Proullaud296

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der grüne Affe - Page 134

  • Qualité littéraire inférieure

     

    On ne sait pas au juste ce que signifient les mouvements de la queue d'un chat. Les spécialistes se laissent aller à l'embarras : est-il mécontent ? Satisfait ? Excitation sans doute avant la capture d'une souris, d'un oiseau ? - queue longue et fournie, passant et repassant au-delà des herbes rases de l'arrière-train comme une pale d'éolienne, et la pluie se remet à tomber – le chat possédait-il son microclimat ? Pour compléter leur exploration, ils se sont dirigés vers les limites latérales de leur domaine ; c'était de loin le plus dangereux de tout : les Anciens prétendent qu'au bout de l'Océan, les eaux tombent nécessairement dans le vide en toute éternité. Ils se sont accrochés sans céder au vertige, la rotondité du ventre s'incurvant sous eux, et l'on entrevoyait sous l'abdomen une forêt de poils dont le sommet pointait, contre toute logique, vers le bas...

     

    Ils rejoignirent leur campement de base, à peu de distance du double jeu des bielles d'épaule. La bête s'était assise et il ne pleuvait plus ; la pente du dos se fit raide, mais ses habitants s'étaient tressé des abris : par les fenêtres ménagées l'on voyait par-dessous, très bas, la queue de l'animal qui se perdait au loin comme un grand fleuve sur un carrelage. Rien n'empêchait à vrai dire de suivre l'échine, et de s'évader, côté pattes ou cul. « Que dirait-on de moi » dit le Pirate, «moi qui suis le fantôme du château. - Voilà pourquoi le chat se trouve toujours en ambulation ! s'écria-t-elle. - Pars si tu veux. - Point ne suffit de partager tourments et joies pour former un couple - Quelles joies ? quelles vicissitudes ? Nous sommes les hôtes bienheureux de la Grande Fourrure Universelle, qui nous chauffe et nourrit nos corps par la couche d'impuretés qu'elle produit."

     

    Car la manne avait cessé de tomber.

     

    Catia dite Vicki reprend : « Nous menons une vie trop proche de la nature. Au point que nous savons à peine qui nous sommes, peu différenciés d'un de ces innombrables poils qui nous cernent.

     

    - Veux-tu supprimer le chat ? dit le Pirate. - Ce n'est plus un chat, mais le monde : paysage et prison ; je voudrais vivre enfin parmi les hommes. » Un temps. Brian devint grave : « Sais-tu que nous sommes morts ? » Vicki se tut. Les morts en effet trouvent autant de difficulté à se représenter la vie réelle que nous autres la mort. Puis la jeune femme s'étonne de ne point voir d'autres morts, "ses frères". « Te rends-tu compte » dit le gnome « à quel point nous gagnons à ne pas nous encombrer de frères, qui nous imposeroent des règles sociales ? Ce félin nous protège. Nous ne désirons pas en descendre, quand bien même nous en fournirait-il toutes les occasions. » Alors intervint l'extraordinaire évènement : dans les lointains brumeux, aigres et désolés, bien au-delà du Rebord des Toisons, ils aperçurent une autre forme, comme la leur immense et imprécise, un animal - un Chat, un autre Chat. « Couvrons-nous, murmura le gnome, qui s'enroula parmi les poils : deux chats qui se rencontrent se battent ou copulent, souvent les deux ; dans tous les cas, danger mortel pour nous. » La jeune femme au sommet d'un branchage fit de vastes signes : "Ohé ! du chat !" Le leur fit une embardée. Brian se cramponna. Les passagers de l'autre bête, cramponnés d'une main à leurs poils de monture, envoyaient de l'autres de vastes signes ; les deux bêtes se trouvèrent alors face à face, dos arc-bouté : deux Femelles.

     

    Vicki lança de ferventes actions de grâces à Bashtet. Ceux d'en face n'occupaient visiblement leur bête, noire et blanche, que depuis fort peu, car leurs efforts consistaient autant à se retenir qu'à formuler des paroles articulées. Il apparut qu'ils crevaient tous de faim et d'ennui, bien quecelui qui paraissait le chef affirma qu'il avait lancé toute sa troupe dans les jeux de société : leur bête présentant différentes couleur dans le pelage, qui permettaient d'inventer les règles d'un jeu de positionnement tout à fait analogue au jeu social des castes et des salaires dans la vie précédente. Vicki se tut, les échines retrouvèrent l'horizontale, et les deux félins infernaux reprirentséparément leurs courses régulières vers l'outre-tombe ; le Félin du Pirate allongeant le trot, jamais plus les passagers ne se revirent.

     

    Vicki plongea dans une méditation sans fond, le Pirate sortit de ses broussailles en rajustant ses braies du XVIIe - en vérité, à quoi bon mourir, se voir attribuer la chance inouïe d'un sort romanesque, si c'était pour reconstituer la hiérarchie des vivants. Elle en fit part à son compagnon : à qui d'autre se confier ? Brian repartit qu'elle-même, Vicki, n'était pas loin de reconstituer à son tour ce qu'il était convenu d'appeler dans le Premier Monde une "scène de ménage"... « Attends, Pirate, j'ai plus banal encore : j'attends un enfant. - Tu es plus sotte encore, lui dit-il, que je n'imaginais : comment peux-tu concevoir, que des morts donnent naissance ? » Vicki manifesta quelque désappointement, puis s'aménagea une chambre des plus confortables, en tressant de plus longs poils.

     

  • Nimier, "Les enfants tristes"

     

     

    Les enfants tristes de Roger Nimier deviennent très vite de grands enfants de plus de vingt ans, qui traînent leur fric et leur bourgeoisie dans les boîtes. Ils ne donnent pas dans l'existentialisme, ne se droguent ni ne s'alcoolisent. Ils sortent entre eux, couchaillent, philosophent et s'ennuient en dépensant. Ils sont beaux, alanguis, superficiels et désespérés. Face à eux, de plus vieux, des adultes ventripotents, des vieilles fardées, spurs d'eux, industriels, sans régérence à la guerre qui s'est achevée. Représente principalement tout cela Olivier, qui se paye la tête de son gros père et de sa mère volage. Olivier ! On songe tout de suite aux Faux monnayeurs et avec raison. La patte gidienne est ici indéniable, comme la patte de bien d'autres.

     

    Toutes les œuvres de Nimier sont des œuvres de jeunesse puisqu'il est mort à 37 ans d'un accident de voiture, et ma foi c'est une découverte, concernant le premier des "Hussards". La patte gidienne se retrouve dans la lourdeur – curieuse alliance d'idées – permettant de souligner le regard extérieur de l'écrivain sur ses personnages ; il commente surabondamment leurs faits et gestes. À ce point de vue l'on peut dire que c'est un roman psychologique donc dépassé. On me permettra de n'en rien penser. Je veux couvrir ce livre de fleurs et déjà les bras m'en tombent. Dois-je vivre longtemps encore ? Olivier ne se suicide-t-il pas à la fin du roman, juste après son mariage ? Ô pitoyables morceaux d'humanité !

     

     

     

    Pauvres riches et pauvre jazz ! Pauvre femme trop jeune pour son bedonnant! Pauvre ventru bourré de certitudes inquiétantes ! Bien caricaturé, celui-là : règlement de comptes de Nimier avec son père ? Fait-on de la littérature avec des règlements de comptes ? Pourquoi toujours les jeunes qui souffrent et meurent ? Pourquoi tant de vide, pourquoi ne s'aperçoit-on pas de ses amours ? Pourquoi est-il si tôt trop tard ?

     

     

     

    / Lecture de la p. 47 /

     

     

     

    C'est brouillon non ? C'est le cerveau d'un sexagénaire qui se décompose et pense, car penser, se décomposer, sont une seule et même chose. Ô combien de neurones, combien de synapses, "qui sont partis joyeux..." - le père Thibault de Roger Martin du Gard est passé par là. Celui de notre héros épouse uneMalentraide, au nom soigneusement choisi par l'auteur, déjà pourvue d'un grand fils, Olivier. Les rapports sont tendus entre fils et beau-père... Comprenez-vous mieux ? Le cas s'est-il présenté pour vous ? Peut-on prendre pitié des jeunes gens pâles comme des asperges et qui se confectionnent des cocktails ? Avez-vous entendu parler de Boris Vian ? Les références se bousculent au bout de ma plume frottée de Faculté. Mais qui était Roger Nimier ?

     

     

     

    / Lecture de la p. 94 /

     

     

     

    Tiens, je n'en avais pas parlé, de celui-là ! Raoul, le demi-frère, le demi-double, aussi bouquinier que l'autre mais sur le bouquinisme duquel on insiste davantage. Autre enfant triste affligé d'un père vivant, se puant à lui-même de sa ressemblance, gauche, ingrat de manières et de physique. "Tiens-toi tranquille et lis" : oh oui ! oh oui ! que certains connaissent ! et balourd avec ça, toujours embarrassé, peine à jouir, ce n'est pas dit, mais peine à aimer ô combien. Il y en a pour tous les goûts, et vous aussi pouvez vous reconnaître en ce liseux, si Olivier le trop flambant vous semble loin de vous. Âme éparse de Nimier, rassemblement ! Sonnerie...

     

     

     

    / Lecture de la p. 141 /

     

     

     

    Olivier vs le beau-père. Match feutré. À Olivier l'avantage, par son ton courtois, ses manières félines. Rien de plus exaspérant que la distinction pour les balourds beaux-pères automatiquement coupables. Dès que vous justifiez, que vous cherchez à vous donner raison, avez-vous observé combien sur-le-champ tort vous avez. Quelle saveur dans l'altercation...

     

     

     

    / Lecture de la p. 188 /

     

     

     

    ...A quoi servent tant de lectures, si j'ai oublié Didier ? Non point Tessa cependant, sur qui s'abat de surcroît ce réseau de mailles qui fera plus tard d'elle une femme. Tessa calcule ses provocations. Tessa, canadienne, est présentée tout en coups de pattes, légère autant que les autres, prenant la vie et ses queues dissimulées – "le ballet des queues tout autour de ses hanches" – la vie comme elle vient, et cette absence de questions est un questionnement plus fort encore : enfant triste... Ce sont les yeux de Nimier qui sont tristes, voir photo. (Audition de musique) - / Lecture de la p. 235 / :

     

    Olivier s'en va-t-en guerre. Il devient héros, s'entraîne à l'aviation aux Etats-Unis, ne les requitte plus jusqu'à la paix : est-ce bien raisonnable ? est-ce bien vraisemblable ? Et de parler, de parler, de s'expliquer ! Non monsieur, pas de longueurs chez Nimier, un simple entraînement de jeunesse, on se demande comment tout cela va finir, puisque c'est la vie qui vous brasse n'est-ce pas, un grand sentiment d'irresponsabilité, même en guerre. C'est le cerveau, l'ennemi, le soi, ne se remplir que d'évènements, de commentaires à extérioriser à tout venant, à tout confident, à tout lecteur, à tout pique. Je n'y crois pas : héros ? Qu'importe...

     

     

     

    (A suivre)

     

  • Merci

    Merci à tous, les potes, de ne pas m'avoir oublié pendant mes absences : Paris, La Ciotat, Moulins. Il m'est très difficile de me servir de la liaison Wifi en hôtel, je la retrouve, je la reperds, c'est galère. Amis connus et inconnus, je me soucie  beaucoup plus des autres que l'on ne peut le penser. Je pense à moi, mais c'est pour mieux vous connaître. Je pense à vous pour mieux me recentrer sur moi. Il n'y a pas d'opposition entre "le moi" et "les autres", contrairement à ce que nombre de niaiseux superficiels veulent nous enfoncer dans le crâne. Si vous ne connaissez pas les autres, vous ne vous connaîtrez pas, OK, mais si vous prétendez ne pas vous intéresser à vous, eh bien vous ne pourrez pas connaître le autres non plus. Les deux faces d'une même médaille. Alors les leçons de morale à deux balles, vous laissez ça au Journal de Mickey. Vu ? Je suis fasciné par tous ces gens qui passent dans la rue, en particulier les femmes : de tout âge. Moi aussi  j'ai un certain âge. Mais c'est fascinant de croiser tous ces mondes immenses qui se déplacent sur deux pattes, avec un sexe féminin ou masculin au milieu. L'ennui, c'est quand il faut parler. Il y a tellement de juges et de trouillards, dont moi. Alors les humains, vous serez toujours pour moi un puits insondable, comme je le suis pour vous. Je voudrais vivre mille ans. A bientôt race innombrable.

  • L'orgasme et la mort ; puis les larmes

     

    L'orgasme et la mort.

     

    Quand je fais l'amour, je joue avec la mort. La mienne, celle de l'autre. J'espère que mes manœuvres sexuelles ne la mèneront pas au suicide. Lorsqu'elle a joui pour la première fois en ma compagnie, mais seule, m'ayant tourné le dos, ses traits se sont soudain tirés, ses cernes accentués. Sa dépense d'énergie m'a rempli de la plus profonde considération, du plus profond respect. Les deux ultimes saccades, latérales, de son cul furent d'une force extraordinaire. Mais elle a recouvré, dans l'instant, son sang-froid, alors qu'elle avait affirmé, naguère, dans l'effroi, ne plus jamais pouvoir me laisser échapper si le plaisir un jour lui survenait. Comme il est dissolvant pour elle de voir fondre ses convictions, qui la formaient – dissolvant, ou construisant ?

     

    En n'intervenant pas, en demeurant inerte, j'ignore si je la contrains de gérer ce que je ne puis faire, ce que je me retiens, peut-être, de faire. Je troquerais bien la mauvaise foi sartrienne, ce petit homme jaune et rabougri que je suis dans ma tête, avec ces troubles délicieux ressentis par la jeune maîtresse dans Le jeu de l'amour et du hasard, qui ne veut pas s'avouer son amour ; mais la rime est pauvre, et je retourne à ma paralysie.

     

     

     

    X

     

     

     

    Le poème et la mort

     

    Virage dans l'espace.JPGElle écrivait ses vers, confus et magnifiques ; Lazare ne pouvait les suivre : mais il en publiait de pires. Elle a parcourir en vérité bien plus de route avec lui qu'elle n'en a voulu dire : comment sinon peut-elle à ce point se formaliser de ses appréciations ? ...même injustifiées. Hanim ne compose plus, ni ne tient de blog (l'ombre de Nils plane : est-il vrai que je risque ma peau ? ils'enfuirait et se mettrait à boire). Viendrait-elle, après sa fuiter, sonner chez moi pour m'enlever ? me transférer d'un toit sous l'autre ? balancer dans le miroir la menorah de trois kilos six cents d'argent ? Elle s'est vantée d'avoir maintenu la même forme poétique depuis ses quinze ans, dois-je m'inquiéter ? existe-t-il en poésie des « spontanéités » ? de combien son enfance s'est-elleéloignée à cause de moi ? sous moi ?

     

    De combien son couple est-il plus solide que moi ? existe-t-il une place pour le merci, pour le « j'accuse » ? les deux sont-ils si éloignés ? Ne puis-je donc aimer ma mère ? mêlant les mêmes injonctions ? qu'est-ce que l'écriture ? est-ce que j'écris à ma mère ? pourquoi laissais-je traîner mon carnet personnel ? Hanim écrit-elle à son père ? pour séduire et s'épancher, pour déplorer notre distance - quel destinataire suis-je ? Pourquoi tant de réserves de sa part, un tel rejet, de La chuted'Albert Camus ? La forme de La chute relève de l'épistolaire, ici jugée artificielle et ringarde, agressive ! et non d'amour ! Alors que ces perpétuelles apostrophes, justement, me concernaient, moi, à la deuxième personne, et au premier chef ! enfonçant définitivement tous ces péteux péremptoires – « vous avez tout choisi, et c'est à vous seul de vous en sortir ! » - voir Baba Sahib : « Tu as choisi d'être malheureux, et c'est une grâce de Dieu»...

     

     

     

    R. 31

     

     

     

     

     

    On faisait sa bégueule, au début, et sa renchérie : « Une Cohen-Lilionn, au motel ? Tu rêves ! » Puis on en a tâté, ce n'était pas si sale en baissant les lumières et les stores – mais, physiquement, je me détraque : mes glandes grossissent, blêmissent, gondolent et me feront crever dans un relent de vase.

     

     

     

    X

     

     

     

    Un jour au restau tunès, Hanim, Seconde Epouse, a jeté sur la table douze euros en pièces de trois bien claquantes, avec la voix qui monte en pleine salle ; or à présent, avec ma Première, nous n'avons plus de scène de ménage : de simples allusions suffisent. Certains passent toute leur vie à la comprendre leur histoire ; ce ne sont longtemps que mixtures, confrontations, relents et guimauve – cela dure des mois, des années : grisaille et souffrances.

     

     

     

    X

     

     

     

    Hanim pleure au téléphone portable, je la reçois seul et debout derrière la poste à St-Supply. Elle m'aimait, alors. Elle avait l'amour du drame. Comme moi. Je n'avais pas eu la sottise de lui révéler mes deux coups tirés d'infidélité. Je l'avais à moi seul en communication. Pourquoi lui avais-je si souvent laissé entendre que je tombais toutes les femmes ? J'étais si fier alors, de commencer une nouvelle vie. Hanim sanglotait, voyait plus clair en moi que moi-même : un harem, un bordel mormon, cinq ou six femmes entre lesquelles répartir mes faveurs, et tout l'amour du monde - au fond de cet amour se cache l'infinie solitude, l'éternel qui se dérobe : il n'est d'absolu que de Dieu, bien au-delà du col de l'utérus – par delà son athéisme, Don Juan recherche Dieu. Chérubin vit Dieu. Du verbe vivre. Il est bien téméraire et confus de ma part de vouloir m'égaler à eux.

     

    Cette femme, celle-là précisément, me désire. Veut à toute force poursuivre sitôt que je la touche. Jamais vu cela. Jamais je n'ai pu ni voulu le voir avant elle, jamais. Aujourd'hui (enfin) je le vois, je le crois, pour le petit toujours qui reste.

     

  • Polybe

     

    Polybe admire l'armée. Romaine, s'entend, dont il fut l'otage. À quelle occasion, je l'ai oublié. Rien de plus admirable en effet que les règles d'organisation et de rationalité dont on s'entoure pour tuer. On massacre assurément, de l'humain ou du taureau, mais avec tout un rituel, une législation. Pas question de trucider en tranchant dans le tas. L'homme crève et chie comme les bêtes, mais il lui faut du légalisme, de la constitutionnalité. Les animaux possèdent aussi leurs rites et leurs façons, et celles de l'homme ont à voir elles aussi avec l'efficacité. Ce qui frappe dans le choix des officiers, c'est qu'il ressemble beaucoup aux calculs du commandement politique en Grèce, ou plus près de nous à Venise.

     

    C'est le déclenchement de toute une mécanique démocratique. Nous en sommes à ce fameux établissement du camp, dont nos élèves de 6e se régalaient : une disposition immuable, tenant déjà de la fondation d'une ville, d'une civitas. Et bien des localités ont conservé ce plan quadrangulaire, , l'armée se trouvant constituée, en ses débuts, de citoyens, de préférence propriétaires. Le camp romain nous ramène donc à la fonctionnalité du meurtre, rituel, sacrificiel, autant qu'à la fondation, à partir du plan même de garnison, de colonisation : la colonne, en conquérant, laisse toujours derrière elle des camps, des castra, que certains occupent et font prospérer. La science de l'établissement des camps s'appelle « castramétation ».

     

    Polybe, nous dit la note, aurait imaginé (ou inventé!) la négligence des Grecs dans l'établissement de leurs camps pour la nuit ; ils ne s'allongeaient tout de même pas au hasard !Un camp grec n'était pas un immense bazar ! J'aime tout de même ce naïf qui préfère à son peuple celui des Romains, comme nous le faisons nous-mêmes... D'autres avant nous se sont bien sûr penchés sur L'armée et le soldat, La guerre dans l'Antiquité (Harmand, Garlan...) et plus on approfondit ses recherches, plus on s'aperçoit que le terrain grouille de spécialistes et d'acteurs historiques : « Le texte à comparer à celui de Polybe, à l'autre bout du temps, est celui d' [Hygin], De munitionibus castrorum, « Sur la fortification des camps ».

     

    Hygin est-il du VIIIe siècle avant notre ère ? ...du Ve de la nôtre, je crois... Wei et Nicolet renvoient aux travaux de P. Fraccaro et de Walbank. Braves gens. Allant jusqu'à tirer des planches (Kremayer-Veith). Et dans l'ombre défilent ces casques et ces paludamenta ou tuniques de commandement. « Une fois choisi l'emplacement du camp, la tente du général y occupe toujours la position qui permettra le mieux d'avoir une vue d'ensemble en même temps que de faire circuler des ordres. » Logique. Le général n'est pas à l'arrière, mais physiquement présent et combat tout au milieu de ses troupes. A l'endroit où l'on va la planter, on met son fanion, la surface faisant 4 plèthres » (2 plèthres sur deux, 60m x 60 environ ; un stade fait 180m.) « A l'extérieur de ce carré, sur un seul de ses côtés (…), les légions romaines se disposent de la façon suivante. » Séjà nous sentons poindre, avec méfiance, cette propension des Anciens à embrouiller tout ce qui est clair, voire géométrique. Il nous avait semblé que le général occupait le centre du camp. Or cet emplacement, d'après Polybe, serait une excroissance, une verrue, particulièrement vulnérable, comme aux avant-postes, ce qui se conçoit tout de même. Lisons à présent le texte grec, p. 104 à droite : « Il existe six tribuns par légion ; chacun des deux consuls a toujours deux légions avec lui, il est évident que douze tribuns accompagnent forcément chacun des deux consuls. » Tribuns militaires s'entend, et non point de la plèbe. « On met donc leurs tentes à tous sur une seule ligne droite, qui est parallèle au côté du caré qu'on a choisi (celui du quartier général ou praetorium). »

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  • La galerie de potaches

     

    Je vous renvoie, bande d'ignares, à votre manuel d'Histoire Latine (« Mais y'en a plus ! - Vos gueules. » Ne pas oublier Quentineau, d'ascendance russe, que sa mère avait plus ou moins convaincu d'étudier cette langue. Il s'était esclaffé quand j'avais tiré d'un coup sur le nœud de ma cravate, déroulant une ignoble cravate en forme très exacte de maquereau (« Ah ce goût ! ce goût ! ») - tandis que les filles se récriaient en sens inverse, trouvant mon torchon de cou de la plus vive originalité.). Ce fut lui encore qui me tendit du bout du bras, d'un air charitable et dégoûté, son adresse de futur étudiant, car je m'étais plaint (encore !) de n'avoir qu'eux seuls, mes élèves, pour seule famille, ma femme se signalant par sa constante absence au monde.

     

    Je me souviens de Chien, que ses parents avaient tout de suite, dans la demi-heure, sorti des Beaux-Arts parce qu'un prof commençait à lui tripoter l'entre-jambes ; « On n'entendati que nous dans l'établissement », me confiaient les parents, plus filiformes l'un que l'autre - « Ah ça n'a pas traîné ». Je me souviens de la fille Chamois, immense blonde, passionnée de mécanique auto et de cambouis, orientée selon ses désirs, qui plus tard a dû enjamber les mecs avec une précision de pont-levant. Magnifique Walkyrie. De Rabot, soupçonnée de subir la pédophilie (dites seulement me dit la C.E. que vous avez été frappé par son émotivité particulière ; ne parlez pas de soupçons !) Cette brave élève fille de colonel m'avait surpris en train de parler d'elle sans avoir noté sa présence (c'est bien de moi) : « Je parlais de votre nom de famille, Mademoiselle, qui désigne un instrument de menuiserie ».

     

    Je n'avais en effet aucune matière à calomnie. Rassurée, flattée que je mentionnasse la signification de son nom. Une petite blonde et rose adorable. La fille Grandin, très moche très jaune rédigeait des fiches sur les personnages de Dostoïevski. “Mais enfin pourquoi, me demandait-elle, en voulez-vous ainsi à toutes ?” Même réaction des filles Entommeure et Lapomme,à qui j'ai prétexté que je leur en voulais, aux femmes, par jalousie de ne pas en être une, moi-même ; elles en furent toute soulagée, comme ayant enfin résolu le fin mot d'une énigme. Je ne pouvais tout de même pas leur dire que c'était à cause de mon désir de coucher avec toutes les femmes, afin d'acquérir leur sexe.Je me souviens de Framboise, qui avait poussé très loin la ressemblance avec son patronyme : gras, onctueux, bête et savoureux. Pour Lexcrème, interdiction absolue de se permettre la moindre once de plaisanterie en « -ment ». Mais combien de fois n'ai-je pas répété à la fille Fer : « Il faut laisser Lucie Fer » - mon Dieu que de connerie... Sa cousine s'extasiait au fond de la salle, après l'un de mes calembours, empruntés bien sûr à l'excellent San Antonio : « Néanmoins, et oreille en plus... » - je la voyais toucher alternativement son nez et son oreille, en se pénétrant profondément du jeu de mots, qu'elle a dû conserver dans le coin le plus précieux de sa mémoire de jeune adolescente... Thomas Bastonneau,quant à lui, petit, moche, noiraud de Cancale, me disait « Vous êtes un prof pour bons élèves. Il en faut, mais... vous ne savez pas expliquer. »...Je ne me souviens plus du chanteur qu'il savait imiter (il se fit prier par ses camarades, mais je m'aperçus, lorsqu'il se décida enfin, qu'il ne le pouvait faire qu'à voix très basse. Taureaux, mais de loin....JPG

    MEUEUEUH...

     

    Et dans tous ces yeux, tant d'espoir... Toune, Lucien, devenu un ami épistolaire. Et qui m'a laissé choir (à cheveux), comme il est naturel et souhaitable, après tant de conseils à lui prodigués (mais il est vain de donner des conseils : on écrit ce qu'on est ; pour améliorer son style, on doit changer soi-même ; et cela, n'en déplaise aux nombreux donneurs de leçons (souvent payantes), ne se commande pas, ne se décide pas) : la gloire est aléatoire, et ne s'accommode pas des velléités, ni même des grandes volontés. Alphonse, c'est le garçon qui m'a rossé dans un sac en jouant Scapin. C'était un très grand sac, parce que je craignais de m'étouffer. Adrienne, c'est la fille si moche, revêche et concentrée dans cette classe très sonore de grands couillons ; Brahim, celui qui crachait bien lentement par terre, de façon extraordinairement répugnante, en me croisant, mais de l'autre côté, comme les Suisses à Saint-Pierre-le-Môtier pour Jean-Jacques ; je le retrouve aux caisses à Monoprix.

     

    Je l'évite pour ne pas lui dire “Alors, on ne crache plus ?” Je me souviens de Schiavoni, qui m'inventa dès la sixième la livraison par les déménageurs du piano à roulettes, lequel s'échappait soudain et déclenchait une inépuisable série de catastrophes. D'un autre qui nous lut à tous les aventures de l'agent Bedebois, car j'animais un cours de théâtre bénévole tous les samedis matin. C'est moi aussi, ce fou, qui pour ma première année complète d'enseignement fus le dernier à lire une liste de distribution des prix, en 68, sous les regards courroucés du principal, qui devait mourir l'année suivante ? « Et maintenant, soyez particulièrement attentifs » avait-il dit : jusqu'au bout, il m'aurait mortifié.

     

    Seul de tous mes collègues, qui bâclaient tout cela comme une corvée des temps révolus, j'ai mentionné tous les prénoms, d'une voix ralentie, afin de conférer à cette cérémonie moribonde un minimum sinon de solennité, du moins de dignité. J'avais été le seul à mener la classe en cours, avant de la faire sortir, devant la révolte généralisée des enfants. Tel fut mon Mai 68...