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der grüne Affe - Page 167

  • Alix au pays des merdeils

     

     

     

    58 05 22

     

    Suis allongé dans une vaste salle avec des candidates, nous attendons que l'examinateur nous appelle pour l'oral. À l'écrit, j'ai produit un poème censé en expliquer un autre, mais je me demande s'il ne faudrait pas le commenter, tout de même. La fille de l'examinateur, sur le lit de derrière, me laisse entendre finalement que cela vaudrait mieux. Ce dernier passe et choisit ses candidats, je me signale car c'est mon auteur... Je rejette mon drap et apparais, comme les autres, en pyjama. Mais il m'ignore. Je me confie à l'une de ces grandes filles dont j'étais si dévotement amoureux à Tanger. Un nommé Serfaty, que j'ai bien connu, me téléphone, et me prodigue aussi des conseils. Atmosphère d'extrême confiance, d'extrême tension, de danger. "Danger à Tanger".

     

     

     

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    Le découpage.JPG

    Partons Anne et moi de chez mes parents pour passer quelques heures à l'hôtel afin de revivifier nos ardeurs amoureuses. Nous sommes logés dans une alcôve donnant sur une brasserie, tout le monde sait ce que nous allons faire là-dedans. Cette alcôve a des rideaux ("Nous ne restons que l'après-midi !") qui ferment mal et se déchirent, parce qu'ils glissent sur des barbelés. Je serais assez disposé, mais il s'agit, d'un seul coup, de Sonia, qui nous fait ressortir, traverse une étendue d'eau où l'on a pied la plupart du temps. Elle m'éclabousse, montre beaucoup de joie, de jeunesse et d'énergie. Elle veut que je lui vole une poupée à l'étalage (il suffirait de faire coulisser une vitrine arrondie en plastique), se fait chiper une boîte d'allumettes par un Japonais qui demandait du feu mais la récupère un peu plus tard en la lui resubtilisant avec le sourire.

     

    Et moi je déplore de ne plus être jeune, de n'avoir jamais été audacieux.

     

     

     

    59 06 13

     

    Je passe un oral d'agrèg, ayant été dispensé d'écrit. L'examinateur me remet un très vieux livre mal relié, de Thucydide. Je voudrais bien en acheter un semblable. L'examinateur reste de marbre. Il m'indique d'un mot grommelé le début de mon texte : Ἴαρτας. Or mes connaissances ne me permettent pas de retrouver ce nom. Je feuillette les vieilles pages sans succès. Il me dit : "C'est dans les écrits de jeunesse". Alors j'erre dans le bâtiment, immense, aux salons luxueusement parquetés. Des fauteuils rouges ou pourpres sont en carré, avec des numéros semblant correspondre à des notes : 0,5 – 5,5 – 8,5. Des lecteurs vont de ci de là. Quand je reviens, une candidate m'a remplacé, d'autres attendent, parmi lesquelles une demoiselle "Mélenchon". Je ramasse mon cartable, l'examinateur ne me salue pas, je n'ai pas proféré une parole. Je redescends les étages, passant d'une salle à l'autre, immenses, toutes boisées.

     

    Auparavant, un de mes amis avait voulu demander une chambre d'amour pour son copain et lui, sans connaître la procédure d'obtention ; l'autre, en pleine dépression, était désespéré. Il m'avait été impossible de m'empêcher de pouffer : "Quoi ! Tu veux demander une chambre devant un film télévisé, et tu ignores la démarche administrative ?" Les lits sont rouges, larges, ronds, fréquemment utilisés.

     

     

     

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    En voyage avec Annie, qui se réveille tard et veut s'arrêter presque tout de suite pour le déjeuner. Elle s'engage à pied dans une impasse au bout de laquelle se tient un supermarché. Je l'attends au volant en grognant, des voitures me frôlent pour sortir de l'impasse car je suis mal garé. Très vite nous nous retrouvons dans un restaurant, à une table ronde où discute déjà tout un groupe. Ce sont des comédiens locaux déjà bien connus dans le quart Nord-Est. Ils parlent d'un gros bourg dont les habitants, par alternance, pratiquent une mise en avant, puis un retrait. Je dis que cela me rappelle les Amazoniens de Johann Strauss, puis je me reprends, non sans me récrier bruyamment sur ma sottise retentissante ! je voulais dire Lévy-Strauss...

     

    Ils n'y croient pas tellement, car ils ne connaissent pas Lévy-Strauss. Au bout de la table le costumier présente des oripeaux verts ; un autre homme vient d'une table voisine vêtu d'oripeaux comparables, mais pour la pièce suivante, qu'ils projettent. En repartant, j'avise les petits-beurres sur une table, et j'annonce à un client que je ne les prends pas, que je n'ai plus faim. Nous partons à pied avec une jeune comédienne charmante ; Anne discute avec elle. Cependant je cours dans les feuilles mortes sur le bas-côté d'une route très fréquentée, sous des surplombs de rochers semblables à la Grotte de Lourdes. Un homme nu (sauf le slip en nylon) déambule au centre de la circulation routière très dense.

     

    Je distance Anne et la comédienne, qui s'est fait inviter pour la prochaine Fête des livres, car elle est vraiment plus jeune que nous. Nous n'avons pas pensé à lui demander la route la plus courte pour gagner Marseille. Nous l'avons perdue derrière nous, j'ai pris les devants. Nous arrivons dans les faubourgs d'une grande ville, Le Puy... mais qui ressemble à Bayonne. Nous rencontrons deux jeunes hommes très grands, en qui je reconnais deux visages de mon enfance, mais sans pouvoir les identifier. Le premier, lui, m'a parfaitement reconnu, refuse de dire son nom et se retire pour m'éviter. Je demande au second s'ils n'étaient pas l'un et l'autre mes persécuteurs, jadis. Il le semble en effet, il m'évite à son tour.

     

    Annie me dit que s'ils sont assez mufles pour nous traiter ainsi, cela ne vaut pas le coup d'essayer de leur reparler. Nous entrons donc dans Le Puy en Velay, ville très animée.

     

  • Ca divague ferme en Norvège


        Démontrez-moi seulement qu'il se trouve quelque chose de mieux que la puérilité ; que si l'enfance sert de ressourcement... vous voyez bien. La science en effet - vers l'aval - que découvre-t-elle ? La Mort. Merde.
        Démontrez-moi que la mort est lointaine. Que les analyses cesseront de se succéder. Que je ne prendrai pas mon amie dans mes bras : la rigueur - la dureté - ne sont pas des remèdes (elle m'aimera dans la honte et la gêne de ramener cette si archaïque tendresse) - je passerais d'un lit à l'autre, de la folie au cancer, le coeur gonflé de bonne action, comme un enfant  précisément dont on dit : "Tu n'es pas digne d'être aimé."
        Qui n'a pas connu ce gonflement de coeur ?
        Mon père avait aidé une vieille femme à pousser sa brouette, le visage littéralement déformé de bonheur (fébrile, tiqueux) - C'est un gamin, avait dit ma mère - touchée-coulée ma mère.    
        Je conclus qu'il ne faut pas déformer son visage.
        Je maîtrise très bien cela à présent.
        Je m'apitoie sur mes sacrifices. J'ai moi aussi droit aux petites douceurs compensatrices. A force de buter contre les murs de ma prison, je les avais très bien senti peu à peu s'enfoncer ; je me résoudrais bien un jour à demander à mon gardien quelque corvée d'entretien,  afin qu'il se sente utile, le gardien...


        Chère Norvège,
        Je ne peux supporter plus longtemps tes pics enneigés, tes golfes bleus, tes moeurs tant vantées. Tu vis sur du vieux bois. Tout se dépareille. Mes bas s'oxydent. Mon appareil dentaire ne tient plus dans une bouche desséchée par la morue. Je me surprotège, je m'englue de gestes interdits. Je me vois bien faire du cheval sur le Hardanger Vidda ! Tout est bien froid au bord du Stavanger Fjord - tous les habitants de la Norvège ne veulent-ils pas émigrer ?
        Je serai donc seul traître à mes ancêtres ?
         Ils sont enterrés autour de l'église en bois. 
        Le clocher présente des sortes d'écailles ; il m'en poussera bientôt sur le corps. Les forêts norvégiennes s'étiolent. Est-ce que je dois sortir de mon congé de maladie pour retaper sur le sapin ? La neige est sur la Norvège. L'écureuil s'est enterré dans l'arbre. Mes huskies glissent sur les glaces banquisaires. Les torrents gèlent, les fillettes apparaissent dans la glace par transparence.
        Je reviens au presbytère.
        Je baisse la tête sous mes oreillettes pour ne plus rien voir ; la folie de l'hiver cerne mon crâne emmitouflé - la Norvège étale ses champs de neige bossus comme des seins, ses superbes usines hydrauliques et son poisson. Mais seul, vieux, bûcheron malade, enfermé - dans le bois mi-pourri d'un délabré presbytère... Le poêle fume, les bas dépareillés s'évaporent, une servante de pasteur balaie négligemment, c'est assez difficile à expliquer, un livre déplacé, aussitôt vu, tout cela n'est pas sans rapport avec l'immobilisme rigoriste de cette Norvège, avec ses visages roses inexpressifs et longs, tôt ridés

  • Ferdinand Buisson

     

    Assez divagué. Le texte parle de ces calomnies ecclésiastiques : “car la lourde injure de M. Barrès a fait fortune au-delà du gré de l'auteur, et c'est sa punition.” Je connais assez peu le rôle de Barrès, en matière politique. Il valait mieux, d'après cela, que sa phrase pamphlétaire : il se soumettait à l'Eglise, mais pliait le genou avec noblesse. D'autre part, que le sentiment de ma mamamouchesque grandeur, dû à quelque caprice hormonal, ne vienne pas guinder mon stystyle à sa mémère. Barrès, intelligent, croyant, du côté des croyants les plus abrutis. Erreur d'aiguillage. De n'avoir pas vu la grandeur, l'héroïsme de ces moralistes sans Dieu. Capable ô combien de discerner les vertus de la tolérance – et se repentant d'avoir sali les Maîtres.

     

     

    Le château écossais.JPG

    Les Maîtres d'Ecole. De s'être allié aux salisseurs de réputations. “Cette “information” anonyme passe inaperçue.” Les prêtres ainsi ne tombent pas sous le coup de la loi. Ils s'insinuent venimeusement comme une douve. Je voulais dire que mon père était victime de toutes sortes de médisances et de calomnies. Je pensais avoir fait le tour de sa question, réglé son compte. A présent je pourrais peut-être approfondir. La grandeur que j'ai sentie ne s'applique pas essentiellement au domaine de l'écriture. Il faut que je rattrape ma naïveté d'expression. Il s'agit d'un sentiment d'assurance. Je le recherche. Il s'enfuit et revient comme une réminiscence magdélénique, proustienne (c'était une biscotte).

     

    Je tiens quelque chose. Une dignité. Une mission. Un honneur à exercer. Une invitation à ne pas déchoir, à m'élever au-dessus des ragots. “On en jase dans les villages où l'on a reconnu l'allusion.” Mon père faisait des allusions à ses petites élèves. Il soutirait aux femmes des confidences, plutôt des acquiescements, dont elles se repentaient. Ma mère me l'a dit. Pénétrer dans l'âme,même recomposée, de mon père, n'est pas une perte de temps mais assurément une recherche, en quête de vérité, quelle qu'elle soit. C'est en lui que je me trouverai,en l'idée de lui. A mon enfance, dont s'épuise la provision d'anecdotes, il faut adjoindre la vie antérieure de mon père, sa vie, conjointe aussi, tandis que nous vivions tous deux. Nous sommes en plein Barrès (pour ma mère nous verrons). Et ainsi de suite à travers ces générations inconnues, reconstituées. “Quelque temps après, elle est reproduite dans La Croix de la région, dans Le peuple du dimanche. Buisson, Ferdinand Buisson, tu nous rechantes l'air de la calomnie. De même était-il impossible de retrouver le moindre mot précis que j'aurais prooncé dans mes prétendus débordements verbaux. Le mot. Ce sont les mots que l'on condamne. Je cherche : “Je préfèrerais avoir à garder un troupeau de cochons que vous.

     

    Il n'a pas pu dire cela.” Il l'aura dit, j'en suis persuadé. Il engueula bien tout une classe pour l'avoir trempée sous la pluie lors d'une promenade infiniment trop longue (vers Nanteuil-la-Fosse ou Sancy-les-Chemineaux). Les parents sont revenus chercher leur progéniture dans la classe, où il avait cru bon de les retenir pour qu'ils séchassent... Pourquoi s'en est-il pris à la classe entière de sa propre erreur d'estimation ? J'étais à part, j'écoutais ce discours en détournant la tête vers le bas. Il était dans le faux. Cela ne me concernait pas. Il criait par peur d'être blâmé. D'où vient le sentiment de ma grandeur ? d'avoir déchiffré mon père, de suivre ses traces ?... comme un chasseur le gibier...

     

    ...En raison de ses louanges de l'Ecole Laïque ? En fonction du manque à sa mission de mon père, dont il a été douloureusement conscient ? Certains se confient, parlent à tour de culpabilité qu'il faut chasser : je sais que je pourrais ainsi le manipuler, le détruire. Je connais le point faible de chacun, Père, Editeur, Collaborateur (Jean Devy). Mais, disait Claudine, disait Christine, j'aurais la générosité de n'en point user, parce qu'on en aura trop usé envers moi. Certains ne me parlent plus : c'est que le roi est nu. Nous n'avons plus rien à nous dire. Les ficelles, les fils électriques sont à nu. Mon père m'a légué d'inépuisables filons. Ce texte de Ferdinand Buisson traite de “Qu'est-ce que l'Instituteur”. Il est contemporain de Péguy. Il m'interroge sur l'idéal de mon père, sur le flambeau que j'ai repris à peine plus haut sur la pente, de la sixième au bac. C'est donc par estime aussi que j'ai adopté ce métier, sachant qu'on ne pouvait faire mieux que d'être “un bon instituteur”. Par mon père, je puis recouvrer la dignité de mon métier, de ce moi que j'ai renié. J'ai voulu comme lui éclairer le chemin de la connaissance pour les génératiosn montantes (en style de distribution des prix). Nous avons exercé lui et moi exercé “le plus beau métier du monde”. En dépit des calomnies que nous avons méritées, car le plus beau métier ne peut jamais s'exercer dans la perfection : lui par penchants pédophiliques, moi par allusions clitoridiennes. Et, au bout de quelques semaines ou de quelques mois, elle prend place dans un de ces relevés de la lutte scolaire, publiés par le Bulletin de la société générale d'éducation. C'est dans ce va-et-vient tumultueux entre le personnage enseignant et la rumeur qui l'escorte, approbatrice ou défiante, que se situe le mystère de la mission éducatrice. C'est dans ce que l'on pense, dans ce que pensent les parents du peuple, que se situe l'essence de l'enseignement, et c'est quand le pays dit du mal de ses enseignants, de l'école en général et du savoir, qu'il est le plus malade et susceptible de sombrer.

     

    L'Eglise de Buisson, c'est la Rumeur – et quel écho plus puissant pour elle que la voix déformatrice des enfants. Nous n'avons à nous que le mot. Du mot découle tout le reste, le renom. Même sans Eglise : il a dit ceci, fait cela : “Que vos parents ne viennent pas se plaindre ou je les recevrai à grands coups de pied dans le cul.” Or ma mère défendit mon père. Après la guerre, elle l'a défendu. Que s'est-il passé entre eux pour qu'elle le défende. Ma femme aussi me défendit en des circonstances analogues. Puisque j'ai reproduit le destin de mon père, il faut bien que j'y mette du sien dans le mien. Tout n'a pas été si grave, “Il a enfin réussi ce raté”, dira la mère d'Hervé Bazin. L'étiquette qu'on vous inflige... Ni mon père ni moi-même n'avons été si indignes ni condamnés que nous avons cru l'être, quelque éloignés que nous ayons pu nous estimer de notre idéal. Il faut que nous nous pardonnions chacun nos manquements. Nous n'avons pas été si seuls. Et je retrouverai l'unité de ma vie, et par-delà sa mort je rachèterai le père. Nous nous délivrerons.

     

  • Fascisme ?

     

     

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    LE CHATEAU DANS L'ILE, d'Anne Jalevski www.anne-jalevski.com

    Je vire au fascisme pur et simple : suppression de l'éducation nationale, rétablissement du préceptorat, transformation des établissements scolaires en centres de loisir, petites unités privées pour transmettre le pouvoir à ceux qui le veulent, suppression du suffrage universel vu que personne ne comprend plus rien à quoi que ce soit, prépondérance des intellectuels et des technocrates, et comme contrepouvoir, la rue, comme sous les empereurs byzantins, qu'il ne faut pas confondre avec les bites en zinc. Je me rapproche de plus en plus des blocs identitaires et considère Marine avec de plus en plus d'intérêt. De toute façon à mon âge personne ne risque plus rien. La connaissance n'est plus jamais objective. L'ennui, c'est que tout le monde s'en rend compte à présent. Il y a toujours une idéologie derrière, poil au derrière. Je me souviendrai toujours de la réaction des FILLES en 6e (1971 !) quand je leur ai proposé, en accord avec le manuel, que je croyais objectif, une série de texte sur la condition féminine. Elles se sont exclamées comme un seul homme : "QUOI ! EN-CORE !!!" Et là, j'ai bien choisi le thème, car je suis féministe à bloc, tant que les femmes ne veulent pas nous faire passer pour un ramassis de violeurs en... puissance. Mais les geignasseries sur la nature et les déplorations sur les sales fascistes de Français qui n'ont su que torturer les nègres, j'en ai ma superclaque. Même ma fille qui m'a dit "Finalement, je n'ai rien appris à l'école". Terrible, terrible. Tu sais sur quoi son dernier programme de géo a porté ? "La production du pétrole au Pérou", je n'invente rien, plus d'un trimestre là-dessus... Alors, ON VIRE TOUT LE MONDE ET ON RECOMMENCE. ET élèves, chacun chez eux, ça se fait en Australie, vu l'isolement ; ça se répand aux USA, et les parents organisent des rencontres entre leurs enfants CHOISIS, pour éviter la désocialisation. A part ça, c'est du délire pur que je sors là, mais je m'en fous.

     

  • Beaucoup vont se reconnaître

     

    AVANT-PROPOS

     

    L'histoire de C. HARDT VANDEKEEN est on ne peut plus banale. Contraint comme tant d'autres à la nécessité de s'adonner à la profession, ainsi qu'à une épouse, qu'il ne consent à aimer toutes deux qu'après une période probatoire de vingt-cinq années, il ébauche une trentaine d'œuvres. Et du 25 juillet 1997 (nouveau style : 2044) jusqu'à sa mort (28-11-2047, n.s. 2094) il n'a eu de cesse qu'il ne fût systématiquement revenu sur tous ses textes, suivant en cela cette réponse faite à Bernard C. un certain 12 juillet 1996/2043 ; le grand écrivain le contemplait avec incrédulité : c'était dur à faire, un roman. Il fallait "se documenter", "se mettre dans la peau des personnages", souffrir, tout le tintouin...

     

    "Pourquoi n'avez-vous pas édité plus tôt ?

     

    - Parce que c'était mauvais ; je vais les refaire.

     

    Clavel s'est montré stupéfait, mais n'a pas contredit son obscur interlocuteur. Plus tard, il confiera qu'il l'avait trouvé "triste" – or C. Hardt Vandekeen n'était pas triste, mais résolu.

     

    B.C. comptait sur une éternité devant lui – pour tout refaire. Le bonnet vert de l'artiste.JPG

     

    Les biographies littéraires présentent toutes sans exception un point désespérant : celui où l'Homme, promis jusqu'alors à une destinée obscure et à la mort, bascule d'un coup vers la lumière, les projecteurs et la mort. La phrase fatidique immanquablement commence par "Il rencontra..." - et c'est précisément là, et non ailleurs, qu'intervient l'injustice de la Prédestination. Et comme le lecteur admiratif ne peut se satisfaire de cet impitoyable couperet, il va fouillant, désespérement, tous les interstices de la biographie (mais il n'y en a pas), susceptible de justifier rationnellement, tant soit peu, ce dur décret.

     

    En vérité je vous le dis, malheur à celui qui tombe en littérature – et qui s'aperçoit, mais un peu tard, que là-dessous, au fond du trou, c'est la foule

     

  • Poulet kasher

     

    Poulet casher, polar de Konop (vraisemblablement « Konopnicki ») c'est un jeu de mots, vous pensez bien : le poulet, c'est un flic, et s'il est casher, c'est qu'il est juif (effectivement, ils s'appelle Benamou). De plus, le milieu du meurtre est juif, de la Côte d'Azur qui plus est : la plaine de La Brague, lès Antibes, c'est là que mon oncle et ma tante vivaient à côté de l'antenne émettrice, qu'ils reposent au diable. La victime s'appelle Ariel Cohen ; celui qui s'accuse, c'est David Siksou, petit jeune surdoué style Normale Sup embarqué dans une secte hassidique tenue par un certain rav Lioubavitch (ça tombe bien, c'est le patronyme du fondateur des hassidim au XVIIIe siècle). Mais le vrai coupable, ce serait plutôt le faux professeur Bardolo, antisémite notoire, qui tient une maison de cure d'amaigrissement par le travail forcé.

     

    Et le petit jeune, il n'a rien fait du tout, il est chargé de couvrir un professionnel du meurtre, parce que le méchant docteur voulait descendre un des amants de sa femme qui n'en manquait pas. Je vous dis tout ça parce que je viens de l'apprendre dans les dernières pages, comme ça se fait d'habitude, et parce que je l'avais oublié, vous pensez bien ; j'avais dû me farcir tant de péripéties embrouillées, tant de jeux de mots à la noix, que j'avais dû ramer comme un malade, non moins comme d'habitude. « Comme d'habitude », devrais-je fredonner, car le texte de Konop est superfarci de titres ou de paroles de chansons ou de films des années 60, les primitives, celles de Vince Taylor, des Chats Noirs et autres Chaussettes Sauvages.

     

    Bien sûr, des tas d'allusions aux pailless (papillotes, je suppose), à la circoncision, à l'Etat d'Israël et au Mossad qui n'est jamais de bonne humeur, haha ! et surtout ce jeu de mot du meilleur goût : l'adjoint de l'inspecteur Benamou est un Viet, ou un Chinetoque, appelé Liou Pin – vous avez compris . « L'youpin ! » Mort de rire on vous dit ! Même que c'est lui, le Jaune, qui découvre le vrai coupable ! Et je m'en fous rabbiniquement de chez Letemple. Oui, c'est original, oui, c'est spirituel (encore que...), mais c'est un livre Kleenex, tu prends tu jettes. Le fourgueur de drogues s'est reconverti dans le sermon interchangeable interreligieux, changeant de drogue ainsi que le fait judicieusement remarquer le bon inspecteur Benamou.

     

    Laure.JPG

    De la bonne littérature de confection comme on dit rue d'Aboukir. Et basta. Je vais déjà vous en lire un bout, ça se passe en voiture entre l'inspecteur et son chauffeur Liou Pin :

     

    «Au troisième ou au quatrième virage, Liou Pin se frappe le front :

     

    • Chef ! Le garage ! J'en suis sûr... c'était de la terre battue. Il y a une dalle de béton. » (par-dessous ? je no comprendo.)

     

    • Liou... Depuis le temps que tu fouines autour de Bardolo, » - c'est le faux docteur directeur de l'établissement de cure - « tu as tout retourné. Tout.

    • Voue ne comprenez pas. Je l'ai toujours vue, cette dalle de béton. Je suis certain qu'avant, il y avait de la terre battue.

    • Mais quand, puisque tu as toujours vu le béton !

    • Je viens de voir la terre battue, je viens de la voir. Je me suis concentré. » (Ah, ces Asiatiques...) Un instant. A cause du mainate. Dans la boutique, il chantait la Hatikva, » - c'est l'hymne israélien - « vous vous souvenez ? [Allah] maison, il chantait autre chose. Je t'attendrai à la porte du garage... Alors, au lieu de jeter seulement un petit coup d'œil, je me suis concentré. J'ai vu le lieu avant le meurtre.

    • Il y a des kilomètres de collines désertes. Des bois. Du maquis. Des friches.

    • Non, chef. Vous avez tort. On a fait une battue monstre. Tout un escadron de gendarmerie. Les sapeurs pompiers. Des volontaires. Et puis, ici, les collines ne restent pas longtemps désertes, vous le savez bien. Un petit incendie et les promoteurs arrivent pour faire un lotissement avec piscine. Il n'y a pas un coin de terre que l'on puisse déclarer inviolable dans tout le département des Alpes-Maritimes. Les sites classés, les terrains dangereux, les surfaces agricoles, tout finit par y passer. Il n'aurait pas pris le risque d'enterrer le corps sur un de ces terrains voués aux pelleteuses, aux villas et aux lotissements. La meilleure méthode pour escamoter un cadavre, c'est le béton. C'est la seule chose qui soit inviolable par ici !

     

    Ça se tient le raisonnement ! A mesure que nous descendons vers Nice les lotissements et les villas se multiplient. Ils en ont foutu partout. Ils ont trouvé de l'eau pour les piscines dans les coins où les paysans n'en trouvaient jamais assez pour les courgettes et les aubergines. A certains endroits, il y a des pelouses de gazon gras, comme en Normandie. Liou insiste.

     

    • On a creusé dans les caves, mais jamais dans le garage !

    • Pourquoi Cohen a-t-il fait chanter ça au mainate ? » (c'est un marchand d'oiseaux, et la victime, aussi).

    • Justement. Il venait de trouver... Il attendait l'occasion de vérifier. Il ne voulait pas me le dire avant d'en être certain. Il était comme ça. Jamais d'hypothèse à haute voix. Il avait trouvé, Bardolo s'en doutait... » Tiens, le motif ne serait pas seulement le cocufiage ? « Ecoutez, pendant que le toubib est à la boîte, j'investis la clinique. Je prends une grosse équipe. Et on

     

    défonce le sol du garage.

     

    • Demande la permission au juge !

      Liou Pin empoigne le téléphone portable. A l'autre bout, je parierais que le guignol n'apprécie pas. Le Chinetoque argumente. Patiemment. Je crois que ça marche.

      A la boîte Gambotti se met à vociférer quand Liou réclame une bonne douzaine d'hommes et un marteau-piqueur. Mais puisqu'il y a un mandat en règle, il cède. Je monte décrocher Lioubtchansky » - c'est le rabbin hassidique, accroché au mur avec des menottes. « Il suffoque. Il est décomposé. Je le pose sur une chaise. Il tient à peu près. Mais tout juste. Il réclame à boire. Je me méfie. Un souvenir d'école. L'Espagnol de l'armée en déroute. Le général Hugo. Ne jamais se précipiter pour donner à boire à un adversaire. Grand humaniste, Hugo. Fallait être gonflé pour se vanter des exploits de papa en Espagne. Ce héros de l'armée en déroute. Ah, la douceur des Français en Espagne ! » - et la douceur des Espagnols, donc : des officiers sciés vivants entre deux planches devant leur femme et leurs enfants...

      • « Le rabbin dealer semble avoir envie de causer. On croirait qu'il est en manque de sermons. Toute l'histoire est là. Camé à mort, trafiquant, il se réfugie dans une yéshivah » - école religieuse. « On le désintoxique. Drogue de substitution, la religion à haute dose. Un petit manque de prières, de cantiques et de sermon et il a l'air d'un pensionnaire d'Olivenstein à qui l'on refuse la méthadone.

      • Inspecteur... Ce n'est pas Siksou qui a tué... Mais ce n'est pas moi non plus. Nous avions prié, c'est vrai . » - pour que Cohen crève. « Et nous avons préparé les repérages. Mais quelqu'un a fait le travail à notre place.

      • Sans vous prévenir ?

      • En nous prévenant. Nous sommes complices. Justes complices. Un goy est venu me voir.

      • Arrête ton cirque, Thélonious ! Tu veux un condé pour éviter l'extradition, c'est ça ? » (vers Israël). « A quoi ressemblait le type qui est venu te voir ? À ça ?

        Je fouille dans le tiroir, je lui sors une photo de Bardolo. Ce n'est pas lui. Martin Thelonious ne l'a jamais vu.

      • Il était beaucoup plus jeune. Dans le genre skinhead, si vous voulez.

      • Et toi le rabbin, tu traitais avec ces gens-là ?

     

      • Il a payé les renseignements. Assez cher.

        Je n'en tirerai rien de plus, mais ça prend forme. Le doc a dû recruter des petits voyous, nazillons sur les bords. C'est fastoche à retrouver. Surtout si je le fais craquer. Je donne quand même à boire au rabbi. Je le garde pour complicité. Je lui filerai peut-être son condé plus tard, s'il m'aide à retrouver les tueurs. Je vais reprendre l'interrogatoire de David Siksou. Je prend un PM saisi dans la villa, j'engage un chargeur vide et je boucle le cran de sécurité. Quand Liou m'amène David, je défais les menottes et je colle l'arme dans les pattes du gosse. »

        Qui ne saura pas s'en servir, je parie. Mais je ne sais pas comment on dit « je m'en fous » en hébreu. Dommage. C'est de la littérature de gare, même pas. On appelle ça Poulet casher, c'est d'un certain Konop, édité chez Gallimard tout de même, et ça ne vaut pas un shekel...