Proullaud296

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Paranoïa d'Espagne

 

ZAMAN 5 été 2050

 

Je hurlerais, sur tous les tons : ASSASSINS ! ASSASSINS ! ASSASSINS ! contre tous ceux (contre tous) qui m'auraient fait obstacle même imaginaire, accumulé à longueur du temps dont le tort unique est je passe, retour du Moi d'Avant, du Moi Faux-Juif assimilé ? banalisé, fondu, ou mis-à-part, tous funambules conformistes ou fous, philosophe ou révolte – contre le temps le temps surtout déterminant de l'homme. Les animaux n'ont pas la notion du temps. Mais ils se souviennent des mauvais tourments (ma vie d'avant vécue par d'autres solution de continuité d'où dis continuité – qui peut savoir ce qui passe dans le crâne du chat, de l'hippocampe – la puce ?) - nous, c'est le temps, l'espace.

 

L'animal a conscience de l'espace. Pourtant la tortue, l'insecte, confient au sol leurs petits ; je reçois à mon bureau, petit et sombre au fond d'une salle basse, des paquets de romans par dix.

 

 

 

CABAÑAS DE VIRTUS / LEÓN Y CASTILLA 09 04 2050

La vieille caserne oubliée.JPG

 

 

 

 

J'ai oublié chez moi les précieux plans d'écriture.

 

Me voici bloqué dans le vent et le brouillard à 900 mètres d'altitude, près des "Cabanes de Vertu", à l'autre bout du plan d'au de Reinosa. Comble d'aventure pour un bourgeois ! L'air glacé circule autour d ema voiture-charançon, le froid aux genoux se supporte encore, dans mon pantalon d'été. Ce qu ej'ai vu jusqu'ici : Pampelune et ses vierges, Bilbao et son Musée Guggy, Santander et ses trois rues à putes, en pente. Les pensées vont et viennent. Première série : 1963, voyage à Reinosa, ramené par la Guardia Civil à minuit. C'était la première fois qu'ils me voyaient, les Martinez: un demi-fou, tête baissée, hagard.

 

Ils ne m'ont pas fait de réflexions, ils m'ont conduit à ma chambre, qui tétait celle des deux frères. Je pissais dans un vase de nuit, que la mère, énorme, vidait le lendemain matin. Quand elle disparaissait dans les cabinets, derrière la vitre cathédrale, on devinait qu'elle se retournait, puis s'asseyait dans un gros retroussis de jupes. Elle devait toucher les quatre parois à la fois. Je n'allais jamais là de nuit : j'aurais dû réveiller tout le monde, nous étions sept dans un minuscule appartement. Ma correspondante, Teresa, était blanche et molle. Sa petite sœur, semée de taches de rousseur, ne connaissait rien à l'amour, et je touchais sa cuisse tout au long de la mienne autour de la table.

 

Je n'ai risqué la main sous la nappe qu'une fois, crainte que la petite sœur n'éclatât tout à coup d'un de ces terribles mots d'enfants – pourquoi il me touche comme ça le Monsieur ? A quatorze ans, elle restait d'une naïveté incroyable. Elle apprenait, paraît-il, le français. J'ai suivi ligne à ligne le livre scolaire qu'elle épelait. Si je n'avais pas suivi sa lecture mot à mot, il m'eût été impossible de reconnaître ma propre langue. Je l'ai dit à tous, personne ne m'a cru. "J'exagérais". D'ailleurs je me retirais souvent dans un petit renfoncement formant saillie sur la rue, un de ces oriels sur plusieurs étages dont il y avait tant à Reinosa. Coincé entre deux plantes vertes, et croyant faire coup double, j'apprenais le portugais...

 

Je fus bizarre, désagréable. La tolérance de ces gens fut proprement incroyable. Aucun ne manifesta à mon égard la moindre restriction. Teresa me fit simplement observer une fois que je disais toujours des profundidades. Même en France en effet je prenais souvent des mines pédantes, afin de bien exhiber la différence qu'il y avait entre ces jeunes gens si ordinaires et moi-même. Je ne m'en rendais pas compte ; cela vient après coup. La honte en est irréparable. L'un des articles de mon Credo était quetout enfant de dix-neuf ans (n'oubliez pas qu'en ce temps-là, le français n'était majeur qu'à 21 ans ; en Espagne, sous Franco, à 23 ans pour les garçons, 25 pour les filles) normalement constitué, semblable donc à moi, devait infiniment souffrir de vivre chez ses parents, qui ne savaient que le brimer. Aussi je m'efforçais par tous les moyens, par toutes les llusions, d'éveiller la haine ou du moins la méfiance des deux filles envers leurs père et mère, auprès de qui les deux sœurs se sentaient le mieux du monde. Les grands frères, âgés de 23 et 25 ans, ce qui pour moi était immense, n'éveillaient en moi aucune curiosité ; il en fut de même pour eux : ils rentraient tard le soir, après une tournée de cinéma ou de bistrots (quoique je n'aie jamais senti sur eux les moindres odeur d'alcool ou titubation suspectes), pour occuper les deux autres lits, superposés, de la pièce, depuis leur enfance assurément.

 

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