Proullaud296

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der grüne Affe - Page 172

  • On se frotte les mains avant le travail

     

     

     

    Je veux me glisser, frayer ma voie dans une famille, à seule fin de sauver une femme. Il me faut pour cela feindre l'amour, le composer, voire l'éprouver. Le jeu consiste en ces chapitres à combiner deux projets illustratifs, ce que la comédie antique appelait « contamination » : ainsi Térence assemblait-il deux pièces de Ménandre ; ainsi, d'une autre manière, Vintila Horia superposa–t-il la relégation de Thomas le Roumain et l'inhumaine incarcération de Boèce en 525. Sans véritablement tirer de larmes ni infliger le rire, je devrais alors potasser la chronologie. Onufrio serait l'ami de Fedora ; et Irène, ce serait moi.

     

    Lydie : rappeler les épisodes de son enfance, mais que ce soit du passé. Elle aura donc 16 ou 17 ans. Maintenir l'étagement des trois générations de femelles. Kohani sera infirmière comme Léna. Pas de mec fixe pour Léna, insupportable. Fedora, Onufrio, forment un couple tortureur, Assia et Léna le couple de victimes. Lydie restera seule, avec un jeune homme qui tourne autour, plus absent qu'autre chose. Léna, Arielle, se ressemblent, faibles, tantôt catatoniques tantôt hypernerveuses. Le trio est Fedora-Léna-Lydie. Moi Brendon, folâtre, inconsistant, je naviguerais entre Assia et Lydie. Nous parlerons volontiers du trio Lazare-Cerise-Irène, en tant que réféfence.

     

    ESSAYER une ébauche de plan ou du moins de succession avant de recoudre maladroitement les morceaux. La fin doit être ce que l'on connaît d'abord. La meilleure que je connaisse est l'éclatement et la dispersion. La diaspora. Puisque toutes mes sources d'information sont coupées : « Ne dis rien à cet homme ; il nous met dans ses livres sans même se donner les gants de transposer » - pauvre conne, qui de nos lecteurs se souciera jamais de vous...

     

    1. Onufrio et Fedora font connaissance lorsque l'Italien joue sur scène et chante à la guitare. Facile à mettre en place.

    2. Il vient chez elle où se trouve déjà Léna-Assia, 13 ou 14 ans. Et déjà ça le tenterait bien de faire coup double à travers les générations. Penser à Assia adolescente, très idéaliste, platonique à fond, sauvage, revêche, branlée à mort.

      Où était-ce....JPG

       

    3. Fedora s'aperçoit qu'à son retour d'une tournée parisienne (la faire plus avancée en grade qu'elle ne fut) (Onufrio l'accueille vertement parce que le voisinage l'a vue revenir à bord d'une somptueuse voiture conduite par Félix) sa fille Léna est en cloque, et le choc est terrible. Eviter le mélodrame narratif. Penser toutefois à la conduite innommable de Coubert avec Assia enceinte.

     

     

     

    1. Saut dans le temps : Lydie, fille de Léna et d'Onufrio, a désormais 17 ou 18 ans, avec déjà tout un passé de brimades. Onufrio est parti, idéalisé par toutes. Léna me raconte ses brimades, parmi lesquelles son abandon paternel. Cela ressemblera également aux boniments d'Assia sur Zined prétendu violent et ivrogne. Penser aussi à Drancy de Créteil.

     

    Et c'est dans ces structures familiales incestuelles que j'ai envie de m'immiscer, pour les démolir à mon profit. Ma femme serait Arielle éternelle malade évanescente. Et je drague aux trois étages. D'ailleurs ces femmes occupent chacune un minuscule appartement par étage, la plus âgée en haut.

     

  • Démolition d'unu chef-d'oeuvre oublié

     

    Comment peut-on être aussi con qu'un Américain ? Oui, bon, ça commence très fort, incident diplomatique, le téléphone : “Les Américains t'enquioulent” - mais ils lisent “Afin que nul ne meure” de Slaughter. Enfin, ils l'ont lu. Et l'Eurpoe a suivi, comme d'habitude. Le dénommé Slaughter s'est fait un max de pognon sur le dos du lecteur, avec un sujet qui en effet pouvait et devait émouvoir les foules des années 50 – de l'année 50 précisément, date du droit de copie – à savoir l'organisation libérale ou non de la médecine. Sujet qui passionne les opinions encore maintenant : médecine libérale ou médecine au rabais ? Tel est le dilemme – il est faux, d'ailleurs ; dans son dispensaire, Louis-Ferdinand Céline donnait d'excellentes consultations, même aux juifs.

     

    Aux Etats-Unis, tout se complique: c'est la guerre froide, tout ce qui ressemble à une intervention de l'Etat vire aussitôt au bureaucratisme stalinien, des médecinsnous sont présentés dans cet ouvrage comme de parfaits partisans de partis, plus préoccupé de leur avenir et de leur retraite que de la santé de leurs patients. Et il y en eut. D'un autre côté, n'est-il pas scandaleux que les pauvres, les mineurs, les silicosés, n'aient pas les moyens d'accéder à uen médecine compétente mais ultra-coûteuse ? Car ne l'oublions pas, encore aujourd'hui, mieux vaut ne pas être malade aux Etats-Unis sans un bon compte en banque.

     

    La solution ? Mais c'est bien sûr, un héros va vous la trouver tout de suite ! Il s'appelle Randolph Waren. Il est jeune, il est beau mais pas trop, dynamique, honnête, intègre, bon mari, trompe sa femme qui manque le lui rendre (pas plus, la morale améridaine est sauve), mais tout se finit bien, et le brave dr Warren, qui a su résister à tout, devient secrétaire d'Etat à la santé : qu'a-t-il proposé ? Car de plus, l'histoire semble véridique, même si on a un peu arrangé le médecin pour en faire un véritable héros américain. L'ouvrage est suivi de tout un documentaire, déroulant des articles de lois sur l'organisation désormais de la médecine américaine. Les toubibs donc se sont organisés entre eux et de façon tout à fait indépendante, “afin que nul ne meure”, c'est-à-dire que tous puissent bénéficier de soins satisfaisants, fussent-ils pauvres, tout en préservant l'indépendance des médecins face aux systèmes bureaucratiques et politiques.

     

    En 1950, la chose était d'actualité, et “Afin que nul ne meure” est devenu un best-seller, un “mieux vendu”. A présent, d'autres problèmes surgissent, différents aux Etats-Unis et en France, mais aussi aigus. Ce n'est pas à moi d'en décider ici, je dois parler de littérature. Eh bien allons-y. En dépit d'indéniables qualités dans le traitement sociologique d'une carence soignée, Mr Slaughter nous présente des types humains et des situations d'un sous-développement tel, que l'Amérique en sort amoindrie et le Coca-Cola grossi. Comment pouvez-vous confier votre vie, si le roman est vrai, à des chirurgiens aussi puérils, aussi bébé, aussi fleur-bleue, quand il s'agit de l'amour ? By Jove ! On se croirait dans un roman-photos ! La course-au-mariage avec le chirurgien-chef ! Les dialogues sonnent faux, d'autant plus faux que c'est traduit en dépit du bon sens ! Et ça se voit, parce que jamais personne ne s'exprime comme ça. C'est du mot à mot prude. On ne dit pas le “popotin”, on dit le cul.

     

    Les plaisanteries américaines sont éculées (pour ne pas dire plus). Le chirurgien maniaque (en l'occurrence, de la césarienne ; oui, on en a vu à Toulouse qui coupaient les vessies pour gagner du pognon, O.K.) ; la naissance difficile ; l'enfant mort-né ; le jeune espoir qui attrape un cancer ; le fils de pauvre, et juif, qui réussit à la force du poignet (pas de la veuve, eh cloche) ; le docteur méritant nommé au fin fond de la cambrouse ; le pecquenod reconnaissant qu'on ait sauvé son fils in extremis ; tout ce que le mélodrame de vieille garde peut produire de plus éculé, vous le voulez, vous l'aurez ; car Slaughter en a écrit, lui et ses nègres, “du même auteur dans sa collection”, 45 ! Parfaitement !

     

    Bon, je m'y suis fait, à ces personnages de carton pâte, à ces rebondissements téléphonés ; à la longue, je me suis laissé avoir ; “ce sont des naïvetés inhérentes au genre” - de même que dans un opéra, on chante, dans un best-seller américain, hardi la guimauve ! Avec une infirmière dépoitraillée en couverture, une ! - mais oui, notre héros a eu des tentations ! Un vrai théâtre de marionnettes, on vous dit ; de qui suis-je la marionnette à ce micro ? Ce bouquin fait 503 pages ; c'est dire le nombre d'extraits que nosu allons subir ! Car ici, à “Lumières, Lumières”, à “Vexin Val de Seine”, l'auditeur juge sur pièce. Ahead !

     

    D'abord, un § innocent page 47. Innocent, car marquant une fusion bien concoctée entre des états d'âme et une organisation matérielle bien efficace. Curieux tout de même que je voie bien davantage ce Dr Warren sous les traits d'un comédien de feuilleton qui s'applique à prendre l'air d'un toubib, que sous ceux d'un véritable docteur... Quel mauvais sujet, plein de parti pris, je fais ! Ne m'en parlez pas... P. 64 : “Hello, Larry ! Oui, ce soir, je suis de sortie” : rien que ce “hello”, ce “Hi, Ran !” , que je lis “iran”, pour vous prouver que c'est très mal traduit – fielleusement – et je poursuis.

     

    P. 141 : “Qu'est-ce qu'il y a ? Je l'ai noué de travers ?” - bon, pas de chance ; voyons p. 188, 4e §. J'aimerais tomber sur quelque chose de vraiment mauvais, de vraiment probant ; ce sont là de ces contraintes de la critique... [p. 188]

     

    Je soupçonne Larry d'être le copain de Ran; exact ; mais ils sont interchangeables. Tant pis. Les autres collègues ne sont que des silhouettes, caractérisée d'un détail, sans plus.

     

    P. 235 : “Je l'ai tué, Syb”. Est-ce que je sais à quoi ça se rapporte, moi ; c'est tellement touffu... La situation clichée doit être celle-ci : une opération ratée.

     

     

     

    P. 282, § 6 :

     

    Tout se remet en place ; Larry, d'abord ami, virera vers ce qui convient le mieux à ses intérêts, sans vouloir donc heurter de front les intérêts politiques. Syb, ou Sybille, est la grande femme mystérieuse qui aurait tellement mieux fait jouir et souffrir Randolph, qui est resté attaché à son foyer pour ne pas choquer l'Amérique. Le Français est d'une autre trempe, et comme disait Jules Renard : “Se présenter devant Dieu sans avoir trompé sa femme, quelle honte !”

     

     

     

    [p.329, § 7]

     

    Je tombe toujours sur des bribes de dialogues ; eh bien c'est animé, du moins ; ça plaira. Cela me rappelle simplement que l'Etat institua des examens médicaux, auxquels Randolph ne peut satisfaire malgré sa grande et longue et humaine expérience. Ah, les salauds, et le brave jeune homme.

     

     

     

    [p. 376, § 8] – ou l'art de la formule passe-partout. Je hais les romans où il n'y a pas de recherche, où l'on se contente d'appliquer les procédés connus.

     

     

     

    [p. 432, § 9]

     

    Où l'on apprend que bien sûr les plus salauds sont les plus célèbres.

     

     

     

    [p. 470 § 10]

     

    Ah, plus intéressant, et justifiant du succès : les assez nombreuses et judicieusement réparties séances de charcutage ; depuis Igor Barrère nous savions combien le pékin aime à scruter, caméra ou livre s'interposant, le mécanisme du corps. Ça fait compétent. Et puis, si ça vous arrive, n'est-ce pas, finalement, ce livre est avalable, à condition de ne pas avoir attendu, préalablement, le chef-d'œuvre. Ce livre sera donné, car il m'encombre. “Afin que nul ne meure”, de Slaughter. C'était notre critique littéraire, avec sa partie dure, sa partie couilles. Avec moi, c'est ça. Hi, folks !

     

  • Gomorra, de Saviano

     

    Ça commence très fort : lâcher de cadavre du haut d'une grue, par une porte de conteneur mal calée, sur les quais de Naples. Ce sont des Chinois, dûment étiquetés, rapatriés dans leur pays pour y être ensevelis. Mais on les enterre à la sauvette, sans enquêter sur ce hideux trafic : la Camorra – que personne n'appelle plus ainsi – surveille attentivement ses exactions, et mieux vaut fermer les yeux. L'Italie, et plus particulièrement Naples, est la plaque tournante de tous les trafics illégaux d'Asie. Mieux vaut en être que de la combattre. Ces dénonciations suent d'utilité publique, et en même temps, ne pourront pas plus connnaître d'efficacité durable que la lutte contre les basses températures au pôle Sud. Le lecteur, l'enquêteur, sont fascinés.

     

    C'est ainsi que le monde tourne, de complots en complots, et même les Kennedy, surtout les Kennedy, ont trempé dans la mafia, se sont fait descendre par la mafia. Rien de stupéfiant – pardon : plein de stupéfiants. Une fois de plus, rien ne sert d'éradiquer, tout repousse, reste à combattre sans trêve, et à décrire. Depuis, Saviano vit sous protection policière, et la corruption gangrène le monde depuis les siècles des siècles. Alors, prions – à moins que Dieu ne soit une arnaque, intellectuelle et sentimentale. Je vois une superposition d'individus, pyramidale, au-dessus de laquelle, parmi laquelle, se déverse un flot de glu puante inséparable. Je n'ai rien d'autre à apporter que mon existence, est-elle prouvée ? Je lis en italien, plus facilement cette fois, la puissance évocatrice est incoomparable. Sutor, ne supra crepida. Notre héros, comme la Tête de Turc, s'infiltre et bosse pour les Puissances.

     

    Combien je préfère cette lutte, cette interminable adaptation, cette pressurisation à l'infini, jusqu'à la folie, des humains, à ces luttes pour l'égalité, la fraternité, le bien-être financier, pain béni des revendications syndicales ! Toujours l'humain a survécu, fût-ce sur le fumier de ses semblables. Mendiez, volez, tuez. Ne venez plus nous faire chier avec vos socialismes. Et si vous le devez, crevez. Vous n 'aviez qu'à vaincre. Le texte ? La description d'un patron chinois, qui n'avouera jamais être de la Triade : je pense à mon interprète sino-italienne, qui passe d'une langue à l'autre, si différentes soient-elles : son employeur n'avait pas de lien avec l'Italie par hasard. Mais à trop réfléchir, qui ferait quoi que ce soit ? Nous sommes faits de pourriture : nous nous aimons pourtant, nous-mêmes et l'un l'autre.

     

    Chez Renée Seilhan.JPGJe suis mes idées ; en me relisant, quel décousu me frappera d'emblée ? Ce Saviano possède le don d'écrire. D'évoquer, les gestes, les paroles : Euro, dollaro, yüan : ecco la mia Triada”. C'est autre chose que la Sainte Trinité. Autre chose qui ne laisse dans la cervelle que les facultés d'acquérir et d'éviter les balles. Rien à voir avec mes fumeuses conceptions. Je sais d'avance non pas les choses mais le genre de choses que je vais trouver à foison tout au long de ces pages : et tout se résout en prières, en reconnaissance du monde. “Monde, je te reconnais”. “Ça existe”, répétait l'ivrogne parmi ses canettes. Xian sembrava sincero - “semblait sincère”. Et puis, prononcez “Tchyann” ; rien de plus agaçant que de semer des “x” partout, “ks”, ks” : aucun rapport avec la transcription pin-yin.     

     

    Je voudrais faire partie de la mafia. Celle des mandarins intellectuels ne m'a que tolérée, en marge. Jusqu'au bout je ne saurai rien. Même pas si je suis sincère. Seul mon corps, une fois décomposé, le sera. Nessun'altra ideologia, nessuna sorta de simbolo e passione gerarchica. Pas d'idéologie, pas de symbole, pas de hiérarchie. Une vaste pieuvre informe. Des gens qui s'ignorent et concourent au même but. Tous pourris ? peut-on trafiquer à Naples sans être de la Camorra ou des Triades ? Je suis dépassé. L'intrusion de ma vieillesse me dépasse, me dépossède. Je ne vois pourtant autour de moi que des gens ordinaires. Profitta, business, capitale. Autre triérarchie. Pendant ce temps les basses classes aussi s'organisent.

     

    Comment fonctionne la fourmilière humaine ? Découragement, fascination, de celle qui engloutit l'oiseau dans le serpent. Ici, journal personnel à propos de textes. Comme l'alcool avant cuisson, disparu mais laissant son goût, mes indications personnelles sont effacées à relecture. Null'altro. “Rien d'autre”. J'ai tout un développement sur les hommes d'action : le placer ici ? Je pense qu'à la fin de leur vie, les Desroches-Noblecourt et autres entrepreneurs d'idées aussi bien incarnées dans la pierre se retrouvent avec une œuvre immense, délimitée, “tel temple”, “tel empilement de disques primés”, sans avoir eu la sensation de vivre. Je m'efforce de croire que la méditation de Narcisse (de Hermann Hesse) aboutit (about it) à une vie plus riche, plus pleine de tenants et d'aboutissants, tandis que ce grand benêt de Goldmund a réellement vécu, prenant toutes les femmes et tout le soleil, mais sans comprendre.

     

    Allez écrire, de votre mieux, pour qu'un obscur critique vous esquinte d'une formule, “tricoteuse de pompeux clichés”, à propos de Yourcenar ! Géante à peine égratignée du sabot de l'âne... Si tende a considerare oscuro il potere che determina certe dinamiche e allora lo si inscrive a une entità oscura : mafia cinese. Ceux qui appartiennent à la mafia chinoise, et ceux qui pourraient en être, en le sachant, sans le savoir. Ce quit tend à assimiler toute la fourmilière humaine à une mafia bien plus que chinoise. D'où l'importance, la nécessité, de la forme, de la structure, de la littérature, de la description. Ce que c'est. Comment c'est. Du Heidegger de sous-préfecture. Le fait, et non l'explication. Le comment, et non le pourquoi.

     

    L'acceptation, et la question. Clichés ? Oui . Una sintesi che tende a scacciare tutti termini intermedi, tutti I passaggi finanziare, tutte le qualità d'investimento, tutto ciò che fa la forza di un gruppo economico criminale. Vous savez l'italien, sans doute. Vous avez reconnu les mots, vous avez repéré le va-et-vient entre la connaissance et l'action obscure, entre la vision de loin et le nez sur le boulot et la fatigue, le mystère de l'engagement corps et âme, les 18h par jour et la vague prescience de la place essentielle occupée par chacun de vous dans le grand terrifiant engrenage. Avoir sans cesse à l'esprit l'ensemble et le détail, parcourir la vaste toile, entre deux infinie sans cesse. Et pourtant, l'adjectif “criminel”. La notion d'une morale, d'un ordre moral, approuvé par la vraie police.

     

  • Dans ses meubles

     

    Ah que ça va pas être facile aujourd'hui, parce que fidèle à ma tradition je veux vous parler d'un livre introuvable : de Stany Gauthier, conservateur du Musée d'Art Populaire Régional de Nantes, “La c. Des Meubles Régionaux de France”, éditions d'Art cf. Couverture, 1979, d'après l'édition originale de 1952. Conseil aux artistes, conseil à moi-même : n'écrivez pas pour le lecteur, dont le jugement nous fait chier, nous renvoie à nos oubliettes. Ecrivez directement pour les bibliothèques, comme d'aucuns peignent pour les musées. Les meubles sont faits pour les musées. Ils ont servi.

     

    Ils en ont été dignes. Vos livres n'auront pas passé par le feu du suffrage populaire et du prix d'achat : au diable l'honneur. Vers 1955, les meubles commencèrent à émigrer des cuisines et des chambres bretonnes ou mancelles vers les Musées de la Tradition. Pierre-Jakez Hélias le dit : même les vieux sentirent qu'ils n'étaient plus adaptés à leurs meubles, qu'ils n'en étaient plus dignes. Ils les fourguèrent bon prix dans les musées, et s meublèrent en Formica : voir “Le Cheval d'orgueil”, voir “Padre Padrone”. Vous voulez vous meubler à l'ancienne. Vous voulez savoir ce que vous admirez : vous-mêmes.

     

    Vous vous admirerez beaucoup mieux si vous savez que tel montant ne peut être que lyonnais, que tel trumeau ne peut être qu'orléanais. Devant une armoire, vous ne vous poserez plus la question de Shakespeare, relayée par Gottlieb : “Hêtre ou pas hêtre ? Telle est la question.” Vous saurez tout sur la table (peu caractérisée selon les régions), le vaisselier provençal, le tabouret artésien et la brouette croate. Plein plein d'illustrations en noir et blanc, lugubres et techniques. Des rubriques classées par provinces, succinctes et précises à la fois, embêtantes et intéressantes comme savent et doivent l'être tous les articles spécialisés. Cabane miniature.JPG

     

    Voici quelques éléments pour votre promenade (p. 47). Imaginez-vous, chers lecteurs, scrutant une de ces antiques armoires, passant le doigt de l'œil sur ses arêtes et ses moulures ; vous pénétrant d'une science toute fraîche ; sentant couler en vous la perfusion qui vous transforme en connaisseur ; voyant, grâce aux figures, ce qui n'était pour vous auparavant qu'un tas de bois sans âme, devenir, par la grâce du commentaire, une géographie ligneuse, dont chaque trait de gouge, chaque gond, se met à vous parler. Nou ssommes en plein mystère de la description. Vous avez l'objet sous les yeux, grâce du moins à la photographie.

     

    On vous le détaille avec intérêt ; et de ce fait, l'objet devient deux fois plus présent : à l'œil, il passe à la présence du cerveau ; de vu, il devient expliqué ; d'objet, il devient partie de vous, sujet, parce qu'explicité. Diderot décrivant les tableaux de ses salons et la toile, révélée de détail en détail, passait dans votre vision. Le meuble devient concept, non pas généralisateur, une armoire pour toutes les armoires, mais ce meuble devient représentation de ce meuble, idée, image de ce meuble. Vous êtes passé de l'homo faber à l'homo intelligens. Voyez p. 94 ce buffet à deux corps du Poitou. Que rien que le nom vous parle : buffet, “b”, cuisine, Rimbaud ; “à deux corps “: magie, dédoublement, termes techniques de corps de métier (3è acception) ; du Poitou : “b”, “d”, “k”, “p” - terre grasse, tradition, fertilité, opacité, richesse, coffre-fort.

     

    Et une extraordinaire régularité dans le travail du bois, la sévérité pure de l'ouvrier consciencieux à l'horizon borné mais aux profondeurs de recueillement elles que l'infini sourd sous le bois. Plus légère, voyez la crédence d'Avignon, où se mettaient à l'origine les plats à goûter par le goûteur. Déjà plus légère, avec des moulures, du XVIIIè s; partout, des pieds qu'on dirait cambrés sur leurs talons Louis XV; Un bois plus clair, plus tendre, plus mielleux. Il vous sera désormais impossible de confondre le trapu Poitouo et le délié Comtat Venaissin [p. 141]. Passons à plus large, à plus vaste : autre région grasse et marécageuse, la Bresse, ses poulets, son bleu, pub. Je lis la page 188. Et voyez comme nous avons joui de ces termes techniques tout simples, de ces dénominations issues du bon sens, qui à la fois nous initient à un langage, et nous démontrent les ressources de notre langage français précédent ; vous avez l'impression d'être intelligent. Ce n'est pas de l'informatique, qui vous donne l'impression d'être bête : “trois tiroirs dans la ceinture” - les “dresches” artésiennes – c'est quoi ? - “loupe de frêne”.

     

    Dresche = buffet bas, dont certains s'appellent “Spinder”, du nom du fabricant. Tour de France analogue à celui des deux Enfants par Brunot. Nous terminons (p. 235) par la Flandre, aux panneaux ornés comme des Van Eyck, où dominent la pointe et la verticale, les cannelures. Mais dans les trois premiers chapitres, avant de commencer le catalogue de toutets les Provinces, l'auteur nous dit la différence entr ele régional si attachant et le grand style dit “national” : Louis XV, Louis XVI, Directoire... La ressemblance entre tout ce qui est français, paysan du nord ou du sud ; car paysan n'est pas bourgeois ; aisance paysanne n'est pas raffinement urbain ; à l'intérieur de chaque province existent de fortes variations, du plus simple au plus ornementé – sans dépasser un certain niveau du fait de sa rusticité.

     

    Peut-être plus authentique. Sur la frontière séparant l'artisanat de l'art : ainsi, la mouluration est remarquable, mais la décoration proprement dite reste malhabile. Le chapitre III est consacré à la fabrication du meuble – selon qu'on est façonnier à la campagne ou menuisier des villes ayant fait comme compagnon son “Tour de France”. Hommage donc à nos brillants obscurs, par cet ouvrage à lire intégralement ainsi que je l'ai fait jusqu'au 01 06 2036 à 17 h 1, ou à feuilleter, ouvrage à feuilleter par les connaisseurs. Rappel des références.

     

  • Chessex, c'est sexe

     

    Jacques Cheyssex, comme son nom l'indique, va nous parler de sexe. L'auteur de “L'Ogre” nous a pondu “Morgane madrigal”, et à franchement parler, le second cité ne me donne pas l'envie d'aller voir le premier, car, ainsi que disait Mahler, dont vous entendez actuellement la Deuxième Symphonie, “je n'ai jamais vu un marronnier porter des oranges”. De sexe donc, et pas de n'importe lequel, du sexe de la femme. Qu'iil me soit permis ici de demander aux petits pudibonds vicieux qui se permettent de téléphoner au chef de tourner le bouton, de passer à autre chose.

    CI-DESSUS : "AVEC SES CHEVEUX", dessin d'Anne Jalevski voir son site

    Avec ses cheveux.JPG

     

    Au lieu d'écouter d'une oreille en disant toutes les cinq minutes “Mon Dieu que c'est obscène, mon Dieu que c'est obscène”. Merci ! Car le livre de Chessex, Jacques, est obscène. Au lieu de désigner crûment le sexe féminent sous l'un de ses 465 noms (le sexe masculin n'est pas en reste), au lieu d'appeler un chat un chat (et ce n'est que le début, l'auteur ne s'en privera pas non plus, d'ailleurs ce chat-là n'a rien à voir avec l'animal mais bien plutôt avec le chas d'une aiguille qu'il rappelle par sa forme et toc), Jacques Chessex tourne autour du pot et commet un madrigal, qui est, comme chacun sait, une “petite pièce en vers exprimant un epensée fine, tendre ou galante”, un “compliment d'une galanterie affectée”.

     

    Pour être fin et affecté, ce l'est, cela s'en vante, cela fend les poils en quatre, et cela ne décrit rien. Il existait des blasons du corps féminin, des poèmes sur les seins, les hanches, les pieds, pourquoi pas le sexe, en effet, c'est même là, soyons francs, l'objet principal de notre désir. O.K. ? Jacques Chessex ne décrit rien, il y a d'excellents ouvrages médicaux pour cela, il existe aussi toute une littérature pornographique. Jacques Chessex a choisi la voie la plus difficile, celle de l'érotisme, qui consiste à suggérer, voire très précisément, sans montrer. Or s'il est vrai comme dit l'autre que “la pornographie, c'est l'érotisme de l'autre”, pour moi, l'érotisme est plus obscène car plus hypocrite que la pornographie.

     

    Mais des dégoûts et des couilleurs... Bref, Jacques Chessex fera assaut de métaphores, où reviendront osuvent vous vous en doutez les couleurs rouge et noir. Le sexe féminin sera comparé à tout ce qui peut s'ouvrir et se fermer, se lubrifier et s'assécher. Pas question d'odeurs, curieux manque. Sera comparé à tout ce qui est doux et rêche, lisse ou velu, animal, etc..., registre insondable – précisément. Viendront se greffer, se tresser à cela l'inévitable adoration de la femme pour son sexe et le plaisir solitaire surtout à deux entre femmes, et en avant pour la femme froide, aimant se faire adorer, la cravache à la main au besoin, en Suisse de surcroît (car tout ce monde baise en Suisse au double sens du terme). Cette domination s'adresse au moustachu et donc caressant aux bons endroits Jacques Chessex ou du moins son personnage, car peu m'importe vraiment le caractère autobiographique ou non de l'ouvrage. L'homme dominé est fier de l'être, et se perd de la langue, des lèvres, des dents et de tout le visage dans cet abîme en surface, dans ce labyrinthe aux innombrables replis qu'est le sexe de la femme. Et Monsieur broute, étouffe et fantasme. A qui cela n'est-il pas arrivé. L'ennui est qu'il ne fantasme pas comme son lecteur. Enfin pas forcément.

     

    Or rien n'agace plus un pervers (pour autant qu'il s'agisse là d'une perversion) que d'en trouver un autre n'étant pas tout à fait dans le même registre. Comme disait un pédé, moi je ne me fais pas taper dessus ; comme disait un pédé qui se faisait taper dessus, moi je ne drague pas les petits garçons ; comme disait un pédé qui draguait les petits garçons, moi je ne fais pas les bouchées à la reine. Le normal, c'est moi, le pervers, c'est l'autre. C'est pourquoi dans l'ouvrage de Jacques Chessex, je ne puis supporter l'éternel contentement de soi distillet savamment par ce vieux minet boulottant son ronron sans état d'âme.

     

    Monsieur est heureux et nous l'assène, Monsieur est perpétuellement sur le point d'éprouver les sensations les plus ineffables et reste au bord du plaisir pour s'augmenter le plaisir, Monsieur s'admire et veut nous faire pâmer devant des personnages de maîtresses parfaitement froids, conformes (comme tous les phantasmes, figés). Pas l'ombre d'un sentiment ne passe dans ce catalogue d'attitudes, de clichés super-usé. Il faut qu'un fantasme corresponde à une statue, à de l'automatisme. Mais quoi, aucune mauvaise conscience, aucune titillation ni inquiétude. Ou alors, on présente ces choses-là comme autant de jouissances.

     

    Il y a toujours quelque part l'imminence d'un paroxysme. Pendant ce temps, Chessex, horloger bernois du langage, s'écoute parler, se regarde écrire, et, passez-moi l'expression et les petits fours, nous emmerde prodigieusement. Un madrigal, c'est court. Là, il y en a 217 pages. On les compte. On les effeuille. Et maintenant, se dit-on, que va-t-il ne pas se passer. Tous les clichés surabondent dans cet envers de Nouvelle Héloïse. M. Chessex, parlez-nous de cul et de con, vos marivaudages obscènes sont tombés chez moi sur un mauvais terrain, très infé-cond.

     

     

     

    / Lecture de la p. 47 /

     

     

     

    ...où l'on voit que Chessex ne manque pas de références, tâchant de raccrocher ses tristes béatitudes constipées au roman courtois ; mais le roman courtois débouchait sur le mystique. Le sexe de la femme, excusez-moi Mesdames, ne débouche ici que sur lui-même, ce qui est un peu court. Et rien sur la maternité : mon commentaire ne prête-t-il pas à rire par son décalage, là, quelque part ? C'est pourtant un cliché de choix, non ? Là d'où sortent les enfants ! Non : il n'a pas été utilisé. Juste l'érotique ; juste la titillation ; et, génial ! Pas un mot du clitoris. Il faut le faire, non?

     

    Bref, j'accuse ce monsieur de m'avoir chipé un sujet et de l'avoir salopé, puisqu'il l'a traité autrement que je n'aurais fait. Mais poursuivons (de Marseille ) -

     

     

     

    / Lecture de la p. 94 /

     

     

     

    Ici, l'auteur se contorsionne et veut faire le précieux, le distingué. Il ne réussit qu'à esquisser les entrechats balourds d'un garçon de café qui n'aurait pas lâché son plateau, d'un humilié qui veut faire le distingué sans réussir à autre chose qu'à tortiller du cul de façon disgracieuse. Il vous manque la grâce, Monsieur Chessex. Votre élégance, recherchée si visiblement ! ...n'est que pédanterie plouqueuse. Poursuivons encore :

     

     

     

    / Lecture de la p. 141 /

     

     

     

    Crispant, non ? Surtout de la façon que je le lis. L'art de parler pour ne rien dire. On termine sur une lucidité, sur le néant de l'érotisme, pour faire plaisir au méchant petit puritain qui sommeille en moi, et qui fus frustré ? Ah que si j'avais à écrire sur le sexe de la femme, ah que j'aurais écrit vraiment d'autres choses, et qui n'auraient pas plu à Chessex, mais après tout peut-être que ces entortillis chessexiens plaisent aux femmes... Mardi prochain, Bernard de France, puis Julien Green, puis Bernard Frank, puis Slaughter, puis Balzac, deux fois, puis de science, etc., etc. “Morgane Madrigal”, de Claude Chessex.

    Pour se reporter aux pages mentionnées, voyez votre exemplaire personnel. Moi, j'ai balancé le mien.

     

  • Vous avez dit euthanasie ? Editions du Bord de l'Eau

     

    L'arbre au-dessus des tuiles.JPG"Si les personnes âgées utilisent largement leur liberté, en ne consultant pas, en n'appliquant qu'une partie des traitements ou en changeant de médecin quand le traitement ne leur convient pas, pour le patient dément, le contrat est biaisé dès le départ". Soit. Souvent la médecine essaye de tuer les moustiques à coups de marteau sur la gueule du patient. Si je mets le doigt dans l'engrenage, les toubibs me broieront jusqu'à l'os, et je mourrai dans les règles (cf. telle connaissance qui s'est fait radiothéraper la gorge au point de la transformer en carton-pâte, pour avoir suivi les conseils de son équipe soignante) ; Le malade imaginaire de Molière a repris de sa pertinence à notre époque.

     

    C'est à nous de nous débrouiller de nos arthroses ou douleurs stomacales. Mais si nous devenons faible d'esprit ? Si toute notre science s'effrite au cours des années ou des mois, et que nous redevenions d'abord des ignorants, comment allons-nous réagir ? Déjà je ne suis plus certains textes, et disserter autrement que par à-coups me devient impossible et pesant. Comprendra-t-on alors que je désire poursuivre ma vie animale ou nourrissonnière ? "Il n'y a que très rarement, à l'origine de l'acte médical, un mouvement actif de demande venant du patient dément vers lemédecin". Ou alors, avant qu'il ne sombre. Mais une fois sombré, rot. Mais alors, qui demande ? Et demande quoi ? "Supprimez en douceur ce tas de viande inutile et qui coûte bon, à sa famille, à sa clinique, à l'Etat" – le grand mot est lâché. Un jour on voudra se débarrasser de moi. "Le plus souvent, il est amené en consultation ou en hospitalisation par ses proches." Bon, il n'en est qu'à cette étape-là. Il est encore loin de l'élimination physique. Et souvent il a résisté à cette visite médicale...