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Radis Gay

 

Bonjour fidèles et occasionnels auditeurs. Vous allez entendre sur « La Clef des Ondes » 90.10 (tous les vendredis à 18h) une émission ravageuse et de mauvaise foi sur l'ouvrage intitulé Le Bal du Comte d'Orgel du regretté Raymond Radiguet. Vous me direz que ce roman date de 1924, et je vous répondrai qu'il ne faut pas que la critique se cantonne à l'encensement de ce qui vient de paraître « pour faire vendre », mais qu'elle doit aussi revenir sur les grandes œuvres du passé. Radiguet était déjà mort quand parut, un an après Le Diable au corps,son second roman, Le Bal du Comte d'Orgel. Dans le dictionnaire, consulté pour la circonstance, il m'est précisé que ce roman retrace avec une pureté cruelle et une maturité hors du commun les affres de la passion en se référant à La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette.

 

Comment après cela dire le contraire ? L'auteur anticipe avec un bonheur fulgurant sur les « hussards », comme s'intitulèrent Vaillant et Roger Nimier en 1952. Il annonce aussi BernardFrank et Les Rats, en aristocrate et non en crado désabusé. Certes, certes. Et pourtant Le Bal du Comte d'Orgel m'a rasé. La Princesse de Clèves commence par une longue généalogie exposant les liaisons de toutes les grandes familles de cour à la fin du XVIe s. On s'y perd. Radiguet expose lui aussi les antécédents de Mme d'Orgel, apparentée à Joséphine de Beauharnais, et revenue des Îles, comme on disait alors.

 

Puis nous est présenté un couple d'amis, désinvoltes, argentés, oisifs, comme il se doit quand on va vivre une grande histoire d'amour. Les héros de Racine sont tous des princes. Tristan et Iseut ne sont pas non plus des pauvres gens surchargés de travail, la disponibilité d'esprit est indispensable au développement d'une belle passion. Mais je confonds les personnages, les deux amis, incolores, inodores et sans saveur, aussi snobs l'un que l'autre ce qui ne me touche pas. Ils s'introduident ou tentent de s'introduire dans les salons les plus fermés de la capitale. Ce n'est pas mon problème.

 

Il faut dit Marthe Robert conclure dès l'abord avec un auteur un « pacte de lecture » : on ne lit pas un policier avac la même disposition d'esprit que Lamartine, certes, et ce serait un contresens de lire l'un en y cherchant les qualités de l'autre. Mais ce roman ne m'a pas permis d'atteindre les profondeurs dont j'avais besoin. Il ne m'a pas semblé dépasser le milieu qu'il a mis en scène, même caricaturalement (le mari, Anne d'Orgel, Anne étant un vieux prénom masculin, se voit tailler un costume d'importance ; un cocu d'intention sympathique – précisons que l'acte d'amour ne se concrétise pas, et que ça n'en est que plus beau - interprété dans ma tête par Claude Brasseur des Enfants du Paradis, donc noble, portant beau, complaisant mais sans trop, le caractère à mon avis le mieux dessiné de l'ouvrage, parce qu'à traits grossiers malgré sa finesse, disons parce que la caricature, même légère, ne se départit pas d'un certain grossissement du trait. ) Des deux jeunes gens, l'un réussit, l'autre demeure niais, et c'est à cela qu'on les reconnaît. Mais j'ai dû relire le début sur vingt pages pour les différencier. Raymond Radiguet a dû préférer mettre en scène des personnages qui fussent le plus neutres possible afin que la passion pût y jouer comme en laboratoire, sans accident de nature particulier. Istamboul sur soie.JPG

 

Madame Mahaut d'Orgel ne m'a pas attiré non plus, malgré tous les efforts de l'auteur pour la rendre touchante comme une princesse racinienne transposée au XXe s. Sa démarche auprès de la mère du jeune homme m'a touché, puisqu'elle avoue à cette dame d'un âge respectable qu'elle aime son fils. Mais ses pudeurs, ses délicatesses, ses pâleurs et ses suffocations recouvrant toute une gamme subtile d'émotions amoureuses ne m'ont pas convaincu, ou plutôt ne m'ont pas intéressé. Il y a là tout un foisonnement de sentiments subtils qui échappent à mon âme prolétarienne ; des façons d'aimer très anciennes, distinguées et fleurant bon la poudre de riz éventée, qui n'appartient pas à mon univers.

 

Je sais les reconnaître, je sais les apprécier, mais seulement avec une région de mon cerveau : par un savant système de références, à Mme de La Fayette, à Racine, à Stendhal, qui travaille dans la même matière du subtil – mais il manque à Radiguet, mille excuses, le grandiose de Stendhal (qu'on pense à la scène où Julien tire son épée devant Mlle de la Mole), l'aération de Stendhal (ces vastes coups e vent éternellement printaniers de La Chartreuse de Parme !) - je parviens à comprendre. Il y a du reste dans Le Bal du Comte d'Orgel une dimension d'enfermement extrême, quels que soient les lieux extérieurs, Bois de Boulogne, Forêt de Fontainebleau, auxquels on a recours pour s'aérer le cœur.

 

Il est même question d'un cirque, où se déroule la première rencontre avec ce noble couple marié. Nous référencerons, tant que nous y sommes, avec l'amour courtois où le trouvère aimait la dame de son Seigneur. Nous flirterons référentiellement avec la psychanalyse, et ressortirons un Œdipe bien évident pour le jeune homme amoureux d'une épouse, bien plus jeune que son mari, mais qui finit par trouver refuge, brisée à jamais comme il se doit, dans les bras et la convention de son dit mari. Mais je ne sens rien. C'est comme Coco de Chanel : ressenti plutôt que senti, et si vite évaporé. Ce n'est pas une raison pour préférer Fleur de Munster, soit. Alors, à lire ou pas à lire ? Je n'aurais jamais l'audace de ne pas vous le recommander. Si vous aimez les envois de fleurs, les robes blanches et les baise-mains, les monocles et les chevaux bais ou les Delage et les Ferrari, si vous avez aimé Le grand Meaulnes – je l'ai aimé, mon épaisseur a ses limites – vous aimerez Le Bal du Comte d'Orgel. Si vous préférez Céline, lisez quand même, pour vous rafraîchir purement. Si vous aimez Bobin, allez-y franchement. C'est plus subtil, moins sot que Bobin. Plus pur, parce qu'on n'y parle pas de pureté, mais qu'on l'applique, sans démonstration, sans majuscules. P. 47 :

 

« Après-demain, par exemple ?

 

Le surlendemain, françois de Séryeuse n'était pas libre.

 

«  - Demain alors ! »

 

Extraordinaire choix du nom, d'une noblesse à couper au couteau, non sans double sens du nom. Mettons ensenble la mère de François et l'objet de son amour : car il lui semble qu'il purifie ce dernier en présentant Mahaut d'Orgel à sa mère :

 

« Mais son œil s'égarait dans le vague. Mme de Séryeuse, qui ne prenait pas ce manège pour de l'impatience, crut que quelque chose intriguait son hôte dont l'œil semblait posé sur une miniature, qu'en réalité il ne voyait pas.

 

«  - Vous regardez ce portrait ? » 

 

Evidemment, dans ce réseau de références où j'ai tenté de prendre comme au filet la signification de ce roman, je m'en serais voulu d'omettre Proust, eu égard au milieu social où il se déroule. Mais un Proust dégraissé, amaigri, stendhalisé. Enfin croyait-il. A vingt ans, il pouvait commettre des imperfections, parmi tant de perfections du reste un tantinet académiques. Mais c'était la règle du jeu. Comme de s'amuser – je le soupçonne de s'être amusé – à ne jamais rater un imparfait du subjonctif. P; 141 :

 

« On eût dit que Venise était la propriété des Orgel et de François.

 

« Mahaut continuait d'écrire à François. Elle ne lui parlait guère de l'Italie. »

 

...Alors de quoi ? D'amour ou plutôt de délicatesses, comme l'adolescente qu'elle n'aura jamais cessé d'être ? Elle a d'ailleurs, et ceci nous rapproche du dénouement, écrit à la mère de François pour négocier une séparation. Et c'est ainsi que se défont, dans le meilleur monde, les passions cruelles sous le vernis :

 

« Mahaut admit alors que peut-être, derrière cette façade, il y avait en Anne un homme qui souffrait. Et une réponse qui lui avait été dictée par la rébellion, elle la fit d'un ton humble :

 

« - Eh bien, ces idées sont si peu vaines que j'ai écrit à Mme de Séryeuse. »

 

Le mari intimera a sa femme l'ordre de dormir. Ce seront les derniers mots du roman. La Belle au Bois Dormant sombrera pour toujours dans le sommeil du cœur. Vous voyez bien que nous pouvons comprendre. Il ne vous faut que signer un pacte de non-agression avec l'auteur. Et, selon que ou serez, ou non, verlainien – une référence de plus – vous sentirez, ou non, l'ouvrage ouvragé de Raymond Radiguet, mort à ving ans de la typhoïde, ce qui nous éloigne du sujet. 

 

Commentaires

  • Tout homme complaisant est un con plaisant.

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