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der grüne Affe - Page 122

  • Guggenheim

     

     

     

     

    La carte postale du jour présente, suite à son long séjour dans un tiroir, une pliure irréversible dans son angle inférieur gauche : ce pli coupe en biais le reflet dans l'eau nocturne du musée Guggenheim à Bilbao. C'est une eau sombre et lisse, où se reproduisent avec minutie les structures merveilleusement foutraques d'un bâtiment révolutionnaire. À y regarder de plus près, s'élève à peine au-dessus du bassin une rambarde cimentée de route urbaine à grande circulation, surmontée d'une lisse sur poteaux métalliques ultracourts : le clair-obscur qui règne en cet endroit ne permet pas de décide si l'on y circule ou pas, à pied ou autrement, ou bien s'il ne s'agitr pas d'un soulignement continu, imperceptiblement bombé, de ce château des arts plastiques.

     

    Or c'est dans cette bande noire, entre la silhouette en haut et le reflet du bas, que nous devrions distinguer le rebord du miroir aquatique, lequel se dérobe au sein de cette symétrie voilée. Ce qui unit, autant qu'il les sépare, l'univers terrestre à l'univers liquide. Le double bombement de cette barrière descend en s'élargissant vers nous, de gauche à droite : une bande noire entre deux bandeaux gris, au-dessus de la moitié à gauche, au-dessous à droite : comme la diagonale d'un parallélogramme très étiré. Dans l'eau, le reflet perd très progressivement de sa netteté. L'inversion permet l'équilibre visuel d'une quille immobile, immergée dans la transparence. Se succèdent ainsi, en position antipodique, et dans une lumière gris bleu fantastique, une double tour oblique à son tour barrée (deux fois) d'une autre barrière où ne circule à cette heure aucun véhicule ; un bâtiment cuirassé au château central pesamment étagé, inversé dans l'eau ; un plan bleuâtre qui monte (ou qui descend) pareil à quelque immaculé plan de glisse, dominé ou souligné d'un ressaut lumineux.

     

    Petite égise.JPG

    Avant de poursuivre notre double panoramique, notons la naissance en ce névé nocturne d'une luminescence bleutée qui règne comme une écharpe symétrique, effet de lumière sans doute, voilant les bâtiments qui s'élèvent ou s'immergent, de part et d'autre d'un étincellement vitré transparent soutenu par une armature métallique interne ; ce bâtiment iluminé occupe la moitié de la succession de ces structures imaginatives. Le voile bleu semble descendu du ciel nocturne ici concrétisé en lave. C'est sur une nuit claire que se découpent les fortifications repliées de cette citadelle : donjons de papiers enroulés, de drapés d'acier, acérés en haut, émoussés dans l'eau du bas.

     

    Puis un autre élancement de lumière, un très haut toit qu'on dirait de chaume, une fenêtre à six carreaux traditionnels égarée là, et d'autres bâtiments illuminés, un très haut réverbère, la ville...

  • Signification de la Toussaint

     DU "PETIT LIVRE DES GRANDES FETES RELIGIEUSES" de Bernard COLLIGNON aux Editions du Bord de l'EAU

    Une dernière fois se pose ici la question de savoir, comme pour les autres fêtes chrétiennes, ce qu'il y a, dans la Toussaint, de proprement chrétien, et ce qui affleure encore du substrat dit « païen », « celtique ». Il s'avère que si la Toussaint proprement dite révère tous les saints et martyrs oubliés par le calendrier (les jours de l'année n'y suffisent pas !) la Fête des Morts qui suit représente une survivance plus vivace encore de nos jours que la fête liturgique elle-même.

     

    Toute fête, depuis l'Antiquité en particulier hébraïque, se célébrait dès la veille au soir : le Jour des Morts est venu empiéter sur la fête officielle, jusqu'à pratiquement la supplanter. De toute façon, le 2 novembre n'est pas férié, donc, les familles déposent leurs fleurs (en particulier les extraordinaires chrysanthèmes (« les fleurs d'or ») sur leurs tombes dès l'après-midi de la Toussaint. Chaque mort, en quelque sorte, est devenu un saint (d'où la proximité sentimentale des deux fêtes ?), Chaque mort devenait un dieu. C'est l'hypothèse fort probable de Fustel de Coulanges(La Cité antique) : les premiers cultes préhistoriques ne se seraient pas adressés aux phénomènes naturels tels que grêle, nuit ou tempête, mais bien plutôt à ces personnes qui vivaient avec nous et qui, d'un seul coup, n'étaient plus là.

     

    Quoi de plus instinctif que de leur conférer une présence invisible, éternelle, en faisant d'eux précisément les protecteurs de la famille, depuis l'au-delà où elles étaient parvenues ? L'innovation de la religion chrétienne consiste à donner aux morts les plus vertueux un pouvoir particulier d'intercession auprès de la divinité : les saints. Juifs et musulmans honorent, certes, la sépultures de leurs grandes personnalités spirituelles, qu'ils admirent, mais qu'ils n'invoquent pas. Les chrétiens, à partir du Haut Moyen Âge, passent alors pour des idolâtres (ne vont-ils pas jusqu'à prêter aux reliques des pouvoirs surnaturels), bien qu'il soit précisé que les chrétiens n' « adorent » pas les saints, et que le Christ demeure le seul intercesseur de valeur.

     

    Mais le Credo comporte bien les mots « je crois en la communion des saints » : c'est-à-dire qu'est affirmée, par la communauté des vivants et des morts, qui se retrouveront dans l'Eternité, la croyance selon laquelle les plus saints d'entre nous peuvent « reverser » le trop-plein de leur sainteté sur les humains ordinaires qui leur en font la demande, et les sauver de cette façon ; c'est ce que l'on appelle la « réversibilité ». Et c'est bien ainsi que l'entendent les moines et les religieuses... qui prient pour nous.

     

    Pour devenir saint, ou s'efforcer de le devenir (un curé me disait : « Ce que je n'aime pas, lorsque je confesse, ce sont toutes ces personnes qui veulent devenir des saints... »), il « suffit » de vivre selon l'enseignement du Christ qui a dit « Aimez-vous les uns les autres ». " Je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre.. " (Thérèse de Lisieux)- d'où la « preuve » des « miracles », dans les procédures de canonisation. Le fidèle se reportera également au Sermon des Béatitudes, dans l'Evangile. Un saint, une sainte, n'est donc pas un homme célèbre canonisé » en grande pompe, mais un frère ou une sœur qui demeure auprès de nous, un exemple à suivre, fût-ce de loin.

     

    En face de mon hôtel.JPGLamesse de Toussaint devient ainsi l'occasion de réaffirmer sa foi en une récompense de nos actions, qui durera toute notre vie éternelle – nous n'aurons donc pas vécu en vain ! Ce qui constitue le meilleur lien qui soit pour célébrer nos morts... Cette dernière (c'est le mot...) n'est donc pas la fin de la vie, mais demeure source d'espérance, car nous serons amenés à partager le bonheur des saints, qui de là-haut nous tendent la main...

     

    Le culte des saints fut récusé bien sûr par les protestants, sainement allergiques à toute notion de sainteté, de Pierre, Paul ou Jacques, ou du Saint Suaire ou du Saint Siège ou de toute autre relique.

     

  • Je suggère Suger

     

     Je vous ai laissé les intertitres parce que mon ordi m'efface n'importe quoi et qu'à la quatrième fois j'en ai eu plein le luc.      

     

    Les yeux plus gros que le ventre. Apercevant sur les rayons de quelque obscure librairie catholique un volume de Suger, Vie de Louis VI le Gros, “Ludovici Grossi”, il en fit l'acquisition en se pourléchant. Puis il le fit longuement sommeiller voire incuber sur ses étagères à lui, avant de s'en aviser de nouveau, bien plus de dix années s'étant écoulées : c'est peu de chose pour un garde-manger à lire. Mais le roulement de ses lectures ne ramenant un ouvrage qu'une fois l'an sous ses yeux (il avait en effet entrepris de lire simultanément plus de cent œuvres), il perdit le fil et l'intérêt de cette biographie comme de tant d'autres volumes, et n'y comprit plus rien, hors le fait qu'on s'y “foutait sur la gueule”.

     

    De plus, sa pédanterie rituelle voulant qu'il sût lire le latin couramment (ce qui n'était pas le cas, surtout pour celui du XIIe siècle), il n'avait à sa disposition que des lumières confuses, de celles que jettent des textes étrangers mal compris : les æ s'écrivaient (et se lisaient) “e”, par exemple. Et la lecture du texte français, en regard, ne lui présentait que des conflits d'héritages que l'on venait demander au roi de régler, au besoin (et le plus souvent) les armes à la main. Notre Philippe Ier (méconnu, sauf pour avoir épousé la fameuse Anne de Kiev) en découd avec tous les seigneurs de son entourage frontalier, leur casse la gueule, et revient se reposer, en véritable Héraclès ou Superman, plus près de nous. Et voyez-vous, tout cela restait si peu clair à notre lecteur qu'il ignorait encore si le père de Louis VI le Gros était mort ou non : apparemment non, puisqu'on le voit diriger son ost et prendre d'assaut des forteresses.

     

    Pendant ce temps, le paysan, le bourgeois, le noble rebelle surtout, souffraient mille mort, se faisant occire, ce dernier pour usurpation du pouvoir et faculté de piller les campagnes environnantes. Ce ne sont que principicules changeant de nom comme de chemise, s'alliant, cousinant et beaufrérisant à qui mieux mieux, se déshéritant et s'usurpant les fonctions, tandis que le peuple voir plus haut. Il faudrait se concentrer, rédiger des fiches, établir avec netteté les parentèles, et savoir si le conflit est justifié ou non. Pour les vaincus, pas de quartier : les impies se voient pieusement massacrés (c'est dans le texte, impios pie occidit), à moins qu'ils ne se rallient au souverain, voire en se roulant physiquement à ses pieds, au grand étonnement des barons rassemblés.

     

    Peu importe donc sous quelle autorité l'on vit, l'essentiel étant d'avoir un bon maître et de craindre Dieu et ses représentants. Pour étudier les secrets arcanes d'une œuvre aussi touffue, il faudrait la consécration d'une vie, se passionner pour ces prises de châteaux, dont il ne reste parfois

     

    COLLIGNON LECTURES « LUMIERES, LUMIERES »

     

    SUGER VIE DE LOUIS VI LE GROS 59 04 21 (61 02 04) 28

    Les établissements Machinchose d'Angoulême.JPG

     

     

     

     

     

     

     

     

    que des murs de fermes à demi-effondrés. Tout gît dans le détail : voici un seigneur qui, pour ne pas se faire trucider par ses proches, sepe lectum mutaret, changeait souvent de lit. Et souvent, par terreur nocturne (j'épargne souvent le latin, qui ne sert à rien c'est bien connu, à mes lecteurs éventuels) il multipliait les rondes de nuits, commandant de tenir prêts, toute la nuit, pendant son sommeil, son écu et son épée : vous voyez, quand on veut s'en donner la peine, “s'en donner les moyens” comme disent les je-sais-tout, le texte prend de l'épaisseur et de la vie. Mais vérifions : ce ne sont pas les rondes nocturnes, qui auraient dérangé par leur tintamarres, mais les “veilleurs armés”.

     

    Qui ne bougeaient pas, ou si peu. Quant à son bouclier, à son épée, il ne fallait pas les “tenir prêts”, mais les “placer devant lui”. Mais seneçon là que des clausules de style, n'influençant pas réellement sur le sens. Horum vero unus, “mais l'un d'entre eux” (de ses chambellans) “nommé H.”, “intime de ses familiers” autrement dit de sa familiarité rapprochée, se trouvai être un espion, un traître. Nous ne le connaissons que par son initiale : le manuscrit G nous révèle qu'il s'agissait d'un certain “Henricus”, “Henri”. La note 2, en français, nous renseigne : ce serait “Hue”, d'après les Grandes Chroniques, traduisant le latin des clercs en français médiéval. “D'après Guillaume de Malmesbury, qui ne le nomme pas, il était de basse naissance et préposé à la garde du trésor royal”. Que tout cela reste naïf. Suivent les références relatives à l'histoire des rois anglais, Gesta regum anglorum. J'eusse aimé plonger dans certaines spécialisations, dont l'histoire médiévale : mais je me fusse privé de tous ces agréments de conversation érudite sans être pédante qui font l'essentiel de mon charme et de mon incomparable modestie. Pour notre espion royal, une brouettée de compliments vient ici s'interposer, entre le sujet et son verbe - j'en vois qui dorment au fond - il fut condamné à perdre les yeux et les organes génitaux – ah, un peu tard pour vous réveiller. Mais on l'a exécuté “miséricordieusement” : on les lui a bien crevés (les yeux) et coupées (les genitalia) : car il “eût mérité la corde”.

     

    Aveugle et châtré, mais vivant. Ça se discute. Le roi, “qui ne se sentait en sûreté nulle part” ? mais alors, cet homme ou désormais castrat faisait partie des proches du roi ! Changement de perspective ! Le roi le comblait de bienfaits, et malgré cela, il projetait de l'assassiner dans son lit ! Le roi Philippe Ier se voit qualifié d' arto providus. Lançons les dés : “costaud”. Cela peut signifier tout autre chose. “Il prenait de mesquines précautions”. Je suis loin du compte. Il est providus, donc prévoyant, précautionneux. Mais arto, soit “dans l'étroitesse”. “Etroitement précautionneux”. Suger COLLIGNON LECTURES « LUMIERES, LUMIERES »

     

    SUGER VIE DE LOUIS VI LE GROS 59 04 21 (61 02 04)29

     

     

     

     

     

     

     

    nous la joue Tacite... 61 02 04 - mais reprenons je vous prie : Louis VI le Gros, c'est le prétexte chronologique des « Visiteurs », suzerain donc du comte de Montmirail, où le fils de l'aubergiste chie en chantant, et de son fidèlc « Jacques Houille »... Le vrai roi cependant, Ludovicus Grossus, en latin d'époque, se vit biographé par l'abbé Suger entre 1138 et 1145. L'édition que nous avons sous les yeux, bilingue, latin bâtard à gauche, français à droite, fut mise au point en 1929 par Henri Waquet, et republié en 1964 aux Editions des Belles-Lettres. C'est comme vous l'avez vu très difficile à lire. Le latin en effet se conforme plus ou moins à la prononciation médiévale, où la terminaison æ se dit et s'écrit « e », sans accent bien sûr.

     

     

     

     

  • Clavier

     

     

    Falaises d'Angoulême.JPGC'est une tâche bien ingrate. Simone de Beauvoir s'y est exercée parfois dans un bistrot de St-Germain, puis y a renoncé comme perte de temps, stérile. Ma personne dont la vie n'est que perte de temps (et "n'intéresse personne") s'occupera d'en perdre encore en décrivant l'objet qui me sert de compagnie tout au long de mes écritures : le clavier de la machine à écrire. Il supplantera bientôt l'écriture manuelle, comme ces fous d'Américains l'ont déjà entériné dans ce qu'ils appellent leurs écoles primaires, Grade Schools. C'est un grand rectangle sévère, revêtu de sa housse jusqu'à ce qu'elle tombe en ruine, déchirure après déchirure. Pour l'instant, seuls le"x" et la portion de touche dévolue aux majuscules présentent un trou palpable.

     

    Le reste est recouvert d'une enveloppe transparente et grise, sous laquelle se dissimule un noir de jais. Mais il ne faut pas l'enlever, pour que le dessous reste neuf : ainsi ma mère voulait-elle me convertir au port d'une imperméable sur ma gabardine poru ne pas la mouiller, ainsi les Alexandrins et les Marocains portent-ils sur leurs beaux vêtements leur pyjama le plus soigné, afin de les conserver neufs, ce qui fait qu'en définitive, on ne les voit pas. Mon clavier est français : AZERTY, et non QWERTY. Parfois, sans que l'on sache pourquoi, il vire à l'américain : fausse manœuvre sans doute ; il suffit de revenir en arrière dans la programmation, et tout s'arrange. Autrement, le m, le point, le point virgule, entre autres, demeurent introuvables, et les voyelles accentuées disparaissent. J'ai appris à dactylographier à 17 ans, sur une Olivetti verte que chacun a connu vers 61. Il y avait une tablature pour expliquer l'art et la manière de poser ses doigts, et les plus doués réussissaient à ne plus regarder le clavier : désormais j'y parviens à peu près. Mon Olivetti comportait 47 touches numérotées, mon bureau me montrait les chutes d'Iguaçu, dont une de 47 mètres (record : 90). J'avais donc imaginé que ce déversement, rapproché des manipulations du clavier, expliquaient ma peur du nombre 47, par la culpabilité due aux masturbations.

     

    C'est idiot n'est-ce pas. Mais quand je l'eus découvert, ou imaginé, je cessai d'avoir peur de mourir à 47 ans. Les lettres sont en majuscules sur la machine d'aujourd'hui, "USB KEYBOARD". Leur police est de style arrondi, la housse les rend ternes. A droite un pavé numérique, à verrouiller au reste pour l'utiliser (j'aurais cru que le verrouillage en interdisait l'accès ; mais c'est le contraire). Un croissant de lune en son dernier quartier montre le moyen de le déverrouiller. La première rangée, de F1 à F12, reste mystérieuse et je préfère ne pas y recourir. Tout ce qui touche la mise en page est extrêmement aléatoire selon moi.

     

     

     

  • C'est fou ce qu'il peut m'arriver comme conneries...

     

    Il existait en ce temps-là un aspirant dictateur, férocement caricaturé par ses adversaires, qui l'accusaient de toutes les turpitudes et tous les ridicules. Enfant je le connaissais bien, jouant même aux billes avec lui. La dernière fois que nous avons joué à la tic, il était gros et gras et rubicond comme à présent, très laid, bouffi de visage et la voix « pousse-pour-chier ». Mais je l'aimais bien. Passant alors dans des salons ouverts, sans s'être même ablutionné les mains, il m'invitait à le suivre : on y mangeait, on y buvait le thé debout à grand renfort de petits doigts en l'air et de smokings, les femmes à l 'avenant. Qui étais-je, moi, pour m'y introduire ? Pourquoi tant de belles manières, surjouées, contrefaites, pour quelles dignités devrais-je me présenter à tous ?

     

    Mais l'amour du jeu parvint à l'emporter : nous nous sommes assis à une table de tric-trac, mais le tablier représente une carte de France : l'un de nous la voit nécessairement à l'envers. Chacun occupe une ville de France, conçue comme une place-forte, par le symbole d'une petite bille, compacte, en acier. Le jeu consiste, à l'aide d'un bâtonnet également d'acier, à pousser ses propres sphères sur celles de son adversaire, afin de s'emparer de ses villes ou forteresses ; dans certains cas, il est même permis d'utiliser une sarbacane, où les petites billes peuvent se loger ; on souffle, et hop ! plus d'armée ! Afin de renforcer les lignes de défense, un petit boudin de tissu court d'une bille à l'autre pour les protéger.

     

    Seulement, je manque de la plus élémentaire adresse, mes billes roulantes ou projetées atterrissent un peu partout, se dispersent : impossible d'atteindre l'objectif. Autour de notre table des spectateurs désœuvrés forment cercle. J'essuie quelques railleries, mais sans méchanceté ; après tout, les fameux sbires de Le Pen, puisqu'il faut l'appeler par son nom, ne montrent pas de méchanceté particulière. L'ennui, ce serait plutôt les tricheries du personnage : il tire d'un berceau de poupée bien opportunément placé à sa gauche deux billes supplémentaires dont je n'avais pas l'équivalent, il déplace le jeu lui-même pour lui fournir prétendûment une meilleure assise, modifie sans cesse la disposition de ses boudins de protection, tantôt devant telles billes, tantôt devant telles autres : impossible de me tenir à mes stratégies successives.

     

    Chacun de ses tirs, pour autant qu'il y en ait ! reste précédé d'une interminable réflexion pendant lequel son front se plisse atrocement. Cela manque de l'horloge des tournois d'échecs internationaux. Alors ma foi, plus question de barrette d'acier ni de sarbacane ; avec mes propres doigts, d'en haut, j'assaille vaillamment ses positions et les défais une à une ; rien ne me prouve que cette technique soit interdite. D'ailleurs il ne m'a pas renseigné sur les règles du jeu ; il me répèteque je suis trop jeune, trop bête, mais élude mes demandes de précision, comme si c'était un grand mérite d'écraser un novice. Un valet substitue alors une carte d'Europe à celle de la France, et me remet mes clés d'appartement et de voiture, que j'avais égarées.

     

    Arbre et mur, immeuble.JPGMa situation change alors du tout au tout : je défends toujours une région d'Espagne située juste au sud des Pyrénées, tandis que mon adversaire, bien lointain désormais, se trouve relégué dans la contrée d'Arkhangelsk, en Russie. Tout m'échappe, de la possession des clés à celle des territoires, pour ne pas dire les règles du jeu lui-même : cette nouvelle carte d'Europe est en plastique transparent ; au travers, nous voyons très bien encore par transparence la carte précédente, celle de la France. Et c'est mon adversaire qui obtient qu'on enlève celle de l'Europe, qui embrouille tout, « par égard pour [sa] femme » - en quel honneur ? qu'est-ce que cela signifie ? je serais donc seulement le couillon à qui la valetaille rapporte ses clés, tandis que mon adversaire modifierait à son gré la règle et les accessoires du jeu ? Alors ont retenti les trompettes du Jugement dernier...

     

     

     

    X

     

     

     

    Mon père n'avait pas plus d'autorité. Il ne comprenait pas plus que les autres ce fait indubitable : un mariage n'est pas une conflit d'autorité, mais une collaboration dans un but commun. Peut-être ses interminables vaisselles à la main l'ont-elles amené à se considéré comme soumis. Il ceignait son tablier, comme Courcelles, professeur de faculté, tout en grommelant très fort contre moi, qui devais prendre sa suite plusieurs décennies durant. La vaisselle en effet, mes bien chers frères, avant l'invention du lave-vaisselle, tenait absolument de l'Hydre de Lerne, si même elle ne l'avait pas engendré : c'est un monstre aux cent têtes, dont l'une coupée fait renaître dix autres.

     

    Je ne fis donc ni une ni deux : avisant un bol sale et quelques couverts qui traînaient sur la table, je les ai insolemment jeté sur le sol en gueulant : « C'est toi qui est chiant ». L'audace était forte, jamais je n'avais parlé ainsi à mon père. Je rajoutai quelques grossièretés pour faire bonne mesure et suis ressorti dans la cour. Je découvre alors, à ma plus profonde stupéfaction, que m'attends là, au beau milieu, un autre père, un Noir ! Je regarde ma main, parfaitement blanche, mais cela ne prouve rien. Ma mère aurait-elle eu des velléités de coucheries exotiques ? ...Me veut-il aussi du mal, celui-là ? Sera-t-il moins agressif ? Pour en avoir l e cœur net, je lui lance avec force un couteau venant de la cuisine.

     

    Le Noir l'évite d'un mouvement preste du cou ; imaginons que mon autre père, le Blanc, le vaisselier, sorte à ce moment dan la cour, et vienne en renfort contre moi ? je suis foutu !Alors sans attendre, je déguerpis, monte à ma chambrede l'autre côté de la cour : elle est facile à reconnaître, sa fenêtre éclairée commence à se distinguer dans le jour tombant. Dès que j'y serai, mais ce sera long ! je me barricaderai – le Noir ? il est parti ! Monsieur a dédaigné mon attaque, Monsieur avait « d'autres choses à faire » ! il ne se soucie pas plus de moi que mon autre père, scotché à sa vaisselle ! Insultez-les, attaquez-les, ils ne réagiront pas ! de quoi retourner à l'évier pour de nouvelles bordées d'injures...

     

  • Mauvais sujet repenti

     

    Il se fit un masque de poils entrelacés, se confectionna une voix persuasive, sans trop d'inflexions typiques afin de ne pas effrayer, ni susciter la dérision. Il ne prêcha point, ne distribua pas de nourriture, dont les exsudations du chat se trouvaient abondamment pourvues pour tous, mais répandit les consolations dans ces oreilles de minuscules femmes battues, et même, dit-on, de certains hommes prêts à frapper, qu'il persuada du contraire. On l'accueillait partout avec mystère, mais ce fut un secret vite éventé : un chat parcourait la Grande Echine, et fortifiait tous les cœurs. 

     

    La charité est une étrange chose : on ne saurait imaginer à quelles tortures vous soumet une âme sensible ; la férocité, têtes coupées en chapelets, membres boucanés avant d'être jetés aux chiens, n'occupait plus qu'un coin de sa mémoire de pirate, comme une existence étrangère autrefois jetée là. A quoi rimait donc à présent ce sauvetage de femmes en détresse et si minuscules ? Pouvait-il simplement semer l'effroi dans le cœur de ces maris de forme humaine ? Car il les effrayait, il n'en pouvait douter, à voir tous ces spadassins microscopiques détaler à son approche, toutes ses griffes dehors : très petit pour le gros chat où tous vivaient, immense aux yeux de ces gnomes au carré.

     

    De plus – il s'en avisa au retour d'une expédition punitive : non content de l'avoir privé des plaisirs humains, le sort ne lui avait pas même accordé la quiétude ordinaire aux félins. Certes, l'effrayant sommeil de l'espèce l'envahissait à toute heure de jour ou de nuit – mais du moins les chats éveillés n'ont-ils rien d'autre à faire que de chasser, s'ils sont sauvages, ou d'attendre leur pitance ; mais lui, Brian, sitôt éveillé, se sentait investi d'une mission : chaque cerveau d'homme porte en charge l'humanité. Un instant il pensa réclamer à la Grâce Divine les restrictions cérébrales d'un chat, moyennant toutes ses capacités instinctives, mais s'étant retenu d'extrême justesse, il reprit son train chaloupé, débusquant et serrant délicatement dans ses crocs les maris brutaux, ne les relâchant que lorsque sous l'effet de l'émotion ils avaient lâché ce signal de peur, la merde.

     

    Il devrait s'attendre à des attentats ; dormir même n'était plus sans danger. Les femmes d'autre part, voyant qu'elles pouvaient se faire secourir sans trop payer de leurs charmes – puisqu'il ne s'agissait que d'un animal trop gros pour ce faire – au demeurant peu attiré par des femelles d'une autre espèce - les femmes humaines, donc, ne lui manifestaient plus leur reconnaissance, sinon sous forme de caresses distraites, puis, insensiblement, imperceptibles. Et comme toutes les pensées humaines s'obstinaient à le persécuter, il se demanda, au cours d'une de ces douloureuses somnolences, si les instincts amoureux ne l'assailliraient plus, hélas, que périodiquement, à la féline. Comme pour tous les chats. Ou s'il continuerait à ressentir de loin en loin, à la ressemblance des mâles humains, ces chatouillis de toute heure et de tout lieu. Aussi l'oreille au moindre bruit lui tressaillait, triangulaire. Des pouvoirs inconnus s'éveillaient en lui ; la félinité ne laissait pas de présenter certains avantages : il pouvait s'attarder à volonté dans ces espaces où le rêve ôtait tout pouvoir sur les choses. Pour commencer, Brian se contenta de fariboles : évoquer (c'était un apprentissage) son ancienne compagne perdue corps et bien – étrange chose en vérité. Puis il s'aperçut qu'il n'avait de souvenirs vraiment solides que ceux qui dépendaient de son ancienne humanité. Il en vint à souhaiter recouvrer son ancienne forme, celle qui suivait, du moins, sa mort, car quant à revenir hurler dans la tempête d'un voilier, il n'y fallait plus songer : « Je suis mort depuis cent ans, bel et bien mort ». Un financier, en rêve, lui objecta qu'il ne fallait pas ainsi prendre, puis révoquer ses décisions : la commutation d'espèce, de l'humaine à la féline, et vice-versa, ne se traitait jamais à la légère ; lui, Fugger, ultime rejeton d'une illustre race, ne pouvait prendre sur lui de ramener Brian à sa condition première. Mais il promit de consulter Dieu, ou toute instance suprême. 

    Aux morts de 70.JPG

     

     

    C'est ainsi que Brian-le-Chat, s'étant profondément repenti, redevint homme. Et homo zurück factus est. Mais si le passage d'homme à chat n'avait pas été plus douloureux que l'éveil d'un songe, la retransformation en humain pensant, et surtout agissant, s'avéra terrible : du moins au plus. Et toute la Nature se révolta. Le banquier disparut sans doute en quelque contrée de l'au-delà (de quoi sert de mourir, pensa Brian, s'il doit y avoir encore de ce côté-ci des « contrées »?) L'accession à une conscience nouvelle se fit à la façon d'une circulation rétablie dans un réseau sanguin fortement compressé. Brian retrouva la sensation de lucidité, d'une seconde mort ajoutée à la première, les actes et les pensées du félin qu'il fut se reculant alors avec une terrible netteté.