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der grüne Affe - Page 168

  • Comment transformer Chantriaux en auteur passionnant

     

    Et comme il faut bien prolonger le combat ou la "séquence plaisir", nous nous retrouvons quatre mois plus tard page 119 de ce redoutable monument de négociations franco-soviétiques. L'année 68 ancien style (2015) ne fut point tant marquée par de certains événements turbulents que par une certaine tension entre nos deux grands pays : les Soviétiques voulaient une exonération des taxes de brevet concernant la télé couleur pour les pays satellites d'Europe de l'Est, et d'autres concessions qui nous auraient floués ; il est vrai que la France prenait du retard dans la commercialisation des premiers appareils, hors de prix pour commencer. Alors, les réunions s'enchaînent, rencontres qui avaient réuni les représentants de France-Couleur et ceux des organismes soviétiques, à Paris d'abord, en juillet 1968, à Moscou ensuite, en septembre, puis à Paris, en novembre. Il est bien entendu que nul n'aborda la question de l'invasion praguoise, totalement hors sujet.

     

    Nous avions déjà observé que les contacts diplomatiques n'avaient jamais cessé entre les Alliés et le IIIe Reich, bien qu'elles fussent toutes vouées à l'échec. De même, au cœur des conflits mondiaux, les hellénistes et latinistes avaient poursuivi leur collaboration, "au-dessus de la mêlée". Soyons assurés que les affaires continuent entre les participants les plus opposés sur les plans idéologiques voire militaires, malgré les scandales que tentent d'irriter les journaleux de tous ppoils et de toutes morales : oui, les lépénistes et les communistes sont entrés en contact ; non, les Français et les Soviétiques ne sont pas entrés en conflit à propos de la télévision, en dépit d'un titre virulent de la presse britannique.

     

    Les fouille-merde trouveront toujours un étron à ronger. Le principal négociateur soviétique s'étant remis d'une maladie, les contacts s'assouplissent : la commission mixte prend acte enfin de la décision de la société France-Couleur : au singulier, car on a "la couleur" en général, et non pas "les couleurs" – la production en série des tubes débuterait en son usine dès le premier semestre de 1971. Des tubes plats je présume. Car les Russes avaient écopé, ou failli écopé, de tubes bombés, d'ores et déjà obsolètes. Il s'agit des écrans eux-mêmes, fonctionnant comme des tubes très aplatis. Souvenons-nous en effet que les premiers présentaient une forte convexité. Mais alors intervient dans le texte une de ces fameuses notes à rallonges, censée fournir aux chercheurs (s'il est envisageable qu'il y en ait) toutes les références nécessaires.

     

    N'oublions pas en effet que nos glorieux écrits n'ont pas pour objet de satisfaire l'insatiable curiosité des lecteurs pour les vicissitudes des tubes cathodiques, mais de les agacer par la promotion du Moi, lequel rédige ces pages, et dont chacun, normalement, se contrefout ; sachez cependant que vous pouvez vous identifier à moi, tandis que s'identifier à ces tubes s'avère totalement impossible. La note 235 mentionne en effet : Archives du M.A.E., soit Ministère des Affaires – z – Etrangères, Affaires économiques et financières, Affaires générales, télévision SECAM, article 923, liasse de l'année 1968, protocole de la VIIIe session de la commission mixte franco-soviétique pour la télévision en couleurs, p. 3. Quels propos de comptoir pourrions-nous émettre ?

     

     

    L'artiste (et la manche).JPG

    D'une part, que les historiens désormais croulent sous la documentation, ce qui peut nuire, paradoxalement, à la vérité, mais, à coup sûr, au rêve. Argument difficilement recevable eu égard à la sévérité technique du thème. D'autre part, que l'auteur, Olivier Chantriaux, possède l'art, tout de même, de conférer à son ouvrage une grande solidité, en raison justement de ses répétitions incessantes, sans jamais tomber dans la redondance ou la fatigue : en effet, tout est tellement complexe, voire touffu, que de tels rappels demeurent indispensables. Notre auteur connaît son affaire, tant analytiquement que synthétiquement. C'est ce que l'on appelle, sans doute, l'esprit scientifique, ou administratif. Il possède n'en doutons pas une vie affective qui ne le cède en rien à la nôtre, contrairement à d'éventuels et tenaces préjugés. Il arrive même au lecteur, s'il veut bien se concentrer, d'adhérer aux passionnantes perspectives de rapports humains consacrés aux négociations concrètes, au lieu de se noyer sans cesse dans la psychologie de bazar, avec amours, haines, jalousies, soif de gloire et autres fariboles.

     

  • Elucubrations complaisantes, prenant Julien Gracq pour prétexte

     Par une matinée pluvieuse de printemps, après un sommeil interminable de ma compagne de vie. Julien Gracq encore et toujours, Un beau ténébreux. Humeur maussade et volontaire. Prose moins bonne que dans Le château d'Argol. Séquence de syllabes « qu'on con » repérée. Critiques enfilées avant de lire, afin d'être sur les rails, ou « dans le mode d'emploi »- parfois bien utile. Je fus aidé ainsi pour Le château d'Argol, enfin compris après troisième lecture, et apprécié. Car Julien Gracq fait partie de mes anciennes idoles, « meilleur auteur du XXe siècle » selon moi. J'ajouterais volontiers désormais Marguerite Yourcenar, et dans un registre tout à fait différent, Marguerite Duras, et encore Sollers. « Quoi, Maître, seulement quatrième ! C'est ridicule! - C'est vous qui êtes ridicule mon ami. - Et c'est bien ainsi que je l'entendais, à distribuer ainsi mes bons points comme un directeur d'école primaire. Laissez-moi vous dévorer du regard. - Dévorez mon ami, dévorez. » J'aurais sous le nez sa grosse tête grisonnante contenant tout un monde, et je serais avec lui familier, en essayant de toutes mes forces de ne pas glisser dans la condescendance ou l'irrespect. Car ce que je crains d'exprimer, je l'exprime, en bon gaffeur : ainsi des beaux garçons que j'évite, craignant d'exprimer un désir que je n'éprouve pas. Sortez, psychiatres, de votre pochette à veston votre crayon à mine, afin de noter « acte manqué ». Dans le vrai sens du terme, et non, comme Sardou Michel, en lieu et place de « ratage » : A mes actes manqués, chanson, hymne extraordinaire, dont les paroles les plus cruellement prescientes sont « à tout ce qui nous arrive entre vingt et trente ans », car c'est bien là, dans cette tranche de vie que mon petit-fils abordera bientôt, que tout se joue, que tout se noue, que Prométhée se voit irrémédiablement attaché au Caucase.

     

    « Connaissez-vous Michel Sardou? L'avez-vous déjà rencontré ? Appréciez-vous ses chansons ? » Il faut se mettre à la place de Sollers, qui cherche à fuir après sa conférence, qui envoie se faire foutre tous ceux qui font semblant de ne pas le comprendre, ou qui ne le peuvent pas, qui n'en sont pas capables, qui ne sont pas « à la hauteur ». Je me souviens, en toute fin de conférence, de l'intervention d'un jeune tout en nerf, qui avait lancé dans la débandade des spectateurs : « C'est bien joli, les choses que vous avez dit [sic!], mais il suffit à n'importe quel juif d'avoir été dans un camp et de le raconter pour aussitôt se voir publié » - « il suffit », jeune homme ? ...justement, « il suffit ». Et Sollers, qui descendait de son estrade, fit de loin le même geste que l'on a pour chasser un « chétif insecte, excrément de la terre ».

     

    Il n'allait pas polémiquer avec ça. Mon indignation s'est tarie, je n'allais tout de mêmepas empoigner le micro portable de cet inculte pour clamer ma désapprobation, alors que chacun remuait les chaises pour gagner la sortie. Julien Gracq n'avait pour toute communication extérieure que ses cours de géologie, que je devinais extrêmement barbants. Il ne voulait pas être connu, mais, seulement, lu.

    Lamande, acteur (L.F. Céline).JPGL'ACTEUR Lamande

     

     

    Avant de commencer cette explication de petit texte, cette allégresse soudaine à la nouvelle de la suppression des IUFM, ces instituts stupides qui ont fait tant de mal à ceux qui transmettent le savoir, à coups de consignes jargonnantes et inapplicables, ayant conduit à l'ignorance arrogante ou désarroitée tant de jeunes déboussolés. Cette joie que j'éprouverai à soutenir un gouvernement si critiqué, ce plaisr que j'ai eu aujourd'hui à lire un texte en faveur des Etats-Unis systématiquement présentés comme une tribu de barbares , cet autre que j'ai éprouvé à écouter Radio Chalom et cette si magnifique langue hébraïque, si propre à la musique. Après cela, ce retour euphorique à Julien Gracq, à mes anciennes amours, dont je noterai « il me semble que j'ai imperceptiblement glissé du temps que l'on passe à vivre à celui que l'on passe à regarder la vie s'écouler »...

     

    Si tôt, dès onze ans, j'ai regardé mon Moi agir, sentir, en dédoublement. Il en est ainsi disent les manuels de psychologie de tous les enfants préadolescents de onze ans, mais ce fut moi qui me confiais à Jean-Pierre Lesage, futur mort en train de 1977... Et lorsqu'on a échoué au grand jeu de la Réussite, du regard des autres, il ne reste plus, mais quelle noble et vaste tâche, qu'à se faire aimer, reconnaître par soi-même. Et cela, c'est la leçon de Neale Donald Walsch, dont je viens de vérifier l'orthographe, car son nom est irretenable : conversations avec Dieu. Pour une fois que je suis optimiste, ne me jugez pas ridicule. Soutenir un gouvernement, soi-même, Israël enfin reconstruite et l'idée de Dieu, et l'appel fait par la ministre afin d'annuler cette annulation de mariage pour non-virginité, fait peut-être que je souille ma littérature, aussi gravement que Borgès lorsqu'il accorda son soutien aux dictateurs argentins à propos des Malouines.

     

    Je ne suis pas Borgès, je ne suis pas Gracq. Ma hauteur n'atteint pas jusque là... et à présent je n'y suis fait, après avoir pleuré dans un restaurant de Beaumont, sur mon échec. Je lis Un beau ténébreux, à intervalles espacés. Le narrateur tient son journal, multiplie les allusions littéraires - « et tout le reste est silence » disait Hamlet. Ce narrateur apprécie l'Hôtel des Vagues, et « le charmant bric-à-brac des couloirs ». Or de tels bonheurs d'écriture, Julien Gracq en émet en permanence. Et tous ces gentlemen, Gracq, Borgès, Pessoa, jouissaient d'une grande distinction, d'une grande puissance de travail à quoi je ne saurais atteindre. Pourquoi regretter d'être un poids coq, alors qu'on eût voulu remporter la compétition « poids lourds » ?

     

    A quoi riment ces lamentations ? A quoi rime également cet espoir, fondé sur la Berberova reconnue à 80 ans, à ce compositeur enfin joué à 93 ans, qui ricanait sur le bord de sa tombe, à ce prix Interallié qui vient de fêter ses nonante-cinq ans ? A quoi rime l'espoir des vieillards, puisque je ressemble à ces vieux qui rassemblent leurs bibliothèques, et couvent leurs essais sur Lafayette, griffonnent encore leurs spasmes du cygne dans l'espoir qu'ils seront enfin vivants à jamais ? Oui je ressemble à ces pathétiques maniaques, à tous ceux qui se disent : « Je n'ai pas si mal réussi que cela », et descendent dans l'obscurité du tombeau, comme Chateaubriand, carrément

     

  • Comme des visions

     

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     SECONDE EPOUSE

    La Tsarine.JPG


     

    Il se retire d'elle. Tu préfèrerais tes propres enfants.

     

    Il l'appelle « la mère » : « Ho ! La mère !... » Elle ne le fut jamais. Pure malignité. Gaston Dragon sait parfaitement qu'il n'est pas question d'envisager qu'elle le devienne, ni par lui ni par aucun autre (j'appelai toute ma vie Alcmène "la mère", "maman" m'écorcha toujours la gueule). bouche). En revanche le grand homme plia devant Seconde Epouse : Fernande obtint que "la Simone" (c'est ainsi qu'on se surnomme) accomplirait l'essence de sa fémité en étudiant l'Art du Ménage à l'Ecole Ménagère de Guny. Ma mère interne retrouva chaque semaine, passés cinq jours ou plus de promiscuités scolaires, son trop faible bourreau embelli.

     

     

     

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    ECOLE MENAGERE

     

    Il existait en ce temps-là de ces écoles où les filles se voyaient confirmer qu'elles étaient bel et bien

     

    de vraies femmes, destinées par la configuration de leur sexe à "tenir un ménage", écoles où tout un essaim de Ménagères leur apprenait à coudre, à cuisiner, récurer, lessiver, ravauder.

     

    "Molière ne pouvait pas savoir que ces travaux ménagers si méprisés par Armande ("de se claquemurer aux choses du ménage") seraient un jour enseignées dans des établissements spécialisés comme une science" (« Les Femmes Savantes », éd.Belin, 1932, note en bas de page) [sic]. En tant que science.

     

    La femme à sa place.

     

    Notre plus grand comique, Molière.

     

    Ainsi s'imprégnait dans les cœurs de toute une génération féminine l'aigreur et la férocité de la répression bitardo-connassière. Alcmène apprend à foutre son doigt dans le cul des poules pour les aider à pondre ; ce qu'elle fait consciencieusement plus tard à son garçon, quand l'intestin rebelle et masculin tarde à fonctionner. D'ailleurs ça gouinait ferme à l'Ecole Ménagère. C'est ma mère qui me l'a dit. Ecole ménagère de Gouiny. « Mais c'est que les hommes nous respectaient, dans le village, quand on défilait pour les promenades ! il n'y en aurait pas eu pour nous adresser un seul mot déplacé. » Braves rustauds de ces temps-là... toutes gouines, dont elle... J'avais pris un air écœuré - qui es-tu, petit merdeux, pour juger ? Plus tard, je m'en souviens, ma mère minaudait sur le siège avant où est-ce que vous m'emmenez ? où on va comme ça ? - la peau plaquée hideuse sur son crâne - du fond de la petite bagnole d'ami (128) Alcmène s'extasia une dernière fois devant son bâtiment de bois l'Ecole Ménagère, conservé du fond des âges, avec son pignon brun, ses bardeaux opaques.

     

     

     

    Note

     

    (128) ...Un ami...

     

     

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    LE SOURIRE DE MA MERE

     

    Je voudrais revenir sur ce "hideux sourire" d'Alcmène

     

    ("...et ton hideux sourire

     

    "Voltige-t-il encore sur tes os décharnés") (129)

     

    lors d'une arrestation de mon père - il avait passé à l'orange. Le temps d'un sermon de flic, j'ai vu ma propre mère, depuis le siège du passager, se pencher, fardée à plâtre, de tout son long jusque par-dessus les genoux de mon père en souriant de toutes ses rides, pour charmer le gendarme, charme très exactement semblable, ce jour-là, aux grâces d'un transi (« sur un tombeau, effigie d'un cadavre plus ou moins décomposé. »). Voir sourire ma mère, la bouche en fer à cheval renversé, fut pour moi aussi obscène qu'un sexe ouverte dégoulinant de bave (mentionner ici les deux rêves où je fornique le squelette et les chairs de ma mère, couverte de bijoux, puis qui se décompose sur la plage en mugissant "n'as-tu pas honte de m'abandonner dans cet état ».

     

    Jason qui conquit la toison pourchassa et tua les Harpyes, oiseaux griffus qui souillaient de leur merde les mets de Phinée, vieillard aveugle, et s'envolaient hors d'atteinte en poussant des cris affreux.

     

    Je n'ai jamais beaucoup aimé Jason, ce concurrent surfait.

     

     

     

    Note

     

    (129) Vers de Musset, appliqués à Voltaire.

     

     

     

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    TRANSMISSION

     

    ...Ma vie débuta sur ce lit par cet homme, Gaston-Dragon, qui commença par mourir, et bien que je ne fusse ni ne susse rien, tout cependant déjà tenait dans mon berceau (que si jamais Gaston n'eût été aplati sous une double roue arrière, jamais sa fille Alcmène ne m'eût transmis tant de choses sur l'homme qu'il fut et qui me fit frapper dans sa main : "Plus fort ! Plus fort ! Ah ! tu seras un vrai Dragon !")

     

    Or j'étais dans le treizième mois de mon enfance.

     

  • Voir les comédiens

     

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    Destructurer le langage, « parler par langues », reviendrait à déstructurer la pensée. Dessiner des cartes, à celle de l'espace. Mieux vaut donc si je crains cela dire la vie de certains personnages imaginaires. A quatorze ans j'ai eu le réflexe salutaire d'aligner le temps de ma planète sur celui de la terre elle-même et ne puis donc présumer de ce qui se serait passé par la suite. Nul doute que mon personnage, moi-même, n'eût poursuivi sa vie en asile, avec de douloureux épisodes de confusion mentale. Au lieu de me documenter, inventer moi-même une suite. Reprendre Arkhangelt. Trop compliqué. Trop de souffrance. J'estime avoir payé. Déjà payé. Paradoxe du comédien.

     

    Ne rien ressentir et faire ressentir. Tel le compositeur de « Heilbronn ». Ou commenter l'actualité. Toujours à chercher des modèles, à 60 ans... Hier nous sommes allés voir Molly avec Terzieff, Catherine Silhol et Fabrice Lucchini. Voici le paradoxe du spectateur : se sentir élu, et en même temps, se demander cyniquement pourquoi donc on se sent ému, de quelles sottises on rit ou de quelles pauvretés l'on se sent bouleversé. J'ai vu Terzieff passer devant moi, voûté, traqué. Je ne l'aurais pas ennuyé. Il devait se reposer. Remontant dans le temps, selon un procédé familier, je le revois à 50 cm, par une fente entre deux battants. Il avait un sourire radieux. Anne était avec lui. Il lui a serré la main trois fois m'a-t-elle dit, a reçu le catalogue du Bord de l'Eau et... son CD-Rom de peintures.

     

    Voici un argumentaire : « Il n'y a plus besoin d'une de mes biographies. » Réponse : « Que vous le vouliez ou non, il y a désormais chaque fois que vous entrez en scène une double aspiration cruelle de la part du spectateur : comment va-t-il à la fois correspondre à mes fantasmes sur lui et s'en dégager ? » Avec double danger pour le dompteur de se faire bouffer : être trop Terzieff, insuffisamment Terzieff. Par là, chacun ne peut faire autrement que de se reconstituer son propre Terzieff : il existe donc autant de bioggraphies fantasmées de vous que de spectateurs.

     

    La seule condition préalable je ne dis pas à la vérité (que vous et vos intimes êtes seuls peut-être à savoir), mais à la véracité, à la plausibilité, à la déontologie biographique fictionnelle, est votre aval

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  • Mon gendre, ce poète...

     

    Lyon n'est que ruine et murailles noircies. Le chien lèche la main qui le frappe. La lance d'Achille guérit celui qu'elle a frappé. Puisque nous fûmes pour vous l'occasion d'un triomphe, notre ruine même nous plaît, ipsa ruina placet. C'est pousser loin la veulerie. Nous ne parvenons plus à descendre aussi bas sans encourir le mépris.

     

    Nous compatissons, dans les Lettres, aux accablements du vaincu, mais nous n'admettons plus les chienneries. Romains bien étranges, si proches et lointains. A présent l'on pardonne, les transfuges s'ébattent sans états d'âme et nous préférons le cynisme, orné de nos sarcasmes. Change de camp, Sidoine, mais sans ramper. Tu ne connais pas l'impudence, qui rachèterait tout, est-ce une raison de te complimenter ? Quand vous monterez sur votre char de victoire et que, selon l'usage des ancêtres, les couronnes murales, vallaire, civique, muralis, uallaris, civica, noueront leurs lauriers sur votre chevelure sacrée – respirons. L'élan est donné, le ressort se détend, c'est le moment d'expliquer aux disciples l'énigme des trois couronnes : j'apprenais aux miens en cachette que le premier soldat à franchir le mur assiégé recevait une couronne "murale", à sauter le retranchement une couronne "vallaire".

     

    Tout soldat sauvant la vie d'un citoyen romain recevait la "couronne civique". Les trois seraient en possession de Majorien. De même le général d'aujourd'hui arbore-t-il sur sa poitrine les décorations méritées par ses subordonnés. L'empereur rassemblait sur sa personne tous les honneurs. À se faire si souvent remplacer, pouvait-il recevoir autant de respect que ses glorieux prédécesseurs, Trajan, Marc-Aurèle ? Concentrait-il sur lui autant de rayons ? Sidoine est-il le seul à s'aveugler sur ce point, pathétique dans sa foi sans restriction ? Est-ce pour cela qu'il finit par se tourner vers Dieu, qui bien sûr ne décevra pas ? Et là, je suis bon ? quand le Capitole doré regardera les rois enchaînés, quand vous vêtirez Rome de dépouilles guerrières, quand vous ferez modeler divite cera dans une cire précieuse les gourbis captifs du nouveau Bocchus africain – quand nos banlieues déclameront Racine ou Marivaux, quand ma tête pensive dominera le monde, quand le miracle éclatera – qui es-tu, moulineur de phrases, que penses-tu, quels vœux pieux alignes-tu, crois-tu vraiment que le vieux cou de la divine Rome portera tant de colliers, que ta renommée littéraire dépassera les frontières de ta province, alors que les Barbares portent l'Histoire et le nouveau sens du monde...

     

    Résister aux flots, ou se faire emporter, rappeler ses victoires d'avant ("Bocchus était le beau-père de Jugurtha" comme chacun sait, de qui Genséric le Vandale a-t-il épousé la fille, est-ce de Galla Placidia ?), de quoi nous sert l'Histoire ici à la rescousse de la préciosité, nous croulons sous tous ces casques, casse lui donc la gueule au Vandale Majorien Maximus, gonfle tes pectoraux, moi-même, à travers les foules massées sur votre passage et leurs acclamations enrouées, je vous précéderai et mes faibles chants, comme aujourd'hui, diront que vous avez dompté les deux Alpes et les Syrtes et la Grande Mer – tu te ferais fusiller, Sidoine, pour foutage de gueule, dans notre siècle. Nul n'accepterait tant de bassesse jointe à tant de grandiloquence. Nul n'accepte que le critique ne suive pas la voie juste, qui est de donner congé à ses préjugés, d'expliquer à l'ignorant l'âme de ces siècles d'autrefois, alors que je me contente et me gargarise de ma petite stupéfaction – le texte ou l'annotation venant à point soutenir ma faiblesse : les deux Alpes, ce sont les deux hautes montagnes, dont les Pyrénées... redescendre sur terre... se bloquer... les détroits et les hordes lybiennes, mais qu'auparavant vous avez vaincu pour moi. Le bouffon se déchaîne, le pitre étonne... V, 596, 59 11 23.

     

    Nous ne voyons hélas les derniers vers du Panégyrique "Maioriano", s'éloignant cahotant tels ces derniers wagons de marchandises dandinés sur la voie, que pour pressentir d'autres flagorneries à venir. Je laisse éclater ma joie - boum ! - à vous voir maintenant tourner les yeux vers les malheureux et leur montrer un visage serein – cui cui !" Faisons bon visage aux tristes occupés de l'Afrique du Nord : Gros-Bras viendra cum exercitu suo, avec son armée, il vous délivera du gros, du concupiscent Genséric, et tout rentrera dans l'ombre. Il me souvient que vous aviez le même visage, quand vous consentiez à me faire grâce : il y a le reste du monde, et il y a Moi, Sidoine, ou moi-même, en parallèles constants.

     

     

    La roue et les chevaux.JPG

    Tout est personnalisé, moins dans une perspective poétique ou même politique qu'en perspective sociale. Vous m'avez fait grâce, alors que je luttais contre vous. La vie d'un homme, d'un empereur, d'un évêque, ne pesait pas lourd. Les glaives avaient du poids et tombaient sous les coups. "Cette douceur pleine de charme est d'un bon signe – mitis dat signa venustas. On flatte le tyran jusqu'en son aspect physique. Devais-je adopter ces attitudes ? Sidoine, es-tu préoccupé de toi ? Risques-tu beaucoup ? Tu as reçu des assurances, grouououpâmâ, je suis marié avec toi, les strates commentarielles se parasitent, écoutez ma prière et vos trophées rendront la vie à Byrsa, voilà, tapez sur Carthage pour la ressusciter, bien loin qu'il faille à présent la détruire, note 100 ! le Parthe s'enfuira tout de bon, bien loin de décocher "la flèche du Parthe" en se retournant sur la selle, et le Maure s'en ira blanc de crainte, tu vas blanchir les nègres là dis donc, ce bon goût ! ce bon goût !

     

    Ah ! mariage de merde ! Union forcée ! Poétaillon ! Grande gueule et petit péteux ! Suse tremblera et Bactres, déposant à vos pieds ses carquois, car, quoi ? elle se tiendra désarmée auitour de votre tribunal. Et dans la foulée, Majorien conquerra la Chine et le Japon, et plus si affinités. Les jaunes et les bariolés se prosterneront devant cette petite butte sur laquelle le dux harangue ses troupes et reçoit les enseignes foulées aux pieds ! Ô sinistre impuissance des Hollande, Le Foll et autres petits saints, alors que Ricimer-le-Marché encule le monde à tout va, et que nul n'enraye la spirale ! Et l'on me dit que Sidoine, tout simplement imitait Claudien, le facteur de pianos, zongoran, ignorant de plus la géographie de "tous ces pays lointains" ! Il fut récompensé, le poète, il devint préfet de Rome, responsable de l'annone, id est l'approvisionnement en pain et en vin ! Une émeute le refroidit, le dégoûta de ces honneurs désormais efficaces ! Plus tard, il donnera du pain aux pauvres, sur les chemins d'Auvergne.

     

  • Philippe Grimbert, suite et fin

     

    « Un matin » poursuit le narrateur sur la page d'en face, « peu avant mon dix-huitième anniversaire, le téléphone a sonné. Après avoir répondu mon père a raccroché, le regard absent, la main encore appuyée sur le récepteur » - guère original, le style. C'est du Noullet, c'est du Vitoux. « Il nous a annoncé la nouvelle d'une voix calme, puis s'est penché pour caresser Echo venu se coucher à ses pieds » - tiens, le nouveau chien porte le nom de la vie du jeune homme : un écho de son frère mort... mais c'est que je deviens bon ! Bon, et sec, comme l'auteur). « Il est resté incliné un bon moment, sa main ébouriffant la fourrure de son chien, puis s'étant enfin redressé il est parti enfiler son manteau », cet obsédé. « Il a accepté que je l 'accompagne.

     

    « La voisine qui aidait Joseph pour ses courses et son ménage nous a fait entrer. Sur la table recouverte d'une toile cirée » oui je sais il faut «faire banal  « j'ai vu une assiette vide, un verre à demi rempli, une serviette chiffonnée. Mon grand-père reposait dans son lit, la tête rejetée en arrière, le teint cireux, la bouche ouverte », avec des asticots dans les oreilles (pour surprendre un peu l'auditeur, tout de même). « Mon père l'a contemplé puis s'est tourné vers moi pour me dire qu'il était heureux que son père soit mort dans son sommeil » - ce qui ne va pas tarder à me donner peur de m'endormir. « La plus belle façon de quitter ce monde, a-t-il ajouté » - évidemment, par rapport à une chambre à gaz. «Je me suis approché du visage de Joseph, j'ai touché sa joue du dos de ma main, sa peau était glacée » - banal, banal. Moins banal ce qui suit : « Quel rêve l'avait emporté ? Avait-il su qu'il disparaissait ?

     

     

     

    « Nous avons enterré Joseph au Père-Lachaise » - on a les moyens ou ne ne les a pas. « On se donne les moyens », comme disent les sarkozystes. « Nous nous sommes dirigés vers le carré juif » - mais oui, il y a des juifs pauvres, nous connaissons l'objection ; et celui qui me traite d'antisémite, je lui fais bouffer la Torah page à page et sans sel « où mon grand-père allait reposer à côté de sa femme. J'ai découvert la tombe de Caroline,» - qui c'est ? - « à deux pas de l'appartement de Joseph, à quelques minutes de l'avenue Gambetta. Encore une question que je n'avais jamais posée. Lors de nos balades parisiennes mon père m'avait souvent emmené rendre visite aux morts les plus célèbres du Père-Lachaise, mais jamais nous n'avions fait le détour par le carré juif. Pourquoi serait-il allé se recueillir devant la dalle où était gravé le nom de sa mère ? Il portait ses morts en lui : ceux qui lui avaient été les plus chers n'avaient pas de sépulture, leur nom n'était inscrit sur aucun marbre. A plusieurs reprises, lorsque nous étions passés devant le bâtiment du columbarium, il m'avait fait part de sa volonté d'être incinéré. Maintenant seulement je pouvais comprendre la véritable raison de son choix. » Il est vrai comme je l'ai lu que d'autres pourraient aussi éprouver le besoin de se faire enterrer, pour changer.

     

    « A peine arrivé à la maison mon père a saisi Echo dans ses bras et s'est approché de la fenêtre » - jettera, jettera pas ? « Il l'a ouverte et s'est avancé sur le balcon pour rester un long moment à contempler la rue puis il s'est enfermé comme à son habitude dans le gymnase. »

     

    Pudeur ? Assurément, monsieur l'auteur, mais banalité à la Sylvie Vartan, aussi.

     

     

    la petite princesse.JPGLa petite princesse par Anne Jalevski - www.anne-jalevski.com

    « A l'oral du bac, j'avais tiré un papier sur lequel était inscrit le sujet à traiter, qui se résumait à un nom : Laval. Paralysé, j'avais bredouillé une phrase sur la collaboration, une seule, qui avait mécontenté mon examinateur. Persuadé d'avoir affaire à un nostalgique de Vichy » - ça existe ces bêtes-là ? - « je m'étais muré dans un mutisme qui m'avait valu de redoubler ma terminale. »

     

    Je ne sais que dire. Ce n'est pas mal, mais cela ne suffit pas. Il faut plus de moyen, plus de souffle, plus de distance avec le bon style de bon élève. Un secret de Philippe Grimbert est assurément une histoire bouleversante de sincérité, de pudeur, de justesse, mais.