Description de Nostradamus
Ici j'inaugure, je systématise l'exercice intitulé « descriptions. » Simone de Beauvoir l'a essayé, puis estima que c'était là quelque chose d'inutile. Sans doute avait-elle à se prendre au sérieux. Moi qui ai tout perdu, je considère aujourd'hui un portrait de Nostradamus, en page de couverture d'un livre allemand, que je traduis. La première chose qui vient à l'esprit est que Nostradamus a l'air con. D'aucuns diront même que c'est un con. Il est dans un cercle, entouré d'une légende en tous petits caractères et en langue latine. Il porte une de ces coiffures qui jadis distinguaient les gens honorables : avec une boudette au sommet, une grande galette sur un crâne.
Il regarde de côté, vers la droite. Une fois pour toutes par « droite » ou « gauche » nous désignerons l'illustration par rapport à nous. Sa gauche par conséquent, côté ombreux, c'est l'avenir qu'il aperçoit. Il porte une longue barbe séparée en deux versants, ce que je déteste par-dessus tout,comme je déteste tout principe masculin. Son front est large. Il se dégage de toute sa figure une impression d'extrême puérilité sous la barbe, comme si un postiche lui avait été accroché. De méfiance aussi. Un léger bridage des paupières sur des yeux en amandes. Un air de grande fausseté, de méchanceté.
Le portraitiste n'était guère inspiré. Sur les épaules de son modèle, deux grands pans d'étoffe rouge qui doivent se recroiser sur le ventre. L'ensemble légèrement plus à gauche qu'à droite, une position de trois-quarts du visage, de sorte qu'un œil affleure la délimitation du dessin. Tel est le confus savant que Catherine de Médicis honora de sa visite à Salon-de-Provence. J'ai lu sa lettre à son fils César. C'est quelque chose d'extrêmement confus, même pour celui qui s'est accoutumé à lire le français du XVIe siècle. Même traduits en français, ses propos restent d'une obscurité, d'une abstrusion, d'une répétitivité extrêmes.
La traduction d'un ouvrage de Manfred Dimde sur les prédictions de ce personnage me lancent dans une certaine perplexité. Je compare avec les prédictions traduites par Fontbrune : mêmes fumées, mêmes manipulations éhontées du texte primitif, dont je donne ici un exemple : Henricus Secundus, n'ayant jamais signifié autre chose qu'Henri II, se voit sollicité en « Henri le Favorisé », id est des dieux, ce qui renverrait à Henri V, devant régner sur la France à la fin du XXe siècle : on a vu, on n'a rien vu. Ce n'est qu'un exemple. Il serait intéressant (pour le sceptique) de comparer les prédictions telles qu'elles ont été déchiffrées en 1980 par Fontbrune et telles qu'elles se présentent en 2006.
Cela s'appellerait non plus « Histoire de la Science-Fiction » (ce qui a été fait je pense) mais « Nostradamus à travers les âges ». Ce fameux Harmageddon qui devait survenir en 1999 (très précisément !) se voit encore repoussé devant nous. Dieu merci, si Dieu y est pour quelque chose. Il est sans cesse évoqué (par prudence ?) dans la lettre « à [s]on fils César ». Nostradamus devait croire en ce qu'il écrivait. Mais à la manière d'un poète. Tout me semble littérature. Je pense aux « coq-à-l'âne » de Marot. Nostradamus était enseveli dans sa fantaisie, il ne devait avoir de la réalité vraie qu'une image fumeuse et déformée – sauf sans doute pour sa fortune, comme ils font tous.
Ce portrait montre un homme sur ses gardes. Les accusations de sorcellerie n'étaient jamais loin dans ces siècles extrêmement cons. Il porte des traits réguliers, des sourcils bien arqués, une peau fraîche, rose et lisse, il est moins vieux sans doute que je ne le pense, à cause de la barbe bien rousse. Il n'a pas dû dépasser de beaucoup la soixantaine en sa vie, comme tous également. Il semble réfréner une possession divine, il a le regard de côté d'un chat. Cela fait de ma part deux portraits, un atteint par l' a priori, l'autre plus indulgent, après le filtre de la litérarisation.
Nous irons jusqu'à voir ici non pas un portrait médaillé de la plus belle tradition plate, mais l'expression d'un tourment, le dessin d'un homme sur le qui vive, d'une extrême sagesse, d'une ironie certaine destinée à éloigner le curieux, le malveillant, le pourvoyeur de bûchers. J'ai hâte de m'instruire sur la vie de cet homme, qui survécut aux guerres de Religion. Car on se massacrait fort. Et que voulaient-ils donc savoir de si primordial sur l'avenir, tous ces princes ? L'avenir s'annule de lui-même. Ce qu'est devenu le royaume de France en 1622, qui importait aux régnants du XVIe siècle je suppose n'est plus que du passé irrémédiablement fané, dont nous n'entrevoyons plus à présent la moindre influence...