der grüne Affe - Page 173
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02 03 2051 J'utilise dans une cour scolaire un téléphone public dont se servent les grands élèves. Le combiné a été utilisé sous forme de traitement de texte dans sa partie supérieure. Je l'ai employé, mais je ne saurais plus le refaire. Sous le regard narquois et sympathique des jeunes, je parviens à présélectionner un numéro, mais ne réussis qu'à soulever un combiné gris du plus ancien modèle. J'ai vue sur des toilettes avec lavabo blanc, à l'ancienne. Un employé de la mairie de X. Me répond, il a une voix de moustachu. Il me demande ce que je veux. Je dis : “Est-ce que vous pensez que je dois... et puis non c'est trop personnel” - en fait j'ai oublié sinon la question du moins sa pertinence. Je suis réveillé par un gigantesque éternuement d'Annie. 07 03 Dérivant sur une planche de surf avec Sonia et David, après avoir erré, heurtant ou évitant les épaves, nous nous dirigeons vers une île près du détroit de Gibraltar (Aldeboràn ?) Nosu y sommes bien accueillis, il y a de nombreux vacanciers et résidents. Sonia sera inscrite dans une école très aérée et propre. J'achète une résidence auprès d'un homme d'affaires gros et sévère 292 900 F. Puis pour détendre l'atmosphère je plaisante sur mon étourderie. Il m'aide à ramasser mes affaires vieilles et encombrantes (une vieille paire de baskets), et nous descendons au salon d'accueil en bavardant. 31 03 Je pars en voyage seul en voiture vers la Dordogne. Une de mes dents a besoin d'être soignée. Je m'arrêterai chez le dentiste du petit village où je vais, j'y suis déjà allé. Mes parents m'approuvent avec bienveillance. J'attends à la queue pour avoir une communication téléphonique, puis m'avise qu'il y a des cabines en plein air. Elles sont toutes occupées, mais la voix de l'employé résonne : “Vire-moi la grosse là à gauche et prends le combiné”. Cette grande fille blonde pleure parce qu'elle attend un appel qui ne vient pas. Elle reste à côté de moi. Je dois téléphoner au 8 503 ou faire le code “Ecoutez”. Au 8 503 une bande son me restitue une discussion entre hommes sur le statut du journalisme. Je veux appuyer sur les touches “Ecoutez” mais je reçois dans le doigt une assez forte décharge électrique. Le soir tombe. Les couleurs sont vives. Au lieu de faire un crochet par le Lot-et-Garonne pour mon dentiste, je poursuis mon voyage, je consulterai au retour. Ce voyage l'a été nécessaire parce que les deux jours précédents j'ai carrément oublié de faire mon dernier cours et dois m'en excuser auprès du proviseur. 01 04 Nous sommes Annie et moi dans une maison de location comme à Oléron. Des représentants sonnent, nous ne voulons pas ouvrir. Ils s'installent patiemment au soleil sur des chaises de jardin. Petit à petit nous fermons soigneusement et silencieusement les fenêtres derrière les stores. Nous les regardons à travers une vitre mais ils ne nous devinent pas bien bien qu'ils regardent eux aussi. Je susi en voiture une petite femme, à qui je passe commande (elle conduit devant moi une camionnette de livraison à la portière ouverte). C'est une employée de McDonald's, elle me propose de repasser ma commande à l'intérieur mais je ne comprends pas, je paierai plus cher (quelqu'un lui dit que je suis enseignant, que je peux payer). Ensuite elle essaie de me réparer une très vieille imprimante qui bouffe trop de papier à la fois. Elle est de Lège et ressemble à l'une de mes collègues prof d'anglais. Je lui dis que j'aimerais habiter sur le Bassin mais que ma femme tient beaucoup à sa maison de Mérignac. Elle semble dire que je suis velléitaire et que je n'obtiendrai ce que je veux que lorsque je serai un peu trop vieux. Elle est plus jeune que moi, mélange de raillerie et de sympathie – parce que je révèle mes faiblesses avec une franche naïveté. Avril 2051 Je cherche non pas à mourir mais à acquérir une supériorité des pouvoirs de l'esprit qui me permette un jour ou l'autre, avant ou après ma mort, soit de dominer les circonstance matérielles de manière à les incorporer à quelque chose de plus grand, soit d'acquérir la volonté de les changer matériellement. Tous les efforts de ma vie peuvent se ramener à cela et se justifier à cela. 03 05 51 Je joue aux billes avec Le Pen, énorme, parfaitement reconnaissable. Partout des salons où l'on mange ou prend le thé, garnis de personnes très snobs et bien habillées. Je ne le suis pas. Il me fait jouer à une espèce de tric-trac : sur une carte de france, nous nous faisons face, le jeu consiste à dégotter une ou plusieurs billes, petites, compactes, d'acier, en tirant avec une de ses billes à soi, à l'aide d'un bâtonnet d'acier, court. Chaque rangée de billes est défendue par une espèce de boudin de tissu. Je suis très malhabile et envoie dinguer mes billes un peu partout. Les spectateurs se marrent mais sans hostilité. Le Pen récupère deux billes dans un berceau de poupée. Il change sans arrêt le jeu de place, attend interminablement avant chaque tir, ne m'explique pas bien comment il faut s'y prendre, d'ailleurs ne joue pratiquement pas. En lançant mes billes avec le doigt, je parviens de plus en plus à tout lui démolir. Son aide change toujours le jeu de place, substitue une carte de l'Europe à une de la France. J'occupais en France le côté Pyrénées, lui, en Europe, le côté Arkhangelsk. Mais il fait enlever le tapis d'Europe, en plastique transparent, “par égard pour (sa ?] femme”. Cela devient de plus en plus long et pénible, le réveil sonne. Un serviteur, au milieu d'une partie, est venu me remettre mes clés d'appartement et de voiture, que je croyais perdues. -
10 avril 2031
DIX AVRIL 2031
une voix entendue cent fois.
Le pistolet gisait flasque, comment à ce point
redouter les images ?
- Ne pas retomber dans l'ornière !
("Moi, héros germanique, ne saurais-je... ?")
Episodes : apparition de la Femme, ou Grand
Hyster. Commandements, aiguillages. Déjà
s'allongent les routes au long de la rivière. Déjà
sur l' horizon les boules rouges des yeux. Il dira
les grands cris embarrassés dans les corridors,
les voix devenues métalliques. La vérité repose
sur la veulerie des peuples.
Episodes : nous nous mariâmes par un
empoisonnant matin d'automne, le bébé poussait ses
premiers cris à travers un vagin poreux. Les
hommes du bar au-dessus du comptoir, la folie
tournant comme un oiseau marin, le Breton frappant
du pied la cuvette des toilettes.
H. a franchi le pont métallique supportant les
infrastructures de la Compagnie des Eaux. La
rivière canalisée s'étendait, moirée. H. cracha à
travers les X de fer, se gratta le crâne, sentit
les caissons fléchir sous ses pieds, respira le
brouillard sale et calme. Une péniche avance,
étron noyé, dans le mercure.
Que ses entrailles tièdes s'épandent sur la
passerelle, s'enroulent autour des poutrelles
verticales ! (Son cousin fut déclaré fou pour
avoir, vainement, refusé de travailler. On l'avait
enfermé dans l'Allier ; on lui avait dit qu'il
serait relâché du jour où il accepterait de laver
la vaisselle : excellent critère.)
Toujours l'horreur d'une profonde nuit,
et l'homme scrutait encore et toujours.
La solitude lui faisait du bien.
Il rêve cette nuit d'une jeune fille qui
lui caresse la queue en pleine rue, sous le
regard menaçant des clochards ivres. C'est un
rêve en couleurs, celle du Christ de Grünewald.
Les colibris mouchetés de rouge sous le tissu
(jaune) des cages ont mieux résisté qu'on aurait
cru. Cloué sur sa passerelle il rêve d'évasion,
et derrière lui, les treillis d'acier croisé
halètent doucement, à l'américaine : thud,
rattle-rattle.
Sa bouche devint plus sèche. Il faudra se
réhabituer, reprendre en main femme et fille, un
homme chasserait l'autre sous le pont de ses
jambes.
Il faut songer encore, abandonner cette
passerelle où bientôt l'électricité
ferait ses vibrations mortelles. Ou plonger. Dans
son dos, deux mètres de retenue d'eau
dégringolaient dans les eaux. Les voitures
suivaient la berge, faisceaux dans le brouillard.
Des poissons verts les saisiraient aux pneus, et
les entraîneraient.
- Pars. Tu auras cinq minutes. Les jambes
écartées au-dessus de l'eau.
L'heure enfin sonne, passée l'éternité.
L'homme redescend l'escalier de fer. Le dernier
palier le retient quelque temps, déjà au-dessus de
la berge. Pour finir, le serpent cinq fois
tronçonné sur le sol, sa peau roulée trace un
sillon, sable, crottin.
(Evoquer le Liban, et la férocité des mères
rappelant leurs enfants sous les pluies d'obus.
Est-il exact que la vie là-bas ait un sens, qu'on
se baigne à bord des porte-avions, et boire des
boissons poivrées.)
Jaillissant d'un coup dans la pornosphère, le
dessus du cercueil fit trois fois le tout de la
terre : prodige. "Des forces ! " cria l'anonyme au
pied du pont. L'aube se leva, très sale et très
fuligineuse. La crasse d'une cheminée s'effilocha
dans les nuages bas. Toujours se retourner sept
fois dans son lit, avant de se lever.
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Contes et légendes de Monsieur Machin
Lycée de Grénolas : Ouvrez vos livres Allah page (tant)... Les filles me l'ont répété, deux ans plus tard. Je ne les reconnaissais plus. Qui sont-elles ? De quel âge ? Quelles braves femmes complètes ? Combien préférables les filles en pleine formation, ébauches bourrées de de tics et de perversions frénétiques... Mon dernier éclat se situa au mois de mai 51. Une de celles-là, moche, rabougrie, vieillotte, jaunâtre et branlée jusqu'au trognon (incroyable à quel point les filles de cet âge-là portent sur leurs traits mêmes, sur la graisse malsaine de leurs pommettes, les stigmates de leurs innombrables branlettes) – elle refusait de m'écouter. Pérorant avec indifférence, en plein cours, le dos tourné, bien exprès.
Mon épouse de même avait voulu faire cours alors que les élèves, dos et chaises tournés, discutaient entre eux, ostensiblement - rien de plus mortifiant. Nous tenons absolument à préciser une fois de plus, face aux vociférations des angélistes, que ce sont les enfants de pauvres, garçons et filles, qui font cela, refusant systématiquement, et par principe, toute espèce d'éducation. Remercions en effet de tout cœur nos éminents démagogues : nous aurons mis plus de quarante années à redécouvrir que non, en aucun cas, l'instruction n'est faite pour le peuple - il la refuse. J'ai donc ce jour-là jailli comme un fou je dis bien comme un fou hors de ma classe, avant l'invention des anxiolytiques : après 39 ans de métier, me voir confirmer par a plus b que je n'avais jamais rien su faire.
Qu'il fallait tout reprendre à zéro. Que l'éducation ne se transmettait pas automatiquement de génération en génération. « Certains croient que le génie est héréditaire ; les autres n'ont pas d'enfants. » (Marcel Achard). J'ai déboulé surle parking, hurlant et zigzaguant, poursuivi par la Conseillère d'Education : « Monsieur C. ! Monsieur C.! Vous n'allez pas reprendre le volant dans cet état ! » - je me suis calmé dans la seconde : on ne plaisante pas avec la route. Et dans la foulée, un mois de congé, allez hop. Et huit grands jours tout seul à La Chaise-Dieu ; ces petits congés-là, je n'ai jamais manqué une occasion, au cours de ma carrière, de me les octroyer. « Vous ne saurez jamais ce que c'est, balançait méprisant je ne sais quel dentiste à l'un de mes collègues, qu'une journée de dix heures »- il était pourtant bien facile de lui rétorquer, tant qu'il n'avait pas encore fourré ses gros engins dans la bouche enseignante, qu' « assurément, Docteur, c' [était] vrai ; je ne pourrais pas faire votre métier, je ne le supporterais pas ; mais vous, de votre côté, vous ne supporteriez pas non plus mes misérables petits cons 18 heures par semaine, dans un tension nerveuse incessante, sous la menace.
Les dentistes, entre autres, ne peuvent absolument pas s'imaginer, tant qu'ils ne l'ont pas vécu, à longueur d'années scolaires, ce que c'est que de se faire rabrouer, insulter, remettre en question par leurs patients ; les professeurs, SI. Je défie tout dentiste normalement constitué d'échanger ses fameuses dix heures contre quatre ou cinq heures de cours dans cette atmosphère, susceptible à tout instant de se transformer en scène de lynchage.Un chauffeur de bus me l'a dit : « Vous n'avez donc aucune autorité sur vos élèves ? ...je ne pourrais pas, je ne pourrais pas... » - l'un d'eux n'avait-il pas carrément balancé une canette de bière par la fenêtre en pleine autoroute – on fait moins les malins, Messieurs les Non-Enseignants ?
Lorsque je suis rentré de ce congé « pour dépression », j'ai offert à cette élève, à cette toute petite face ratatinée de vieille rabougrie, un cactus en pot. Il paraît qu'elle l'a gardé longtemps, et que ses deux inséparables, que j'ai revues aussi deux ans plus tard, se sont toujours comme elle souvenues de moi.
X
Ma vie n'aura-t-elle été qu'une gigantesque plaisanterie de commis-voyageur ? « Le Commis-Voyageur de la culture » : bon titre. J'ai vu sous mes yeux les gueules béantes, rigolardes et dévorantes, pleines de dents, de mes adolescents, j'ai vu plus de dents qu'un dentiste ; tous prêts à dévorer, vivant, leur dompteur et leur professeur, comme braillaient la bouche ouverte ces parent d'élèves, commerçants, agents immobiliers et autres, acclamant l'idée qu'ils détenaient, eux, eux seuls, la «vérité vraie de la vraie vie », alors que les profs, n'est-ce pas, ne connaissent rien à la vie. Tout à fait l'assemblée du « Bal des Vampires » de Polanski !
Certains m'auront trouvé excellent, d'autres quelconque. Je me souviens des frères Pexter, à une terrasse d'Avignon : ils se parlaient en anglais pour masquer leur complicité, sans s'apercevoir que leur accent à la Maurice Chevalier les laissait ridiculement compréhensibles. L'un d'eux jurait que mon père possédait “le génie de l'enseignement”. L'autre faisait la fine bouche, estimant que ce n'était pas du tout cela, et que mon père n'était qu'un médiocre. Mon père me confirma qu'il s'était bien entendu avec le premier, pas du tout avec le second, “mauvais esprit”. Depuis, je ricane sitôt que j'entends parler de professeurs “compétents” ou “incompétents”.
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Ter vel quater
A St-Rupt dans les Vosges vit un fou. Il surgit carabine en main. Il s'appelle Dominique PAZIOLS, tue sa mère, ses frères et ses soeurs. Emprisonné, il étudie Kant et Marivaux. Evadé, il rejoint une ville comme B., port de mer, où chacun se bat pour sa vie, où les maisons s'effondre sous les tirs d'obus, où l'on se tue de rue à rue, comme ça. Dans cette ville de MOTCHE (Moyen-Orient), Georges ou Sidi Jourji, fils de prince et de président, cherche tout seul dans son palais six ou sept hommes chargés de négocier la paix. A ce moment des coups retentissent contre sa porte, une voix crie « Ne laisse plus tuer ton peuple », celui qui frappait détale au coin d'une rue, le coin de la rue s'écroule.
Et c'est ainsi que l'histoire commence, Georges heurte à son tour chez son père : « Kréüz! ouvre-moi! » et le vieux père claqué son volet sur le mur en criant « Je descends ! prends garde à toi! » Les obus tombent. « Où veux-tu donc aller mon fils ? - Droit devant. - Il est interdit de courir en ligne droite ! » Ils courent. Lorsque Troie fut incendiée, le Prince Enée chargea sur son épaule non sa femme mais son père, Anchise ; son épouse Créuse périt dans les flammes – erepta Creusa / Substitit. Georges saisit son père sur son dos ; bravant la peur, il le transporta d'entre les murs flambants de sa maison.
Ce fut ainsi, l'un portant l'autre, qu'ils entrèrent à l'Hôpital. « Mon père », dit le fils, « reprenons le combat politique. Sous le napalm, ressuscitons les gens de bien. Il est temps qu'à la fin tu voies ce dont je suis capable. » Hélas pensait-il cependant, voici que j'abandonne mon Palais, ses lambris, ses plafonds antisismiques, l'impluvium antique et ses poissons. Plus mes trois cousines, que je doigtais à l'improviste. Les soldats de l'An Mil, poursuivaient-ils, se sont emparés du palais, ou ne tarderont pas à la faire ; et ceux du Feu nous encerclent – même les dépendances ne sont pas à l'abri puis il se dit Mon Père est sous ma dépendance IL montrera sa naïveté de vieillard.
X
Georges avait aussi son propre fils. Coincé entre deux générations. Le fils de Georges sème le trouble au quartier Jabékaa ; il s'obstine à manier le bazooka. « Va retrouver ton fils ! - Mon père, je ne l'ai jamais vu ! j'ai abandonné sa mère, une ouvrière indigne du Palais – une cueilleuse d'olives – père, est-ce toi qui a déclenché cette guerre ?... s'il est vrai que mon fils massacre les civils, je le tuerai de mes mains. A l'arme blanche. »
...Quant aux bombes, elles ne tombent pas à toute heure. Certains quartiers demeurent tranquilles pendant des mois. Leurs habitants peuvent s'enfuir ; la frontière nord, en particulier, reste mystérieusement calme. Gagner le pays de Bastir! ...le port de Tâf, cerné de roses ! ...pas plus de trente kilomètres... Georges quitte son vieux père. Voici ce qu'il pense : « Au pays de Motché, je ne peux plus haranguer la foule : tous ne pensent qu'à se battre. En temps voulu, je dirai au peuple : voici mon fils, je l'ai désarmé ; je vous le livre. » Il pense que son père, Kréüz, sur son lit, présente une tête de dogue ; avec de gros yeux larmoyants.
Puis, à mi-voix : « S'il était valide, je glisserais comme une anguille entre les chefs de factions ; je déjouerais tous les pièges. Avant de sortir du Palais, mon père s'essuyait les pieds. C'était pour ne rien emporter au dehors. » Le Palais s'étend tout en longueur. Des pièces en enfilade, chacune a trois portes : deux pour les chambres contiguës, la troisième sur le couloir qui les dessert. Chacune a deux fenêtres, comme deux yeux étroits juste sous le plafond. Georges évite les femmes: il emprunte le corridor, coupé lui aussi de portes à intervalles réguliers dans le sens de la marche afin de rompre la perspective.
Au bout de cette galerie s'ouvre une salle d'accueil, très claire, puis tout reprend vers le nord-ouest, à angle droit : le palais affecte la forme d'un grand L . Cet angle défend contre les fantassins ; grâce à Dieu, aucune faction n'est assez riche pour se procurer des avions. Cependant chaque terrasse porte une coupole pivotante. « Dans les tribus sableuses d'alentour, on nous considère avec méfiance : faut-il attaquer le palais, s'y réfugier ? ...nous n'avons rien à piller – personne ne découvrira les cryptes – et mon père, Kréüz – a fait évacuer presque toutes les femmes... Je reviendrai, ajoute Georges, quand l'eau sera purgée de tout son sable... » Ou : « ...quand les brèches seront colmatées. »
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Souvenirs littéraires de Maxime Du Camp
En ce jour béni de la saint Dimitri nous abordons de front la délicieuse inconstruction d'un incertain Maxime Du Camp. Il fut avec Louis Bouilhet le meilleur ami de Flaubert. Il l'accompagna dans ses voyages mais non dans sa folie. Il n'avait pas dit-il lui-même la taie d'admiration qui fait se prosterner les cloportes aux pieds des grands hommes. Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre. A Maxime Du Camp, on ne la fait pas. Flaubert avait du talent, qui aurait pu virer au génie s'il eût été plus ceci, moins cela. Vous savez, c'était simplement un épileptique, roulant des yeux et bavant, et souffrant de son état dont les crises l'accablaient à intervalles fréquents ; pas question cependant pour Du Camp de mettre tant soit peu en question la supériorité du Grand Gustave sur lui-même ; admis à partager le quotidien, les confidences de l'auteur futur de Bovary, il recueille précieusement pour nous les paroles du chef, les silences, les murmures, les attitudes, les tonitruations du Maître, lequel l'estimait d'ailleurs ou feignait de l'estimer son égal.
Ils écrivirent ensemble “Par les Prés et par les Grèves” à l'occasion d'un voyage en Bretagne et en Normandie. Flaubert et lui écrivaient alternativement leur chapitre ; seuls ceux de Flaubert ont été édités en bonne collection ; et vient la question hideuse et indispensable, que s'est posée avant nous Maxime Du Camp : pourquoi lui et pas moi ? Car ce fut lui. Du Camp ne proteste pas. Il ne publie ses souvenirs sur Flaubert que pour avoir compris la seule justification des écrits de Du Camp : avoir connu Flaubert ; ou Fromentin ; ou tel autre rapiat obscur, écrivain besogneux, tant qu'à faire.
Mais quelle horreur : se savoir une ombre éternelle. Pourtant sur lui reste l'éclat obscur du Grand Nom, un reflet sourd du phare ; un autre reflet de Nerval aussi ; et puis, soi-même, tout Maxime Du Camp tout petit qu'on soit, l'on tire de l'ombre tant de personnages annexes, tant de documents “pris sur le vif” ; l'on est si précieux, et tant de grands hommes auraient trouvé leur compte à la présence d'une souris froide qui eût tout noté de leurs tics, de leurs travers, que l'auteur des “Souvenirs Littéraires” peut être satisfait d'avoir déjà rempli la manne de tant d'amoureux idolâtres de Flaubert.
Et même s'il eût pu pénétrer l'âme et les arcanes de son illustre compagnon, ou de Nerval, ou de Gauthier, il ne nous eût pas plus renseigné sur l'élaboration, sur la concoction du génie que ces biographes américains nous dévoilant ce que fit Mahler le 12 janvier 1906 après s'être brossé les dents. Il n'y a pas de biographie du génie. Seul le génie frère y peut descendre avec sonpetit lumignon. L'opération du Saint-Esprit est difficilement décelable. Posées ces limites, nous nous délecterons d'apprendre, par le petit bout de la lorgnette, que Flaubert prônait plus que quoi que ce fût sa “tentation de saint Antoine”, qui fut ravalée au rang de brillant bavardage par un aréopage de bornés, dont Du Camp. Il faut ce correcteur à tout écrivain, ce terrain neutre, juge et non partie, sans autre talent que celui de discerner où le bât blesse. Rôle irremplaçable, inappréciable.
Votre lecteur ne saura pas, ne voudra pas écrire. Un écrivain voudra écrire aussi bien ou mieux que vous. Il fera des interférences entre vous et lui, vous jalousera ou vous imitera. Il faut à chaque écrivant ce miroir-neutre, cet élève qui n'a qu'à bader, qui ne demande qu'à bâiller d'admiration, pourvu que ce soit admirable. Tous les mélomanes ne savent pas composer ni même jouer (car la musique bénéficie d'un stade intermédiaire) ; tous les gourmets ne savent pas cuisiner. Reste à Du Camp un ton mélancolique et de bon ton, de celui qui se sent inférieur mais indispensable, digne et excellent dans son écriture, sans aigreur, acceptant sa condition de vassal à condition d'être respecté comme tel.
Beaucoup moins douloureux que le Salieri montré par Forman face à Mozart. Avec quelques coups de patte cependant, car seule la patine du temps et tant de respect met à l'abri des petits crocs des rats menus. Et tenez, voici le portrait de Pradier, sculpteur qui se croyait, qui cultiva le genre artiste, puis qui plus rien. Vous ne le connaissiez pas. Ni moi. Ecoutez la cruauté, le petit esprit lucide, et comparez avec la tendresse à l'égard de Flaubert. [P. 47] : “Il avait de lui une haute opinion, et rien n'est plus légitime, car cette opinion était justifiée par son talent et par sa réputation, mais je ne serais pas étonné qu'il eût cru à son génie universel et que, mentalement, il se fût comparé à Léonard de Vinci et à Michel-Ange. A cet égard, il ne faisait pas de confidences, mais l'aspect de son atelier dévoilait sa pensée. Un orgue, une piano, une guitare, voire même une lyre construite d'après ses dessins, prouvaient que la musique ne lui était pas inconnue et j'affirmerai qu'il avait essayé de composer des romances, une symphonie et une sorte de marche funèbre qu'il appelait Orphée au tombeau d'Eurydice. Aux murailles, à côté des couronnes obtenues par ses élèves, étaient accrochées quelques peintures peu modelées, rappelant de loin la facture de Carlo Maratta, et entre autres une Sainte Famille, qu'il avait faire, disait-il, en ses moments perdus. Les albums qui traînaient sur les tables ne contenaient pas que des croquis, on y lisait des vers dont les rimes boiteuses, les hiatus, les césures déplacées n'indiquaient que du bon vouloir. Je me souviens d'une de ces pièces de vers dédiée à la reine Marie-Amélie, et qui ne ressemblait en rien aux sonnets que Michel-Ange adressait à la Colonna. C'étaient là pour Pradier des passe-temps, et aussi des déceptions. Il sentait qu'il était inférieur dans ces arts latéraux, où il n'aurait pas dû s'égarer, et il revenait à la statuaire, à l'art dans lequel il était passé maître. Le soir, au coin du feu, dans son appartement du quai Voltaire, il taillait des pierres dures et en faisait des camées, dont quelques-uns ne sont pas inférieurs à ceux de Picler et de Cappa.”
Voyons radoter Du Camp, préparant l'expédition en Egypte [p.94] : “Je retournai à Paris, où Flaubert devait me rejoindre deux ou trois jours avant notre départ et où les occupations ne me manquaient pas. Je voulais que notre voyage fût entouré de toutes facilités, et j'avais demandé au gouvernement de nous confier une mission qui nous servirait de recommandation près des agents diplomatiques et commerciaux que la France entretient en Orient. Ai-je besoin de dire que cette mission devait être et a été absolument gratuite ? Elle ne nous fut pas refusée. Gustave Flaubert – il m'est difficile de ne pas sourire – fut chargé par le ministère de l'Agriculture et du Commerce de recueillir, dans les différents ports et aux divers points de réunion des caravanes, les renseignements qu'il lui semblerait utile de communiquer aux chambres de commerce.
“Je fus mieux partagé : j'obtins une mission du ministère de l'Instruction publique, où je connaissais François Génin, qui était alors directeur de la division des sciences et des lettres.”
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So für mich hin...
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IMPUDENCES (124)
A ma mère "Est-ce que tu veux une demi-livre de bifteck sans enlever les os ?" - ma main sur la gueule. Alcmène jeune fille répondait en serrant les dents, à reculons comme un bête rétive : "Eh ben alors... Eh ben... - Dis que j'en ai menti ? dis voire que j'en ai menti ?" Un Dragon ne ment pas.
Notes
(124) Il est très malaisé de déterminer ce qui a bien pu suggérer à l'auteur telle succession de chapitre plutôt que telle autre. Ici, deux séquences brèves, destinées à montrer comment à cette époque un homme se faisait respecter de sa femme, et de sa fille.
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ORACLES DECLAMES (125)
"Nous disions donc, Mathéos" - prononcez "matéheausse" - que le bruit de la mer-d'empêchait les poissons de dormir" - Alcmène se demanda quelle avait bien pu être cette fameuse "Théôs" - j'imaginais quelque solide bellâtre entourant de son bras les frêles épaules d'une poupée en costume régional, contemplant la mer pour la première fois... ou plutôt un nommé "Mathéos" - de quel opéra-comique tenait-il ces formules - quel Parisien connu dans les tranchées (...)
Note
(125) Reprise, donc, des paroles immortelles que ma mère a cru bon de me transmettre (et elle avait raison).
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ORACLES CHANTES scato crescendo
Il chantait : « Au bain Marie j'ai vu tes charmes
« Au bain Marie j'ai vu ton cul » (« bain-marie, hihi !)
Il chantait "Dégueule de tout ce que tu voudras
"Dans les sentiers remplis de mè-è-è-rd- (feignant de se reprendre) - ...leuh... ("de merles", ah ah !)
Il chantait « J'avais mis ma main dans la...
reprenant « J'avais mis ma main dans la... eh merde, je n'sais plus ! » Mimer avec les mots la glissade dans la merde. Ou bien, au dernier moment, l'éviter, second degré paysan.
Il chantait « Ah c'que c'est beau d'chier dans l'eau
« On voit sa merd' qui nâ-âge
« Si j'avais su qu'c'était si beau
« J'aurais fait davantâ-âge.
Virgile on vous dit. (126)
Note
(126) Il semble que cette fois, les notes en fin de §§ s'avèrent moins nécessaires.
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DES FEMMES
Un homme exprimait-il des idées tant soit peu favorables à l'émancipation féminine, Dragon grommelait :
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Tout ça, c'est des opinions de pédé...
Aux femmes du lavoir : « Vous lavez toujours ?" ("votre pucelage")(du verbe « avoir », évidemment). Elles répondaient "vieux cochon", "vieux machtagouine !" (127)
A une qui courait, l'interrompant dans sa course :
- C'est la fête au Paradis ?
- Pourquoi ?
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Parce que les seins dansent !
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ETYMOLOGIE, tenant lieu de la note 127 :
Je demande à ma mère, qui l'emploie sans malice, la signification du mot « machtagouine », qu'elle trouve très pittoresque, sans pouvoir le rattacher de près ou de loin à quelque particularité linguistique lotharingienne que ce soit. Gaston Dragon l'employait pour désigner plus vieux que lui : « Vieux machtagouine » ! Ce n'est qu'à cinquante ans passés que sa fille en comprend l'étymologie de ce mot : il désigne les vieux impuissants incapables de faire jouir leurs femmes autrement que par une pratique bucco-génitale réservée (croyait-on) aux (« Mâche ta ») - gouines.
. C'est moi également qui apprend à l'innocente Alcmène, consultant les prescriptions d'un remède combattant le "prurit vulvo-anal", la différence entre "vagin" et "vulve" : ma mère ignorait ce dernier mot. Quant à Gaston-Dragon, il avait rebaptisé le village natal de ma mère : de « Vavincourt », dans la Meuse, (127) il fit "Vagin-Court".
Note
(127) En Allemand, « die Möse » signifie « le sexe féminin ». Trop fun.
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