Proullaud296

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der grüne Affe - Page 126

  • Excréments oniriques

     

    C'était pour moi le temps de partir en voyage : une dent me tourmentait, et je ne connaissais qu'un seul homme capable de mettre fin à cette torture ; il habitait au cœur du Périgord, et me voilà parti.Ma fille et le Mormon me firent leurs adieux : nous nous reverrions peut-être, en ce monde ou dans l'autre. Le soir même j'arrivai dans ce petit village où m'accueillaient mes parents. A la poste (en ce temps-là, elle s'occupait aussi des téléphones), la queue est considérable. Puis je me suis avisé qu'il y avait des cabines en plein air. Toutes sont occupées. Juste à ce moment, venue d'un guichet, une grosse voix d'employé m'apostrophe : “Vire-moi la grosse là à gauche et prends le combiné”. La grosse en question est magnifique, grande, blonde, walkyrienne. Elle est en larmes : « Allô . Allô ? » On pouvait, on peut toujours se faire appeler dans une cabine. «Je peux rester avec vous , j'attends un appel. » Je téléphone devant elle au 8 503 : ce numéro correspond-il à quelque chose, aux Etts-Unis ?

     

    Ou bien, j'appuie sur le code « ECOUTEZ » ? L'équivalent de « décrochage » ? Le 8 503 me restitue une bande-son. Deux hommes discutent, là dans le tuyau, sur le statut du journalisme. Je ne vois pas en quoi cela peut me concerner, quoi que j'aie moi aussi, bien entendu, mon opinion sur la question. Qu'est-ce que cela signifie ? L'appareil m'envoie une bonne décharge d'au moins 140V dans les doigts, au moment où j'appuie sur la touche « ECOUTEZ » - « prenez la communication » ! J'abandonne. La mécanique de mon automobile, au moins, ne me trahira pas. Le soir tombe. La lumière du paysage devient magnifique, cela ressemble aux brillances des photos électroniques.

     

     

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    Mes douleurs se sont apaisées, par l'effet du crépuscule. Donc, au lieu de consulter d'urgence (il faudrait faire un crochet jusqu'au Lot-et-Garonne), je poursuis mon voyage. Mes explorations restent micoscopiques. Mes dents attendront, jene serai pas esclave de mon corps (pauvre bête, un jour tu n'auras plus que lui, dans ton lit, la mort au-dessus). Mon proviseur attendra lui aussi : je suis resté absent deux jours ! Disons : juste la dernière heure des deux jours précédent. Les enseignants sont fatigués en fin de journée. Tous les métiers sont fatigants. Les syndicats se sont tus sur le sujet . Au retour, je devrai me faire excuser par le proviseur. Est-ce bien nécessaire. Une autre fois je m'étais excusé, pour une journée entière : personne ne s'en était aperçu...

     

    Lelendemain, après une excellente nuit dans un de ces petits hôtels que j'affectionne, l'obsession du téléphone me poursuit. La disparition programmée des cabines publiques m'obsède : après tout, qui peut prouver que chacun désormais possède son téléphone cellulaire ? La cellule existe encore, concrètement, dans une cour d'école : l'école est mon métier. Cette cabine transparente fut installée là, mieux vaudrait dire bricolée, par de grands élèves particulièrement doués, ainsi que motivés. Sont-ils là, dissimulés dans la cour ou le paysage environnant, malgré les congés ? Veulent-ils vérifier si l'on utilise leur invention ? L'identité des utilisateurs ? La chose n'est pas impossible.

     

    Mais ils sont très doués, ces petits ingénieurs de dix-sept ans ! La partie supérieure du combiné présente un infernal écran électronique ! Un homme, avant moi, composa un texte indéchiffrable, grâce au « Traitement de textes » ! Cet homme, c'est moi. Je suis déjà venu ici, j'ai utilisé cet appareil, peut-être au hasard, sans doute même, et me révèle incapable d'en retrouver le fonctionnement. Et les élèves, les grands élèves sont là : ils me regardent avec bonhommie, un peu narquois, mais bienveillants. Pour le piano, c'est pareil : j'improvise, mais qu'on ne me demande pas de restituer ce que j'ai trouvé seul. A l'aide des touches latérales, présélectionner un numéro : voilà qui est fait, mais comment l'activer ? Avec un sourire narquois et sympathique, un lycéen me tend un bon vieil appareil gris à cercle pivotant : le plus ancien modèle qu'ils aient pu trouver – comme il n'est pas branché, renoncer. Il faut renoncer à communiquer. La communication passera par ces toilettes que j'aperçois au fond de la cour.

     

    Après tout, elles sont constituées, elles aussi, de cabines : une seule, ouverte, déserte, pourvue d'un lavabo blanc. De derrière me répond la voix d'un employé municipal, sortant je suppose du combiné que je n'ai pas tout à fait raccroché : « Que voulez-vous ? » Et à ses vibrations, au velouté voilé de ses paroles, ce ne peut être qu'une voix de moustachu. Le lycéen me tend le combiné : « Estc-e que vous pensez que je dois... » - ma phrase s'arrête. Trop de témoins vraiment. « …et puis non, c'est trop personnel. » La question s'évanouit. Perd de sa pertinence. Peut-être voudrais-je entraîner un de ces jeunes gens là-bas, près des faïences immaculées – il m'a enculé ? Alors retentit, dans un fracas de Jugement dernier, l'éternuement gigantesque et salvateur d'une femme, la mienne : la seule avec laquelle, et par l'intermédiaire de laquelle, je me suis autorisé à communiquer.

     

    Avec ma fille, et son fils, nous dérivons sur une planche de surf. Le naufrage est grave : aucune mémoire de l'accident qui nous a menés là tous les trois. Certaisn débris flottent encore sur les vagues, une tempête s'est calmée, nous évitons ces planches plus étroites, incapables de soutenir nos poids, pas assez dangereuses cependant pour nous déstabilliser si par hasard nous les heurtons. D'après mon estimation, nous devrions nous rapprocher d'Alborán, l'île de Calypso. Si nous ne parvenons pas à l'apercevoir, nous sommes bons pour le détroit de Gibraltar – alors... Heureusement, nous abordons sur une plage de cette île. Des vacanciers, des résidents, nous réservent le meilleur accueil, nous sèchent, nous réchauffent. Notre installation se confirme : Sonia pourrait se faire inscrire à une école très aérée, très propre. Pour ma part, avec une rapidité notariale étonnante, j'achète une résidence sur cette île, de 500m sur 200 : cet homme possède une bonne corpulence. Il me regarde avec une sévérité qui donne confiance. 292 900 francs, dans les 44 00 euros, ce n'est pas excessif. Mais les vacanciers repartis, ne resteront ici que 21 soldats. Pourtant cet homme inspire ma confiance. Et comme il arrive souvent, la surestimation de moi où m'entraînent les bons traitements m'amène à la plaisanterie : je parle de mon étourderie, ou du destin ; ce brave notaire ne m'apporte-t-il pas son aide à récupérer certains objets personnels, échoués sur l'île après moi ?

     

    Le naufrage en effet rejette des vieilleries, laides et encombrantes, comme une vieille paire de baskets détrempées. Il me trouve amusant sans doute, et c'est avec un bon sourire de condescendance qu'il m'amène au rez-de-chaussée, au salon de réception de l'hôtel. Ma fille et mon petit-fils demeurent dans la chambre à l'étage, se reposant de leurs émotions. Savent-ils nos dispositions mobilières, et scolaires ? S'agit-il vraiment d'Alboran ?

     

    De nuit je me suis éloigné sour les cyprès ; c'étaient des arbres impérieux, mais troués, comme celui du trop peu connu Moonlight d'Edvard Munch (1892). Et moi, je pisssais au pied de cet arbre. Il n'y a rien de plus voluptueux que de pisser, la nuit, au pied d'un grand arbre protecteur. Il y en avait d'autres, de la même espèce, formant une allée. Comme je ne pouvais pas me soulager au pied de chcaun d'eux, mes pas m'ont mené progressivement dans une espèce de parc naturel, occupant une terrasse au-dessus de la mer. Un mur de pierre la soutenait, au pied duquel, sur la plage nocturne, mon épouse m'attendait en compagnie de ses amies : notre naufrage, à présent lointain, et plus encore sans doute la propriété que nous avions acquise, nous avaient attiré des sympathies !

     

    Je me suis mis à imiter les cris des nocturnes ; c'était très réussi, d'autres hiboux ou chouettes se sont mis à me répondre, de plus en plus rapprochés. D'autres vies animales rampaient et grattaient dans l'ombre. Et non pas menaçantes, mais participatives de mon propre destin. Je décidait d'invoques les morts, car il est invraisemblable, impensable, de la plus haute désobligeance, d'imaginer que nous devrions un jour les rejoindre, sans avoir accompli les rites d'approche et de simple politesse à leur égard. Car la matière et l'esprit se confondent, et d'interpénètrent selon des lois qu'il reste à découvrir. «L'occultisme est la science de l'avenir ». Sans que je leur aie donc offert le moindre argent, les morts et leurs esprits sont sortis en troupe compacte d'un cimetière, lointain et invisible, au bout de l'allée.

     

    La déformation de leurs traits, conforme en tous points aux films d'épouvante, ne m'épouvantaient pas, car une certaine beauté en émanait, et l'intention rituelle et parodique en était évidente. Il me sembla opportun et solennel de rassembler tout ce que je savais de langue latine pour m'adresser à eux dans la langue des dieux, langue de l'au-delà. Or, ils m'écoutaient attentivement, mais se rapprochaient, et malgré mon respect je n'en menais pas large, la frontière étant ténue entre les conjurer ou les amadouer. Ils se familiarisaient, et je dus m'efforcer des les congédier. Dieu merci les morts prirent conscience de mon impréparation. ETREIGNEZ-VOUS, LAISSEZ COULER DES LARMES DE DESIR. Ils s'éloignèrent, et de quelle terreur n'eussé-je pas été atteint, pour peu qu'ils se fussent à peine encore approchés ?? NOUS SOMMES DES MILLIONS DE FLAMMES

     

  • La philo c'est rigolo, lo, lo, lo...

     

    Philosopher, ce n'est pas nécessairement prendre un air grave et constipé ! Tenez : le fameux raisonnement du bateau de Thésée. On y change une planche, une volige, un peu du pont, un peu du mât – à la fin, il n'y a plus une parcelle du bateau qui ait appartenu au bateau initial. Pas une cellule de votre corps qui n'ait été changée de puis votre cinquième anniversaire – sauf dans le cerveau, je crois ; et ce tableau, depuis le temps qu'on le restaure, de siècle en siècle, comment affirmer sans rougir qu'il est bien le même que celui du peintre, mort depuis cinq cents ans ? Alors, il faut bien utiliser la notion d'espace-temps, de la cinquième dimension, avec ce problème que le temps a une direction, unique, tandis que l'espace en a autant qu'on veut. Ou bien, si le temps est réversible, nous pourrons voyager, un jour, dans le temps – mais alors, notre passé n'a-t-il pas été façonné par des hommes du futur ? toute une collection de livres et de films a exploré cette dimension de l'imaginaire ; car si nous pouvons voyager dans le temps, c'est qu'il est figé, il n'y a ni demain, ni aujourd'hui, ni demain !

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    Mais alors, nous ne sommes pas libres, tout est écrit, par Dieu ou par les hommes du futur ? Nous nageons en plein d'Ormesson, en pleins clichés, mais ces questions nous fascinent toujours autant, radotage ou pas, et gardons-nous bien de trouver une solution, car nous nous empresserions de trouver encore un problème dans la solution. Au lieu de nous « prendre la tête », agissons, diront quelques sages de bistrot (nous en faisons partie) – oui, mais agir implique des principes, dont nous ne saurons jamais s'ils sont vraiment vrais, ou vraiment faux, ou faussement vrais, au secours ! À quoi bon chercher la vérité, et cette question a-t-elle même un sens ? « Qu'est-ce que la vérité ? » - c'est la question de Ponce-Pilate à Jésus.

     

    Jésus avait la vérité : il a mal fini, si toutefois il a fini. Autrement dit, démerdons-nous, ne soyons ni trop indécis, ni trop péremptoires. Mais ne reculons jamais, petits humains, devant une petite cure de philosophie théorique, même abstraite, métaphysique : elle rejoint très vite nos préoccupations quotidienne. Que le meilleur gagne, et entraîne les autres à devenir ses ex aequo. Car la vie ne saurait être un simple champ de bataille. « Le puzzle philosophique » de Jiři Benovsky, est l' «un des rares livres écrit en français dans lesquels on trouve l’évocation du présentisme et de l’éternalisme". Je cite ici Baptiste Le Bihan : "Le chapitre IV, “Le journal d’Eééédipe” explique en effet que la possibilité des voyages dans le temps suppose l’éternalisme. Le texte est bref et clair. Je vais évoquer un point" dit-il "sur lequel je ne suis pas d’accord avec l’auteur. Celui-ci affirme que l’un des défauts de l’éternalisme est de conduire à un fatalisme (p.103) :  “puisque le futur existe, mes actions futures et mes volontés elles-mêmes sont déjà fixées, et je ne suis donc même pas libre de vouloir autre chose que je ne veux et d’agir autrement que je n’agis !”. Jiri Benovky affirme ensuite qu’une solution pour réconcilier libre-arbitre et éternalisme serait peut-être les espace-temps à branches. Le Bihan n'est pas d'accord.

     

    "Jiri Benovsky aborde quelques grands problèmes philosophiques par le biais de cinq petites histoires, qui renvoient les unes aux autres à la manière de pièces d'un puzzle et nous fournissent l’occasion de discuter du « problème du vague » (la calvitie, la beauté, la vieillesse) », (…) « de la manière la plus claire et la plus charitable possible et à prendre soi-même parti en essayant de construire sa propre théorie. Les théories discutées ici sont difficiles. Mais Jiri Benovsky nous donne le maximum de chances de les évaluer. Rien de moins élitiste et de moins snob que l’activité consistant à offrir à ses lecteurs des raisons, et à s’adresser chez eux à la capacité de raisonner pour en trouver des contraires ou de meilleures. C’est pourquoi ce livre est l’une des meilleures introductions à la philosophie qu’il m’ait été donné de lire. » Pascal Engel.

     

    "Ce livre s'adresse donc aussi bien au lecteur débutant en philosophie, qu'au lecteur plus averti qui aura plaisir à reconnaître, traités dans un style alerte et drôle, des problèmes complexes et fascinants." Plutôt que d'avoir infligé aux auditeurs nos réflexions aigres-douces d'ignorant mécontent de se faire déranger dans son petit confort, nous n'aurons donc fait que reprendre à notre manière, ou de citer, les critiques compétents de ce "Puzzle philosophique" dû à Benovsky, né en 1978, enseignant à Fribourg en Suisse, et dont les cours doivent être passionnants

     

  • Elèves, parents d'élèves, etc.

     

    La fille Démonacci (prononcer à l'italienne!) qui découvrit à la classe toute la sensualité de Senghor, lorsqu'il décrit la pirogue ouvant l'eau de son sillage qui se ferme derrière elle ; ravie des allusions de Moil'Nœud, l'année précédente, à la masturbation clitoridienne. Cette jeune fille est devenue infirmière ; je lui ai fait dire par sa mère, croisée entre deux caddies, que j'aimerais plus tard être soigné par elle. Je me souviens d'Eulalie Zino, névrosée géniale, capable de se taper 18 en première, absente incessante mais bachelière haut la main. Tant de fantômes si vivants, désormais sur la pente décroissante de leur vie. Tant de visages dont le nom m'échappe - combien de personnes croise-t-on au cours d'une vie ? une nuit dans la ville de Tulle, seul et tous hôtels complets, je me suis répété à haute voix les noms et prénoms de toutes les personnes qui avaient croisé mon existence ou celle de mes parents ; la liste était innombrable.

     

    Je ne cessais de parcourir la ville, remontant, redescendant, m'épuisant sans en avoir conscience.

     

     

     

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    Ils ont été bien tolérants, finalement, les pères et mères, de m'avoir supporté comme ça... Pourquoi est-ce que je voulais attirer leur attention ? “Qu'est-ce que vous voulez dire à vos parents ?” me répétait Ingolstadt, psychiatre freudiste d'Ankara. Les parents d'élèves étaient mon cauchemar. Il y eut à ce sujet un article dans Le Monde : si un passager venait diriger l'avion, si un patient voulait superviser une opération, on les enlèverait de là et on les renverrait à leur incompétence... J'étais remonté à bloc contre eux...C'est le moment de rappeler Volterreau, qui vint me voir un jour, l'œil tout illuminé, le teint enflammé, me réciter ce que lui avaient seriné ses parents : que j'étais son professeur, que je pouvais paraître bizarre, voire complètement fou, mais que je représentait l'autorité professorale, et que ma fonction requérait de tous les élèves le respect absolu, l'amour et l'admiration. L'escalier Saint-Charles, mi-parti.JPG

     

    Il semblait si joyeux de me tenir au fait de cette vigoureuse mise au point familiale, si soulagé de se voir ainsi solidement recadré, protégé, solidifié, que m'en déclarai fort satisfait et le renvoyai tout rasséréné, sous son auréole. Il tint parole, demeura loyal, et travailla de son mieux toute l'année scolaire. En 67à St-Blase le père Latuile, parce que son fils ne devait pas être « désobéissant ». C'était lui que j'avais laissé baguenauder à la fin de la dictée, le nez en l'air et sûr de son zéro. A la fin, à une faute par mot oublié, il s'en était tapé une somme astronomique, aux rigolades de toute la classe, la sienne comprise ; je faisais des farces. "Pas assez sévère pour un prof de français".

     

    Tintélian 2016 : aucun souvenir, aucune protestation. Et pourtant j'ai puissamment déconné. Plusieurs fois je leur ai fait « permanence », carrément, lisant le Canard les pieds sur mon bureau. La Censoresse m'a surpris comme ça. On me conserve parce qu'on me croit proche parent d'un inspecteur général d'arts plastiques. Après tout, la censoresse était bel et bien la maîtresse du proviseur...Un jour ce dernier vient dans ma classe, flanqué de l'Inspecteur d'Académie convoqué par lui : un original qui faisait son jogging en toutes saisons à six heures du matin. Un rigolo. Un farfelu, un frangin, qui ne me jugea pas plus farfelu que lui : mon cours fut excellent, il repartit dans le couloir en répétant avec ravissement “que diable allait-il faire en cette galère ?” ...un malade, comme moi. C'est cette année-là que j'ai rencontré le « divin frère » O'Storpe, que j'ai connu là-bas avec ses cheveux longs ! Quand je dis « cheveux longs »... Il ne «leur » fallait pas grand-chose... D'abord nous nous observions, puis nous nous sommes abordés. Il en fut de même entre Noirs, au collège de Varignac : « C'est chouette, on a deux profs black ! » disaient les élèves. Au début, ils se sont évités, puis considéré avec méfiance, puis la force des choses s'imposa, et ils sympathisèrent.

     

    L'un des deux s'appelait Répétalo. Je lui fis un jour décrocher un téléphone imaginaire : « Et maintenant, répète «  Allô ».  Il a reposé l'appareil, brusque, méprisant... Il a récité à table, à voix basse, ses prière musulmanes. J'ai dit « Amîn », il a discrètement acquiescé. Il faisait cours sur la négritude au début de chaque année, de façon que les élèves appréhendent bien ce que c'était que d'être Noir, ou Blanc. Je regrette aujourd'hui de ne plus avoir d'ami de couleur. Gambriac : M. Lageot dit que je fais faire à la maison tout le travail qui n'a pas été fait en classe. Je demande au gosse dans quel village il passe ses vacances dans la Nièvre, il refuse de me le dire crainte de me voir débarquer (crainte justifiée d'ailleurs).

     

    C'est lui qui n'obtenait que dix, et dont le père s'inquiétait : « Laissez-le donc à 10, puisque cela suffit ».

     

  • Amadeus, accelerato

     

    Les rires de Tom Hulce :« du métal rayant du verre », écrivait un contemporain - ponctuent le film Amadeus de Formàn comme autant de ruptures obscènes, montrant à la fois une explosion de joie animale, une extrême sensualité, une ridiculissime bouffonnerie ; une joie de vivre hystérique, une intense fêlure d'angoisse, la soudaine remontée en surface d'une incontrôlable pulsation tellurique, sismique, volcanique. Nul n'a enregistré bien sûr le rire de Mozart : ici, un véritable hennissement, complètement niais, attachant pour certains, parfaitement exaspérant et ridicule pour d'autres – qui n'hésitent pas à le qualifier de "parfaitement con". Pourquoi ce rire trouve-t-il sa place en ce MORS, MORTIS ? Parce que "l'homme est un bouffon qui danse au-dessus d'un précipice" dit Pascal, ce qui s'applique très particulièrement à notre héros, mais surtout parce que les six séquences où éclate ce cri d'enfant ou de bête furent rassemblées, condensées, juxtaposées dans une séquence vidéo exceptionnellement glaçante : on les entend à la file, en accéléré, puis la dernière scène laisse entendre l'horrible et trivial glissement de la dépouille du génie, coulissant du cercueil à la fosse, dans un nuage de chaux.

     

    L'épouvantable contraste accélère à ce point l'existence du génie que nous éclatons d'un irrépressible hurlement d'hilarité nerveuse, et nous sentons "le serpent froid" s'enlacer autour de notre échine. Et nous nous rappelons cet atroce refrain de Robert Lamoureux – paroles de Mouloudji :

     

    "Tu n'es qu'un maillon d'la chaîne

     

     

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    Tu n'es qu'un moment d'la vie

     

    Un moment de joie de misère

     

    Et puis on t'enterre

     

    Et puis c'est fini."

     

    ...Quant à l'enfouissement dans la fosse commune, il est à mettre dans le même sac que ce fameux chien de Mitterand qui suivait le cercueil de son maître, par ce qu' "il voulait un os" - bon, je sors - Mozart fut en fait enseveli de façon parfaitement honnête, dans une tombe communautaire de seize places (les cimetières de Vienne étaient surchargés), en troisième classe, comme tout le monde : sa veuve désespérée (qui n'assistait pas aux obsèques, ainsi que le faisaient toutes les honnêtes femmes de son temps) n'aurait pu payer plus, soit aux environs de 11 florins. Le cercueil, en effet, pour ce prix-là, était réutilisable... Les croix et inscriptions étaient interdites, par manque de place. Et puis, en ce temps-là, bien plus humble et religieux que nous n'imaginons, cela n'avait aucune importance, surtout pour Mozart lui-même, franc-maçon comme on sait.

     

    Ce n'est guère que depuis deux siècles que nous accordons une grande importance aux tombes et à leur visite. Cette coutume est d'ailleurs, si l'on peut dire, en perte de vitesse. Beethoven, Brahms, ont leurs tombes, dans le "carré des musiciens" du cimetière de Vienne, à visiter de préférence un jour de vent et de neige. Mais Wolfgang, "La trace du loup", n'a pour nous émouvoir qu'un cénotaphe, un "tombeau vide".

     

  • Sept heures

     

    Sikonomè, plinomè, dynomè : je me réveille, je me lave, je m'habille – tel est le Mané, Thécel, Pharès de mes journées. Tout y est déjà emballé, pesé, divisé. C'était un vendredi, de temps beau et lourd. Et plus rien n'en reste. Il a fallu se justifier de vivre, comme je fais chaque matin. Flairer les gants de toilette pour témoigner de leur propreté. Supporter les longs réveils marécageux de ma moitié, que j'aime plus que je ne crois. Et jusqu'à seize heures, travailler à des choses qui ne seront plus. Enfin seize heures vinrent, et je dus m'enfourner dans un bus. 25 minutes planté au soleil à lire, après avoir passé de mortelles minutes à peindre un grand volet en bleu grec.

     

    Belle chose que les trajets en bus. Je ne cède pas ma place aux femmes, estimant suffisant qu'elles aient de la beauté : l'une d'elle accusait ses plus de soixante ans, avec une peau dorée comme une croûte à pain. Blonde platinée, grande bouche et poitrine discrète. Près d'elle sa fille assurément, noire de cheveux, noire de lunettes, avec une grande ressemblance de bouche. Des liens affectueux les rassemblaient, malgré leurs coquetteries respectives. On se parlait beaucoup dans ce bus-là : une sexagénaire à dents proéminentes expliquait à deux Noires qui n'en pouvaient mais ses goûts culinaires et la répercussion qu'ils avaient sur ses digestions, comme si c'eût été la chose la plus intéressante du monde.

     

     

    Quand le bâtiment va....JPG

    Et le chemin roulant se prolongea, cahin-caha, non sans l'appel de ma douce et tendre, qui s'informait de l'état de ma progression. Mon grand plaisir dans ce cas est de jargonner un mélange de mauvais boche et de mauvais hébreu, comme si c'était la chose la plus intéressante au monde. En descendant, la mère blonde et la fille brune échangèrent une phrase ou deux en mauvais espagnol, pour bien montrer qu'elles aussi, ma foi, valaient le détour. Pendant ce temps je lisais. Je lisais si bien Les gens heureux lisent et boivent du café que je manquai ma correspondance et descendis "Bourse du travail" : ligne 4 ? je l'ai cherchée sous le cagnard, en aval, en amont, en vain, en trente.

     

    S'ensuivit une marche bien rude vers le cours d'Albret, soleil, poids du paquet, arrêt, attente encore, des gens, des gens. Cela prit encore du temps. Parvenu à l'arrêt Lewis Brown à 17h 43 (départ à 16h), j'imaginai d'utiliser ce petit laps à sa mémère pour poster mes atroces Singes Verts, plus un manuscrit aux éditions de l'Olivier, qui ne publient absolument pas de recueils de rubriques radiophoniques : mais il faut bien faire marcher le commerce ! Et l'émission commença, sans retour de casque, avec maints cafouillages : disques annoncés qui ne partent pas, titres remplacés par d'autres. La décision de rester un enfant se paye par une éternelle inefficacité, une éternelle incompétence : "Tu n'as toujours rien appris en plus de vingt ans de radio ?" Rien, mon ami : m'y connaître "en technique" me semblerait de la plus parfaite platitude, de nature à ternir mon bel esprit d'enfant tout neuf. Comment y remédier ? En habillant mes défaillances de bouffonneries verbales, ainsi que j'ai toujours fait. Daniel Ilyak, disque 7, ne marchait pas : tant mieux ! Indochine s'était pourvu d'un remixage poétique pour Trois nuits par semaine, un merveilleux mélange de Philip Glas et de Manset : quelle excellente surprise ! Et j'ai lu tout mon baratin sur Lourdes, de Zola, en articulant bien, en variant les tons mais sans trop, en diminuant la place de mes propres élucubrations, celles que je signe de mon nom dans Le singe vert.

     

    Le retour s'effectua mieux. Deux sœurs affectueuses ou gouines se battaient à coups d'avant-bras sensuels, effleurant leurs seins et leurs hanches : égarées par le désir, exhibitionnistes, comme si c'eût été. Je lisais. Changement à Gambetta. Je lis toujours. Et puis, rue Judaïque, autre sonnerie de téléphone : David me demande de descendre immédiatement, il vient me chercher avec ma propre voiture qu'il a enfin et pour la nième fois réparée. Cela prolongera mon supplice voyageatif. Mais quel plaisir n'aura-t-il pas de me démontrer que mécaniquement, cette fois, tout va bien...

     

  • On respecte les vieux corps

     

    Un oiseau dans le ciel, de Félicien Marceau alias Carette, présente la particularité, si l'on joint par une courbe inférieure la majuscule I à la majuscule E, ce qui en barbouillant bien forme un U non moins majuscule, de transformer le titre de la prestigieuse couverture NRF – GALLIMARD en ceci : « Un oiseau dans le cul », et c'est bien tout ce que mérite cette détestable production de notre académicien français né en 1913, et de la mort duquel nous n'ouïmes point parler, ce qui lui fait cent ans tout rond. Il ne s'agit pas ici cependant de galipettes homosexuelles, mais hétérosexuelles : un nommé Nicolas de Saint-Damien, après avoir convolé en justes noces catholiques avec une certaine Sibylle de Fauquembert, décide de jeter sa gourme et de partir à l'aventure, et quoi de plus aventureux que d'exercer la noble profession polyglotte de garçon d'étage dans un grand hôtel.

     

     

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    Heureusement qu'il existe un résumé en quatrième de couverture, car nous avions tout, tout, tout oublié. On nous parle d'humour et de légèreté, je répondrai platitude et insignifiance. Peu nous chalent et non pas peu nous chaudent, M. Defalvard comme ignare mais avec un d, les mésaventures de ce rejeton de l'aristocratie style Lorant Deutsch ou Dantzig : il papillonne, virevolte, s'envoie des femmes ou ne se les envoie pas, tombe amoureux ou non, rencontre des types humains très typés des deux trois ou quatre sexes, et tout est bon à plaisanterie, hihi haha, dans une langue d'autant plus académique (forcément mais second degré please) que le sujet en est plaisant, c'est-à-dire grivois ou coquin, c'est du Palmade moins la profondeur autant dire qu'il ne reste rien, c'est du Lemoine moins la rosserie même remarque, c'est du Cauet moins la vulgarité populacière autrement dit plus rien, c'est évanescent, frivole, joli, paillette sans prestige, et ça veut nous faire rire.

     

    On pourra trouver cela champagne et pétillant, typiquement français ou parisien ou rouennais pourquoi pas, il n 'y a pas de Sotteville, mais en me battant les flancs jusqu'aux côtes je ne puis rien trouver sinon légèreté, insouciance, inexistence, évaporation, absence totale d'ambition, et le seul mérite de cet « oiseau dans le... ciel » semble la peine qu'a prise l'auteur, Monsieur Félicien Marceau, pour en écrire plus de 250 pages, bien en vain. Je compte vous faire entendre La chèvre de monsieur Seguin par Alphonse Monmoulin, aussi serai-je bref, car trop d'esprit tue l'esprit. Le passage de ce roman ne met pas en scène le Nicolas de Saint-Damien, mais un certain Joséphin, qui, lui, n'est pas parti, n'a pas connu la liberté, du moins je crois, car les figures transparentes de ce jeu léger ne m'ont pas le moins du monde accroché les atomes : aussi, ne me demandez pas qui est ce Joséphin, ni les rapports qu'il a bien pu entretenir avec le héros, je l'ignore. Boris Vian, à la bonne heure, sait être drôle, voire désopilant ; mais on sent quelque chose et quelqu'un chez lui. Ici, je n'ai senti que la liberté mal utilisée ; mieux vaut l'esclavage fécond en un seul mot - voilà que je m'y mets moi aussi. Donc :

     

    « Mais, de tout cela, de Nicolas, pas un mot. Ou plutôt, si, ce qui était peut-être pire, à un détour de la conversation, il en avait bien été question, mais incidemment, comme de quelqu'un qui serait sorti pour faire un tour ou qui aurait dû aller passer quelques jours à Fontainebleau. Arrêté, tant sa stupeur était grande, sur le trottoir de la rue Barbet-de-Jouy, Joséphin n'en revenait pas. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Était-ce sa faute ? Avait-il erré par quelque endroit ? Le soir même, dans un café où ils avaient leurs habitudes, il s'en ouvrit à César. » Pour celui-là, je m'en souviens, je l'ai lu tout à l 'heure : c'est un charmant Noir bien jeune et bien géant qui a remplacé Nicolas dans son appartement, pour le plus grand bonheur de la logeuse : car, ne l'oublions pas, à peine marié, ce dernier s'est loué son studio d'étudiant, puis, donc, l'a quitté, pour aller, parfaitement, travailler – et en Angleterre s'il vous plaît. « Eh bien, lui, César, ça ne le surprenait pas du tout » reprend l'auteur. « Tout ça, à son sens, c'était du social et il s'étonnait que, méticuleux comme il l'était sur cette question, Joséphin ne s'en fût pas avisé. Selon lui, César, le chagrin, l'inquiétude, l'anxiété, et précisément parce qu'ils étaient des sentiments naturels, ne pouvaient apparaître dans toute leur plénitude ou, du moins, ne pouvaient s'exprimer avec force que dans les classes sociales restées naturelles, à savoir les travailleurs, tandis qu'au contraire, au fur et à mesure qu'on montait dans l'échelle sociale, ces mêmes sentiments étaient de plus en plus contenus et bridés ppour en arriver enfin à l'échelon suprême, celui des rois où, par la formule « le Roi est mort. Vive le Roi », apparaissait avec évidence qu'au chagrin du trépas il fallait immédiatement.substituer l'allégresse de l'avènement. Ouf ! » Le « ouf » est dans le texte, Félicien Marceau s'autopastiche, et traîne de longues phrases circonstancielles pour énoncer des légèretés : ne voyons dans ces remarques sur les classe sociales aucune allusion à Tolstoï, qui pensait à peu près la même chose mais faisait, lui, dans le sentencieux. « (Mais avec César », poursuit notre auteur, « c'était tout l'un ou tout l'autre. Ou il pouvait rester une heure sans se manifester autrement que par son sourire à soixante-quatre dents » - forcément, un Noir - « ou il se lançait et il eût fallu l'assommer pour le faire taire