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Amiel

 

La divinité floue.JPG

 

 

Impossible de se procurer dans son intégralité le Journal d'Amiel, qui fut retiré des usuels de la Bibliothèque municipale, faute de consultants sans doute, et sous la pression des utilitaristes. N'ayant ni la volonté de poirotter indéfiniment pour obtenir enfin, du but des lèvres, communication du tome 1 au guichet, ni le goût d'une dépense effroyable, ni le temps nécessaire pour tout lire alors que j'ai 68 ans bien sonnés, je me contente des articles de la Toile, et cesserai sitôt achevée la consultation de la première page de ce répertoire. Voici ce que je pense : d'abord, comme l'auteur, j'admire (bien ironiquement) ceux qui peuvent ainsi donner leur opinion sans mélange et sans hésitation.

 

Cela m'arrive, mais je n'en fais plus gloire. Les goûts changent avec le temps et les humeurs, chacun peut vérifier cela, malgré le nombre croissant de dogmatiques. Amiel m'attire, je reconnais en lui un grand style, clair, une grande sincérité, une honnêteté à toute épreuve. Il a vécu à l'intérieur, une vie de femme dit-il, sans s'impliquer dans le monde extérieur. C'est devenu, par dépit, ma vie aussi : je conçois parfaitement la grandeur utile d'un long séjour dans ce bac à sable intitulé pompeusement « la Vie », où chacun, hurlant dans sa culotte courte, distribue les coups de pelle, et pan un coup de râteau, et pan un coup de seau, et c'est moi qui ai la plus grosse, et c'est moi qui pisse le plus loin – non, merci. Je n'étais pas doué, j'ai toujours été faible, plaintif et orgueilleux.

 

Mon bac à sable personnel me suffit, j'y rencontre autant d'adversaires, et je ne parviens pas à comprendre si cela m'avantage ou me nuit. Gagnebin écrit sur Amiel : Bernard Bouvier publie une édition du Journal d'Amiel « selon des principes tout à fait différents » - l'année 1857 existe en édition abordable. Mais c'est tout, ou rien. « Il s'agit dans ces milliers de page de « choisir assez librement pour que le Journal intime reprenne sa physionomie naturelle, sa diversité dans la monotonie, plutôt qu'une variété concentrée dans une unité artificielle » - assurément, monsieur Bouvier. Rien ne vaut dans ce cas le carottage podologique, sans apprêt. Or la suite de votre propos dément ce que vous venez de dire : « il s'agit de « choisir les parties négligées ou interdites du manuscrit », des fragments destinés à enrichir, à rendre plus vraie et plus vivante la figure de l'auteur. » Nous rappelons que Gagnebin cite Bouvier, et que nous commentons le tout...

 

Ainsi donc, le journal serait un terreau commun à tout homme, et nous devrions nous attacher à la figure, forcément sympathique, d'Amiel, universitaire genevois. Pourquoi pas. Ici se présente une aporie : celle de l'individu, de savoir s'il existe. Mais nous avons déjà remué cet insoluble problème, et voudrions poursuivre notre route. Il est fort commode en effet de se jeter dans les jambes un obstacle connu, un tacle, afin d'étouffer toute découverte. « L'édition Mercier-Schérer avait révélé le critique littéraire, le moraliste, le psychologue, le peintre de paysage ; » le voici pourvu de bien des qualités : le genre du journal serait donc plus différenciant que prévu. Il serait à la fois révélateur d'universel et de particulier. Nos découvertes en vérité progressent. « L'édition Bernard Bouvier étendait son champ aux confidences amères ou irritées d'Amiel sur sa famille, sur Genève, sur l'enseignement académique, à ses relations féminines et aux contraintes du célibat, à ses observations sans cesse renouvelées sur son moi. » En effet, les prédécesseurs avaient soigneusement gommé tout ce qui pouvait déplaire, mouvements de découragement, réflexions moroses ou négatives.

 

Se révèle donc ici la curiosité de tout lecteur, à savoir le mauvais côté des choses, la critique voire la satire, et les détails croustillants sur la vie privée (masturbation, nombre de poils du cul). Car, soyons honnête, nous ne lirions les dizaines de pages monotones que dans l'espoir de tomber sur de la colère ou de l'érotisme. Il ne s'agit plus d'édifier, mais de soulever le toit de soi-même comme Asmodée ou Asmoth dans la Bible le faisait chez les autres. Ce qui fait l'individualité de l'homme, c'est finalement la friction de cet homme contre la société, ses aigreurs, ses relations agréables ou non, en somme, l'anecdote, l'évènement, le vécu. La vie, dont le journal veut retrancher son auteur.

 

« Néanmoins elle ne fournissait encore aucune idée de l'allure véritable du Journal intime. » Mais Gagnebin va nous arranger tout cela : il publiera, je l'espère, le journal en bloc, ses rocs et son sable, ses marécages et ses redressements de tête. Alors demandons-nous ce que nous faisons là, gloseur de glosateur, au lieu d'acheter tout simplement le tome 1. Nous ne parviendrons pas à bout du tout. Nous recommencerions le grand enlisement des Mémoires de St-Simon, dont nous savons pertinemment que le temps nous interdit l'achèvement. Enfin, Cabanis vint, St-Simon l'admirable, et nous le lûmes deux fois, ne nous en apercevant qu'après la seconde lecture. « J'ai comparé », nous dit Gagnebin, « les fragments retenus par Bernard Bouvier avec le manuscrit d'Amiel ». Nous n'en doutons pas. « L'éditeur a supprimé tous les petits faits qui meublent l'existence de l'homme : ses lectures, ses causeries dans la rue, ses visites quotidiennes à des amis, car Amiel ne saurait passer seul une soirée. » Moi non plus : il me faut ma télé.

 

Commentaires

  • "Sincérité" ? "Honnêteté" ? c'est quoi, ces trucs ?

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