Proullaud296

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der grüne Affe - Page 137

  • Quatre citations bien senties

     

    2441.- Nos villes sont les usines où on nous prépare ; les familles, les écoles et les églises sont les abattoirs de nos enfants ; les collèges et les universités sont les cuisines. Adultes, mariés et dans les affaires, nous mangeons le produit fini.

     

    Ronald LAING

     

    Politique de la famille 3."Opération"

     

     

     

    2442. - Après ce sacrifice presque complet de ses sentiments sur l'autel du conformisme, on se sentira sans doute "vide", mais on peut essayer de remplir ce vide avec de l'argent, des biens de consommation, une situation, du respect, de l'admiration, ou l'envie de la réussite des autres. Tout cela, joint à un ensemble de distractions, autorisées ou obligatoires, sert à distraire l'individu de sa propre distraction, et s'il se sent surmené ou déprimé, il existe d'autres lignes de défense parfaitement approuvées, drogues, stimulants, sédatifs, tranquillisants, qui le déprimeront encore un peu plus, de façon qu'il ne sache pas à quel point il est déprimé, et qu'il soit en mesure de manger et de dormir exagérément.

     

    id. ibid.

     

     

     

    2443. - Sanabimur, si separemur modo a coetu.

    Nous serons guéris, dans la mesure où nous nous séparerons de la foule.

    Café de l'Avenir.JPG

     CAFE DE L'AVENIR BIEN SÛR...

     

    SENEQUE

     

    De la vie heureuse

     

     

     

    2444 . - A présent, laissez-moi, je vais seul.

     

    Je sortirai, car j'ai affaire : un insecte m'attend

     

    pour traiter. Je me fais joie

     

    du gros œil à facettes : anguleux, imprévu, comme le fruit du cyprès.

     

    Ou bien j'ai une alliance avec les pierres veinées bleu :

     

    et vous me laissez également,

     

    assis, dans l'amitié de mes genoux.

     

    ST JOHN – PERSE

     

    Eloges – "Pour fêter une enfance" XVIII

     

  • Considérations éparses

     

    D'après les livres, ou ses yeux, apprends juste que ce n'est pas toi qui provoqueras la vague. Et un souci de moins. L'homme est un sac de sales fantasmes. Qui ne soulève plus sa viande qu'exceptionnellement, éjacule à grand-peine et à grand ahan, devant des films sales qui claquent les cœurs. Ne jamais donc oublier la Formule de Gaspard : « 97 % des femmes étant clitoridiennes, à quoi bon s'obstiner à bander ? » mais les nerfs clitoridiens cernant le vagin sur dix bons centimètres – tout espoir n'est pas perdu.

     

    X

    Le carnet dans l'herbe : je crois bien l'avoir laissé choir ici, sur l'herbe ; à côté de la capote rose, hideuse. Ariel n'appréciait pas que les troubles conjugaux de Kohanim fussent apparus dès l'instant où je l'avais fréquentée. La dernière fois que je fis l'amour avec G.H., ce fut sublime : nous n'avions rien trouvé de mieux qu'une friche mal close derrière une barrière levable ; parmi les merdes et les traces de pas, nous avons étendu nos corps qui, de justesse, ne passaient pas le niveau des herbes. Il est invraisemblable qu'elle n'ait pas utilisé ce lieu avec un autre que moi, auparavant. Les lieux d'amour clandestins sont tous sordides. J'ai roulé sous ma langue son entrelacs de cordelettes. Extraordinaire spectacle des cuisses s'élevant de part et d'autre de vos flancs pour vous absorber tout entier - comme un pont-levis qui aspire, englobe, utilise et rejette. Jouissance et solennité. Sincérité jamais ressentie jusqu'alors. Et lorsque j'eus éjaculé, longuement, je sentis le fin fond d'elle-même se contracter doucement, fermement, pour extraire le dernier suc, sans omettre une goutte. Puis j'ai su que je n'obtiendrais jamais rien de plus que ce jour-là, venant lui-même après neuf mois d'abstinence.

     

    X

     

    Refait à neuf, le nouveau corps d'Arielle et ses traversées dans « l'opium » : assommages à l'antidépresseur, rêves paludéens de matinées entières : j'en deviendrais fou. Fausses naïvetés pour les motifs de mes absences promenades : je rejoins Kohanim, la serre dans mes bras sans cesser de parler, je ne sais si cela finira (en Fleuve Jaune, enfoui dans les sables de son delta?) Il est impensable qu'Ariel me croie vraiment : son sourire est constant ; elle me dit : « Même si tu as trouvé quelqu'un d'autre, notre union restera toujours fondamentale » – l'a-t-elle dit ? Seulement au cours du temps, dans l'histoire ; ma carrière, ma course, ma vie. Comment est-il possible que cela fut moi, cela que je rejette de toutes mes forces mentales - pas question de remises en causes concrètes, pratiques, je veux dire, présentant la moindre chance d'aboutir, dans le monde réel, dans le monde présent ; impitoyable confrontation d'un passé violemment renié, mais impossible à modifier, avec le présent.

     

    Le point commun étant peut-être de toujours commencer, de ne jamais finir. Comme pour l'apprentissage des langues. Toujours vagir. A sans cesse recommencer du début, à sans cesse tout reprendre, le sujet débouche sur une conduite fatalement compulsionnelle. Il s'imagine recommencer ailleurs, mais ne fait que « reprendre », sans s'en apercevoir le moins du monde.A la fin de sa vie, il s'imaginera qu'il a progressé, qu'il a vécu de façon infiniment variée, alors qu'il n'aura jamais labouré sans trêve que le premier sillon, « reprenant » son ouvrage. C'est ainsi que Monsieur de Sainte-Colombe, ou tel aide-soignant, pourra dire à l'instant de sa mort : « J'ai vécu une vie passionnée ».

     

     

     

    X

    Beau port de tête.JPG

     

     

     L'inquiétude de la jalouse, lorsqu'elle demande si nous nous embrassons sur la bouche. J'ai répondu par une fâcherie : « Qu'importent les choses faites ou pas ! c'est l'émotion de la présence qui nous importe. » Et voilà pourquoi, reprenant sans arrêt le même présent, comme un tourne-en-rond, la plupart d'entre nous décousent l'histoire, niant le successif, sauf ne figure de spirale. Ainsi je la déconstruis, elle, son histoire, tout son déroulement de raisonnement. De plus, je lui dénie le droit de vivre à son tour son propre instant présent, afin de l'incorporer dans mon présent à moi. Mon présent ne peut exister que dans la négation de celui de l'autre : je punis ses élans involontaires vécus. Les sectateurs de l'instantané, les instantanophiles, n'ont plus alors à leur disposition que la prière, ou la contemplation, qui en est l'autre forme. Peu importe qu'elles s'écrivent ou non, chacun s'étant emprisonné dans son propre ressenti immédiat. Décrire, ou surtout contempler, c'est accepter. Cette contemplation survient dans l'amour. Décrire déjà suppose la distance. Contempler et être contemplé n'implique pas nécessairement destruction de l'autre. C'est pourquoi il est plus aisé de contempler le paysage, que les yeux de l'autre.

     

  • Erotisme et purgatoire

     

    TEL EST TON REVE, ECOUTE, dit le Seigneur.

     

    TU SENTIRAS TON AME COMBLEE DE REMORDS. ET CE REMORDS TE SERA  VOLUPTE, ET CETTE VOLUPTE TE SERA PLUS GRAND HONTE ENCORE. ET DE LA

     

    HONTE MEME TU TIRERAS TA VOLUPTE. Retourne dans ta tombe, et crois en Ma  Miséricorde."

     

    Tel fut Son ordre. Et les anges s'envolèrent, agitant leurs ailes noires en poussant des cris rauques.

     

    Je me trouvai d'un coup les yeux ouverts, Michel Parmentier près de moi : « Ca va mieux ? ...Je  vous ai regardé, ce n'était pas beau à voir. - Pourquoi êtes-vous venu ? En quoi puis-je vous

     

    intéresser ? - Entre morts, il faut bien s'entraider. Tenez - il s'écarta - je vous présente ma femme. »

     

    Ses yeux bleu pervenche pendaient de leurs orbites. ELLE PUAIT. C'était la première fois que  l'odeur m'incommodait.

     

    Elle commença à m'embrasser, me fixant avec des lueurs éloquentes. « Excusez-la, dit Michel, vous

     

    lui faites envie, vous êtes encore tout frais. » Elle tourna vers son mari un regard interrogateur. Il  acquiesça. Elle glissa une main sous mon linceul et me fit bander comme un mort. Mais pris de

     

    pudeur je les renvoyai tous les deux. Après quoi je restai longtemps de mauvaise humeur.

     

    Quelques jours, quelques nuits s'écoulèrent - moi aussi (j'appellerai "jour" l'intervalle inégal  séparant deux temps de sommeil - intervalle plus court apparemment que sur la terre - pour qu'on

     

    s'ennuyât moins sans doute ? Je n'ose penser pour que les rêves reviennent plus souvent... La nuit

     

    surtout est dure à supporter. On dort un peu - très peu - puis le sommeil survient, très lourd, puis  s'effondre lui-même, comme défoncé par-dessus.

     

    Puis tranchant la nécrose, taillant son manchon, chutant de plus en plus bas, le cylindre pestilentiel

     

    et lumineux du SONGE - non pas à proprement parler une vision, mais une sensation qui se  propagerait au corps entier : chaque pore comme un oeil, aussi autonome qu'un organe entier : une

     

    boule au ventre, une boule derrière l'os du front, le Remords comme une matière lumineuse et

     

    pourpre, ou le rubis au front de LUCIFER.

     

    Et aussitôt, infecte, la jouissance, l'ignoble complaisance, l'atroce volupté de l'avilissement. ...Je me  réveillai en sursaut, lèvres bourdonnantes. Je passai mon doigt sur mon ventre. Il s'enfonça. Un peu

     

    de sanie s'écoula. Des bouts de vêtements sombrent dans la chair liquide ; du bout des doigts je les

     

    repêche et les projette, comme des mucosités nasales, sur les parois. Mes mouvements deviennent  moins gourds, je suis très fier de cette nouvelle agilité de mes index... Le sommeil me reprit et de

     

    nouveau, terrible, le cauchemar m'envahit. Ce n'était pas une histoire vécue, ni des visions, mais une

     

    horrible sensation, physique, de remords. Rien de plus terrible que ces rêves d'aveugle.  Parfois le sommeil calme revenait, parfois non. Les jours et les nuits avaient perdu leurs repères.

     

    Mais sommeils et veilles se succédaient rapidement.

     

    Arbres.JPG

    J'eus envie de la femme. J'appelai. Elle vint. Elle me fit l'amour en riant : « Excusez-moi, j'étais  privée depuis si longtemps ! » Elle me vida, et je constatai avec plaisir qu'au moins, sous terre,

     

    l'avantage était que les femmes jouissaient aussi vite avec un homme que seules en surface. Au  moment ou l'orgasme commençait à venir, survint le mari : "Ne vous dérangez pas pour moi !" Il

     

    nous regarda jusqu'au bout et respecta notre postlude. "Elle vous rend service, dit-il.

     

    « En vous secouant, elle vous aide à vous décomposer davantage... Françoise, tu pourrais rester plus

     

    longtemps, par politesse. « J'ai hâte de retrouver le violoniste, au bout de l'allée. » Et je constatai

     

    avec non moins de plaisir que les femmes mortes montraient beaucoup plus de chaleur et de

     

    spontanéité. « Ne croyez pas cela de toutes, me confia Michel Parmentier. Vous avez de la chance

     

    avec la mienne. »Mais ce qui me préoccupait le plus, c'était le Temps. L'ennui. "Michel, comment

     

    faites-vous, ici, pour compter le temps ?

     

    - Compter le temps ? - Calculer les jours... Michel rit doucement. "Que vous êtes jeune! ma femme

     

    posait les mêmes questions... Eh bien, nous pouvons toujours nous régler sur les "bruits d'en haut".

     

    Quelque chose de précis, par exemple, les rondes du gardien, et des jardiniers. On les entend

     

    marcher, pousser la brouette, parler... - On comprend ce qu'ils disent ? - Bien sûr, avec un peu

     

    d'entraînement. Il y a une ronde à 11 heures, et une à 17 heures, avant la fermeture... Mais vous

     

    verrez, on cesse vite de s'y intéresser.

     

    « On s'habitue vite à l'éternité. On s'installe.. .- Il doit bien y avoir quelques marchands de

     

    pantoufles, ici ? - Au bout de l'allée, oui... Que voulez-vous dire ? » Je laisse tomber la question

     

    dans le vide. "Tenez, reprend-il, je me souviens de la visite des deux beaux-frères, il y a de ça...

     

    trois mois, peut-être ? Ils étaient là à discuter au pied de ma dalle, et le premier se met à dire : "Il est

     

    toujours là-dessous ce vieux con..." Je l'entendais gratter la terre avec son pied. Et l'autre lui répond

     

    quelque chose dans le genre : "C'est ce qui pouvait lui arriver de mieux.

     

    « De toute façon il était condamné. Et puis qui est-ce qui pouvait bien l'aimer? - Vous avez pourtant

     

    l'air bien aimable... » Il hausse les épaules, secoue ses orbites d'un air fataliste. Sa mâchoire

     

    s'allonge et pendille, il la reclaque en frappant du carpe, avec un bruit de cigogne. Soudain je

     

    m'avise d'une étrangeté singulière : « Mais dites-moi... - Oui ? - Comment se fait-il donc que nous

     

    puissions nous voir, l'un et l'autre ? ...D'où vient la lumière? - Tiens ? D'où vient la lumière ? c'est

     

    ma foi vrai ; nous n'y avions jamais pensé...

     

    Je hasarde l'expression de "perception extra-sensorielle". Il reste dans le vague. "Et nous, reprends-je, on ne nous entend pas ? - Non. La plupart du temps, ils n'ont pas l'oreille assez fine. - "La plupart

     

    du temps" ? - Ici, nous avons le silence ambiant, nous ne respirons pas, notre coeur ne bat plus... -C'est beaucoup plus facile ? Vous êtes sûr ? » A ce moment mon jéjunum miné laisse échapper,

     

    entre cuir et sanie, un doux phrasé bulleux. De tous les coins du cimetière, par le couvercle à demi

     

    soulevé, me parvient, semble-t-il, proche ou lointain, toute une rumeur concertante de chuintements,

     

    de sifflements, de craquements indéfinissables, ce qui remit fortement en question pour moi

     

    l'existence de ce fameux Peuple Souterrain auquel il me faudrait peut-être bien bien croire, peut-être

     

    même à quelque sauterie ou danse macabre.

     

  • Survol de "La route des Flandres"

     

    Bonsoir à tous – moil'nœud. C'est Collicause qui vous gnon, en cette énième émission de "Lumières, Lumières". Nous passerons au crible La route des Flandres de Claude Simon, Prix Nobel mieux mérité que celui de la paix pour Gorbatchev. Marie-Andrée aura composé une chanson. Théodorakis aussi, avec paroles traduites par moi. Et le catalogue (mars 2036) de Robert Laffont, pour lui faire de la publicité, en retard.

     

    / Audition de disques de variété /

     

    Voici un bon livre, un chef-d'œuvre même, juste le contraire du torchon de la semaine dernière. Et, flûte en bois, il va falloir se fatiguer. Mais je tiens à préciser notre propos : il ne s'agit pas de sonder les arcanes d'une œuvre, en termes obscurs et universitaires, pléonasme, mais d'ouvrir un public nouveau, populo, potachique, à une culture étrangère, du moins d'améliorer ceux qui stagnent sur sa bordure. Claude Simon est illustre représentant (dont je n'avais pas ouï parler avant le Prix Nobel) du nouveau roman, c'est-à-dire d'une façon d'écrire visant à reproduire exactement toute la sensation, tout le goût du réel. Chaque description est menée dans tous ses détails les plus intimes : mais ne sont décrits que les objets significatifs ; de même, chaque nuance de sentiment s'étire sous le scalpel jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que la corde.

     

    La ponctuation ici n'est faite que de virgules, en un perpétuel halètement, coupant les phrases avant la, passant de l'instant vécu à l'instant rêvé par associations d'idées. On ne résume pas un roman de cette catégorie. Il ne s'y passe que peu de choses, les évènements s'y emmêlent, chaque détail s'emmêle et s'étend aux connotations qu'il suscite. La technique restant implacablement la même, phrases longues et déstructurées parfois, utilisation forcenée des virgules donc – rien ne permet de distinguer stylistiquement Simon de Sarraute, Sarraute de Butor et Butor de Robbe-Grillet, sauf à chausser la double loupe. Ce qui différencie les écrivains de ce groupe est précisément ce qu'ils ont voulu évacuer, c'est-à-dire le contenu du discours : après avoir incidemment déclaré ici que Claude Simon est le seul de ces auteurs dont j'aie l'envie de relire bientôt un ouvrage différent sans qu'il doive être une resucée (je m'en suis bien gardé, N.D.L.A. Du 23 février 2045, confirmée le 3 avril 2060), j'en reviens au contenu, au continu chevalin et chevaleresque de cet ouvrage : cavalcades 14-18, courses montées d'Auteuil ou approchant, montages de chevaux et femmes, rafales mitraillées sur cavaliers, longues étapes équestres sous la pluie fantôme, apocalyptiques chevaucheurs lents dégoulinant du ciel à terre. Ce n'est pas tant l'obsession de l'animal avalanché de tous termes anatomiques et techniques, mais l'obsession de monter : l'homme monté, le centaure en fusion (dégoulinant), tel est le sujet de Claude Simon. Deuxième : le suicide, le meurtre au pistolet d'arçon, la menace au fusil, le jaloux qui se tire ou tire, et puis qui dégouline tout son sang du haut du crâne, avec de grands yeux de cheval étonné ; aussi bien seigneur du XVIIIe siècle que paysan des Ardennes, aussi bien Georges que son ancêtre ; seul Blum juif râleur et ratiocinant bien français fouille et retourne la plaie de vérité de son bâton de Juif errant et rrran !

     

    Soyons envoûté. Premier exemple p. 24, d'obsession, d'exaspération sensorielle :

     

     

    Taureaux, mais de loin....JPG

    / Lecture de cette page 24 /

     

    Ainsi le cheval est-il instrument, par son reflet du même au même, de goutte d'eau qui incessamment se reforme, et plus il trotte ou galope, plus les reflets et les bêtes se mêlent et se reséparent vélocement, plus règne l'immobilité, l'interchangeabilité. Qui raconte – on ne le sait jamais. Il y a un Georges. Il ya un Blum, hors du coup car juif ; il y a Iglesia, jockey sauteur de sa maîtresse ; tel ancêtre et tel colonel qui n'en finit pas de tomber sabre au clair dans une embuscade. Tel est l'envoûtement hindouïque du retour. Clipiclop.

     

    / Lecture de la p. 71 /

     

    ...où apparaît le thème de la dissolution, du "tout se vaut", appliqué non pas au politique mais au temps, au déroulement-essence du roman, ici nié, de la vie remise en question, dissolution du corps au point qu'on ne sait plus de quel corps on est fait ni à qui appartient ce bras. En même temps des gestes très précis, l'acquisition, dans un wagon, d'un quignon de survie, replace dans la matière la plus grossière, la plus indispensable, ce qui pourrait n'être qu'une abstraction vaseuse, et telle est la séduction de Claude Simon, son talent de grand basculeur, qu'il nous fait à la fois d'un coup de plateau passer des arguties les plus subtiles du cerveau à la présence la plus obsédante de la survie corporelle, car c'est dans la guerre, dans l'état de guerre, c'est-à-dire non pas dans l'assaut, qui n'est qu'aboutissement, paroxysme fatal, mais dans l'état d'attente, d'imminence au sens de menace, que prend le plus sa valeur l'absurdité du tout mais aussi consubstantiellement la nécessité de cette absurdité, afin de survivre et de vivre.

     

    / Lecture de la p. 118 /

     

    ...où se confirme ce que nous dîmes, aggravé cette fois par la valeur droguante du genièvre et du tabac réduit à sa plus simple expression de papier, pain, genièvre et brûlot de gueule étant seuls moyens survivants laissés par le gros rabotage guerrier, seuls moyens de capter l'éternel et le soi-même à partir des plus bas états de la matière qui se mange.

    / Lecture de la p. 165 /

     

    ...où passe la torpeur du spectateur de courses, comme vous ne les voyez jamais à Tiercé-Magazine mais ralenties, donnant à voir, à boire, tous visages, assiégeant vos yeux et vos nez à suffoquer l'inspiration, grandiose sur-place de l'anneau des courses chargées sans plus d'entretenir la course du soleil, ce dont c'était le sens aux temps antiques : faire courir les chevaux maintenait éternelle la course du soleil, mais aussi celle de la boue, n'oubliez pas que rien n'a existé, que rien n'existe que par l'interminable mouvement, d'aucuns disent le branle, de l'univers.

     

    / Lecture de la p. 212 /

     

  • Le canapé-lit

     

     

    La Cère à Aurillac.JPG

    Une double page de pub chez Miz, ça ne se refuse pas. Le lecteur glisse dessus comme un pet sur une toile cirée, mais l'image subliminale demeure, par définition. Demeure aussi l'impression d'être un demeuré pécuniaire, et d'appartenir à ces "minables" qui gagnent moins de 4000€/mois... Alors, comme "ils sont trop verts", il faudrait dénigrer ce vaste espace, donnant sur une vaste plaine brésilienne peut-être, bien défrichée, labours-buissons-labours (une grosse machine agricole décelable), verdure, un angle de colza, un horizon verdâtre et perdu dans le flou d'un ciel pâle. Baie glissante sur sept éléments, les deux derniers sur la droite donnant sur un retour de fenêtre ultralarge en petites briquettes pleines.

     

    À l'intérieur, bien agrandies par la perspective, trois énormes lampes à grosses douilles vissantes, suspendues au plafond supposé hors champ, au bout de trois filins parallèles dénudés, eux-mêmes doublés chacun d'un fil replié, pour faire pauvre ("l'ampoule au plafond" des romans réalistes). Ainsi, tout reste envahi de clarté, de jour comme de nuit. Au-dessous s'étale sur deux pages, donc, un immense "canapé d'angle composable" sur armature enveloppante d'acier chromé, dite "piétement patin". Le tout pour 6590€*, une affaire ! Au lieu de 8520 "dont 14€ d'éco-participation" – écologie, mais économie si l'on veut. Cependant si l'on a de quoi débourser 8520€, serait-on mesquinement intéressé par une remise de 230 ?

     

    Les annonceurs en semblent persuadés ; il faut bien que le luxe se démocratise. En revanche, le goût semble affecté lui aussi d'une réduction : ces longues structures en "vachette fleur corrigée pigmentée", dont les "cale-reins 100% plumes", deux côte à côte à gauche et un tout seul à l'angle, tentent de racheter la monotone linéarité, n'inspirent qu'un sentiment d'aise et de confort ; et le vaste paysage agricole se situant dans le dos de tous (sauf le retour à droite), il reste à espérer que l'autre côté de la pièce en présente un aussi aéré, ou du moins d'excellents écrans géants. Vidchier. Par-devant, l'inévitable table basse transparente où se reflète une colonne de terrasse, et le tapis rectangulaire en moquette sobre et fine.

     

    Cette sobriété grand luxe est rehaussée, tout de même, par une structure en poly-je-ne-sais quoi, pince rudimentaire et arrondie enserrant une ampoule ronde et lactée, "design Sacha Lakic" ("lakits" j'espère, et non Laquique) – l'objet se reflétant symétriquement vers le bas – plus un hepta- (octa- ? ennéa- ?) - èdre bien aigu aux reflets prismatiques à leur tour reflétés en double dans le verre. Profitez-en, c'est une affaire

  • Ange, Térence, Vivette et les autres...

     

    Assis en rond comme des yacks contre les vents. Vivette ne dira pas qu'elle est enceinte ; Ange ferait un mauvais père : trop de ventre.Les cirés qui frissonnent. Quelques touristes mieux couverts qui passent en faisant des signes amicaux. Albertine enfile deux sandwichs. “Au point où tu en es” dit Ange. Térence fait le boute-en-train. Tous excursionnent ventre plein au sommet des falaises. Des exclamations sont poussées sur la vue, sur les bateaux anglais qu'on voit. Térence dit “Les convois qu'on voit.” Il soutient Vivette dans les montées, Joëlle est aux prises avec la grosse Albertine qu'elle ne connaissait pas la veille, Magdaléna empêche le pourceau de tomber, c'est Ange. “Nous sommes les premiers” dit Térence à la sœur de sa femme (Vivette ; il faut suivre). “Vois-tu l'Angleterre ?

     

    - Pas de si loin, Térence ! - Tu as souri, tu as dit mon nom. -Tu n'es pas le père, tonton.. Fous-moi la paix. - Qui va s'occuper de toi si le gros porc... - N'insulte personne.” Ils se rejoignent autour de la table d'orientation, se désignent les points de repère - “Tu es de bien bonne humeur Térence” observe Albertine en soufflant “Je me défends” dit-il, “je me défends”. - Dango, dit Vivette. Une fois redescendu tout le monde embarque sur le Trois-Couillons, des Frères Croche, affables, qui trimballent les touristes et leur enfilent des casquettes et des gants. Temps frais, noroît soutenu hors-saison. La bôme fauche au-dessus des têtes baissées parce qu'on remonte face au vent, les frères Croche se mettent à chanter, on ne se dit plus que des conneries ou on s'isole avec un air profond, sur cris de vagues et sous l'embrun. Le Croche-barreur dit “Bizarre, le vent tombe”... “...Mais ce n'est rien M'sieurs-Dames” ajoute le frère. “On voit moins loin que tout à l'heure”, “La mer est grise”, “Redresse au vent””Quel vent ?”. La voile faseye” -“bat au vent” - Takapétéddan dit le cousin, bien atteint. “Nous avons fait les Glénans, dit le barreur. Mesdemoiselles, ne craignez rien.” “ce ne serait pas du brouillard qui tombe, là ?” observe Térence. “Bien sûr Monsieur, rien de plus normal par ici.” “A cette heure-ci ?” “A toute heure Monsieur ; Joël, va écouter le poste.” “Moi?” “Je parlais à mon frère, Mademoiselle” “Madame”.

     

    Albertine éclate de rire. Le cousin Ange se tait, mais il lui semble soit qu'on tourne en rond, soit qu'on dérive. Albertine soupire “Mon Dieu mon Dieu”. On entend un grondement Les rouleaux Madame, c'est la mer qui descend. Oùsommes-nous ? En mer.” “Dement” dit Ange. “Ça se gagne” dit Vivette. Le frère barreur : “Calmez-vous, on en a vu d'autres, ceux qui paniquent vont dans la cambuse”. Vivette descend dans la cambuse. Quand elle s'est cognée trois quatre fois aux parois elle remonte sur le pont, l'avenir, c'est la vague suivante. Ange dit “Elles sont courtes mais bonnes”, toujours ce genre de jeux de mots, Térence ferme sa gueule.

     

    Cependant le barreur aborda en pleine mer la Police Maritime, qui avait l'œil : “On vous suivait. Bouées de sauvetage... ? Trois en tout et pour tout ?” Térence : Qu'est-ce qu'elle leur a mis, la police ! Et puis (suite du récit), tout le monde s'était bien rendu compte que Vivette avait quelque chose dans le ventre, quand elle avait sauté lourdement sur la vedette des flics ; même qu'elle avait vomi en écartant les jambes ; Ange racontait pour sa part que tout le monde l'avait laissé sur la barque à voiles, aucun bras secoureur ne l'avait “euh... secouru ; et si j'étais tombé entre les deux bordages ? Ça se frottait, ça montait, ça descendait ! Trompes de voûtes.JPG

     

    - Tais-toi, grand douillet de vaurien de merde, dis-moi plutôt de qui ta cousine est enceinte. - Je ne sais pas Maman. - Tu crois que c'est Térence ?” Ce dernier suffoque d'indignation. La scène se passe dans un salon, à Morlaix. Une belle promenade en mer en vérité, fort instructive. “Joëlle, tu ne peux pas croire cet abruti !” (disons qu'ils sont revenus de l'expédition bretonne ; disons qu'ils se retrouvent dans le studio de photographie, où le professionnel de la profession les a regardés s'ébattre, avec des yeux de veau, en échange du studio lui-même, pour toute la nuit. - Pour une fois le studio pour nous tout seuls ! - Térence, Vivette est enceinte, c'est de toi, oui ou non ? tu me promets que tu n'y es pour rien ?” Le torchon brûle sous les sunlights. “Que faisions-nous avec eux ? si tu savais ce que je me suis fait chier... J'ai voulu te présenter. On ne présente pas une passade ! ...tout le monde me dévisageait ! Sau f Magdalena ma femme . C'est ce qui m'a le plus gênée. Jamais je n'ai autant regardé le paysage. Est-ce que je sais moi ? Il s'emporte d'un coup. Térence dit-elle, je trouve cela très laid cette grossesse de Vivette à ma place C'est la meilleure (s'étouffe Térence) Tu veux être enceinte ?

     

    OK dit-elle on commence – qui va élever l'enfant-de-la-sœur-de-ta-femme? le poussah, “Ange” ? T'as vraiment la famille de blaireaux. Magdaléna déteste sa sœur tu entends- ? elle la hait, elle l'a complètement abandonnée après la mort de leur mère C'est ce que Vivette m'a dit en voiture Je l'élèverai comme un fils Fais-en donc un, avec ta bourge, avec moi – plus tard (c'est l'été) dialogue : “Tu m'aimes pour faire joli. - Je te désire dit T. - Fais-moi l'amour derrière les troènes – En pleine circulation ?” Ils le font. La caravane de Joëlle est un monde complet : cassettes, CD, revues de photos, dans un renfoncement la TV peinte en rouge “Mes parents” dit-elle “n'entrent pas ici”.

     

    Par un soir étouffant Térence étend ses membres nus et suants sur la couchette et comme ils n'ont pas encore bougé d'un poil c'est la télé qui se déclenche “Chaos à Moscou”, une brochette de vieux cons en casquettes militaires annonçant la destitution de Gorbatchev “popur raison de santé”, Térence couine d'indignation sous la petite coquille de plastique et Joëlle impassible se tourne pour mieux voir et dans la touffeur de la caravane ils baisent devant les généraux morts. “Térence tu penses à autre chose, Térence nous n'avons jamais qu'une heure au pifomètre devant nous, Térence la tolérance de ta femme me soûle – Térence ta femme d'occasion se fait chier. Marre de tes coups d'œil à ta montre, de baiser sur un quai de gare Je me demande pourquoi tu t'obstines à jouir Maintenant Térence tu dégages.