Proullaud296

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der grüne Affe - Page 13

  • CARTOGRAPHIE

    C O L L I G N O N

     

     

    C A R T O G R A P H I E S

    J'ai longtemps habité sous de vastes portiques...

    BAUDELAIRE

    La vie antérieure

     

    Cet ouvrage, ainsi que les autres, ne sera jamais fini. Il est dédié à tous ceux qui

     

    m'auront gâché la vie, parmi lesquels et avant tous, moi-même. En effet, je n'ai pas su faire d'efforts. Il me semblait que tout m'était dû, sans que j'eusse pris la peine de quoi

     

    que ce fût dit le tonneau. Cerrtaines de ces cartes ont dû passer par la photocopie. Ces

     

    corvées matérielles m'ont toujours semblé insupportable.

     

     

     

    Vivre ? Les serviteurs feront cela pour nous.

    Auguste VILLIERS DE L'ÎLE - ADAM

     

    "AXËL"

     

     

     

     

    LISTE ALPHABÉTIQUE DES DÉPARTEMENTS

     

    du Royaume d'Arkhangelsk

     

    avec leurs préfectures

     

    et populations approximatives d'icelles

     

     

     

    Ces populations correspondent avec la date où s'effectuera, grâce à vous,

     

    leur lecture.

     

     

    01. AAPAN Marchais - Buzancy 18 000 h.

     

    La préfecture réunit deux localités de l'Aisne, où mon père exerça la noble profession

     

    d'instituteur, entre mes quatre et six ans. Tout se joue avant six ans (How to parent, selon le titre original de Dodson, ce qui est tout de même autre chose).

     

    02. ALIM L'Unité 29 000 h.

     

    03. APPARU Arfitzial 25 500 h.

     

    Le nom de la préfecture joue sur les mots "artificiel" et "officiel". Noter que les

     

    populations représentent assez bien les petites villes que nous avons connues dans

     

    notre enfance, comme Laon ou Soissons.

    04. BADZILL Ste Geneviève 30 000 h.

    La suite des saints dans les anciens calendriers : Basile, Geneviève, Rigobert... Ensuite, tout a changé au gré des papes, des conciles, des cardinaux... Fallait faire moderne.

    05. BERNÁDI San – Bernád. Du catalan à deux balles. Ça n'intéresse personne ? Et pourtant, Macron est élu, et le Coca-Cola se vend dans le monde entier.

    06. BIÉTEK Zwiernédek 33 000 h.

    Juste des petites villes. À l'ancienne. Sans bornes à gaz pour voitures explosives. Cette géographie dépasse de loin le statut géographique. Nous venons juste de nous le demander.

    Qu'est-ce que l'enfant a voulu faire ? dire ? prouver ? Trouver, perdre ?

     

    07. BLEU- ET – NOIR Comme – Tuan 17 500 h.

    Juste des bourgades. Un département aux couleurs estoniennes. Une préfecture à la Jean-Jacques Goldman (Comme toi) ...comme toi, comme toi...) - nous tenons compte del a persistance de l'enfant, tout au long d'une vie d'attardé. L'arbre de l'enfant présente autant de racine que de feuillage, comme dans la vraie vie. Certains noms sont encore dans leur jus. D'autres ont été adaptés à diverses époques, en fonction d'une rationalité, ou dans le désir de retrouver une naïveté enfantine, ce qui n'exempte pas de la niaiserie (naïf et niais, doublet de nativus).

    08. BODJAR Zeus 17 000 h;

    Parfait exemple de ce qui précède. Qui peut avoir eu l'idée de ce nom de ville ? Pas un enfant. Juste un adulte, puéril.

    09. BOSKUM Hagen 18 000 h.

    Nina Hagen n'avait pas encore sévi. Aucun rapport non plus avec la ville homonyme de Rhénanie du Nord – mais la ville de Bochum est toute proche. Nous penserons plutôt à ce traître qui transperça Siegfried, d'un coup d'épieu dans le dos. Cet enfant adore la langue allemande et tous les mythes germaniques. Il sait le grec aussi. Nous le situerons vers ses 13 ans, juste avant son engloutissement marocain.

     

    10. DÉLÔ Vœux 18 500 h.

    Où est ma carte globale. Où est mon beau pays. Sans cesse sous la foudre des guerres. À présent je comprends pourquoi j'aime Israël. La ville chef-lieu de Vœux n'existe pas sur la carte. Je viens de voir une vidéo de la Sécurité Routière qui m'a mis face à face avec la mort.

    Très ému, et puis ça passe. Vous savez, je comprends très bien que mes écrits vous emmerdent – ou vous indiffèrent. Mais nul ne sait où les goûts des uns ou des autres vont s'égarer. Tout de même, je retrouverais bien ma carte...

     

    11. DÉLÔ-KANUAH Condé-Kanuah 16 500 h.

    Le Délô tout court n'a jamais fait partie de mes cartes départementales. Tout s'explique. Les préfectures n'ont qu'un recensement "à l'arrondi", "à la louche" : dérogation à la règle, qui veut que le temps se soit arrêté : tout ce que j'imagine concerne le moment futur où mes documents seront consultés. C'est une prophétie. Un futur antérieur accompli. J'ai habité Condé-sur-Aisne, où est passée Jeanne d'Arc (mais où n'est-elle pas passée... jusqu'à Ste-Catherine-de-Fierbois... son fabuleux bistrot de motard existe-t-il encore ?).

     

    12. DHELDA Masa 159 000 h.

    Déformation de "Delta", par affaiblissement, par affadissement : le drapeau d'Arkhangelsk, au lieu de bleu-blanc-rouge, était vert-jaune-rose ; le pays où l'on parle à l'envers, celui de ma mère Simone, était la ZINONIE, par amièvrissement. Le chef-lieu est souligné, car les villes de plus de cent mille habitants sont plus grosses sur la carte.En ce temps-là notre pays ne comptait que 40 Millions de Français, une émission radiophonique portait ce nom.

     

    13. DIOLI Cueilly 15 500 h.

    Affection particulière pour les toutes petites villes. Quand je pense que Gray, en Hte-Saône, se fait appeler "petit village" par les Parigots ! À 5000 habitants ! Cusset, 13000 habitants, illustrait une émission télévisée intitulée "L'épuration dans mon village" ! Le maire a engueulé par lettre la brillante équipe de tournage. Sans résultat. Les manants aboient, les connards passent ! Je me souviens d'un jeu où les départements étaient de couleur différente selon leur densité, le vert, le jaune, l'orange et le rouge. La France en 56 tirait fortement sur le vert...

     

    14. DOBOL Stirbknecht 48 500 h.

    Ça sonne bien. Tout à fait tagalog. "Stirbknecht" évoque "valet de la mort"...

     

    15. DOTTER-WILL Dotter-Will 40 000h

    Qui était le Docteur Will ? Fouillons dans notre Moteur de Recherche (on se signe). Je suis sûr qu'il y en a un – as for the moment, je ne retrouve pas ma carte du royaume d'Arkhangel, dont j'ai supprimé le -t ou le -sk. Je suis, après tout, le même que son découvreur, libre encore à ce titre de lui reprendre son nom – Will Kirby, dermatologue ? ...mais il est né en 1973 ! ça ne compte pas !

    Le numéro 16 :

    16. DOURMA Bourdyü 8 500h.

    En gros,la population de Privas, plus petite préfecture de France. Je rêve d'une prison où les détenus s'empareraient des armes et massacreraient les gardiens et les flics, mais pour finir, bien sûr, les bons gagneraient et le directeur pourrait remettre son colt dans sa ceinture, un peu en arrière sur la hanche; Mon rêve est le chaos. Mais il ne faut pas y survivre. Unifier les protestataires afin de constituer enfin Le gouvernement démocratique ? Mais qu'est-ce qu'on va se faire chier dans un tel monde !

    Le tout sans le moindre rapport avec le "département"du Dourma, sinon qu'il doit être rocheux et bouffé d'herbes sèches... On y trouve nombre de communes inférieures à 100h. Cela ressemblerait au monde où je suis né. Où tout serait explicable...

     

    17. DOZUL Soupsi 13 400h

    En ce temps-là, l'espace était encore lisible. Il y avait des parents, nécessairement chiants et butés. Les filles étaient comme ci, les garçons comme ça... Personne n'était là à pointer les moindres différences pour s'en faire les porte-drapeaux. Le mobilier urbain restait discret, villes et campagnes n'étaient pas défigurées par des ronds-points, haricots directionnels et panneaux directionnels à faire trois fois le tour des places. Qu'est-ce qui me prend. "Monsieur ! Monsieur ! Il veut être édité, mais il ne fait qu'écrire des réflexions comme n'importe qui peut en faire !" Va te faire tringler le buissons, connasse, ta réflexion à toi est très précisément aussi conne que celles que tu dénonces.

    C'est imiter quelqu'un que de planter un chou.

    Musset

     

    18. EMŠIL-TAUT ("ta-outt" naturellement) – intrusion d'orthographe tchèque - une femme maintient son chignon en hauteur et se tourne vers vous, le sommeil vous gagne depuis l'éternité de votre existence, et le chef-lieu est Siroltéük, ancien, d'au moins les années 50, sous le Napoléon III encore autoritaire. 28 500 habitants pour le chef-lieu, encore et toujours ces trottoirs aux commerces individualisés, marchands de chaussures, glaces à la vanille, coiffeurs... Il a bien dû exister quelque part un bonheur d'enfance, même en petits lambeaux.

    Mais si je dors, si je m'allonge dans la glace... Noter : ces somnolences remontent si haut que je ne peux les attribuer à un effet de vieillissement. Mais qu'est-ce que c'est ? Dès que je lis, que j'écoute une émission littéraire – ou didactique – les Incas, la (...)

     

    19.

    ÉPISKÓPÄ, oui, "épiscopat", c'est un petit bout de saucisse qui part en biais, en frontière, avec un évec, un épiscope, un périscope, qui voit tout ce que tu touches et surtout ta bite, une traînée de soufre vert. Je ne sais pas ce qu'il en est. Le chef-lieu est monotone. Il s'appelle MISTAKROS, où l'on repère la crosse de l'archevec , et toutes ces conneries humaines et cosmiques à m'en remplir toute la boutique, est-ce que je vous parle à tous en particulier, est-ce que nous composons l'écriture en train de s'écrire, comment vivre, comment font les autres répétait mon père à 27 ans 1/2, comment font les autres !

    C'est un de ces départements adventices, poussés là comme un poireau dermique, il faut tenir droit dans ses vocations, avec une personne, SOI. Tout ce qui formera le tas de merde de vos restes.

     

    20.- FER-DE-LANCE Perro, le chien, 29 500h.

    Les nombres sont toujours ronds. La carte globale a disparu. Mais pas si loin. Nous les présenterions ensemble. À toi le baratin, à moi les interprétations plastiques. En contrepartie je t'encule et te sers de père. Ce département s'étend du sud-ouest au nord-est, très télégénique, de comme deux lèvres obliques pincées en leur centre, et personne n'en a rien à foutre, parce que la mort rode et que je fais ce que je veux. La notion de littérature s'effrite, comme la maréchalerie-ferrante, comme la vitraillerie. La préfecture se situe à l'étranglement, comme Mars-la-Tour.

     

    21. - FINCE, prononcer finn-se. Nous sommes dans le pénis le plus dense du pays. Les frontières y sont capricieusement découpées. Ce département correspond à la moelle de l'arbre. Il ne connaît aucune côte. Il correspond à la version la plus archaïque de ma création cartographique. Les pellicules de frontières correspondent à des hésitations. Avant, il y avait une pine et des couilles. C'était mon sexe, affirmé. J'ai dédoublé ce sexe, afin de rompre la symétrie. Ici l'intérieur et les sécrétions échouent à se tailler une voie vers l'extérieur. Les communes comptent un grand nombre d'ha-bite-ants. Elles frôlent, au nord-est, la banlieue même d'Arkhangelsk.

    Le chef-lieu, la capitale, est ZEZBUTH, et non pas Zésébutt, comme dans la version primitive. Elle compte et comptera, et pour l'éternité, 258 600h., considérable pour un petit campagnard à verge minuscule. Mais j'ai réussi à me maintenir dans cet état, parce que j'ai horreur de l'espoir.

     

    22.- FINS-BLÉGA

    Ce que veut dire Bléga est inconnu de la population. Ce n'est pas un affluent, lequel affluent se nomme "Alion"; il semblerait que cet adjectif ait à voir avec une certaine plénitude, une rotondité. Elle m'a fait sentir que j'étais vivant, je l'ai entraînée dans la maison déserte et l'ai entretenue avec une souriante sincérité. Elle a failli périr mais tout restait merveilleusement clair. Notre préfecture s'appelle GASTROM, comme gastronomie, et compte, en cette bizarre époque, 24 500 habitants. Ce sont de petits hommes noirs et des femmes boulottes, mais je ne suis jamais entré dans tout cela : tout dépend de ceux que j'ai longuement sollicités. po du cou de presqu'île, en dépit des vraisemblances géographiques. Extrême densité là encire, proximité avec les noms précédents, la capitale s'appelle BEBBUTH, ce qui se rapproche de Belzébuth, démons des mouches. "Bébébuth" était le nom de ma très tendre enfance, als das Kind Kind war. Je suis sorti du bébé à six ans, lorsque je traçais mes premiers contours côtiers au dos de ma première boîte de jeu de construction 325 500h pour ma capitale, conurbant avec ZEZBUTH. Voilà de l'érotisme et de l'exotisme. Ce n'était pas pour écouter du Mahler que j'étais monté chez toi. Pour baiser.

     

    23.- FINSDHELDAGOOST

    Le delta du Fins est prononcé "Dhelda", ð de l'islandais, écrit "eth", avec le "th" du "the" britannique. "Goost", à la flamande, ne veut rien dire. En hollandais, "ghost" veut dire "fantôme". Il est géologiquement aberrant qu'un delta envoie sa flèche vers une pointe de presqu'île, à mon que ce rivage ne soit exceptionnellement déprimé dans le sable. Pourtant, ces grouillements mal asséchés abritent une population humaine intensément dense en zone humide. Bebbuth, en terrain enfin sec, loge ses 325 500 habitants définitifs (c'est le pays des morts) au-delà d'une épaisse forêt côtière entretenue artificiellement à l'emplacement d'une plage. La péninsule pénienne se dispute entre trois département.

    Elle se dresse entre deux immenses marais deltaïques.

    Le tome premier de ces cartes s'achève sur ce territoire.

     

    Le 24. est le FRANZISKUS. Il revêt une importance capitale. La toponymie de ce vaste département découle entièrement de mon premier corps féminin. Beaucoup de filles s'appelaient Françoise, et de garçons Bernard : cela ne voulait plus rien dire, et personne ne saura plus nous reconnaître. Ces mystères m'ont profondément troublés, moins encore cependant que mes confessions ridicules. Nous couchions dans le même lit. Nos parents nous pensaient innocents. Mais il faut que je comprenne. Que je comprenne pourquoi je devais faire mes prières, dans ce lit, avant de me livrer à la débauche.

    Françoise attendait patiemment que j'eusse achevé mes prières le plus dévotement et le plus à genoux possible,ensuite, j'oubliais ma pureté, je scindais en deux mon cerveau et mon ressenti, et je m'introduisais a retro dans les voies naturelles admises, vas in idoneum. Je pensais atteindre la vessie. Vous ne savez plus à quel point l'ignorance régnait. Vous ignorez notre ignorance. Et vous ignorerez la suite. Provisoirement.

     

    25. - GIH-TAHL, désormais avec "g" dur comme "guitare, ex "Gihi" comme "Gilles". Une fente dans un plateau, désert, températures étouffantes comme en colonie de vacances, où le gros André passait la tête devant la fenêtre : "C'est fini, oui ?" - je parlais seul. On m'envoyait là une sieste sur deux, parce que j'étais celui qui avait l'air le plus con. Les autres se branlaient sous les couvertures, à la voix d'un narrateur. Je ne comprenais pas un mot de leurs saloperies. "Qu'est-ce que ça veut dire ? - Une femme". J'étais déçu. Alors, le moniteur venait, et comme les autres s'arrêtaient net, c'était moi qui me faisait virer. Il faisait chaud en 1954. Je me racontais des histoires dans ma petite chambre individuelle.

    26. GRAND-ESCART Chef-Lieu Lé-Stif, ex Lé-sur-Stif. 675 234 habitants. Énorme département, au confluent commun du Stif, de l'Agims – g dur – et du Mézielg. Un delta immense, au nord, trois cours d'eau symétriques issus des montagnes, et un petit bouquet de trois formant le fleuve central. De 4000 mètres à la mer, sur 400km, 10m au km ? Je ne sais plus ce que j'imaginais. Des voitures ultrarapides appelées "ventoréac". Des tanks appelés "pulvériseuses". Pas d'avions. Pas de vie en surface, tout le monde en collants unisexe, l'entre-jambes bien plat ne laissant rien deviner du sexe, car les cheveux longs pour hommes étaient inimaginables. Des toilettes au jet par mécaniques, des achats par distributeurs y compris des voitures, dans de grandes cages en verre.

    Tout n'était que chiffres et nombres. D'obscures mathématiques ou algorithmes régissaient mes élucubrations, les seuls sentiments étaient la guerre : domination, ou asservissement. Lé-sur-Stif, parce qu'il y en avait deux autres : sur chacun des trois fleuves, aux mêmes latitudes.

     

    27. - HALŽY [hal-ji], emprunté à l'alphabet tchèque.

    Département de la frontière sud, au creux du val de l'Obo, qui s'oriente d'est en ouest. Aucune mythologie ne vient sous-tendre cette pièce rapportée. Ce sont des ajouts d'extrêmes semaines, une rigole entre deux chaînes élevées, un chef-lieu de 17 500h plus ou moins parsemé de crottes de mouton, affligé d'une population nécessairement arabe et musulmane pas très pratiquante. Il n'y a plus de religions dans mon royaume. Comme la Lecture dans Fahrenheit, elles ont été proscrites pour crimes et instigations au crime. La petite ville crotteuse s'appelle Mukhaddiž. Elle est imprononçable.

     

    28.- HAUT-DEVIDA-DERAH Chef-lieu Jaralpur, 12 700h. Il ne manquait plus que ceux-là. Les Indiens, nommés improprement "hindous" – que c'est haut sur la carte ! Au beau milieu des deux deltas, unis par le Vattu ! qui tel le Casiquiare, unit deux bassins : du Stif et de l'Obi. Les hauteurs promises n'en sont pas, il ne s'agit que de sources sur plateau, qui sourdent au sein de vieux champs de maïs. L'écueil est de se demander ce que vous en avez bien à foutre, et de tomber dans l'abîme du sieur Carrère. Il existe en effet sur la Vraie Terre une invraisemblable infinité de formations géologiques et humaines pour se dispenser d'en échafauder d'autres.

    Cet écueil évité s'en dresse un autre, celui d'Aragon-Roi-des-Cons lamentable auteur de Blanche ou l'Oubli. Ni le lecteur en effet ni l'auteur ne semble plus savoir où se situent le vrai et le reflet, l'hologramme et l'imaginé, le lecteur se noie dans la vase emplissant le nombril de l'auteur d'un horizon à l'autre.

     

    29.- HAUT-QÎF, juste derrière le Halži ; avec un petit boudin fripé plongeant vers le nord, comme un sein de Geneviève sur la plage. Siberville n'a que 5 800 habitants. Ce que les connards du VIe

    appellent avec condescendance un "village". Même Cusset, 13 000 habitants, ils l'ont appelé "un village". Bouvard, salut. Pécuchet, salut. Vous recopiez le monde, avec enthousiasme. Un autre tourne des pieds de chaise, à l'infini. Voici donc une lourde rafale de mollards d'automne.

     

    30. - HAŽAR. JE raffole de ce "z – accent circonflexe" – qui n'est pas, justement, un accent circonflexe, mais présente un tout petit soubassement horizontal. "Chef-de-Val" : beau nom. 24 500 habitants. À l'échelle adoptée, une métropole. Avec un cinéma, une place à platanes. Je salue les humains.

     

    31. - IMBO-PENIŽAB – que vous disais-je ? faire une recherche sur l'alphabet tchèque. Déjouer les pièges du moteur de recherche. Il n'y a plus d'accès à internet ! Horreur ! Horror ! Horror ! Saviez-vous, non seulement que le bey d'Alger a une verrue sous le nez, mais encore qu'il suffit de redémarrer l'ordinateur pour rebrancher internet, pour que le clochard puisse à nouveau fellationner l'abbé ? Oui bizuth, l'abbé en personne.

     

    32. - KATHRAKTI - Sulep – 31 000 habitants. Le nom du département est à rapprocher de "cataracte". Il doit se prononcer à la démotique, en roulant l' "r" et en prononçant le "th" comme un "thêta", comme "-h" dans bath.

     

    33.- KATIMBAK – OGO – 100 000h. Cela ne se peut. Un compte aussi rond. C'est pour permettre à la population de varier dans une petite "fourchette", nous dirions "algorithme". La fin de ma planète merveilleuse et terrible commença du moment où je voulus la faire coïncider avec la "réalité réaliste" : les années coïncidèrent avec les vraies années du vrai calendrier, il ne fut plus question de vieillir de douze mois en quinze jours, et tous les habitants reçurent une injection douloureuse, avec une très longue seringue dans le bulbe rachidien.

    Le nom du département s'inspire du conflit congolais, où le Kasaï demanda son indépendance. La caatinga est une formation végétale du Nordeste do Brasil, comprenant des arbustes secs et des broussailles. Rien à voir. Tout ces départements du sud, en enfilade dans la vallée de l'Obo ("Imbo") sont des rajouts, destinés à étoffer un pays maigrelet. Ils ne remontent pas à la haute enfance. Le monde en effet, sous la pression de la Raison, s'est figé, statistiqué, réduit en colonnes de chiffres.

     

    34. - KVILLAERT, à prononcer cette fois selon le flamand, où n'existe presque pas, à ma connaissance, de séquence "-kv-". Ce que je viens de vérifier. Chef-lieu : Kvillaertsen, 40000h. Ce département suit immédiatement le KATINKA dans la fameuse vallée de l'Imbo, juste à l'ouest. Nous passons ainsi des tribus congolaises aux tribus néerlandophones. Nous avons voulu, avant la lettre, accueillir la population la plus diverse possible, sans tenir compte des frictions envisageables. Une telle société ne peut subsister que sous un régime particulièrement lourd. Ne pas oublier que la lettre "e" suivant une voyelle prolonge ladite voyelle :"Kvil-laart", "Kvli-laar-tsen". Merci...

    35. - LÉ-DUMM, à prononcer comme dumm, "sot, crétin" en allemand : "doumm". Mon patronyme, commençant par "coll-", donne évidemment "dumm-" en code djung-go. Le chef-lieu s'appelle également Lé-Dumm, affligé de 120 000h, ce qui est peu. Se souvenir que les métropoles de cette population éraient déjà considérables en 1958, date de la Grande Rupture Marocaine. Lé-Dumm se situe au point de jonction des 4 torrents qui forment le Stif, lequel à son tour partage notre royaume constitutionnel en deux parts égales, à l'est, et à l'ouest. Poussière effrayante. Le département présente la forme dysharmonieuse d'un grand légume anguleux tout couché au piémont du Flaggafrag, point culminant, le mont Stif (évidemment) : 4324m.

     

    36.- MÉZIELG – Chef-lieu : Ipsom-Plateau, 11 500h, "petit village" à l'échelle des élites qui nous gouvernent. Ce département jaune citrouille pèse sur le ventre du Lé-Dumm, et se recommande par son extrême pauvreté. Aucune agglomération plus forte n'a pu être découverte sur ces plateaux déshérités. Le plus stupéfiant est la présence du Mézielg sur les moteurs de recherche. Une illustration représente la place de Charleville. Les références à ce département imaginaire n'y renvoient nullement, mais à d'autres textes mineures qui errent, de çà de là, sur nos propres toiles.

     

    37.- MILITZIA chef-lieu ARKINGO, 988 500h. Militsia, c'est aussi l'épouse jambes-en-l'air d'un bibliothécaire, dans Le jeu des parallèles, en vente nulle part. J'avais inventé une seule presqu'île, au centre de la côté. Ce qui reproduisait, très exactement, une bite de pissotière, avec les douilles qui pencouillent. D'où mes deux crocs moustousses et parallèles, entre lesquels se jette le Stif, comme un drain vaginal. Ce département est pourri par une interminable banlieue résidentielle. Il comporte beaucoup de casernes.

     

    38. - MINENKRÄS, "Minenkreis" en allemand, chef-lieu "Biz-Minen", tout à fait au sud-est, où la densité n'est pas terrible, un département tout teint en gris, sur lequel je crains qu'il n'y ait pas grand-chose à dire tout compte fait. Le chef-lieu fait 102 000h tout de même, on doit s'y faire chier comme des rats morts.

     

    39 .- MOKHID-ALLURAM, chef-lieu Debbas, 17 500h., juste au-dessus du confluent de la Dinna. Les commentaires se font de plus en plus superflus. Quels pays devais-je imaginer ? Des années 60? Même hygiène, même mortalité ? Mêmes problèmes aujourd'hui  dépassés ? "Alluram", c'est le plateau à côté de Beden, un petit massif de 500 à 1000m. Le reste du répertoire nous dispensera désormais, sauf erreur, de l'accompagnement comparatoriel. Sur la carte, des surcharges témoignent, à présent, que tous les numéros ont été décalés. Préparez-vous à présent à plonger dans le répertoriage absolu.

    Si les critères changent, si les réseaux sociaux réels ou virtuels veulent s'emparer de nos nullités hagardes, elles seront portées au pinacle. Il me vient à présent une quantité considérable de banalités bouffies. Alors on se prend son tuba et ses grosses palmes en plastiques, et on s'enfonce :

     

    40.- NÔR-GIH, chef-lieu Brunst, 24 500h. Au nord du plateau ouest, que les chaleurs dévastent. Toujours ces petites villes considérées comme modèle d'urbanisme ou mieux d'urbitude.

     

    41. - ÓGHONA, Gazúl, 42 700h, ce qui était déjà considéré comme une assez grosse agglomération, du temps où l'humanité n'était pas encore enfuie des éprouvettes. Les dinosaures lettrés ont repéré l'autrice du Théâtre de Clara Gazul avec un accent aigu très espagnol, paru en 1825, et La Guzla de la folle (1827), le premier titre de Prosper Mérimée, le second vraisemblablement ("poésie illyrique" pour "lyrique", et "Gazul" pour "Gazouille"...)

    Sacré Prosper;

     

    42. - OOST-ŠÖMALAND, ce qui sonne tout de même autrement que "Chomanie", appellation primitive. Le chef-lieu conserve toutefois son appellation pataude "Chomany" (95 800h – ah tout de même). L'imagination toponymique des enfants n'est pas nécessairement originale.

     

    43.- ORIGEN, de "Origine" ; ce nom provient des derniers raccordement toponymique. C'est l'un des tout premiers noms attribués par l'enfant. Le chef-lieu s'appelle PÊTH-DANNÉ où la prononciation périgourdine permet de retrouver "Pète-dans-le-nez", digne en effet d'un enfant de six ans : un dénommé Ponsard s'asseyai le trou du cul sur mon nez, pétant sur ma demande. L'anus était violet et feuilleté comme un intérieur d'artichaut. L'enfant est un pervers polymorphe. Aucun rapport avec le François du même nom, auteur dramatique joué par Rachel ("Félix") à l'Odéon, qui fut l'inspiratrice de Sarah Bernhardt.

    Ce qui nous change des trous du cul. 118 000h pour le chef-lieu, énorme pour l'époque.

     

    44. - OŠMA , d'une racine se rapportant à l'odeur ("riz basmati"). Comprend un lac vulvaire à l pointe orientale duquel se niche le trou d'Otnö, qui atteindra, à notre mort, 21 000h. Cette contrée sera vouée au tourisme (et non pas "dédiée", bande d'assassins de la langue française).

     

    45. - PERA, en poire comme son nom l'indique, avec mon lieu de naissance, MÉZY? 75 110h tout de même. Tout le velouté du flanc ouest épouse le cours du Pêth, inharmonieux et renommé Qîf, avec la vélaire de l'arabe ("qelb").Sans doute en ces endroits réunirons-nous les lieux de notre enfance, à présent que nos vies, privées de tout déménagement, ressemblent de plus en plus au tremplin des jeux olympiques d'Innsbruck ( 1964, 1976) avec envol vers l'inconnu ou le raplatissage à 150kmh. Ce département porta quelque temps le numéro 44 bis, jusqu'à ce que je m'aperçusse de l'ineptie totale de cette disposition.

     

    46. PETROLEUM chef-lieu Džago, 585 600 habitants. Là au moins, une métropole digne des productions du sous-sol. Tient au lac Sans-Frantzka.

     

    47. POKKARUM , chef-lieu Furtras, 16 900h. Tout à fait au sud-ouest, dépassant la verticale d'occident. Porte le numéro maléfique devant marquer notre fin de vie. Les 47 ans sont passés, les 74 aussi, méfions-nous des 94 qui en sont le double, et souhaitons que ce soit un numéro d'année, ce qu'on appelle un "millésime". "103 ans" me semble correct pour l'instant.

     

    48. POLNARIEVA chef-lieu bien évidemment Polnareff avec 105 000h ce qui est honorable. Ce nom me valut un regard non pas de mépris, mais de remise à sa (prétendue) place de la part d'un Raisonnable, qui demandait sournoisement "si cela faisait longtemps que j'avais dessiné cettte carte". Si. Très longtemps. Aussi loin que mon Cerveau-Vif. Mais rien ne se perd plus aisément que les monuments sacrés. Dans l'oubli de ce coin d'Arkhangelsk, j'avais résolu de rendre hommage au plus grand précurseur des tempêtes à venir : Michel Polnareff, à présent stérile et ventripotent, et ne disant plus que des conneries ou banalités. Rien de plus terrible dans le contexte que ces artistes dont la voix, dont la mélodie, dont la conduite vous transportaient tout transfiguré au septième ciel des voluptés post-adolescente, se mettre à répondre aux journalistes des incongruités de Monsieur Tout-le-Monde : il sont rasés, tondus, moches à dégueuler (pas lui ; pas Polnareff) et ne savent rien dire de plus que "Ah ouais, on s'est bien marré, on a bu et tiré de bons coups, ah ouais on était tous potes qu'est-ce qu'on a pris not' pied" – par pitié.

    Par pitié taisez-vous. Respectez-vous, respectez-nous. Ce n'étaient pas des "folies de jeunesse", des "conneries de rigolos", mais c'était nos arcs-en-ciels, nos poudres magiques, nos ascenseurs express vers des envolées fondatrices, dont vous n'étiez que les vulgaires et inconscients instruments. Sur scène, vous vous êtes marrés. Nous, on dérivait d'orgasme en orgasme. Par pitié, silence. Vos symphonies planent dans l'éternel. Que nous ne sentions pas l'odeur de vos pieds. Polnareff interviewé renseignera sur tout ce que l'on veut savoir, date de concert, circonstances de composition, mais ne nous restituera aucune extase, aucun coup de glotte ou yodle, et l'on a remastérisé La poupée qui dit non, pour laquelle j'ai dansé contre les murs, le long des murs, eu haut des murs, seul dans ma thurne de pion, en écoutant ma vie, mes espoirs, mes propres souffrances et frustrations, magnifiées, sublimées, rachetées par quatre simple accords de guitare et la voix de l'Ange.

     

    49. PRINGRÄS chef-lieu ARKHANGELSK 2 988 800 h. Et non pas, plus jamais, Arkhangelt, graphie conformiste. Voyez l'enfant cartographe : il s'imagine les adultes, lui objectant pleins d'ironie (les adultes sont pleins d'ironie) que la ville d'Arkhangelsk existe bel et bien, au bord de la mer Blanche ; qu'elle compte plus de 345 000 habitants ; qu'elle abrite, dans telle bande dessinée, une base sous-marine dissimulée sous les glaces. Donc, l'enfant modifie l'orthographe, et devenu lui-même adulte, s'estime lâche, et rétablit la seule véritable orthographe : la Ville de l'Archange, Arkhangelsk. Il dcouvre aussi que toute la géographie élaborée jadis ne fait que reprendre la carte du monde : un pays de l'ouest reprend l'Angleterre, un pays de nord le Groënland.

    Il ne désirait pas concurrencer, fuir le monde afin de s'évader, de créer, mais se réapproprier sa propre géographie pour convaincre les adultes que lui aussi leur était semblable. Simplement ce royaume, "le Royaume d'Arkhangelsk", avait été descendu au 44e parallèle, en zone tempérée. On y vivait dans des souterrains, tandis qu'en surface régnait l'agriculture et la guerre. L'Enfant-Chef participait aux opérations, sous le règne de Michel Drapeau, cinquième ou sixième du nom. Si le Royaume d'Arkhangelsk avait rop différé du vrai, de la terre ferme, jamais les parents n'auraient pu accepter le Grand Dissident.

    Telle est la leçon à tirer des Évasions d'Enfant.

     

    De même le PRÜTZPOKH : ce département se décompose en "Prusse" et "Poche". Une poche de Prusse ou de pus accrochée tardivement au Dobol, de dialecte alsacien. Question de rattachement administratif, après un long contentieux. Arkhangelsk revendique une autre annexion vers le sud ; ce territoire est quadrillé, il est "en litige". Son nom ressemle à ce qui existe : "Mais si ! Cela existe ! Comme autrefois la Prusse Orientale, en pluspetit, en moins voyant, acceptez-moi, juste une révolte conformiste, juste pour être accepté, avec ma petite différence" ! Chef-lieu : Schachtheim, "le pays du regard". 43 200h.

     

    51.- QÎF-BOKL : autre département frontalier, "La Boucle du Pêt". Un fleuve ne peut pas s'appeler le "Pet", même avec un accent circonflexe. On nous objectera le Prut [prout] formant frontière en Moldavie, mais P-e-t ne s'admettra qu'en transposition djoungo, soit q – i – v. Le "v" vire en "f" en fin de mot, le "q" se prononce comme l'arabe "qalb", le cœur, pzrticulièrement difficile à prononcer avec la lettre "i", surtout agrmentée d'un accent circonflexe. Ces efforts pathétiques permettent à grand-peine d'échapper aux pitoyables obscénités caca-prout des chiards. "Bokl" sera "la boucle".

    Eh bien si. Le chef-lieu s'appelle CHARLEMINVIN. Nous commencerons par l'orthographier plus ou moins phonétiquement, ŠARLEMÊNVÊN, le circonflexe tenant lieu de tilde.

     

    52.- RAABAM. Vérifions. Raabam en hébreu : « leur faim ». Aucun rapport. Prendre une photo. Erreur de stylo qui glisse, proportions retouchée. Dernier territoire annexé, à peine appartenant à mon peuple, qui n’a pas de langue, formé de tous les peuples de la planète, et patriotiquement, nationalistement soudé par des combats absurdes pour le seul plaisir des combats. Détaché sans conviction, comme un cagassou de la merde qui tombe en plein air. Chacun garde sa langue et sa musique, se plie à la vie souterraine, avec mission de tir à vue sur toute vermine hantant la surface.

    La seule région peut-être à conserver son propre dialecte, qui ne s’apparente à aucun autre. Le chef-lieu est QÉTIB, avec un qâf, prononçable par le seul contact du rond de langue avec le voile. 21 000 habitants habitent là, sans liens avec rien.

     

    53.- SAMON sans nasalisation. Mon pays s’étend là, sans plus de réalité, en dépit du beau nom de sa préfecture, ESCORTELING, 30 000, ce qui laisse le temps à l’accroissement. Mes cités, mes campagnes asphyxiées de pesticide, sont aussi vivantes et palpitantes que les Capucins de Palerme. Seigneur dépouillez-nous de nos débris humains, sourires démoniaques et autres fariboles dentelières. Dans « nos », je lis « os ». Nous vivons au bord du Biétek, sans vie, sans eau, dans l’herbe rase et l’orge, film arrêté sur image, gris clair émigré jusque sur nos visages, raides chacun comme un os. Ne regardez pas le passé, voyez toujours vers l’avant. L’avant est un butoir. Examinez bien sur le butoir les giclements de cervelle écrasée.

    Je ne sais plus ce qu’il y a là-bas. Un vaste cimetière tenant toute la ville. En surface, à côté. Tous les commerces ont fermé. Les tôles battent. Mon pays. Bariolé de teintes pâles. Au moment de mourir ne revenez pas. N’y revenez pas.

     

    54. - SANT-RAMON

    Vérifions. 487 habitants. Aucune rubrique. Près de Lérida, en haute Catalogne. Chez moi, 101 000. Belle métropole, rattachée su réel au ciel par un seul pédoncule, tige sacrifiée de champignon. Très, très vaste région en section de cimetière, fertile terreau poussant sa racine dans la chair des morts, pays décalqué, disséqué, ucune activité industrielle ou autre. Quand j’eus abandonné mon pays, réalisé les visions de mes rêves, d’abord je réduisis la duré de mes années, puis tout se résolut en calendrier de chez nous, bien exact, avec de vrais jours et de vrais parents, interminables.

    Ville comme un énorme bourg catalan écrasé d’été, l’orgue qui brâme dans ma voix. Dehors, les paysans enfin rendus dans leur retraite, en pantalons soignement repassés du pli, qui n’ont rien entendu de ma retentissante improvision.

     

    55. - SÉREK, chef-lieu GOVIL, 14 500 habitants, ce que les Parisiens de Paris appellent «un village ». Mon Dieu les Cons. Juste de quoi errer en rond. Département tourmenté, harmonieusement découpé en tête de chien ou monstre, où soufflent les prairies sous le vent. Tout descend, rien n’arrête le roulement du regard. Ce serait un trop vaste versant, des animaux morts ou absents, avant l’apparition de l’homme ou des pré-singes. L’heure dévalera les longs versants.

     

    56. ŠÉVNÉR-ÉKNIR - ça c’est compliqué. Essayez donc de prononcer des « é » fermés devant des consonnes finales ou jointes… C’est un gros département rosâtre, sur une foule de petits cours d’eau dévalant vers le nord, son chef-lieu compte 75 000h. - ces nombres sont arrondis pour permettre une souplesse fictive. Et puisque la renommée ne correspond à aucune recette, autant dire n’importe quoi ! Ah,jen aurai dit, des belles choses de bordel de Dieu !

     

    57. SILS a pour chef-lieu SILIS, 102 000 habitants. Et j’ai eu beau chercher sur ma carte coloriée, je n’ai trouvé ce département nulle part. Une belle carte sous plastique, ce que je remettais à faire depuis des dizaines d’années.

     

    58. SIX-ANS : c’est l’âge où j’ai commencé à tracer des cartes, la première étant au dos de mon jeu de construction. Mes parents ne m’ont jamais laissé manquer de rien. Sauf de couilles, ça ne les a jamais dérangés. Le chef-lieu, AB(O)U, compte 314 000 habitants, ce qui est énorme à mon échelle. Vers la fin de l’ordre alphabétique, nos calculs font entrevoir une très faible densité, aussi le rédacteur se rattrape-t-il sur les populations. Le nom primitif était d’une obscénité puérile totale : « ABOUT-PÈTE-DANS-LE-NEZ, en mémoire du gosse de 5 ans avec lequel j’apprenais la couleur petites feuilles d’artichaut des trous du cul.

    Faudra-t-il m’interdire le salon du livre de Cabourg ?

    J’ai donc réduit ce nom à la portion congrue, compensant par la création de PETH-DANNÉ voir plus haut à ORIGEN n° 43.

     

    59. SÔR-GIH, chef-lieu BERŽ comme « berge ». « SÔR » comme « sud ». Dans mon royaume s’unissaient toutes les nations, toutes les langues du monde. Tous les climats du monde, du plus sec comme ici aux plus brumeuses et marécageuses contrées. Ma personne était toutes les mimiques du monde, j’incarnais tout seul au miroir la totalité des visages humains. De garçon, d’homme. Les femmes ne seraient que de faire-valoir et de trop-pleins aux hommes. Il n’y avait pas d’animaux, parce que ça ne sert à rien. Mon Dieu l’horrible petit facho que nous étions !

     

    60. STIF-Ū- VALLÔ, « Ū » pour « et ». Ce département s’enfonce comme un plug anal entre le BOSKUM et le « Shé-vnér-Éknir » en orthographe simplifiée. DIZZAMIL, chef-lieu, atteint 60 000 habitants. Tous ces noms sentent le fabriqué, l’artificiel. On sent le Charles qui « veut faire un mot d’enfant », ce qui en est un autre. Tout est retrafiqué, pour correspondre à l’idée d’un reconstructeur d’enfant. Il faut que tout soit « vraisemblable », «justifiable ».Je reprenais les grimaces du monde, et englobais tous les types de grimaces ; ma géographie reprenait les cartes du monde, Arkhangelsk présentant les trois fleuves sibériens : l’Ob, le Iénisseï et la Léna.

    Le narcissisme galopant n’est pas l’unique explication. Mais aussi la panique et le besoin de rabattre tout ce monde et les gens qui la peuplent à l’intérieur de ma sphère de contrôle..

     

  • Carré de dames N

    C O L L I G N O N

    C A R R É D E D A M E S

    AUTEURS DE MERDE

     

    - Watson's international Encyclopedy...

    - Tell on... exciting... - la vieille femme se rengorge.

    Le représentant se redresse, trapu, les mains bien à plat sur la table :

    "Décidées ?

    - Oui, dit-elle.

    - Un petit verre ? dit l'autre vieille.

    Elles boivent d'un trait :

    - Du porto.

    - Et du bon."

    De la première l'homme ne voit que le nez : une arête, irrégulière ; l'autre, Gretel, ridée comme un vitrail au soleil couchant. Le petit représentant se méfie : une fois de plus, on le fait boire. Le porto l'écœure, l'estomac lui brûle. Sa tête tourne. Les vieilles tiennent le coup. Elles sont à présent rouge sombre, en étau ; il s'écarte :

    "L'Encyclopédie Watson, chef-d'œuvre de la rigueur anglo-saxonne...

    - Aryenne.

    Il sursaute.

    "Vous n'êtes pas spécialement nordique, n'est-ce pas ?

    - Non, de Nice.

    - Arabe ?

    - Tout de même pas.

    Le jour qui baisse. Sur un fauteuil un tas de couvertures qui somnole. Au-dessus du Niçois passe un dessous d'escalier tournant dans la pénombre.

    "Où va cet escalier ?

    - Porto ? dit Jeanne.

    Le goulot tinte. Le représentant brun pose la main sur son volume :

    "C'est toute une somme. De tout ce qu'on peut savoir.

    - Encore un ? - ...je peux finir ? - ...la bouteille ? - ...ma phrase ?

    - Nous n'avons pas besoin d'encyclopédie.

    - Nous sommes l'Encyclopédie.

    - Vous ne savez pas tout ! ...Tout est là !" Il désigne son livre.

    - Dô héne, là-dedans ? reprend Gretel en son dialecte- l'homme empoigne la bouteille et la vide en

    roulant des yeux. Alors l'âtre s'illumine. Dans un crépitement surgit du feu la forme accroupie d'une femme en noire activant le soufflet : Je ne suis pas d'accord dit-elle - c'est Marciau, 140 cm. La mâchoire de Jeanne s'éclaire par-dessous 'un coup, la peau ridée de Gretel vire au mauve et l'escalier jette une lueur mauvaise : je n'achète pas l'Encyclopédie Watson. Elle tient sa pelle à feu toute droite. L'homme prend les autres à témoin

    "Vous étiez d'accord, vous deux ; ça fait trois quarts d'heure qu'on discute.

    Gretel répète trois quarts d'heure. L'homme titube dans l'éclair des flammes, heurte le tas de couverture.

    LE TAS : Aïe !

    L'HOMME, apoplectique : Y a quelqu'un ?

    Le tas répond bien sûr imbécile. L'homme revient sur ses pas, solennel. Il se masse le front et le genou : "Savez-vous bien - voix grave - ce que c'est qu'un imbécile ?

    - Rekarte ta klace répond Gretel. Jeanne rectifie ta glace. - Je ne vois pas de miroir ici. - Pas besoin dit-elle. Ti d'ann autô chrêsoïmetha ; dit la couverture Ce que vous en feriez ? répond-il "Ô courte sagesse, ô sexe imbécile et faible ! c'est bien folie de courir aux miroirs- mais bien plus grande encore de les briser – celle-ci est de moi.

    - Proxima mors mox auferet nos dit Jeanne au long nez.

    - Sind wir noch immer Frauen ? demande en allemand la Naine à la pelle - sommes-nous encore des femmes ?

    L'homme les considère dans le jeu des flammes, et lorsqu'il se rassoit ses articulation craquent nettement. Pas de pitié dit-il à haute voix. "La vieillesse la plus décrépite et l'enfance la plus imbécile courent à la mort comme à l'honneur du triomphe"

    - CREVE dit l'infirme

    - Du Bossuet, Mesdames.

    - Sur l'exaltation de la croix, Premier sermon.

    - Je sais dit l'homme.

    - Bossuet pue du cul dit Jeanne.

    L'homme tire vivement j'ai là aussi de sa mallette une estampe qu'il étale et lisse d'un revers de main, puis se recule vivement – toutes se regroupent autour du parchemin où se distinguent une

    faux, un reflet de flamme une mitre dit Soupov en roulant son fauteuil, d'archevêque – "...avec un texte en vers" ajoute l'homme je ne vois rien dit la Naine. Le représentant tourne le commutateur mais les têtes se tournent, réprobatrices. La Soupov sur son siège frémit du menton, le feu pâlit, l'homme les dévisage : C'est l'estampe et non mois, Mesdames, qu'il faut examiner.

    - Vous nous avez bien toutes examinées ? bien désossées ? dit la grosse assise. L'homme se tire le pantalon et se carre sur sa chaise : "La gravure" (ton didactique) "a pour titre Der Tod und der Tor" (on distingue en effet, dans la manière de Dürer, un évêque siégeant, la mitre en bonnet d'âne, disputant avec la Mort une partie d'échecs. La Mort s'y tient debout sous forme d'écorché ou de transi, l'immense faux juste au-dessus de la mitre ; à son pagne déchiqueté pend une riche aumônière, vers laquelle, par-dessous la table, l'ecclésiastique allonge une main gantée toute garnie de bagues).

    "Voyez comme il sourit, l'homme d'Eglise, tant il est sûr que s'il est un écu à gagner, l'imbécile l'emportera sur le philosophe – mais dans les plis des yeux, et du menton, observez bien les stigmates de la sottise" - la Naine répond que tout dépend de la façon dont on tourne l'œil – "mais l'Evêque a tort, la Mort étend le bras" - "mat à l'étouffée coupe la Naine : Cavalier noir f7". Au bas de l'estampe deux quatrains gothiques, en moyen français, l'autre en haut-allemand :

     

    Cil cuyde engeigner la Mort

    Par luy desrobber sa bource -

    L'inbecille doubte encor

    Sil a terminé sa course.

    La Naine ensuite lit à haute voix, sans la moindre hésitation, le quatrain symétrique en Neuhochdeutsch. "Il s'en est fallu de peu, ajoute l'homme, que cette estampe n'ait brûlé, dans l'incendie de St-Léger (Sankt Leodegar)- à Lucerne (1633) - voyez ces traces rousses...

    - ...Vous y étiez...

    - ...observez également – il place la feuille à contre flamme - ces minuscules coups d'épingle sur la Faux – et sur l'Echiquier : signe de croix.

    - Conjuration, dit Jeanne.

    - Exorcisme, rectifie le représentant : ADONAI , IEVE , TSEBAOUTH , O PERE SUPREME DU CIEL ET DE LA TERRE...

    - Ta gueule.

    Sans sursauter l'homme tient la gravure immobile. Jeanne repère d'autres écorchures "sur la tranche, à gauche" – la Naine insinue la thèse d'un arrachage crapuleux très récent.

    Jeanne distingue entre les lignes quelques traces en caroline minuscule – Palimpseste tranche le représentant. "Comment diable" hargne la Naine "cette gravure est-elle en votre possession ?" Le représentant niçois invoque l'autorité du Second Cosmopolite alchimiste Sendivogius : "...transmission au Nonce apostolique moyennant fortes indulgences – ce qui se négocie bien plus cher d'habitude – puis passage par Henri-Jules de Bourbon-Condé - jusqu'au grand David d'Angers – post Revolutionem rerum - je dispose aussi par d'ailleurs" ajoute-t-il "d'une importante fortune personnelle - écoutez cette étrange anecdote :

    "Le 5 thermidor An II – quatre jours avant la chute de l'Incorruptible – un chevalier de Pierrefonds jouant aux Echecs s'aperçut que la main de son partenaire, posée sur un fou devant lui, n'était plus qu'un infect assemblage d'os et de tendons. Levant ses yeux horrifiés, il vit que son adversaire avait pris l'aspect d'une momie suintante. Dans le sursaut qu'il fit, l'échiquier se renversa ; par-dessous se trouvait cette gravure. Il ne se rappelait pas l'avoir jamais possédée, ni aucun autre de son lignage – et nul de ses gens ne put dire qui l'avait placée là. Le chevalier s'enfuit sur-le-champ pour l'émigration sans avoir pu réunir ses biens, jusqu'au fin fond de l'Angleterre, et n'en revint jamais.

    "L'écorché s'était éclipsé par une autre issue, laissant derrière lui une infecte pestilence. Les domestiques assurèrent plus tard que dans la venelle où il s'échappa, l'homme avait repris son aspect naturel, la perruque juste un peu de travers. Il s'appelait Jen de Fourquet, et c'était lui que l'Accusateur Public avait envoyé arrêter le chevalier..."

    L'auditoire hoche la tête. Mais l'homme demande trop cher de sa gravure. Qui reste sur la table, à demi-enroulée, embarrassante. Il proteste que les enchères sont montées très haut et qu'il ne compte pas la laisser pour rien. Il se carre sur sa chaise, étend les jambes. Jeanne lui demande si c'est bien "[sa] compagnie" qui le charge de vendre une telle œuvre. Certains de mes confrères précise-t-il gravement - Gretel marmonne Sorcier de pacotille et le représentant, imperturbable, déclare ex abrupto que [ses] pensées ont pris un autre cours.

    Marciau double ses lunettes d'une loupe et scrute la gravure qu'elle s'est appropriée. De sa poche marsupiale elle tire un crayon, du papier pour prendre des notes. Soupov sur son fauteuil se signe précipitamment à l'orthodoxe et laisse retomber sa main. Gretel bâille. L'homme éternue soudain, sursaute, quelle heure est-il ? - Huit heures et demie dit l'infirme. La Naine renchérit ça fait tard sans lever les yeux de sa feuille. Gretel : Ma montre est arrêtée – Un effet de la gravure sans doute? - je plaisante... - ...moi j'ai faim dit Gretel - Vous pourriez m'inviter à dîner." Grimace : on n'a pas de chambre. Pesante et contrariée Soupov lève le bras, fixant tour à tour les trois autres : "Je suis ici chez moi. Qu'il partage le dîner. Soirée gaufres." L'homme s'incline. Soupov roule sa chaise vers l'âtre et la table, face à lui, où les lueurs croisées du feu et du plafonnier révèlent d'un coup ses joues lunaires.

    Les trois autres se lèvent. Marciau, sur la pointe des pieds, place en équilibre la gravure sur ses deux volutes. Soupov demande à l'homme s'il est attendu chez lui : Vous ne m'attendiez pas non plus ,e suppose. Jeanne au long nez passe les plats : "Pour Azraël – Je ne suis pas l'ange Azraël" - "Dieu aide". L'homme ouvre les bras, souriant, complet prune et cravate à pois : Ma tenue n'est pas très protocolaire et Jeanne cligne de l'oeil. Gretel balance les couverts qui cliquètent. Soupov tourne le cou d'un air réprobateur - vous êtes vraiment représentant de commerce ? allez- soyez gentil - montrez-nous votre carte !

    L'homme se met à rire et se fouille en vain vous auriez pu ôter mes dicos de la table tout de même - il les replace lui-même dans sa mallette. La Soupov se signe précipitamment sous sa serviette. Jeanne : Vous êtes juste en face de la patronne. - Je n'avais pas l'intention de changer de place. Gretel hausse l'épaule. Soupov incline avec grâce ses deux mentons. La Naine allume deux chandelles de part et d'autre de l'estampe à la façon d'un tabernacle ; L'homme inspecte la gravure, le rictus de la Naine, à nouveau la gravure : des profils. Devant lui deux cierges en enfilade vacillant devant le feu. Au fond à contre-jour la tête renfrognée de Soupov j'en veux pas de ce machin.

    L'homme se soulève en biais pour vérifier, bien en face, le filigrane ou "marque d'eau". Touche du coude le sein de Jeanne qui pouffe en le servant puis réteint le plafonnier. Les quatre femmes et l'homme éclairés par dessous, sinistres. L'infirme penchée à gauche tourne dans un cadre un gaufrier antique plein de pâte au-dessus de la flamme : deux plaques de fonte dans les étincelles. Juste à sa droite Gretel en embuscade pique tout ce qu'elle peut dans la pile de gaufres au ras de l'assiette ; la gnomide fait circuler le plat Et le rhum ? râle Gretel entre ses gencives. - Devant toi. Tu ne la vois déjà plus. Après tout ton Porto ! - j'ai caché le magnum" souffle Jeanne à l'oreille de l'homme. Gretel renverse l'alcool au-dessus de sa gueule édentée : "Encore un gorgeon... - Permettez-moi de vous faire observer" s'enhardit le représentant "que vous avez mis le pouce sur l'embouchure." Gretel se vexe.

    Attention dit Jeanne elle est bien partie méfiez-vous. - Une bouteille dans la gueule c'est vite parti – Laissez-la tranquille intervient la Naine en ôtant la grosse fiole des mains de la vieille qui se rabat, décicément, sur les gaufres Le dernier représentant qu'on a eu dit Gretel la bouche pleine on l'a violé. Marciau confirme : On a bien rigolé. "Il courait dans tous les sens dit Soupov il ne trouvait plus la porte : "Bon-alors-écoutez-moi-bien-j'ai compris- v'là tous les papiers-je-me-tire -foutez de ma gueule - plus vous voir plus vous entendre- où c'est la porte – au plaisir – du balai"

    Jeanne mime la scène, entasse tout dans une forme de mallette et roule des yeux de dément – Soupov s'effondre sur ses seins, Gretel se plie au ras des flammes. La Naine, enfouie dans une gaufre, pouffe comme un édredon qu'on tape. Il en a oublié sa camelote! - Pardon : deux paquets d'échantillons 45t. Linguaradio dit le Représentant. Les quatre vieilles se regardent, ahuries : "Comment savez-vous ça ? - Bien fait dit Gretel ; d'abord moi j'aime pas les Arabes. - Pas Arabe ; Niçois. - Lui aussi ? - C'est pareil, au sud de la Loire, c'est tous des nègres. - Tu sais ce qu'ils te disent, au sud de la Loire ? Est-ce que tu le sais ?

    Arrête de jouer les Ray Charles, pose ta fiole et laisse-moi des gaufres nom de Dieu ! - Y a pas de cidre ? - la grande Jeanne disparaît dans une espèce de resserre d'où elle ressort avec trois litres de brut c'est pour vous - A votre blace dit Gretel je me méfierais elle a l'air vachement partie, un partout. L'homme engloutit le cidre et les gaufres : "Vous mangez toujours ensemble ici ? - la bouche pleine – vous avez de bonnes alloc, non ? Marciau à ras de table fixe l'estampe et la retourne – soudain - la vision se détache, à l'envers, saisissante, en gros traits noirs sur le grain de feuille : la mitre se met à trembler, la bourse oscille au bout de son cordon, la mort joue des mâchoires. La faux s'agite - la Naine alors cligne de l'œil et tourne l'image sous le goître de Soupov, qui sursaute. Le Représentant ne désarme pas, cherche entre les quatre vieilles un lien, une onde, quelque chose - ...entre nous deux complète Jeanne. Gretel : Vous voulez qu'on parle de cul ? - Cuve et tais-toi dit Soupov (hautaine, tournée vers l'homme) nous parlerons de cul si Monsieur le désire. - A propos dit l'homme pas de visites ? - Comment, "à propos" ?s'indigne-t-elle. Le représentant s'embarrasse, le gaufrier tourne et grince sur ses tringles dans un bruit d'armure, Jeanne mâche bouche ouverte et depuis quand vous connaissez-vous ? - Bien assez longtemps fait Soupov très morne. - C'est pour moi ça ? c'est moi qui t'emmerde ?" mais l'homme repère un long regard de biais coulis vers la Marciau qui s'est bien gardée de souffler mot.

    Il se frotte les mains pour ôter quelques grains de sucre. "En tout cas dit Jeanne c'est nous qui nous sommes connues les premières. - C'est nous qu'on s'est connues rectifie Marciau. "Pardon" intervient Soupov, j'ai connu Gretel avant toi. Petites annonces complète la Mulhousienne - Soupov précise : "Pour aide ménagère" – Na ja ! soupire l'autre, et dans ce long soupir passent des kyrielles de serpillières et de seaux hygiéniques ; de gants sous les aisselles et le long des seins gras. Il faut avouer récite Jeanne que vous eussiez été tout ébaubis d'apercevoir notre future amie vêtue de satin noir et chapeautée, tricot en bataille, épiant les ébats des danseurs et seuses, battant de sa pantoufle le tempo d'un baïon. Quelle aventure cherchait-elle en ces lieux ?

    - Qu'est-ce que tu y foutais toi-même ?

    - But artistique.

    - La chasse aux vieux tableaux ?

    - J'observais, dit Jeanne, solennelle.

    - Qu'est-ce que j'avais de si observable ? dit Gretel.

    - Il émanait de cette femme un je ne sais quoi...

    - On le saura que t'as été gouine. Moi aussi, mais che le crie pas sur les toits."

    Jeanne prend les autres à témoin : "Je n'ai jamais parlé de ça. Si je t'ai observée, c'est que tu correspondais exactement au type de petite vieille...

    - "Petite vieille ! petite vieille ! t'avais qu'à te regarder, eh, cadavre !

    - A soixante-douze ans on n'est pas vieux, dit la Soupov, conciliante, retournant ses gaufres.

    - Je me serais sentie flattée de servir de modèle.

    Gretel, 83 ans : "Et avant de passer, la Soupov, tu vas me les payer, ces trois derniers mois de soins ?

    Soupov, exorbitée : "Et les gaufres ? Et ton couvert à l'œil ? Et ta copine que tu as ramenée ? (sans laisser à Jeanne le temps de protester) – et la Marciau, là, est-ce que je lui ai demandé de s'installer ici ? oh, tu en sors, de tes mots croisés quand je te parle?

    - On peut toutes se tirer, si tu veux ! tu crèveras sur ton fauteuil ! - Je suis de trop, peut-être ? susurre le Représentant, extatique. La Soupov s'étouffe dans une quinte de toux : des chocs profonds et sourds en ondes mamellaires gélatineuses, tandis que la louche dégouline sur les plaques de fonte. Gretel en titubant la redresse elle se laisserait bien crever ! Marciau la Naine rassoit l'ivrogne et Soupov se rétablit seule en soufflant, l'œil égaré, puis reprend sa tâche sans mot dire.

    Marciau roule la gravure et la pose à côté de son assiette. Jeanne grignote une croûte froide du bout de ses dents de cheval. La Naine se remet à ses mots croisés en se tamponnant le front. La fumée retombe en pendeloques aux angles du plafond. Vous avez la télé ici ? - Derrière vous." Le représentant se tourne. "On n'a jamais envie de l'allumer. - Parle pour toi ! - Je la supporte dit Soupov." L'homme se lève et tourne le bouton. Je me demande ce que vous pouvez voir dans cette fumée. Un ronronnement très fort. Pas de son. À l'écran des boyaux rougeâtres entrelardés de gras – Emission Médicale – Gretel s'envoie une gorgée de rhum ; la Naine lui arrache la bouteille. "Changez de chaîne pour voir ?" - même image, ronronnement plus aigre Curieux ces traces de rouge dans le noir et blanc – l'appareil s'éteint de lui-même. Le représentant coupe le contact, se rassoit, bouffe une gaufre.

    ...S'il y a des disques, ou la radio. "Nous avons un disque. - Un requiem ? - A nos âges, vous êtes fou ? - Oui." Jeanne minaude : "Ce sont des extraits d'opéras. Léon Escalaïs, ténor, très rare - tourne-disque en panne. Marciau se dresse pour placer, finalement, la gravure, sur le manteau de la cheminée. L'homme gonfle les joues en soupirant. Dit que ça sent bon ici. D'habitude chez les vieux ça pue. Chante la pendule d'argent – qui ronronne au salon... – Je ne supporte pas les pendules coupe Soupov. Le Niçois passe la main sur son cou, répète c'est étouffant - vraiment étouffant.

    - Nous avons une fenêtre, tout de même ! - Seulement on ne l'ouvre pas. - Trop froid dehors dit la Naine, et Gretel : C'est bien toi qui es venu ici tout seul ? - Moi je lis" dit Jeanne et Soupov "Je tricote", et la Naine "Je pense". C'est pas marrant dit le représentant. - Les mots croisés c'est bien, répond Marciau ; comme un échiquier, en mieux : le labyrinthe, la conquête - tenez : combien de définitions pour – elle fixe l'homme à travers ses lunettes - "désir" ?

    - Il peut être inconstant, ferme, fugitif. Ardent.

    - Aveugle, dit Soupov.

    Jeanne : "Exclusif, excessif" - Impétueux, crie Gretel. Soupov propose "physique, refoulé". L'homme se prend au jeu : "Satisfait" - On l'avive, dit Jeanne. Soupov précise qu'on le fouette, Marciau la Naine parle de le borner, de l'éteindre.

    "Il naît", reprend l'homme. Je veux le confort et la gloire déclame Jeanne. "Moi Gretel darde ses yeux ivres. "Deux verticalement : "on s'essouffle à sa poursuite", sept lettres – orgasme évidemment ! - ça ne colle pas. Gr

    - Si, dit l'homme.

    La Soupov rit à grands coups d'asthme.

    - "Poisson gadidé" en sept lettres ?

    - "Bonheur" ?

    - Monsieur retarde d'une définition.

    - Je ne peux tout de même pas savoir par cœur... voulez-vous lâcher ça ? - lâchez ça tout de suite ou j'appelle la police ! Mesdames je vous prie ! Mesdames !

    - ...Rends-lui son Tome II tu vois bien qu'il va pleurer." Jeanne rend le volume. La Naine saute au feu, pivote en présentant son tisonnier : "Vous avez dit combien, pour les mensualités ? - Soixante francs halète l'homme - ...et caroncules myrtiformes ça y figure dans votre machin ? hymen, cul ? - ...les grands mots soupire Jeanne.

    - Evidemment dit l'homme : champ lexical médical, historique, physique...

    - C'est trop ! - ...comment, "trop" ? - ...les 60 francs.

    - Soupov, ne commence pas à marchander.

    - ...Gretel, bouscule ton vieux : sous le traversin à droite...

    Le représentant siffle le fond du litre :

    "Parfait, mesdames, parfait !" - s'essuie les lèvres - "le français n'a plus de secret pour vous !

    - Das mag sein dit Jeanne en rapprochant son assiette ("cela se peut") – Gretel se carre au fond de sa chaise : "¡ Si que está cómico ! ("il est vraiment comique !")

    - I'd rather said : ridiculous

    - Vous, vous là, d'où sort cet anglais de cuisine ?

    - Sie tun mir Weh ! Vous me faites mal !

    - Kitaxè pos inè kokkino o kyrios dit la Naine ("Regarde comme il est rouge le monsieur")

    - De votre temps, bafouille l'homme, de votre temps, on passait le certif à douze ans !

     

    On manquait l'école pour les vendanges !" - ses yeux roulent – Jeanne lui presse la

     

    main qu'il retire furieusement – lui sert du cidre qu'il repousse et finit par vider. Il se redresse enflammé, récupère des deux doigts récupère sur la cheminée l'estampe qu'il redéplie sur la table :

    "Chaque mot "révèle un visage et multiplie les clés de l'humain, multiplicates keys to humanity – toutes éclatent de rire – AINSI braille-t-il LE JEU ROYAL -

    - ...le roi est mort interrompt la Naine ch'châh mat -

    - ...qu'on appelle "échecs" – Xadrez [chadrech] em português

    - ...exalte le Dieu-Equestre qui fraie sa voie libre à la Mort - ma mort, ta mort, sa mort – or, que remarquez-vous, là, sous la plante des pieds de l'évêque ? è una serpiente, un serpent - le représentant désigne de plus en plus rapidement les détails de la gravure : "En roumain ! - A mietza, la mitre. - Finnois ! - Borekkü ! (la bourse).

    - Norvégien ! - La cordelière, de hartlinck !

    Le Représentant crie, écarlate : Vous inventez ! - Nil invento dit Soupov, je n'invente rien. L'homme sur son siège. La Jeanne lui tamponne le front : "Nous avons bluffé." Il se redresse d'un coup, épouvanté : "C'est pour me rassurer. - Nous ne connaissons pas un mot de toutes ces langues, dit Soupov avec bonté. - Je savais bien que c'était impossible" – le petit homme s'efforce de crâner. Il repousse le mouchoir. Gretel ricane. De l'armoire elle extrait un bandonéon flétri, large comme la main ; l'instrument déroule un soupir aigre A la cabreto politas ! - Trop facile grommelle la Naine soudain de très mauvaise humeur.

    Et le bandonéon se met à scander, Gretel joue faux fortissimo en clopinant Quando vieïra l'aguaida / qué maliz em la paya / a peçar del ascado – tantza las vièlhas ! - C'est du bidon - Ta gueule et Jeanne enchaîne les sauts, la Mulhousienne bombe le torse, la fausse Russe tourne et rôtit ses gaufres comme des damnés. Marciau la roule en cercle, Jeanne les entraîne dans sa polka cagneuse ell's dans' entr'elles et on s'en fout soudain lâche en réclamant du beurre ! des pommes ! et s'engouffre dans la resserre.

    La Naine est restée bras en l'air, Gretel renfonce le bando dans le costaud

     

    comme on se brûle et secoue son soufflet qui brame - apparition de l'huile et de la poêle à manche de bois. Les pelures serpentent et Soupov s'empiffre. La Naine faudrait du punch Gretel coupe Je m'en occupe et tire du buffet le Rhum – ...du guignolet-kirsch ? s'étrangle l'homme – Jeanne pèle et coupe les pommes – Soupov au gaufrier : vingt secondes, gaufre – trente secondes, gaufre – sucre ! ...orange !... dépêchez-vous pour les beignets ! - les pâtons crépitent, ça pue la friture, agitation de membres et de mandibules au-dessus de la table – écumoires. mains, couteaux.

    Le représentant aspire à pleins naseaux. Gretel pose cinq bols en marmonnant, l'assiette garnie de sucre. Une allumette, un froufrou de flammes où coulent des galères sous les lèvres qui serpentent d'une fossette à l'autre ; et dans leurs cheveux des mèches couleur étain, blafardes - à hauteur des yeux, le puits des orbites. Kirsch cognac ça jure. Panne de citron - Faut tout finir -

    "Quand' jo te foutch la mano al culo...

    - Pas celle-là, pas celle-là !

    L'homme frappe du poing : Moi j'en connais une ! Voix pâteuse. Il se hisse sur la chaise, les vieilles s'agrippent en pouffant comme on vesse ; les tifs de l'homme se collent sur son front de petit taureau ridicule qui se rattrape, à quatre pattes sur la table, Gretel rumine, Soupov pèse à deux mains. Le représentant se redresse à genoux, hagard, les yeux rouges et la bouche torve sous l'abat-jour blanc : Je vais vous en pousser une bonne. La Soupov écarquille les yeux. Quelle honte dit la Naine iI va nous faire le Dies Irae - Non Mesdames mugit-il Mais si je le chantais ça donnerait CECI : Di-es irae di-es illa etc.

    - C'est faux ! Cest faux ! - roulant des yeux, tordant ses doigts boudiné, bavant le cidre à plein menton. Des deux bras il bat la mesure. Gretel lui crie de foutre le camp par la cheminée, Soupov : ...que la terre l'engloutisse - de préférence ! - le représentant s'interrompt : Je ne repartirai pas sans pognon ! Il est furieux : les bouquins, OK, je vous les laisse - mais l'estampe, là, derrière mes jambes - il les écarte - vous me l'achetez. - Quoi, 400F, 400F chacune ? - il plonge la main vers les seins de Soupov C'est toujours là que ça se planque ! Jeanne déplore sa grossièreté, Marciau la Naine le contourne et frappe la cheville avec le tisonnier , le Niçois hurle et les insulte toutes : Quatre cents francs ! Quatre cents francs ! Jeanne et la Naine le rassoient. Silence. La fausse Russe reboutonne sa liseuse : Nous l'achetons. Sur la table la jatte s'est renversée, la pâte coule lentement vers l'estampe. La Naine agrippée au tisonnier éponge la coulée blanche et le feu s'effondre en étincelles. L'homme a relevé le front, ricanant d'une oreille à l'autre ; de sous sa chaise il tire alors une aumônière orange vif qu'il ouvre des deux doigts.

    Jeanne tire de sa manche 50F, il se relève en titubant épaules hautes aumônière béante - Gretel n'en [donnera] pas plus et décroche son sac à main de la crémone. Marciau jette au trou son billet plié, l'haleine du représentant est intolérable, la Naine a détourné la tête en inclinant son tisonnier. Soupov tire enfin du tablier sa bourse à fermeture d'or et dix de der ! crie l'homme en tirant le cordon d'un coup sec, Soupov fait claquer son fermoir. Le Représentant se dandine en grognant comme un ours, rempoche sa bourse, souffle du nez deux ou trois coups, gagne la porte. Se tourne vers la table, désigne largement les ustensiles, gaufrier, jatte, et l'estampe : "Ceci vous appartient". Il se retourne encore : I shall return. Puis il éteint le plafonnier, les abandonne aux lueurs du brasier, tandis que par la porte un tourbillon neigeux file entre ses jambes et vient mourir sous la table.

    Puis le battant se referme, et, semblant sortir du fond de l'âtre, éclatent du dehors, basses et rauques, les accents terribles du Dies Irae qui se perdent plus loin dans la rue. Gretel bondit sur ses pieds, rallume tout. Soupov rogne un quartier de pomme dont elle crache les pelures, une à une, du bout de la langue. Jeanne pousse un cri strident Brûlez ça, je ne veux plus la voir, jetez-la au feu !" Gretel avance la main, l'infirme l'arrête au poignet, la Naine regarde l'infirme qui la relâche, Gretel saisit l'image, l'étire ; un instant les personnages se raniment par transparence, l'évêque sourit niaisement. Puis penchée sur la table Gretel lâche l'estampe.

    Le papier tombe à plat sur la braise, des flammes claires jaillissent du squelette ainsi que du front de l'évêque. Puis le feuillet se ronge. La faux de la Mort résiste ; la pointe enfin se racornit, le manche finit par sombrer ; ne subsiste qu'un fragment de triangle luisant comme l'acier, que Jeanne saisit entre ses doigts, une goutte de sang lui vient à l'index. Le lendemain dans les cendres de l'âtre elle trouve un éclat de verre à moutarde.

     

    X

    Début janvier. Soupov, Gretel, sous le gris d'une aube avortée. Par le carreau s'insinue le froid du brouillard - vues du dehors deux ombres l'une aux genoux de l'autre - mise au jour indéfiniment repoussé, double embryon - dernières étoiles par les trouées - il est mort à son tour dit sourdement Soupov les mains jointes, puis à plat sur les genoux. "Il y avait bien du monde à l'église" dit Gretel. Jeanne assise sur un coin de table esquisse un bâillement ; fixe la vitre grise, apathique. "J'ai vu" dit Gretel "les deux cousins Rubeaux... - On ne les connaît pas tes Rubeaux. La table encore jonchée de l'Encyclopédie Watson en quatre tomes.

    Sous l'ampoule Marciau la Naine les ouvre l'un après l'autre, pointe l'index et recopie des citations dans des marges de journaux ; les volumes se referment dans un choc mat. "Il y était, l'autre" ajoute Gretel. - Le Niçois ?" Le jour se soulève. Un réverbère qui clignote dans la brume. "La dernière fois que je l'ai vu... - ...il était bien bourré, achève l'infirme. - ...il schlinguait bien à trois mètres. -... grand, les joues creuses... - Ce n'est pas le Niçois – C'est Ménestrel, dit Soupov. - Qu'est-ce que tu veux que ça nous foute, à nous, "Ménestrel" ?" Jeanne insinue que la Soupov a couché avec lui, "Ménestrel".

    - ...Comment s'appelait le curé, déjà ? Par dessus les têtes la Soupov trace un sillon sur la vitre - le grand, avec son complet gris fer ? - aide-moi donc ! - Il s'asseyait en bout de table, tout raide, et moi à l'autre bout. On débouchait la crème de cacao. - Le curé? - NON. MENESTREL. - Quand je l'ai vu la dernière fois dit Gretel eh la vieille ! qu'il me dit. T'as rien à boire dans ton cabas ? - Il portait une cravate dit Soupov. On se faisait du pied sous la table... - Quand t'auras dessoûlé je réponds. - Aujourd'hui c'est mon anniversaire de mariage il me dit - de toute façon sa femme - ou sa sœur, on n'a jamais bien su - y a que le curé qui ne lui est pas passé dessus. - ...et encore, dit Marciau. - De quoi je me mêle ?" Gretel : "...je lui réponds T'as pas honte dans des états pareils ? "Honte de quoi la vieille ? Moi je lui reparle surtout pas vu l'odeur... - Fallait lui changer les draps toutes les semaines, il appelait ça se les vider.... - IGNACE ! -...Quoi, IGNACE ? - Le nom du curé : Ignace ! - Comment ça Soupov, tu logeais Ménestrel chez toi ? - Au premier étage à Monségur" - Jeanne prenant des airs entendus - "Non, l'autre, dans le Lot-et-Garonne...

    - Et ton mari pendant ce temps-là ? - Dans la chambre à côté. Je lui répétais tous les détails..." La Naine fait claquer sa langue. Gretel décrit la mise en terre. Se tord les bras. Le poêle c'était un grand drap noir avec les grosses larmes d'argent. Quatre hommes le portaient bien haut pour pas salir le velours. Ils avaient la tête droite et les yeux levés. - Il me disait que je sentais le pourri, que ça l'excitait." Gretel reprend qu'il a voulu souffrir jusqu'au bout, des méthodes naturelles ! pas de piqûres ! il répétait : pas de piqûres! à l'ancienne ! conscient ! - Ça ne m'étonne pas dit Soupov. - Moi je n'y étais pas, c'est la Rubeaux qui m'a tout raconté.

    - Tous les jours que Dieu fait il descendait au cimetière. Quand il est venu chez moi la première fois, il venait d'y passer la nuit, par terre. Tous les cimetières du coin, il les a visités. Une fois on l'a retrouvé fin soûl entre les tombes - il n'en a pas parlé, de ça, dans son roman... - ...parce qu'il écrivait ? demande Jeanne. La Soupov répond qu'il lui en a même envoyé un exemplaire, elle ignore qu'elle a bien pu en faire je n'ai pas pu le finir, il racontait des horreurs – qu'il allait regarder les gosses se tripoter dans les buissons - "ça je le savais" – mais avec l'instituteur par-dessus le marché – "...ils faisaient bien la paire ces deux-là - sans parler de la femme - enfin..."

    Gretel s'est rassise. Il lui avait demandé des nouvelles. Tu viens pas nous voir tous les deux ? - Qui çà ? - T'as pas connu Brenner, du temps que tu étais pute ? - Ils l'ont relâché ? - Et alors !" - y puait des pieds le Ménestrel, du cul, de partout. Il m'a dit T'aurais pas des nouvelles de ma femme ?" Je lui en ai donné, il faut être humain, sa femme est partie avec un troisième, à Nice - Lequel ? crie Jeanne. Qui est-ce ? - ...Il m'a demandé qui c'est ? que je le déboîte ! Il a fini par me foutre la paix, le Ménestrel - il habitait avec l'instite dans une cabane en planches, sous la décharge, à Monflanquin..." Gretel rajuste les plis de la couverture sur les genoux de l'infirme. Qui a conservé sa pose favorite, le cou droit comme une divinité assyrienne. Marciau poursuit ses fouilles dans la serviette oubliée par le représentant : un porte-peigne, pochette, carnet, des cartes routières. Le brouillard s'est en gros dissipé. Jeanne lit par-dessus l'épaule: "Tron Mersen. Drôle de nom pour un Niçois – ...région de Liège dit Soupov - Tu crois qu'il faudrait lui rapporter ? - Il l'a fait exprès." La lampe exténuée du lampadaire dans le faux jour.

    Passage dans la rue de courtes silhouettes empaquetées. Jeanne et la Naine explorent les départementales ; certains secteurs délimités par des pointillés se voient méticuleusement rayés de longues obliques parallèles. Quelques noms de villages, encadrés, occupent le centre d'un réseau arachnéen de routes noircies.

     

    Extraits lus par Marciau la Naine du Carnet de route de Tron Mersen

    "8 février 8h – Passé le pont sur la Tardoire – forte pente – la route part au nord – pluie légère – petite fille rousse, seins obtus" – C'est bien de lui dit Soupov – "Cimetière de la Maisonnais – cote 284" – à la ligne

    "Nestor Astier 1919 – 1971 (52 ans). Je pisse.

    " Bernadette Ouffrès 1897 – 1942 (45 ans) P.P.E. ("Priez pour elle")

    " Jean-Louis Thimeau, Isidore Blars, Ursule Athmann.

    " Aux Dognons, E-W" – Encyclopédie Watson, traduit la Naine. "St-Mathieu. Sole meunière. Commande par téléphone UN CERCUEIL TROIS CRÂNES UN "REGRETS ETERNELS" – tête des clients" – Jeanne interrompt le débit monotone de la Naine pour demander si le représentant ressemble à Ménestrel Pas du tout assène Soupov. Gretel ricane : Exemplaire unique - Jeanne prend des notes. Contre le jour bas se dessinent leurs silhouettes emboîtées, Soupov trônant, Gretel à ses genoux comme un rapace de Vinci. De là monte un marmottement d'occlusives et de sifflantes caractéristique du langage humain, tandis qu'au loin ronfle dans une côte la troisième forcée d'une voiture - ou bien crépitent, sourdement, les tirs perlés des premiers chasseurs le brouillard est levé - ...le curé ? "ils" l'ont fait venir, le curé ?

    - Ménestrel ne parlait plus, on venait de lui faire sa morphine.

    - Ça soulage vraiment ce truc-là ? dit Soupov.

    Jeanne et Marciau sur la carte dépassent Cromières crom.... crom... plein la bouche, comme du fromage - Cussac, disgracieux, désinence aristocratique d'un cul - grand-route, pompe à mélange deux temps - morveux de village - croissance rapide, morgue et acné. Gretel brode et dilue, s'apitoie, mime ce qu'elle n'a pas vu, s'effare et dégouline. Soupov accentue sa raideur - Chez Fiataud articule Jeanne - Fiataud quelle horreur - la gnomide voit dans tous ces noms-là une sécheresse vaniteuse d' "agriculteur propriétaire" - Il roulait des yeux, comme ça, mime Gretel, il voulait se redresser le vlà qui se met à souffler c'est la Viviane qui m'a raconté - en ramenant tous ses draps - Gretel se gratte les jupes d'un air égaré -

    - Et alors ? Et alors ?

    - Il est retombé avec la bouche en biais, même pas pu avaler l'hostie, il a fallu lui enfoncer – écoutez ce que je trouve crie Jeanne : Nicolas Eillant, 1899-1978 ! 1903-1980 – il prévoit ceux qui vont mourir ! Soupov se signe trois fois Et pour nous, tu vois quelque chose ? - Il a "sauté" Limoges ! Ça ne reprend qu'à St-Léonard. - De Noblat ? - De Noblat - tu crois en Dieu maintenant, Soupov ? - Tes origines russes on n'en croit pas un mot. - Mon second mari était de Dniéproguess.

    - Deux ans de mariage, tu parles...

    - Je porte son nom. Niet, nié viérou v'Boga - je ne crois pas en Dieu - pas de crucifix chez moi, pas de miroir". Gretel pousse la chaise roulante contre la table. Toutes se pressent autour du carnet ; à St-Privat - Urbain Yon - dalle avant gauche écornée - récité Notre Père Je vous salue Je confesse à Dieu. St-Louis, sol meuble, Acte de contrition Credo (in unum Deum) - elles se sont regardées dans les yeux - Gretel demande Tu ne vois pas Monségur, Lot-et-Garonne 47150 ? Trop loin vers le sud carte 79 pli 6" dit Jeanne. Elles troquent alors les cartes routières contre des cartes

    à jouer, déploient le tapis, forment deux équipes Belote ! Tierce ! fotzvlèker déjà onze heures ! faut qu'je chauffe la soupe à mon homme ! (Gretel à Soupov) je reviens pour la tienne juste après ! Des années que l'Alsacienne se trimballe par tous les temps rue Pelletier, sept heures au lever, onze heure pour la soupe et six heures, faire pisser le vieux, pisser la Soupov, aller, retour, la mère la femme la soeur hagne donc la guerre les morts les enfants les ménages à faire et les gros sabots de la vie à se traîner le cul bloqué dans la rue foulard autour du cou, depuis que l'homme est tombé sur son siège pour ne plus se relever.

    D'un impotent l'autre torcher nourrir laver, décrire ce qu'on a vu dans le vent sur le pavé, les passants qui font la gueule ou qui se confient, récits, ravaudages. monologues. Le vieux qui guette sa mort, la chaise devant le soleil qui recule. Un rez-de-chaussée vert dehors comme dedans, l'odeur de chou froid ; la clé qui tourne, Hervé qui suit des yeux Tu prends ta soupe ? Hun hoan répond l'homme. Gretel approche le plat qu'il balaie méchamment de son bras gourd et la fixe de ses yeux durs. Gretel le frappe aux épaules en criant qu'il peut crever tout de suite, qu'elle sera débarrassée, claque la porte et s'en va - Le mien, tiens, ça fait longtemps qu'y bande plus. Elle ajoute que par-dessus le marché il voudrait qu'on le suce. Merde alors.

    A onze heures du soir Gretel sort en promenade. Son quartier alterne chantiers, terrains vagues, palissades. Les grues dardent leurs bras clignotants. C'est le coupe-gorge. Si le Vieux savait ça il hausserait son épaule valide. Il se réjouirait en dedans. Gretel clopine entre les fondations béantes. Au coin des rues déjà tracées les rôdeurs se concertent. Gretel porte un gros sac gris bourré de pelotes de laine T'aurais plus d'emmerdes que de pognon Gretel sourit - au bout d'une barrière et d'une place anonyme s'étire une enseigne rouge sous dix étages vides. Gretel guette la fermeture du Taxi-Club. Jusqu'à ses pieds le néon répand ses braises pâles ; sur l'asphalte

    passent les ombres déformées des buveurs. A minuit l'enseigne s'éteint soudain, le grésillement s'interrompt sur les bruits ressuscités de la ville au loin. Sous un petit porche sombre un barman roule deux poubelles dans un renfoncement, laisse tomber dans sa poche un trousseau d'acier S'il fait tout à fait noir je lui parlerai l'ombre vacille dans sa direction en souriant au vide, étriqué dans un petit complet de velours élimé - pardon monsieur pardon - je vous aborde en pleine rue n'allez pas penser - dès qu'une femme aborde un homme n'est-ce pas tout de suite on s'imagine - il ne cesse pas de sourire voyez comment je suis habillée - juste "en cloche " - le manteau marron, la voilette, la vieille souris qui longe les murs

    C'est bête un homme approuve le barman - juste aujourd'hui le catogan gris le serre-tête - et ça suffit pour se faire embêter vous voyez ce type là-bas qui traverse il voulait coucher avec moi c'est terrible à mon âge elle se demande quand [elle] sera enfin débarrassée de "ça" - je l'ai remballé il insistait "mon vieux t'as l'air con" je lui dis, je serais un homme ça me vexerait moi mais lui non il continuait – l'homme en peluche fixe son bandeau en oreilles de Mickey - les cernes charbonnés sur trois bons centimètres - Les hommes reprend-il tous des cochons - Tenez reprend Gretel ce mardi je monte en stop - je ne le fais plus c'est trop risqué – à peine cent mètres et tout de suite la main sur la cuisse, je suis redescendue Merde je lui ai dit Merde je sais pas moi je serais un homme

    L'ours approuve en sifflant dans ses dents "Vous comprenez ce que je veux dire ? Elle a vu tout de suite que celui-là n'était pas comme les autres "au fond vous n'avez pas de chance avec les femmes vous allez vers elles et toc vous êtes refusés – moi quand je vois des jeunes filles faire les coquettes j'ai envie de leur envoyer des tartes." Personnellement Gretel se voit comme un homme : attaquer "mais dès que l'homme fait le moindre pas la femme le fait marcher - seulement si vous restez là dans votre coin tranquilles sans bouger – moi je suis spychologue c'est de la spychologie ça monsieur – je n'ai pas fait d'études mais j'ai beaucoup lu

    Je sais bien comment elles font les femmes allez et puis les hommes aussi c'est l'éternel manège – si vous restez sans bouger la femme ira vers vous sinon c'est elle qui choisit toujours elles ont l'avantage - il fait un pas de côté Mon fils mon fils dit-elle en posant la main sur son plaît-il ? - Vous connaissez Denis, mon fils Denis Fitzel il ne travaille plus ici dit l'homme en relevant la tête - et Gretel attendez en relâchant son bras - vous pourriez lui remettre – Je ne sais pas où il habite – elle fouille dans son cabas d'où tombe à terre une patate molle - Je ne suis que gérant dit-il pas de stylo pas de papier sur moi

    Denis Fitzel vous l'avez bien connu tout de même – "Ficelle" ? ça fait trois mois qu'il est parti. - Vous avez l'air si aimable si compréhensif ! Le gérant découvre ses dents jaunes sous la lumière Un crayon j'ai trouvé un crayon Je n'ai pas de nouvelle dit l'homme sur qui retombe le visage professionnel "A Paris je crois Marseille ou Clermont" Gretel à présent le suit, dit qu'elle aurait voulu voyager Bulgarie Turquie Roumanie... - De beaux pays Madame de beaux pays" l'Ours presse le pas Et la bonne aventure monsieur voulez-vous la bonne aventure Je vais m'installer à mon compte dit-il "à Nevers ; avec Denis.

    - ...Denis ? - Sifakis, un ami" Gretel tire de sa poche une poignée de bons de réduction : "C'est pour lui ça peut servir vous savez" l'homme les fourre dans sa poche, un prospectus tombe au caniveau COURS DU SOIR FORMATION CONTINUE Gretel le ramasse et l'essuie j'habite à côté juste à droite – Je tourne à gauche dit-il comme vous voyez Excusez-moi répète-t-elle je vous aborde comme ça en pleine nuit n'allez pas vous imaginer le gérant n'imagine rien, s'éloigne et se retourne, Gretel se retourne et part et bouscule la porte et s'essuie les yeux chausse en butant sur le paillasson vous êtes toujours pas couchées ? - La porte ! - Quoi la porte? - Qu'est-ce qui t'arrive dit Soupov de sa voix de gorge sonLa porte quoi merde, la pluie qui rentre ! Gretel ôte le serre-tête et renifle ça sent le vieux ici le deuil et la suie reprends ton souffle et ne secoue pas trop ton parapluie (dans un grand froissement de polyamide) la Naine ricane Fitzel tu vas laisser ta peau dans tes enterrements nocturnes - Jeanne : "Je te prépare une camomille - Il reviendra j'en suis sûre. - Si c'est de ton dernier mort que tu parles... - Mon fils va revenir. - Tu viens de le revoir ? - Presque - Jeanne allonge le bras vers son carnet de notes, et Soupov, de sa voix adipeuse: Toute mort est connaissance. "Un jour mon fils mourra" poursuit Gretel "44 ans, grand brun, serveur d'hôtel ; il s'habille feuille morte ou canelle, on le rencontre en sortie de bar jamais avant minuit" les yeux de Gretel se troublent.

    Elle demande du rhum. "Ne joue pas les ivrognes - trois gouttes et t'es cuite à faire tourner les tables" Jean-Paul Rigio 25-80 C'est dans le journal dit Soupov obsèques à dix heures - Gretel tousse à grands coups, finit sa tasse les yeux perdus parmi les crevasses et les rides. La Naine assise pattes pliées sur le barreau de chaise a repris ses définitions cruciverbistes : il reviendra – juger les vivants et les morts je suppose ? "avec tous ceux qu'on s'est tenus sur le ventre" ? - j'espère bien que tu ne nous enterreras pas, Gretel: tiens, si je saute à terre et que je cours au placard, qu'est-ce que j'en tire ? un vieux tricot gris, graisseux, tu ne sais pas tricoter." La Naine l'entoure à la taille, lui dit de ne plus tousser, de se couvrir les épaules.

    X

    Un autre jour Jeanne, qui n'a jamais cessé d'écrire, se voit publiée dans Vrîka qui tire à 120 exemplaires. Elle s'est acheté une pipe à 55F. Soupov mentionne les "tourments de l'exercice des lettres". Jeanne la fusille : "Qu'est-ce que c'est que ça ?

    -Eh bien, ma pipe ! éteins ton briquet, tu vas le vider. - Tu m'as suivie pour acheter le même ! Pour toute réponse, l'infirme désigne sa couverture sur les genoux. Gretel apprend à tricoter : "Tu piques de gauche à droite ; la droite dans le première maille – par-dessus, comme ça..." Gretel s'applique, lèvres jointes, épaules serrées. La Naine corrige l'arthrose, le jaune augmente dans ses yeux. Je l'ai toujours eue cette pipe dit Soupov je ne l'ai jamais cachée. Jeanne tire de son sac à main le n°5 de Vrîka : "J'ai trouvé", c'est du grec. Gretel : "Y a même pas d'images." Oeil fielleux de la La poétesse. J'ai fait exprès dit Gretel. Jeanne s'écrie qu'elle a maintenant "le pied dans l'embrasure", qu'"on ne peut plus la chasser." Les autres s'inquiètent du texte. Demandent "si elles y sont". Le tricot de Gretel s'allonge comme une vie - la Naine effleure ses épaules. Jeanne pense qu'elles sont toutes, autant qu'elles sont, elle comprise, définitivement moches. Même pas pitoyables. Moches. Sous les rides elle cherche et reconstitue les jeunes filles, comme Baudelaire.

    Elle imagine enfin l'enfant flétri de la Gretel, et ceux qu'elle-même n'a pas eus. Se repasse les prises de bec, les belotes à quatre. "Si l'on vous annonçait, pendant une partie de balle, que la fin du monde aurait lieu dans une heure, que feriez-vous ? - Je, dit saint Louis de Gonzague, continuerois à jouer à la balle. Il mourut de la peste en soupirant Quel bonheur ! A 23 ans. Si un jour un de mes poèmes pense Jeanne paraît sous un autre nom, j'attaque bille en tête - bille en tête ! ajoute-t-elle à haute voix ; "et je me fais passer pour impotente : ça me fera de la pub. - C'est clair approuve la Soupov.

    Jeanne évoque sa propre timidité : "C'est une force de connaître ses faiblesses (Pascal) - C'est vrai ? - Non, j'invente." Mime un dialogue entre elle et l'éditeur Coupez-moi cinquante pages - modifiez-moi le dénouement - Pas bon ton ton sketch dit l'infirme. - Du moment qu'ils me publient... (désignant le lino élimé) : ils viendront se traîner à mes pieds pour un feuillet - ils publieront mes notes de blanchisserie - je suis prête à baisser culotte devant n'importe qui, à poil et à quatre pattes", et Gretel pouffe Tu t'es déjà vue à poil ? - Parfaitement que je me suis regardée répond Jeanne, seulement moi ça ne fait pas dix ans que je n'ai rien dans le ventre – tiens, pas plus tard que l'année dernière - qu'est-ce que t'as à t'étrangler ?

    - Che m'étrangle pas, che m'esclaffe. - Lis-nous un peu tes "publications", propose Soupov.

    Texte de Jeanne

    "Le Georges ramène vraiment n'importe qui ; à 54 balais dans les bars, en train de s'afficher, pour attirer chez moi les louftingues des quatre sexes, papoti, grignota, calembours à deux balles pour amuser la vioque - on n'est pas plus élégant. Chiche qu'il se met au clavier – gagné - Goose Rag, c'est tout ce qu'il a su pondre depuis ses 17 ans - regardez-moi comme il s'excite il va bientôt jouer avec sa queue Maître, ô Maître - c'est qu'il salue, ce con - le grand barbu se gave du revers de col jusqu'aux rouflaquettes. Sans oublier l'autre pingouin qui suce ses huîtres avec les gouines - plus un qui se lèche les doigts comme un macaque - la ménagerie...

    "Je suis sous le lampadaire on va me voir toute la gueule mais oui ma chère les éclairs sont délicieux tu peux te les - non je ne suis pas fatiguée toujours pas crevée le petit macaque se met le bout du cul sur la bergère et se tire la mèche sous le nez en posant ses mots comme des pattes de mouche mon père disait, mon papa m'a dit c'est élevé dans les bonnes traditions ça, et modeste et gnangnan Oui madame Non madame tiens prends donc tes langues de chat comment vous appelez-vous – Bernard - la langue entre les dents – S'il connaît Olivier ? – C'est mon meilleur ami – son meilleur ami... - un chic type – c'est trop.

    "Excellente idée Georges, tes diapos, la pénombre, ma main sur la petite épaule du petit con Va donc vérifier la lampe Geo plus haut non plus bas plus à droite (la cloche!) baisse un peu l'appareil - pas tant - tu as fini de revenir après chaque photo Tu as le soin de l'appareil restes-y c'est qu'il a parfaitement compris ce pauvre type ; il y va quand même. Sur l'écran la poste de Papéété, caserne Bruat, le cou duveteux du puceau-macaque doucement dans l'ombre une fois une fois encore vider

    la moëlle des petits enfants Ma main sur son épaule, doigts tout secs tous boulés d'arthrose Je vais me le garder pour moi – mais - qu'est-ce que je sens ? il prend ma main la serre – petit vicelard – ça se croit un homme – je ne t'ai pas attendu pour avoir mon compte de bites – VA CHIER

    Jeanne repose sa prose, Soupov : "Ca m'étonnerait qu'on publie ça - On en imprime de pires" dit la Naine et Jeanne refourre les feuilles dans le dossiers toutes phalanges frémissantes bande de biques pourries. Cadavres imminents - bon titre - Marciau la Naine s'est remise à ses mots croisés - la Soupov : noisette de cerveau frit dans la graisse - pétrification.

    J'aime l'automne et ses silences

    L'enchantement de ses douleurs

    Et les muettes confidences

    Que le fruit murmure à la fleur...

    ......

    C'est la forêt enceinte et jamais maternelle

    C'est ce zéphir ami que provoque quelqu'un

    Pour chatouiller les seins sous les chemises claires

    ...

    ...la vie court vers son destin

    L'UNIVERS DE L'HOMME SE MEURT !

    Le bras de Jeanne retombe et le jour baisse :

    Feuille-fille est destituée

    Feuille-fille est prostituée

    - Jeanne lit pour l'ombre, chantant la pluie, les chiens mouillés - demain la chambre, demain l'âtre et les ragots, demain la gloire – Soupov, tu n'écoutes pas. Soupov répond qu'elle a tout écouté ma pauvre, mais qu'elle n'ira pas jusqu'aux éloges : "Trop "Lamartine"...! "la forêt enceinte... chatouiller les seins... destituée, prostituée - on le sent venir d'un kilomètre" - l'infirme atteint sur ses genoux sa pipe qu'elle commence à bourrer. Jeanne alors s'aperçoit que Gretel porte le même tricot qu'elle-même. Retournée sur son siège, Soupov atteint l'interrupteur, l'ampoule s'éclaire, la Naine en compense l'éclat par l'allumage du lampadaire. Pas d'extérieur ; ni radio, ni télé. Quelques comptes rendus d'obsèques édentées ravinées de rides - Jeanne observe Soupov, ses yeux de chien de boucher, son double menton où l'œil cherche les filets de sang ; Soupov à qui ses mains éternellement posées sur les genoux morts confèrent des allures de sphinx vulgaire.

    Expiant quelque crime antérieur à sa race – et vous vivrez de mots, pour dans les siècles des siècles. Pourrie d'éternité. Marchant immobile vers sa Reine à naître. La seule vérité, c'est qu'on va toutes crever - toutes à la fois ou l'une après l'autre. On ne s'attendra pas beaucoup. Jeanne tirait des martingales. Quelle idée pense Gretel Si c'est pas malheureux... Elle ajoutait que l'infirme aimerait y passer en dernier pour emmerder le monde mais la première à partir, assurément, entraînerait les autres – Il te faut des morts pittoresques n'est-ce pas – des bons mots, des faux départs – Jeanne réplique : Tu t'imagines avoir tout ton temps ? Soupov parie qu'elles passeront à l'éternité, toutes sans exception.

    La Naine veut tirer les cartes – jure ses grands dieux qu'il n'y a rien ni personne là-haut ni autre part et tape le jeu sur la table : Ce qu'il y aura quand tu seras morte ? exactement la même chose et peut-être mieux Marciau s'interrompt pour fixer la Soupov qui craint de toutes ses forces de laisser échapper son secret pendant l'agonie "On dit n'importe quoi à ces moments-là" répète l'infirme "Et ce serait vrai" dit la Naine Vous ne saurez rien dit Soupov je vous enterrerai toutes. La Naine: "On te foutra du coton hydrophile dans le cul". Gretel exige un beau tombeau de marbre à dorures, avec son fils et ses petits-enfants, avec du Bach et du Verdi, et des grandes couronnes à perles violettes.

    Jeanne écrit dans le silence. Je voudrais assister dit-elle à mes propres funérailles, comme un esprit, écouter le sermon et souffler dans les Jeux de viole – au fait, personne ne veut être brûlée ? Toutes se récrient. Embaumées, non plus. En ce qui me concerne dit la Soupov c'est déjà fait. On raille la Jeanne sur son dernier poème. Pour ce que vous direz, vous autres ! "On ne dira rien" répond la Soupov. Gretel soupire le nom de son fils. Jeanne les regarde toutes à présent silencieuses, chasse la vision facile des cercueils alignés, ou plutôt? dispersés, jetés en quatre orientations différentes – à quoi bon pourrir de conserve ?

    - « De conserve », très drôle.

    - Ta gueule.

    Soupov s'avise alors d'enterrer sa vie. Je veux un bal dit-elle. Ses trois compagnes ont donc escorté le fauteuil, chromé de neuf, cahin-caha sur la chaussée. Gretel a croisé sur sa poitrine deux revers mauves en forme de triangle. Marciau la Naine en carapace verte ressemble à une grosse cétoines, Jeanne s'est enrobée dans un fourreau feuille morte. Un bal où on s'amuse, où on se décolle le baquet ! On a toiletté la Soupov, couverte d'une robe jaune à grand décolleté bateau ; son postiche oscille sur son crâne comme un bloc d'anthracite. Jeanne serre sous son bras une pochette slave.

    La Soupov sourit au printemps comme un fruit, lance vers les fenêtres des signes de ses bras hydropiques. La rue qui monte. Gretel qui pousse, Jeanne qui l'aide d'une main. Les coups de vent chassent des plaques de soleil froid (on vous croyait morte!). Rue St-Sever des laquais descendent un perron de marbre pour soulever l'infirme. Des chœurs et des fanfares venus du cloître à l'intérieur résonnent sous un grand bouclier de ciel carré. La foule sur l'herbe et le sable. Tous éclatent de rire : Bienvenues ! et les baudruches lancées des mezzanines rebondissent sous les coups de poings. Une araignée de carton remplit tout un char.

    Des musiciens en rang d'oignons soufflent des notes uniques et dissonantes. Soupov tordue salue partout les pétarades et les chiens. Les fêtards s'écartent devant Gretel qui fait pivoter la chaise de Soupov et la rattrape en tournant elle aussi. Un bal où on s'amuse ! réclamait l'infirme et ses joues tremblotaient. Nous serons ridicules répondait la Naine, mais le Maire en bandoulière enchaîne les cognacs que lui tend l'adjoint au sommet du perron. La foule hisse le fauteuil au fond du cloître dans le chapître et Jeanne a perdu sa pochette. Derrière elles la porte se ferme dans un bruit de ventouse. À l'intérieur tout est nuit, lustres cuivrés, lambris et parquets luisants.

    Le long des murs en cordon le public immobile, et la musique devenue soudain furtive. Les quatre femmes regroupées, fauteuil au centre et Gretel fixée sur le dossier - quatre hommes se détachent des cloisons - Demi-tour crie Soupov demi-tour ! - et les ont rejointes. Ménestrel celui qu'on croyait mort - en veste brune à revers ponceau. L'Ours, le Niçois - l'Homme Vierge du Texte publié - Nous sommes foutues dit Soupov. L'Ours a saisi Gretel par la taille et le Puceau pose sur Jeanne une main spasmodique tandis que le Niçois s'incline jusqu'au sol devant la Naine. Ménestrel alors d'un signe a déclenché aux quatre coins quatre parties d'orchestre, et tous les assistants détachés du mur se sont mis à danser.

    Chaque Ange entraîne sa disciple et Ménestrel au bout de longs crochets tourne en toupie face à lui la Soupov étourdie, transfigurée, bras tendus. Autour des couples ainsi formés s'élargit un espace où le Puceau sous sa face à plaques roses tient la Jeanne sous son haleine. L'Ours se dandine lugubre, Ménestrel ricanant lui désigne le Représentant qui valse avec la Naine à niveau de braguette. Puis tous les cavaliers ramènent les danseuses au buffet où Gretel refuse de boire, tandis que le Niçois force la Naine à écluser cul sec une flûte de Moët. Les Anges sourient sans relâche, le Faux Puceau découvre ses gencives. Le Plantigrade exhibe ses crocs, boit au goulot. Les serviteurs en guêtres et perruques circulent sans se heurter.

    Et bien que les orchestres se soient tus les couples tournent encore robe à robe en froissant les étoffes - le chef se tournant bras levés, Ménestrel baisse la tête et le galop se forme - fortissimo chassé-chassé - sous les lustres ; mais les Huit hommes et femmes assis à l'écart se parlent par gestes au milieu du vacarme Je m'appelle Gabriel s'écrie le Puceau ; Ménestrel se cramponne au fauteuil, un genou plié : Te souviens-tu de nos nuits ? ce bal, je l'ai monté pour toi - Soupov tend à bout de bras sa main grasse à baiser sans soulever ses hanches - une marquise à collier de cristal salue en cliquetant et la Mort qui la suit porte un loup au mufle doré tes yeux sont morts Hélène il est trop tôt – Pousse-moi, vire dit Soupov je veux danser - tous autour d'elle se sont retournés.

    Ménestrel se relève et la retourne encore - Hélène rit, s'agrippe aux accoudoirs de ses doigts bagués - tous les saluent, anonymes, en noir, Ménestrel se dérobe et trace à présent de longs cercles sur d'autres valses à longs relents de Sibelius, la basse gronde au premier temps comme un seau plein d'eau ; Gretel et l'Ours relevés se font face, l'Ours lève une patte après l'autre et découvre les dents - le rythme est à son goût. Une flamme morne stagne dans ses yeux ; sous les lèvres de Gretel se pressent les mots qu'il aurait fallu dire - et l'animal pose les pattes jusque sur son dos. Alors ils oscillent tous deux, appuyés sur le cœur comme deux matelots par gros temps.

    Il la touche tout bas du bout de son museau et la valse épaissit l'atmosphère où halète Soupov sous ses seins sur son trône à pivot, et le Niçois montre à la Naine aux verres embués les plis indéfroissables de ses pattes noires petite dame en vert, tu sais ce que je sais. - Représentant dit-elle j'ai jeté ton évêque au feu - Buvons encore sa veste ouverte à deux battants propose des rangées superposées de fioles j'ai de tout - je suis un orgueilleux Marciau rit aux tintements du verre cétoine bien-aimée dit-il catin trop verte,c'est toi qui mourras en dernier, Soupov étire son ultime port de bras – l'Ours exhibe le liseré de ses gencives et le puceau empeste sa mortelle haleine - C'est tout ce sperme répond-il qui me remonte aux dents - Ménestrel la toise avec condescendance.

    L'Ours roucoule. L'orchestre bat de tous ses archets. Les flacons passent de mains en mains sans qu'aucun ne se brise à terre. Les Quatre Cavalières, chacune à sa hauteur, se sont servies à même son torse. L'orchestre alors debout, fortissimo, attaque le Rigaudon de Rameau. Les couples bavent et boivent. Soupov tombe à terre, l'Ours la pousse du pied dans un angle, Gretel crie T'as plus rien sous ton habit, représentant ? qui hisse la Naine - plus haut, plus haut ! que je voie toutes leurs perruques ! Le nez tavelé du Puceau coule et Jeanne se débat. Soupov remise seule en selle tourne à grands coups de ses bras sous les jabots, Ménestrel secoue deux flaches d'Eristoff à bouts de bras, ses jambes rouges étincellent en tout lieu.

    -Tiens-toi à mon épaule que je te descende scarabée vert à ras du sol Chacun suffoque sous le musc et la poudre et les couples se raréfient, bouches alourdies, mains aux poches. La lumière se tamise et le froid descend, Jeanne courbée de dos soutenue par le Vierge à la taille, reste le son sourd des cordes dissonantes, elle parvient au bord d'une gravière d'eau froide où elle tombe, et son ombre a coulé dans un creux de miroir. La Naine pousse un cri, les lèvres des hommes se sont confondues et Marciau perd connaissance.

     

    X

     

    Brive et quatre murs. Marciau tombe fréquemment dans d'éprouvantes rêveries et la Soupov serre les dents, le nez vers les genoux. La Naine a demandé le programme du soir. Soupov se penche et reçoit le coussin dans le dos. Premières notes sur l'écran aveugle. Les survivantes s'installent en geignant comme des vieux ponts. Maintenant que la Jeanne est morte on va pouvoir regarder la télé tranquille. Sur l'écran, la famine, les squelettes : "Les faits sont là. C'est à vous d'agir, et vite." La Soupov se frictionne le dos - toute une vie d'encaustique - hanches, vertèbres. "Ils sont des milliers qui réclament votre aide.

    "Ces images se passent de commentaires. - Marciau, as-tu bien refermé le gaz?" - soudain Pierre Pipe encadre à l'écran sa grosse gueule d'ange - les joues peut-être un peu moins rondes, le teint moins vernis. Alors toutes ont cessé geindre. Tout un passé, toute une vie de guerre et de privation – et chargeant son soupir de toute l'affliction qu'elle a pu concentrer, Soupov s'est écriée : Mon Dieu qu'il a maigri !

    X

     

    Le mois de juin fut torride. On rouvrit les vitres calfatées de crasse. Le caniveau poussa de gros relents graisseux. La Naine réfugiée dans le dernier coin sombre conserva la soif sous sa langue. Les mouches ont circulé. Gretel est revenue vers les trois heures : "Je lui prépare des salades fraîches". Elle reste dans la porte, son œil gallinacé piquant l'un après l'autre bougeoir, le cadre en teck, le calendrier Massey Ferguson. Elle est venue passer l'index sur le manteau de cheminée, renifle - il faudrait fermer la fenêtre – "Mais la salade, il aime ça ! Il en a repris deux fois, trois en tout."

    La Naine regarde Soupov en dessous : "Elle en a pour longtemps comme ça ? ...Tu l'as nettoyée ce matin ? ...je dis ça, pour les mouches... Tu as balayé au moins ?"

    La seule chose qui intéresse Gretel, c'est de savoir s'il est arrivé du courrier de Marseille : mon fils a trouvé un emploi de barman ; il n'a jamais bu une goutte de whisky – qu'est-ce que tu écris ? Marciau répond J'écris ce que tu dis.

    ...Soupov n'existe plus que par la peur. De son siège émanent des gémissements, ses mains déformées tressautent. Gretel la secoue. Un ronflement brusque redresse son cou, ses yeux s'égarent. La Naine tire de son tablier le jeu de cartes que Soupov se met à fixer; Gretel rapproche de la table le fauteuil roulant, les mains de l'infirme les saisissent d'un coup : "J'ai tiré l'as de pique". Soupir. Elle étale en soufflant les douze figures. A qui as-tu pensé ? Soupov se tait. Gretel dit : Je préférais la belote à quatre. Soupov répond qu'elle a oublié. Marciau ramasse le jeu et le renfonce dans sa poche ; à contempler le teint plombé de la Soupov, à écouter les radotages de Gretel, la Naine se prend à espérer : "...la dernière" murmure-t-elle à mi-voix en raclant la cendre - puis "je dois me surveiller."

    Des bribes d'oraisons funèbres s'agitent sous son crâne. Il lui semble entendre frapper C'est toi ? Jeanne ? Jeanne !! - Qu'est-ce que vous foutez là-dedans ? crie le Niçois à travers la porte. On vous entend gueuler du bout de la rue !" Gretel se lève d'un coup. L'homme entre sans invitation. "Vous ne me remettez pas ?" Tourné vers Soupov : "L'argent ? - Quel argent ? - Vous devez six mensualités ! - C'est lui... c'est lui... répète Gretel. Soupov parfaitement lucide tire cent francs de ses guenilles, le Niçois claque entre ses doigts le billet qu'il enfourne dans son pantalon.

    Il demande si les vieilles ont un magot. Soulève Soupov par les fesses. L'infirme le frappe au visage, la couverture tombe à terre, ses jambes sont de vrais poteaux couverts d'édèmes. Foutez le camp. Plus vite que ça. Elle agrippe l'homme, qui la fait tomber. Marciau : Aidez-moi ! Le représentant s'empare des jambes, elle rue tête en bas prenez mes bras ! Gretel et la Naine la replacent par les hanches, l'homme s'épuise à hisser le buste. Soupov étouffe, souffle et l'Homme reste là, bras ballants - Marciau la Naine lui montre la porte d'un coup de menton, il empoigne d'un coup sa mallette et laisse là ses cartes routières Je reviendrai dit-il. Dès son départ Soupov mains jointes jure en sanglotant qu'elles y passeront toutes, l'une après l'autre, la Naine ajoute "c'est l'ordre des choses" ; elle arrache des mains de Gretel son litre de rhum qu'elle brise à terre, Soupov renifle toute l'odeur d'un coup. Gretel tombe sur une chaise – les yeux fixes – une plaque rouge envahit son visage, la Naine courbée sur sa pelle en plastique balaie les débris, Soupov se mouche à petit bruit, le verre tombe en cliquetant dans la poubelle, Gretel sursaute.

    Soupov retrouve ses yeux droit devant, mains à plat sur les genoux, regard meurtris. Gretel pousse un gémissement où Marciau ne prend pas garde, occupée à feuilleter le carnet de route du fuyard ; quand elle a relevé la tête et s'est approchée de la chaise, Gretel est morte.

     

    X

     

    Pendant trois semaines, Soupov et Marciau sont restées seules. Soupov, cramponnée sur son plaid, regarde de tous ses yeux ce petit être qui s'obstine, effrayé, perché sur l'escabeau : visiblement, la Naine n'était pas comprise dans ses martingales. Elle fixe Marciau, tremblant de se tromper, souhaitant et craignant sa mort. Plus rien ne subsiste de l'autorité qu'elle infligeait à ses compagnes ; ni de sa vulgarité (dont elle faisandait ses radotages) - tu n'es plus une grande dame dit la Naine. Soupov devient cette masse glabre et gémissante qu'il faut pourtant manipuler, nettoyer. Les soins les plus intimes ne rebutent pas la plus petite, qui prend tacitement à Gretel morte son emploi. Soupov en souffre.

     

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    C'est maintenant Marciau qui pousse la porte rue Pelletier. Bouffée d'urine. La pièce baigne dans un vert chartreuse, aussi sombre et laid que peut l'être un séjour de vieux. Monsieur Hervé. S'il vous manque quelque chose. Une silhouette à contre-jour sur le fauteuil ; tous les paralysés tournent-ils ainsi le dos à la lumière? - Il chique ses joues sous sa visière. La Naine à présent distingue la mandibule qui rumine, les sourcils blancs sur les yeux creux. Il a levé sa canne, elle a dévié le coup, la canne tombe, qu'elle ramasse et lui retend. Il suit tous ses mouvements. Marciau explore la cuisine : sous l'évier, l'eau de Javel et la lessive.

    Dans le buffet des assiettes volées, un beurrier rance, du sucre et juste de quoi manger pour midi. Marciau fait frire une omelette. L'homme ne bouge que les yeux, tord la moustache. Il dit je ne peux pas me servir de mes bras il ment - par chance Hervé avale sans baver. Parfois la Naine emplit un verre d'eau rougie qu'elle porte à ses lèvres : C'était bon ? - Oui merci. Sa tête s'incline, il se met à ronfler, un relent d'urine s'élève.

    X

    16 avril

    Frank

    C'est comme si tu étais mort hier. Je ne pleure pas sois tranquille. Seulement ce poids sur la tête et la poitrine. Mes jours et mes nuits, etc. Se peut-il que tu

    26 avril

    Dix-neuf ans que je t'écris tous les jours. Pourquoi ne réponds-tu pas. Tu dois penser que je suis stupide. Je me sens fatiguée sans toi.

    2 mai

    La Soupov ne meurt toujours pas. Je ne sais pas si je suis prête.

     

     

    K O H E Ц

     

     

     

     

     

     

     

  • BLATTES, BLATTES (Scénario)

     

    C O L L I G N ON

     

    B L A T T E S  , B L A T T E S

     

     

    LES FILMS DE MERDE

     

    PITCH

    Deux couples rivaux aménagent une ancienne boucherie en lieu de vente pour travaux de peinture sur soie. L’ambiance tendue, l’isolation du lieu choisi, la sottise humaine généralisée, le manque de motivation, présentent une image déprimante de toute entreprise humaine.

     

    THÈME

     

    Tout est vain, le monde est con, toute entreprise est vouée à l’échec, se lamenter est le but ultime.

     

    LE HÉROS

     

    1.QUI EST-IL ?

    Un homme de 48 ans, professeur profondément pessimiste, dont le seul but est de caricaturer tous ceux qu’il voit. Il déteste toute action et cultive l’inaction, l’imagination languissante.

     

    2. QUE FAIT-IL ?

    Il accompagne sa femme et l’amie de celle-ci dans une tentative de se faire reconnaître dans leur activité artisanale. Ses cours n’interviennent pas ici.

     

     

    3. D’OÙ VIENT-IL ?

     

    De Bordeaux, à 100km. Son activité consiste à transformer ses cours en perpétuel ricanement. Il n’est venu que pour suivre mollement le projet de sa femme, sans s’impliquer

    réellement, car il ne croit à rien, sauf au caractère victimaire de sa précieuse et inutile personne.

     

    4.OÙ VA-T-IL ?

     

    Absolument nulle part, où le vent le pousse. Sa femme et l’amie de cette dernière lui demandent de transporter su matériel à Fort-St-Jacques, alors il le fait.

     

    5. POURQUOI Y VA-T-IL ?

    Parce que sa femme Arielle le lui a demandé, sinon il s’en fiche. Il pense que les femmes ont toujours raison, ce qui est une excellente raison pour ne jamais prendre la moindre initiative. Simplement, par la seule force de son observation ironique et morne, il créera des mots et des images à peine moins chiantes que la réalité, qui n’est qu’une toile de fond de sa douleur mineure et narcissique.

     

    (« ETC. » : rien de plus. Un vrai sous-Houellebecq, une loque informe et vénéneuse)

     

    xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx

     

    CARTON

    Tout être qui se sent persécuté

    est réellement persécuté.

    MONTHERLANT

    Le cardinal d’Espagne

     

    SEQUENCE 1

    INT. JOUR

    OFF

     

    Les blattes sont de petits insectes dégueulasses,

    hétérométaboles et dictyoptères. Ils trottent dans

    les lieux obscurs en faisant cra-cra-cra

    et se nourrissent de débris variés/

     

    1. GP Blattes : longues et brunes

    au plafond

    2. GP - sur les murs

    3. 4. 5. GP Blattes longues et brunes en positions différentes.

    6. INSERT : une ampoules à cent watts, éblouissante

    7. GP : Blattes aplaties éblouies qui font les mortes

    8. GP : Certaines contractent d’un coup leurs six pattes sur le ventre

    et se laissent tomber au sol.

    9. GP : Blattes

    qui filent sur le carrelage.

    10. GP : Pantoufle rageuse écrasant les blattes

    à même les parois et le plafond nus.

    11. Quatre pantoufles enfilées par des mains

    12. GP Blattes qui tombent.

     

    OFF

    « La mort la plus simple pour l’organisme le plus simple.

    Un petit rectangle simple, qui craque à peine.

    13. GP Cadavre écrasé contre le mur, raclé pour le faire tomber.

    BRUITAGE TRES ACCENTUÉ PDT TOUTE LA SÉQUENCE

    14. PLONG. SUR LES QUATRE BABOUCHES

    15. PM Carnage sur le carrelage, en perspective cavalière.

    16. GP sur les rescapées se cachant dans des fissures.

    17. PA. Deux humains, mâle et femelle au crâne rasé, roux pour la femme.

    Baladeurs sur les oreilles.

    La femme en tablier bleu.

    Ils comptent les cadavres en se courbant.

    PASCAL SCHONGAUER dit PAPIER

    Vingt-cinq.

    MARQUISE DE SCHONGAU

    Quarante-quatre.

    PASCAL

    Soixante-neuf. Quelle coïncidence.

    MARQUISE

    Va chercher un balai.

    TRAV. AV. PASCAL de dos cherche un balai dans un placard très sale

    ZOOM AV. Toiles d’araignées, très luisantes.

    TRAV. AR. PASCAL charrie les blattes sur la pelle.

    18. GP visage de la Marquise, surimpression STOCK : pelleteuses charriant des cadavres à

    Auschwitz.

    19. PA Ils enlèvent leurs écouteurs et coupent la musique.

    MARQUISE JEANNE

    C’était quoi pour toi ?

    Elle écarte les bords d’un grand sac en plastique.

    PASCAL

    Schubert comme d’habitude.

    PASCAL PAPIER est tout pâle. Il jette les cadavres à la pelle dans le grand sac.

     

    SEQUENCE 2

    EXT. JOUR

     

    Dans une voiture. PASCAL et MARQUISE JEANNE de SCHONGAU côte à côte

     

    MARQUISE JEANNE

    Maintenant on peut y aller.

    PASCAL

    ...avec le kilo de poudre qu’on leur a foutu dans le coquetier, les blattes…

    MARQUISE JEANNE

    ...elles peuvent crever.

    Un temps.

    Tu n’as pas oublié les tréteaux ?

    PASCAL

    Pas de danger.

    JEANNE

    Tu les as bien calées, mes toiles ? Ventre à ventre, ou dos à dos.

    PASCAL, bat :

    Tout baigne…

     

    SÉQUENCE 3

    EXT. JOUR

    1. PG Voiture, de dos, débouchant dans une rue étroite.

    2. CONT.PLONG. Panonceau défraîchi «BOUCHERIE »

    3. PM PASCAL et JEANNE, écouteurs à l’oreille, font plusieurs aller-retours de la voiture à la boucherie, transportant des paquets encombrants (tréteaux, toiles par deux).

    4. GP sur des barreaux de vitrine, verticaux, très serrés, à l’ancienne.

    5. TGP Intérieur des cannelures des barreaux, maculé de taches brunes indélébiles.

    6. GP Visage de PASCAL reniflant.

    PASCAL

    Ça sent le vieux sang. Séché.

    Il mâche dans le vide bouche ouverte, d’un air dégoûté.

    7. PG TRAV. GD Arrière-boutique.

    TRAV .AV. Cuisine en boyau.

    GP Un réchaud vétuste, un tuyau à gaz à date périmée.

     

    8. PM JEANNE de dos ouvrant une fenêtre crasseuse qui donne sur une ruelle à ras de caniveau, eaux sales. TRAV. BH Une fenêtre juste en face, rideaux bonne femme et cul de télévision 1992.

    9. P.G. PASCAL Schongauer et JEANNE Schongau installant toue sorte de paquets, tréteaux, tableaux, premiers rangements et dispositions.

    OFF :

    « ...soit pour les époux Schongau-Schongauer en location indivise un bâtiment sis six de la rue des Puniques, sur trois niveaux dont une boucherie désaffectée au rez-de-chaussée plus arrière-boutique attenante, chambre et dégagement plus point d’eau et toilette au premier étage plus chambres et toilettes au deuxième et combles, le tout constituant immeuble de rapport ou hôtel déclassé pour insalubrité (arrêté préfectoral du 20 juillet 1983), chaque chambre pourvue d’une literie, d’un mobilier d’hôtellerie adéquat et de tous tuyaux, robinetterie, lavabo et bidet en bon état de marche, à charge éventuelle pour les époux Schongau-Schongauer de réaménager à leur gré exclusif tout ou partie, intérieur ou extérieur, du bâtiment décrit susdit... »

     

    10. P.E. PASCAL et JEANNE remettant une forte liasse de billets entre les mains de LA FEMME AUBERGISTE (MAUD)

     

    11. P.E. PASCAL et JEANNE main dans la main, écouteurs pendants, s’engage dans le grand raide escalier de bois noir qui monte à l’étage.

     

    INT. JOUR.

    12. P.M. PASCAL SCHONGAUER s’arrête net :

    «  Douze vingtièmes de ma vie ; quatre ans par marche : 48 ans sur 80 ».

    Ils se tiennent par les épaules.

     

    13. P.M. Ils débouchent sur le grand palier qui comprend : une pierre à eau, un coin douche. Armoires, coffres, poussière.

     

    14. P.M. TRAV. AV.

    Couloir tordu ; au bout à droite une chambre en état d’abandon ;

     

    LA FEMME AUBERGISTE (MAUD) par derrière. L’HOMME AUBERGISTE. Tous deux très corpulents, l’homme très grand, de type alsacien.

    L’HOMME, qui les a suivis :

    « C’est la plus belle ».

     

    PASCAL

    « Sûr ! »

    15. PANORAMIQUE GD

    Une cheminée sous la poussière gluante. Une table de nuit. Lit. Couvre-pied lourd.

     

    16. P.M. JEANNE se tord les pieds sur les tomettes.

    17.G.P. PASCAL SCHONGAUER : son visage exprime une grande satisfaction. Il se frotte les mains.

     

    18. L’AUBERGISTE MÂLE

    « Ça donne juste au-dessus de la porte aux bouchers. Ne vous penchez pas trop » (doctoral) Quatre mètres cinquante.

    L’AUBERGISTE FEMELLE (MAUD)

    « C’est mon mari qui a installé la pompe. Et des toilettes dans le boyau. V’z’avez pas vu les toilettes ?

     

    JEANNE SCHONGAU

    « Il y a des blattes.

    MAUD

    « Vos aurez du produit.

    Les deux couples se comparent avec intérêt.

     

    MÂLE

    « On vous fait un prix parce que c’est insalubre.

     

    FEMELLE

    « Il faudrait des frais énormes.

     

    PASCAL, s’esclaffant niaisement :

    « Ha ha ! « Énormes ! »

     

    JEANNE le fixe férocement. Il se tait.

     

    19. P.M. Int. Jour

    Vue sur une chambre désaffectée, volets mi-clos, matelas roulés.

     

    AUBERGISTE FEMELLE, soufflant :

    Juste au-dessus vous avez une autre chambre, qu’est pas mal non plus.

     

    AUBERGISTE MÂLE

    Bon, moi je r’tourne bricoler.

     

    20. P.M. AUBERGISTE FEMELLE, guide les locataires

    Là c’est les cabinets. (Elle tire la chasse)

    Surtout vous n’en mettez pas trop. Pour le produit, vous passerez le prendre. On mange à sept heures.

     

    21. Travelling avant dans l’escalier

    PASCAL

    Qu’est-ce qu’il y a sous ç’t’escalier ?

    AUBERGISTE FEMELLE

    Ben c’est un puits. (Elle dégage, en tirant une planche, un puits intérieur fermé par une grille)

    À la fin de la guerre les Résistants ils ont balancé des miliciens. Alors ça remonte ! - moi je suis là que depuis trois ans.

     

    SÉQUENCE 3

    P.E. INT. JOUR

     

    1. Intérieur d’auberge campagnarde. Six tables serrées, nappes « bonne femme ».

    Représentants, camionneurs. Seule à une table, imposante, la MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD. Grande, forte, blonde, 50 ans, se croit bon chic bon genre.

    JEANNE SCHONGAU, de dos, attendant qu’on la serve.

    PANORAMIQUE BAS DROIT vers HAUT GAUCHE

    PASCAL sort des toilettes en haut de l’escalier en se rebraguettant et redescend s’assoir en face de JEANNE SCHONGAU.

     

    OFF

    JEANNE, à PASCAL

    Je ne veux pas manger dans ce trou à rat.

    PASCAL

    C’est pour se faire bien voir.

    JEANNE, sifflante :

    Savonnette...

     

    2. P.E.

    L’AUBERGISTE FEMELLE (« MAUD »)

    Vous prendrez bien l’apéro ? (elle fait signe à SA FILLE) Trois Marie Brizard !

     

    LA FILLE s’éloigne, escortée par un PETIT AMI soumis aux cheveux d’oreilles d’épagneul.

     

    « MAUD »

    Il n’y a pas de clients ici. C’est pas des gens intéressants. Et puis avec tous ces putain d’impôts…

    La MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD tique…

     

    3. INT. JOUR P.M.

    LE PETIT AMI

    Vous voulez de la musique ?

     

    Il met en route un appareil à musique, constitué d’un corps de buffet et d’un cercle de métal blanc, sous vitre.Ce cercle présente une infinité d’aspérités correspondant au mécanisme d’une boîte à musique.

     

    LE PETIT AMI glisse une pièce de cinq francs Napoléon III dans la fente, l’appareil se met en marche sous les yeux attentifs et dans le silence de tous ; il joue La marche des petits Pierrots.

     

    SÉQUENCE 4

     

    1. CUT – P. M.

    CARLOS, SOPHIE LA BLATTE

    Couples de touristes, lui : corpulent, type latino-américain, barbe de zapatero. Bagues, lunettes noires de comédie.

    SOPHIE LA BLATTE en robe légère et très démodée.

     

    CARLOS, sur le pas de la porte, écoutant :

    C’est vraiment chouette !

     

    SOPHIE, voix très aiguë :

    Patronne ! Deux menus très simples…

     

    MAUD

    Ici Madame, y a que du très simple.

    SOPHIE & CARLOS s’installent au milieu d’une attention respectueuse. Ils sont disposés de face avec PASCAL et JEANNE , légèrement décalés.

    Musique. On voit CARLOS s’enfiler trois ou quatre apéritifs, faire rigoler toute l’assistance avec de grands gestes ;

     

    2. GP visage de SOPHIE

     

    3. P.M.

    PASCAL SCHÖNGAUER - JEANNE SCHÖNGAU, CARLOS ET SOPHIE LA BLATTE parlent ensemble avec animation, la glace est rompue.

     

    4. P.M.

    JEANNE SCHÖNGAU, naïve, à CARLOS

    Ah ? Ils ont aussi des néonazis en Norvège ?

     

    SOPHIE LA BLATTE À JEANNE, pour changer de conversation :

    Je fais de la peinture sur soie : signes du zodiaque, symboles maçonniques…

     

     

    PASCAL, coupant maladroitement la parole à JEANNE /

    Ma femme attent cent quatre-vingt six échantillons de parfums, par le prochain car de Bajac. Et sur les murs, nous exposerons des instruments en miniature.

     

    JEANNE, qui peut enfin placer un mot :

    ...de musique.

     

    CARLOS parle bas à l’oreille de PASCAL en étouffant un fou-rire gras.

    Bitte…

     

    PASCAL rit sans façons.

     

    6. G.P.

     

    CARLOS

    Je suis un envoyé d’Oliver Blatt Blattstein - ne me regardez pas avec ces yeux-là.

     

    7 P.M.

    PASCAL se ressaisit.

    Une crème brûlée !

     

    CARLOS

    Nous allons exposer ensemble tous les quatre.

     

    JEANNE,à mi-voix :

    Pas de police surtout , pas de police !

     

    CARLOS

    Patronne ! Trois cognacs !

     

    JEANNE

    Quatre !

     

    CARLOS, à mi-voix

    Tant que je suis là, rien à craindre.

     

    SOPHIE tire d’un sac à main des reproductions, qu’elle fait admirer. Des représentants retournent bientôt ses photographies dans tous les coins gras du local

     

     

    SÉQUENCE 5- INT. JOUR

    Intérieur de l’ancienne boucherie aménagée en salle d’exposition.

     

    CARLOS

    Mesdames, Monsieur, nous voici tous en Mission d’Art, chargés…

     

    JEANNE

    ...et très éméchés…

     

    CARLOS lui jette un regard terrible

    ...chargés de faire luire en cette basse bourgade les Arts et leurs supports. La tâche sera malaisée, car nul ici à Fort-Saint-Jacques , ne voit l’intérêt d’acquérir un flacon de parfum, une clarinette miniature, que sais-je ; il faudra conquérir les populations.

     

    PANORAMIQUE DR. G. sur la boutique

     

    CARLOS

    Répartissons les tâches : les Hintzelstein, ou aubergistes, fournissent lessive, peintures, brosses et seaux.

     

    SOPHIE

    Et les pinceaux…

     

    CARLOS lui lance aussi un regard terrible.

     

    2. INT. JOUR

    CARLOS s’empare du meilleur pinceau, de la plus large cuvette ; on voit les autres, et spédialement PASCAL, se contenter de rogatons avcc des mines de dépit.

     

    3. P. E.

    Musique.

     

    Tout le monde au boulot, gueulantes devinées de CARLOS en train de morigéner tout le monde, il n’y a que lui visiblement qui saurait bien mieux faire que tous les autres.

     

    4. P. R. sur PASCAL, perché sur un escabeau, qui tartine sa peinture n’importe comment, ne sachant même pas tenir un pinceau, dans un angle encombré de tuyauteries.

     

    5. P. Américain sur CARLOS, perché sur l’escabeau juste en dessous, inspectant le travail de PASCAL.

    « T’es vraiment le bureaucrate, toi... »

     

    6. CARLOS a pris la place de PASCAL et se livre, ostensiblement, à un travail minutieux.

    PASCAL, entre ses dents

    « Démerde-toi, pauvre con ».

     

    7. P.¨M. SOPHIE, JEANNE, admiratives ; PASCAL les rejoint, plein de hargne

    JEANNE, lui tendant un cabas

    « Tiens, va faire les courses. C’est tout ce que tu sais foutre.

     

    SÉQUENCE 6 INT. JOUR

    Une supérette. PASCAL, VIEILLE ÉPICIÈRE, JEUNE ÉPICIÉRE en minijupe. CLIENT(E) S

    VIEILLE, accent du Sod-Ouest

    LA JEUNE passe auprès de PASCAL en tortillant

    « Vous désirez ? »

     

    PASCAL

    « Oui je désire, je désire euh… du thon… des œufs… un double-litre…

     

    La JEUNE ÉPICIÈRE le sert à mesure. PASCAL n’ose pas s’intéresser à la JEUNE et flaire LA VIEILLE.

     

    SÉQUENCE 7 INT. JOUR

    Dans la boucherie aménagée, tout le monde travaille, les tabliers blancs se souillent à grande vitesse, et CARLOS peinturlure avec enthousiasme.

    PASCAL, voix piteuse

    «  « Qu’est-ce que je peux faire ?

     

    Geste de JEANNE, il pose le sac à manger sur la table de l’arrière-boutique.

     

    2. Tous travaillent à la peinture. PASCAL, off, chante d’une voix avinée.

     

    3.

    PASCAL ressort de l’arrière-boutique, tourne autour des escabeaux en brandissant son

    double-litre sous plastique :

    « J’vais vous raconter une histoire drôle…

     

    TOUS

    Non ! Non ! Surtout pas ! Pitié !

     

    CARLOS du haut de son escabeau

    Tu vas la fermer ta gueule ?

     

    PASCAL, à JEANNE, désignant CARLOS :

    «T’aimes ça toi, les gros bras… Ça te change des p’tites bites…

     

    5.

    (Il boit au goulot) C’que vous pigez pas, c’est le désespogne, le désespoir de l’ivrogne.

     

    6. EXT. JOUR P.M.

    PASCAL fait le zouave sur le seuil de la boutiques

     

    7.

    PASCAL retourne dans la Supérette, se livre à un comportement théâtral

    Y a qu’moi qui travaille ici : Tiens filez-moi un fromage.

     

    LA VIEILLE ÉPICIÈRE, très digne

    Vous les avez derrière vous, Monsieur.

     

    8. INT. JOUR P. M.

    PASCAL revient en titubant, se raccroche à l’échelle double ;

    JEANNE, sur l’échelle, descend :

    Maintenant, ça suffit.

     

    9. PASCAL brandit sa bouteille :

    Au moins avec moi on se mââârre…

    CARLOS

    Tu nous casslek. Putain avec toi y a pas besoin de radio, on n’entend que tes conneries, tu fais chier.

    PASCAL

    Il est grossier, le monsieur qu’on ne connaissait pas tout à l’heure.

    SOPHIE

    Arrêtez quoi merde ! - Non, vous tout seul, monsieur Pascal.

    JEANNE

    Tu peux le tutoyer !

     

    PANORAMIQUE H – B

    JEANNE descend de son escabeau, le pinceau à la main, saisit la bouteille et la tord dans la main de PASCAL, l’arrache, passe dans l’arrière-cuisine.

     

    10. JEANNE, de dos, vidant la bouteille dans l’évier.

    11. G.P. sur PASCAL désappointé.

    12. P.M. PASCAL

    Regarde-moi tous ces bouffons le pinceau à la main, bande de prolos, même pas foutus de penser à la bouffe.

    Personne ne l’écoute.

    J’ai besoin de vin, moi. Ça ne vous vient pas à l’esprit bande d’enclumes que j’aie besoin de vin. Je suis un intellectuel, moi, je pense ! Et qu’est-ce que je vais faire, moi, sans pinard ?

    CARLOS

    Surtout pas de la peinture !

    13. G.P. PASCAL, larmoyant

    Tout le monde veut m’empêcher de peindre !

    TOUS poussent des cris ; confusion.

    Arrête de gueuler ! ...Braille pas si fort !

    Ils crient plus fort eux-mêmes que celui qu’ils veulent faire taire.

     

    14. P.M. PASCAL nettoie le vin et les débris de plastique avec une serpillière

    Ma bouteille… Ma petite bouteille…

    JEANNE

    Tu salis le ciment avec ta vinasse…

    PASCAL

    Tu n’vois pas que j’nettoye ?

     

    S É Q U E N C E 8 - EXT. JOUR

     

    1. P. G. Arrivée d’un autocar brimballant. Le chauffeur en descend, monte sur le toit et balance les colis aux gens qui attendent en bas.

     

    SOPHIE, en bas, tendant les bras :

    Mes flacons ! … c ‘est fragile !

    Elle montre des petits mollets tout maigres sous des chaussettes blanches.

     

    LE CHAUFFEUR 

    Il y a encore un paquet pour l’autre dame.

    Il le décharge précautionneusement.

     

    2. G.P. en gros plan sur des reproductions sur toile d’instruments anciens, d’icônes, etc.

    3. SOPHIE déballe, étale, et installe ses foulards et ses flacons vides.

    Elle fait flairer ses flacons autour d’elle :

    Sentez-moi ça !

    4. G.P. sur CARLOS, grommelant :

    Tout ça c’est de la connerie.

    6. G.P. sur SOPHIE

    Je vendrai tout, je vais tous vous nourrir, PASCAL pourra s’acheter du vin, du meilleur.

     

    TRAV. G.D.

    JEANNE, glaciale : ...Quel humour…

    7. PANORAMIQUE D.G. sur toutes formes de flacons, fantaisistes et contournées : cochons, grosses merdes bien moulées, etc.

     

    FONDU ENCHAÎNÉ

     

    SÉQUENCE 9 INT. JOUR P.M.

     

    1. JEANNE

    À mon tour.

    PASCAL déballe des trompettes, accordéons, violons, le tout de 15cm de haut.

    2. G.P. CARLOS

    Tout ça, c’est des conneries.

     

    3. PASCAL se rapproche de CARLOS

    Qu’est-ce que vous disiez sur Blatt et Blattstein ?

    CARLOS réticent

    Tout ça, c’est des conneries. Ça ne rapporte pas un rond.

     

    4.  P.E., PANORAMIQUE D.G.

    Vue sur les deux étalages, côte à côte et face à face, en forme d’U. Les deux tenancières, JEANNE et SOPHIE, semblent jouer à la marchande, et sont ravies.

     

    JEANNE

    Que c’est beau ! Elle minaude en tournant un foulard entre ses mains.

     

    SOPHIE

    Ce que vous faites est magnifique aussi.

     

    JEANNE, humant un flacon

    Qu’est-ce que c’est ?

     

    SOPHIE

    Du patchouli. Oh, et ça, qu’est-ce que c’est ?

     

    JEANNE, minaudant

    Une trompette.

    SOPHIE fait semblant de jouer sur une minuscule viole.

     

    JEANNE

    On ne peut pas en jouer !

     

    5. G.P. CARLOS

    Tout ça c’est de la connerie.

     

    6. P.M. SOPHIE s’extasie sur de grandes Vierges peintes en or sur fond d’or, un peu trop déshabillées

    JEANNE

    Oh vous savez, il n’y a pas de popes dans ce village.

     

    PASCAL, regard appuyé vers CARLOS

    Des Colombiens peut-être…

     

    P.M. CARLOS, qui se tape sur les cuisses

    Tout ça c’est des conneries.

     

    SÉQUENCE 10

    À plusieurs reprises, ACCÉLÉRÉ, JEANNE et SOPHIE exposent leurs étals, et tantôt l’une, tantôt l’autre, essaie d’empiéter sur l’étal de l’autre.

    SOPHIE

    La soie faut que ça se déplie.

     

    JEANNE

    Oh les jolis chats ! les jolis taureaux ! les jolis beuffes !

     

    SOPHIE

    C’est un tigre.

     

    JEANNE : Ou un bœux.

    SOPHIE

    Enfin quoi, tire un peu sur la soie, là, on voit bien que c’est un tigre, tout de même, il aurait fallu 50cm de plus pour bien voir la queue dans tout son développement.

    « Vous… - tu me donneras bien une vierge ?

     

    JEANNE lui tend un cornet à piston en laiton,modèle 1883

     

    SÉQUENCE 11 INT. JOUR

     

    1. SOPHIE, JEANNE

    JEANNE

    Des instruments miniatures : jamais personne n’a eu l’idée d’exposer ça avant moi.

    SOPHIE

    C’est comme mon cul ; on ne l’a jamais exposé non plus.

    JEANNE

    Ça ferait fuir le client.

    Elles se battent, les hommes les séparent – PASCAL est fin bourré.

     

    2. CARLOS, PASCAL

    P.M.

    CARLOS

    Les icônes m’ont toujours bien consolé dans ma cellule.

    PASCAL

    Et qu’est-ce qu’il veut au juste, le Blatt-Blattstein ?

     

    3. Nouvel assaut entre les deux femmes, nouvelle intervention.

    CARLOS

    Eh merde, vous ne pouvez pas tout simplement vous mettre l’une dans l’autre ?

    JEANNE

    Justement, allez vous faire mettre.

     

    4. EXT. JOUR Attroupement devant la vitrine.

    5. CARLOS, PASCAL

    PASCAL, pâteux

    Et pis t’arrêtes de soutenir ma femme, toi…

    CARLOS

    J’en veux pas d’ta femme ; même au lit elle garde ses godasses, comme Van Gogh.

    PASCAL, à JEANNE

    T’es pas prête d’en faire, du Van Gogh.

    JEANNE

    Et toi c’est pas l’oreille que tu d’vrais t’couper.

     

    SÉQUENCE 12 INT. JOUR

    1. P. M. Les DEUX FEMMES s’envoient leurs productions à la figure, les DEUX HOMMES essaient de les séparer

     

    2.

    PASCAL bourré veut rattraper les objets, mais il fait plus de dégât qu’autre chose.

     

    SÉQUENCE 13 EXT. JOUR P.E.

    Les AUBERGISTES et les villageois se sont attroupés devant la boutique, d’où proviennent des bruits de casse et des cris.

     

    L’ÉPICIÈRE JEUNE

    C’est peut-être pas des vrais artistes.

    LA VIEILLESSE

    Pt’êt’ ben juste des commerçants.

    LE TABAC

    Quoi, quoi, « des commerçants ?

     

    SÉQUENCE 14 INT. NUIT

    L’auberge.

    1. P.M.

    CARLOS, SOPHIE, JEANNE, PASCAL, LES DEUX AUBERGISTES

    AUBERGISTE FEMELLE

    Pour les chiottes, faudra vous méfier, pas en mettre trop, pas bourrer le papier.

    AUBERGISTE MÂLE, sentencieux

    Moduler le serrage des fesses, pour chier fin.

    PASCAL

    Pourquoi vous êtes toujours sur notre dos comme ça ?

    AUBERGISTE MÂLE

    On rend service, et on veut pas s’faire emmerder tout le temps pour du débouchage.

    AUBERGISTE FEMELLE

    C’est votre merde, pas la nôtre.

    SOPHIE

    Là n’est pas la question, c’est l’eau qui r’monte, on tire la chasse et on a le cul qui baigne.

    PASCAL

    Bravo le paysage quand on s’retourne.

    AUBERGISTE FEMELLE

    Et les douches c’est pour les chiens ? Mon mari en a passé des heures à bricoler un coin pour vous laver l’cul.

    AUBERGISTE MÂLE

    On parle jamais de ce qui marche.

    CARLOS

    Ouais les douches y a tout l’confort, on s’aperçoit que c’est occupé quand on voit la serviette sur la porte.

    AUBERGISTE MÂLE

    Putain jamais contents, je vous ai prévenus dix fois aussi que la flotte c’était pas terrible, venez pas vous plaindre pour les amibes, il faut chercher l’eau fraîche à la fontaine dehors.

    AUBERGISTE FEMELLE

    On vous en aurait bien passé du restau mais vu comment qu’vous êtes aimables…

    JEANNE, hurlant

    On va pas s’mettre à hurler, non plus ?

    PASCAL, gluant d’amabilité

    On pourrait peut-être manger chez vous, ce soir ?

     

    SÉQUENCE 15 INT. NUIT

    Les étages de la boutique vus depuis l’auberge

    1. P.M. TRAV. AV.

    PASCAL parcourt toutes les chambres, d’étage en étage

     

    2. P.R.

    Matelas rayés enroulés sur eux-mêmes.

     

    PAN. G.D.

    Volets qui se déglinguent, espagnolettes rouillées.

     

    3. INT. NUIT

    Visions de baise grotesque sur les matelas, (c’est ce qui passe dans la tête de PASCAL). Bruiitage de ressorts.

     

    4. P. M.

    PASCAL se jette sur un matelas ; boules de cuivre ; contorsions.

     

    5. P.M.

    PASCAL ouvre la lumière dans une autre chambre abandonnée, jour jaunâtre, ZOOM AV. sur le matelas rayé enroulé.

     

    6. G. P. PASCAL se prend le jus en tournant un commutateur en papillon de faïence. Hurlement :

    Erremmel !

    Cri soudain, atroce et tout proche, d’une dame blanche (c’est un rapace nocturne).

     

    7. STOCK

    Un enfant qu’on égorge, ou qui passe sous un camion.

     

    SÉQUENCE 16 INT. JOUR

     

    La salle d’auberge.

    L’AUBERGISTE FEMELLE

    Tu aurais pu tout de même les prévenir, pour la dame blanche dans la toiture…

     

    SÉQUENCE 17 INT. NUIT

    1. P.M. Salle à manger de l’auberge. TOUS.

    L’AUBERGISTE FEMELLE,buvant une Marie-Brizard

     

    Faudrait pas croire ! Tiens,moi, ben je baise quand même !

     

    L’AUBERGISTE MÂLE, se rapprochant de la table en fourrageant dans sa braguette

    Et comment qu’on baise.

     

    TRAV. G.D., PASCAL explique à JEANNE avec des gestes que la copulation doit s’effectuer par derrière vu la corpulence de la femme.

     

    2. P. E.

    TOUTE LA CLIENTÈLE dans le restaurant.

    3., 4., 5. : P.M.

    Diverses figures, le BURALISTE et sa bosse, l’ ÉPICIÈRE et ses cuisses nues, la MARQUISE de BOUF et BOILNŒUD un peu à l’écart mais condescendante avec son

    gros chignon blond pisseux.

     

    6. P.M.

    LE TABAC

    Tout de même, le communisme ça donnait de l’espoir aux gens.

     

    7. P.M.

    Regards lubriques de CARLOS cherchant à voir la culotte de l’ÉPICIÈRE quand elle croise les jambes. Il se passe la main dans la barbe. Il la tire, les yeux exorbités.

    L’AUBERGISTE FEMELLE ramasse l’argent de tous et soupire

    Vivement la foire tiens, qu’on gagne un peu plus de pognon.

     

    SÉQUENCE 18.

    INT. JOUR

     

    SOPHIE essaye d’allumer le réchaud avec des allumettes détrempées.À la fin une grande explosion qui la fait sursauter :

    Erremmel !

     

    SÉQUENCE 19

    INT. JOUR

    Arrière-boutique

    CARLOS bouffe à table comme un porc.

     

    SÉQUENCE 20

    EXT. JOUR

    PASCAL se paie la corvée d’eau, maintes bouteilles de plastique vides sous les bras. Il en laisse tomber une pleine au retour. Elle éclate.

    TRAV. AV.

    PASCAL pose les bouteilles sur la table. CARLOS engloutit des spaghettis, se soulève pesamment pour péter.

    P.M. TRAV. D.G.

    Entrée des DEUX FEMMES

    JEANNE

    Putain, encore des nouilles !

    CARLOS, la bouche pleine

    Nouilles, encore des putains !

    SOPHIE

    Bonjour le régime !

    CARLOS lui claque sur les fesses et se reçoit une claque de première

    PASCAL

    ...de toute façon, quand je propose de manger en face, je me fais traiter de savonnette…

    Il se ressert en spaghettis, boit à même une bouteille de vin en plastique

     

    SÉQUENCE 21 24

    INT. NUIT

    L’arrière-boutique

    CARLOS et PASCAL font les comptes, échangent des bulletins de vente détachables

    JEANNE et SOPHIE leur passent les bulletins, de couleurs différentes

     

    QUENCE 22

    INT. JOUR

    La boutique elle-même

    JEANNE et SOPHIE derrière leurs comptoirs, tirant la gueule – jeu de lumière suggérant l’écoulement de la journée, à plusieurs reprises, en accéléré. Aucune vente.

    ÉÉ

    SÉQUENCE 23

    INT. JOUR P.E.

    Un gosse s’enfuit avec un foulard. JEANNE le rattrape à l’extérieur, baffe le gosse ; arrive un colosse qui paye, rebaffe le gosse et baffe JEANNE.

     

    SÉQUENCE 24

    INT. JOUR P.M.

    PASCAL se barricadant courageusement dans sa chambre parce qu’il n’a pas voulu intervenir…

     

    SÉQUENCE 25

    EXT. JOUR P.M.

    Une MÉMÉ devant la vitrine, avisant les prix :

    Mais c’est de la folie !

     

    SÉQUENCE 26

    INT. JOUR

    TOUS. Chacun fait ses comptes avec une gueule sinistre.

     

    SÉQUENCE 27

    INT. JOUR

     

    JEANNE vend un violoncelle miniature à la Marquise de BOUF et BOILNŒUD

    JEANNE

    Madame…

    B. & B.

    Madame…

     

    SÉQUENCE 28

    INT. JOUR

    P. M.

    JEANNE montre, grâce à un ticket, qu’elle a enfin vendu quelque chose.

    SOPHIE

    On partage…

    Le partage de l’argent s’effectue.

     

    SÉQUENCE 29

    INT. NUIT

    SOPHIE

    J’ai vendu un foulard.

    JEANNE

    On parage…

    SOPHIE, indignée

    Ah non ! pour nous, c’est pas la même chose !

    CARLOS, gêné, se cure les dents

    On n’a pas reçu boucoup comme mandat cette semaine…

    SOPHIE

    On n’est pas des fonctionnaires, nous autres…

    PASCAL en arrière-plan, fumant de rage, boit une rasade.

     

    SÉQUENCE 30

    INT. JOUR P.M.

    Arrière-boutique

    1. TOUS en train de manger sans enthousiasme un plat de nouilles qui collent

    2. INT. NUIT

    TOUS, même jeu

    TRAV.G.D.

    JEANNE se mesure le tour de taille

    ZOOM sur PASCAL

    Il recompte mélancoliquement un fond de porte-monnaie

    CARLOS essaie de voir par-dessus son épaule, PASCAL se dérobe.

     

    SÉQUENCE 31 INT. JOUR

    P.M.

    TOUS en train de manger une purée infame

    PASCAL, à JEANNE

    Quand c’est toi qui fait la cuisine, c’est guère mieux… Bon, alors, on va manger en face ?

    SOPHIE, jetant de l’huile sur le feu

    Savonnette…

     

    SÉQUENCE 32

    EXT. JOUR

    DEUX MÉMÉS dans la rue

    PREMIÈRE MÉMÉ

    Moi j’achète pas là…

    DEUXIÈME MÉMÉ

    T’as vu les prix de ouf ?

    PREMIÈRE

    Paraît que c’est de la soie…

    DEUXIÈME

    Oh ben, pour poser son cul…

     

    SÉQUENCE 33 EXT. JOUR

    Le seuil de la boutique.

    CARLOS, PASCAL

    PASCAL

    T’es sûr que t’as rien à me dire pour Blatt-Blattstein ?

    CARLOS

    Oh moi, yo sé pas grand-chose.

    PASCAL

    Et alors ?

    CARLOS

    Ben alors il fait chaud.

     

    SÉQUENCE 34 EXT. JOUR P.E.

    Une banderole

    BIENVENUE À LA DCLIIIe FOIRE DE FORT-SAINT-JACQUES

    ZOOM H. B.sur LES AUBERGISTES et LES QUATRE EXPOSANTS

     

    AUBERGISTE MÂLE par la fenêtre

    Vous commencez par le tour extérieur.

     

    CARLOS

    Mesdames et messieurs, nous entamons la visite guidée de la place-forte médiévale de Fort-St-Jacques.

    « Fort-St-Jacques fut bâtie en cercles concentriques... »

    PASCAL

    ...ou avec trique…

    TOUS le regardent avec une intense pitié

     

    SÉQUENCE 35 EXT. JOUR, le soir tombe, les premières lumières s’allument

    TOUS derrière CARLOS, en troupeau de touristes

     

    CARLOS

    La cité de Fort-St-Jacques, typiquement médiévale…

    GROS PLANS sur diverses plaques de rues.

    BOULEVARD DE LA MARNE

    BOULEVARD DE LA SOMME

    BOULEVARD DE VERDUN

     

    SOPHIE

    C’est guerrier, c’est coquet.

     

    PAN. BAS-HAUT, vue des feuillages par dessous, vols d’éphémères sur contre-jour de réverbères

    ZOOM AV. sur PASCAL qui soulève à la main des plaques d’écorce de platane

    Le bonheur de l’entomologiste

     

    SÉQUENCE 36 EXT. NUIT

    CARLOS

    Ces remarquables bâtisses, mesdames et messieurs…

    PASCAL

    Eh, je me sens tout seul…

    CARLOS

    ...remontent à ces temps anciens où…

     

    PAN. DR. G. sur JEANNE, mimique exaspérée. Elle bourre les côtes à PASCAL qui joue les extatiques

    Savonnette… Espèce de savonnette…

     

    PAN. BAS-HAUT, P.M.

    Vieilles maisons à colombages, pignons aigus, portes rongées, pierres anciennes sous projecteurs.

    GROS PLAN sur une vitrine d’agent immobilier, photos suggestives, pris modérés

     

    SOPHIE

    ...et après, faut les allonger pour tout retaper…

    TRAV. AV.

    Église ouverte

    SÉQUENCE 37 INT. NUIT

     

    LE GROUPE en train d’ahaner à la queue-leu-leu dans un escalier en colimaçon.

    CARLOS, off, derrière PASCAL

    Putain t’as encore largué, toi…

     

    TRAV. AV.

    Parvis de l’église

    PAN. H-B, P.E.

    Vue de Fort-St-Jacques illuminée, guirlandes diverses

    CARLOS

    Figurez-vous…

    PASCAL

    Ta gueule.

    CARLOS se tait

    GROS PLAN sur PASCAL, mesquin

    J’lai eu, euh… J’lai eu euh…

     

    2. PAN. AV. ET H-B, diverses vues de Fort-St-Jacques révélant une structure concentrique.

    Bruitage : vent. Bouffées d’orchestre de village.

    3. P.M. sur LA GARDIENNE, qui gueule

    Alors là-haut vous vous maillez le cul, oui ? On ferme !

    4. TOUS dévalent l’escalier, tête basse, trébuchant

     

    SÉQUENCE 38 EXT. NUIT

    1. P. M.

    Une vitrine. Des femmes s’affairent, montent des décors au sommet d’échelles doubles.

    2. STOCK : Poissons ouvrant et fermant leurs gueules dans un aquarium

    3. P.M.

    CARLOS

    Vous verrez tout ce qu’on va vendre avec la foire…

    4. INT. NUIT

    TRAV. AV.

    Intérieur du magasin où la caméra a suivi LE GROUPE

    FEMMES au sommet de leurs échelles doubles

    Un BOUCHER en tenue

    Un peu plus de côté. Plus loin, le mannequin. Plus au fond. Le calendrier 1901 (géant) vers le devant, nous fermerons ensuite et pour toujours, il faut que ce soit beau, pour notre dernière fois.

     

    PAN. D.-G.

    LE BOUCHER se tourne vers le groupe des quatre

    J’ai fait ôter la vitrine – une fortune !

    Ça s’ouvrira sur la rue comme une vraie scène à l’italienne : j’ai fait monter des gradins (il les désigne) en face, et aussi derrière vous. (PAN. G.-DR., vue sur les gradins)

     

    LE BOUCHERIE

    Ma pièce va s’intituler La Manche et le gigot,le héros s’appelle Don Quichote. J’en suis l’auteur.

    CARLOS

    ¡ Muy bién !

     

    PAN. G.-DR.

    UN PASSANT,  dédaigneux

    Il fait ça tous les ans.

    LE BOUCHER tourné vers lui

    Monsieur n’est pas d’ici.

    LE PASSANT

    Ah ! pas d’ici…

     

    SÉQUENCE 37 INT. NUIT

    P.M. sur l’intérieur de la vitrine, décor avec papier aluminium pour la viande

    SÉQUENCE 38 EXT. NUIT P. M.

    Plusieurs habitants installent des guirlandes d’éclairage et de feuillage

    SÉQUENCE 39 EXT. JOUR P.M.

    La terrasse de l’auberge

     

    LES QUATRE, LE BURALISTE, LA FEMME DU BURALISTE, LES ÉPICIERS

    1.

    LE BURALISTE

    Moi je vous le dis, tout ça c’est de la foire. De la diarrhée. L’homme va voler l’homme.

    LA FEMME DU BURALISTE

    Tu vends bien du tabac !

    LE BURALISTE

    Je vends des livres aussi.

    LA FEMME

    Y a pas un seul Marx.

    PASCAL

    Ça ne se vendrait pas.

     

    2. EXT. NUIT

    Même décor, mêmes acteur. P.M.

    CARLOS

    Tout ça, c’est de la merde.

    PAN. G.DR. sur LE BURALISTE, qui parle et gesticule : cage thoracique difforme, tête de vautour.

     

    3. G.P.

    Les yeux brûlant du BURALISTE

    PAN. G.DR. G.P.

    Le visage tendu et ambigu de LA FEMME DU BURALISTE ; elle pense à la Liberté que ce serait que la mort de son mari.

     

    LE BURALISTE

    Je ne participerai pas à cette comédie. Le magasin restera comme il est. Prix inchangés.

     

    JEANNE, aux AUBERGISTES

    Et vous ?

    LE BURALISTE

    Ils peuvent rester ouverts tant qu’ils veulent ; moi, tant que ça me ramène des clients, juste à

    côté, ça me va.

    PASCAL

    Fumer donne envie de boire.

     

    3. EXT. NUIT

    LE BURALISTE, furieux

    Moi je me contrefous de votre opinion à vous quatre, vous m’entendez ? Toujours là à épier, à rôder !

     

    4. P.M. PAN. G.DR.

    Les QUATRE ouvrant et refermant la bouche, suffoqués.

    L’ÉPICIÈRE

    Ce bled est mort. L’alcool lui fera du bien.

    L’AUBERGISTE FEMELLE, à PASCAL

    Vous n’avez pas bien mangé, chez moi ?

    PASCAL, avec empressement

    Si si !

    JEANNE

    Savonnette…

    PAN. DR.G

    LE BURALISTE, vociférant

    Multiplier les cafés, c’est multiplier les points de fermentation du Peuple ! Nom de Dieu !

    (Il entonne « L’Internationale)

    LA FEMME DU BURALISTE le fait taire

    PAN. G.DR.

    L’ÉPICIÈRE remonte sa minijupe. Puis elle se refarde les lèvres.

    L’AUBERGISTE FEMELLE, au BURALISTE

    Quand c’est que t’auras fini de brailler, on pourra peut-être se faire un p’tit rami ?

    LE BURALISTE

    C’est un jeu de fachos !

    LA FEMME DU BURALISTE, admirative, à la cantonade

    Il gagne toujours.

     

    4. P.M. sur l’ÉPICIER qui gratte son crâne en pain de sucre

    5. P.M.

    SOPHIE

    Moi j’aime bien cette ambiance, tout de suite on se sent à l’aise.

    REAV. ARR.

    P.E.

    La terrasse où tous, autour de plusieurs guéridons rassemblés, jouent aux cartes.

    SÉQUENCE 40

    EXT. NUIT

    Terrasse d’un bistrot concurrent, vu de face

    LE CURÉ, en soutane

    C’est super, c’t’ouverture d’un deuxième rade. Ça fera toujours autant de cons en moins pour encombrer la messe.

    Il siffle une liqueur

    MUSIQUE de Jacques Brel venant à toute force ce l’intérieur

    LE CURÉ, tourné vers l’intérieur

    Ah non pas lui, c’est superchiant !

     

    SÉQUENCE 41

    INT.NUIT

    L’intérieur de l’hôtel : chambre, couloir, douche extérieure

    JEANNE, PASCAL

    1. PASCAL se brosse les dents

    2. TRAV. AV.

    PASCAL revient du lavabo extérieur, dit à JEANNE restée à lire sur le bord du lit

    À toi.

    Il s’assied sur le rebord du lit, feuillette une revue.

    JEANNE se rend à son tour à la salle d’eau extérieure ; on entend bientôt un bruit de chasse d’eau.

     

    3. INT. NUIT

    La chambre dans la pénombre, volets en tuile. Forts ronflements.

    PASCAL se lève pesamment, sort, bruit de chasse d’eau.

     

    4. P.M.

    PLONGÉE

    Les deux sur le lit ; ils se rapprochent à cause d’un creux dans le matelas, enlèvent leurs vêtements l’un après l’autre à demi endormis, se retombent l’un sur l’autre dans le creux, se séparent, se placent sur les deux extrémités en crête du matelas, se retombent dessus, ronflements.

     

    5. G.P. sur le visage apaisé de PASCAL, bruit de moustique. PASCAL se retourne machinalement. JEANNE lui écrase un moustique sur la gueule. Sursauts divers. JEANNE se relève pesamment, bruit de chasse d’eau.

     

    Va ouvrir la fenêtre on étouffe.

     

    PASCAL

    J’ai la flemme.

    JEANNE

    Fais chier.

    Elle va ouvrir la fenêtre, se recouchera-t-elle. Se bouche le nez

    Ah non, c’est le bouquet.

    PASCAL, somnolent

    C’est le mot.

    6. G.P. sur un réverbère EXT. en plongée ; ronflement de réverbère mal réglé

    7. JEANNE, somnolente

    Pascalou, on entend la lampe.

    PASCAL se retourne et ronfle.

    JEANNE, revêche

    Pascalou !… Pascalounet !

    PASCAL

    On n’a même plus envie de se branler…

     

    SÉQUENCE 42 INT. JOUR

     

    L’arrière-cuisine, au petit-déjeuner

    PASCAL et JEANNE, allures décavées d’insomniaques.

    CARLOS et SOPHIE, attitudes grivoises

     

    SÉQUENCE 43 INT. NUIT

    G.P.

    Couloir de l’hôtel. PASCAL, revenant des cabinets, se plante une écharde dans le pied. TRAV. AV. P.M.

    Sur le rebord du lit, il essaie de se l’extraire

     

    2.

    P.M. TRAV.AV.

    PASCAL ouvre à la file plusieurs chambres inoccupées.

    ZOOMS sur des matelas roulés, des lavabos sales, des robinets mal fermés, PASCAL s’y penche pour y boire ; gros borborygmes de tuyauteries.

     

    3. T.G.P

    sur les ronds de verre à dent sur les étagères en verre des lavabos.

     

    4. STOCK

    Un couple en train de baiser en surimpression sur un de ces matelas miteux.

     

    5. P.M.

    TRAV. AV. et B.H.

    PASCAL monte l’escalier, applique l’oreille contre la porte.

     

    6. Intérieur de la chambre de CARLOS-SOPHIE

    CARLOS et SOPHIE s’entretiennent sur le bord de leur matelas, à voix

    basse, de façon très animée.

    SÉQUENCE 44

    INT. NUIT

    1. P.M.

    PASCAL et JEANNE sur leur séant, dans leur lit, entendent au-dessus d’eux un vacarme de ressorts malmené.

    Feulement fortissimo de dame blanche, PASCAL et JEANNE sursautent, terrorisés. Le bruit des ressorts s’arrête sur une ultime détente : BOÏNNNNGG…

     

    JEANNE, décomposée

    Qu’est-ce que c’est ?

     

    PASCAL

    Une dame blanche…

     

    2. P.M.

    PASCAL et JEANNE sur leurs matelas, glissant lentement l’un vers l’autre dans leur sommeil, se séparent brusquement dès que leurs culs se touchent.

    Bruits de pas descendant l’escalier, on entend CARLOS heurter violemment quelque chose dans le noir :

    Hijo de puta…

     

    SÉQUENCE 45

    INT. NUIT

    P.M.

    1. Énorme détonaon.CARLOS et SOPHIE se solèvent d’un coup sur leur lit puis retombent, idem pour PASCAL et JEANNE (prévoir un plan en fausse coupe d’immeuble)

     

    PASCAL et JEANNE ensemble

    PUTAIN DE BORDEL DE MERDE D’ENCULÉ DE MES COUILLES !

     

    PAN. G. D. G.P. Pendule marquant 3h15 sur la cheminée

     

    2.

    Les QUATRE face à face sur le palier de la chambre du premier, dépoiraillés, hagards, en sous-vêtements déchirés.

     

     

    SÉQUENCE 46

    EXT. NUIT

    1. P.E. PLONGÉE

    puis PAN. H. B.

    Procession de Carnaval nocturne dans la rue . Cuivres, chiens, hurlements, mômes déguisés.

    VOIX DE L’AUBERGISTE MÂLE, masqué :

    Descendez de là-dedans, tas de touristes !

     

    2.

    LE TABAC que l ‘on reconnaît à sa difformité tend deux bouteilles de vin. PASCAL et JEANNE boivent au goulot.

     

    3. P.M.

    L’ÉPICIER avec son crâne en pain de sucre poursuit L’ÉPICIÈRE à demi-nue à coups de balai.

    4. G.P. CONT.PLONGÉE sur PASCAL s’arrêtant de boire au goulot pour roter.

    5. Défilé, de droite à gauche, de toute une population costumée, plus ou moins XVIIe siècle, derrière un canon d’époque qui roule. Fanfare, grandes enjambées. Huit ou dix piquiers et hallebardiers.

    6. T.G.P. sur un maillet de grosse caisse qui s’abat.

    7. T.G.P. sur une embouchure de trompete d’où perle une goutte de salive.

    8. P.M. La grosse caisse se crève sous un violent coup de maillet.

    9. P.M. sur un trombone en train de boire par l’embouchure, tandis qu’un acolyte y verse du vin.

     

    SÉQUENCE 47

    EXT. NUIT

     

    1.

    P.M. SUR LE CURÉ

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    .

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    .

     

     

    ;

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • BAGATELLES DE LA MORT PP 46/56

    Il y avait jadis des sections "petits corps", "grands corps", "moyens corps". Il y a désormais des cercueils en forme de dirigeables, de godasses, de préservatifs (plus rares) ; de rats, de navets rouges, de navets noirs. A peu près tout ce qu'on peut trouver aussi chez les mongolfières. Et quand le cercueil bascule, les porteurs se prennent une grande rasade de jus puant sur le pantalon. A présent, soyons sérieux ; consultons nos sources.   

     

    CHARNIERS
    Les tombes collectives d'animaux nous émeuvent peu. Parmil es humains, celui de Katyn vient tout de suite à l'esprit, attribué aux nazis par les soviétiques, puis enfin reconnu, du bout des lèvres. Dans La religion, les morts se relèvent pour combattre, les asticots ressuscitent et combattent, et tout le monde s'en sort. Etait-ce bien la peine de vivre ? On éventrait les charniers sous Douaumont, à la grue, et les cages thoraciques s'empilaient, retombaient des bras de pelleteuses comme des bouchées de monstres. Frères jugés indignes d'une sépulture, ou trop nombreux pour être décomptés, par guerre ou épidémie. Le mot évoque une décomposition, un endroit où la peau se fond, où la chair, par-dessous, se décompose loin des regards : ainsi les galeries couvertes au sous-sol des anciens Innocents de  Paris.                                                                                                                                                               
        Et quand les os sont bien secs, on les tranfère bien alignés et classés dans un ossuaie. Naguère au Canada des constructions en bois recueillaient les corps que l'on ne pouvait enterrer pendant les mois où le sol même était gelé, inaccessible au bêchage des fossoyeurs. 

         Sous terre, c'est encore le mieux. Après ceux du Cambodge, Sarajevo, Srebrenica,  en offrirent de bien substantiels. Tous les ans, les autorités en retrouvent (le dernier en date (430 corps) fut ouvert en mars 2014 à Prijedor) - on les fait reposer dans de petits cercueils étroits, tandis que se déroule au-dessus d'eux le rite musulman.  Car, de quelque religion qu'ils soient, les morts entassés "dans ce charnier" bénéficient d'un service religieux. Il a fallu les enterrer rapidement. Les charniers du Rouanda ne sont pas tous mis au jour ; on massacra jusque dans les églises. "Tournez-vous vers le ciel", disait un ignoble prêtre. "Il sentira mieux que tous ces corps que vous foulez en ce moment". Celui de Timişoara 5 ans plus tôt fut le berceau d'une des plus hideuses impostures médiatiques : un bébé mort enroulé dans le barbelé, à tort présenté comme victime des sbires ceaucesquiens.  Du bon et du mauvais usage des charniers en politique.  
        Mais les charniers représentent une promesse : on les appelle charnel houses en anglais, car c'est de ces débris que le Seigneur reconstituera les corps dans la vallée de Josaphat. Brûlez, il n'en restera rien. Laissez pourrir noblement, et Dieu refera le reste. Surtout pour les 796 enfants (au moins) jetés là en vrac par des bonnes sœurs irlandaises au nom des bonnes mœurs, à Galway ou ailleurs. Il ne faisait pas bon accoucher dans les couvents. Des enquêtes furent ouvertes : on a délibérément affamé ces pauvres enfants, au nom de la pureté ; mais tel charnier des îles Anglo-Normandes est toujours considéré comme une imagination collective. 
    CHATEAUBRIAND ET LE GRAND BÉ
    Chateaubriand prenait volontiers la pause. Comme les Romantiques après lui, il estimait que le mort est un excellent manteau de cheminée où le causeur s'accoude pour apostropher la société. "Monsieur de Chateaubriand" disait de lui Mme Récamier, "habiterait volontiers une île déser, à condition qu'elle fût au centre de Paris". Ses Mémoires d'Outre-Tombe reviennent sans cesse sur ces instants qui ne reviendront plus, ces régimes qui s'écroulèrent, sur le néant de la vie ("La minute présente seule nous appartient ; la minute suivante appartient à Dieu") et des ambitions vaniteuses ("Chacun de nous veut laisser sa trace sur cette terre ; eh oui ! Chaque mouche a son ombre !") et c'est agaçant à la fin car c'est bien lui qui toujours a tenu à se faire remarquer. 
        Les dernières lignes de ce monument littéraire, qui nous attrape tous au lasso par son style, méritent d'être apprises pas cœur, non pour avoir une mention au bac, mais par plaisir :
    (inclure)
        Il désira se faire inhumer sur l'îlot du Grand Bé, au large de St-Malo, inaccessible à marée haute, et face à la mer, anonyme . "Ici repose un écrivain français" – Ce ne serait pas Sartre ?" lança l'un de nos érudits bacheliers (antiphrase...) - eh non, bourricot, c'est Sartre qui a pissé sur la tombe anonyme de Chateaubriand. A présent il n'est plus rien. Ni lui ni Sartre. Et nous verrons encore beaucoup de massacres. Jamais nul ne chanta la mort que feu François-René de Chateaubriand. 
    CHRYSANTHEMES
    Rien que vous ne sachiez déjà en parcourant vos magazines : le chrysanthème, ou"fleur d'or", est la dernière à fleurir, au moment de l'été indien qui survient au début de novembre, jusqu'à celui de la Saint-Martin – jour de l'Armistice. Les journaleux sont intarissables sur les "inaugurations de chrysanthèmes" auxquelles sont supposés se livrer les politiciens inactifs, or, ces fleurs des morts ne valent pas la peine d'être inaugurés, présentant une résistance relativement faible. Ugolin cultive des fleurs, il en vend à tous les instants de l'année ; il oublie le jour des morts, pour dissimuler son aisance matérielle. Mais il s'est suicidé, par amour. 
        La coutume des chrysanthèmes, ou "marguerites des morts", "fleur des veuves", ne remonte qu'au milieu du XIXe siècle – auparavant, surtout de couleur rouge, c'était une déclaration d'amour...  Le chrysanthème actuel des fleuristes regroupe de nombreuses sortes d'hybridations. Et nous apprenons qu'en Australie, ce sont des chrysanthèmes que l'on offre à la Fête des mères. Au Japon, c'est le kikou, la fleur  de la famille impériale depuis le XIIIe siècle : paix, joie, longévité ; on en fait tous les ans une grande exposition, le "Festival du bonheur", qui attire les foules. Un proverbe chinois dit : "Si vous voulez être heureux pour une vie, cultivez des chrysanthèmes". Et attention aux gaffes : en Allemagne, la fleur des morts, c'est le lys... 

    CIMETIERES
    Des lieux de sépultures consacrés collectivement à cet usage remontent à la préhistoire. C'est aux traces de cérémonies funéraires que l'on distingue la présence de restes humains : les humains se font inhumer. Au Moyen Âge, on s'est volontiers regroupé autour d'une tombre de martyr, contenant ses reliques. Le cimetière dit "moderne", regroupé autour d'une église paroisssiale, n'apparaît pas avant le Xe siècle. Ils quittent progressivement les abords d'icelle à partir du XVIIIe siècle ; mais les isolements de cimetières, pour cause d'hygiène, n'ont cessé d'être rappelés, tout au long des siècles par des lois, régulièreement enfreintes, surtout  par les rois... Le dépôt de l'urne à domicile n'est plus autorisé depuis le 19 décembre 2008. 
    Ce mot n'a rien à voir avec le ciment sont seraient faites les pierres tombales (de caementum, "mortier", plus exactement "pierre concassée"), mais avec le mot "lieu de repos" en grec, κ ο ι μ η τ η ́ ρ ι ο ν « lieu où l'on dort » et « lieu où reposent les morts », une espèce de dortoir, donc. En allemand, c'est le Kirchhof, "cour de l'église" ; en Danois, Kierkegaard veut dire "ferme de l'église" ; le cimetière, c'est  kirkegård, prononcé "gôôd" - on peut s'y tromper.  Quel plus beau et plus faux rapprochement avec son Traité du désespoir... 
        • Pour notre pays, il est conseillé de consulter le site "cimetières-de-France.fr". 
    De rares cimetières sont monumentaux. Celui du Père Lachaise est rebattu, inépuisable. La première fois, épouvanté par ce déferlemennt de tombes, qui ondule sauvagement d'un horizon à l'autre, et dans les quatre dimensions, j'en suis sorti en courant, sous l'œil effaré des gardiens. Plus tard j'ai repéré la tombe de Proust, Marcel, dissimulé comme un œillet dans la mousse. Le Cimitero monumentale di Staglieno à Gênes,  célébré par Mark Twain et par Hemingway, trône sur les hauteurs, au bout de la Via Bobbio. Aussi dit-on volontiers, "Où il y a Gênes, il n'y a pas de plaisir". Il expose un extraordinaire ensemble de sépultures sculptés - parfois donc les amateurs de Riviera éprouvent l'impérieux besoin de se confronter au Grand Calme. Le plus grand d'Europe n'est pas, contrairement à ce que murmure un personnage de Ceux qui m'aiment prendront le train, celui de Louyat à Limoges ("C'est loin, loin !" me disait une viei tout au long de siècles lle dame - dans l'espace, en effet... juste dans ton dos...)  -  mais une fois de plus l'incontournable Père-Lachaise. D'innombrables ouvages illustrés sont consacrés à ces lieux sacrés. J'ai perdu sans retour celui que m'a offert ma fille, sur les cimetières de France, département par département. 
        Les cimetières sont souvent au bout d'une Rue de l'égalité : il en est ainsi à Lourdes, ce qui est le comble de l'humour, et à Champagnole (Jura), qui se vit retoquer une Impasse Budgétaire par la Préfecture du Jura, laquelle manquait d'humour. Le cimetière de Sète contient le caveau de famille des Brassens, qui révérence parlée  est plein comme un œuf. J'y ai perdu mon portefeuille en 94. Georges, sacré farceur. D'autres cimetières sont crasseux d'anonymat. Il en est de parfaitement combles, accablés d'un grand entassement de tombes mesquines. Pas une qui rachète l'autre. Celui de Jarnac contient Mitterand : mais à quel étage ? Les noms se pressent sur les plaques avant, mais nul ne peut dire avec précision où repose, dessus ou dessous, le grand président.
        Le musée contenant les divers cadeaux qu'il reçut lors de ses nombreux déplacements fut transféré à la salle des donations, rue de l'Orangerie.  
        Mes chers amis, quand  je mourrai,
        Plantez un saule au cimetière.
        Hélas, le terrain se prête mal aux saules ; Colette, voisine de Musset, en est fort dépourvue. Aussi replante-t-on le saule, régulièrement, désespérément, tout neuf. 
        Le cimetière est un sujet inépuisable. Il faillit même devenir le seul objet de cet ouvrage. Deux versions circulèrent : "La mort, c'est trop vaste ; bornons-nos aux cimetières" ; "Vous voulez traiter "les cimetières" ? "les cimetières", "la mort", c'est un peu la même chose, non ? disons "la mort"..." - cher ami, sachez donc ce que vous dites, et ne changez pas vos propos les plus anodins en fonction de vos interlocuteurs. J'ai encore rêvé de vous l'autre nuit. Vous m'extorquiez des chèques dans une gare, au milieu de la foule. C'est aussi une métaphore de la vie. 
    CIMETIERES D'ANIMAUX
        Les animaux ont droit à tout notre respect. On ne jette pas son chien ni son chat n'importe où. Il est à noter que les vaches ou les éléphants n'ont point droit dans  nos contrées à des rites funéraires (les éléphants se retrouvent dans les lieux où leurs capacités, diminuées par l'âge, ne leur permettent pas de survivre ; c'est pourquoi on  les retrouve morts à peu près dans les mêmes endroits, car ils se sont d'eux-mêmes exclus du groupe). Les crocodiles et les chats bénéficiaient des mêmes rites d'embauMEments, monsieur Soulages. De nos jours, les dates de naissance et de mort, dans les cimetières de chats et de chiens, sont très proches : ils meurent avec notre enfance. "Je te ferai le temps d'un chien ou d'un chat", disait un vieil amant à sa maîtresse : Cavanna, Reggiani ? un Rital en tout cas ("comment peut-il encor lui plaire").
        Le cimetière d'animaux doit être excellemment entretenus. En effet, ils n'ont pas mérité la mort. Nous, si. A quelque âge que ce soit, car nous sommes maudits par le péché originel. Même l'enfant mort eût été capable, un jour ou l'autre, des pires forfaits ; les animaux, eux, même les crocrodiles, sont innocents. Ils n'ont rien fait. Ils sont l'expression la plus directe de l'étincelle vitale universelle. ; ce n'est donc pas la mort de l'enfant qui est un scandale, au sens métaphysique du texte, mais bien celle de l'animal. De même n'avons-nous pas le droit de blâmer les immenses sommes prodiguées par certains pour les tombes de leurs bêtes bien-aimées. Car nous ignorons la profondeur du lien qui unissait le maître à sa bête. Nous ne devons pas nous moquer des mémères à chienchiens. Les rires provoqués par la douleur de la concierge dans Rhinocéros d'Ionesco ("Mon chat ! mon chat !") sont une infamie. 
        En effet les animaux, sauf pour se manger, ne se tuent pas d'espèce à espèce. On a vu des chattes adopter des petits chiens, et se lier de camaraderie avec des vaches ; un hippopotame et une tortue faire bon ménage. Un chien tirer son congénère écrasé de la route, en le prenant de ses deux pattes avant, marchant sur ses deux pattes arrière à travers l'autoroute en dépit du danger. Un autre envoyer de l'eau de flaque, à grands coups de museau, sur les corps palpitant d'agonie de ses frères les poissons à même le quai ? Les animaux valent mieux que les hommes. Ma femme me trahit. Mon chien ne me trahira pas. Pourquoi dans ce cas le deuil de l'animal dure-t-il si peu longtemps, quelle que soit la vivacité de la douleur que l'on éprouve sur le moment ?
         S'agit-il d'une solidarité d'espèce, impliquant malgré tout, par l'instinct humain que nous voyons à l'œuvre, un sentiment de supériorité? qu'elle nous soit ou non accordée par la Bible, ce qui ne règle rien. Jamais jen'ai pardonné à mes parents le meurtre de mon chien, fusillé loin de moi pour avoir  boulotté des poules. Le plus célèbre cimetière d'animaux de compagnie est celui d'Asnières, à l'origine "Cimetière pour aux chiens", sans en exclure les chats et autres animaux de compagnie. Il aurait été le premier cimetière pour animaux créé dans le monde occidental, en 1899, dans une "île des Ravageurs" désormais soudée au rivage. La ville d'Asnières, après en avoir inscrit le site au patrimoine artistique national,  en assure la gestion depuis février 1997. Au 4, Pont de Clichy, son seuil est gardé, depuis 1900, par le saint-bernard Barry. Rintintin y possède, lui aussi, sa tombe. On grouve aussi dans ce cimetière, entre autres, des tombes d'oiseaux et de lapins. Mais aussi des chats, bien vivants, pensionnaires de leur propre maison où les employés assurent leur confort en ce bas-monde ! 
        D'autres cimetières animaliers se trouvent en province : à Villars (Loire), La Roche sur Yon, Garnat-sur-Engièvre (Allier). Celui de Villepinte, en région parisienne, est également dédié "A tous ceux que nous avons aimés et qui nous ont quittés". Le "cimetière d'animaux d'agrément" de Cagnes-sur-Mer attire également notre attention. Nous ne saurions les citer tous : par exemple, le Cimetière Fidèles compagnons à 83500 LA SEYNE SUR MER Il existe désormais non seulement des assurances obsèques pour animaux, et des instituts d'incinération, mais aussi, sur internet, un "cimetière virtuel", où chacun, gratuitement, peut rassembler les photos de son animal familier, car notre époque est extraordinaire. 
    CONFRERIES MORTUAIRES
    La femme donne la vie, car nous naissons par l'abîme, avant de retourner à l'abîme. Parfois seuls des hommes, avec le plus grand respect, dégagés de ces correspondances mystérieuses et terrifiantes,  veillent sur les inhumations. Ailleurs, on estimera que c'est au contraire aux femmes, qui aident à naître, d'aider aussi à mourir, telle cette mère qui tint par la main son enfant agonisant et lui indiqua jusqu'au bout comment régler son souffle et se décontracter afin de mourir le plus sereinement possible, ce qui est d'un héroïsme absolu. Nous survolerons comme une ombre ces diverses confréries des deux sexes, rarement mixtes, d'origines historiques très diverses. Des confréries de charité sont mentionnées chez les juifs, dès le contexte biblique et kabbalistique : la vie éternelle y est appelée "faisceau des vivants". Il faut que le corps soit bien vêtu poour entrer au Paradis, car "le mort sortira du tombeau tel qu'il y est entré". Dès le Moyen Âge d'autre part, les juifs possèdent leurs cimetières spécifiques, dans l'espérance de la Vie Eternelle, le Tseror Ha-Haïm. Il est à noter que les premières confréries de solidarités antiques avaient pour objet non point tant de pourvoir aux frais de maladie ou de chômage de leurs membres, mais avant tout aux frais de cérémonies funèbres : on cotisait collectivement pour avoir un bel enterrement. 
        
        Notre première exploration du dictionnaire nous mène aux "confréries de charité" en Normandie (en particulier dans le Pays d'Auge), pieuses mais laïques, remontant disent-elles au XIe siècle, mais dont les premiers statuts matériellement consultables datent du XIIIe. Ces confréries ont existé ausi en Champagne et dans le Massif Central. Ce sont des confréries d'hommes, dont les mœurs doivent être irréprochables. Elles proposent au cours des siècles des rites évolutifs. Elles remontent à la Grande Peste de 1348, où les morts étaient si nombreux qu'on avait peine à les enterrer tous, et même peur de les approcher ; il s'agissait donc de prescriptions minutieuses, non point prophylactique, mais liturgiques : les rites tenant lieu de thérapie. 
        Les confréries sont donc dirigées par le maître ou l'échevin, souvent assistés d'un prévôt. Tout est minutieusement prévu, jusqu'à la position du cercueil au-dessus de la fosse avant inhumation et à  l'ordre des coups de bêche. Les frères, ou "charitons", portent un chaperon, qui est une large étole agrafée sur l'épaule gauche ; il en est de plusieurs classes., car l'inégalité sociale subsiste jusque dans la mort. D'abord on va chercher le mort chez lui avec des porteurs de clochettes et de torches. Plus tard, on se contentera de l'accueillir à l'église. L'évêque a autorité sur ces confréries comme  le stipulent les actes de fondation. Puis (après une brève disparition de 1792 à 1801), les règlements deviennent essentiellement punitifs, afin d'éviter que les membres desdites confréries ne s'imbibent tant soit peu, vu la pénibilité de leurs fonctions ; les amendes pleuvent.     L'une d'elle punit quiconque, sans avoir ôté son chaperon, se permettrait de satisfaire un besoin naturel... Les deux guerres mondiales ont eu le plus souvent raison de ces survivances, qui ne se bornaient d'ailleurs pas aux morts, mais aussi, en ces temps où le rôle de l'Etat était moindre en ce domaine, et même si les cotisants restent prioritaires, aux malades, infirmes  et nécessiteux, sans oublier les "pauvres femmes gisantes", autrement dit en couches : ainsi se trouvaient reliées les deux détresses, celle de fin de la vie, celle d'entrée dans la vie. 
        Les prêtres contemporains ont souvent d'autre part dédaigné les coutumes locales, estimant qu'il est nécessaire qu'un même rite unisse les tenants d'une seule religion, de même qu'avant eux les républicains avaient affaibli les coutumes et les langues locales. 

    CONSCIENCE
        Peu importe – finalement - de mourir. Ce qui compte, c'est de maintenir ou non la conscience individuelle, la connaissance de soi. Il ne nous console nullement de participer à Dieu sait quelle conscience universelle, à moins de considérer l'Univers comme une vaste conscience. La Science, rabat-joie,  nous serine qu'à l'électroencéphalogramme plat correspond une activité cérébrale nulle. De fait, les Egyptiens détruisaient le cerveau avant d'embaumer leurs morts. Mais des machines, si sophistiquées soient-elles, ou la tringle de fer qui brisait les membranes internes de l'encéphale avant son évacuation par les narines, ne s'attaquent finalement qu'au matériel, au concret, au palpable. Nous maintenons l'espoir absurde et grandiose qu'il restera de nous une conscience individuelle : Platon, Balzac, Bismarck, ne se rendraient donc plus compte du tout des grands hommes qu'ils furent de leur vivant? Ni vous, ni moi ? Immensité du scandale : "De pareils cercueils démontrent l'immortalité" proclamait Hugo devant la dépouille de Balzac, "et l'on se dit qu'il est impossible que ceux qui ont été des génies pendant leur vie ne soient pas des âmes après leur mort." Jusqu'ici cependant, nos indices se bornent à réanimations après crise cardiaque : ce ne sont donc pas des preuves. 
        Nul n'ignore plus désormais, après le phénomène de "décorporation" (corps astral) ce fameux tunnel qui pourrait n'être qu'un réflexe de la rétine privée d'oxygène (phénomène d'anoxie) – décevante  platitude !- au bout duquel nous attendraient une lumière blanche et certains  êtres lumineux.  Mais le cerveau continuerait de fonctionner (il ne s'agit donc plus d' "hallucinations" comme le pensaient naguère encore les rationalistes) 30 à 40s. après l'arrêt cardiaque. Tout dépend d'ailleurs de ce que nous entendons par conscience, qui serait alors résiduelle. Noter que l'"expérience de mort imminente" s'observe plutôt chez les personnes jeunes, et n'intervient  pas plus chez les croyants que chez les athées. 
        Il faut donc nous tourner vers des traditions moins laïques, moins "cartésiennes" (que n'a-t-on pas fait dire à Descartes !) Elles affirment que la mort serait un évènement agréable, l'accession au monde de l' "au-delà", où survivent déjà nos anciennes amitiés ou amours décédées.  Ensuite, libre cours à notre imagination, à notre immense et pathétique folie : nous avons imaginé, avec un grand luxe de détails, toute une vie d'après la mort où les âmes, les anges, les saints, les fantômes et toutes les créatures forgées par les spirites et ses médiums se côtoient tant bien que mal dans une fiction luxuriante. 
        Le bouddhisme tibétain, la tradition égyptienne, Platon dans le Phédon (il est de la nature de l'âme d'être immortelle, indestructible, incorruptible, bel exemple de tautologie) - et tant d'autres  témoignages, rivalisent de représentations à ce sujet, allant même, avec Pythagore et les hindous, jusqu'à supposer un nombre élevé de vies passées et à venir, en rapport avec ce que nous pourrions appeler notre "karma" ; ces migrations constituent le "samsara" : "Ce que vous serez dans le futur est le résultat de ce que vous faites maintenant, dit le Bouddha. Je serai donc à ce compte, au moins ! de l'Académie française. 
    Les scientifiques dissidents ou audacieux tentent d'accréditer la survivance, au moins quelque temps, de notre individualité autour de nos lits de morts, de nos cercueils ou de nos demeures. D'autres estiment que le temps et l'espace ne sont que des illusions, et que nous pourrions, après notre mort, migrer vers un des autres innombrables univers coexistants à celui ci : l'ensemble des univers serait le multivers.     
    CORDONS DU POELE EN CORREZE
        Touristes en Corrèze, nous dûmes attendre sur le bas-côté le passage d'un convoi funèbre particulier : devant lui marchaient deux hommes en grande tenue de deuil, déployant un grand drap carré brocardé de blanc, tandis que le char funèbre, surmonté d'un léger catafalque, suivait dans la solennité. Il nous avait semblé que ce voile, "pallium", devait plutôt s'étendre sur le ciel de catafalque, tel un plafond de lit ancien. La chose appartenait aux années 70. "Palla" donna "poêle", sans aucun rapport avec l'ustensile de cuisine. Il s'apparente au voile de Salammbô, ou, bien avant, de la prise de Troie. J'ignore combien de temps encore la mémoire m'accompagnera. Eloignez de moi ce calice. Tout ce que je dis est prophétie. L'instrument culinaire provient, lui, de "patella", "le petit plat". 
        Les meilleurs amis, ceux aussi qui recherchent les honneurs, se disputent celui de tenir "les cordons du poêle". Le drap funéraire ne recouvre pas d'abord le catafalque, mais bien le cercueil lui-même. Il exprime donc un contact direct avec l'esprit, l'essence du mort, comme les tefillim concentrent le magnétisme de D.ieu. Les cordons se situaient aux quatre coins, mais aussi sur tout le long du voile.  Nous pouvons aussi marcher le long du cercueil, ou juste derrière, dès que les employés l'ont déposé, et que le véhicule roule. 

    COSMETOLOGIE
    La toilette mortuaire se ait sur les lieux mêmes du décès, afin de conserver l'aspect présentable du corps, qui lui conservera sa dignité et permettra de faire son deuil proprement. L'on va même jusqu'à suturer la bouche. Pour cela, les employés des pompes funèbres ne suffisent pas. Il faut un thanatopractor dûment habilité. 
    Ensuite interviennent les soins non plus mortuaires mais funéraires. Voici une liste non exhaustive de produits naturellement spécifiques, ne s'employant que sur des corps décédés. 
        • Crèmes teintes (27) (il existe un nuancier pour ces fards post mortem)
        • Fards à paupières (12) 
        • Correcteurs de teint  
        • Vaporisateurs de teint 
        • Crèmes lèvres (10) 
        • Crayons à maquillage (11) 
        • Poudres de finition 
        • Cires de modelage 
        • Crèmes 
        • Proadhésif 
        • Dissolvant cosmétique 
        • Fixateur de finition 
        • Brosses, pinceaux, accessoires (28) (pour fond de teint, lèvres, et blush)
        • Flacons vides 
        • Mallettes cosmétiques
        • Enfin, last but not least, des clous, pour les perruques. 
    Il faut pour maquiller les morts un à deux ans d'études, comprenant des conférences
    sur la psychologie des endeuillés, et sur les soins d'embauMEment. Sur la chimie. Sur les muscles du visage. La coiffure sera la même que celle de la personne de son vivant. 

    CREMATION 
        "Tu es poussière, et tu retourneras en poussière" – mais de terre, ou de cendres ? 
    bien distinguer à ce sujet la crémation, où quelques ossements ou objets peuvent subsister, de l'incinération, où les cendres soigneusement purifiées reposeront dans une urne), 
        Je suis personnellement tout à fait opposé à toute forme d'incinération. Elle ne correspond à rien dans notre civilisation actuelle. Il s'agit non pas en occident d'une vague adhésion aux convictions bouddhistes ou hindouistes de purification, ni d'une dissociation du corps, sale, et de l'âme, dégagée de toute souillure : ces deux métaphysiques n'ont plus cours, ne signifient plus rien pour le contemporain pressé. Mais on se débarrasse des morts. On désencombre les cimetières. On économise sur les frais de funérailles : le taux des crémations approcherait désormais 30% des décès en France (deux fois plus qu'il y a dix ans) – et 90% en Suisse... Et pour les esprits rétrogrades, les décès seraient suivis de déchets, d'ordures à incinérer. C'est en vain que les candidats à l'incinération prennent des airs entendus et spirituels pour affirmer le peu que c'est de leur corps, et la hauteur de vue spirituelle qui les anime. 
        Proposez-leur donc, juste pour voir, de les dissoudre dans l'acide, de léguer leur précieuse dépouille à la science, ou de les découper sur des plateaux tibétains que survolent des vautours. Vous pouvez aussi parler du concasseur utilement compléter par la moulinette : vous les verrez s'assombrir et faire de laides grimaces. Pourtant, ces procédés permettent aussi l'élimination du cadavre, et garantissent le respect de l'hygiène. Eh bien non. La crémation se révèle alors comme ce qu'elle est  réellement : une agression, un outrage à cadavre, une profanation. C'est à ce titre que sont poursuivis les violeurs de sépulture. Il serait donc interdit, sous peine d'amendes pouvant dépasser les 75 000 euros, de tracer des zobs ou des croix gammées (c'est tout un ) sur une tombe, de 
    déterrer un mort sans autorisation préfectorale, de dégrader une sépulture, de la vandaliser, de la violer (noter la violence expressive des termes),   et il serait loisible, légal, recommandé, de s'attaquer à des corps par une température de 850, voire 1000° ? ...de broyer les os résiduels "pour en faire une poudre fine" (décret paru en 1976) ? ...certains trafics de dents en or ont été révélés... 
        •     La cérémonie fut longtemps d'un réalisme atroce. On n'entendait pas comme aux Indes le crâne éclater, mais un ronflement ignoble, infernal et terrifiant vous informait que le corps de votre bien-aimé se trouvait cerné par les flammes et se consumait (surtout d'ailleurs en raison de la chaleur) à toute vitesse et sans rémission possible.  Je n'ai jamais été invité à de telles cérémonies qu'il faudrait plutôt appeler forfaitures ; je  craignais de n'y pouvoir tenir et de perdre mes nerfs en poussant des cris. Pourtant la famille n'assiste pas à l'introduction du cercueil dans l'appareil de crémation proprement dit, l'accès aux locaux "techniques" étant considéré comme dangereux. On ne détruit pas ainsi le temple de Dieu, même si je n'y crois pas. Il y a pourtant des prêtres qui se sont fait incinérer. Comment pourraient-ils participer à la Résurrection finale ? Mais rien n'est impossible à Dieu... L'instruction ecclésiastique sur la crémation des cadavres,  depuis depuis 1964, tolère la crémation, mais rappelle que  « l’esprit de l’Église est étranger à la crémation » 
        • On n'accélère pas ainsi le cours paisible et sain de la nature : la crémation dure environ 1h30, en fonction de la corpulence du défunt.  60% de notre corps étant de l'eau, elle devient vapeur d'eau... Je préfère de beaucoup le lent retour à la terre et la restitution au cycle vital. Mais à ce compte, nous devrions aussi condamner les caveaux de famille. Il faut que la croyance de la survie soit bien ancrée dans nos esprits rétifs à la disparition totale, en simples petites particules chimiques évanouies dans les airs... 
        •  Nous avons vu qu'il existe une différence théorique entre la crémation, qui se fait aussi bien, aux Indes, en plein air (les rives de Bénarès sont parsemées de bras ou de mains que la crue emportera) et l'incinération, de cinera, les cendres, plus élaborée, plus contrôlée, à l'issue de laquelle vous est remise une urne remplie. Mais à  l'imperfection du brûlage en Inde correspond une véritable conviction métaphysique. L'incinération, si parfaitement hygiéniste qu'elle soit, constitue en occident une opération de nettoyage, un acte de simple voirie municipale, à rapprocher de l'enlèvement des ordures. C'est pourquoi le terme de crémation d'un corps est redevenu préférable.
        • Depuis 2008, on ne peut plus disposer des cendres à sa guise ; toute dispersion doit faire l'objet d'une déclaration à la Préfecture. Elle ne peut s'effectuer à moins de 300m d'un rivage maritime, 3 milles marins si les cendres restent dans leur urne. . Il n'est pas interdit d'envoyer des cendres 
        • par la poste ; mais des précautions très rigoureuses doivent être prises.
    Cependant, le nombre croissant des crémations implique un souci de ne plus s'embarrasser de l'entretien d'une tombe, de partir "propre et léger" (ce qui se discute : la combustion produit entre autres de la dioxyne, du monoxyde de carbone, de l'acide chlorydrique, entre autres ; il est recommandé d'utiliser des cercueils en bois non traités).  
        • En général, le défunt a confié ses dernières volontés ; sinon, le conflit peut aller jusqu'au tribunal d'instance ! L'urne sera placée dans un "columbarium". En cas d'incertitudes de la famille, le crématorium peut la conserver un an au plus ; le défunt garde son "statut de corps". Si personne ne se manifeste, les cendres sont alors dispersées dans un emplacement appelé "Jardin du souvenir". 
        • Mise en valeur des sources, l'art de cuisiner les ingrédients  - prévoir un avant-propos sur le légitime emploi de l'internet. Nous vous épargnons en effet de longues recherches fractionnées, en un concentré adapté, réinterprété, de ce que nous avons pu collecter, dans le format d'un volume maniable. 

        Ne pas oublier qu'il est possible de recevoir très rapidement les devis de pompes funèbres les plus proches de votre domicile, qui font jouer la concurrence. 
        Notre article ne prétend à aucune rigueur informative, et n'est qu'une tentative de vulgarisation :  l'infarctus provient d'un engorgement, d'une farcissure en quelque sorte des artères par le calcaire, qui se détache des parois et forme caillot (la thrombose obture une artère et l'athérome une veine), d'où un manque d'oxygène, appelé "ischémie", entraînant une nécrose des cellules du myocarde ou muscle cardiaque, en général irréversible après quatre heures : il se produit alors une augmentation des enzymes cardiaques. Souvent une intervention rapide permet de s'en tirer sans séquelles : on appelle cela un "infarctus avorté".  
        Si les premier symptômes remontent à plus de douze heures, l'essentiel de l'altération est déjà irréversible, seuls sont évitables les dégâts ultérieurs ou complications. 
        Les signes avant-coureurs ou les symptômes sont tellement variables en nature et en intensité qu'il est parfois difficile de les identifier : transpiration soudaine, douleur thoracique prolongée, ou de la mâchoire jusqu'au bras. Si votre âge, votre tabagisme, votre taux de cholestérol, votre obésité, vos éventuels diabète ou hypertension vous font redouter à plus juste titre une véritable crise cardiaque, mieux vaut les alerter, prendre une aspirine (sauf cas d'allergie) ce qui favorise la fluidité du sang, et rester allongé ou assis en attendant les secours, sans jamais rester seul. Il est évident que la perte soudaine de sensations physiques voire de conscience, surtout pendant une activité physique, nécessite une réaction urgente de votre entourage : massage au centre du thorax, défibrillateur s'il en existe un, électrocardiogramme que seul un personnel spécialisé peut interpréter. 
        Quant à porter toujours sur soi la liste écrite des symptômes, elle semble absolument puérile et même contre-productive : craindre excessivement l'accident revient à favoriser le terrain psychologique où il doit survenir. Ce qui devrait calmer, ou affoler, c'est que la moitié des infarctus  surviennent sans qu'il y ait de facteur de risque préalable... Ils se déclenchent souvent la nuit, ou au repos... La douleur est subite, derrière le sternum, et donne une impression de mort imminente. 
        120 000  infarctus du myocarde par an en France, et 18 000 décès : vous voyez qu'on s'en sort. Mais attention : le grand âge est un facteur aggravant. Quand faut y aller faut y aller. Le chapitre me semble trop vaste pour être poursuivi. Il ne concerne la mort que très indirectement.  
     CROQUE-MORT 
    Aux fossoyeurs au croqu'mort au curé aux chevaux même ils payaient un verre... funérailles d'antan ! - noter la distinction entre "les croque-mort" et "le fossoyeur" - "Brassens, il faut toujours qu'il parle de mort !" répétait ma mère, qu'elle repose en paix à Bergerac. Et l'on disait qu'une bonne morsure au gros orteil permettait de vérifier si le défunt était bien mort. À moins qu'il ne s'agît d'une déformation de "croche-mort", les médiévaux tirant les corps de pesteux au bout de leurs crocs. Mais ce ne sont là que des légendes. Le croque-mort est un personnage familier aux lecteurs des Lucky Luke, avec son teint verdâtre et son mètre pliant.  Les femmes à présent pratiqunet aussi ce métier, ou plus exactement parent les corps préalablement toilettés et désinfectés. Larticle "thanatopraxie" vous renseignera plus précisément. Mais qu'appelait-on, naguère encore, un "croque-mort" ? Celui qui pratique la mise en bière et le transport au cimetière. 

    Le Croque-mort écrit par Petrus Borel en 1840 mériterait d'être cité en entier ; nous n'en livrons ici que de trop courts extraits : " Ses honoraires sont environ de mille francs par an. - Mille francs, me dira-t-on, c’est bien peu ! c’est bientôt bu ! - Cela, hélas ! n’est que trop vrai, mais (...)le croque-mort a tant d’adresse pour appeler sur son front la douce
    rosée du pot-de-vin et du pour-boire, que d’une pierre-ponce il ferait une éponge.
    Quant au croque-mort suppléant, esclave également de ses devoirs comme buveur, il se place sur le même rang pour l’absorption des liquide. Beaucoup blanchissent sous le harnois. L’un d’entre eux compte à cette heure vingt-sept ans de service ; et nous calculions l’autre jour que quarante-neuf mille hommes environ lui avaient déjà passé par les mains !

    Aussitôt que la lumière vient éclairer nos coteaux, le croque-mort salue gaiement l’aurore, crie trois fois gloire à Bacchus, et après de nombreuses salves d’eau-de-vie et maintes libations le long de sa route, pénètre bientôt dans le sein de quelque famille dans l’affliction, où (...), il mesure non pas l’étendue de la perte que la patrie vient de faire, mais la longueur et l’épaisseur du défunt (...) Il faut le voir comme il tire la sonnette avec modestie, - comme il parle à demi-voix, - comme il fait mine de supposer une grande désolation (...) Et tirant ensuite de sa poche un marteau rembourré pour ainsi dire, et des clous de coton, (il) [fixe] doucement le couvercle sans qu’un seul coup résonne et aille retentir dans le coeur des parents qui est censé en train de saigner dans une pièce voisine. (...)

    Ne le perdons pas de vue un seul instant, sa seule profession officielle est de boire. (...) Le croque-mort ressent de très-bonne heure le besoin d’avoir une duègne au logis pour le déshabiller et le mettre au lit quand il rentre.
    (...) Vous attendiez sans doute à quelque peinture sombre et farouche, et point du tout, c’est un pastel rose et frais que je vous trace ! Vous comptiez sur des larmes, et partout sur vos pas vous ne rencontrez que de l’ivresse ! cela vous étonne, et cependant, si l’on y songe un peu, cela est tout simple. La contemplation du néant des grandeurs et des choses humaines portent immanquablement à l’insouciance et à la frivolité. (...) Avant d’être bu, on veut boire. (...)  Ainsi [ces] messieurs (...) sont au contraire de bons et joyeux drilles (...) - et quand le soir, ils nous ont fait mourir de rire, le lendemain ils nous font enterrer (...) Et vous ne pouvez sans doute vous résoudre à croire que le vaudeville et Pompes funèbres soient deux choses si parfaitement liées, qu’elles boivent au même pot et mangent dans la même écuelle (...) 

  • ARTICLES

     

    C O L L I G N O N

    A R T I C L E S

    É D I T I O N S D U T I R O I R

    Semper clausus

    LES ÉGRÉGORES - LE MAÎTRE DU JOUIR

     

    Remarquable contrepied conceptuel dans l'utilisation du matériau théâtral : les Ègrégores, dans Le maître du jouir, représenté pour Sigma en fac de Lettres à Talence, se sont livrés à une démonstration particulièrement convaincante de leur capacité à inverser leur projet scénique.

    Alors que dans Jules César de Shakespeare ils avaient servi avec générosité un texte aussi luxuriant dans sa problématique explicative que dans son foisonnement poétique, La Maison du jouir (c'était celle de Gauguin aux Marquises) met en scène une dramaturgie d'où la phrase et le mot ont été aussi délibérément éliminé que dans le cinéma muet.

    Vêtu d'un improbable costume de marin-explorateur fin de siècle à la Francis Garnier, le protagoniste, rompu à la pratique des arts martiaux, construit dans son espace une relation au corps particuiièrement expressive, dans un effarement permanent. Or cet espace est celui d'une Asie fantasmée, avec ses femmes européennes ou indigènes aux faces resserrées dans des bas de soie remaquillés, son étincelant dragon au corps intérieur hérissé de perches, ses béquillards clopinant qui défilent devant la providentielle pharmacie de campagne de l'Homme Blanc – ses marionnettes géantes ou phalliques.

    Qu'il s'agisse ou non de Victor Segalen importe peu, dans la mesure où nous autres Longs-Nez reconnaissons nos fascinations pour l'incompréhensible Asie, nos attirantes frayeurs : l'Asie est une femme qui s'offre et se refuse, une pelote griffue qui s'agrippe et qu'on viole, entre fumerie d'opium et cimetière au sol trop vert, trop fluo, et ineffablement spongieux.

    Nous assistons de l'intérieur, de notre intérieur, au déploiement inévitable et envahissant de notre quincaillerie sexuelle occidentale, sans pouvoir échapper à nos délicieuses terreurs, hétéro- ou homosexuelles, imbibés que nous sommes par les délices du pays de Chine tout autant que pollueurs par le fait même de nos imaginaires projetés comme un venin délétère.

    Ce qui constitue l'originalité de ce spectacle consiste en un remarquable travail d'expression corporelle, à un niveau qui s'apparente à la chorégraphie : ce que l'on appelle "construire un masque", ou une "figure" : chacun maîtrise un répertoire à la fois précis et variable à l 'infini à partir de schémas soigneusement caractérisés.

    Utilisation parfaitement pertinente aussi dans le décor des couleurs flashantes – enfin omniprésence inséparable, consusbstantielle, d'une bande musicale et parlée transportant l'auditeur dans une Asie refantasmée jusque par l'oreille – La maison du jouir présentée par la troupe des Égrégores a su démontrer dans l'irrévérencieuse continuité de son inspiration la capacité de surprendre et de captiver un auditoire, qui exprima in fine sa très vive reconnaissance.

    HARDT VANDEKEEN PARA-CONSPUATION 2043

    Conspuation : beau titre. L'hiatus en [üa] figure si bien le mouvement des lèvres pouor "sputer", pour mollarder, que l'on se prend à regretter la bonne vieille langue des huées : "Cons-puez Tar-dieu ! Cons-puez Tar-dieu !" - dans Les Thibault, je suppose ?

    Beau titre. Mais ensu-ite, bien des choses se gâtent ou s'approfondissent. Les maux sont bien vus, les causes à mon sens mal dégagées.

    Qu'il soit bien vrai que la littérature se meure est à démontrer : la chose se dit depuis qu'il y a des littératures, et Voltaire et Goncourt s'en sont plaints à leur tour et à leur époque ; cependant j'y inclinerais davantage, considérant l'abandon de la lecture, qui n'est pas, comme les commentateurs en chipotent, un phénomène de mode, mais de masse, et sans qu'il soir besoin d'attendre sur x décennies les données de Dieu sait quelle extrapolation statisticienne...

    Rappelont tout de même que Diderot tirait à 700 exemplaires dans un pays d'illettrés... Moi aussi j'ai crue morte la littérature, tant que je n'étais pas publié ; à présent que je le suis, elle me semble se porter beaucoup mieux. Quoique...

    Le fléchissement des mœurs littéraires (et non de la quantité des publications) semble procéder, comme dit Christophe Manon, d'un excès de commentaires ; la littérature étouffe sous la glose. Mais il ne s'agit là que d'un phénomène universitaire ! Quel texte n'a pas été, dès l'origine, glosé ? J'aimerais bien qu'on me glosât... Tout crève plutôt de ce que le critique est aussi, pour sa part, un littérateur – ce qui ne serait encore que moindre mal, si ne venait se greffer là-dessus un jeu de renvois d'ascenseurs...

    Ce qui semble bien plus grave, déjà relevé par Loyen dans La littérature latine tardive, c'est que désormais des professeurs écrivent pour des étudiants et vice-versa, reconstituant le cercle infernal non seulement de la basse latinité, mais de toute la littérature en latin du Moyen Âge. Nous sommes un futur Moyen Âge. Ne l'oublions jamais.

    Le drame est que le peuple, par essence, ne saurait s'intéresser à la littérature. Et qu'il n'existe pas de bon vieux temps – sauf peut-être dans l'Athènes classique. Que celui qui a des yeux, lise, et après nous le Déluge.

    Qu'il nous soit permis pour finir de soigneusement distinguer, chez BHL et chez Sollers, ce qui ressortit au masque médiatique et ce qui relève de la littérature. Que BHL fasse le clown à Sarajevo n'enlève rien à l'excellence de son style oral – Les derniers jours de Baudelaire, sauf le chapitre trois, où la patte du nègre est bien visible, forme un pénible contraste avec les embrouillaminis de je

    HARDT VANDEKEEN PARA-CONSPUATION 2043 4

     

     

     

     

    ne sais quoi "à visage humain" et de la Défense des intellectuels. Bizarre, non ? Même observation chez Sollers, bien qu'il crache dans la soupe, c'est-à-dire sur les femmes – quelle platitude... Il n'aurait plus manqué que Duras, pour parfaire la trilogie des Cibles Obligées. Mais ces trois-là ôtés, qui reste-t-il ?

    Car s'il fallait vraiment taper sur les masques médiatiques de Breton, de Sartre ou de Malraux,une bibliothèque n'y suffirait pas...

    C'est tout pour aujourd'hui, Manon, Yann Houry, mais nous aurions tant de choses à nous dire... Poursuivons au marteau-piqueur, pas toujours au même endroit, mais hardi, bicepsons, bicepsons...

    ÉCRIRE ET ÉDITER Février-Mars 2049 LE SINGE VERT , BRÛLE LES PLANCHES 5

     

    Monsieur Grybouxe,

    Vous me demandez à quel titre vous recevez le Singe vert. Air connu. Je pourrais vous répondre que c'est comme ça, publicitaire. Mais ici vous êtes personnellement visé, mon cher. Vous êtes en effet auteur dramatique. Et franchement, regardez-moi bien dans les yeux, sans rougir : vous ne vous sentez pas un peu, un tantinet gêné, juste un peu à peine, de lire parmi la foule en délire la belle banderole du Théâtre Bordel, l'affiche de la saison de l'année ?

     

    * * *

     

    "Euripide, Claudel, Grybouxe- Corneille et Beckett" ? Ça ne vous choque pas quelque part ? Vous pouvez toujours mettre un pied devant l'autre, avec vos chevilles enflées jusqu'aux couilles ? "M.Grybouxe, hauteur dramatique". Moi non plus, certes ! , je ne me prends pas pour de la Scheiße, mais franchement, là j'aurais ressenti comme une insulte. Qui pourrait penser que je m'estimasse suffisamment niais, sufisamment retors, suffisamment pucelle, pour tolérer que mon nom figurât LÀ, en si prestigieuse compagnie ? Ou alors (car j'ai ma bonne dose d'hypocrisie moi aussi) en petits caractères en bas à droite, pour que ça se détache mieux, que ça fasse bien ressortir mon ignominie minuscule ?

    Et que ça se permet en plus de faire une petite conférence modestissime sur "Grybouxe réunira ses amis et ceux qui l'apprécient sans le connaître, son œuvre et son – attention ne pétez pas s'il vous plaît – son UNIVERS ? Et moi alors, je n'en ai pas un non plus peut-être d'Univers avec mes 30 volumes dans le placard ? Et ça laisse répandre sur son nom qu'"il est la modestie et la gentillesse incarnées " ? Et cet autre qui laisse imprimer dans sa préface qu'il est modeste ? Mais j'ai

    le sens du ridicule Môssieu, j'ai la dignité de mon ridicule, moi, et si quelque thuriféraire poisseux venait à préfacer Mon Œuvre en faisant allusion à ma modestie, je l'attaquerais en diffamation (si j'avais le pognon) mais je ne tolérerais pas qu'un ami me foute le pavé de l'ours à la gueule ( - C'est quoi, le pavé de l'ours ? - Ta gueule, va faire du rap).

    Et que je t'intrigue dans le torchon local, et que je te dégomme une interview dans Bordel-Chieronde, et que cet autre encore fasse sa conférence (encore) sur le thème de l'exclusion et de l'exil, parce que le mot exclusion figure à la page 44 et que tout écrivain vit métaphoriquement en exil... Je vous le répète, il n'y a que les intrigants, que dis-je, les adaptés en société, les gens

    normaux, les gens comme tout le monde qui se font éditer et connaître. Il vendraient des frites ou des capotes en argile (en glaise, waf waf !) que ce serait idem.

     

    ÉCRIRE ET ÉDITER Février-Mars 2049 LE SINGE VERT , BRÛLE LES PLANCHES 6

     

     

     

    * * *

     

    Mort aux faibles, on vous dit. Bien sûr que j'aimerais aussi faire des ronds de jambe sans me casser la gueule, ou bien simplement civilisé en Société, le beurre et l'argent du beurre, mais la logique je l'emmerde, dès que je l'ouvre c'est pour dire une connerie, on me l'dit depuis tout petit ! (remarquez, certains ont l'air con sans même ouvrir la bouche...).

    Marius, le grand général romain ( - C'est qui, ce con ? - Ta gueule, va faire du reggae) n'ayant pu se faire accepter par la noblesse se tourna vers le côté populaire. Le Singe Vert pareil. Putain tu viens encore de fausser la glace...

     

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Août – Septembre 2049 LE SINGE VERT ET LE BON DIEU PASSE 7

     

     

     

    Pour faire une bonne dame patronesse... chantait Jacques Brel. Et pour faire un bon écrivain à succès, que faut-il ? Caleçon les bons ingrédients ? Je vais vous le dire : il faut être Dieu. Carrément, c'est-à-dire comme chacun sait (il me le disait encore l'autre jour) le point d'intersection où les contraires se résolvent, s'annulent.

    Tout à la fois être superbon et superdégueulasse. Non pas travailler avec acharnement dans son coin, comme essayent de nous le faire croire tous ceux qui veulent engluer les éternels puceaux que nous sommes – "Dix conseils pour éditer", c'est de qui cette rubrique à la con ? Ni "avoir de la chance", ce qui est une explication de mes couilles (le Singe Vert, c'est comme Bigard : c'est pas drôle mais le seul procédé comique consiste à se demander quand est-ce qu'il va enfin lâcher ses couilles ; à ce moment-là toutes les mémés rigolent et c'est parti) du style pourquoi le pavot fait-il dormir – parce qu'il a une vertu dormitive... voilà ce qu'on enseignait en faculté au Moyen Âge, lecteur : la vertu dormitive du pavot – beau titre, d'ailleurs...

     

    X

     

    Non. Il faut pour réussir aimer les gens, passionnément, se fendre en épanchements (ça c'est du Joseph Prudhomme), larmoyer sur l'extraordinaire nature humaine, aimer la vie, les femmes, les cacahuètes et remercier Dieu tous les jours d'exister, le cœur sur la main et la main dans le portefeuille. Et puis constituer autour de soi une petite camarilla. Dire toujours du bien de soi, comme le conseillait Marcel Achard, parce qu'après ça vous revient et qu'on ne sait plus de qui c'est parti.

    Et un petit peu de La Bruyère tant qu'on y est : "Le talent, la vertu, le mérite ? Bah ! soyez d'une coterie." On peut la fabriquer soi-même avec plusieurs spécialistes d'ascenseur. Signature à Paris (le pied-à-terre à Paris est ri-gou-reu-se-ment indispensable) : Oh bonjour Michtroume, comment ça boume ? J'ai lu ta fable, c'est formidable ! Salut Dubreuil, j'ai lu ton recueil, c'est formideuil ! Ave Troudük, j'au lu ton truc, c'est majuscule ! - à grand renfort de moulinets de bras.

    Et par derrière, mon vieux, il faut coucher utile, politiquer utile, se faire des relations utiles ET sincères, perversion suprême exactement semblable à celle des putes qui se mélangent tellement les pinceaux, les pauvres, qu'elles s'imaginent être aimées à proportion de l'argent qu'elles reçoivent...

    Et balancer impitoyablement les gêneurs, les anciennes connaissances, bien leur faire

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Août – Septembre 2049 LE SINGE VERT ET LE BON DIEU PASSE 8

     

     

     

    comprendre qu'un tel "ne correspond plus à l'esprit de la boîte", mais sans lui dire pourquoi surtout, de sorte qu'il se ronge bien jusqu'à l'os d'autocritique, façon Inquisition, façon Staline : mais qu'est-ce que j'ai bien pu foutre ? Bref, tu dois être un parfait ami de l'homme, à t'embuer lesyeux devant la moindre salade de fruits jolie-jolie-jolie, "une si merveilleuse sensibilité humaine !" et, EN MÊME TEMPS, le plus sincèrement, le plus innocemment, le plus inconsciemment du monde, être le plus parfait des salauds froids.

    C'est pourquoi, en vérité, je vous le dis, pour devenir écrivain (peintre, musicien) à succès, il faut retenir et résoudre à la fois en soi tous les contradictoires, c'est-à-dire être marqué du Signe de Dieu, du Signe Prédestiné de la Gloire de Dieu, ÊTRE Dieu. Sous ce signe tu vaincras. Amen.

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Octobre-Novembre 2049

    LE SINGE VERT POSTULE À L'ACA

     

     

    Je soussigné Singevert, né dans la douleur le 20.10.98 déclare par la présente présenter ma candidature à l'Acadmie Sans-Fraises (avec fraises pour ceux qui les sucrent). D'abord et d'une, je le porte déjà, l'habit vert.

    Ensuite, comme nasillait Hans Dort-Moisson, recevant Madame Marguerite Yourcenar, "nous acceptons par minou une femme, car les règles de l'Académie, comme celles de la grammaire, sont faites pour être violées" - femmes, règles, violées, amis de la vieille galanterie, bonsouaiaiaiaiaire – pas trop dur de ne pas fourcher de la langue, M. le Secrétaire Perpétuel ? surtout sur Yourcenar – bref !

    Eh bien, le Singe Vert hausse son ambition jusqu'aux fonctions de bouffon. L'Acacacadémie française (Godot !) malgré ses appas rances, manque de bouffon. Non pas d'un bouffon métaphorique, ou allégorique, mais d'un véritable bouffon, qui rote qui pète et que rien n'arrête, comme c'est marqué sur la casquette.

     

    À l'heure bénie où Mike Jagger dit Papy Stones, après avoir roulé, rebondi, vessé sur toutes les scènes de London ou d'ailleurs, symbole flamboyant de la contestècheun of the establishment, accepte avec recconnaissance l'anoblissement à lu conféré par Her Gracious Majesty – Lord Mike Jagger ! ; - les Beatles ayant jadis reçu l'ordre de Dieu sait quelle Jarretière ou Bain de la même Queen pouor "services rendus à l'État (ce qui provoqua aussitôt une vague de renvois – de décorations... - de la part de valeureux guerriers qui l'avaient méritée, eux, sur les champs de bataille ) ; sans oublier Sheila et autres valeureux défenseurs de la culture française pourvus de la Légion d'honneur – le Singe Vert, parfaitement, postule.

    Lui aussi lutte vaillamment pour la Défense de la Langue Française, contre ceux qui proposent une "simplification" de la langue; futel ortografic, et qui s'indigneraient qu'on déplaçât la moindre griffure sur un idéogramme chinois. Conseillez donc plutôt à votre nouvelle recrur, M. Chen, d'orthographier son nom à la française, avec un T : Tcheng, comme Djamel, car il n'y a nulle raison pour nous de transcrire les langus à caractères étrangers en suivant, de ce côté-ci de la Manche, cette indigne graphie anglo-saxonne ; et par pitié, rendez-nos édipe, l'ésophage et les édèmes, carà présent nul ne sait plus s'il faut prononcer Cœlio Seulio ou Queulio, pauvre Musset ! puisque Monsieur Teurzieuff lui-même a cédé aus sirènes d'Eueueudipe.

    Et pour en revenir aux règles (confer supra) – ne comptez pas sur moi pour les visites de sollicitation.

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    ÉCRIRE ET ÉDITER FÉVRIER – MARS 2050

    LE SINGE VERT ET LE BORDEAUX AMBIANT

     

    Il était une fois au bord de la Garonne (si c’était le Rhône on dirait au bord de lui, pour la Garonne ce sera le bord d’elle, bref, la scène est à Bordeaux) une succession de hangars vétustes, régulièrement à détruire, delenda sunt hangara. Cela coupait la ville de son fleuve, c’éait moche et ça puait. Tout juste bon à y placer le Salon du livre, qui recevait des invités, Hangar Quatorze très précisément. Une des dernières fois, les écrivains du Maroc (tiens, ils ont des écrivains dans ces pays-là ?) repartirent mortifiés par un accueil plutôt frais voire méprisant, en notre beau Sud-Ouest où le magret s’attirera toujours plus de considération que le Maghreb.

    Et le salon marchait Abel-Caha, de visite de Juppé en alerte à la bombe, jusqu’au jour où un trait deplume décida de sa déportation (du salon) vers les zones paludéennes de Bordeaux-Lac. Pour finalement se faire remplacer par un très judicieux éclatement nommé “Carrefour des littératures”, en plusieurs endroits de la CUB (Communauté Urbaine de Bordeaux, ça fait mieux) mais surtout pas au Hangar Quatorze, promis à l’ignomigneuse destruction par Juppé Quatorze, le Roi Soleil.

    Déjà étaient passés à la trappe le Mai musical (ballet classique, musique classique, opéra classique), qui faisaient le délice des rosières et des rombières, l’un n’empêchant pas l’autre, et Sigma, défunt festival des Contestataires off off aussi institutionnalisé il faut bien le dire que le parti révolutionnaire du même nom au Mexique (j’ai déjà vu un Mexicain, mais jamais un mec si con, c’est de l’incontinence, pardon). Bref ! les dépenses à Bordeaux, c’estle tramway, ou train de vay, comme disait monsieur Fenouillard.

     

     

     

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    ÉCRIRE ET ÉDITER AVRIL-MAI 2050 “LE SINGE VERT FAIT SON NUMÉRO” 9

     

     

     

    Il était une fois une petite revue ridicule, banale et inutile (c’est fou ce qu’on peut encourager les nouveaux talents) qui aurait bien voulu obtenir son ISSN (International Standard Serial Number) comme tout le monde, comme les grandes. Facile, pensa le dirlo-rédac-chef : puisque c’est obligatoire ! Il demanda donc conseil à un directeur de revue, bien connaisseur, bien docte, qui lui dit doctement qu’[il] ne l‘aura[it] jamais,son ISSN, parce que (moue condescendante, air de s’en foutre, suggestion de s’en foutre également pour soi, tout cela a si peu d’importance, les grands hommes vont chier comme tout le monde) la no

    uvelle revue coûtait zéro balle donc valait peau de balle, traitant de conneries sans rapport avec l’actualité – par exemple les Phâmes, l’Enseignement, le Moyen-Orient, thèmes ringards qui comme chacun sait n’ont aucun, mais alors absolument aucun rapport avec ladite actualité – alors que la Khommission d’Hâttribution n’est-ce pas se montrait très, très, très sévère pour accorder ladite immatriculation.

     

    * * * * *

     

    Moi, impressionné, je gambergeais, me disant qu’il était tout de même bizarre qu’un numéro obligatoire fût si difficile à obtenir ; mon interlocuteur m’exhibait donc TRÈS, TRÈS négligemment des papiers TRÈS, TRÈS sérieux, avec une en-tête sur plusieurs lignes bien bien serrées, pour montrer que lui, n’est-ce pas, Directeur d’une Revue Très Sérieuse (DRTS) n’avait pas obtenu son numéro, de telle sorte que moi, avec ma feuille de chou minable (« mais qui veux-tu que ça intéresse, Toi parlant de Toi, ppfff... »), je ne pouvais tout de même pas envisager d’avoir l’immonde toupet de prétendre à une distinction si abracadabrantesquement honorifique.

    Jusqu’à ce que je consultasse l’Excellent ouvrage de Jean-Jacques (pas Rousseau, l’autre) appelé La Revue mode d’emploi, qui m’apprit que le numéro était effectivement attribué au-to-ma-ti-que-ment, quel que fût son tirage, son intérêt et surtout – ah!surtout ! - l’Hinvestissement Phynancier du Kréateur (je suis lourd, mais je vous emmerde). De fait, en écrivant directement à la Bibliothèque Nationale, tedeguenezdéguévoudougoubiendinguin, j’ai obtenu enfin, au n°49, mon ISSN, de haute lutte par retour du courrier, après avoir croupi quatre ans dans l’illégalité la plus ordurière. Comment se fait-ce comme on dit au club ? Eh bien tout simplement parce que mon interlocuteur m’avait parlé de CPPAP rue St-Dominique, me faisant confondre l’un avec l’autre, pour que je ne reçusse pas l’estampillage.

    Nous appellerons cela de la rétention d’information, ni plus ni moins que dans ces entreprises à la mords-moi l’nœud fustigées par *** - au demeurant le meilleur ami du monde, on s’est encore fait une bouffe dernièrement.

    Ce que je ne suis jamais arrivé à savoir, en revanche, c’est la raison pour laquelle Ma revue (tombons le masque) doit obligatoirement fournir 2 (deux) exemplaires à Môssieur le Procureur de la République et 1 (un) à la Préfecture – avec sec rappel à l’ordre si je m’abstiens – tandis que la Revue de l’Autre n’a jamais eu besoin de ça, pfff… Sans doute y a-t-il d’un côté des revues qui savent se débrouiller, et de l’autre les revues qui ne savent pas se débrouiller – du moins sans le Calcre - « tous des cons ». Mais ça fait longtemps que la France est le pays du « deux poids deux mesures ».

    Le Singe Vert, ISSN : 1638-2625, et toc.

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    ÉCRIRE ET ÉDITER JUIN-SEPT. 2003« LE SINGE VERT A SES TÊTES DE TURC » 12

     

     

     

    Traduttore, traditore. Il n’y a pas que les traducteurs pour être des traîtres, comme le dit ce proverbe italien aussi connu qu’intraduisible. Mais aussi les éditeurs (tenez, l’Atelier du Loup, rue du Général Mollard à Luxembourg – bien sûr j’ai tout transformé, eh, pelure!) ici visés en la personne de Mme Vrai-T’as-Faux - « qui se sent morveux qu’il se mouche » (j’adore les vieux proverbes). Vous me direz que les tuiles, je les collectionne. Parfaitement. Tête de con, c’est tout un art, c’est pas tout le monde qui peut se le permettre.

    N’oubliez jamais, éternels blackboulés, que les Aûûûtres, vous savez, ceux dont tous les médias vous disent le plus grand bien – jusqu’à l’excellent Cyrulnik (hélas!) qui vient vendre sa soupe à Tout le monde en parle – les Aûûûtres savent vous jurer leurs grands dieux que vous affabulez. Le parano, c’est toujours vous. Con, baratineur, ridicule… Et aussitôt après, sans s’embarrasser de la contradiction, les Aûûûtres vous avisent que c’est vous (la victime) qui avez tout fait pour que ça arrive, et que franchement, hein, vous avez le plus grand tort de vous plaindre. Mais les Aûûûtres sont des cons. Les éditeurs de textes étrangers en l’occurrence (devise de la môme Vrai-T’as-Faux).

    *

    Bon j’explique. Je confie un texte sur Tchipitoglou Mamatiki (c’est une poétesse turque – eh oui, le Singe Vert, quelque temps résident au bord du Bosphore, a appris le turc). Son nom signifie « confiture dans le vagin », c’est dire le niveau lyrique et loukoum des textes. Je l’ai connue personnellement mais pas bibliquement (y a des limites). Nous échangeâmes six ans (six ans!) de correspondance de retour d’exil (quoique pour moi l’exil fût plutôt de rentrer en France), durant lesquels elle me conseillait sur telle nuance, nous discutions tel sous-entendu, telle ineffable subtilité. Et pas question de traduire « une mer de blé » même de mot à mot, à cause du mot merde si souvent ouï de mes oreilles incrédules place Saint-Sulpice (et en anaphore par-dessus le marché : «Mer de ceci, mer de cela... »).

    Le français est une langue délicate, bande de cuistres sorbonnicoles. Traduire un poème, Grosbœufs, c’est impossible. Ce n’est pas une question de grammerde. Mais de feeling.

    Adonques! J’envoie mon texte. Et, ça vous étonne ? un autre est publié ! Pas pire que moi, mais pas meilleur ! Attends, c’est pas fini ! Je reçois, incroyable mais vrai, un prospectus de lancement ! Avec le prix ! Il faut que je paye l’achat de mon concurrent ! Attends, c’est pas tout ! Avec l’exquise délicatesse qui la caractérise, la Vrai-T’as-Faux m’invite à la petite soirée ! J’espère que tu viendras ! Ben, tu peux te la brosser, ma vieille.

    Tu sais pourquoi tu as publié l’autre ? Parce qu’il porte un costume cravate. Parce qu’il arrive dans les bagages de l’InsTiTuTurk de France. Parce que le monsieur sait téléphoner aux bonnes personnes au bon moment. Parce qu’il ne se laisse pas oublier, lui, il sait maintenir le suivi relationnel. C’est à de semblables expressions que l’on se sent envahi du sentiment sublime d’avoir enfin franchi la Très Sublime Porte de la Khommunication humaine : le « suivi relationnel » !

    J’aime pas les gens. Vous aimez les gens, vous ? « Rats-Porcs-Humains » , franchement…

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Décembre-Janvier 2051 PRÉFÈRE LE SPLEEN À L'IDÉAL 6

     

     

     

    Il n'y a pas (y a-t-il ?) de sottes lectures ? Le cadre professionnel d'une constante remise à jour – la lecture perpétuelle étant à l 'enseignement (mon métier defainéant) ce que la barre est à la danse – m'amène à découvrir un texte de Sartre sur Baudelaire. Un peu tard "dira quelque sage cervelle" (La Fontaine) mais "la chair est triste, hélas ! Et j[e n]'ai [pas] lu tous les livres".

    J'en profite, tirant tous azimuts, pour clore la gueule à ce ponte qui me prédisait les pires remords sur mon lit d'agonie pour ne m'être occupé, ma vie dupont, que du passé, alors que SKISFÈMAINTENANT a tellement plus d'importance...

    Le passé n'est pas mort... Et j'en apprends bien plus sur le monde actuel en relisant mes vieilles bibles sur la Chute du Monde Romain qu'en oyant les dépêches de FoxTV.

    Bref : Sartre sur Baudelaire, ça te concerne encore, et pour toujours, si tu n'es pas dans le casting de Nice People. Sartre, comme d'hab, se gargarise de sa petite philosophie pour classes de terminales selon laquelle chacun de nous est exactement libre et responsable de son destin : "Nous chercherions en vain une circonstance dont [Baudelaire] ne soit pleinement et lucidement responsable."

    Sur l'excellence poétique, pas un mot. D'ailleurs Flaubert lui aussi n'était qu'un sale bourgeois profiteur qui n'a pu écrire ses petites merdes démodées qu'en se faisant entretenir par sa nièce. Ho Mais ! C'est futé, Jean-Paul, c'est de goche, et sans accent circonflexe. C'est toujours le vieil air ranci, des gauchistes les plus besancenotto-puceautiers aux vieux droitiers les plus goitreux : c'est la faute à çui qui se plaint, c'est la faute à la victime. C'est la faute à Bauelaire si sa mère s'est remariée illico, syphilitique, opiomane (pas tant que ça) ; tourmenté, torturé, bafoué par les bourgeois, spleenétique, et traîné dans la boue pour immoralité (la même année que Flaubert, pour sa Bovary ; encore un qui l'avait fait exprès, pour se faire plaindre). Tout fait pour.

    Sa faute onvous dit, entièremetn sa faute ! Si les juifs etc., ils l'ont bien cherché ! Et allez donc ! "Il a (Baudelaire) refusé l'expérience, rien n'est venu du dehors le changer et il n'a rien appris" – vas-y mon pote !

     

    Parce que d'après Sartre et les sartrillons, votre expérience vous forme, tas de cons ! Vous recevez un choc C, vous devez avoir une réaction R, et plus vite que ça ! Ta femme te trompe, donc tu ne l'aimes plus ! Tu te goures, donc tu laisses tomber ! Évident !

    Enfin ! C'est quand même pas sorcier d'être libre ! Gros malin : "[l]a vérité [que] le choix libre de l’homme fait de soi-même s’identifie absolument avec ce qu’on appelle sa destinée” ! Par-dessus bord Œdipe, par-dessus bord, l’ambiguïté, par-dessus bord, l’impuissance, par-dessus bord, la différence des tempéraments ! Il faut réagir, c’est jeune, c’est obligatoire, c’est moderne, c’est tendance.

    Ça ne t’est jamais arrivé d’être paralysé, pauvre péteux, de savoir très exactement ce que tu aurais dû faire. “Je vois où est le bien, et je ne peux pas m’empêcher de faire le mal”, je ne me souviens plus si c’est Diderot qui l’aurait piqué à saint Augustin, le fils de sainte Monique, trois qui la tiennent, pour devenir un homme libre. Devenir Jean-Paul Sartre par exemple, et tout à fait par hasard ! Sartre a donc démasqué ce planqué de Baudelaire ! Alleluiah ! Il a piétiné son cadavre pour le faire entrer dans son petit cercueil à ses petites mesures philosophiques du Havre à lui, dans son lit de Procuste ! - t’occupe, va faire du rap…

    Baudelaire n’a pas su évoluer, ah le con ! Ben, si vous en connaissez beaucoup, des cons comme Baudelaire, vous m’en remettrez une tonne, je suis preneur.

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    ÉCRIRE ET ÉDITER FÉVRIER-MARS 2051 LE SINGE VERT SE BROUILLE L’ÉCOUTE 8

     

     

     

    Pour se promouvoir coco, il ne faut rien négliger : la radio, justement. Tu repères une émission littéraire et tu lui envoies un CD de derrière les fagots, où tu réponds aux questions de ta gentille dadame qu’est ta copine mais que tu vouvoies pour faire sérieux. C’est moi que j’ai recevu le disque, avec le petit laïus introducteur sur « les petits jeunes qu’il faut pousser ». Déjà moi, c’est les vieux que je promeus. Courageux mais pas téméraire, je parle de Molière et du Corps de Roland.

    Imaginons un instant avoir les archives filmées d’un Céline ou d’un Proust interviewés jeunes : mais c’est fini ce temps-là mon pote ! Des Proust et des Céline y en a des paquets, ils encombrent les quais de gare de province. On fait le pari que certains d’entre eux entreront plus tard dans le panthéon des grands écrivains – ce serait dans le pantalon, encore… Mais y en a plus de grands écrivains, et ceux que tu me présentes, plus ils sont raplapla et comme tout le monde, plus ils s’en vantent !

    Et que je te découvre à l’audition une de ces petites paires de prétentieux, tout péteux tout modestes, l’air d’avoir déjà à trente ans passés passé sa courte existence devant les micros, et que je te disserte sur « mon œuvre », et que je m’étale avec énormité : Ma vie ce n’est pas d’écrire ; je mène une vie comme tout le monde, il faut sortir, voir des gens, c’est ça qui l’emporte sur écrire. Cette rage qu’ils ont tous, les homos comme les originaux, d’être à tout pris « comme tout le monde », au cas où la supériorité ferait de l’ombre à Monsieur Dugloupf.

     

    Si c’est pour être comme tout le monde, je ne vois pas la nécessité d’écrire. Attends, autre perle : si je devais souffrir pour écrire, je cesserais d’écrire. Youkaïdi haïdi haïda. C’est aui ces guignols ? Je les ai écoutés tous les deux : parole, ils ont la même voix, les mêmes intonations de premiers de la classe, mêmes protestations de modestie et de conformisme.

    Déjà et d’une ils ont édité chez Galligrasseuil, chez Flammedefion ou chez Juju. Quant tu en es arrivé là, tu peux te reposer, il paraît que non, en tout cas ce n’est pas moi qui vais promouvoir ces intrigants de salon. Tous ceux qui savent vivre, aimer, converser, se trouver à 30 piges un copain cinéaste pour reprendre leurs écrits, je les emmerde.

    Ils aiment leurs éditeurs qui leur dit ce qui correspond à eux-mêmes et ce qui n’y correspond pas, c’est du sous-sartrisme ma parole, les autres vous connaissent mieux que vous-mêmes ; je n’ai jamais pu suivre le quart du huitième du moindre conseil, souple comme un verre de lampe, trop peur de me renier, il faut que ça vienne de moi-même autrement va te faire keuneu, je ne comprends COLLIGNON ARTICLES

    ÉCRIRE ET ÉDITER FÉVRIER-MARS 2051 LE SINGE VERT SE BROUILLE L’ÉCOUTE 9

     

     

     

    pas comment on peut obéir à des injonctions, même amicales, venant d’un éditeur avec une calculette à budget à la place du cervelet.

    Me casser la gueule soit, mais de haut. Et puis je n’aime pas ce qui bouge, ce qui est jeune, ce qui est vivant. Je n’aime que les vieux, les déjà morts, la poussière, et la petite couronne de gloire là-haut dans les cieux. Ridicule. Prétentieux. Original. Narcisse et répulsif. Tant mieux. Moi je ne trouve jamais quoi leur dire aux autres. Au bout de dix minutes je regarde ma montre, c’est quand que tu dégages ?

     

    Le pire c’est qu’ils écrivent bien, qu’ils parlent bien, ces petits gonzes interchangeables et propres sur eux, sûreté de soi, lucidité, maturité, compétence, c’est quoi ces zozos ? Ces préformatés ? Qui ont appris « leur métier »? Alors écrivain c’est un métier comme un autre ? Et les complexés ils font quoi eux ? Ils prennent du Prozac ? Du Viagra ? Quoi les petits nouveaux ? Toujours jeunes et déjà quinqua ? Toutes les cartes en main alors ? Y en a même un qui chante ! Avec une copine qui joue de la guitare! Voulez-vous me cacher cet amour de la vie, avec son bout de queue qui dépasse ?

    Allez les petits jeunes, et bonne galère quand même ! Agagah…

     

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    ÉCRIRE ET ÉDITER Février-Mars-Avril 2052 JUSTICE PARTOUT, JUSTICE NULLE PART 9

     

     

     

    C'est facile je vous jure de couler n'importe qui sous n'importe quel prétexte : un prof, un sauvageon, une petite entreprise fraîche et joyeuse. Vous faites valoir que les réunions se font par téléphone, vous montez en épingle les rapports tronqués avec bénéfices quasi nuls, alors que vous savez pertinemment (c'est l'éditeur lui-même qui vous le jubile) que la boîboite sort trois books par mois ; et que vous avez placé une brique dans le capital pouor que ça vous rapporte paraît-il au prorata des bénefs, pour vous ça fera zéro zloty zéro groszy fautilovski vous l'envelopper ?

    ...Sans oublier que le pauvre éditeur vachement à plaindre vous a soigneusement niqué la diffusion sans oublier de promouvoir celle des autres sans un centime de droits d'auteurs (les sept cents premiers exemplaires pour que dalle vous connaissez la chanson) TOUT EN s'offrant des voyages professionnels à Paris ou Verdun "payés par la maison" – je ne suis jamais arrivé à piger comment on peut être à la fois personnellement fauché avec une société prospère yop'là boum – faut croire qu'il y a d'étranges phénomènes de porosité tout de même, malgré les HURLEMENTS vertueux des gestionnaires – tiens t'en v'là du pognon miraculeusement surgi pour les stands au Salon du livre, pour loger les écrivains à l'hôtel – les droits d'auteur que dalle et peau de balle on t'a dit t'es sourdingue ? C'est tout de même un peu fort et si je peu me permettre – un brin mystérieux.

    Je vais t'en couler des boîtes moi, par paquets de dis. Là-dessus interviendra un baveux (avocat...) qui vous démontrera que non seulement vous n'y connaissez rien, mais que vous avez eu tort de poser la question, encore heureux si vous y coupez de la diffamation (en vérité s'il y a une partie des programmes de français dont je me torche, c'est bien leur putain d' "art de convaincre" ; il n'y a si absurde affirmation qui ne puisse se démontrer avec des arguments parfaitement valables, on peut même vous démontrer en agitant les manches que les Juifs ont tué Dieu ou qu'une ligne courbe est droite (il suffit de la considérer point par point, ou vue de haut, ou considérée par rapport à la curvité : elle est courbe par rapport à la curvité, donc elle est droite – tout se démontre.)

    Total c'est la Cour qui se juge, chiche qu'on voie (vers Drancy, ouaf ! L'humour) Papon plaider un de ces quatre devant la Cour des droits de l'Homme, et il se trouve même des pros pour s'apitoyer sur les gencives de Saddam. Et d'ici peu si mon Blair a une tête de nœud et que je ne porte pas de cache-sexe allez hop, attentat à la pudeur, j'ai regardé une meuf avec con-cu-pis-cence : harcèlement, je l'ai bousculée dans le métro sans lui mettre : délit de promesse non tenue ou tentative de viol (à pile ou face) – amis amphibologues bonsoir.

    En Angleterre c'est carrément l'allule suce-pecte qui vous envoie en taule, j'ai intérêt à porter le voile. Je vais vous en foutre, moi, du droit. Justice partout, justice nulle part. Tenez, je connais une boulangerie qui marche du feu de Dieu, elle s'appelle "Le Four". Mais elle est "Rue de la Juiverie" : antisémitisme et incitation àlahaine raciale, vingt mecs dehors dont cinq juifs toujours ça de pris.

    Le dédain, la déconsidération, l'écœurement, ça m'écœure moi-même. C'est malsain, le mépris : ça vous laisse la langue fielleuse et le rectum mélancolique. On a l'impression de se salir. Un peu du même ordre que le sursaut de fierté à considérer les culs d'ours qui ardissonnent avec leurs nègres et leurs euros, alprs qu'on est en train de trimer dans le mépris des autres. On se secoue la merde mais on a marché dedans quand même. Un petie Chateaubriand pour la route : Le mépris est une denrée rare à n'utiliser qu'avec parcimonie, vu le grand nombre de nécessiteux.

    Sans oublier les crocos qui l'avaient bien dit, qui l'avaient bien prévu, qu'il ne fallait pas employer "ce mec" mecki, bizarre ! bizarre ! ...quelques années auparavant disaient pis que pendre de not' fine équipe, nous traitant de cons, comme quoi on excitait les féroces auteurs contre les gentils éditeurs, alors que ces derniers n'est-ce pas prenaient des risques financiers, et que si ma foi telle revue suivez mon regard disparaissait du paysage ce ne serait fin finale pas si mal – dis donc mon p'tit saint ce ne serait pas toi par hasard – "je leur avais bien dit" – qui aurait tiré les ficelles ?

    Allez on m'appelle pour la bouffe, mieux vaut sonner la soupe que soupe sonner, c'et vieux comme Hérode – M'sieur ! Y m'a traité de vieux comérode ! - quand est-ce qu'on crève – mais non Ménon, survivons, gnaquons, cautérisons les décollations d'hydres, ne finissons pas, jamais, ce serait trop répugnant, trop hideux, trop dégoulinant, trop mollardier, trop sanieux, trop charognard, trop dégueulatif, dans un aussi saut caveau (arf...)

     

    COLLIGNON ARTICLES "CRÈVE, LANGUE FRANÇAISE, CRÈVE"

    date imprécise, début 2052

     

     

     

    Plus moyen de lire une copie de seconde sans être assailli de fautes énormes : c'est long ou on c'est le plus battu ("là où l'on c'est", traduction), pygane pour pyjama. Ma dernière (vous n'allez pas me croire) c'est "ils est" pour "ils sont", parole d'honneur, dans le contexte ce ne pouvait être que "ils sont", même plus l'orthographe ou la grammaire, carrément la destructuration, même plus de la conjugaison, mais de l'esprit, de la pensée. J'exagère, j'invente. Toutes proportions gardées, on refusait de croire les rescapés des camps, "allez voir un psychiatre" disaient les médecins, je connais tous vos trucs par cœur, braves couillons.

     

    Alors nous aussi, on se tait, on n'ose plus vous les dire à l'antenne ces perles-là, parce que ça faitmarrer tout le monde, et nous passons pour des vieux cons, des Professeurs Nimbus qui marchent dans la merde parce qu'ils oublient de regarder le trottoir, vous savez, là où se passe "la vraie vie". De toute façon dès qu'on sexe-prime vous pensez bien c'est un journalisse qui intervient, qui interrompt très vite, hilare, il est au courant lui le journalisse, il a tout compris le journalisse, il va tout vous espliqué le journalisse, il fait la pluie et le beau temps, il se croit à la foire aux cancres. Ha ha les profs toujours aussi cons, même qu'on n'a pas le sens de l'humour hein mon con, rigolez, rigolez, ce n'est pas grave, c'est folklorique, rigolez, rigolez, journalistes bourrés de diplômes et prétendant qu'il n'en faut pas.

     

    Ignorance des journalistes, le pathétique Drevet ne sachant même pas localiser Nevers ni Limoges sur une carte de France. La tête à claque de Patrick Pujadas, qui sait toujours tellement tout mieux que tout le monde, et qui pense qu'il suffit d'avoir l'air con et suffisant pour prouver son "esprit d'indépendance" et sa "salutaire insolence" ("c'est moi que je suis le journaliste

    et sans moi t'existerait même pas ") en agitant de part et d'autre son rictus de Pierrot crevard, même que c'est pas la peine de l'entarter vu le kilo de fard qu'il se trimballe sur la gueule, j'ai été obligé d'admirer Sarkozy RIEN QUE pour ça je crève de honte.

     

    Rigole Pivot rigole, qui se marre parce qu'une convocation en anglais à une série de conférences en France en anglais mentionne la charmante locaité de "Gif upon Yvette", Pivot qui se fait vertement engueuler par la môme Bombardier du Québec sous la pression constante de l'anglo-saxon là-bas dans sa colonie, voilà-t-il pas que Le Monde publie des extraits du Daily Mail, j'exige le "Frankfurer Beobachter" et "El País", merde alors, shit, Scheisse, stik, même mon distributeur de billets de banque qui m'annonce que ma transaction is being processed, et si t'es macaroni vaffanculo è chiaro. On les aura bande de parents d'élève, c'est bien la Chrichtine Ockrent qui déplorait que la langue française ne soit pas assez rapide par rapport à l'anglais, tu n'as qu'à te faire engager à NBC, avec ta gueule de French Native no executive woman tu vas te faire virer eh Martienne.

    Et il y a même des salopards qui font leur entretien d'embauche en anglais, c'est interdit, interdit, verboten, verstanden ? Vousne saviez donc pas qu'en Hollande les films anglo-saxons passaient désormais sans sous-titres ? Comment dit-on "T'as qu'à savoir l'anglais connard" en néerlandais ? Les langues c'est pas fait pour communiquer, c'est fait pour refléter l'âme du monde en autant de langues qu'il faut, et moins il y a de langues moins il y a d'âme. Ce pas pour rien si le prof de français c'est la catégorie qu'Allègre blaire le moins, parce que c'est eux qui font réféchir bien plus que les profs de maths je suis désolé. Seulement quand je lis "bien qu'ils eurent disparu" dans la Nouvelle Revue Pédagogique, "j'aimerais mieux des cendres sous la terre" dans un manuel de Sixième, je fais quoi ? ("Oh il exagère ! franchement ! du moment qu'on se comprend ! " mais je les connais par cœur vos conneries je vous dis vos conneries !) - parce que ça gagne les manuels maintenant forcément imprimés par des hommes faut pas demander, ça commence toujours par le sexe faible, celui qui croit comme disait Simone de Beauvoir que le vide de son cerveau lui meuble les couilles. Vous savez les ouvriers qui manipulent les bouquins sur des gros chariots dans les sous-sols de Gallimard "ah non moi hein j'ouv' jamais un liv', on va pas sferchier j'en vois toute la sainte journée des bouquins alors le soir pff merde alors vous allez pas me faire la morale".

    Quand tu vois ce que sont devenues les consignes pour faire un cours de français tu te tape la tête against tht walls, c'est un jargon pas possible, quand tu lis que les interrogations de bac ne doivent pas avoir de "dimension psychologique" autrement dit on ne parle plus de la psychologie des personnages et de ce que ça nous apprend sur la nôtre propre, c'est des histoires de grand-papa ça ne se fait plus, mais que tout doit être considéré sous l'angle technique, tu fais quoi ? "l'espace intersticiel de liberté" pour "cour de récréation", "le référentiel bondissant aléatoire" pour un ballon de rugby, connards ! "devoir tabulaire" pour "devoir sur table" ! Connards ! C'est dans un SKETCH de Guy Bedos, dont je persiste à répéter qu'il est super-excellent : "Les cours de français sont au plaisir de lire ce que la gynécologie est à l'érotisme".

     

    Mais "du moment qu'on se fait comprendre" et quand je te nique du doigt t'as même pas besoin de savoir le kurde. La fameuse question du niveau de langage, "ils correspondent en texto mais savent retrouver le vrai langage français en situation", ouais ben je recopie peut-être le "dictionnaire du français précieux" mais au train où ça va ils ne le sauront peut-être plus très longtemps le français le vrai. Déjà que j'ai corrigé au bac un candidat qui prétendait que le français ça ne servait à rien ("servir ! servir !" disent-ils, du latin "servus", l'esclave), "vu qu'on s'apprend la langue les uns aux autres et que ça sert à rien d'écrire des textes qui prennent la tête et que personne y comprend" – j'ai failli mettre "connard" en marge mais au bac on n'a pas le droit, j'ai juste mis "apologie de l'inculture" et j'ai foutu deux, par chance le mec était entièrement hors sujet parce que sinon j'aurais pu me faire emmerder.

     

    Tenez une fois au brevet des crétins pardon "des collèges" il y en a un autre qui me raconte une histoire d'imagination pleine de rebondissements et tout et tout, mais truffée de "il arrivit", "je m'aperceva", "nous concluâmes" et "il repartut" ; eh bien il y avait pourtant des collègues pour mettre la moyenne à cette merde en raison de l'imagination.Mais bande de nazes tout le monde il en a, de l'imagination, SAUF Pujadas, d'accord pour l'imagination mais pas en grammaire, désolé, je suis un vieux con et j'assume. Comme disait un peintre "je ne vais tout de même pas expliquer chaque travaux" hein j'ai failli dire hein comme on pousse pour chier mais je suis poli, je connais même un éditeur qui m'a traité de puriste et qui trouve qu'après tout c'est logique, bien sûr toute faute a sa logique : "les vachent , broutes" il y a la marque du pluriel donc pas de faute, confusion entre les noms et les verbes on ne va pas se faire chier pour si peu, ça n'a pas d'importance, quand on ne comprendra plus la langue écrite il va pouvoir s'en écrire des conneries sur les tracts tiens donc... Les cours en langues, de géographie, de maths, directement en anglais bien sûr, en allemand, en espagnol, ils vont être chouettes nos élèves, bientôt au point de Pénitzientadgité dans Le nom de la Rose qui a su tellement de langues qu'il n'en sait plus aucune. Babel, et pas Bab-el-Oued hélas. Sans oublier les langues régionales, moi je veux bien qu'elles soient enseignées, mais si l'on supprime l'article de la Constitution précisant que la langue française est la langue de la république, vous ne voyez donc pas bande de péquenots que c'est l'anglais qui va s'engouffrer là-dedans comme dans une brèche hollandaise ?

     

    Le français c'est trop compliqué, parole d'élève. "Ton corps aussi c'est bien compliqié t'as qu'à te couper les bras et les jambes comme ça ce sera plus simple" – il a été cloué l'élève il a fermé sa gueule j'espère qu'il s'en souviendra jusqu'à la fin de sa vie, quand il ne pourra même plus comprendre son petit-fils - déjà que tu ne les comprends plus au téléphone, ah ne faites plus de gosses, j'ai peur, j'ai peur, je vais crever et c'est tout, mais ma langue, ma belle langue, merde, pourquoi est-ce qu'elle doit crever avec moi, moi je veux bien crever, mais ma langue pourquoi ma langue ? C'est ça le comble de l'injustice vous voyez, et de la pourriture la plus dégueulasse.

     

    Mon royaume et ma vie, ma vie pour un imparfait du subjonctif !

     

     

     

     

     

     

     

  • L'ANTICASANOVA

    C O L L I G N O N (FIER-CLOPORTE)

     

    L'ANTICASANOVA

    Longtemps j'ai détesté les femmes. Je ne me couchais pas de bonne heure, et je lançais de longs jets de sperme entre les draps en maudissant père et mère. Les femmes fuyaient toutes à mon approche. Tout le contraire des plats froids de Philippe S., qui les tombe toutes, et sarcastise sur leur « chiennerie » et leurs « collages » ; pas question pour moi de cracher dans la soupe, vu que j'en ai eu si peu. Je traiterai donc de ce que je ne connais pas, ou si peu.

    Quant aux rabâchages sur l'infériorité, la supériorité ou non de la couille sur l'ovaire ou vice versa, de leur égalité, complémentarité ou autres ; sur la question de savoir si la femme occupe bien dans la vie sociale ou professionnelle la place qu'elle mérite ; sur l'emploi, les salaires, les responsabilités administratives, directoriales ou politiques, je m'en contrefous : y aurait-il 52 % de femmes aux postes-clés, les choses n'en iraient probablement ni mieux ni pis - ni plus mâle.

    Rien de tout cela.

    Mon propos, c’est le comportement amoureux, ET sexuel. Pas très nouveau tout ça. Bien sûr que les femmes m’ont déçu. À la niche, le psy ! couché… « Ouais, euh, t’es pas le seul... » - ta gueule. Par les hommes aussi. Vous ne vous imaginez tout de même pas que je vais vous pondre du neuf et de l’objectif – et quoi encore… éviter le sexisme tant qu’on y est, le vulgaire, l’odieux… oui que j’oserais ! évidemment ! Ce n’est pas aujourd’hui que les gens vont me croire ! De toute façon plus moyen d’être fanatique maintenant. Plus moyen de dire quoi que ce soit sans se faire traiter de con (pourquoi pas de bites ?) Les fana font pitié aujourd’hui. Ridicules.

    Mais avec la vérité, on ne va jamais bien loin. Bien sûr que si je baisais j’aimerais mieux les femmes. Seulement, je vais vous dire un grand secret : si j’aimais mieux les femmes, je les baiserais. Il est évident, il est lapalissique, il est tautologique, que je deviendrais amoureux, féminise même, des queues j’aurais conquis un nombre de femmes assez con scie des râbles pour me sentir sûr de moi en tant que porte-couilles – mais àpartir de quel nombre de femmes ou de couilles peut-on se sentir sûr de soi comme un sanglier des Ardennes ? Je vois d’ici moutonner à l’infini (tu me chatouilles) le troupeau de culs-terreux bardés jusque dans le cul de « parallèles qualité/quantité », « hêtre ou pas hêtre » (Gotlib) – mais je me les suis déjà faits tout seul, ces trucs-là ! J’ai lu l’Abreuvoir (la Beauvoir, Boris Vian) et son Deuxième Sexe (sous l’homo plate). Adoncques les psy débarquent avec leurs pincettes et leurs grosses pelleteuses : en avant pour la mère castratrice et phallique (au moins), une homosexualité la tante, et tout un arsenal à faire spermer papa Siegmund dans sa barbe. Et voilà pourquoi vote fille est muette. Par ma barbe, nous avons d’habiles gens, et qui se paient le luxe d’avoir raison.

    Mais ça ne m’arrange pas. Pas du tout. Ça ne m’explique pas pourquoi les femmes me font chier (stade anal!), pourquoi je les fais chier (tant qu’à être dans la merde…). Ce qui veut dire qu’il me faudra me coltiner mon livre tout seul, dans l’indifférence générale. En route pour le calvaire : prêcher le vrai, en sachant que c’est faux. Plusieurs émollients s’offrent-t-à moi :

    a) la synthèse dite « à l’eau tiède » : les deux sexes dos à dos ou « l’infranchissable différence si enrichissante » (cf. « Les garçons et les filles » dans le Journal de Mickey »)

    b) « Le mieux » (dira quelque sage cervelle – j’adore cette incise de La Fontaine) « serait que des femmes intervinssent, et pourquoi pas la vôtre » (car je suis marié ne vous en déplaise) « qui vous donnerai(en)t la réplique » (sauce Platon ? non merci), « en dramatisant le discours, mais sans dramatiser n’est-ce pas » - pourquoi ne pas écrire l’histoire d’un couple tant que vous y êtes, le mien par hasard – pour des champions de l’originalité, vous vous posez là…

    c), le plus énorme : « J’ai découvert un manuscrit... » - jouer sur le velours de la 3e personne, avec la mauvaise foi du narrateur – bof…

    Non. Je parle en mon nom.

    Sans croire un mot de ce que je dis

    Devant l’autel des lettres - La main sur la braguette - je déclare ici ma sincérité « des larmes coulent ».

    ...En garde , je baisse la visière... X

     

    Ce n’est pas une visière, c’est toute une armure. Surtout qu’on ne me reconnaisse pas – l’Anticasanova, ça se cache. Irrésistible.

    ...Alors comme ça, les femmes me détestent. Ou l’inverse. Les deux mon adjudant. Des preuves !

    D’abord, de simples constatations : ma vie passée vaudra attestation et justification. Vous voilà fixés : qui n’est pas pour moi, est contre moi. Ma rancœur, ou rien. Il aura bien fallu vingt ans pour me permettre de reconstituer l’objectivité des comportements et préparer le terrain du deuil psychanalytique : sous la pellicule, la lave à 400°.

    Trois périodes sont à distinguer dans le processus moil’nœud d’éducation pardon de démolition sentimentale. Sans remonter au-delà des pubertés (où les enfants, tant garçons que filles, m’auront rejeté, nous auront rejetés, vous auront rejetés, une belle, une magnifique inadaptation sociale originelle, dont la misogynie ultérieure ne sera qu’un montage en épingle, nous distinguerons la période tangéroise, à dispositif contraignant (1958-1962, soit de 14 à 18 ans) – dite aussi Quatorze-Dix-Huit, la période mussidanaise à dispositif libéral (1962-1966 jusqu’aux noces), et la période bordelaise, à dispositif carcéral, qui nous mène, en première rédaction, début 87. Toujours est-il que peu après mes 14 ans, je débarque à Tanger dans les bagages de mes parents. Lycée mixte, donc décontracté, filles libres à gogo, moi bloqué comme un moine. Mais sans le savoir.

    Tout de même, j’ai bien envie d’y goûter, aux filles. Bien mal m’en prend, ou je m’y prends bien mal.

    ...Lecteurs, et trices (pour les filles, le cas est tout à fait différent ; rien ne ressemble moins à une adolescence de fille qu’une adolescence de garçon) – vous avez tous, ou la plupart, tenu votre journal intime. Il ne vous serait jamais venu à l’idée, par exemple, de le laisser traîner. Moi, si. Avec la mention DÉFENSE D’OUVRIR, autrement dit « prière d’ouvrir ». Ma mère a répondu à mes attentes au-delà de toute espérance. Lisant que j’avais touché le genou de la voisine d’en face, âgée de 13ans, avec l’intention bien arrêtée de ne pas m’arrêter là, ma mère exprima bruyamment le désir de montrer ces insanités au médecin de famille « pour [m]e faire soigner ».

    Lorsque ladite voisine est revenue me visiter, elle s’est fait jeter dehors par un père déchaîné. Je me suis rabattu sur une gosse de trois ans. La fille des voisins de palier. Ni exhibition, ni pénétration. Mais quand même. Lorsqu'ils étaient absents, je consultais leur dictionnaire médical, en me branlant sur les croquis médicaux. Rien ne vaut le vif. Merci chers parents. Pour elle et pour moi. Vous aussi, vous avez cru en papa-maman ? "A ton âge, on n'est pas amoureux ! on travaille !" et aussi : "...ça rend fou !" ...ou folle...

    ...Les filles aussi... dit la rumeur... surtout les filles... Alors je m'accoudais au balcon, Anne-Betty s'accoudait au balcon, je lui voyais le cordon du slip sous la jupe vichy, et je tournais ma langue dans la bouche, "tu sais que tu ne devrais pas te... te... on ne pourrait pas le faire ensemble ? " Cela devait m'ouvrir son cœur et sa culotte. Je ne l'ai jamais dit. Sûr que j'ai raté quelque chose. "Et que ferez-vous, le jour où une jeune fille... vous serez impuissant, mon garçon, impuissant !" Merci, Docteur.

    Ce qu'on a besoin d'amour, à 15 ans, ce n'est pas croyable. On idéalise, on diabolise. Celia, Celia shits - la plus belle fille du monde va aux chiottes.

    Choeur des cons disciples :

    "Fringue-toi mieux !

    "Pas d'histoires drôles !

    "Pour draguer, y a qu'à... y a qu'à...

    "...et envoie chier tes vieux !...

    ...Il fallait vraiment que je sois con comme un tonneau pour ne pas avoir baisé comme un chef avec tous ces super-conseils ! seulement, mes rires de malade, mes clavicules au niveau des oreilles et ma gueule de catastrophe naturelle, qui est-ce qui allait me les réparer ?

    Écoutez celle-là (c'est pas vous qui trinquez, vous pouvez rigoler) : un pote sapé aux cheveux plaqués me glisse dans la poche un petit mot d'amour pas mal ficelé, pour une fille que je dois rencontrer. Moi je me pavane chez les Yappi (ce nom-là ou un autre), avec ma lettre en poche. Tous les autres sont au courant et se regardent avec apitoiement. Moi je paradais au baby-foot avant le rendez-vous. Et vous me disiez tous N’y va pas j’y suis allé. Ma môme était là, splendide, mûre, blonde, au courant de tout, « dans le jeu ». Avec bonté, avec sincérité, fallait le dépuceler ce grand niais, tu vas rire, elle m’a baratiné sur le trottoir, moi je courais à toute vitesse, de plus en plus vite !

    J’avais peur. Vous ne pouvez pas comprendre.

    Je haletais Est-ce que tu es une bonne élève bonne élève bonne élève

    sinon mon père voudra jamais je galopais les couilles en dedans elle a lâché prise on a son honneur vous ne trouvez pas ça drôle Au suivant Au suivant :

    J’entre chez ma copine Sarah parfaitement j’avais une copine mais on se touchait pas faut pas déconner On devait réviser le bac. Je trouve Sarah au lit habillée affalée bras ballants cheveux ballants qu’est-ce que tu aurais fait ?

    « Facile mon con je l’aurais redressée – nos deux bouches » e tutti quanti – Non. Non.

    Écoute Écoute – j’ai pensé ELLE EST ENDORMIE curieux non comme position ? -...elle est évanouie elle est morte je vais appeler quelqu’un alors elle s’est redressée

    Tu dormais ?

    - Non.

    - Pourquoi cette position ?

    Pas de réponse les mecs t’es con aussi c’était évident évident quoi tas de cons ça veut dire quoi « évident » ?

    Moi je m’étais forgé une théorie tout seul pour expliquer que les femmes n’avaient pas de désir, ne sentaient rien ne pensaient pas à ces choses-là.Vingt ans vingt ans durant je suis passé à côté des signaux sans les voir, énormes les signaux il paraît, la faute aux femmes la faute aux Autres mais oui j’étais pédé mais oui c’était ça l’évidence tu as gagné une boîte de jeux et ce jour-là, Sarah et moi, nous nous sommes assis côte à côte, j’ai voulu effleurer le petit doigt elle l’a retiré vite vite ha très très vite offusquée QU’EST-CE QUE JE DISAIS qu’est-ce que je disais les hommes tous des cochons JE VEUX REVIVRE JE VEUX REVIVRE Chapitre Relief de l’Asie Centrale Everest 8847m ma pine 0,5cm bon Dieu si t’as pas rigolé c’est que tu es coincé branleur de mes deux.

    De toute façon avec ces Juives Hispano-Marocaines il faut faire attention disait ma mère on ne se méfie jamais assez ils sont capables de te la faire épouser sous le revolver.

    T’as raison la vieille je vais avoir l’œil.

    * * * * * * * * *

     

    Retour en France Périgord exactement 1962, fin d’un monde. Des filles des flirts partout au bord de l’Isle sous les buissons alors moi voyant ça jedizamamaman devant la mère Gauty qui l’a redit partout ça va être facile ici elles sont pas surveillées comme là-bas t’as vu ta gueule non mais t’avais vu ta gueule d’enfariné d’enflé de client de putes ? …Quand tu t’es présenté dans le Groupe « ber-nard » avec le n entre les dents le sourire con et les « r » dans la gorge tu les as repérés les autres qui pouffaient tandis que celle qui semblait être le chef les calmait de la main, tout le monde s’est mêlé sauf un. Au jeu de la vérité, avec qui aimerais-tu sortir ? - Avec Eustache !

    J’étais abasourdi. Une fille voulait de moi ! Je me suis éloigné, j’ai demandé à trois ou quatre « garçons » que je connaissais à peine « ...comment on fait ? » - Débrouille-toi ! » - au fait, croyez-vous que la fille en question se soit hasardée à faire un GESTE envers moi je dis bien UN geste ? - Ah mais non mon pote, elle en a déjà fait beaucoup, c’est à ton tour, t’as rien compris, tu parles d’un con…

    ...Pourquoi m’avez-vous renfoncé dans mon ridicule ? autre sujet - pourquoi vous êtes-vous foutus de moi parce que j’avais un biclou trop petit sans me dire simplement « tu as un biclou trop petit » ? pourquoi vous êtes-vous payé ma gueule parce que je levais les pieds en rentrant la tête sans me dire « tu lèves les pieds et tu rentres la tête » ? Il a fallu que je me surprenne dans une vitrine pour m’en rende compte. Pourquoi en surboum – un Teppaz et deux planches dans un garage - toutes les filles ont-elles trouvé des genoux pour s’assoir sauf les miens ? Oui, c’est rigolo, oui c’est ridicule. Mais pourquoi toutes ces humiliations, ah que je souffre, ah qué yé souis malhéré mon Dié mon Dié !

    C’est alors que j’ai commencé à hhhaïr – tremblez… Quand on m’a traité de prétentieux, d’intel-lectuel (réflexion faite, je l’étais) - de pédé, d’impuissant… la Haine ! la Haine !... tu ne peux pas juger, c’est trop dur pour toi… la haine du pas-comme-tout-le-monde contre les comme-tout-le-monde – Baisers volés j’ai connu ça. Mis à part que chez Truffaut le couillon trouve quelqu’un pour le tirer de là, moi aussi, mais j’aime râler.

    Vi-queue-time desfemems, de la paralysie des femmes sans voir la mienne – quand les bras sont tout raides et le reste tout mou – toi en face, l’autre, tu es un baiseur un vrai, tu fais partie des 2 % que les femmes se repassent entre elles au nom de la liberté sexuelle – non pas toi t’as vu ta gueule ? (rires) ...dégage, baiseur… ici c’est un taré qui te parle, un Rescapé du Périgord. Et j’ai fini par la trouver, l’âme sœur : une fille de flic, avec plein de boutons sur la gueule. Et ces mêmes fleurtouillards qui me chambraient à cause de ma solitude se sont empressés de se payer ma gueule parce qu’on me voyait, cette fois, avec une fille oui mais la plus moche. On touche le fond. Pas le con.

    Mais je me foutais bien d’eux à présent. J’étais accepté. Nous passions à trois des après-midi chez sa mère, au grand dam de mes parents : une Fille de Flic ! Et si je lui racontais que mon père n’avait pas été résistant pendant la guerre, plutôt de l’autre côté ? Et si je faisais un enfant ? Eh bien non : je suis resté très exactement 32 jours, je dis bien trente-deux, sans branlette ! (rires) mon record absolu. Pour la fille, je ne garantis rien. Puis, hélas ! elle a cru que je me moquais d’elle, que je prenais « de [m]es grands airs » (j’en prenais), que j’ «étalais mon instruction » (j’étalais). « À la rentrée tu connaîtras une étudiante et tu m’oublieras » - exactement Maggie : en octobre 10, j’ai rencontré ma femme…

    *

    Mes vieux étaient loin. J’habitais Cité Universitaire, je me payais le bordel tous les 11 jours (on tient ses comptes), je tournais autour d’une étudiante ravagée de branlette comme moi, détraquée jusqu’au trognon comme moi, que je ne devais baiser que le 15 février 02, sans compter six mois de liaison homo (rien ne vous sera épargné) (rires). Un jour j‘ai bu un cognac cul-sec pour oser embrasser ma Future – sur la joue.

    Et à présent Mesdames et Messieurs, Meine Samen und Spermien (lacht) place au délire. Car, « les paranoïaques ont toujours raison » (Anne-Marie M.)

    Chapitre Un : Pourquoi les femmes ne veulent-elles pas coucher avec moi ? (mouchoirs!)

     

    X

     

    Argument n° 1 : Je ne t’aime pas

     

    Parenthèse (cet ouvrage manque de plan) : je dois définir ce ridicule dont je me pare.

    La notion de ridicule participe du passionnel.

    Tout individu traitant de sa passion devient par là même ridicule.

    Et c’est pourquoi (deuxième parenthèse) toute femme qui crie en jouissant excite le mâle par le ridicule qu’elle déploie.

    Il faut châtrer les mâles, afin de les préserver du ridicule de l’excitation.

    ...La femme prétend donc ne pas désirer l’homme si l’amour est absent. Mais elle crie pour jouir (par feinte ? par ordre?) et se ridiculise, disent les connards.

    Seul l’amour lui ouvre les portes du ridicule, alors ressenti comme un don.

    Suivez-moi bien, c’est de plus en plus con.

    Nous en revenons donc à l‘éternel rabâchage : les femmes croient encore dur comme pine (hi ! hi!) que seul l’amour peut déculpabiliser l’acte. Si elles ne devaient baiser qu’amoureuses, la chose ne se produirait pas souvent !

     

    Deuxième hypocrisie

    Lorsqu’elles se branlent, de qui sont-elles amoureuses ? (chœur des vierges indignées : « Ah! mais ce n’est pas du tout la même chose!) - ben si, quoi d’autre ?

     

    Troisième attaque

    « Si je couche avec toi sans t’aimer, tu en souffriras » - variante : « je transpose chez les hommes mes subtilités névrotiques ». Le mâle, sexe dominateur (re-hi ! re-hi!) ne nous sentons pas coupables de faire l’amour. Nous n’avons pas besoin d’un voile. Nous avons séparé depuis longtemps l’Église et l’État, l’Amour et le Zob.

    En revanche, contrairement aux femmes, nous souffrons de l’obligation de nous masturber. Par famine. Car la honte se répartit différemment selon les sexes. Merci de tout cœur, ô Femmes, pour mes branlettes. Pour vous, c’est du sublime, c’est de l’éthéré, chaque tour de doigt vous fait pousser des ailes. Pour nous, c’est sale. Vous m’avez en effet dispensé d’une grande souffrance en vous refusant comme vous l’avez fait. BOUOUOUOUH !!!

    Merci aussi, de tout cœur, pour ma souillure homosexuelle. Une femme est gouine sans même y penser, « On se rend des services entre filles. Qu’est-ce que vous allez penser ? ah ces hommes : ils voient le vice partout ».

    Merci de m’avoir éviter une grande souffrance. Amen.

    Merci enfin pour ma fréquentation des putes. Je n’avais qu’à me branler, voir plus haut.

    Onanisme, pédérastie, putasserie : ça fait tout de même un sacré tiercé d’échecs et de souffrances – croyez-vous donc, ô Modèles de Modestie, qu’il m’importât à ce point d’être aimé de Vous ?

     

    X

     

    Argument n°2 : J’en aime un autre.

    ...Rien ne le prouve. Si d’autre part cet homme profite autant que moi de vos faveurs, car l’amour ne suffit pas pour accéder à Votre Cul, Huitième Merveille du Monde. EN EFFET :

    ...il paraît hautement invraisemblable que le femme, s’estimant si haut, et si comblée par son auto-érotisme, puisse éprouver le besoin d’un amour quelconque ENFERMEZ-LE CE MEC C’EST INTOLÉRABLE (blagadeuballes : « Dieu et mon droit », devise de l’Angleterre. Devise de la Femme : « Moi et mon doigt ».

    Une femme qui dit « J’en aime un autre » veut signifier par-là qu’elle se soumet à une habitude sexuelle. Jamais, ou si peu, elle n’aura franchi le cap du premier homme. Un peu comme si l’on devait s’arrêter au premier livre, au premier film, au premier slip – achevez-le, voyez comme il souffre). Vient-il seulement à l’esprit de ces créatures qu’on puisse aimer deux êtres à la fois, ou une multitude d’êtres ? mais nous traiterons de cela plus tard.

    Voici le moment venu en effet d’aborder le Troisième, dernier et capital Argument de ces pimprenelles (c’est l’un des charmes de l’écriture, ô lectrices, que ce mélange suave des raisonnements les plus subtils et des insultes les plus offensantes ) (ou l’inverse ?) - une seule formule, si délicatement féminine, à prononcer de préférence avec l’accent d’Agen ou de Carcassonne :

    OUAH PUTAING CE QU’IL EST CONG ÇUI-LÀ.

    Sans réplique. Ça vous en bouche un coing. Cette acuité du jugement. Voilà qui est chiadé. Nous tombons en effet droit sur le seul argument : JE SUIS con. Il n’y a plus d’hommes ni de femmes. Il n’y a plus que le Hideux, le Répugnant Rracisme à l’adresse, tenez-vous bien, d’une seule personne : Moa. L’Auteur – on donne à Cet Autre, pas un autre, celui-à, çui-là, l’air con, puis on se moque de son air con. Exactement le coup du Noir qui cire les godasses.

    Pas de pitié pour l’Air Con. Ça te tombe dessus, c’est écrit : l’Air Con. À la trappe. L’air con, ça au moins, c’est un critère. Quel jugement les femmes ! Putain l’intuition je te dis pas ! Juif, arabe, tombé dedans quand t’étais petit. Les femmes (pardon : DES femmes, il paraît qu’il faut dire DES FEMMES) ont raison de se foutre de toi, mais toi, tu as raison – de tirer ta Kalach et de tirer ? non… - mais de gueuler.

     

    X

    X X

     

    ...À présent, l’auteur – est prié d’être objectif, de présenter son mea culpa – j’ai déconné, j’ai agressé, j’ai larmoyé : excusez-moi d’exister.

    Petit a, de fumier :

    Je suis grossier. Tombé dedans tout petit. Oncle Serge : « Répète : Trou du cul ».Je répète. Ça le fait rire ce con. J’ai trois ans. Paix à son âme. À huit ans je me soûlais d’ordures avec Lucien. Là où jene pige pas c’est quand les potes se font interdire de me fréquenter par les parents : « Il est grossier ». Des gosses qui n’avaient que ça à la bouche. « On ne joue pas avec toi, t’es trop grossier » C’est l’histoire du Gabonais qui ne parle pas au Malien parce qu’il est trop noir. Qui est fou ? En vacances, je trouve un groupe. « J’ai un secret. - Lequel ? - Vous ne le saurez pas . » Je finis par me faire coincer sous une tôle et tabasser : « Alors ce secret ? - Je suis grossier. - C’est tout ? - ils m’ont tous laissé tomber à la seconde.

    Pas grossier, con. Nuance.

    On me présente à 13 ans à une fille de 13 ans. Eh bien, dites-vous quelque chose ! - Euh… vous savez, je suis grossier. - C’est tout ce que tu trouves à lui dire ? » - côté connerie j’avais sans doute de qui tenir. Les filles ont peur des mots,pas des choses. Comme il est dit dans l’introuvable Manuel de savoir-vivre à l‘usage des demoiselles : « Dites : « Elle est très sentimentale ». Ne dites pas : « Elle se branle à mort ». « Faites-la rire, c’est gagné » - mon cul ! On s’agglutinait : « Une autre, allez, une autre » - on me disait un mot, j’en disais une bien bonne. J’avais une cour de garçons. Tant que j’en avais dans le sac ça rigolait, de plus en plus mécanique, de plus en plus mou.

    Puis je me retrouvais seul, comme un égoutier. Les autres se poliçaient, ils draguaient (successfully) des filles sans poils ni doigts. Moi je ramenais tout à moi. « Moi aussi » me semblait le meilleur moyen de montrer mon empathie moi aussi je suis comme vous moi aussi ça m’est arrivé les autres voyaient cela autrement – non, je n’étais pas le point de rencontre de toutes les trajectoires humaines. En moi se confrontaient toutes leurs souffrances, de façon tellement plus nette, plus aboutie – eux l’accident, moi l’essence. Pas d’étonnant que le Christ se soit fait tant d’ennemis. « Tous les péchés du monde ». Je vous demande un peu.

    Quand je me suis vu ainsi rejeté, je me suis plaint. Et je me suis fait engueuler de me plaindre. Et comme j’étais amoureux de B. qui se branlait à mort- elles étaient deux – passons – et je ne trouvais rien de mieux que de la suivre en chantant Si tu ne veux pas / De mon amour / Adieu Bonjour / Ma mie – Quatuor de Paris – habile, n’est-ce pas ? Je le faisais exprès pour être repoussé. Les juifs ont tout fait pour se faire cramer. Les communistes ont tout fait pour être pinochés – ça ne vous passe pas, de vous plaindre, savez-vous, le goût de se faire plaindre. Ayant lu dans un livre – on n’apprend rien, dans les livres, tous les cancres vous le diront – que le héros  « avait cet air malheureux qui plaît tant aux femmes », je tirais en pleine rue des gueules sinistres, la bouche en fer à cheval, ce qui les faisait bien rire.

    Au téléphone je demandais pardon, je m’aplatissais, je larmoyais bien fort à travers la vitre du téléphone. Pagnol rapporte ses ridicules d’enfant. Avec un extraordinaire attendrissement. Il a « dépassé », lui. Moi, non. Tout le monde n’est pas Marcel Pagnol.

    ...À 18 ans, à 38 ans, à présent même, il s’en tenait à l’approche « merlan frit » : de grands yeux langoureux d’asthmatique. Les femmes assurément s’y montrent sensibles, pourvu seulement que le soupirant contrôle son sphincter buccal) mais ne croyez pas que l’une ou  l’autre fasse le premier pas. La femme est une moule : un animal fixe, à sang froid. Quand le séducteur a joué le beau ténébreux, celle d’en face attend qu’il se décide enfin, l’animal, qu’il « adresse la parole » ; qu’il prenne la main : elle a lu les mêmes livres que lui. Ayant passé vingt ans à peaufiner les yeux e le sourire, il peut espérer d’avoir maîtrisé l’essentiel vers les années 80. Ne peux-tu pas être naturel, tout simplement ? - Mon naturel fait fuir. - Tu te fais des idées. - Ta gueule.

    Un tel préambule mène presque inévitablement à l’agressivité. Que fais-tu quand tu aimes une femme ? - Je l’engueule de ne pas m’aimer. L’idée regorge de bon sens… Les filles en ce temps-là s’appelaient Monique. C’est extraordinaire quand on y pense. Monique m’aimait bien. Je me serais cru déshonoré de ne pas lui déclarer tout de go que les femmes n’avaient pas de désir, qu’elles étaient toutes lesbiennes : « As-tu déjà vu le sexe d’une femme ? - Oui. - Tu vois bien... » Inutile par conséquent de solliciter « une fille » qui de toute façon « ne voudrait jamais », alors que tous les bordels de France et de Navarre me tendaient les bras,etc. Jamais je n’ai rencontré aucune jeune fille plus désireuse de me convaincre de ma sottise, ni plus tendre dans son expression.

    Elle fut abandonnée à tel petit porc au nez retroussé, puéril, ridicule, qui la poursuivait de ses assiduités. Elle nous a fuis tous les deux et court encore, dans ces plans fixes laissés tout soudain suspendus par le temps. Une toute petite observation cependant : jamais – jamais ! - Monique donc n’avait cherché ne fût-ce qu’à demi à m’effleurer, j’entends physiquement. Une vraie femme…

    Vers la même époque, je me suis égaré dans un bal de village en exhibant un couteau à cran d’arrêt : « Tu l’as vu celui-là ? » Je me suis fait jeter avec mes potes, le bruit en courut je crois jusqu’en gendarmerie. Ne pas oublier ma gifle donnée en pleine rue, l’étudiante traitée de « machine à gosses » et le sigle « ABLF » (« À Bas Les Femmes ») à l’encre sur la main. Ensuite, j’appris que « je faisais peur ». Sans doute étais-je le lièvre, et les femmes, les grenouilles.

     

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    Tout cela pourrait s’écrire à la troisième personne. Mais c’est la première qui m’importe. Je ne m’épargne guère. À votre tour à présent.

    Il n’y a qu’à leur parler

    J’ai parlé. Des conversations, autant qu’il en est possible, philosophie, sociologie, sentiments et sexe, que dis-je, surtout de sexe. Ma langue fut souvent mon seul organe sexuel.

    Fais-les rire.

    Je les ai fait rire. Avec du sexe. Dans les films, ça marche. Cléo de cinq à sept : un bidasse raconte des sottises à Cléo, elle rit. Une heure plus tard, on se retrouve dans son lit. Moi aussi : dans le mien, en train de me branler. « Femme qui rit... » - eh bien, c’est femme qui rit.

    Touche-les

    Réponses enregistrées : « Écoute… je suis un peu gênée… je ne suis pas venue au cinéma pour ça… » « Ce que je cherche, c’est un camarade… une amitié… ce n’est pas le genre de rapport que... » - ad libitum. Les lèvres qui se dérobent, la joue qui se détourne, l’épaule qui fuit, la main qui fond – le genou qui s’écarte (un seul genou) – tenez, fantasmons : « Un mec, un vrai, c’est celui qui drague une fille dans la rue, et se retrouve une heure plus tard... » (voir plus haut).

    - Oui.

    - Prends ça dans ta gueule » - il lui décharge son 7,35 dans le ventre, parce que le ventre ou la gueule, c’est la même chose. Le tireur s’effondre à son tour : « J’ai tué » qu’il répète à genoux « j’ai tué », il n’en revient pas, il tend la nuque et personne ne l’achève, les flics le relèvent et lui parlent comme à un malade – vous avez l’heure j’ai tué vous habitez chez vos parents j’ai tué c’est à vous tout ça ? - ceux qui siffElaient les filles en groupe je leur dis vous ne voyez pas que vous passez pour des cons ils se sont arrêtés aussitôt.

    Fantasme

    Fuir au Maroc. Se faire passer pour Chleuh à cause des yeux, se faire tringler, casser des gueules pour se venger. « Maintenant tu me procures une pute. - Y’en a pas. - Paie-moi une pute «  fin du fantasme.

     

    ...la drague disparaît. Si tu abordes une femme tu passes pour un détraqué. Marie ouvre son parapluie d’un coup sec devant un type qui lui demande l’heure – genre Félicité devant le taureau ça va pas non ? dégage ! Essayez voir, jeune permissionnaire, d’aborder, poliment, une femme dans la rue – redégage.

    Les femmes essaient de « draguer désagréable » pléonasme – très comique les mecs qui paniquent - « draguer sensible » ? - non – jamais essayé… Juste interdire « drastiquement » toute drague d’hommes (entre femmes, no problem ). Comprenez bien : une femme dragueuse d’hommes avouerait par-là même que ma foi oui, elles pensent à « ces choses-là », et chacun sait la répulsion des femmes pour tout acte sexuel hors mariage (ou hors collage : elles ont fini par admettre le collage – quel progrès!) - et Phâmes de se plaindre : « On ne nous regarde plus ! On ne fait plus attention à nous ! « ils » baissent les yeux ! » - oui, et autre chose aussi. Pas fous. Quand on sait qu’aborder une femme récolte neuf fois sur dix la gueulante ou la main sur la tronche, aux sourires caustiques, on reste sur son strapontin de métro, on serre les fesse et on ne bouge plus.

    Ou bien, la panique vous lâche dessus un gros moellon de mimiques ridicules, j’ai déjà donné merci – merde, pour s’adresser aux femmes faudra bientôt trois ans de cours Simon. Ou des prothèses, un masque blanc, au hasard – les femmes ne se font plus « importuner », tout le monde s’emmerde, on a – ga- gné.

    « Et vous seriez contents, vous les hommes, de vous faire draguer ?

    Chœur des mâles : Oui.

    Laissons- leur la parole. Car les femmes draguent. Elles sont très fermes là-dessus : si si, elles draguent. Et elles baisent quand elles veulent. Dialogue :

    « Ce type n’est pas possible – tu as remarqué le rentre dedans que je lui ai fait ?

    - Raconte…

    - Il n’a pas pu ne pas se rendre compte ! Enfin ! Il était à l’autre bout du bar, et je me refaisais tout le maquillage en lui tournant le dos, mais il a bien dû remarquer mes mouvements de cils, tout de même ! » C’est faux, mais plus vrai que le  vrai. Juste pour montrer. Les femmes « draguent », c’est vrai. Mais si subtilement, si délicatement, avec tellement de « féminité » [sic] qu’elles sont bien les seules à s’en rendre compte. Çà pour vous sourire, elles vous sourient. Ma bouchère sourit. Ma boulangère sourit. Ce qui ne signifie pas qu’on va illico troncher sur les baguettes ou les os de gigot de l’arrière-boutique.

    «  Mais comment donc, Burrougues, tu n’arrives pas à distinguer le sourire de ta bouchère du sourire « qui en veut » ?

    - Ben non.

    - Ben voyons, c’est évident !

    - Ben voyons, pas du tout. »

    ...c’est ma femme qui m’a appris : « Quand elles battent des cils comme ça, tu vois, ce genre de regard » - pour une fois qu’une femme trahit ! Cependant : les femmes sourient. C’est certain. Au passage. Dans la rue. Très vite. Au bras d’un autre homme. Quand il n’y a pas de risque. Et souvenez-vous : on ne touche pas. On se frotte une bonne perle le soir, voire deux. Mais on ne touche pas à un homme quelle horreur !

    Alors, vous, bonne poire, vous répondez au sourire, vous engagez la conversation : « Mais pas du tout monsieur, qu’est-ce que vous allez imaginer, je suis avec mon mari ! (attends, j’explique au lecteur, là, parce qu’il s’y perd un peu : il n’a jamais connu tout ça ; tu accumules toutes les expériences maso possibles pour te donner des raisons de ne pas aborder les femmes : tu serais effrayé de la réussite.)

    C’est ç’laaa, ouiiii.

    Merci Catherine de Toulouse, qui m’as demandé de te raccompagner chez toi à 2h du mat, et qui ne m’as pas laissé monter,mais qui m’as couvert de baisers après que j’ai dit « Bon je pars », si bien que je ne pouvais pas me dédire sans passer pour un con.

    Merci Christine M., qui aurait bien voulu me sauter, mais qui s’est confiée à ma femme qui me l’a révélé un an plus tard, je ne t’ai pas inventée non plus.

    Merci Françoise L., assise à côté de moi sur le canapé cuisse à cuisse sans oser te toucher ; puis quand je me suis décidé (« Il ne faut pas brusquer les femmes ! »), tu m’as rendu le baiser, puis tu t’es écartée parce que je ne te désirais pas assez, qu’on n’avait plus le temps, je ne t’ai pas inventée.

    Merci Nicole, qui as renvoyé tout le monde pour me garder seul, qui m’as fait coucher à l’autre bout de la chambre, et qui n’a pas réagi d’un millimètre quand je suis venu à tâtons te baiser la paupière, pour me virer comme un malpropre le lendemain matin, « cette promiscuité est malsaine », je ne t’ai pas inventée.

    Merci Annick, à poil sur le lit en train de te rendre compte que « non, là, vraiment, c’était trop loin non non je ne veux plus pas maintenant mais cette fois, ce n’était pas moi, tu es tombée sur un homme, un vrai, qui t’a flanqué une baffe en te demandant si tu te foutais du monde, je vais t’apprendre à respecter un homme, et tu y es passée, je ne t’ai peut-être pas inventée, mais j’ai entendu dire, et les hommes se vantent souvent.

    Parler aux femmes, les faire rire, laisser traîner ses mains : à d’autres. Draguer gentiment dans la rue ?à d’autres – mais si tu ne dragues pas, on ne viendra pas te chercher. Et en admettant que tu obtiennes un bout de doigt, il te sera retiré, pour se foutre avec les neuf autres là où tu penses.

    Elle pensera peut-être à toi…

    *

     

    ...À votre tour les mecs… Pas de raison. Qu’est-ce qu’il y a de plus con qu’une femme ? ...un homme.

    Un homme, ça plastronne, ça les tringle toutes… mais quand on délie les langues, on s’aperçoit – comme c’est curieux ! que ces messieurs se départissent de la fameuse solidarité masculine et se tirent dans les pattes comme de véritables clientes de coiffeuse. Ce qui peut laisser sceptiques sur les prouesses des Bites-en-Barres.

    À 42 ans, les hommes ne parlent plus de cul : le rouleau compresseur de la vie les a bien rattrapés derrière les oreilles. Mais entre jeunes, c’est le festival d’arpente-bites. Libre à eux. Mais les voici qui dirigent vers moi leurs grands chevaux. Et je la leur joue Parsifal : je cherche des renseignements : comment faire pour être un homme, aussi beau que vous, séducteurs, ravageurs de croupes. Alors les chevaucheurs rigolent entre eux. Grassement. Ils s’exhibent leurs prouesses, leurs tringlages, se renvoient l’ascenseur, se la passent à la brosse à reluire, avec le coup d’œil supérieur au minable à pied dans le crottin : « Mais c’est facile mon vieux ! ...Tu te débrouilles ! » - leurs rires… surtout leurs rires…

    J’ai envie de tuer.

    Les plus calmes :

    « Mais bien sûr, que je tombe toutes les filles que je veux (bouffée de pipe). Ce n’est pas un problème (bouffée de pipe). Il suffit de savoir s’y prendre. De nos jours les femmes sont libérées. Elles ne pensent qu’à ça, comme nous. Tu n’as qu’à demander. »

    Mon désir de saccage devient frénétique.

    Cette fille de banquier qui déclamait : « Moi j’ai dépassé le problème de l’argent: j’en ai – je le dépense. »

    Ils disent : « Tu devrais te tourner vers d’autres questions maintenant. Tu n’as plus seize ans tout de même. » D’une femme : « Il est un âge où il faut savoir se fixer. Finies les petites aventures à droite à gauche. » L’ennui c’est que ne suis pas une femme, moi. Il ne me suffit pas d’ouvrir les cuisses. « Mais nous voulons choisir ! » ...Parce que vous vous imaginez, mesdames, que nous choisissons, nous,  les hommes ? …on est trop content de prendre ce qui traîne ! ...Et dire qu’il m’a fallu lire dans je ne sais plus quelle enquête bidon cette réponse de je ne sais quelle bite à pattes : « La baise, maintenant, ce n’est plus un problème ! » - on l’a payé combien, celui-là ? Pas besoin de le payer, d’ailleurs : les mecs se vantent comme on pète à table. Mais à 19 ans,j’y croyais dur comme fer. J’aurais bien aimé les avoir près de moi, tiens, quand je parlais à une « fille », pour me conseiller jusqu’au bout, pour me la tenir pendant la baise.

    Je glanais des recettes, j’accueillais tout avec des ferveurs de catéchumènes. On me racontait sans rire et d’un air blasé comment on s’était envoyé une passagère inconnue en cinq-sec, comme ça, dans les chiottes du Paris-Toulouse. On me célébrait une nymphomane arlésienne sans jamais vouloir me la présenter, d’où je conclus rapidement que ce genre de bête de foire n’existait qu’entre les pages des magazines. On me décrivait avec force détails les halètements d’une obsédée de la teub qu’on avait dû shampooiner sous un robinet d’eau froide ; après quoi, la prétendue chaudasse avait soupiré « Merci Léon », dégoulinante de reconnaissance.

    Et je gobais comme Parsifal, les yeux globuleux.

     Merci Bernard B., de m’avoir emmené dans une « partie carrée » après m’avoir en chemin ridiculisé par une série de vannes scatologiques où les trois autres se fendaient la gueule comme des macédoines en boîte – j’aurais pu me méfier : « Ce n’est pas tes blagues qui font rire, mais la tête que tu fais en les racontant ». Quand nous sommes arrivés dans l’appartement de baise, Bernard B . et sa partenaire se sont enfermés dans la pièce voisine pour tirer un coup vite fait à même l’édredon, tandis que je m’indignais de la froideur de l’autre, celle qu’on me laissait, le lot de consolation, perdant tout contrôle au point de l’insulter pour son manque de symétrie, et de vouloir lui arracher les boucles d’oreilles.

    Je me suis même retrouvé les mains autour du cou pour l’étrangler. Merci Bernard B. Tu rigolais bien dans le car du retour. Et je gueulais, je gueulais… Les autres t’ont fait de violents reproches : « « Tu te rends compte de ce que tu as fait ? Tu ne vois pas qu’il est malade ? que tu l’as complètement détraqué ? - Je lui ai même fait raconter l’histoire de la vache ! - Tu te rends compte, espèce de con ? »

    La vie m’a bien vengé, camarade. Tu voulais devenir le comédien, le cinéaste du siècle. Tourner Rabelais. Mais plus jamais je n’ai entendu parler de toi, pas même das le plus minuscule entrefilet de bas de page de la dernière feuille de chou d’Orthez. Tu as dû croupir dans je ne sais quel sous-bled pyrénéen , c’est bien fait pour ta gueule, moi je reçoit des boulettes en classe de 4e, c’est bien fait pour la mienne.

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    « Tape-moi dessus ou ça va de rendre malade. Frappe-moi, rends les coups autrement tu ne vas fermer l’œil de la nuit » - Jacques H., tu ne me plaisais pas trop mais tu avais tout compris.

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    Quand je les entendais parler l’un de l’autre, Bernard B., Laurent K., j’apprenais que le second ratait toutes les occasions, que le premier n’avait réussi qu’à dégoter une infirmière gélatineuse. Quand Laurent revenait de ses bals, de ses baises, après m’en avoir assené tous les détails, il me demandait de faire la fille, et j’acceptais avec reconnaissance, et puis les soupçons m’étaient venus : d’où lui venait tant de force dans mes boyaux, s’il avait comme-tout-le-monde il s’en vantait « tiré quatre coups dans la soirée » ?

    Il se disait amoureux de Nieves, étudiante espagnole et blafarde. À la cité des filles, elles étaient toutes deux par chambre, et toutes les nuits. Il suffisait que je le rappelle à mon amant (on dit comme ça) pour me faire « besogner séance tenante » (on écrit comme ça). « Mais » disait Nieves en ouvrant de grands yeux, « on fait toutes pareil pour se rendre service ! qu’est-ce que vous y trouvez donc de si extraordinaire ? » Ces propos candides me foutaient hors de moi, à taper sur tout ce qui bouge. Mais je ne bougeais pas. Jeunes étudiants de ces temps reculés !… vous vous montez la bite, vous n’en touchez pas une, vous étranglez le borgne, vous ne baisez pas, votre queue ne vaut pas trois phalanges.

    Vous vous ruez sur les revues porno pour contempler dans la fascination ces vulves béantes que vous ne voyez ni ne verrez jamais. Si vous avez du fric vous montez aux putes, mêmes beaux, mêmes bronzés, vous lâchez vos purées toutes paupières closes, et vous ressortez voûtés par la porte de derrière, car c’est ainsi:la femme se branle et l’homme va aux putes, vous voyez bien mesdames que la prostitution masculine ne fonctionnera jamais. Écoutez tous le long hurlement ridicule des misères du cul. Jeunes gens de mes faux amis, vous cachez vos défaites et vos amours, vos pleurs et vos délaissements, pourquoi nous empoisonnez-vous tous, pourquoi m’avez-vous ruiné, trahi en même temps que vous, sans autre courte échelle que nos obscénités vétustes… Deux pour cent. Deux pour cent de vrais hommes pour 98 % de sous-paumés… Deux pour cent qui se posent en héros.

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    Que me reste-t-il à faire ? tomber pédé. Je chialais sur mon volant Place de la Thoire en prenant conscience. « Si tu veux tenter l’expérience je suis à ta disposition une fois pour voir. Coucher avec un homme. On rationalise après-coup. Pour capter la Puissance. Nous étions vierges d’hommes lui et moi. Rudes et désinvoltes. À l’opposé du couple-hétéro-dans-un-cœur rose. Vous saviez tout cela. Vous auriez été Premiers Résistants de Quarante. Nous recommencions la dernière fois juste une fois la dernière Mais s’il me parlait doucement me caressait le cou d’une certaine manière qui étais-je pour résister ?

    S’ouvrir. Les femmes ne riront pas. Elles se souviennent de la première fois. Cœur et cul contigus. Passage droit ouvert au cœur. Foré de l’intérieur, creux jusqu’aux limites de la peau chantourné dit l’ébéniste, le cœur seul point solide, les larmes de bonheur aux yeux dans l’abnégation le don palpable anatomiquement immédiatement vérifiable donner vaut mieux que prendre enfin se sentir exister.

    Et j’ai découvert ce que je bannissais de mon univers à toute force qui avait pour nom fidélité – invention de froideur et d’imagination châtrée que j’ai sentie . . de tout mon être avec le plus grand naturel. Il m’apparut inenvisageable inconcevable de partager le même lit avec un autre homme. Si B. s’allonge un jour près de moi je le repousse en ses avances et B. s’est relevé plein de dégoût « je n’en étais pas dit-il un vrai car les pédés couchent avec n’importe qui – faudrait-il donc pour être une vraie femme céder à n’importe quel homme ? ...tel Athénien m’exprimant le désir d’aimer en moi un « vrai taureau » je m’entendis répondre que je ne pouvais trahir J., que j’étais amoureux de lui et n’en désirais pas d’autre.

    Autre chose encore s’était formé en moi, celle de me croire aimé pendant l’acte. J’imaginais alors dans mon ignorance l’absurdité des femmes insensibles qui devaient s’estimer comblées du seul fait d’être aimées, sans revendication inconvenante : se sentir aimée ! avait-on besoin de plus ? Oui. Je n’éprouvais pas de plaisir génital. Mon excitation tombait dès que mon partenaire avait joui. Je compris qu’une femme, sans ressentir d’orgasme, puisse se satisfaire d’en offrir un à l’homme. Le don total suffisait, me comblant tout entière.

    J ‘appartenais à M. Je lui demeurais fidèle. Tous les archaismes revivaient. Je compris qu’une femme pouvait se sentir la chose d’un homme. Je vécus dans ma chair ce que je réprouvais le plus. Devant cette évidence physique, tout ce que j’ai écrit jusqu’ici, ces torrents de rancœur contre les femmes, deviennent ipso facto lettre morte. Ainsi d’un partisan de l’avortement qui ne peut se résoudre à refuser son premier enfant – ni aucun des suivants…

    JE SOUSCRIS DONC ENTIÈREMENT À TOUT CE QUE JE HAIS CHEZ LES FEMMES : je me montrerais aussi exclusive, aussi traditionnellement fidèle, jalouse et dévouée qu’elles, et complètement gouine. Ce que je leur reproche, c’est d’être différentes. Et si j’étais femme, je n’admettrais à aucun prix cet échangisme forcené des hommes, cette rage de collectionner, je reprendrais à leur encontre les griefs les plus éculés sur l’inconstance, la froideur et l’égoïsme masculins. De quoi refermer ce livre.

    Alors, sombrons. Sombrons dans le physiologisme le plus rebattu sur la différence des organes entraînant celle des mentalités : la femme pénétrée éprouvant le besoin d’une sécurité accrue, et autres couillonnades. La femme livre sans restriction la totalité de son être, et non pas son seul sexe. Cela, je l’ai senti et ressenti, argument particulièrement mesquin.

    La plus belle chanson d’amour, c’est Estelle, de Pierre Perret. On ne l’entend plus. Sur une mélodie répétitive et tourbillonnante, il y proclame sa soumission totale aux charmes et lubies de sa belle ; il fera son ménage, il vivra à ses pieds, passera par toutes ses volontés, acceptera même que sa mère vienne vivre avec eux, même si – révélation canon – c’est un travelo. Je ne l’ai entendue qu’une fois, elle m’a plongé dans un état extatique, et reste pour moi l’expression même de l’amour, la plus exacte, la plus essentielle. L’amour pour moi ne saurait être autre chose qu’une soumission absolue à l’être adoré, ce que j’ai bien trop souvent mis en pratique.

    Après cette déculottade, comme veut-on (car on voudrait!) que je me relançasse dans une relation homosexuelle cette fois caricaturale, où je reprendrais à mon compte les clichés les plus viraux sur la femme soumise et heureuse de l’être ? Si je me laisse de nouveau prendre à un homme, ce sera pour lui obéir comme un chiot. Tant que je confondrai l’amour avec l’abnégation, le sacrifice, le masochisme, dans une telle abnégation de soi, je ne serai pas mûr pour le vivre. Adoncques, croyant, mais non pratiquant.

    Ce n’est pas de mon homosexualité que j’aurais honte, mais bien de ce dévoiement archaïque. De même avec les femmes. Si je ne me révèle capable d’aimer que ratatiné au pied d’un socle, je suis indigne d’aimer. Je me retiendrai donc d’aimer, fabriquant ainsi une autre névrose, la sécheresse intellectualiste, mais : digne. Voilà où m’ont conduit mes lectures ! c’est la découverte de loin la plus navrante que j’aie faite sur mon propre compte : car je considère des Grieux somme le plus grand couillon que la terre ait porté. ; je déteste l’œuvre de l’abbé Prévost, la plus froide et la plus niaise que j’ai lue, et voilà pourquoi je ne me ferai plus entuber, ayant assez de nœuds dans la tête sans en ajouter ailleurs.

    Du coup, je n’aime plus.

     

    X

     

    Sans transition aucune, étudions à présent ce que j’appellerais le non-marché du non-libre échange ; où nous verrons que si l’homme vit seul, il le restera jusqu’à ce qu’il en crève, malgré tous ses efforts, tandis qu’une femme dans la même situation s’obstinera à le rester, malgré toutes ses dénégations. Que s’il existait une prétendue « libéralisation des mœurs » ne passant pas par le mariage, elle est toujours démesurément infinitésimale, en raison de l’indécrottable blocage féminin. Considérons en effet CE mec, mal rasé, voûté, fringué chez La Cloche, quinquagénaire et alcoolisé : ne nous étonnons pas de son manque de partenaire. Il nt faut pas croire aux miracles, sauf evidemment dans les romans ou les films écrits par des hommes. Personne n’ira se demander par exemple pourquoi il en est là, pourquoi son ventre a bidonné, pourquoi il pochtronne. Les femmes ne font pas la charité, qu’on se le dise. Il y a là une légende répugnante, qui veut voir sous chaque jupe un saint-bernard (mis à part l’Armée du Salut).

    Mais n’allons surtout pas nous figurer qu’un bel homme, bien rasé, costaud, maître-nageur – s’en sorte mieux. À l’entendre, oui. Des femmes l’entourent – qui dira le contraire. Elles lui parlent, lui sourient. Mais s’il ne se risque pas lui-même et de sa propre initiative, à saisir une main, une épaule, un coude, au risque neuf fois sur dix de les voir se dérober, il n’obtiendra rien. Kloum. Qu’il n’attende pas de la femme la moindre initiative, la moindre prise – eh oui – de responsabilité.

    Hommes, qu’on se le dise : pour les femmes, vous représentez avant tout un danger, un objet contre-nature. La preuve en est qu’elles compareront toujours la honte d’un viol de femme à celle d’un viol entre hommes : « Et si on vous en faisait autant ? » - permettez : pour un homme, c’est encore PIRE. Mais elles ne voudront jamais admettre l’impossibilité totale d’assimiler le second au premier. Il n’y aura aucune différence, pour elles, entre une violence contre-nature et une violence doublement contre-nature.

    Pour elles, c’est se faire pénétrer qui s’assimile à ce que nous pourrions ressentir, nous, lors d’une pénétration. Il s’agit chez les femmes d’une torsion de raisonnement. Nous sommes répugnants comme un enculage. Nous ne méritons pas un regard. Avez-vous remarqué - « c’est un scélérat qui parle » - comme les femmes détournent le regard, fixent droit devant elles pour ne pas affronter la souillure de vos yeux. Jamais une femme n’aborde un homme (dois-je dire « n’abordait »?) Elles semblent radicalement dépourvues de tout sens du désir gratuit. Les hommes seuls resteront seuls. S’ils ne font pas « le premier pas de l’homme », il seront immanquablement méprisés. Mieux : ignorés.

    Considérons à présent le nombre considérable de femmes qui vivent seules : JJMS, « jeunes, jolies mais seules ». Et de se plaindre. Et de se plaindre. Le propre de la femme est la Plainte, le Gémissement, la Râlerie. Ce qu’elles veulent ? Un Hâmour au minimum inaccessible, afin d’en être les Victimes. Depuis la nuit des temps. Éternellement insatisfaites, à cause des cochons lubriques. Alors, on se marie.

    Les femmes mariées sont des mortes. Mortes à l’amour, mortes à la liberté. Délibérément hors circuit. Sur la touche, intouchables, in(é?)branlables. Pas d’imagination, pas d’infidélités (disent-elles). Inutile d’imaginer l’inquisition infligée aux maris, ligotés sur l’autel des escapades ; un épiage constant, minutieux, morbide. L’épouse devient le pot-pourri puant de toutes les vertus, les os rongés jusqu’aux cartilages. Et cependant la Horde des Mâles s’obstine, tire-langue et pendouillarde, grondant ridicule au pied de ces ferrailles bardées de gros bois.

    Toute personne de sexe féminin qui se hasarde dans la rue se figure immanquablement violée par nos regards. Harcèlement dehors, harcèlement dedans. Par contre, cuisses nues, seins galbés, paupières et lèvres vulvaires – pour elles-mêmes, on vous dit, pour elles-mêmes ! ...qu’ont-elles donc à faire du « désir des hommes », sale et dégradant ? Violées par défaut par ces meubles à pattes, ces hommes trimballant leurs merdes entre les jambes, à qui l’on interdit jusqu’à lever les yeux.

    De toutes celles qui hululent sur leur solitude, il n’en est pas une qui ne pourrait, pour peu qu’elle le veuille, trouver une foultitude d’occasions. Mais ni « volonté » ni « désir » ne font partie de l’inodore et terne domaine féminin. Elles écartent le tout, à pleines brassées. Pas de pitié pour les femmes seules. Qu’elles ne nous en fassent pas accroire. La plus moche d’entre elles reçoit en une demi-journée plus d’œillades et de propositions qu’aucun homme ne puisse oser en recevoir en trois vies terrestres.

    « Vous exagérez, dira-t-on. « Il y a des femmes qui baisent ». Oui, si l’on s’en rapporte aux vantardises pathétiques des hommes. Non, si l’on s’en rapporte aux faits : les femmes se portent, à tout casser, sur 2 % des hommes, toujours les mêmes : les plus beaux, les plus riches, ceux qui réussissent, les virtuoses du zizi. Les autres sont laissés pour compte. Pour l’éternité. Les putes ou le mariage – pas d’issue. 2 % des hommes choisissent 2 % des femmes, ou le contraire, tous et toutes se refilent les mêmes adresses pour l’excellente raison qu’elles sont si rares.

    Les autres sont mariés, ce que je me refuse à qualifier de sexualité (« J’aurais une vie sexuelle assez active, s’il n’y avait pas ma femme » (« Cochrane » - un autre) - ou bien se branlent. Vive la liberté occidentale.

    ...avez-vous donc vu la « révolution sexuelle » ? ...sur vos écrans… Les médias ont tout intérêt à faire croire qu’il se passe quelque chose. Je n’ai pas plus baisé, ni mieux, pendant cette prétendue vague libératrice qu’avant ou après. Entendre sur les disques ou sur les écrans des femmes qui aiment, qui se donnent, « feulent de désir » et autres conneries, et ne rencontrer dans la vie que des onanistes effarouchées ou des matrones à cabas, ça fout la haine. Une intox effrénée nous a fait croire aux femmes faciles. Elles ont en effet toujours existé : à 50 euros la passe.

    Il n’y en a jamais eu d’autres. Faire croire au bon peuple que « c’est arrivé » a toujours été le moyen infaillible d’empêcher à tout jamais que ça arrive.

    C’est ainsi que nous parvenons à la conclusion imparable et suicidogène que les femmes se plaignent au milieu des brioches, tandis que les mecs se rabattent sur leur quignon de vieux pain : la vie conjugale.