Proullaud296

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Tentatives de fuite

 

Je pense aussi : pour les gens de mon espèce agir n'est que penser plus fort. Je ne me suis jamais assis sur un tracteur. “Hamri, Hamri”, répète Paziols. Il veut se replacer sous lui. Or Hamri n'a aucun sens politique. Pas plus que celui du massacre. Qu'est-ce qu'il vient foutre à MOTCHE ? Longtemps j'ai cru que la “névrose” se soignait par des “entretiens”. J'ai joué les dingues de mon mieux, j'ai tiré sur les chèvres, puis Hamri m'a investi, puis Hamri m'a oublié. Il disait si l'on se cannonne si l'on se mitraille c'est qu'on n'a pas assez baisé.

 

Pochoir.JPGElémentaire, Sidi Hamri. Qui disait aussi :”N'interrogez jamais les femmes ; pour elles les couilles ne sont jamais assez coupées. Les lois de la chasteté, promulguées par les hommes – sont en fait inspirées par les femmes trop heureuses d'abolir la pénétration” - etc., etc. - aussi le Docteur Hamri ne soignait que les hommes. Si je sors un jour d'ici j'irai retrouver les femmes du Palais. Hamri soudain devant moi m'investit d'une mission : et de deux. “Tu quitteras la ville” dit-il, “tu te rendras sur l'île de Djiz où sont cantonnés les renforts.” Je n'en ferai rien, de par tous les diables, je n'en ferai rien.

 

Le lendemain sur le port je me retrouve en civil avec ordre de mission pour le Haut Commandement. L'île est cernée par les Syriens, les tirs interdisent tout débarquement. Le bateau est sous pression, nous fuyons. Paziols me suit comme un ombre bardée de cartouchières (“Tu fais ton malin. - Ta gueule”) tandis que trois individus vêtus de gris nous filent sans même prendre la peine de se dissimuler. Nous franchissons à bonne allure trois barrages de tirs sans convictions, par le hublot de ma cabine j'aperçois notre ville doublement cerclée de fer (la mer, la terre). Le bruit des machines couvre le fracas probable d'une explosion qui ravage d'un coup tout le Front de Mer de Motché.

 

Sur le pont une foule soudain apparue au milieu des valises manifeste une joie indécente ; les cris des passagers qui s'étreignent laissent difficilement comprendre s'ils se réjouissent d'y avoir échappé - ou bien d'assister ainsi sans risque au massacre d'une faction rivale ; je saisis dans les hurlements que la seconde hypothèse est la bonne. Vers la proue éclate une violente bagarre. Au-dessus de nous l'air se déchire, une volée d'obus creuse par-devant de profondes gerbes de mer, tous suspendent le combat et se précipitent dans l'entrepont. Des vedettes nous encerclent dans leurs sillages : “Restez sur place” - les haut-parleurs retentissent - “restez sur place !” - des mitrailleuses lourdes fixées sur le pont même se tournent vers nous, leurs trépieds bien fixés. “C'est pour moi ?” crie Paziols.

 

Je lui défonce les côtes d'un coup de coude, les filochards en gris nous collent à la peau, notre ignorance est grande. Des passagers se font rembarquer par petits groupes. Voici que nos espions nous adressent la parole avec la plus extrême déférence, se déclarent prêts à nous escorter “au Djiz” - il ne reste plus que 4 passagers. Tout s'est passé très vite. Les hommes gris enlèvent leur chapeau. Ils ne souhaitent nullement la paix. Bien au contraire ils se vantent, le premier d'avoir tué trois membres de sa belle-famille “en protestation contre [s]on divorce”; il revient de Bulgarie et s'exprime en anglais.

 

L'autre espion raconte en éclatant de rire qu'il a vidé son chargeur contre une maternelle. “I am Greek”, nous dit-il. Son anglais est pire que l'autre ; il précise qu'il n'y avait personne à l'intérieur de l'école. Je lis dans les yeux de Paziols qu'il les trouve insupportablement niais ; nous leur sautons dessus, nous les ligotons, nous les enfermons. “Ces hommes-là dit Paziols ne sont pas de ma race.” Le navire ne porte plus que nous quatre, et l'équipage. Il se dirige à bonne allure vers le nord-ouest : nous serons le soir-même à Mëspëlë. Le port pacifique aura mis ses lumières, les putes nous attendront dans les rues renfoncées.

 

Ce sera la paix. En attendant ce moment béni où je m'agiterai entre les cuisses des femmes, je descends aux cales pour surprendre les confidences des assassins gris. “Je regrette de ne pas être une femme”, me confie le premier au milieu de ses liens. “Je n'aurais pas été arrêté, je n'aurais pas tué.” Je le détrompe. Il me répond avec mépris que “les femmes ne décident pas”. L'autre, ligoté lui aussi, dévide une lassante justification : les enfants sont son obsession ; il regrette de n'avoir provoqué que des blessures, chez des passants. “Même pas un mort”, regrette-t-il. Les enfants lui couraient après en le traitant de fou. “Les adultes au moins, dit-il, respectent les différences.” Je dis : “Vous êtes à fond de cale, et je suis libre ; c'est une différence”. Sur le port le soir tombe.

 

Les lumières tracent les avenues, d'un quartier à l'autre. Ni barrage, ni couvre-feu. Les voitures circulent. Nous tendons nos passeports au bas de la passerelle. Un employé au crâne nu nous retient quelque temps à son bureau, sous un ventilateur : “Les putes sont en grève.” Drôle de pays. Dès que nous avons pu ressortir, nous avons constaté une agitation qui nous semble, à nous , extraordinaire : des passants qui courent en évitant de se heurter, des automobiles qui roulent en bon ordre, des panneaux lumineux – une vraie ville ; alors j'ai eu conscience de la mort.

 

Paziols s'assoit sur le trottoir à hauteur d'essence, les passants le contournent en grommelant, il me dit que nous allons chercher l'hôpital, “pour trouver ton fils” dit-il. Pourquopi pas en effet. Mais je me demande quels renforts Hamri nous demande de contacter. Pourvu que ce ne soient pas les mêmes que les nôtres. Nous serions ridicules. dit Paziols. Il se lève d'un coup : “Regarde !” Les policiers Yahouds arrêtent sans ménagement un homme grand et brun - je vois mon fils partout ; tout homme qui se fait arrêter est nécessairement mon fils. Les Yahiouds le font monter dans une voiture à grands coups de matraques.

 

Ce sont eux qui ont bombardé l'hôpital de Hamri, à Damas. Ils sont partout. “Tu n'écoutais donc plus la radio ? - Plus depuis toi, Paziols. - Les Yahouds se sont emparés de toute la partie sud de l'Ile de Djiz. Des pourparlers d'annexion sont en cours.” Nous nous mêlons à la foule sans nous asseoir, ni sur un rebord de trottoir ni ailleurs, des policiers yahoudi parcourent les rues grouillantes deux par deux, avec leur casque colonial et leur long bâton blanc ; les filles qui ne font pas grève posent dans les vitrines. On ne nous frappera pas dans le dos.

 

Paziols est véritablement fou ; il défonce une vitrine d'un coup de coude et retombe à l'intérieur avec la fille. Je saute à même le verre pour les ramasser. L'alarme fait un bruit d'enfer contre mon tympan. La foule indifférente. La fille reste au sol, assise, la main sur l'oreille. Une porte intérieure nous engloutit.

 

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