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der grüne Affe - Page 128

  • Les passionnantes découvertes de Donald Benovsky

     

    Cher et adorable public privé de ma présence durant deux semaines, bonjour et bonne fête aux Claude, bien oubliés le lendemain de la Saint-Valentin. Quant à Jiři, ce serait la forme tchèque de « Georges », et le prénom de Benovsky, philosophe, auteur du « Puzzle philosophique », dont nous prononcerons le titre à la française. La philosophie est universelle. Pas pour tous. Une astuce des éditeurs qui veulent vous refuser est de confier votre manuscrit à un lecteur qui n'y connaisse rien : tel poète jugera d'un roman policier, tel mathématicien se verra confier un roman de trois volumes, et le verdict sera négatif. Votre serviteur n'est jamais parvenu à trouver de l'intérêt à quelque ouvrage philosophique que ce soit, même à supposer qu'il le comprenne.

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    Le présent ouvrage est annoncé par un avant-propos de Engel, philosophe genevois. Puis par une préface de l'auteur. Il s'agit d'un ouvrage d'introduction à la philosophie, « matière étudiée dans la classe de terminales appelée « Philosophie » comme certains l'ont écrit sans humour au bac, ce qui est encore plus drôle. Et ce n'est pourtant pas si bête : la définition même de la philosophie est l'un des chapitres les plus ardus, de même que la réponse à la si exaspérante et populaire question « A quoi ça sert ? » - le peuple est exaspérant. Ça sert à penser. Dès que l'on pense, c'est de la philosophie. Peut-on enseigner à penser ? Non, mais à exercer sa pensée. Avez-vous la prétention de penser mieux que moi ? non, mais nous pouvons nous exercer à mouvoir les muscles de notre esprit, de même que le sportif exerce les muscles de son corps, qui ne peuvent être efficaces d'ailleurs que si son esprit s'applique à ses muscles.

     

    Et sans corps, essayez voir de penser. Ceux qui ne veulent exercer ni leur corps ni leur esprit ni l'ensemble des deux qui est indubitable ne sont pas des hommes libres, mais des flemmards, tout simplement. Des adeptes du fauteuil-bière devant les matches, ou des perroquets plus ou moins bornés. Rassurez-vous, les stades intermédiaires permettent d'établir une typologie humaine quasiment inépuisable. Quant au puzzle philosophique, vous l'avez deviné, il est impossible à monter. A la fin du meuble, il vous reste toujours entre les mains une pièce qui ne va nulle part, comme dans le sketch de Gad El Maleh. La philosophie n'est pas faite en effet pour accoucher d'un système, d'une idéologie, d'une application politique ou religieuse, mais pour lever l'une après l'autre les questions comme des lièvres dans une battue.

     

    Ce livre (obtenu en ôtant le « è » de lièvre) traite avec humour et proximité de cinq prises de tête que l'on peut comprendre jusqu'à un certain point. Le langage en est simple, donc suspect aux jargonneurs et aux snobs, qui sont moqués dans la préface : il ne faut pas en effet systématiquement

     

    soupçonner un ouvrage de simplisme sous prétexte qu'il emploie un vocabulaire et des tournures de phrases accessibles. Il ne faut pas non plus comme Cons-Sponville aligner des phrases toutes faites et pas trop choquantes comme un éditorial de Sud Ouest. Et la philosophie ne saurait non plus se contenter de l'étude du présent, sous formes de solutions toutes trouvées pour le Pakistan, la Chine et le Japon, lesquels ont déjà leur philosophie, que nous ignorons pour la plupart : un peu de modestie. La philosophie, nous y revenons, n'est donc pas uniquement réflexion sur le temps présent, dans une perspective utilitariste : c'est ainsi que bon nombre de philosophes autoproclamés viennent débiter leurs opinions sur la prétendue crise financière ou la meilleure façon de traiter les criminels récidivistes : la philosophie ne consiste pas à donner son avis sur tout et sur n'importe quoi comme votre voisin de palier, dont vous êtes le voisin de palier.

     

    C'est ainsi que les plateaux de télévision recrutent des têtes télégéniques, tenant plus d'Alcibiade que de Socrate, et du soufflé au fromage que du menu cinq étoiles. Entre ces deux écueils, le spécialiste incompréhensible et le Monsieur Tout-le-Monde auteur d'âneries, le philosophe doit se frayer son chemin, modeste, ardu, sans fin, mais pourvu de beaux panoramas. Voici quelques petites choses que j'ai comprises au début, puis que j'ai laissé tomber par faiblesse de tête. « Le monde extérieur existe-t-il, ou bien n'est-il qu'une représentation de mon cerveau ? Le fait que les autres voient le même monde est-il alors le fait d'une hallucination collective ? et si le monde est unique pour tous, comment se fait-il que chacun possède sa solution pour Israël ou l'enseignement ?

     

    Autre chose : « soros » veut dire « le tas » ; à partir de combien de grains de sable peut-on parler d'un « tas » de sable ? Vous n'en avez rien à faire ? Mais si vous avez 100 000 cheveux, vous n'êtes pas chauve ; à 100 000 moins un, non plus ; ni à 100 000 moins 10. Si A est B, que B est C, ainsi de suite jusqu'à Y = Z, alors A est Y. Partant de là, à partir de combien de cheveux est-on chauve, à partir de quelle teinte peut-on vous qualifier de blond, à partir de quel signe êtes-vous mort ou vivant ? La décomposition, certes, mais certaines parties de nous sont déjà mortes, regardez les jolies taches brunes sur le dessus de vos mains... Vous voyez qu'un problème idiot du Journal de Mickey peut dégénérer en question grave : est-ce que sucer, c'est tromper ? - vous n'entendrez pas parler de ça dans le Journal de Mickey...

  • Pépites excrémentielles

     

     

    Mais non, mais non, à chaque fois que tu lis "étranger" il faut lire "musulman fanatique". Alors on fait semblant de dire "étrangers" parce qu'on n'ose pas. Et tout le monde est au courant, et tout le monde se lance sur les fausses pistes, avec candeur... Je m'en fous des étrangers, qu'ils viennent tous tant qu'ils veulent, mais je ne veux pas de mosquées ni de femmes voilées, ni de mariages forcés à neuf ans. C'est tout. Mais comme tout le monde gueulerait au "racisme", on dit "étrangers", comme ça tout le monde s'embrouille. Virez les fanatiques, et le reste, on s'en fout. Mais nous sommes tous atteints de diarrhée.

     



     

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    ...Comme s'il ne suffisait pas de la prison du temps, ces connards y ajoutent la prison de l'espace, et vivent, toute leur vie durant, dans les mêmes 10 km² de leurs petits aller-retours chez soi – boulot. Plus tous les ans quinze jours à Palavas-les-Flots. Et ça leur suffit ? Et ils ne hurlent pas ? Et ils gardent leur calme ? Et ils ne se parlent pas dans la rue ? Ils ne s'abordent pas les uns les autres, comme on le fait spontanément les jours de catastrophe ou de grande liesse nationale ? Car nous sommes en état de perpétuelle catastrophe mondiale : nous allons mourir et il ne se passe rien...

     

    Hurler à la face du monde, première musique, premier poème.

     



     

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    Nous ne savons pas si l'on vivait plus mal, ou mieux : "Qui n'a pas vécu avant la Révolution ignore ce qu'est la douceur de vivre" : nous ignorons de quoi parle Talleyrand ; mais nos structures mentales auraient alors été si différentes, que nous n'aurions pas souffert autant que nous le pensons. De même nos descendants, libérés de maux que nous ne sentons pas, se demanderont-ils avec effroi comment nous aurons pu survivre en des temps aussi barbares...

     

     

     

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    Trentenaires et quadragénaires s'imaginent désormais ue les femmes n'ont plus besoin d'eux ; se sont-elles assez vantées de leur  libération ! aux hommes donc les traiter comme ils se croient traités : à la cavalière, assez fortes n'est-ce pas pour se ressaisir ; quand on a ça entre les jambes, on retombe toujours sur ses pieds. Disent-ils. Femmes souffrant de la protection perdue, si pesante. Ce que Simone et d'autres imaginaient pour libérer la femme : travailler comme l'homme, s'avilir comme eux.

     

     

     

    id.

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    On sait tout de la mort, très vite.

     

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    [Sujet : “Les derniers peintres”.

     

    Ils exposent des merdes et sous-merdes dans de petites académies de sous-province. Nulle technique n'étant plus enseignée, les praticiens deviennent de plus en plus maladroits. “N'oubliez pas, Monsieur P., que vous n'êtes pas ici pour transmettre un savoir, mais pour laisser les étudiants s'exprimer.” Il se le tint pour dit, pleura et ferma sa gueule. Puis il mourut.

     

     

     

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    Il serait judicieux de persuader le Tiers-Monde contemporain de s'abstenir d'enfanter ; faire sept enfants à une femme, est-ce que ce n'est pas très exactement de l'assassinat à petit feu ?

     

    C'est l'élévation du niveau de vie qui mène il est vrai à la décroissance de la natalité, et non l'inverse...

     

     

     

    Mais pourquoi vous imaginer que la quête de Bouvard et Pécuchet doive absolument "servir" à quelque chose, "apporter" quoi que ce soit ? Il s'agit d'un réflexe de l'activité humaine. Cessons de diviser l'humanité en deux camps, ceux "qui ont quelque chose à dire" et "les cons". Car figurez-vous que nous sommes tous en train d'osciller de l'un à l'autre, d'un bout à l'autre de notre vie. Nous sommes tous le con de quelqu'un, et "un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire". Alors, un peu de modestie pour ceux qui ont su trouver les bons canaux pour progresser et faire progresser (souvent du copinage d'ailleurs, ou simplement de la force de caractère acquise dès la naissance mettons l'adolescence), et les clampins qui n'ont pas eu de pot parce qu'ils ne connaissaient personne, et qui n'ont pas su progresser parce que, n'est-ce pas, c'est leur faute. On arrête avec ça tout de suite, OK ?

     

  • Ammien Marcellin, historien oublié

     

    Mais les turlupinades de Sérénianus, encombré de sa Tarnkappe, ne nous touchent plus : il avait « envoyé un de ses amis, ainsi coiffé, à ce temple où l'on prédisait l'avenir ». Carrément le Journal de Mickey, ou Tintin au Congo : les Noirs placent un chapeau sur l'œil de verre que le Blanc a laissé là pour les surveiller - « afin d'y obtenir un oracle ».

     

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    Je mentionne toujours l'anniversaire de la mort maternelle, car j'ai manqué de piété pour ma mère, crainte de l'aimer. Les voies obscures me ramènent vers Ammianus Marcellinus, et le manteau de pourpre tissé en vue d'usurper l'empire. Le « colobium », « du grec kolobos = mutilé, raccourci, à manches courtes ou sans manches » serait la tunique en question. La note me renvoie à Servius, commentateur fantôme, dont presque rien ne figure sur internet, donc inexistant selon nos critères. Cassian la décrit comme le vêtement monastique d'Egypte. Isidore de Séville décrit aussi ce vêtement comem dépourvu de manches (sine manicis). « De toute manière », disent les Sorbonnagres, « la commande de cette tunique de pourpre par un diacre demeure mystérieuse, le port de la pourpre étant effectivement un privilège impérial ».

     

    Dans ce monde attaché aux signes, une telle commande valait crime de lèse-majesté. En 1917, un soldat fut exécuté pour avoir brûlé son uniforme dans sa cellule. L'homme supplicie l'homme pour une image. « On produisit de lui une lettre en grec au chef de l'atelier du tissage de Tyr », actuellement Sour, au Liban, « qui le précisait de hâter un ouvrage, qu'il ne précisait d'ailleurs pas. » Ce n'était pas une preuve, mais une présomption. « Le message », précise le commentateur, était en effet elliptique : species désigne chez Ammien, et plus généralement en latin tardif, toute « espèce » de marchandise, de denrée, d'objet. » Bref, une «affaire », une « chose ». « D'autre part, la construction celerari speciem est une brachylogie » - ah ! Cher maître ! Souffrez que l'on vous embrasse, pour l'amour de la brachylogie : « on attendrait speciei facturam ou speciei missionem celerari. » Nous n'attendions en effet que cela, et sommes fort désappointés, en vérité, de ne l'y point trouver. Loin de nous cependant l'idée de blâmer de tels scrupules d'érudition.

     

    Ces érudits si vétilleux ressuscitent pour nous tant de siècles morts, que nous retrouvons volontiers dans nos films et nos livres, et il n'est pas jusqu'aux reconstitutions sur écran qui ne nous restituent, pour notre plus grand bonheur, les vastes salles des palais et les dalmatiques de ceux qui les parcourent. Et c'est pour de tels symboles, devenus depuis peu si vides à nos yeux, que des innocents se font torturer « jusqu'à la mort, sans qu'on pût lui arracher aucun aveu, nil fateri compulsus est. « Après que la torture se fut étendue à des hommes de toute condition, comme certaine affaires demeuraient douteuses et qu'il était évident que bien des accusations avaient été portées avec trop de légèreté, après le meurtre de beaucoup de gens, les deux Apollinaris, père et fils, furent exilés. » Nous porterons au crédit de la si discutable évolution de l'humanité la disparition des supplices dans notre petit espace européen.

     

    Nous encenserons les Droits de l'homme, pour lesquels nous répandîmes le massacre. Nous disserterons sur le bien-fondé ou non de l'enfermement des femmes sous leurs grillages de tissus. Nous justifierons l'interdiction de certaines chansons stigmatisant les peuples martyrs, et de l'autorisation de certaines autres, qui jettent l'opprobre sur nous mêmes, Français, car nous serions plus forts que nos anciennes victimes, et notre grand pays plus capable de résister à la stigmatisation. Nous entasserions des conneries, et trouverions encore le moyen d'en référer à Montesquieu, qui ne fut pas loin de là un auteur maudit, et n'eut jamais de chagrin qu'une heure de lecture n'ait apaisé.

     

     

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    Nous serions sur la voie d'on ne sait quelle sagesse, reconnaissants au monde d'exister, prêts à le recopier debout à nos pupitres, tels Bouvard et Pécuchet, évoqués à tout propos. We are self-conscious. Parmi les hommes torturés, il en fut un qui réclamait les sollemnia, qui sont les procédures habituelles ; en l'occurrence, elles n'étaient absolument pas respectées. Sous les tenailles, il exigeait le respect des formes. De même, le Zénon d'Elée connu par Valéry cracha-t-il sa langue à la gueule du tyran qui lui demandait une dénonciation de ses complices. Notre Constance II, fils de Constantin, « ordonna de (...) faire périr dans les supplices » l'homme qu'il avait un instant soupçonné. Il y aurait une thèse audacieuse à faire sur le sentiment du corps dans l'Antiquité, à la lumière de l'abondance des supplices que l'on y pratiqua. Sur l'évolution des représentations du corps, dans la législation et dans son privé. Il semble difficile (et pourtant si tentant) de réduire l'histoire de la torture en fonction de l'importance conférée aux corps, simples guenilles, et aux âmes, sans doute surévaluées.

     

    Nous pourrions croire en effet que le corps et l'âme étant désormais totalement mêlés dans nos représentations contemporaines, les supplices du corps ont disparu, car nous n'aurions plus ou beaucoup moins de transcendance ; mais qui peut dire que les supplices à présent sont moins présents ? N'y aurait-il pas au contraire une recrudescence de la cruauté, puisque ce corps, désormais tout ce que nous avons, subit encore d'abondants traitements inhumains ? Cependant ne brûlait-on pas la chair même des hérétiques, dont on empêchait ainsi radicalement la résurrection corporelle à la fin des temps ? L'Eglise appliquait donc ce principe sulfureux selon lequel sans corps il n'y aurait pas d'âme susceptible de salut ?

     

    L'étroitesse du raisonnement nous ramène alors à l'épouvantable rationalisation suivante : la somme des cruautés reste la même, différemment réparties, géographiquement, sociologiquement. Nous ne torturerions plus des citoyens de notre Patrie. « Quand ils arrivèrent à un endroit nommé Cratères, où ils avaient une maison de campagne, à la distance de vingt-quatre milles d'Antioche, suivant les ordres de César ils eurent les jambes rompues et furent mis à mort. » Nul ne sait ce qu'ils se sont dits durant ce trajet où ils se crurent libres. Mais Constance César frappe où il veut. De ces cruautés ne reste nulle trace, Ammien Marcellin, moi-même et une poignée de lecteurs en demeurant seuls dépositaires...

     

  • Malentendu et liberté

     

    Démarrage: hier midi. Je relis ma production précédente. Je la mets en parallèle avec celle des auteurs maladroits : même ton pleurnichard sous-jacent. Les gens pleins d'échec ont tous cette petite musique aigrelette et mineure qui décèle le manque de talent, qui induit et provoque le manque de talent. Je hais ceux qui déboulent au boulot toute personnalité dehors, le postillon et l'assurance à la bouche. Mais eux au moins présentent quelque chose d'intéressant. L'habit fait le moine. Vous le dirai-je : il n'y a que l'habit. Hier midi, que sais-je ? La pleine activité de mon ordinateur, passées les corvées avalanchiennes du matin ?

     

    Un trou noir. Aider au déballage des courses, voilà. Une petite rallonge au Mutant, parce que la veille nous avait pressés tant et plus. Ce petit ton quotidien et navré, ce ton de perdant. Caractéristique des textes refusés. Ma Vie qui n'intéresse personne. Série si bien nommée. Ce qui me fait détester Walser, ce petit martyr pétri de bonne conscience. L'après-midi, j'ai rédigé mon émission. Il fallait que j'esquintasse Les Frères Grimm. Je m'y suis mis avec enthousiasme : on nous a roulés, au cinéma. Et quelques commentaires sur Le dernier Héritier de Castle Connor. De Le Fanu, peut-être bien le nom de jeune fille de la mère d'Oscar Wilde.

     

    Je me suis cette fois répandu en éloges. Ce n'est pas fini, mais tout sera prêt pour mon petit vendredi qui vient. Cela fait vingt ans que je déblatère devant un micro, et quatre auditeurs. Puis j'ai mené Anne à la place Capeyron, où elle s'est engouffrée dans un autobus, avant d'en avoir le dernier horaire. Je suis allé au café, prendre deux exemplaires du bus 16, gratuits.Une des deux serveuses a dit « 16 et 16 32 », ce qui est on ne peut plus juste. Et je suis revenu chez moi pour travailler encore, à mon « Histoire d'Amour » sans doute, où se cache ma vie conjugale depuis le 13 juillet 1966.

     

    J'étais libre. La chose se fait rare.J 'aime quand ma femme dîne « entre femmes », au restaurant. Adèle a payé pour toutes, car elle vient de toucher son héritage. Et apparemment ce n'était pas de la tarte, son père avait de la thune, même si des frères et sœurs riches étaient à l'affût. Je me trouvais seul dans l'appartement. Des vacances ! Et j'ai eu un petit bonheur : avisant mon chat qui passait devant la porte-fenêtre du salon, je l'ai acculé dans l'étroit couloir menant à la lucarne des chiottes.Il était inquiet :peur des coups ? Je ne l'ai jamais battu. Je lui ai parlé doucement, l'ai saisi par la peau du cou, mis sur mon épaule tout frémissant.

     

    Il n'aime pas être porté. Il se raidit des pattes avant, gronde. Je l'ai ait pénétré dans l'appartement, ils'est encore réfugié sous le lit en grondant, là où c'est le plus bas, le plus sale, le plus infesté de toiles d'araignées, d'acariens. Je l'ai chassé de là-dessous en tapant du pied, il s'est alors rencogné près de l'orgue, mais parfaitement saisissable. Et puis (je ne me souviens plus de l'ordre de ces opérations) je l'ai mené à sa gamelle, dehors, seul endroit où il accepte de venir manger, de nuit ou clandestinement. Je l'ai crocheté par une laisse. Au début il tirait, j'ai laissé filer trop de laisse, il est retombé pile sur la porte de bois de séparation avec Mme M. Il a dû avoir mal. Je l'ai repris dans mes bras, l'ai caressé, je lui ai prodigué les mots doux, je l'ai détaché, il est allé se percher sur le mur de M. Gras, s'est léché un peu. Pour moi c'est une grande joie. C'est lui, Krakouf (en polonais Kraków, « Cracovie ») que j'ai attendu comme le sauveur, orphelin de chat que j'étais. C'est lui que j'ai cru perdu toute une journée, crispé sur mon lieu de travail à en pleurer parce que je l'imaginais écartelé sur un travois à peau de lapin chez un gitan. C'est lui que j'ai été si content de voir revenir le matin. Puis il n'est plus revenu du tout, parce qu'il nous réveillait tous les matins à 5h pour sortir, et je l'enfermais dans mon bureau où il se réfugiait, bien entendu, sous le petit lit, un autre, aux dessous aussi peu ragoûtants. Un matin je lui avais déposé sur le sol un bol de croquettes, il avait tourné les talons et s'était enfui.

     

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    Je l'avais violemment coincé à mi-corps avec la porte et l'avais saisi bien trop bas sur le dos ; il s'est retourné et m'a mordu, je l'ai alors jeté à la volée vers l'intérieur, il s'est cogné au dossier de la chaise en retombant. Depuis, rancune totale et fuites, mais hier, j'étais heureux de le caresser même récalcitrant. L'autre petit chat n'est venu qu'ensuite...

     

  • L'amour avec Elizabeth Talor

     

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            1. Je commence à faire l'amour avec Elizabeth Taylor, très jeune, mince, souple et ferme.

            2. Faire l'amour avec Elizabeth Taylor, morte en 2011 d'une tumeur cérébrale. Son crâne était chauve et bosselé, elle avait revendu tous ses bijoux, distribuait fleurs et caresses aux enfants malades, car même les Etats-Unis ont des enfants malades. Et je l'avais là au-dessus de moi, faisant comme les femmes aiment faire, mais n'a-t-elle pas dit aussi que les plus beaux bijoux pour une femme était d'avoir les deux genoux derrière les oreilles ? Elle se tient au-dessus de moi et fait avec ses bras les mouvements serpentaires des danses égyptiennes. Je n'aurais rien à faire qu'à me laisser bouffer, aurais-je peur, est-ce que je pourrais tenir ? L'homme est inquiet quand il baise.

              1. Il est rare de baiser sans souci, dans la plus parfaite détente. Subsiste toujours l'inquiétude du désir : comment le maintenir ? que peut-on bien inventer pour qu'il subsiste ? Certaines femmes sans doute aussi doivent éprouver cela. Ne serait-il pas mieux, plus expéditif pour l'homme, de se faire trouer en attendant que l'autre se soit assouvi ? Nul effort à faire alors, et le sentiment d'être utile, et la gratitude qu'on éprouve d'avoir donné au lieu de prendre, de ne rien devoir à personne. On n'a pas besoin de bander du trou du cul. Si tu cesses de bander, ou que tu envoies la sauce avant la fin de la femme, ce sont des désolations internes, sans fin. Rencontrer le Mormon dans la cage d'escalier, une de ces grandes envolées de marches terminées par un coude haut-perchée. Partout comme des acrobates inhabiles des lycéens des deux sexes parcourent de haut en bas cet accessoire de studio ; mais la rampe, et les marches, témoignent d'une grande saleté. Le Mormon manque de gaîté : « Comment ! murmure-t-il ; me faudra-t-il abandonner toute cette jeunesse qui court sur les marches ; à ceux-ci j'étais habitué. Je commençais à tisser des liens. Le nouveau poste où je suis appelé me réservera-t-il d'aussi puissantes et abstraites étreintes ? » Nous avons compati tous les deux en éphémère communion.

     

     

     

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                1. « Messieurs, Voyant le nombre assez considérable de sottises et d'insignifiances qui se publient, je ne me sens pas inférieurs à leurs minces mérites. C'est pourquoi j'aimerais que vous reconsidériez votre position. Je ne demande pas de jugement ni d'appréciations, conscient plus que quiconque de mes faibles mérites et de mes grandes faiblesses. Mais il me suffirait de prendre place à votre table, de participer si peu que ce fût à ce grand festin des vanités, même s'il ne restait pour moi qu'une écuelle en bout de table. Je vous en serais infiniment reconnaissant. » TABLEAU D'ANNE JALEVSKIFaux Terzieff, vrai Auteuil.JPG

                2. Amen dit le Mormon. Nous rejoignîmes alors un chantier, à l'extérieur, où s'agitaient des êtres d'une tout autre espèce : des éboueurs, à en juger par leur tenue, et leur involontaire saleté (disons plus dégueulasses les uns que les autres) triaient artisanalement sur une longue table en plein air les chiffons et les morceaux de bois visiblement récupérés dans une décharge voisine. Nous nous sommes approchés avec curiosité. L'un d'eux alors manifesta le plus grand intérêt : il avait repéré ce que les autres cherchaient tous ; c'étaient des débris humains, qu'il examinait avec la curiosité la plus professionnelle : non pas des mains, ni même des yeux, mais des traces que ces gens-là, et eux seuls, pouvaient identifier, isoler : dépôts de sérums, traces de pus et de sanies.

                3. Cet homme entreposait les restes ainsi repérés dans une espèce de poche, de marsipos, ménagée dans le tissu d'une hanche à l'autresur son giron. Mais indépendamment de ces petites trouvailles, toute l'équipe s'amusait en chœur d'une bourde : « La France a six millions d'habitants, l'Algérie trois » - qui pouvait bien avoir proféré une telle imbécilité ? ils s'en rejetaient tous la responsabilité – d'abord, c'était plutôt le contraire : trois pour la France - « mais non, c'est aussi con dans un sens que dans l'autre ! » Ils ne se cherchaient pas noise, c'était une équipe soudée, hilare et bon enfant. Le Mormon et moi, discrets, nous tenions un peu à l'écart, tâchant de ne pas faire voir nos vêtements ou nos physionomies d'intellectuels ; ainsi, nous étions donc enfin parvenus à ces fameux soixante ans, précédant de si peu les sécrétions de nos corps juste bonnes à jeter ?

                4. Nous avons donc rejoint à pas lents le lycée où l'administration nous avait toléré un logement, aménagé dans une vaste salle de classe inutile, au sein des préfabriqués : il faut avoir connu ces bâtiments recouverts de panneaux sandwiches, branlant sous les galoches des gamins – notre fille nous attendait tous deux. Elle avait étalé sur le seuil, elle aussi, divers déchets animaux : l'idée venait de moi. « Pourquoi n'essaierais-tu pas de trier les diverses crottes de chat laissées par notre animal favori ? par formes, par couleurs, que sais-je ! » Elle avait pris cela au sérieux, avec la gravité qu'elle mettait toujours en toute chose. Alors je sentis dans ma paume que je laissais pendre la patte du chat, qui miaulait avec désolation : toutes ces merdes lui avaient été dérobées, au sortir même de son corps, avant qu'il ait pu même procéder à leur enfouissement rituel en litière, avec de grands ramassements circulaires, comme ils font tous, afin de dissimuler leurs traces, et de rester propres.

     

  • Passé, présent, avenir

     

    Poser le problème n'est pas le résoudre : il est en effet non moins possible d'affirmer que le présent n'existe pas plus que les deux autre, car nous sommes toujours au sommet d'une mouvante pyramide de sable qui s'écoule sous le sable. Mais ceci, en théorie. En expérience, nous savons bien que « le moment où je parle », même s'il « est déjà loin de moi », s'inscrit dans un certain présent relatif, où nous nous situons, pour conserver du moins la cohérence de nos pensées, de nos actions. Si nous n'avions conscience que de notre granulité temporelle, nous ne pourrions avoir aucune conscience globale. Il faut à la conscience une certaine assise, dans l'espace (nous ne sommes que du vide...) et dans le temps. «Ou bien serait-ce qu'elles existent aussi » (ces trois parties du temps), mais que le présent sort de quelque endroit secret, lorsque de futur il devient présent, et que le passé se retire aussi dans un lieu secret, lorsque de présent il devient passé ? » « Endroit secret » parle d'un mystère : ce serait l'irruption, quoique secrète, d'une « nature divine du temps », l'intervention de l'invivable dimension éternelle, infiniment ponctuelle d'instant en instant , mais éternelle par la coexistence éternelle de cet émiettement ? lequel serait alors cohérent, comme un cliché fixe de l'explosion d'un crâne.

     

    Dieu crée donc la conscience des trois états du temps, pour mettre ce dernier à la portée de la résistance humaine, car nous deviendrions fous d'incohérence, voire inconscients. La perception des trois étapes du temps est donc nécessaire à l'établissement de notre conscience. Ces trois étapes que nous sentons coexistent avec le pressentiment que nous ressentons de l'éternité dite divine. Mais il faut donc aussi, en toute équité rationnelle, que Dieu lui-même soit pourvu de cette faculté de distinguer les trois modalités du temps humain. Autrement, il ne pourrait nus juger ni nous récompenser. Revenons au texte, nous aussi : « Car où ont-ils vu l'avenir, ceux qui l'ont prédit, s'il n'existe pas encore ? » Il faut donc que tout repose dans le sein de Dieu, qui contient en lui l'immobilité du temps, et ne nous en distribue que l'écoulement, pour le plus grand bien et le développement de notre conscience à la fois existentielle et morale.

     

    Si nous remplaçons « Dieu » par « Mystère », nous n'en serons pas plus avancés. Les incroyants ne sauraient pourvoir le Mystère d'une quelconque affectivité. « Il est impossible de voir ce qui n'existe pas ». Ainsi donc Augustin ne saurait-il mettre en doute la véracité du phénomène prophétique : cela contradirait à la fois le sentiment commun de son temps et la raison d'être des Ecritures, Ancien et Nouveau Testament. Certains éléments de l'avenir, peut-être pas tous, nous seraient donc accessibles non pas seulement par le raisonnement (« demain, il fera jour ») mais par l'intuition du voyant. De toute façon, Dieu connaît l'avenir, et le Mystère en est gros. «Et ceux qui racontent le passé feraient des récits sans vérité, s'ils ne voyaient les évènements par l'esprit ».

     

    Notre mémoire est donc aussi créature de Dieu, qui possède aussi cette faculté, qui inscrit tous les évènements sur un grand rouleau, d'où il ne peut plus d'ailleurs les effacer, limitation à son pouvoir. Même si le passé, à échelle humaine, se dissout dans l'éloignement des temps, il ne peut pas se faire qu'il n'ait pas été. Le passé se fond dans l'éternité de Dieu. « Si ce passé n'avait aucune existence, il serait tout à fait impossible de le voir » - par les yeux de l'esprit. Nous avons donc la faculté de recoller toutes ces particules qui sans fin tourbillonnent de microseconde en microseconde. Dieu est totalité, l'homme classification. Dieu est aussi classification. Il nous a donné une partie des clés du mystère, suffisamment pour que nous prenions conscience, et ne nous a donné que le pressentiment de ce que nos facultés ne nous permettent pas de comprendre concrètement, expérimentalement. « Par conséquent, le futur et le passé existent également ». Ils ne sont pas dissous, ni hors de notre portée, ni hors de notre conception. Disons que le verre du passé reste transparent, celui de l'avenir se bornant au translucide, dans le meilleur des cas.

     

    Le coutelas.JPGAugustin avance lentement, ne manque aucune marche du raisonnement : le chapitre XVIII propose que « Le passé et l'avenir nous sont présents dans les représentations de notre esprit », ce qui est déjà une miette de l'être divin : nous aussi, nous possédons, à échelle humaine, la faculté d'une petite éternité à nous, d'une certaine abolition du temps, d'un mélange rudimentaire des époques. Mais cela ne va pas sans une petite prière propitiatoire : « Permettez-moi, Seigneur, d'étendre davantage mes reherches, ô vous qui êtes mon espérance, faites que mon effort ne soit point troublé. (Psaume LXX, 5). Car si nous espérons, il faut bien que ce soit un avenir...