Courage, Simone
Plus tard, cette jeune fille se dessalera, se dévergondera, boira, sortira dans les bars de Saint-Gerrmain des Prés sans perdre de trop bonne heure son pucelage, considérant jusqu'à un âge avancé que le sexe était quelque chose de très inconvenant, surtout sans amour. Voyons ce que nous dit l'œuvre directement, p. 47, sur la situation coloniale qui est faite aux enfants :
« Les adultes me tenaient à leur merci. Si je leur extorquais des louanges, c'était encore eux qui décidaient d eme les décerner. Certaines de mes conduites affectaient directement ma mère, mai sans nul rapport avec mes intentions. »
...Où l'on voit que, semblable à bien des enfants, la petite Simone avait bien envie qu'on la regardât, qu'on la complimentât, mais se rendait bien compte que les réactions de l'entourage ne correspondaient pas avec celles que l'on voulait en tirer. Ce cauchemar m'a très, très longtemps poursuivi... Voici à présent un retour de vacances – toujours mon bon conseil : si vous voulez monter dans la société, habitez Paris. Page 94 :
« Aucune promesse ne fut tenue. Je retrouvai dans les jardins du Luxembourg et les rousseurs de l'automne : elles ne me touchaient plus ; le bleu du ciel s'était terni. Les classes m'ennuyèrent ; j'apprenais mes leçons, je faisais mes devoirs sans joie, et je poussais avec indifférence la porte du cours Désir. »
JEAN BEDOURET, ACTEUR
Pas Harlem. Ce nom désigne un cours pour jeunes filles bien éduquées, où l'on n'était pas trop exigeant sur le niveau des maîtresses, mais sur celui de leur moralité. A noter u npoint extrêmement important, qui rapproche Simone de son commentateur, et je l'espère de bien de ses auditeurs : la vie de Simone, ce sont autant ses lectures que les événements de sa vie extérieure. Nous avons affaire à présent à une jeune fille véritable. Elle nous dit, p. 141 :
« Je le lus en anglais, à Meyrignac, couchée sur la pousse d'une châtaigneraie. Brune, aimant la lecture, la nature, la vie, trop spontanée pour observer les conventions respectée par son entourage, mais sensible au blâme d'un frère qu'elle adorait, Maggie Tulliver était comme moi divise entre les autres et elle-même : je me reconnus en elle. Son amitié avec le jeune bossu qui lui prêtait des livres m'émut autant que celle de Joe avec Laurie : je souhaitai qu'elle l'épousât. »
Vous voyez bien qu'elle nous raconte ce qu'elle lit comme ce qu'elle vit. Personne ne raconte ce genre de choses d'habitude. Plus tard il sera de bon ton de traiter Simone de Beauvoir de « bas-bleu ». Futurs autobiographes, ne nous épargnez pas ce que vous aurez lu. Autre extrait, nous fournissant des lueurs sur le père de Simone :
« Mon père répétait souvent qu'il faut avoir un idéal, et tout en les détestant, il enviait les Italiens parce que Mussolini leur en fournissait un : cependant il ne m'en proposait aucun. Mais je ne lui en demandais pas tant. Etant donné son âge et les circonstances, je trouvais son attitude normale et il me semblait qu'il aurait pu comprendre la mienne. »
Et voilà comment Simone de Beauvoir n'est pas devenue mussolinienne, et comment son père, s'il avait été italien, le serait devenu. Quant à Simone, petite jeune fille déjà bien décidée, elle ne faisait que se heurter avec son père, qui la jugeait sans doute insuffisamment soumise comme enfant et comme future femme... A propos de femmes, justement, comment la future autrice du Deuxième Sexe se forma-t-elle à la question féministe ? Ecoutez la p. 235 :
« Je fus bien perplexe. L'égalité des sexes, j'étais pour ; et en cas de danger, ne fallait-il pas tout faire pour défendre son pays ? « Eh bien », dis-je quand j'eus lu le texte du projet, « c'est du bon nationalisme. »
Courage Simone, il y a encore du chemin à faire ! Question : pourquoi les femmes ne doivent-elles pas faire leur service militaire ? Réponse macho : parce qu'elles sont déjà assez connes comme ça. Bon, Simone ne me l'aurait pas pardonnée, celle-là. Mais je ne susi qu'un animateur de radio pas sérieux, et non pas un universitaire qui passe à France Culture. Dois-je vraiment vous rappeler que Simone de Beauvoir ne doit guère être suspectée d'avoir évolué vers le militarisme ? Grande honnêteté de sa part d'ailleurs de nous communiquer toutes ses bourdes, afin de nous éclairer sur les errances de son cheminement intellectuel.
Pour finir, Simone réussit tous ses examens, comme une jeune fille rangée, justement :
« Quel soulagement d'en avoir fini ! Mon père me conduisit le soir à la Lune Rousse, et nous mangeâmes des œufs au plat chez Lipp. Je dormis jusqu'à midi. »
C'est la grâce matinée que je vous souhaite, et vous quitte sur cette piètre pirouette, en vous demandant d'une part de vous méfier des jeunes filles rangées dont on ne sait jamais ce qu'elles cachent, et d'autre part de lire ce vieux, une fois de plus très vieux livre, Mémoires d'une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, paru chez Gallimard en 1958. Roulez jeunesse !