Erotisme et purgatoire
TEL EST TON REVE, ECOUTE, dit le Seigneur.
TU SENTIRAS TON AME COMBLEE DE REMORDS. ET CE REMORDS TE SERA VOLUPTE, ET CETTE VOLUPTE TE SERA PLUS GRAND HONTE ENCORE. ET DE LA
HONTE MEME TU TIRERAS TA VOLUPTE. Retourne dans ta tombe, et crois en Ma Miséricorde."
Tel fut Son ordre. Et les anges s'envolèrent, agitant leurs ailes noires en poussant des cris rauques.
Je me trouvai d'un coup les yeux ouverts, Michel Parmentier près de moi : « Ca va mieux ? ...Je vous ai regardé, ce n'était pas beau à voir. - Pourquoi êtes-vous venu ? En quoi puis-je vous
intéresser ? - Entre morts, il faut bien s'entraider. Tenez - il s'écarta - je vous présente ma femme. »
Ses yeux bleu pervenche pendaient de leurs orbites. ELLE PUAIT. C'était la première fois que l'odeur m'incommodait.
Elle commença à m'embrasser, me fixant avec des lueurs éloquentes. « Excusez-la, dit Michel, vous
lui faites envie, vous êtes encore tout frais. » Elle tourna vers son mari un regard interrogateur. Il acquiesça. Elle glissa une main sous mon linceul et me fit bander comme un mort. Mais pris de
pudeur je les renvoyai tous les deux. Après quoi je restai longtemps de mauvaise humeur.
Quelques jours, quelques nuits s'écoulèrent - moi aussi (j'appellerai "jour" l'intervalle inégal séparant deux temps de sommeil - intervalle plus court apparemment que sur la terre - pour qu'on
s'ennuyât moins sans doute ? Je n'ose penser pour que les rêves reviennent plus souvent... La nuit
surtout est dure à supporter. On dort un peu - très peu - puis le sommeil survient, très lourd, puis s'effondre lui-même, comme défoncé par-dessus.
Puis tranchant la nécrose, taillant son manchon, chutant de plus en plus bas, le cylindre pestilentiel
et lumineux du SONGE - non pas à proprement parler une vision, mais une sensation qui se propagerait au corps entier : chaque pore comme un oeil, aussi autonome qu'un organe entier : une
boule au ventre, une boule derrière l'os du front, le Remords comme une matière lumineuse et
pourpre, ou le rubis au front de LUCIFER.
Et aussitôt, infecte, la jouissance, l'ignoble complaisance, l'atroce volupté de l'avilissement. ...Je me réveillai en sursaut, lèvres bourdonnantes. Je passai mon doigt sur mon ventre. Il s'enfonça. Un peu
de sanie s'écoula. Des bouts de vêtements sombrent dans la chair liquide ; du bout des doigts je les
repêche et les projette, comme des mucosités nasales, sur les parois. Mes mouvements deviennent moins gourds, je suis très fier de cette nouvelle agilité de mes index... Le sommeil me reprit et de
nouveau, terrible, le cauchemar m'envahit. Ce n'était pas une histoire vécue, ni des visions, mais une
horrible sensation, physique, de remords. Rien de plus terrible que ces rêves d'aveugle. Parfois le sommeil calme revenait, parfois non. Les jours et les nuits avaient perdu leurs repères.
Mais sommeils et veilles se succédaient rapidement.
J'eus envie de la femme. J'appelai. Elle vint. Elle me fit l'amour en riant : « Excusez-moi, j'étais privée depuis si longtemps ! » Elle me vida, et je constatai avec plaisir qu'au moins, sous terre,
l'avantage était que les femmes jouissaient aussi vite avec un homme que seules en surface. Au moment ou l'orgasme commençait à venir, survint le mari : "Ne vous dérangez pas pour moi !" Il
nous regarda jusqu'au bout et respecta notre postlude. "Elle vous rend service, dit-il.
« En vous secouant, elle vous aide à vous décomposer davantage... Françoise, tu pourrais rester plus
longtemps, par politesse. « J'ai hâte de retrouver le violoniste, au bout de l'allée. » Et je constatai
avec non moins de plaisir que les femmes mortes montraient beaucoup plus de chaleur et de
spontanéité. « Ne croyez pas cela de toutes, me confia Michel Parmentier. Vous avez de la chance
avec la mienne. »Mais ce qui me préoccupait le plus, c'était le Temps. L'ennui. "Michel, comment
faites-vous, ici, pour compter le temps ?
- Compter le temps ? - Calculer les jours... Michel rit doucement. "Que vous êtes jeune! ma femme
posait les mêmes questions... Eh bien, nous pouvons toujours nous régler sur les "bruits d'en haut".
Quelque chose de précis, par exemple, les rondes du gardien, et des jardiniers. On les entend
marcher, pousser la brouette, parler... - On comprend ce qu'ils disent ? - Bien sûr, avec un peu
d'entraînement. Il y a une ronde à 11 heures, et une à 17 heures, avant la fermeture... Mais vous
verrez, on cesse vite de s'y intéresser.
« On s'habitue vite à l'éternité. On s'installe.. .- Il doit bien y avoir quelques marchands de
pantoufles, ici ? - Au bout de l'allée, oui... Que voulez-vous dire ? » Je laisse tomber la question
dans le vide. "Tenez, reprend-il, je me souviens de la visite des deux beaux-frères, il y a de ça...
trois mois, peut-être ? Ils étaient là à discuter au pied de ma dalle, et le premier se met à dire : "Il est
toujours là-dessous ce vieux con..." Je l'entendais gratter la terre avec son pied. Et l'autre lui répond
quelque chose dans le genre : "C'est ce qui pouvait lui arriver de mieux.
« De toute façon il était condamné. Et puis qui est-ce qui pouvait bien l'aimer? - Vous avez pourtant
l'air bien aimable... » Il hausse les épaules, secoue ses orbites d'un air fataliste. Sa mâchoire
s'allonge et pendille, il la reclaque en frappant du carpe, avec un bruit de cigogne. Soudain je
m'avise d'une étrangeté singulière : « Mais dites-moi... - Oui ? - Comment se fait-il donc que nous
puissions nous voir, l'un et l'autre ? ...D'où vient la lumière? - Tiens ? D'où vient la lumière ? c'est
ma foi vrai ; nous n'y avions jamais pensé...
Je hasarde l'expression de "perception extra-sensorielle". Il reste dans le vague. "Et nous, reprends-je, on ne nous entend pas ? - Non. La plupart du temps, ils n'ont pas l'oreille assez fine. - "La plupart
du temps" ? - Ici, nous avons le silence ambiant, nous ne respirons pas, notre coeur ne bat plus... -C'est beaucoup plus facile ? Vous êtes sûr ? » A ce moment mon jéjunum miné laisse échapper,
entre cuir et sanie, un doux phrasé bulleux. De tous les coins du cimetière, par le couvercle à demi
soulevé, me parvient, semble-t-il, proche ou lointain, toute une rumeur concertante de chuintements,
de sifflements, de craquements indéfinissables, ce qui remit fortement en question pour moi
l'existence de ce fameux Peuple Souterrain auquel il me faudrait peut-être bien bien croire, peut-être
même à quelque sauterie ou danse macabre.
Commentaires
Mon père, ce zéro au sourire absent, fouilla un jour dans la vareuse d'un soldat en décomposition : il trouva des papiers au nom de LOUIS. Le fossoyeur lui dit : "Ca, je ne l'aurais pas fait". Grâce à mon père, une famille de la Martinique a pu identifier son mort.