accord... » C'était ironique je suppose ; je n'aurais jamais osé lui poser la question. Moi je transpirais sous la verrière en pleine vague de chaleur avec un costume de demi-saison, pas d'argent pour s'acheter une tenue d'été. Ce sont là des faits objectifs, Monsieur Lazare, en dépit de votre  éternel costume beige.

  • Isocrate, etc.

     

    Il « obtint ce prix quand il était jeune, et accomplit le reste quand il fut plus âgé. » Les verbes grecs impliquent une chance dans le premier cas, puisque d'autres auraient aussi bien pu obtenir ce prix de bravoure, mais une acton personnelle dans le second cas : cet homme a donc su cultiver ses talents : que de couronnes ! Puis il épousa « ma mère », qui fut également une récompense, un « prix de la valeur ». Elle épousait un héros de guerre. Tout sourit au jeune couple. Le beau-père s'appelle Hipponikos, ce qui sonne plus grec que nature : « par sa richesse, ploutô mèn, le plus grand des Grecs, prôtos ôn tôn hellènôn. La richesse indique la faveur des dieux, qui cette fois ne se sont pas trompés. Hpponikos était passé en proverbe. Seulement, le mèn, « d'une part », appelle un « dé », d'autre part : vantons nos père et beau-père, cela fait belle impression devant le tribunal : des honneurs publics sont contestés devant le plaideur, ce dernier doit montrer que ses parents et beaux-parents appartiennent aux meilleurs familles de la cité. Rien ne doit fissurer le mur de la famille, il est impossible, impie même, d'y supposer le moindre comportement suspect, la moindre brebis galeuse : ici, le « d'autre part », un simple delta appostrophe, rappelle qu'à la richesse honnêtement gagnée s'attelle l'honneur d'une admirable ascendance : les Athéniens honoraient et admiraient ce beau-père « plus qu'aucun de ses contemporains ».

     

    Le plaideur, fils de héros, descend lui aussi des illustres familless, ainsi que ses beaux-parents. Rien de plus communs entre les Eupatrides, liés entre eux depuis des générations, sans oublier « une dot très grande », proïkos dé pleïstès, et bien sûr « une réputation très belle » accompagnant cette jeune épousée. De nos jours nous feignons de ne plus tenir compte, dans notre justice, uguale per tutti, de ces circonstances sociales extérieures ; mais pourquoi les grands ne sont-ils jamais en prison ferme ? Pourquoi les fils de hauts gradés échappent-ils aux barreaux du barreau, même après un viol odieux ? L'Antiquité est plus franche : elle en tire argument, notre XIXe siècle en fit de même : « tous souhaitaient cette union, les plus grands s'en jugeaient dignes ; c'est mon père qu'il choisit paarmi tus et désira unir à sa famille. » C'était le temps où « les grands » accordaient leur conduite à leur condition.

     

    Le père du plaideur, en outre (en peau de chèvre), possédait une valeur militaire. Aujourd'hui, tous les riches sont des voleurs, et les militaires des brutes sanguinaires : cela peut se démontrer. Nous sommes une époque petite et morale. Tout aussi pleine de rites et de superstittions que la leur. Nos éditions ne sont plus imprimées à la six-quatre-deux, mais s'accompagnent, en bas de page, de notes érudites que seules consultent les philologues ; on appelle ces notes « l'apparat critique », le harnachement, l'outil indispensable aux chercheurs, à ceux qui établissent le texte. Les variantes sont classées par chapitres : ici, le 28, que nous avions lu précédemment. Ce serait plutôt un paragraphe.

    Paysage insulaire.JPG

     

     

    Il a commencé à la page précédente de cette édition. Mais pour se repérer d'une édition à l'autre, l'on convient de conserver toujours les mêmes nombres aux mêmes emplacements, ce qui facilite grandement la recherche. De même, la ligne sera toujours la ligne , quel que soit l'éditeur. Ici, les variantes concernent le nom grec de « Coronée » : les Athéniens y furent vaincus par les Béotiens (les vrais, pas les imbéciles) en – 447. Un certain professeur Auger a rétabli la véritable orthographe : « Koroneïa » ; aucun manuscrit ne l'avait retranscrit correctement : « Khéroneïa », dit le manuscrit Gamma ; « Khéronia », prétend le Lambda 1 ; « Chaïroneïa », répètent les autres manuscrits, cett. codd., « ceteri codices ». L'abréviation, « cet. cod. » au singulier, redouble sa dernière consonne au pluriel.

     

    C'est ainsi qu'en français, vous aurez peut-être lu des « pp. » devant des numéros de pages : p. 58, mais « pp. 58-59 ». Cela fait érudit, snob et chic. Les éditions ordinaires n'utilisent pas ces artifices... d'apparat. Avant de passer à la ligne 6 de notre texte grec, il est de coutume d'employer une séparation, une sorte de signe « égale » vertical : la forme adoptée par l'éditeur figure en tête ; homologhèséïan, « ils le reconnaîtraient », « ils l'avoueraient » (que Périklès fut « le plus modéré, le plus juste et le plus habile des citoyens »)... Nous n'en disconviendrons donc pas...

     

  • Sous le ciel je me débats

     

    Comme ça, ce sont les dieux qui ont vaincu ? Grâce à toi céda cette machine de guerre, machina, c'est Loyen qui rajoute "de guerre", pour que nous autres crétins comprenions. Je suis pétri d'impuissance – construite par des mains redoutables, presque dressée déjà jusqu'à la voûte étincelante du ciel. Voici de quoi je suis bourré jusqu'à la gueule : sky et skull sont de même famille, et le skull se décline en skeleton. Les Anciens vécurent avec le sentiment qu'il y avait là-haut une voûte, l'intérieur d'un crâne, dont nous étions les songes, une voûte fixe et ferme, un firmament, ce n'était pas si absurde.

     

    Et les Géants prirent d'assaut la muraille incurvée : Le Pinde, l'Othrys, le Pholoé (Pholoe, où est-ce ?) échappèrent aux bras des Géants – te souviens-tu de ta danse folle dans un cimetière au crépuscule ? Tu tenais contre ton oreille le transistor qui chantait en grec la Chanson tôn yiganndônn, et si la moindre personne t'avait vu ainsi danser comme un ours en plein cimetière, tu n'y coupais pas de l'asile, vision de Bergman ; on t'aurait enfermé. Pas d'autres spectateurs que le soleil couchant. Je lègue, je lègue. Je me bats avec Dieu, avec la voûte, ma hanche à jamais boitera – et l'Ossa, brusquement alourdi, tomba des mains de Rhoetus. "Entasser le Pélion sur l'Ossa", montagnes au-dessus de Volos, que jamais je ne verrai.

     

    Colonne grecque en plâtre.JPGLocutions connues de mes proches ancêtres, à présent s'estompant dans la langue enfuie. Les conversations d'aujourd'hui ne parlent que d'aujourd'hui, rarement plus haut qu'avant-hier. Nul ne demande le moindre renseignement au Spezialist. Egéon, Briarée, Ephialta et Mimas, Mimasque, qui s'étaient accoutumés à lécher du talon le char de l'Ourse, sont abattus. Voilà bien l'agaçant : "fiers de", "étonnés de", "accoutumés à" : de simples dispositions dans le ciel, dans le paysage, assimilées à des dispisitions de l'esprit, comme si un toit, par exemple, avait pu se "sentir fier" de couronner tel édifice, telle roche "éprouver de la honte" à se sentir foulée aux pieds, tel fleuve "se réjouir" de couler dans la plaine ou "s'irriter" d'être franchi.

     

    C'st l'histoire de la finesse qu'on entend pour la trentième fois. Ces vers furent-ils proclamés ou juste écrits, après coup, à l'occasion de leur insertion dans ce fascicule ? J'apprends que "les Géants ont essayé de rattraper à la course le char de l'Ourse, qui s'enfuyait, pour se servir de ses étoiles comme de projectiles", ô stupidité ! Le char de l'Ourse étant lui-même formé d'étoiles ! Poésie d'un autre goût, permanence de la métaphore, dédain de la cohérence ! A l'origine tout est lien : l'homme – relie. La nature de l'homme est d'ex-pliquer, de déplier le pli, d'agrafer les objets, d'appliquer l'âme à tous les corps, de là naît la science et le poème, de là naissent de proche en proche les échelons de l'escalade ou de l'échelle – si tu penses tu t'appropries. Les Géants sont les hommes. Et les monstres, ensevelis. Nous métaphorisons et nous approprions. Mais nec plus ultra. Sur le point d'être percée voire atteinte, la voûte s'effondre pour notre plus grand bien, afin que nos limites nous définissent. Encélade est terrassé par ton père – Enceladus patri jacuit - et Typhée par ton frère : celui-ci supporte aujourd'hui le poids de falaises eubéennes, l'autre de la montagne sicilienne. D'où sont venus ces noms ? Est-ce uniquement géographique, territorial ? Avaietn-ils des caractères distinctifs ? Claudien composa une Gigantomachie : je me l'épargne, sachant d'avance ses outrances, où pour cette fois la littérature s'efface devant la philosophie – cette dernière au moins nous renseignerait. "Encélade gît sous l'Etna" : mais encore ? Jamais les Nambikwaras hellènes n'ont reçu la visite et l'analyse de Lévi-Strauss. Puis Orphée, changeant d'inspiration, consacra tous ses chants à sa mère, enseignant à sa lyre à célébrer Calliope. VI, 30, 60 01 02. Les Muses se levèrent à l'éloge de leur sœur et la Déesse goûta plus encore que son poème cette marque d'affection. Scène divine et familiale bien froide.

     

    Plus d'impression a fait sur moi telle lettre que je viens de lire, à l'évêque Loup de Troyes, véritable abjection en prose, amoncellement de flagorneries dégoulinantes à se faire souffleter. Sidoine, malgré toute mon obstination, reste infrangible, infracassable, inaccessible en français, Robert de Montesquiou, pédérastie mise à part, m'eût été tout autant insupportable. Et réciproquement. Voir ainsi notre futur évêque tortiller du cul devant ses bricolages vaseux m'ôte tout plaisir. S'il faut, pour gagner la faveur, chanter une mère, je ne suis pas en état de rivaliser avec la lyre antique. Tu l'as dit, bouffi. Nos commentaires ne parviennent pas à s'élever au-dessus du sarcasme.

     

    Il faudra me résoudre à n'avoir pu écrire que cela, ce que j'ai fait. De même que certains n'auront peint que de certains tableaux, sans avoir pu franchir leurs limites. Alors, bien sûr, "daigne te souvenir de nous, seigneur", Domine papa. "Moi, c'est au père de ce peuple, Avitus, que j'ai dédié ce poème : le sujet est plus grand si ma muse est plus faible, materia est maior, si mihi Musa minor. Ultime rétablissement de justesse. Il me vient Dieu merci d'autres connaissances : Avitus n'était qu'une créature de Théodoric le Wisigoth ; ces derniers allaient et venaient depuis bien longtemps dans le tissu géographique et social de l'Empire. Les fils de Théodoric étendront la domination gothique de façon extrême : Euric n'était pas qu'un tyranneau, mais le père d'Alaric II, et tous deux furent de grands rois.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Franzero, zéro franc

     

    L'auteur italien s'exprime en anglais. Rien que de très connu das cette biographie : le meurtre d'Agrippine abrégé (car la première fois, c'était raté), mais aussi un peu reluisant portrait de Sénèque qui laisse tout faire, trop heureux de consommer la bonen manne impériale : vastes atriums et collection de tables de marbre. « La paix, pouvait dire Néron, régnait partout. » Aux débuts du règne, assurément. Boudicca s'était suicidée en Grande Bretagne, et le souverain se plaisait à chanter, bas et faux, assassin de sa mère dont il n'était dit l'auteur pas du tout menacé. « Pourtant, tout paraissait se teinter de ridicule » - un homme sans ridicule, c'est un homme qu'on n'a pas suffisamment observé. » Il est vrai que, pour Néron, éprouver les plus vives jouissances à se faire applaudir par une claque, nous pouvons parler de forte immaturité.  « Quelque temps après, les ambassadeurs d'une tribu germaine se présentèrent à Rome pour obtenir de l'Empereur la libération de leur territoire » : c'est très vivant.

     

    Deux coupoles de la Garde.JPGLes Romains, comme les Américains de nos jours, étaient appelés par des peuples situés hors de leur orbe protectrice. Car les Germains, comme jadis les Noirs, ne cessaient de s'attaquer, de se soumettre, de se massacrer mutuellement et alternativement. D'où les, parfaitement, bienfaits de la colonisation. Le communisme, le christianisme, le féminisme, ont tous connu et connaissent encore leurs excès. « Durant leur séjour on les conduisit au théâtre de Pompée ». Cela ma foi se fait encore, et tous les chefs d'Etat se sont consciencieusement enfilés le plat de soupe rouge à la gloire du Président Mao ou de ses successeurs. Bien entendu, « ils ne comprirent rien à la pièce, mais s'intéressèrent vivement aux réactions du public, et plus encore à la structure de l'auditorium, qui délimitait nettement les classes, ou castes... »