Le canapé-lit
Une double page de pub chez Miz, ça ne se refuse pas. Le lecteur glisse dessus comme un pet sur une toile cirée, mais l'image subliminale demeure, par définition. Demeure aussi l'impression d'être un demeuré pécuniaire, et d'appartenir à ces "minables" qui gagnent moins de 4000€/mois... Alors, comme "ils sont trop verts", il faudrait dénigrer ce vaste espace, donnant sur une vaste plaine brésilienne peut-être, bien défrichée, labours-buissons-labours (une grosse machine agricole décelable), verdure, un angle de colza, un horizon verdâtre et perdu dans le flou d'un ciel pâle. Baie glissante sur sept éléments, les deux derniers sur la droite donnant sur un retour de fenêtre ultralarge en petites briquettes pleines.
À l'intérieur, bien agrandies par la perspective, trois énormes lampes à grosses douilles vissantes, suspendues au plafond supposé hors champ, au bout de trois filins parallèles dénudés, eux-mêmes doublés chacun d'un fil replié, pour faire pauvre ("l'ampoule au plafond" des romans réalistes). Ainsi, tout reste envahi de clarté, de jour comme de nuit. Au-dessous s'étale sur deux pages, donc, un immense "canapé d'angle composable" sur armature enveloppante d'acier chromé, dite "piétement patin". Le tout pour 6590€*, une affaire ! Au lieu de 8520 "dont 14€ d'éco-participation" – écologie, mais économie si l'on veut. Cependant si l'on a de quoi débourser 8520€, serait-on mesquinement intéressé par une remise de 230 ?
Les annonceurs en semblent persuadés ; il faut bien que le luxe se démocratise. En revanche, le goût semble affecté lui aussi d'une réduction : ces longues structures en "vachette fleur corrigée pigmentée", dont les "cale-reins 100% plumes", deux côte à côte à gauche et un tout seul à l'angle, tentent de racheter la monotone linéarité, n'inspirent qu'un sentiment d'aise et de confort ; et le vaste paysage agricole se situant dans le dos de tous (sauf le retour à droite), il reste à espérer que l'autre côté de la pièce en présente un aussi aéré, ou du moins d'excellents écrans géants. Vidchier. Par-devant, l'inévitable table basse transparente où se reflète une colonne de terrasse, et le tapis rectangulaire en moquette sobre et fine.
Cette sobriété grand luxe est rehaussée, tout de même, par une structure en poly-je-ne-sais quoi, pince rudimentaire et arrondie enserrant une ampoule ronde et lactée, "design Sacha Lakic" ("lakits" j'espère, et non Laquique) – l'objet se reflétant symétriquement vers le bas – plus un hepta- (octa- ? ennéa- ?) - èdre bien aigu aux reflets prismatiques à leur tour reflétés en double dans le verre. Profitez-en, c'est une affaire
Commentaires
Merci pour cet article, avec des journées pourries comme aujourd'hui, ton blog m'a bien occupé :-)