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der grüne Affe - Page 16

  • NOX PERPETUA Matière Première 03

    NOX PERPETUA

    62 08 21

    Cité du Paradis, avec mes parents. Emmerdé par un garçon et quelques filles dont Mimi Mathy, Destouesse, et autres Lolita, style Laetitia jeune. Je suis élu pour un voyage interplanétaire, voire uen colonisation extraterrestre. Mais je dois subir des persécutions, des piqûres de Mimi Mathy. Mes parents me reçoivent de mauvaise humeur, observebnt que malgré toutes mes précautions, je reviens avec des foulards d'autres filles autour du cou alors que je suis fiancé. Ma prochaine épreuve consiste à me faire tailler le masséter. Je proteste et résiste, Mais qu'est-ce que j'ai à perdre. J'aimerais bien naviguer dans l'espace...

     

    62 09 01

    Poussé à vélo par un gendre plus spontané que Christophe, je chante un rock endiablé, une longue mélopée à la Ribeiro. Je suis parti de mon HLM, genre Mohon, et je braille mes fausses paroles avec conviction. Ma voix couvre les musiques sortant, çà et là, des bars. L'ambiance est à la Révolution. Un orchestre et des chœurs à présent m'accompagnent. Sur les quais bondés les manifestants défilent, d'extrême droite. On a éteint l'éclairage public. "Christophe" et Sonia m'éloignent de chez moi, alors qu'il est plus de 19h (c'est la nuit). J'ai un peu peur. Ca gueule de partout. Les quais, toujours noirs de monde, sont bordés de vaisseaux sans éclairage, d'où l'on, sort, où l'on rentre.

    Le dernier cri est : "...que ta bouche, que ta bouche, que ta bouche"

     

    62 09 04

    Enterrement de Jacques Chirac, "Maire de Tulle", foule considérable à la cathédrale. Suis dans une abside avec mon père, qui explique la façon dont il avait dû se tourner lors de funérailles précédentes pour que son discours soit bien entendu de tous entre les colonnettes. Je m'absente, car ce sera long, et gagne les hauteurs. L'assieds, pour écrire, à une table de bistrot rural. Des chasseurs qui passent me recommandent de rester assis, car je voulais leur céder la place. D'autres, des jeunes gens cette fois, s'azssoient près de moi. Ils me disent que très peu d'oeuvres sont éditées, je renchéris. Je redescends en ville avec l'un d'eux et jette négligemment à terre une peau de banane et une pellicule d eplastique en ricanant sur l'écologie.

    Mon accompagnateur sait bien qu'on etnerre Chirac, dans un énorme cercueil somptueux, mais ne s'en inquiète pas outre mesure. FINIS SOMNII.

     

    62 09 07

    Dans un hôtel en Savoie. J'ai la chambre n° 1. Il faut s'y faufiler par un boyau étroit, style cheminée d'alpiniste. Un mec me bloque, il attend quelque chose du bureau d'accueil. Ensuite, c'est moi qui bloque le passage. Il faut trouver le bon itinéraire. Dans la chambre, G. se met sur moi, accroupi, mais je bande mou. Il me demande à moi aussi, j'accepte mais il ne le fait pas. En ressortant je longe un abîme de verdure effrayant. Et dire qu'un alpiniste renommé est déjà passé par là en voiture sans tomber. En redescendant, je me promène le long d'une vaste falaise ocre, dans un paysage de montagne à vaches. Mais l'orage gronde, en passant un tournant j'aperçois un énorme nuage noir extrêmement menaçant.

    Je me replie en ville, dans un cimetière de guides morts en mission. Un groupe de jeunes filles, avec religieuses en cornettes (l'une d'elles se trousse pour aller pisser) chant faux un cantique où l'on reproche à Jésus de chasser sur les mêmes terres que nous. Alors une religieuse préfère lancer le même cantique sur une cassette. Elle chante par dessus en prononçant "le Christeu". Bien sûr, séquence de pisse qui déborde au pied de l'hôtel, coinçage dans l'ascenseur, les chambres empilées l'une sur l'autre, on ne se sert pas des WC de la patronne, bref, une fois de plus, le rêve qui met en forme...

    62 09 10

    Je rêve d'une incinération du Dr Nogaret. C'est une véritable pagaïe. Je pisse. Annie me demande si en revenant (il y a du retard) ce sera la même chose. Comme elle pisse, je repisse, m'aperçois dans une glace qu'il ne me reste plus qu'un verre de lunettes ce qui me donne un air burlesque. Un commentateur se marre, tel homme a récupéré pas mal d'argent après en avoir prélevé sur des Hongrois. Deux femmes nues s'étreignent de douleur à même le sol. Les ascenseurs sont plus ou moins détraqués. "Vous verrez une grande fumée noire, dont Untel, qui vous dira adieu" - effectivement, de grandes fumées jaillissent à 300m par bouffées, tout le monde se récrie plein de peur.

    On n'a toujours pas appelé notre nom, notre tenue laisse à désirer. Atmosphère de boulot expédié à la chaîne.

     

    62 10 15

     

    Immense salle de concert, comble. Il ne me reste plus qu'une seule place assise, à côté du chef. Didier, maigre et jeune, m'accompagne. Un film est projeté avant le concert ; Il s'agit de bourgeois qui se disputent. Le chef arrive sous les acclamations. Mais Anne Faivre me donne des indications à donner : je suis persuadé, et dois pondre un grand article pour le vendredi. .

     

    62 11 09

    En camionnette avec un ami, nous franchissons un portail qui nous mène dans un vaste chantier en profondeur, où se démolit tout un quartier aux couleurs bigarrées. Nous nous faisons engueuler comme des chiens par un garde qui nous parle de l'interdiction de ce lieu. Mon ami s'en va, je descends de la camionnette et prends des photos. Une petite Noire me guide pour éviter que je

    sois repéré, je marche donc à l'ombre des arbres. Puis je ressors de là, en camionnette, me gare. La petite fille m'appelle : « Papa ! Papa ! » du haut d'un quatrième étage. Un ascenseur est gratuit, l'autre pas. Je prends le gratuit, très lent, étroit, la paroi dans le dos, et le fond de la cabine devant le nez. Inquiet tout de même. Je ressors cependant de cet ascenseur.

     

     

    62 12 03

    Avec Coste, à la terrasse d'un café méditerranéen. La mer est derrière nous, sur des enrochements. Il voudrait que je prolonge mon séjour, mais je lui confie que mon épouse est jalouse de la durée de mes voyages. Une femme se met à chanter. Certaines personnes se montrent aux fenêtres, mais je ne puis savoir exactement qui émet ces sons mélodieux, car les personnes en question, d'après les mouvements de leurs lèvres, parlent, ou bien chantent. Nous entrons dans un magasin négligé, en demi-sous-sol, où se vendent des livres, neufs ou d'occasion, et des provisions. Préparons un petit sac pique-nique. La gérante, brune de 50 ans, vient avec nous. Elle s'imagine que je la drague, or, en entrant, j'avais dit à Coste « la femme, c'est encore ce qu'on a trouvé de mieux pour remplacer l'homme quand on n'a pas la veine d'être pédé ». Nous partons à Mobylette, il y en a tantôt une, tantôt deux. Quand il y en a deux, c'est moi qui conduis, avec la femme derrière ; s'il n'y a qu'une Mobylette, .c'est Coste, et nous deux derrière.

    La femme m'a dit : « N'attends rien de moi. Rien. » Je lui lance « ça va pas, non ?  tu t'es regardée  ?» Elle se vexe mais n'en montre rien. Nous parvenons à un autre village, dont le clocher pyramidal s'orne de ferronneries bouclées. Il s'appelle « X » - « sur-la-Terrasse ». Coste, d'excellente humeur, voudrait m'inviter en Corse (... « Mais tu ne sais pas nager ! - Oh, une demi-longueur de piscine ! »). Je tire mon téléphone de ma poche devant la femme, mais j'ai oublié le numéro de mon propre domicile. Coste reste jovial, bien que je doive partir dans deux ou trois jours.

     

     

     

     

     

    62 12 04

    Avec Hitler et mes parents, il parle aimablement. Mais j'ai fait une vanne scabreuse pas terrible sur une de ses servantes, et je crains qu'il ne se vexe. Mes parents essaient d'arrondir les angles. Je ne sais comment rattraper ma bourde et crains fort de me retrouver dans un camp...

     

    62 12 11

    Une Noire me confie sa fille de 7 ans, d'une riche famille de politiciens, afin qu'elle ne soit pas enlevée en otage. Je parviens, dans un hôtel, à la faire échapper aux poursuites de divers agents secrets. Elle dort avec moi sous une grosse couverture en fausse fourrure d'ours. Deux plantons noirs, au bas de la porte d'hôtel, sont en faction. Mais, mission accomplie.

     

    62 12 12

    Je visite un vaste château aux chiens endormis. Ce sont les appartements privés du Général de Lattre. Je rejoins Arielle, dont je m'étais séparé, au rez-de-chaussée.

    Vite, écris, c'est urgent. Empoisonne les nerfs de tes descendants. Salut, Brocanteur.

     

    62 12 15

     

    Je me trouve dans un long train clair et luxueux, bondé de passagers aimables. Parti d'Allemagne, il relie Clermont, Lyon, Marseille, puis repart vers l'est, jusqu'à Vienne. Je regarde le paysage, puis je m'aperçois que mon gros cartable rouge, à l'intérieur du wagon, glisse peu à peu jusque sous les genoux d'une femme assise. Or il contient, outre certains objets personnels, un gros manuscrit (de Roswitha sans doute) et deux ou trois gros livres auxquels je tiens beaucoup. Je me force à faire confiance. Je reconnais Clermont (qui n'est pas Clermont), puis une cathédrale russe en pleine ville (serions-nous déjà à Nice ?) devant laquelle une cycliste nous fait signe.Je remonte la rame à la recherche de mon sac, en ouvre un ou deux, réclame autour de moi, tous me répondent aimablement et calmement, me dirigeant vers ce qu'ils appellent la « cantine ».

    Là-bas, deux ou trois employés me remboursent mes effets personnels sans difficulté (quelques grosses pièces…), mais concluent, dans leur rapport, que je suis doué, superficiel cependant. Je m'en aperçois, ils se rectifient avec l'accent allemand, rigolent sans que je puisse vraiment discerner s'ils sont moqueurs ; ils me croient capables d'écrire un roman, je leur dis que justement j'en projette un sur la Finlande. Je compte descendre avant Vienne, peut-être me réexpédiera-t-on ma perte (si ce n'est pas un vol) depuis la capitale autrichienne.

     

    62 12 18

    Dans une grande conférence pro-islamique, où sont vantées les valeurs et l'ancienneté de la civilisation arabe. La mosquée est le lieu de la conférence. Nombreuse assistance. Un Arabe s'excuse d'avoir eu une civilisation sobre et qui n'aurait jamais dû survivre. « C'est comme ça », dit-il en reposant les mains sur son pupitre d'amphithéâtre. Les Arabes se seraient même adaptés aux éléphants et aux inondations. Nous logeons non loin de là. Une fille inconnue occupe mon lit dès que je me suis levé, elle s'expose et je lui lèche la chatte bien renflée. Une autre femme arrive pour prendre le petit-déjeuner, s'installe à table en face de moi malgré le désir de la première de ne pas être en diagonale. Nous nous reverrons peut-être, mais c'est peu probable. Je fume, en repartant, une cigarette qui se replie et se noue en jouant, comme une flûte, un air arabe. Une femme (encore) me parle, sur une petite route pyrénéenne.

     

    63 01 17

    Rêve, à Francfort, en allemand et en français. Je déconne avec des étudiants malgré mon âge, bramant avec eux des propos incohérents et poétiques dans les deux langues. Avec roulades dans les prairies en pente, voitures en zigzags, théâtre improvisé, happening. Ensuite nous nous séparons, nous promettant de nous revoir. Je donne mon adresse – mais en hésitant sur mon nom de famille. Un élégant longiligne qui m'avait donné son costume demande malgré tout de le lui renvoyer une fois nettoyé. Dans ces élèves figure Rinder, qui était amoureuse de moi à Vienne. Puis je suis raccompagné à la gare, en partie, par l'indication d'un bus, qu'on m'a fournie.

     

    63 01 29

    Des collègues et amis de collègues se rassemblent chez nous, dans une maison qui ressemble, en plus grand, à la nôtre. Tout le monde a l'air très joyeux et bien décidé à s'amuser. Chacun s'est apporté un gros cuivre. Avant de jouer de ma trompe de chasse, je veux essayer un buccin gaulois très lourd, dont je ne parviens à tirer qu'un couac poussif. Une blonde m'a déclaré qu'elle m'aimait et me désirait, me faisant un « pont avant » d'acrobate pour me présenter sa fourche. Je suis très flatté, mais me dépense parmi mes invités. Nous devons nous rassembler, partir vers une autre maison, après Cadillac, pour porter secours à une fille de 13 ans qui se noie.

    Je me retrouve coincé à l'arrière d'une voiture avec Jean Dubédat, et d'autres qui s'embrassent, homosexuels qui m'étouffent, alors que j'ai à ma disposition une si belle touche féminine. L aquelle trouve dommage que je ne boive plus : elle aime les ambiances collectives et festives, cela ne me conviendrait pas trop et nous ne nous entendrions pas longtemps. Au repas, je me suis placé entre ma femme et Jean D., le prof d'allemand. La belle blonde se trouve à deux places sur ma gauche, un peu désappointée. Je lui fourre le bout du pied sur le genou mais elle se détache. Avec Arielle je me réfugie dans une remise, sur un lit : « Et alors quoi, on ne peut plus copuler tranquille ? » Non : il faut revenir bouffer, cette fois-ci sur des tréteaux, et faire les cons…

    Je dis à mon épouse que c'est aussi très épuisant de se revoir ainsi. Quant à la jeune noyée, elle a dû périr, et je fais observer qu'elle a bu tout son soûl, et n'a plus soif. Nous repartons, la campagne est inondée, nous n'avons plus qu'un mince ruban de route hors l'eau. Je fais arrêter, de nouveau coincé avec trois pédés. Dans ce compte-rendu, je ne suis pas arrivé à retrouver un ordre chronologique satisfaisant. Il faut supposer qu'il y ait eu, d'abord, un premier début de repas, interrompu, puis un ou deux trajets, puis une seconde propriété où les tréteaux avaient été dressés dans le jardin.

     

    63 03 03

    Débarquant seul du train à Bergerac (Anne est restée dans le wagon), je m'aperçois que toute la ville est engloutie dans une obscurité absolument totale et qui n'a rien de naturel. Il me faut traverser la ville pour arriver chez mes parents. Ce sera une véritable cours d'obstacles. Pour commencer, je m'emmêle dans une laisse de chien, aux deux bouts de laquelle s'agitent un cabot et une maîtresse, d'une cinquantaine d'années. Elle me confirme la panne, tandis que nous nous emberlificotons, au point que je ne sais même plus si je suis cette femme, la laisse ou le chien. C'était tout simplement Anne qui se levait dans le noir à la cuisine.

    63 03 18

    Avec Sonia dans une chambre, nouveau poste, elle va au lycée elle aussi. Je me lave en vitesse devant elle, même les genitalia, même gêne de part et d'autre. Nous descendons les étages, montons dans la voiture noire qui endommage très légèrement la carrosserie d'un autre en stationnement. Évidemment les deux ou trois gros livres que j'ai préparés sont restés au 3e étage. Je parle avec un Portugais ou Maghrébin moustachu ; il ne sait pas ce que veut dire « boulot ». Il en a un petit mais quand il chôme, dit-il, on le « méprise ». Je monte en ascenseur, parviens au 6e puis au 4e, redescends par des escaliers très raides en tournant le dos à la pente, et j'ai la flemme de remonter, nous serons en retard, je peste.

     

    63 04 14

    Avec Annie dans notre voiture minable. Parvenons en bas de Meulan, à Thun. Des barrières de passages à niveau se succèdent, sans qu’il y ait forcément des rails. Cela semble sans raison, où que nous allions. À cause de travaux peut-être ? Nous jurons, à cause de la boue. Nous finissons par demander à passer la nuit chez un garde-barrière, qui accepte. Tout le monde là-dedans s’exprime avec un épouvantable accent du Sud-Ouest, à la limite de l’incompréhensible. Ils essaient de nous expliquer le moyen de remonter cette côte, mais je m’énerve en décrivant cette course d’obstacles d’où nous sortons. Le lendemain matin, même jeu, nous restons bloqués là. Je traite chacun de haut.

    Une quinquagénaire, de loin, estime que « Ce Monsieur » (c’est moi) fait preuve de lâcheté… de jouer les importants. Un chien nous indique un chemin boueux, mais nous ne le suivons pas. Enfin, l’un de nos hôtes finit par nous montrer comment faire. Arrivé au sommet de cette pente, il faut tout de même que je rejoigne mon établissement pour commencer un cours, sans bien sûr l’avoir préparé…

     

    63 04 21 (fin)

    Anne et moi séjournons dans un hôtel des Canaries. Elle a écouté une émission très longue à la télévision dès le matin. Je me suis lavé. Des cris ont retenti dans l’escalier, je lui demande de bien vérifier la fermeture de la porte, mais les deux battants s’ouvrent à toute volée : une comédienne dingue répond aux protestations d’Annie en poursuivant une vaste tirade. Je m’aperçois alors que nous sommes le 21, et que j’ai oublié de me faire mon shampoing. Anner veut écouter, cette fois, une émission sur Goscinny, me cajole pour que j’accepte, mais je refuse : elle m’a si souvent enjôlé pour me faire faire ce qu’elle voulait !

    Je gueule : « Moi aussi j’ai réussi, comme Goscinny, connard ! Moi aussi !

     

    vers le 63 04 25

    Je rends visite à ma grand-mère paternelle, dans un bel appartement urbain. Elle se montre à son avantage, avec de beaux restes pour une femme hors d'âge. Elle reçoit maintes personnes et nous la quittons enchantés. Ensuite, de retour à la même maison que dans d'autres rêves. Le jour est levé mais les volets sont restés fermés, avec la lumière visible de l'extérieur. Je suis avec Sonia et la prie de ne pas répondre aux coups de sonnette ou dan sles volets. A la fin, me rendant compte qu'on ne cessera pas le tapage, j'entrouvre des volets et me trouve face à face avec un travailleur immigré arabe ou indien, effaré. Je lui demande ce qu'il veut, "rien, rien" répond-il en reculant, effaré.

    Il voulait peut-être simplement que je déplace ma voiture afin de permettre le travail sur un chantier dans la rue devant chez moi.

     

    63 05 12

    Spectacle pour enfants. Ils sont en rangs, assis. Des structures lumineuses les encadrent, puis toute une carrosserie de bus, puis cela roule, en vrai, pour les ramener après le spectacle. Rien ne les étonne : c’est moderne… Chez moi, je reçois,en l’honneur de Manset. Dans mon jardin, un garçon de dix ans creuse un trou et l’aménage. Il veut que je me glisse là (le sol est détrempé) pour admirer son installation. Je décline son invitation. Je transfère une pierre semi-précieuse de chez Arielle à chez moi, et trouve un emplacement où son éclat mettra ladite pierre en valeur.

    En bus, en Israël. Pas moyen de retrouver un ticket, la conductrice excédée finit par me laisser monter. Devant moi, une mère veut calmer, en hébreu, ses enfants. Suis très fier de me trouver enfin en Israël, bien que je n’aie pu indiquer à la conductrice dans quelle ville se trouve mon point de destination. Une femme descend de l’autobus, entraînant par le bras le garçon de dix ans à qui je recommande la prudence dans le sable ; qu’il ne retourne plus dans ce trou qu’il a creusé. Je veux alors rejoindre l’avant du bus, sans plus rien reconnaître du trajet, surtout àpartir d’un pont sur un lac. Dans un compartiment, des Syriens s’entretiennent des annexions d’Israël ; ils prétendent qu’en grattant la terre rouge en bas des murs ils agrandiraient leurs possessions. Ce que je fais : le monde entier se trouve sur une paroi d’argile, jusqu’aux fonds sous-marins australiens, et d’un grand archipel qui n’existe pas, au nord ouest de ce pays. Le couloir du véhicule alors se rétrécit, son toit se rabaisse, tout vibre. Il n’y a pas de conductrice. Le plafond poursuit sa descente. Une porte de fer, enfin, s’ouvre, le rêve est achevé.

     

    63 05 16

    Avec Anne, en auto, dans une grande ville portuaire (Toulon). Nous tournons, à la recherche d’une plage. La circulation est intense. À un « stop », je m’élève à plusieurs dizaines de mètres, pensant qu’elle me suivra. Je parviens, en survolant tout le monde, à une plage bondée de baigneurs en tenue 1900. L’eau est bleu vert, magnifique mais maféfique, glacée ; un flic, avec sa famille, nous le fait remarquer, dans un dialecte germanique particulièrement dur. Des dauphins agonisent, paisiblement à sec sur le rivage. Puis nous retrouvons un « début d’histoire », dans lequel un espion recherchait, sur les fonds marins, certains débris assez communs jetés à l’eau, comme on en pouvait trouver partout. « Alors, que venez-vous chercher partout ? » La plage s’évacue par rangées, à genoux, les « chambolles » (?) de mon ami sont les mêmes, tout le monde chante de toutes ses forces, et moi avec eux, c’est une espèce de cantique en russo-allemand (cf. l’indicatif de Dallas). La compagnie se raréfie et serre les rangs, je chante de tout mon cœur mais personne ne fait attention à moi, je chante du mieux que je peux, et à mesure que nous montons, certaines têtes se transforment en crânes, des créatures extraterrestres nous attendent pour nous aider à embarquer dans une espèce d’auto-tamponneuse qui nous emmènera dans l’au-delà…

     

    63 05 28

    Je n’y vois pas beaucoup. De Paris je dois rejoindre Bordeaux. Dans un tunnel, accident : quelque chose est retombé sur un fauteuil roulant ; gros embouteillage à l’extérieur. Prendre le train vers je ne sais où, car il est impossible de déchiffrer les panneaux. Trois enfants rigolards s’installent à côté de moi, Surtout, les ignorer. Je parviens à un bled de lointaine banlieue. À l’hôtel, partage ma chambre avec deux femmes qui me laissent indifférent. Un proviseur vient leur offrir des places pour un concert immédiat. « Et vous, monsieur Collignon ? - Moi, j’attends ma femme, peut-être, pour aller au restaurant. Mais je ne sais pas où je suis, vers Fontainebleau ou Rambouillet ? Plutôt Rambouillet.

     

     

     

     

     

    63 06 04

    Rêve où je suis à trois reprises allongé avec ma mère sous forme d'énorme bloc de viande grossièrement équarrie, frémissant mais peut-être déjà mort, qui m'étouffe. Je hurle mais n'y parviens pas. La dernière séquence me mène dans un vaste entrepôt garni de tables et de meubles mal assemblés ou délabrés, une voix m'intime de me repentir pour les crimes d'Auschwitz dont je ne suis pas tout à fait innocent. Je hurle en vain.

     

    63 06 06

    Toujours ce rêve où je me trouve introduit dans mon nouveau poste, cherchant mes salles et mes sections. Cet établissement est une luxurieuse halle avec à l'intérieur de vastes structures métalliques vert-jaune oxydés représentant des plantes, style Guimet. Je m'exclame pour faire rire que cet établissement me plaît pour sa propreté et son caractère neuf. Ensuite je me retrouve dans une salle en boule où mes élèves, de troisième, en fait de costauds Terminales des deux sexes, se glissent d'en bas avec difficulté. Je serai bientôt asphyxié avec tous et mes cours ne pourront pas avoir lieu…

    63 06 11

    Parviens dans un café de banlieue. Manque me retourner (par effet de vertige) sur un couple. Commande un soda. Retrouve un billet sur moi. Patron revêche : « Tout ça pour un soda ».

    Dans l’arrière salle, assis, je lis le livre d’un petit garçon au lieu du mien. Sa mère me l’ôte quand j’ai fini et le replace dans un sachet de papier. Monte àbord d’un bus pour Paris après avoir failli le manquer (j’ai traversé les deux salles du bistrot, e, encombré de colis). Le chauffeur du bus propose queje paie par carte bleue.

    >>>> Je préfère mes rêves à la réalité parce que je puis être le beau ténébreux narcisse et risible d’autrefois… Regret pur et simple de ma jeunesse où je faisais des choses (premier degré…)

    J’ai rêvé aussi de filles qui dégueulent parce que c’est le 14 Juillet, d’une blonde qui m’astique un peu, pour voir, et que j’embrasse. De types qui arrivent sur le bas-côté pour vomir à leur tour ; ils sortent d’un bus trop plein.

    Martinez va rencontrer El Komri. Nous sommes en plein Moyen Âge, où seuls comptaient les chefs…

    63 06 16

    De retour d’Arcachon en voiture avec mes parents.  Mon père veut passer par des chemins boueux. Ils attendent sur le trottoir que j’aille désembourber le véhicule à pied. Je reviens en franchissant un terre-plein, en brûlant un feu rouge. Ma mère pense que j’ai rendez-vous dans une heure avec une maîtresse. Puis elle refuse de remonter en voiture : elle a « quelqu’un » en ville  et se montre souriante et coquette. Finalement, elle prend place. C’est moi qui conduis. Mes parents se sont débrouillés. Je parviens dans un hôtel et cède la place à une mère et à sa fille, qui me chipe des bibelots animaliers. Je me retrouve avec Veyssy. Je dis à la mère de cette jeune fille qu’à l’armée, je possédais un vocabulaire grossier très apprécié. « C’est parce que vous aimez obéir.

    - Oui, eh bien je suis comme ça. » Veyssy, directeur adjoint, me rappelle, imprimés en main, que je dois compléter les bulletins scolaires, toutes classes, en particulier terminales. Il faut à présent que je revienne à pied de Clermont-Ferrand, d’abord sur une hauteur, puis rejoignant une route plus grande. Je marche à droite, pour faire de l’auto-stop éventuellement.

     

    63 07 23

    Ariel vient me rechercher dans une grande chambre d'hôtel où trône, pendu au plafond, un petit avion jaune.

    Sans cesse d'autres affaires à emballer, nos sacs et sacoches n'y suffisent pas. Même, un Gafiot et un Bailly ! Et puis, comment pourrions-nous prendre l'avion, puisqu'il est là, suspendu ?

    Cette chambre est à Tours, rue Victor Hugo.

    Elle ressemble aussi à l'atelier rue David-Johnston à Bordeaux.

     

     

     

     

    63 08 26

    Avec une classe pléthorique en amphithéâtre, qui me tape le bordel avant et après une visite médicale. Au retour de celle-ci, mes deux élèves les plus bruyants se sont éclipsés, et je dois pourtant les récupérer. Mon cours est mal structuré, je le commence d'abord d'une façon puis d'une autre, dans une improvisation totale. Il porte sur Moscou et sa banlieue, où je suis allé, où je dois accompagner cette classe. Elle s'étend (dans mon idée) un carré de 100km sur 100. Personne ne suit malgré mon plan au tableau, tout le monde s'interpelle, je gueule « A la troisième observation je frappe ! Je vous tape dessus ! » Peine perdue, car mes cris n'arrivent même pas à dominer le tumulte. Une partie de ces élèves étaient des miens pendant mon activité professionnelle, effectivement parmi les plus turbulents.

     

    62 09 01

    Poussé à vélo par un gendre plus spontané que Christophe, je chante un rock endiablé, une longue mélopée à la Ribeiro. Je suis parti de mon HLM, genre Mohon, et je braille mes fausses paroles avec conviction. Ma voix couvre les musiques sortant, çà et là, des bars. L'ambiance est à la Révolution. Un orchestre et des chœurs à présent m'accompagnent. Sur les quais bondés les manifestants défilent, d'extrême droite. On a éteint l'éclairage public. "Christophe" et Sonia m'éloignent de chez moi, alors qu'il est plus de 19h (c'est la nuit). J'ai un peu peur. Ca gueule de partout. Les quais, toujours noirs de monde, sont bordés de vaisseaux sans éclairage, d'où l'on, sort, où l'on rentre.

    Le dernier cri est : "...que ta bouche, que ta bouche, que ta bouche"

     

    62 09 04

    Enterrement de Jacques Chirac, "Maire de Tulle", foule considérable à la cathédrale. Suis dans une abside avec mon père, qui explique la façon dont il avait dû se tourner lors de funérailles précédentes pour que son discours soit bien entendu de tous entre les colonnettes. Je m'absente, car ce sera long, et gagne les hauteurs. L'assieds, pour écrire, à une table de bistrot rural. Des chasseurs qui passent me recommandent de rester assis, car je voulais leur céder la place. D'autres, des jeunes gens cette fois, s'azssoient près de moi. Ils me disent que très peu d'oeuvres sont éditées, je renchéris. Je redescends en ville avec l'un d'eux et jette négligemment à terre une peau de banane et une pellicule d eplastique en ricanant sur l'écologie.

    Mon accompagnateur sait bien qu'on etnerre Chirac, dans un énorme cercueil somptueux, mais ne s'en inquiète pas outre mesure. FINIS SOMNII.

     

    62 09 07

    Dans un hôtel en Savoie. J'ai la chambre n° 1. Il faut s'y faufiler par un boyau étroit, style cheminée d'alpiniste. Un mec me bloque, il attend quelque chose du bureau d'accueil. Ensuite, c'est moi qui bloque le passage. Il faut trouver le bon itinéraire. Dans la chambre, G. se met sur moi, accroupi, mais je bande mou. Il me demande à moi aussi, j'accepte mais il ne le fait pas. En ressortant je longe un abîme de verdure effrayant. Et dire qu'un alpiniste renommé est déjà passé par là en voiture sans tomber. En redescendant, je me promène le long d'une vaste falaise ocre, dans un paysage de montagne à vaches. Mais l'orage gronde, en passant un tournant j'aperçois un énorme nuage noir extrêmement menaçant.

    Je me replie en ville, dans un cimetière de guides morts en mission. Un groupe de jeunes filles, avec religieuses en cornettes (l'une d'elles se trousse pour aller pisser) chant faux un cantique où l'on reproche à Jésus de chasser sur les mêmes terres que nous. Alors une religieuse préfère lancer le même cantique sur une cassette. Elle chante par dessus en prononçant "le Christeu". Bien sûr, séquence de pisse qui déborde au pied de l'hôtel, coinçage dans l'ascenseur, les chambres empilées l'une sur l'autre, on ne se sert pas des WC de la patronne, bref, une fois de plus, le rêve qui met en forme...

    62 09 10

    Je rêve d'une incinération du Dr Nogaret. C'est une véritable pagaïe. Je pisse. Annie me demande si en revenant (il y a du retard) ce sera la même chose. Comme elle pisse, je repisse, m'aperçois dans une glace qu'il ne me reste plus qu'un verre de lunettes ce qui me donne un air burlesque. Un commentateur se marre, tel homme a récupéré pas mal d'argent après en avoir prélevé sur des Hongrois. Deux femmes nues s'étreignent de douleur à même le sol. Les ascenseurs sont plus ou moins détraqués. "Vous verrez une grande fumée noire, dont Untel, qui vous dira adieu" - effectivement, de grandes fumées jaillissent à 300m par bouffées, tout le monde se récrie plein de peur.

    On n'a toujours pas appelé notre nom, notre tenue laisse à désirer. Atmosphère de boulot expédié à la chaîne.

     

    62 10 15

     

    Immense salle de concert, comble. Il ne me reste plus qu'une seule place assise, à côté du chef. Didier, maigre et jeune, m'accompagne. Un film est projeté avant le concert ; Il s'agit de bourgeois qui se disputent. Le chef arrive sous les acclamations. Mais Anne Faivre me donne des indications à donner : je suis persuadé, et dois pondre un grand article pour le vendredi. .

     

    62 11 09

    En camionnette avec un ami, nous franchissons un portail qui nous mène dans un vaste chantier en profondeur, où se démolit tout un quartier aux couleurs bigarrées. Nous nous faisons engueuler comme des chiens par un garde qui nous parle de l'interdiction de ce lieu. Mon ami s'en va, je descends de la camionnette et prends des photos. Une petite Noire me guide pour éviter que je

    sois repéré, je marche donc à l'ombre des arbres. Puis je ressors de là, en camionnette, me gare. La petite fille m'appelle : « Papa ! Papa ! » du haut d'un quatrième étage. Un ascenseur est gratuit, l'autre pas. Je prends le gratuit, très lent, étroit, la paroi dans le dos, et le fond de la cabine devant le nez. Inquiet tout de même. Je ressors cependant de cet ascenseur.

     

     

    62 12 03

    Avec Coste, à la terrasse d'un café méditerranéen. La mer est derrière nous, sur des enrochements. Il voudrait que je prolonge mon séjour, mais je lui confie que mon épouse est jalouse de la durée de mes voyages. Une femme se met à chanter. Certaines personnes se montrent aux fenêtres, mais je ne puis savoir exactement qui émet ces sons mélodieux, car les personnes en question, d'après les mouvements de leurs lèvres, parlent, ou bien chantent. Nous entrons dans un magasin négligé, en demi-sous-sol, où se vendent des livres, neufs ou d'occasion, et des provisions. Préparons un petit sac pique-nique. La gérante, brune de 50 ans, vient avec nous. Elle s'imagine que je la drague, or, en entrant, j'avais dit à Coste « la femme, c'est encore ce qu'on a trouvé de mieux pour remplacer l'homme quand on n'a pas la veine d'être pédé ». Nous partons à Mobylette, il y en a tantôt une, tantôt deux. Quand il y en a deux, c'est moi qui conduis, avec la femme derrière ; s'il n'y a qu'une Mobylette, .c'est Coste, et nous deux derrière.

    La femme m'a dit : « N'attends rien de moi. Rien. » Je lui lance « ça va pas, non ?  tu t'es regardée  ?» Elle se vexe mais n'en montre rien. Nous parvenons à un autre village, dont le clocher pyramidal s'orne de ferronneries bouclées. Il s'appelle « X » - « sur-la-Terrasse ». Coste, d'excellente humeur, voudrait m'inviter en Corse (... « Mais tu ne sais pas nager ! - Oh, une demi-longueur de piscine ! »). Je tire mon téléphone de ma poche devant la femme, mais j'ai oublié le numéro de mon propre domicile. Coste reste jovial, bien que je doive partir dans deux ou trois jours.

     

     

     

     

     

    62 12 04

    Avec Hitler et mes parents, il parle aimablement. Mais j'ai fait une vanne scabreuse pas terrible sur une de ses servantes, et je crains qu'il ne se vexe. Mes parents essaient d'arrondir les angles. Je ne sais comment rattraper ma bourde et crains fort de me retrouver dans un camp...

     

    62 12 11

    Une Noire me confie sa fille de 7 ans, d'une riche famille de politiciens, afin qu'elle ne soit pas enlevée en otage. Je parviens, dans un hôtel, à la faire échapper aux poursuites de divers agents secrets. Elle dort avec moi sous une grosse couverture en fausse fourrure d'ours. Deux plantons noirs, au bas de la porte d'hôtel, sont en faction. Mais, mission accomplie.

     

    62 12 12

    Je visite un vaste château aux chiens endormis. Ce sont les appartements privés du Général de Lattre. Je rejoins Arielle, dont je m'étais séparé, au rez-de-chaussée.

    Vite, écris, c'est urgent. Empoisonne les nerfs de tes descendants. Salut, Brocanteur.

     

    62 12 15

     

    Je me trouve dans un long train clair et luxueux, bondé de passagers aimables. Parti d'Allemagne, il relie Clermont, Lyon, Marseille, puis repart vers l'est, jusqu'à Vienne. Je regarde le paysage, puis je m'aperçois que mon gros cartable rouge, à l'intérieur du wagon, glisse peu à peu jusque sous les genoux d'une femme assise. Or il contient, outre certains objets personnels, un gros manuscrit (de Roswitha sans doute) et deux ou trois gros livres auxquels je tiens beaucoup. Je me force à faire confiance. Je reconnais Clermont (qui n'est pas Clermont), puis une cathédrale russe en pleine ville (serions-nous déjà à Nice ?) devant laquelle une cycliste nous fait signe.Je remonte la rame à la recherche de mon sac, en ouvre un ou deux, réclame autour de moi, tous me répondent aimablement et calmement, me dirigeant vers ce qu'ils appellent la « cantine ».

    Là-bas, deux ou trois employés me remboursent mes effets personnels sans difficulté (quelques grosses pièces…), mais concluent, dans leur rapport, que je suis doué, superficiel cependant. Je m'en aperçois, ils se rectifient avec l'accent allemand, rigolent sans que je puisse vraiment discerner s'ils sont moqueurs ; ils me croient capables d'écrire un roman, je leur dis que justement j'en projette un sur la Finlande. Je compte descendre avant Vienne, peut-être me réexpédiera-t-on ma perte (si ce n'est pas un vol) depuis la capitale autrichienne.

     

    62 12 18

    Dans une grande conférence pro-islamique, où sont vantées les valeurs et l'ancienneté de la civilisation arabe. La mosquée est le lieu de la conférence. Nombreuse assistance. Un Arabe s'excuse d'avoir eu une civilisation sobre et qui n'aurait jamais dû survivre. « C'est comme ça », dit-il en reposant les mains sur son pupitre d'amphithéâtre. Les Arabes se seraient même adaptés aux éléphants et aux inondations. Nous logeons non loin de là. Une fille inconnue occupe mon lit dès que je me suis levé, elle s'expose et je lui lèche la chatte bien renflée. Une autre femme arrive pour prendre le petit-déjeuner, s'installe à table en face de moi malgré le désir de la première de ne pas être en diagonale. Nous nous reverrons peut-être, mais c'est peu probable. Je fume, en repartant, une cigarette qui se replie et se noue en jouant, comme une flûte, un air arabe. Une femme (encore) me parle, sur une petite route pyrénéenne.

     

    63 01 17

    Rêve, à Francfort, en allemand et en français. Je déconne avec des étudiants malgré mon âge, bramant avec eux des propos incohérents et poétiques dans les deux langues. Avec roulades dans les prairies en pente, voitures en zigzags, théâtre improvisé, happening. Ensuite nous nous séparons, nous promettant de nous revoir. Je donne mon adresse – mais en hésitant sur mon nom de famille. Un élégant longiligne qui m'avait donné son costume demande malgré tout de le lui renvoyer une fois nettoyé. Dans ces élèves figure Rinder, qui était amoureuse de moi à Vienne. Puis je suis raccompagné à la gare, en partie, par l'indication d'un bus, qu'on m'a fournie.

     

    63 01 29

    Des collègues et amis de collègues se rassemblent chez nous, dans une maison qui ressemble, en plus grand, à la nôtre. Tout le monde a l'air très joyeux et bien décidé à s'amuser. Chacun s'est apporté un gros cuivre. Avant de jouer de ma trompe de chasse, je veux essayer un buccin gaulois très lourd, dont je ne parviens à tirer qu'un couac poussif. Une blonde m'a déclaré qu'elle m'aimait et me désirait, me faisant un « pont avant » d'acrobate pour me présenter sa fourche. Je suis très flatté, mais me dépense parmi mes invités. Nous devons nous rassembler, partir vers une autre maison, après Cadillac, pour porter secours à une fille de 13 ans qui se noie.

    Je me retrouve coincé à l'arrière d'une voiture avec Jean Dubédat, et d'autres qui s'embrassent, homosexuels qui m'étouffent, alors que j'ai à ma disposition une si belle touche féminine. L aquelle trouve dommage que je ne boive plus : elle aime les ambiances collectives et festives, cela ne me conviendrait pas trop et nous ne nous entendrions pas longtemps. Au repas, je me suis placé entre ma femme et Jean D., le prof d'allemand. La belle blonde se trouve à deux places sur ma gauche, un peu désappointée. Je lui fourre le bout du pied sur le genou mais elle se détache. Avec Arielle je me réfugie dans une remise, sur un lit : « Et alors quoi, on ne peut plus copuler tranquille ? » Non : il faut revenir bouffer, cette fois-ci sur des tréteaux, et faire les cons…

    Je dis à mon épouse que c'est aussi très épuisant de se revoir ainsi. Quant à la jeune noyée, elle a dû périr, et je fais observer qu'elle a bu tout son soûl, et n'a plus soif. Nous repartons, la campagne est inondée, nous n'avons plus qu'un mince ruban de route hors l'eau. Je fais arrêter, de nouveau coincé avec trois pédés. Dans ce compte-rendu, je ne suis pas arrivé à retrouver un ordre chronologique satisfaisant. Il faut supposer qu'il y ait eu, d'abord, un premier début de repas, interrompu, puis un ou deux trajets, puis une seconde propriété où les tréteaux avaient été dressés dans le jardin.

     

    63 03 03

    Débarquant seul du train à Bergerac (Anne est restée dans le wagon), je m'aperçois que toute la ville est engloutie dans une obscurité absolument totale et qui n'a rien de naturel. Il me faut traverser la ville pour arriver chez mes parents. Ce sera une véritable cours d'obstacles. Pour commencer, je m'emmêle dans une laisse de chien, aux deux bouts de laquelle s'agitent un cabot et une maîtresse, d'une cinquantaine d'années. Elle me confirme la panne, tandis que nous nous emberlificotons, au point que je ne sais même plus si je suis cette femme, la laisse ou le chien. C'était tout simplement Anne qui se levait dans le noir à la cuisine.

    63 03 18

    Avec Sonia dans une chambre, nouveau poste, elle va au lycée elle aussi. Je me lave en vitesse devant elle, même les genitalia, même gêne de part et d'autre. Nous descendons les étages, montons dans la voiture noire qui endommage très légèrement la carrosserie d'un autre en stationnement. Évidemment les deux ou trois gros livres que j'ai préparés sont restés au 3e étage. Je parle avec un Portugais ou Maghrébin moustachu ; il ne sait pas ce que veut dire « boulot ». Il en a un petit mais quand il chôme, dit-il, on le « méprise ». Je monte en ascenseur, parviens au 6e puis au 4e, redescends par des escaliers très raides en tournant le dos à la pente, et j'ai la flemme de remonter, nous serons en retard, je peste.

     

    63 04 14

    Avec Annie dans notre voiture minable. Parvenons en bas de Meulan, à Thun. Des barrières de passages à niveau se succèdent, sans qu’il y ait forcément des rails. Cela semble sans raison, où que nous allions. À cause de travaux peut-être ? Nous jurons, à cause de la boue. Nous finissons par demander à passer la nuit chez un garde-barrière, qui accepte. Tout le monde là-dedans s’exprime avec un épouvantable accent du Sud-Ouest, à la limite de l’incompréhensible. Ils essaient de nous expliquer le moyen de remonter cette côte, mais je m’énerve en décrivant cette course d’obstacles d’où nous sortons. Le lendemain matin, même jeu, nous restons bloqués là. Je traite chacun de haut.

    Une quinquagénaire, de loin, estime que « Ce Monsieur » (c’est moi) fait preuve de lâcheté… de jouer les importants. Un chien nous indique un chemin boueux, mais nous ne le suivons pas. Enfin, l’un de nos hôtes finit par nous montrer comment faire. Arrivé au sommet de cette pente, il faut tout de même que je rejoigne mon établissement pour commencer un cours, sans bien sûr l’avoir préparé…

     

    63 04 21 (fin)

    Anne et moi séjournons dans un hôtel des Canaries. Elle a écouté une émission très longue à la télévision dès le matin. Je me suis lavé. Des cris ont retenti dans l’escalier, je lui demande de bien vérifier la fermeture de la porte, mais les deux battants s’ouvrent à toute volée : une comédienne dingue répond aux protestations d’Annie en poursuivant une vaste tirade. Je m’aperçois alors que nous sommes le 21, et que j’ai oublié de me faire mon shampoing. Anner veut écouter, cette fois, une émission sur Goscinny, me cajole pour que j’accepte, mais je refuse : elle m’a si souvent enjôlé pour me faire faire ce qu’elle voulait !

    Je gueule : « Moi aussi j’ai réussi, comme Goscinny, connard ! Moi aussi !

     

    vers le 63 04 25

    Je rends visite à ma grand-mère paternelle, dans un bel appartement urbain. Elle se montre à son avantage, avec de beaux restes pour une femme hors d'âge. Elle reçoit maintes personnes et nous la quittons enchantés. Ensuite, de retour à la même maison que dans d'autres rêves. Le jour est levé mais les volets sont restés fermés, avec la lumière visible de l'extérieur. Je suis avec Sonia et la prie de ne pas répondre aux coups de sonnette ou dan sles volets. A la fin, me rendant compte qu'on ne cessera pas le tapage, j'entrouvre des volets et me trouve face à face avec un travailleur immigré arabe ou indien, effaré. Je lui demande ce qu'il veut, "rien, rien" répond-il en reculant, effaré.

    Il voulait peut-être simplement que je déplace ma voiture afin de permettre le travail sur un chantier dans la rue devant chez moi.

     

    63 05 12

    Spectacle pour enfants. Ils sont en rangs, assis. Des structures lumineuses les encadrent, puis toute une carrosserie de bus, puis cela roule, en vrai, pour les ramener après le spectacle. Rien ne les étonne : c’est moderne… Chez moi, je reçois,en l’honneur de Manset. Dans mon jardin, un garçon de dix ans creuse un trou et l’aménage. Il veut que je me glisse là (le sol est détrempé) pour admirer son installation. Je décline son invitation. Je transfère une pierre semi-précieuse de chez Arielle à chez moi, et trouve un emplacement où son éclat mettra ladite pierre en valeur.

    En bus, en Israël. Pas moyen de retrouver un ticket, la conductrice excédée finit par me laisser monter. Devant moi, une mère veut calmer, en hébreu, ses enfants. Suis très fier de me trouver enfin en Israël, bien que je n’aie pu indiquer à la conductrice dans quelle ville se trouve mon point de destination. Une femme descend de l’autobus, entraînant par le bras le garçon de dix ans à qui je recommande la prudence dans le sable ; qu’il ne retourne plus dans ce trou qu’il a creusé. Je veux alors rejoindre l’avant du bus, sans plus rien reconnaître du trajet, surtout àpartir d’un pont sur un lac. Dans un compartiment, des Syriens s’entretiennent des annexions d’Israël ; ils prétendent qu’en grattant la terre rouge en bas des murs ils agrandiraient leurs possessions. Ce que je fais : le monde entier se trouve sur une paroi d’argile, jusqu’aux fonds sous-marins australiens, et d’un grand archipel qui n’existe pas, au nord ouest de ce pays. Le couloir du véhicule alors se rétrécit, son toit se rabaisse, tout vibre. Il n’y a pas de conductrice. Le plafond poursuit sa descente. Une porte de fer, enfin, s’ouvre, le rêve est achevé.

     

    63 05 16

    Avec Anne, en auto, dans une grande ville portuaire (Toulon). Nous tournons, à la recherche d’une plage. La circulation est intense. À un « stop », je m’élève à plusieurs dizaines de mètres, pensant qu’elle me suivra. Je parviens, en survolant tout le monde, à une plage bondée de baigneurs en tenue 1900. L’eau est bleu vert, magnifique mais maféfique, glacée ; un flic, avec sa famille, nous le fait remarquer, dans un dialecte germanique particulièrement dur. Des dauphins agonisent, paisiblement à sec sur le rivage. Puis nous retrouvons un « début d’histoire », dans lequel un espion recherchait, sur les fonds marins, certains débris assez communs jetés à l’eau, comme on en pouvait trouver partout. « Alors, que venez-vous chercher partout ? » La plage s’évacue par rangées, à genoux, les « chambolles » (?) de mon ami sont les mêmes, tout le monde chante de toutes ses forces, et moi avec eux, c’est une espèce de cantique en russo-allemand (cf. l’indicatif de Dallas). La compagnie se raréfie et serre les rangs, je chante de tout mon cœur mais personne ne fait attention à moi, je chante du mieux que je peux, et à mesure que nous montons, certaines têtes se transforment en crânes, des créatures extraterrestres nous attendent pour nous aider à embarquer dans une espèce d’auto-tamponneuse qui nous emmènera dans l’au-delà…

     

    63 05 28

    Je n’y vois pas beaucoup. De Paris je dois rejoindre Bordeaux. Dans un tunnel, accident : quelque chose est retombé sur un fauteuil roulant ; gros embouteillage à l’extérieur. Prendre le train vers je ne sais où, car il est impossible de déchiffrer les panneaux. Trois enfants rigolards s’installent à côté de moi, Surtout, les ignorer. Je parviens à un bled de lointaine banlieue. À l’hôtel, partage ma chambre avec deux femmes qui me laissent indifférent. Un proviseur vient leur offrir des places pour un concert immédiat. « Et vous, monsieur Collignon ? - Moi, j’attends ma femme, peut-être, pour aller au restaurant. Mais je ne sais pas où je suis, vers Fontainebleau ou Rambouillet ? Plutôt Rambouillet.

     

     

     

     

     

    63 06 04

    Rêve où je suis à trois reprises allongé avec ma mère sous forme d'énorme bloc de viande grossièrement équarrie, frémissant mais peut-être déjà mort, qui m'étouffe. Je hurle mais n'y parviens pas. La dernière séquence me mène dans un vaste entrepôt garni de tables et de meubles mal assemblés ou délabrés, une voix m'intime de me repentir pour les crimes d'Auschwitz dont je ne suis pas tout à fait innocent. Je hurle en vain.

     

    63 06 06

    Toujours ce rêve où je me trouve introduit dans mon nouveau poste, cherchant mes salles et mes sections. Cet établissement est une luxurieuse halle avec à l'intérieur de vastes structures métalliques vert-jaune oxydés représentant des plantes, style Guimet. Je m'exclame pour faire rire que cet établissement me plaît pour sa propreté et son caractère neuf. Ensuite je me retrouve dans une salle en boule où mes élèves, de troisième, en fait de costauds Terminales des deux sexes, se glissent d'en bas avec difficulté. Je serai bientôt asphyxié avec tous et mes cours ne pourront pas avoir lieu…

    63 06 11

    Parviens dans un café de banlieue. Manque me retourner (par effet de vertige) sur un couple. Commande un soda. Retrouve un billet sur moi. Patron revêche : « Tout ça pour un soda ».

    Dans l’arrière salle, assis, je lis le livre d’un petit garçon au lieu du mien. Sa mère me l’ôte quand j’ai fini et le replace dans un sachet de papier. Monte àbord d’un bus pour Paris après avoir failli le manquer (j’ai traversé les deux salles du bistrot, e, encombré de colis). Le chauffeur du bus propose queje paie par carte bleue.

    >>>> Je préfère mes rêves à la réalité parce que je puis être le beau ténébreux narcisse et risible d’autrefois… Regret pur et simple de ma jeunesse où je faisais des choses (premier degré…)

    J’ai rêvé aussi de filles qui dégueulent parce que c’est le 14 Juillet, d’une blonde qui m’astique un peu, pour voir, et que j’embrasse. De types qui arrivent sur le bas-côté pour vomir à leur tour ; ils sortent d’un bus trop plein.

    Martinez va rencontrer El Komri. Nous sommes en plein Moyen Âge, où seuls comptaient les chefs…

    63 06 16

    De retour d’Arcachon en voiture avec mes parents.  Mon père veut passer par des chemins boueux. Ils attendent sur le trottoir que j’aille désembourber le véhicule à pied. Je reviens en franchissant un terre-plein, en brûlant un feu rouge. Ma mère pense que j’ai rendez-vous dans une heure avec une maîtresse. Puis elle refuse de remonter en voiture : elle a « quelqu’un » en ville  et se montre souriante et coquette. Finalement, elle prend place. C’est moi qui conduis. Mes parents se sont débrouillés. Je parviens dans un hôtel et cède la place à une mère et à sa fille, qui me chipe des bibelots animaliers. Je me retrouve avec Veyssy. Je dis à la mère de cette jeune fille qu’à l’armée, je possédais un vocabulaire grossier très apprécié. « C’est parce que vous aimez obéir.

    - Oui, eh bien je suis comme ça. » Veyssy, directeur adjoint, me rappelle, imprimés en main, que je dois compléter les bulletins scolaires, toutes classes, en particulier terminales. Il faut à présent que je revienne à pied de Clermont-Ferrand, d’abord sur une hauteur, puis rejoignant une route plus grande. Je marche à droite, pour faire de l’auto-stop éventuellement.

     

    63 07 23

    Ariel vient me rechercher dans une grande chambre d'hôtel où trône, pendu au plafond, un petit avion jaune.

    Sans cesse d'autres affaires à emballer, nos sacs et sacoches n'y suffisent pas. Même, un Gafiot et un Bailly ! Et puis, comment pourrions-nous prendre l'avion, puisqu'il est là, suspendu ?

    Cette chambre est à Tours, rue Victor Hugo.

    Elle ressemble aussi à l'atelier rue David-Johnston à Bordeaux.

     

     

     

     

    63 08 26

    Avec une classe pléthorique en amphithéâtre, qui me tape le bordel avant et après une visite médicale. Au retour de celle-ci, mes deux élèves les plus bruyants se sont éclipsés, et je dois pourtant les récupérer. Mon cours est mal structuré, je le commence d'abord d'une façon puis d'une autre, dans une improvisation totale. Il porte sur Moscou et sa banlieue, où je suis allé, où je dois accompagner cette classe. Elle s'étend (dans mon idée) un carré de 100km sur 100. Personne ne suit malgré mon plan au tableau, tout le monde s'interpelle, je gueule « A la troisième observation je frappe ! Je vous tape dessus ! » Peine perdue, car mes cris n'arrivent même pas à dominer le tumulte. Une partie de ces élèves étaient des miens pendant mon activité professionnelle, effectivement parmi les plus turbulents.

     

    62 09 01

    Poussé à vélo par un gendre plus spontané que Christophe, je chante un rock endiablé, une longue mélopée à la Ribeiro. Je suis parti de mon HLM, genre Mohon, et je braille mes fausses paroles avec conviction. Ma voix couvre les musiques sortant, çà et là, des bars. L'ambiance est à la Révolution. Un orchestre et des chœurs à présent m'accompagnent. Sur les quais bondés les manifestants défilent, d'extrême droite. On a éteint l'éclairage public. "Christophe" et Sonia m'éloignent de chez moi, alors qu'il est plus de 19h (c'est la nuit). J'ai un peu peur. Ca gueule de partout. Les quais, toujours noirs de monde, sont bordés de vaisseaux sans éclairage, d'où l'on, sort, où l'on rentre.

    Le dernier cri est : "...que ta bouche, que ta bouche, que ta bouche"

     

    62 09 04

    Enterrement de Jacques Chirac, "Maire de Tulle", foule considérable à la cathédrale. Suis dans une abside avec mon père, qui explique la façon dont il avait dû se tourner lors de funérailles précédentes pour que son discours soit bien entendu de tous entre les colonnettes. Je m'absente, car ce sera long, et gagne les hauteurs. L'assieds, pour écrire, à une table de bistrot rural. Des chasseurs qui passent me recommandent de rester assis, car je voulais leur céder la place. D'autres, des jeunes gens cette fois, s'azssoient près de moi. Ils me disent que très peu d'oeuvres sont éditées, je renchéris. Je redescends en ville avec l'un d'eux et jette négligemment à terre une peau de banane et une pellicule d eplastique en ricanant sur l'écologie.

    Mon accompagnateur sait bien qu'on etnerre Chirac, dans un énorme cercueil somptueux, mais ne s'en inquiète pas outre mesure. FINIS SOMNII.

     

    62 09 07

    Dans un hôtel en Savoie. J'ai la chambre n° 1. Il faut s'y faufiler par un boyau étroit, style cheminée d'alpiniste. Un mec me bloque, il attend quelque chose du bureau d'accueil. Ensuite, c'est moi qui bloque le passage. Il faut trouver le bon itinéraire. Dans la chambre, G. se met sur moi, accroupi, mais je bande mou. Il me demande à moi aussi, j'accepte mais il ne le fait pas. En ressortant je longe un abîme de verdure effrayant. Et dire qu'un alpiniste renommé est déjà passé par là en voiture sans tomber. En redescendant, je me promène le long d'une vaste falaise ocre, dans un paysage de montagne à vaches. Mais l'orage gronde, en passant un tournant j'aperçois un énorme nuage noir extrêmement menaçant.

    Je me replie en ville, dans un cimetière de guides morts en mission. Un groupe de jeunes filles, avec religieuses en cornettes (l'une d'elles se trousse pour aller pisser) chant faux un cantique où l'on reproche à Jésus de chasser sur les mêmes terres que nous. Alors une religieuse préfère lancer le même cantique sur une cassette. Elle chante par dessus en prononçant "le Christeu". Bien sûr, séquence de pisse qui déborde au pied de l'hôtel, coinçage dans l'ascenseur, les chambres empilées l'une sur l'autre, on ne se sert pas des WC de la patronne, bref, une fois de plus, le rêve qui met en forme...

    62 09 10

    Je rêve d'une incinération du Dr Nogaret. C'est une véritable pagaïe. Je pisse. Annie me demande si en revenant (il y a du retard) ce sera la même chose. Comme elle pisse, je repisse, m'aperçois dans une glace qu'il ne me reste plus qu'un verre de lunettes ce qui me donne un air burlesque. Un commentateur se marre, tel homme a récupéré pas mal d'argent après en avoir prélevé sur des Hongrois. Deux femmes nues s'étreignent de douleur à même le sol. Les ascenseurs sont plus ou moins détraqués. "Vous verrez une grande fumée noire, dont Untel, qui vous dira adieu" - effectivement, de grandes fumées jaillissent à 300m par bouffées, tout le monde se récrie plein de peur.

    On n'a toujours pas appelé notre nom, notre tenue laisse à désirer. Atmosphère de boulot expédié à la chaîne.

     

    62 10 15

     

    Immense salle de concert, comble. Il ne me reste plus qu'une seule place assise, à côté du chef. Didier, maigre et jeune, m'accompagne. Un film est projeté avant le concert ; Il s'agit de bourgeois qui se disputent. Le chef arrive sous les acclamations. Mais Anne Faivre me donne des indications à donner : je suis persuadé, et dois pondre un grand article pour le vendredi. .

     

    62 11 09

    En camionnette avec un ami, nous franchissons un portail qui nous mène dans un vaste chantier en profondeur, où se démolit tout un quartier aux couleurs bigarrées. Nous nous faisons engueuler comme des chiens par un garde qui nous parle de l'interdiction de ce lieu. Mon ami s'en va, je descends de la camionnette et prends des photos. Une petite Noire me guide pour éviter que je

    sois repéré, je marche donc à l'ombre des arbres. Puis je ressors de là, en camionnette, me gare. La petite fille m'appelle : « Papa ! Papa ! » du haut d'un quatrième étage. Un ascenseur est gratuit, l'autre pas. Je prends le gratuit, très lent, étroit, la paroi dans le dos, et le fond de la cabine devant le nez. Inquiet tout de même. Je ressors cependant de cet ascenseur.

     

     

    62 12 03

    Avec Coste, à la terrasse d'un café méditerranéen. La mer est derrière nous, sur des enrochements. Il voudrait que je prolonge mon séjour, mais je lui confie que mon épouse est jalouse de la durée de mes voyages. Une femme se met à chanter. Certaines personnes se montrent aux fenêtres, mais je ne puis savoir exactement qui émet ces sons mélodieux, car les personnes en question, d'après les mouvements de leurs lèvres, parlent, ou bien chantent. Nous entrons dans un magasin négligé, en demi-sous-sol, où se vendent des livres, neufs ou d'occasion, et des provisions. Préparons un petit sac pique-nique. La gérante, brune de 50 ans, vient avec nous. Elle s'imagine que je la drague, or, en entrant, j'avais dit à Coste « la femme, c'est encore ce qu'on a trouvé de mieux pour remplacer l'homme quand on n'a pas la veine d'être pédé ». Nous partons à Mobylette, il y en a tantôt une, tantôt deux. Quand il y en a deux, c'est moi qui conduis, avec la femme derrière ; s'il n'y a qu'une Mobylette, .c'est Coste, et nous deux derrière.

    La femme m'a dit : « N'attends rien de moi. Rien. » Je lui lance « ça va pas, non ?  tu t'es regardée  ?» Elle se vexe mais n'en montre rien. Nous parvenons à un autre village, dont le clocher pyramidal s'orne de ferronneries bouclées. Il s'appelle « X » - « sur-la-Terrasse ». Coste, d'excellente humeur, voudrait m'inviter en Corse (... « Mais tu ne sais pas nager ! - Oh, une demi-longueur de piscine ! »). Je tire mon téléphone de ma poche devant la femme, mais j'ai oublié le numéro de mon propre domicile. Coste reste jovial, bien que je doive partir dans deux ou trois jours.

     

     

     

     

     

    62 12 04

    Avec Hitler et mes parents, il parle aimablement. Mais j'ai fait une vanne scabreuse pas terrible sur une de ses servantes, et je crains qu'il ne se vexe. Mes parents essaient d'arrondir les angles. Je ne sais comment rattraper ma bourde et crains fort de me retrouver dans un camp...

     

    62 12 11

    Une Noire me confie sa fille de 7 ans, d'une riche famille de politiciens, afin qu'elle ne soit pas enlevée en otage. Je parviens, dans un hôtel, à la faire échapper aux poursuites de divers agents secrets. Elle dort avec moi sous une grosse couverture en fausse fourrure d'ours. Deux plantons noirs, au bas de la porte d'hôtel, sont en faction. Mais, mission accomplie.

     

    62 12 12

    Je visite un vaste château aux chiens endormis. Ce sont les appartements privés du Général de Lattre. Je rejoins Arielle, dont je m'étais séparé, au rez-de-chaussée.

    Vite, écris, c'est urgent. Empoisonne les nerfs de tes descendants. Salut, Brocanteur.

     

    62 12 15

     

    Je me trouve dans un long train clair et luxueux, bondé de passagers aimables. Parti d'Allemagne, il relie Clermont, Lyon, Marseille, puis repart vers l'est, jusqu'à Vienne. Je regarde le paysage, puis je m'aperçois que mon gros cartable rouge, à l'intérieur du wagon, glisse peu à peu jusque sous les genoux d'une femme assise. Or il contient, outre certains objets personnels, un gros manuscrit (de Roswitha sans doute) et deux ou trois gros livres auxquels je tiens beaucoup. Je me force à faire confiance. Je reconnais Clermont (qui n'est pas Clermont), puis une cathédrale russe en pleine ville (serions-nous déjà à Nice ?) devant laquelle une cycliste nous fait signe.Je remonte la rame à la recherche de mon sac, en ouvre un ou deux, réclame autour de moi, tous me répondent aimablement et calmement, me dirigeant vers ce qu'ils appellent la « cantine ».

    Là-bas, deux ou trois employés me remboursent mes effets personnels sans difficulté (quelques grosses pièces…), mais concluent, dans leur rapport, que je suis doué, superficiel cependant. Je m'en aperçois, ils se rectifient avec l'accent allemand, rigolent sans que je puisse vraiment discerner s'ils sont moqueurs ; ils me croient capables d'écrire un roman, je leur dis que justement j'en projette un sur la Finlande. Je compte descendre avant Vienne, peut-être me réexpédiera-t-on ma perte (si ce n'est pas un vol) depuis la capitale autrichienne.

     

    62 12 18

    Dans une grande conférence pro-islamique, où sont vantées les valeurs et l'ancienneté de la civilisation arabe. La mosquée est le lieu de la conférence. Nombreuse assistance. Un Arabe s'excuse d'avoir eu une civilisation sobre et qui n'aurait jamais dû survivre. « C'est comme ça », dit-il en reposant les mains sur son pupitre d'amphithéâtre. Les Arabes se seraient même adaptés aux éléphants et aux inondations. Nous logeons non loin de là. Une fille inconnue occupe mon lit dès que je me suis levé, elle s'expose et je lui lèche la chatte bien renflée. Une autre femme arrive pour prendre le petit-déjeuner, s'installe à table en face de moi malgré le désir de la première de ne pas être en diagonale. Nous nous reverrons peut-être, mais c'est peu probable. Je fume, en repartant, une cigarette qui se replie et se noue en jouant, comme une flûte, un air arabe. Une femme (encore) me parle, sur une petite route pyrénéenne.

     

    63 01 17

    Rêve, à Francfort, en allemand et en français. Je déconne avec des étudiants malgré mon âge, bramant avec eux des propos incohérents et poétiques dans les deux langues. Avec roulades dans les prairies en pente, voitures en zigzags, théâtre improvisé, happening. Ensuite nous nous séparons, nous promettant de nous revoir. Je donne mon adresse – mais en hésitant sur mon nom de famille. Un élégant longiligne qui m'avait donné son costume demande malgré tout de le lui renvoyer une fois nettoyé. Dans ces élèves figure Rinder, qui était amoureuse de moi à Vienne. Puis je suis raccompagné à la gare, en partie, par l'indication d'un bus, qu'on m'a fournie.

     

    63 01 29

    Des collègues et amis de collègues se rassemblent chez nous, dans une maison qui ressemble, en plus grand, à la nôtre. Tout le monde a l'air très joyeux et bien décidé à s'amuser. Chacun s'est apporté un gros cuivre. Avant de jouer de ma trompe de chasse, je veux essayer un buccin gaulois très lourd, dont je ne parviens à tirer qu'un couac poussif. Une blonde m'a déclaré qu'elle m'aimait et me désirait, me faisant un « pont avant » d'acrobate pour me présenter sa fourche. Je suis très flatté, mais me dépense parmi mes invités. Nous devons nous rassembler, partir vers une autre maison, après Cadillac, pour porter secours à une fille de 13 ans qui se noie.

    Je me retrouve coincé à l'arrière d'une voiture avec Jean Dubédat, et d'autres qui s'embrassent, homosexuels qui m'étouffent, alors que j'ai à ma disposition une si belle touche féminine. L aquelle trouve dommage que je ne boive plus : elle aime les ambiances collectives et festives, cela ne me conviendrait pas trop et nous ne nous entendrions pas longtemps. Au repas, je me suis placé entre ma femme et Jean D., le prof d'allemand. La belle blonde se trouve à deux places sur ma gauche, un peu désappointée. Je lui fourre le bout du pied sur le genou mais elle se détache. Avec Arielle je me réfugie dans une remise, sur un lit : « Et alors quoi, on ne peut plus copuler tranquille ? » Non : il faut revenir bouffer, cette fois-ci sur des tréteaux, et faire les cons…

    Je dis à mon épouse que c'est aussi très épuisant de se revoir ainsi. Quant à la jeune noyée, elle a dû périr, et je fais observer qu'elle a bu tout son soûl, et n'a plus soif. Nous repartons, la campagne est inondée, nous n'avons plus qu'un mince ruban de route hors l'eau. Je fais arrêter, de nouveau coincé avec trois pédés. Dans ce compte-rendu, je ne suis pas arrivé à retrouver un ordre chronologique satisfaisant. Il faut supposer qu'il y ait eu, d'abord, un premier début de repas, interrompu, puis un ou deux trajets, puis une seconde propriété où les tréteaux avaient été dressés dans le jardin.

     

    63 03 03

    Débarquant seul du train à Bergerac (Anne est restée dans le wagon), je m'aperçois que toute la ville est engloutie dans une obscurité absolument totale et qui n'a rien de naturel. Il me faut traverser la ville pour arriver chez mes parents. Ce sera une véritable cours d'obstacles. Pour commencer, je m'emmêle dans une laisse de chien, aux deux bouts de laquelle s'agitent un cabot et une maîtresse, d'une cinquantaine d'années. Elle me confirme la panne, tandis que nous nous emberlificotons, au point que je ne sais même plus si je suis cette femme, la laisse ou le chien. C'était tout simplement Anne qui se levait dans le noir à la cuisine.

    63 03 18

    Avec Sonia dans une chambre, nouveau poste, elle va au lycée elle aussi. Je me lave en vitesse devant elle, même les genitalia, même gêne de part et d'autre. Nous descendons les étages, montons dans la voiture noire qui endommage très légèrement la carrosserie d'un autre en stationnement. Évidemment les deux ou trois gros livres que j'ai préparés sont restés au 3e étage. Je parle avec un Portugais ou Maghrébin moustachu ; il ne sait pas ce que veut dire « boulot ». Il en a un petit mais quand il chôme, dit-il, on le « méprise ». Je monte en ascenseur, parviens au 6e puis au 4e, redescends par des escaliers très raides en tournant le dos à la pente, et j'ai la flemme de remonter, nous serons en retard, je peste.

     

    63 04 14

    Avec Annie dans notre voiture minable. Parvenons en bas de Meulan, à Thun. Des barrières de passages à niveau se succèdent, sans qu’il y ait forcément des rails. Cela semble sans raison, où que nous allions. À cause de travaux peut-être ? Nous jurons, à cause de la boue. Nous finissons par demander à passer la nuit chez un garde-barrière, qui accepte. Tout le monde là-dedans s’exprime avec un épouvantable accent du Sud-Ouest, à la limite de l’incompréhensible. Ils essaient de nous expliquer le moyen de remonter cette côte, mais je m’énerve en décrivant cette course d’obstacles d’où nous sortons. Le lendemain matin, même jeu, nous restons bloqués là. Je traite chacun de haut.

    Une quinquagénaire, de loin, estime que « Ce Monsieur » (c’est moi) fait preuve de lâcheté… de jouer les importants. Un chien nous indique un chemin boueux, mais nous ne le suivons pas. Enfin, l’un de nos hôtes finit par nous montrer comment faire. Arrivé au sommet de cette pente, il faut tout de même que je rejoigne mon établissement pour commencer un cours, sans bien sûr l’avoir préparé…

     

    63 04 21 (fin)

    Anne et moi séjournons dans un hôtel des Canaries. Elle a écouté une émission très longue à la télévision dès le matin. Je me suis lavé. Des cris ont retenti dans l’escalier, je lui demande de bien vérifier la fermeture de la porte, mais les deux battants s’ouvrent à toute volée : une comédienne dingue répond aux protestations d’Annie en poursuivant une vaste tirade. Je m’aperçois alors que nous sommes le 21, et que j’ai oublié de me faire mon shampoing. Anner veut écouter, cette fois, une émission sur Goscinny, me cajole pour que j’accepte, mais je refuse : elle m’a si souvent enjôlé pour me faire faire ce qu’elle voulait !

    Je gueule : « Moi aussi j’ai réussi, comme Goscinny, connard ! Moi aussi !

     

    vers le 63 04 25

    Je rends visite à ma grand-mère paternelle, dans un bel appartement urbain. Elle se montre à son avantage, avec de beaux restes pour une femme hors d'âge. Elle reçoit maintes personnes et nous la quittons enchantés. Ensuite, de retour à la même maison que dans d'autres rêves. Le jour est levé mais les volets sont restés fermés, avec la lumière visible de l'extérieur. Je suis avec Sonia et la prie de ne pas répondre aux coups de sonnette ou dan sles volets. A la fin, me rendant compte qu'on ne cessera pas le tapage, j'entrouvre des volets et me trouve face à face avec un travailleur immigré arabe ou indien, effaré. Je lui demande ce qu'il veut, "rien, rien" répond-il en reculant, effaré.

    Il voulait peut-être simplement que je déplace ma voiture afin de permettre le travail sur un chantier dans la rue devant chez moi.

     

    63 05 12

    Spectacle pour enfants. Ils sont en rangs, assis. Des structures lumineuses les encadrent, puis toute une carrosserie de bus, puis cela roule, en vrai, pour les ramener après le spectacle. Rien ne les étonne : c’est moderne… Chez moi, je reçois,en l’honneur de Manset. Dans mon jardin, un garçon de dix ans creuse un trou et l’aménage. Il veut que je me glisse là (le sol est détrempé) pour admirer son installation. Je décline son invitation. Je transfère une pierre semi-précieuse de chez Arielle à chez moi, et trouve un emplacement où son éclat mettra ladite pierre en valeur.

    En bus, en Israël. Pas moyen de retrouver un ticket, la conductrice excédée finit par me laisser monter. Devant moi, une mère veut calmer, en hébreu, ses enfants. Suis très fier de me trouver enfin en Israël, bien que je n’aie pu indiquer à la conductrice dans quelle ville se trouve mon point de destination. Une femme descend de l’autobus, entraînant par le bras le garçon de dix ans à qui je recommande la prudence dans le sable ; qu’il ne retourne plus dans ce trou qu’il a creusé. Je veux alors rejoindre l’avant du bus, sans plus rien reconnaître du trajet, surtout àpartir d’un pont sur un lac. Dans un compartiment, des Syriens s’entretiennent des annexions d’Israël ; ils prétendent qu’en grattant la terre rouge en bas des murs ils agrandiraient leurs possessions. Ce que je fais : le monde entier se trouve sur une paroi d’argile, jusqu’aux fonds sous-marins australiens, et d’un grand archipel qui n’existe pas, au nord ouest de ce pays. Le couloir du véhicule alors se rétrécit, son toit se rabaisse, tout vibre. Il n’y a pas de conductrice. Le plafond poursuit sa descente. Une porte de fer, enfin, s’ouvre, le rêve est achevé.

     

    63 05 16

    Avec Anne, en auto, dans une grande ville portuaire (Toulon). Nous tournons, à la recherche d’une plage. La circulation est intense. À un « stop », je m’élève à plusieurs dizaines de mètres, pensant qu’elle me suivra. Je parviens, en survolant tout le monde, à une plage bondée de baigneurs en tenue 1900. L’eau est bleu vert, magnifique mais maféfique, glacée ; un flic, avec sa famille, nous le fait remarquer, dans un dialecte germanique particulièrement dur. Des dauphins agonisent, paisiblement à sec sur le rivage. Puis nous retrouvons un « début d’histoire », dans lequel un espion recherchait, sur les fonds marins, certains débris assez communs jetés à l’eau, comme on en pouvait trouver partout. « Alors, que venez-vous chercher partout ? » La plage s’évacue par rangées, à genoux, les « chambolles » (?) de mon ami sont les mêmes, tout le monde chante de toutes ses forces, et moi avec eux, c’est une espèce de cantique en russo-allemand (cf. l’indicatif de Dallas). La compagnie se raréfie et serre les rangs, je chante de tout mon cœur mais personne ne fait attention à moi, je chante du mieux que je peux, et à mesure que nous montons, certaines têtes se transforment en crânes, des créatures extraterrestres nous attendent pour nous aider à embarquer dans une espèce d’auto-tamponneuse qui nous emmènera dans l’au-delà…

     

    63 05 28

    Je n’y vois pas beaucoup. De Paris je dois rejoindre Bordeaux. Dans un tunnel, accident : quelque chose est retombé sur un fauteuil roulant ; gros embouteillage à l’extérieur. Prendre le train vers je ne sais où, car il est impossible de déchiffrer les panneaux. Trois enfants rigolards s’installent à côté de moi, Surtout, les ignorer. Je parviens à un bled de lointaine banlieue. À l’hôtel, partage ma chambre avec deux femmes qui me laissent indifférent. Un proviseur vient leur offrir des places pour un concert immédiat. « Et vous, monsieur Collignon ? - Moi, j’attends ma femme, peut-être, pour aller au restaurant. Mais je ne sais pas où je suis, vers Fontainebleau ou Rambouillet ? Plutôt Rambouillet.

     

     

     

     

     

    63 06 04

    Rêve où je suis à trois reprises allongé avec ma mère sous forme d'énorme bloc de viande grossièrement équarrie, frémissant mais peut-être déjà mort, qui m'étouffe. Je hurle mais n'y parviens pas. La dernière séquence me mène dans un vaste entrepôt garni de tables et de meubles mal assemblés ou délabrés, une voix m'intime de me repentir pour les crimes d'Auschwitz dont je ne suis pas tout à fait innocent. Je hurle en vain.

     

    63 06 06

    Toujours ce rêve où je me trouve introduit dans mon nouveau poste, cherchant mes salles et mes sections. Cet établissement est une luxurieuse halle avec à l'intérieur de vastes structures métalliques vert-jaune oxydés représentant des plantes, style Guimet. Je m'exclame pour faire rire que cet établissement me plaît pour sa propreté et son caractère neuf. Ensuite je me retrouve dans une salle en boule où mes élèves, de troisième, en fait de costauds Terminales des deux sexes, se glissent d'en bas avec difficulté. Je serai bientôt asphyxié avec tous et mes cours ne pourront pas avoir lieu…

    63 06 11

    Parviens dans un café de banlieue. Manque me retourner (par effet de vertige) sur un couple. Commande un soda. Retrouve un billet sur moi. Patron revêche : « Tout ça pour un soda ».

    Dans l’arrière salle, assis, je lis le livre d’un petit garçon au lieu du mien. Sa mère me l’ôte quand j’ai fini et le replace dans un sachet de papier. Monte àbord d’un bus pour Paris après avoir failli le manquer (j’ai traversé les deux salles du bistrot, e, encombré de colis). Le chauffeur du bus propose queje paie par carte bleue.

    >>>> Je préfère mes rêves à la réalité parce que je puis être le beau ténébreux narcisse et risible d’autrefois… Regret pur et simple de ma jeunesse où je faisais des choses (premier degré…)

    J’ai rêvé aussi de filles qui dégueulent parce que c’est le 14 Juillet, d’une blonde qui m’astique un peu, pour voir, et que j’embrasse. De types qui arrivent sur le bas-côté pour vomir à leur tour ; ils sortent d’un bus trop plein.

    Martinez va rencontrer El Komri. Nous sommes en plein Moyen Âge, où seuls comptaient les chefs…

    63 06 16

    De retour d’Arcachon en voiture avec mes parents.  Mon père veut passer par des chemins boueux. Ils attendent sur le trottoir que j’aille désembourber le véhicule à pied. Je reviens en franchissant un terre-plein, en brûlant un feu rouge. Ma mère pense que j’ai rendez-vous dans une heure avec une maîtresse. Puis elle refuse de remonter en voiture : elle a « quelqu’un » en ville  et se montre souriante et coquette. Finalement, elle prend place. C’est moi qui conduis. Mes parents se sont débrouillés. Je parviens dans un hôtel et cède la place à une mère et à sa fille, qui me chipe des bibelots animaliers. Je me retrouve avec Veyssy. Je dis à la mère de cette jeune fille qu’à l’armée, je possédais un vocabulaire grossier très apprécié. « C’est parce que vous aimez obéir.

    - Oui, eh bien je suis comme ça. » Veyssy, directeur adjoint, me rappelle, imprimés en main, que je dois compléter les bulletins scolaires, toutes classes, en particulier terminales. Il faut à présent que je revienne à pied de Clermont-Ferrand, d’abord sur une hauteur, puis rejoignant une route plus grande. Je marche à droite, pour faire de l’auto-stop éventuellement.

     

    63 07 23

    Ariel vient me rechercher dans une grande chambre d'hôtel où trône, pendu au plafond, un petit avion jaune.

    Sans cesse d'autres affaires à emballer, nos sacs et sacoches n'y suffisent pas. Même, un Gafiot et un Bailly ! Et puis, comment pourrions-nous prendre l'avion, puisqu'il est là, suspendu ?

    Cette chambre est à Tours, rue Victor Hugo.

    Elle ressemble aussi à l'atelier rue David-Johnston à Bordeaux.

     

     

     

     

    63 08 26

    Avec une classe pléthorique en amphithéâtre, qui me tape le bordel avant et après une visite médicale. Au retour de celle-ci, mes deux élèves les plus bruyants se sont éclipsés, et je dois pourtant les récupérer. Mon cours est mal structuré, je le commence d'abord d'une façon puis d'une autre, dans une improvisation totale. Il porte sur Moscou et sa banlieue, où je suis allé, où je dois accompagner cette classe. Elle s'étend (dans mon idée) un carré de 100km sur 100. Personne ne suit malgré mon plan au tableau, tout le monde s'interpelle, je gueule « A la troisième observation je frappe ! Je vous tape dessus ! » Peine perdue, car mes cris n'arrivent même pas à dominer le tumulte. Une partie de ces élèves étaient des miens pendant mon activité professionnelle, effectivement parmi les plus turbulents.

     

    63 09 11

    J’étais enfant dans un bagne pour enfants, de moins de treize ans. Ils se faisaient frapper, se frappaient entre eux. Mal habillés, brutalisés. Dans l’autocar, on en frappait à travers la vitre ouverte de séparation. Le directeur-adjoint nous avait fait parvenir un film, c’était un grand costaud habillé de noir. Dans les couloirs de l’établissement, tout était hypocritement calme. Je pouvais aller le remercier pour le film, mais il n’apparaissait pas. Ce film était un remake, avec d’autres enfants, chez les pirates. Richard Bohringer y jouait sur la fin un rôle antipathique, et superficiellement. Et plus je regardais ce film, plus je me rendais compte qu’en fait, il s’agissait de sa version originale. Mais nous ne sommes pas allés jusqu’au bout. Partout des cris et des vociférations. Pour finir, on nous a séparés filles et garçons. Nous dormions donc en cercle entre garçons, pour nous confier que nous aimerions bien tous en avoir une plus grosse. La pièce se rétrécissait, l’un d’entre nous étati juif, mais nous n’avons jamais baissé culotte. C’était bien, ce film ; les bourreaux, par conviction, nous laissaient tranquilles, après une ou deux salles vides orange où les clameurs, peu à peu, s’effaçaient dans l’éloignement.

     

    63 09 12

    J’ai rêvé d’un énorme cochon bien mal en point, je pissais à côté de lui dans une cuvette de WC : c’était du sang, très abondant, très clair, en éventail comme un arrosoir à purin.

    Puis je me trouvais avec Arielle dans un immense restaurant universitaire. Je lui montrais un § où Houellebecq souffre d’être blanc parmi toutes ces autres « races ». Autour de nous le monde entier, qui mange. Nous ressortons. Dans le métro, Arielle se met à courir d’un bout à l’autre des quais. Je crie au secououours ! ma femme est devenue folle, elle va se précipiter sur les voies ! » Je la retrouve sur une toute petite bicyclette avec d’autres étudiants, eux aussi de petite taille…

     

    63 09 16

    Je prends congé d’un hôtel bouibouiteux Alors, à la prochaine ! La patronne est une vieille laide, entre Mme Juin et Mme Marqueton. Elle se fout de moi, je lui sors « Si vous me trouvez ridicule, vous vous regardez dans une glace et vous verrez qui de nous est le plus ridicule ». Me perds un peu dans une ville du Bassin, j’arrête un autocar ; un « homme d’accueil » reçoit les passagers par un baratin bon enfant ; gagnant le fond, je rejoins 3 mecs en carré incomplet, ils bouquinent, nous devisons, « il vaut mieux encore être de la Corrèze que de la Creuse, ce qui aggrave son cas ». Le vieux car bringuebale, c’est sympa, on y discute comme dans un bistrot.

     

     

     

     

    63 09 17

    Un corbillard descend la rue de Guignicourt. Il a manqué notre maison. Le cercueil de ma mère pénètre par une ruelle très étroite un petit salon de présentation. Je suis en short, et Arielle en tenue très légère également. Très peu d’assistants. Plusieurs jours se sont écoulés depuis sa mort. Je dis : « On ne peut pas dire que tu me soutiennes beaucoup. » Surgit une vieille à patte raide et canne, qui morigène une Lucinda qui a renvoyé ses correspondants allemands : « Et pourquoi ne leur as-tu pas demandé de refaire ta chaussure ? » Elle s’arrête enfin de gueuler. Le cercueil repart, j’aide à le porter, ça me pèse sur l’épaule : ma mère est encore bien lourde après totale décomposition (« peu probable », ajouté après coup).

    Euskadi Ta Askatasuna fut fondée en 1959 ancien style. Mais avant ma vie d’enseignement, peut m’en chalait (et non pas « m’en chaudait », ô Defalvard). Suspendons l’examen. Errons dans ce préliminaire et montons l’escalier.

     

    63 09 21

    Avec Arielle je fais étape dans un deuxième village du Pays Basque. Arielle, d’excellent humeur, parle avec tout le monde, semble connaître le genre de basque qui se parle ici. Nous gravissons un sentier au milieu duquel se tient un verre d’eau traditionnel pour rafraîchir le randonneur, à même le sol. Au sommet de la pente, nous divergeons. Nous nous sommes retrouvés dans le hall de l’hôtel où elle signe des chèques pour faire une pension à Lauronse, lequel, nous dit le gérant en « basque », se trouve dans une situation financière désastreuse.

     

    63 09 22

    Chez Boudou vraisemblablement, avec Blanchard au lit, habillés et sans ambiguïté : il me reproche d’aller pisser, encore à 2h du matin. Aux chiottes, détrempé dans une chasse d’eau vide, je retrouve un traité de phonétique grecque m’ayant appartenu et que je compte bien me réapproprier. Une brochure le concernant mentionne que, tout de même, il faut être vraiment motivé pour se livrer à sa lecture.

     

    63 09 24

    Au bout de notre jardin descend une rampe en spirale menant chez une famille écolo, dont la mère est candidate à l’élection présidentielle et que nos évitons. Un jour, je descends dans la boue et y perds un gant, apparemment dissous. Le mari, en short, cherche en vain avec moi. Nous les invitons, ils mmangent. Ils nous réinvitent, je tutoie l’homme, apprends à apprécier la femme (style Josette). Elle reçoit les soutiens jusqu’à une certaine heure. Je n ‘en suis pas. Pour entrer chez eux, il faut dégonder la porte et la remettre. À l’intérieur, on voit le dessous de la spirale d’accès. Le vent redresse et raplatit des structures pliables, en bois, qui serviront de carcasses à des maisons à monter. « Je ne dis pas que votre mari est un génie, mais il a celui de la construction ».

    Elle acquiesce.

     

    63 09 30

    Dans un paysage accidenté, sur un talus herbu, je rencontre un lépreux qui mendie sous un plâtre crânien et brachial amovible. De pièce en pièce il finit par recevoir 20€ et me remercie. Il me rejoindra plus tard dans un logement vétuste qu’on lui a prêté, au sommet de la ville. Là-haut, il tiendra une conférence. Je longe un ravin semblable à la Cuve St-Vincent de Laon, avec deux autres personnes. Son appartement n’est pas fameux, mais c’est toujours un toit. Il m’y rejoint. Le reste de la maison est cossu et bourgeois, mes accompagnons me recommandent d’éviter de déconner.

     

    63 10 04

    Arielle part à Vienne en me laissant le soin d’accomplir à sa place une visite à son psy (de 13h30 à 14h). Mais j’ai perdu l’adresse et jusqu’au nom. Mes yeux y voient mal. Je dois nager dans un canal d’eau noire, très étroit, très profond, dans un manteau de fourrure, sous les commentaires de témoins anonymes. Le canal s’obstrue de plus en plus de branchages. Il va être 14h. J’ai retrouvé le nom du psy : c’est Schigut. Arielle et moi nous retrouvons, assis, épuisés en bordure du cimetière nord, et je suis incapable de déchiffrer le nom des rues sous la pluie. Nous nous réfugions dans un café où nous payons des confiseries au chocolat. Le patron se repose – « juste un peu ». Le garçon, lui aussi, parle français. Le plan de Vienne est resté illisible, sous ce ciel sombre.

    63 10 12

    Avec mon père et Lechat (noir et blanc) nous essayons de sortir de Paris par le S.E., mais nous laissons piéger par une longue impasse. Il fait nuit noire. Le plan nous montre un itinéraire de dégagement le long de la berge. Nous nous asseyons. Ma mère nous appelle depuis un autocar. Nous y allons. Mon père veut prendre un autre chat, par étourderie, je le rectifie. Deux pédés discutent, et me regardent. Mes parents veulent-ils me réentraîner en enfer ?

     

     

     

     

     

    63 10 14

    Mon père m'a confié une grosse poupée enveloppée de coton blanc, truffée de matières précieuses. Une équipe dispersée dans une prairie en pente en prend possession de l'un à 'autre. De mon côté, je triture avec succès un tourne-cassette en mode « piles » sur lequel je fais tourner avec succès de petites platines de disque, deux à la fois, qui diffusent en plein air de la musique, relayée par une immense antenne au-dessus d'un bâtiment cubique délabré, en bordure d'un vaste ravin de verdure. Tantôt ça marche, tantôt ça ne marche pas, mais peu importe. Je marche avec mon petit appareil portatif.

    De l'herbe se relève un magnifique noir tout nu, et en face de lui se dresse une splendide négresse à peine vêtue. Plus loin, m'aborde un charmant jeune homme aux mâchoires duvetées, homosexuel. Grande sensation de bien-être dans tout le rêve.

    65 02 18

    Dans une petite ville pyrénéenne, des franquistes anticléricaux (!!!) envahissent les rues pour tout massacrer. Les gens fuient de toute part, y compris dans une impasse d’où je me tire pour gagner l’église. Le curé fait une messe pour se placer sous la protection de Dieu, mais d’autres préfèrent monter dans les combles du clocher, où plusieurs étages boisés nous permettront peut-être d’échapper au massacre. Je monte de plus en plus haut, les structures deviennent de plus en plus étroites et rudimentaires. Pourvu qu’ils ne pensent pas à explorer le clocher. Nous avons pu tous redescendre, il n’y a pas eu de meurtres, mais je me retrouve dans un hôtel, où la tenancière, Mme Juin de la rue Traversane est occupée avec une cliente. Je ne peux décemment m’installer, surtout si la chambre semble encore occupée (paquet de café, de cigarettes) sans m’être présenté à la direction.



     

    63 09 11

    J’étais enfant dans un bagne pour enfants, de moins de treize ans. Ils se faisaient frapper, se frappaient entre eux. Mal habillés, brutalisés. Dans l’autocar, on en frappait à travers la vitre ouverte de séparation. Le directeur-adjoint nous avait fait parvenir un film, c’était un grand costaud habillé de noir. Dans les couloirs de l’établissement, tout était hypocritement calme. Je pouvais aller le remercier pour le film, mais il n’apparaissait pas. Ce film était un remake, avec d’autres enfants, chez les pirates. Richard Bohringer y jouait sur la fin un rôle antipathique, et superficiellement. Et plus je regardais ce film, plus je me rendais compte qu’en fait, il s’agissait de sa version originale. Mais nous ne sommes pas allés jusqu’au bout. Partout des cris et des vociférations. Pour finir, on nous a séparés filles et garçons. Nous dormions donc en cercle entre garçons, pour nous confier que nous aimerions bien tous en avoir une plus grosse. La pièce se rétrécissait, l’un d’entre nous étati juif, mais nous n’avons jamais baissé culotte. C’était bien, ce film ; les bourreaux, par conviction, nous laissaient tranquilles, après une ou deux salles vides orange où les clameurs, peu à peu, s’effaçaient dans l’éloignement.

     

    63 09 12

    J’ai rêvé d’un énorme cochon bien mal en point, je pissais à côté de lui dans une cuvette de WC : c’était du sang, très abondant, très clair, en éventail comme un arrosoir à purin.

    Puis je me trouvais avec Arielle dans un immense restaurant universitaire. Je lui montrais un § où Houellebecq souffre d’être blanc parmi toutes ces autres « races ». Autour de nous le monde entier, qui mange. Nous ressortons. Dans le métro, Arielle se met à courir d’un bout à l’autre des quais. Je crie au secououours ! ma femme est devenue folle, elle va se précipiter sur les voies ! » Je la retrouve sur une toute petite bicyclette avec d’autres étudiants, eux aussi de petite taille…

     

    63 09 16

    Je prends congé d’un hôtel bouibouiteux Alors, à la prochaine ! La patronne est une vieille laide, entre Mme Juin et Mme Marqueton. Elle se fout de moi, je lui sors « Si vous me trouvez ridicule, vous vous regardez dans une glace et vous verrez qui de nous est le plus ridicule ». Me perds un peu dans une ville du Bassin, j’arrête un autocar ; un « homme d’accueil » reçoit les passagers par un baratin bon enfant ; gagnant le fond, je rejoins 3 mecs en carré incomplet, ils bouquinent, nous devisons, « il vaut mieux encore être de la Corrèze que de la Creuse, ce qui aggrave son cas ». Le vieux car bringuebale, c’est sympa, on y discute comme dans un bistrot.

     

     

     

     

    63 09 17

    Un corbillard descend la rue de Guignicourt. Il a manqué notre maison. Le cercueil de ma mère pénètre par une ruelle très étroite un petit salon de présentation. Je suis en short, et Arielle en tenue très légère également. Très peu d’assistants. Plusieurs jours se sont écoulés depuis sa mort. Je dis : « On ne peut pas dire que tu me soutiennes beaucoup. » Surgit une vieille à patte raide et canne, qui morigène une Lucinda qui a renvoyé ses correspondants allemands : « Et pourquoi ne leur as-tu pas demandé de refaire ta chaussure ? » Elle s’arrête enfin de gueuler. Le cercueil repart, j’aide à le porter, ça me pèse sur l’épaule : ma mère est encore bien lourde après totale décomposition (« peu probable », ajouté après coup).

    Euskadi Ta Askatasuna fut fondée en 1959 ancien style. Mais avant ma vie d’enseignement, peut m’en chalait (et non pas « m’en chaudait », ô Defalvard). Suspendons l’examen. Errons dans ce préliminaire et montons l’escalier.

     

    63 09 21

    Avec Arielle je fais étape dans un deuxième village du Pays Basque. Arielle, d’excellent humeur, parle avec tout le monde, semble connaître le genre de basque qui se parle ici. Nous gravissons un sentier au milieu duquel se tient un verre d’eau traditionnel pour rafraîchir le randonneur, à même le sol. Au sommet de la pente, nous divergeons. Nous nous sommes retrouvés dans le hall de l’hôtel où elle signe des chèques pour faire une pension à Lauronse, lequel, nous dit le gérant en « basque », se trouve dans une situation financière désastreuse.

     

    63 09 22

    Chez Boudou vraisemblablement, avec Blanchard au lit, habillés et sans ambiguïté : il me reproche d’aller pisser, encore à 2h du matin. Aux chiottes, détrempé dans une chasse d’eau vide, je retrouve un traité de phonétique grecque m’ayant appartenu et que je compte bien me réapproprier. Une brochure le concernant mentionne que, tout de même, il faut être vraiment motivé pour se livrer à sa lecture.

     

    63 09 24

    Au bout de notre jardin descend une rampe en spirale menant chez une famille écolo, dont la mère est candidate à l’élection présidentielle et que nos évitons. Un jour, je descends dans la boue et y perds un gant, apparemment dissous. Le mari, en short, cherche en vain avec moi. Nous les invitons, ils mmangent. Ils nous réinvitent, je tutoie l’homme, apprends à apprécier la femme (style Josette). Elle reçoit les soutiens jusqu’à une certaine heure. Je n ‘en suis pas. Pour entrer chez eux, il faut dégonder la porte et la remettre. À l’intérieur, on voit le dessous de la spirale d’accès. Le vent redresse et raplatit des structures pliables, en bois, qui serviront de carcasses à des maisons à monter. « Je ne dis pas que votre mari est un génie, mais il a celui de la construction ».

    Elle acquiesce.

     

    63 09 30

    Dans un paysage accidenté, sur un talus herbu, je rencontre un lépreux qui mendie sous un plâtre crânien et brachial amovible. De pièce en pièce il finit par recevoir 20€ et me remercie. Il me rejoindra plus tard dans un logement vétuste qu’on lui a prêté, au sommet de la ville. Là-haut, il tiendra une conférence. Je longe un ravin semblable à la Cuve St-Vincent de Laon, avec deux autres personnes. Son appartement n’est pas fameux, mais c’est toujours un toit. Il m’y rejoint. Le reste de la maison est cossu et bourgeois, mes accompagnons me recommandent d’éviter de déconner.

     

    63 10 04

    Arielle part à Vienne en me laissant le soin d’accomplir à sa place une visite à son psy (de 13h30 à 14h). Mais j’ai perdu l’adresse et jusqu’au nom. Mes yeux y voient mal. Je dois nager dans un canal d’eau noire, très étroit, très profond, dans un manteau de fourrure, sous les commentaires de témoins anonymes. Le canal s’obstrue de plus en plus de branchages. Il va être 14h. J’ai retrouvé le nom du psy : c’est Schigut. Arielle et moi nous retrouvons, assis, épuisés en bordure du cimetière nord, et je suis incapable de déchiffrer le nom des rues sous la pluie. Nous nous réfugions dans un café où nous payons des confiseries au chocolat. Le patron se repose – « juste un peu ». Le garçon, lui aussi, parle français. Le plan de Vienne est resté illisible, sous ce ciel sombre.

    63 10 12

    Avec mon père et Lechat (noir et blanc) nous essayons de sortir de Paris par le S.E., mais nous laissons piéger par une longue impasse. Il fait nuit noire. Le plan nous montre un itinéraire de dégagement le long de la berge. Nous nous asseyons. Ma mère nous appelle depuis un autocar. Nous y allons. Mon père veut prendre un autre chat, par étourderie, je le rectifie. Deux pédés discutent, et me regardent. Mes parents veulent-ils me réentraîner en enfer ?

     

     

     

     

     

    63 10 14

    Mon père m'a confié une grosse poupée enveloppée de coton blanc, truffée de matières précieuses. Une équipe dispersée dans une prairie en pente en prend possession de l'un à 'autre. De mon côté, je triture avec succès un tourne-cassette en mode « piles » sur lequel je fais tourner avec succès de petites platines de disque, deux à la fois, qui diffusent en plein air de la musique, relayée par une immense antenne au-dessus d'un bâtiment cubique délabré, en bordure d'un vaste ravin de verdure. Tantôt ça marche, tantôt ça ne marche pas, mais peu importe. Je marche avec mon petit appareil portatif.

    De l'herbe se relève un magnifique noir tout nu, et en face de lui se dresse une splendide négresse à peine vêtue. Plus loin, m'aborde un charmant jeune homme aux mâchoires duvetées, homosexuel. Grande sensation de bien-être dans tout le rêve.

    65 02 18

    Dans une petite ville pyrénéenne, des franquistes anticléricaux (!!!) envahissent les rues pour tout massacrer. Les gens fuient de toute part, y compris dans une impasse d’où je me tire pour gagner l’église. Le curé fait une messe pour se placer sous la protection de Dieu, mais d’autres préfèrent monter dans les combles du clocher, où plusieurs étages boisés nous permettront peut-être d’échapper au massacre. Je monte de plus en plus haut, les structures deviennent de plus en plus étroites et rudimentaires. Pourvu qu’ils ne pensent pas à explorer le clocher. Nous avons pu tous redescendre, il n’y a pas eu de meurtres, mais je me retrouve dans un hôtel, où la tenancière, Mme Juin de la rue Traversane est occupée avec une cliente. Je ne peux décemment m’installer, surtout si la chambre semble encore occupée (paquet de café, de cigarettes) sans m’être présenté à la direction.



     

    63 09 11

    J’étais enfant dans un bagne pour enfants, de moins de treize ans. Ils se faisaient frapper, se frappaient entre eux. Mal habillés, brutalisés. Dans l’autocar, on en frappait à travers la vitre ouverte de séparation. Le directeur-adjoint nous avait fait parvenir un film, c’était un grand costaud habillé de noir. Dans les couloirs de l’établissement, tout était hypocritement calme. Je pouvais aller le remercier pour le film, mais il n’apparaissait pas. Ce film était un remake, avec d’autres enfants, chez les pirates. Richard Bohringer y jouait sur la fin un rôle antipathique, et superficiellement. Et plus je regardais ce film, plus je me rendais compte qu’en fait, il s’agissait de sa version originale. Mais nous ne sommes pas allés jusqu’au bout. Partout des cris et des vociférations. Pour finir, on nous a séparés filles et garçons. Nous dormions donc en cercle entre garçons, pour nous confier que nous aimerions bien tous en avoir une plus grosse. La pièce se rétrécissait, l’un d’entre nous était juif, mais nous n’avons jamais baissé culotte. C’était bien, ce film ; les bourreaux, par conviction, nous laissaient tranquilles, après une ou deux salles vides orange où les clameurs, peu à peu, s’effaçaient dans l’éloignement.

     

    63 09 12

    J’ai rêvé d’un énorme cochon bien mal en point, je pissais à côté de lui dans une cuvette de WC : c’était du sang, très abondant, très clair, en éventail comme un arrosoir à purin.

    Puis je me trouvais avec Arielle dans un immense restaurant universitaire. Je lui montrais un § où Houellebecq souffre d’être blanc parmi toutes ces autres « races ». Autour de nous le monde entier, qui mange. Nous ressortons. Dans le métro, Arielle se met à courir d’un bout à l’autre des quais. Je crie au secououours ! ma femme est devenue folle, elle va se précipiter sur les voies ! » Je la retrouve sur une toute petite bicyclette avec d’autres étudiants, eux aussi de petite taille…

     

    63 09 16

    Je prends congé d’un hôtel bouibouiteux Alors, à la prochaine ! La patronne est une vieille laide, entre Mme Juin et Mme Marqueton. Elle se fout de moi, je lui sors « Si vous me trouvez ridicule, vous vous regardez dans une glace et vous verrez qui de nous est le plus ridicule ». Me perds un peu dans une ville du Bassin, j’arrête un autocar ; un « homme d’accueil » reçoit les passagers par un baratin bon enfant ; gagnant le fond, je rejoins 3 mecs en carré incomplet, ils bouquinent, nous devisons, « il vaut mieux encore être de la Corrèze que de la Creuse, ce qui aggrave son cas ». Le vieux car bringuebale, c’est sympa, on y discute comme dans un bistrot.

     

     

     

     

    63 09 17

    Un corbillard descend la rue de Guignicourt. Il a manqué notre maison. Le cercueil de ma mère pénètre par une ruelle très étroite un petit salon de présentation. Je suis en short, et Arielle en tenue très légère également. Très peu d’assistants. Plusieurs jours se sont écoulés depuis sa mort. Je dis : « On ne peut pas dire que tu me soutiennes beaucoup. » Surgit une vieille à patte raide et canne, qui morigène une Lucinda qui a renvoyé ses correspondants allemands : « Et pourquoi ne leur as-tu pas demandé de refaire ta chaussure ? » Elle s’arrête enfin de gueuler. Le cercueil repart, j’aide à le porter, ça me pèse sur l’épaule : ma mère est encore bien lourde après totale décomposition (« peu probable », ajouté après coup).

    Euskadi Ta Askatasuna fut fondée en 1959 ancien style. Mais avant ma vie d’enseignement, peut m’en chalait (et non pas « m’en chaudait », ô Defalvard). Suspendons l’examen. Errons dans ce préliminaire et montons l’escalier.

     

    63 09 21

    Avec Arielle je fais étape dans un deuxième village du Pays Basque. Arielle, d’excellent humeur, parle avec tout le monde, semble connaître le genre de basque qui se parle ici. Nous gravissons un sentier au milieu duquel se tient un verre d’eau traditionnel pour rafraîchir le randonneur, à même le sol. Au sommet de la pente, nous divergeons. Nous nous sommes retrouvés dans le hall de l’hôtel où elle signe des chèques pour faire une pension à Lauronse, lequel, nous dit le gérant en « basque », se trouve dans une situation financière désastreuse.

     

    63 09 22

    Chez Boudou vraisemblablement, avec Blanchard au lit, habillés et sans ambiguïté : il me reproche d’aller pisser, encore à 2h du matin. Aux chiottes, détrempé dans une chasse d’eau vide, je retrouve un traité de phonétique grecque m’ayant appartenu et que je compte bien me réapproprier. Une brochure le concernant mentionne que, tout de même, il faut être vraiment motivé pour se livrer à sa lecture.

     

    63 09 24

    Au bout de notre jardin descend une rampe en spirale menant chez une famille écolo, dont la mère est candidate à l’élection présidentielle et que nos évitons. Un jour, je descends dans la boue et y perds un gant, apparemment dissous. Le mari, en short, cherche en vain avec moi. Nous les invitons, ils mmangent. Ils nous réinvitent, je tutoie l’homme, apprends à apprécier la femme (style Josette). Elle reçoit les soutiens jusqu’à une certaine heure. Je n ‘en suis pas. Pour entrer chez eux, il faut dégonder la porte et la remettre. À l’intérieur, on voit le dessous de la spirale d’accès. Le vent redresse et raplatit des structures pliables, en bois, qui serviront de carcasses à des maisons à monter. « Je ne dis pas que votre mari est un génie, mais il a celui de la construction ».

    Elle acquiesce.

     

    63 09 30

    Dans un paysage accidenté, sur un talus herbu, je rencontre un lépreux qui mendie sous un plâtre crânien et brachial amovible. De pièce en pièce il finit par recevoir 20€ et me remercie. Il me rejoindra plus tard dans un logement vétuste qu’on lui a prêté, au sommet de la ville. Là-haut, il tiendra une conférence. Je longe un ravin semblable à la Cuve St-Vincent de Laon, avec deux autres personnes. Son appartement n’est pas fameux, mais c’est toujours un toit. Il m’y rejoint. Le reste de la maison est cossu et bourgeois, mes accompagnons me recommandent d’éviter de déconner.

     

    63 10 04

    Arielle part à Vienne en me laissant le soin d’accomplir à sa place une visite à son psy (de 13h30 à 14h). Mais j’ai perdu l’adresse et jusqu’au nom. Mes yeux y voient mal. Je dois nager dans un canal d’eau noire, très étroit, très profond, dans un manteau de fourrure, sous les commentaires de témoins anonymes. Le canal s’obstrue de plus en plus de branchages. Il va être 14h. J’ai retrouvé le nom du psy : c’est Schigut. Arielle et moi nous retrouvons, assis, épuisés en bordure du cimetière nord, et je suis incapable de déchiffrer le nom des rues sous la pluie. Nous nous réfugions dans un café où nous payons des confiseries au chocolat. Le patron se repose – « juste un peu ». Le garçon, lui aussi, parle français. Le plan de Vienne est resté illisible, sous ce ciel sombre.

     

    63 10 13

    Nous avons enlevé les meubles, dans une location au premier étage. Le sol est dégueulasse, couvert de miettes et de détritus. Muriel et Jacques sont là. Muriel passe la serpillière et je veux l’imiter, avec une loque plus petite. « Les gens qui nettoient ne sont pas capables de s’apercevoir quand c’est propre [sic] ailleurs que chez eux. »

    Je m’absente pour aller à l’église. Un enterrement. Je m’assieds, des cartes tombent de leur étui et me sont retendues par un enfant : Roi de Cœur, Valet de Pique. Il pensera que c’est ésotérique, et non pas déplacé. L’église est de style « crypte baroque »… Le jeune mort était un marin. Un jeune homme chante du bon rock tandis qu’on amène un cercueil. J’aperçois le front, avant qu’on ne remette un couvercle en plastique opaque. Il y a là deux cercueils l’un dans l’autre : « On réutilise les linceuls ? Pouah ! » Un camion frigorifique stationne à l’extérieur. Je m’assois sur un petit siège de côté.

    Les autres attendront pour le ménage.

     

     

    63 10 14

    Mon père m'a confié une grosse poupée enveloppée de coton blanc, truffée de matières précieuses. Une équipe dispersée dans une prairie en pente en prend possession de l'un à 'autre. De mon côté, je triture avec succès un tourne-cassette en mode « piles » sur lequel je fais tourner avec succès de petites platines de disque, deux à la fois, qui diffusent en plein air de la musique, relayée par une immense antenne au-dessus d'un bâtiment cubique délabré, en bordure d'un vaste ravin de verdure. Tantôt ça marche, tantôt ça ne marche pas, mais peu importe. Je marche avec mon petit appareil portatif.

    De l'herbe se relève un magnifique noir tout nu, et en face de lui se dresse une splendide négresse à peine vêtue. Plus loin, m'aborde un charmant jeune homme aux mâchoires duvetées, homosexuel. Grande sensation de bien-être dans tout le rêve.

     

    63 10 20

    Au soir tombant, je me promène en voiture vers le nord. Après une bifurcation bombée, le terrain devient plus accidenté, très boueux, dans une vaste clairière d’où reviennent déjà d’autres promeneurs. Le risque d’embourbement est certain. Dans la boue se voit un petit château, vers lequel je ne me déporte pas, car je crois l’avoir déjà vu autrefois – mais en réalité c’est une chapelle, qui existe véritablement, du côté de Belvès. Il sera temps de la visiter au retour… ! Il faut à présent escalader, à pied, un flanc herbu quasi vertical. Il mène, par dessous, à la base d’un château d’eau, encore éclairée. J’y renonce, je redescends. Tâchons d’y parvenir par un autre versant. Et lorsque c’est fait, nous découvrons, à ras du sol, sur le seuil, une femme : «On ferme » - elle va justement éteindre la lumière, elle a terminé sa journée d’administratrice, heureuse.

    Plus loin, une infirmière, mettant sous bandeau une revue de type « alternatif » ; à côté d’elle, des imprimeurs : « mais », leur ai-je dit, « j’aime tout ce qui s’oppose, justement ! » On m’y fera écrire, dans cette revue, j’en reçois même à diffuser. Il faut vraiment rentrer. T’as vu l’heure ?

     

    63 10 24

    Encore une rentrée dans un établissement tout petit avec de vieux professeurs encroûtés pas très accueillants. La Principale nous donne des portables, le mien porte le nom NOGA et ne marche pas. Des tableaux s’affichent, où David, déjà, écrit des conneries. À une table, j’essaie d’attirer l’attention en écrivant à l’envers. Il faut manger à la cantine, je ne parviens pas à me servir du téléphone pour prévenir ma femme.

     

    63 12 05

    Arielle tient à rendre visite à Blanchard et Anita, qui habitent toujours ensemble à Latresne. Il règne une ambiance tendue. Des mots sont griffonnés sur un papier. Les enfants sont là mais ne se montrent pas. Nous disons qu’ensuite nous aimerions passer chez tels autres, parents d’une maîtresse. Domi dit que c’est à éviter. « Qui faut-il éviter ? - Tout le monde ». Ils nous emmènent dans une voiture aux ridelles très hautes, dans un ensemble de boutiques où nous passons à peine, en particulier pour la hauteur. Nous frôlons les étalages et pourrions nous servir à la main… La radio diffuse « la générosité d’Israël ». Nous débouchons dans un très vaste espace industriel, très haut, très sombre, où reluisent des lumières errantes ; des ombres s’affairent.

    On traite, ici, du pétrole ou de ses dérivés. Bientôt le dirham dominera le monde – mais de quel pays ? Quand plusieurs pays analogues sont la concurrence, lequel est censé prendre l’ascendant ? l’atmosphère est celle d’un rite, des serpentins chimiques se déplacent. Domi et Anita ne font plus attention à nous. Nous voici arrivés.

    63 12 06

    Je me demande si je dois accepter une nomination (alors que je suis en retraite) à Nontron. J’y ai déjà donné des cours dans un petit amphithéâtre avec des 6e qui me charrient gentiment tandis que je fais des jeux de mots plus ou moins lestes. Arielle voudrait que j’aménage mon emploi du temps bloqué sur trois jours ; j’ai dit deux fois bonjour à la même secrétaire. L’autorité administrative me fait peur. Arielle fait tout pour me retarder. Nous tournons dans une entrée de collège semblable à celle d’Andernos, mais elle a pris la route du sud de Bergerac au lieu de la route du nord. Ma voiture est réparée. Mais il est 9h moins le quart et je n’arriverai jamais à l’heure à Nontron. Alors, j’ai téléphoné pour dire que je ne venais pas.

    J’en ai marre de ces rêves.

     

    63 12 08

    J’ai été nomme à Nontron. Dans ma voiture je chante en faux italien, faux espagnol, faux portugais.Mon talent est immense!Un autocar se trouve à mon niveau dans les rues enneigées de cette autre ville. Si les gens m’entendaient, ils sauraient à quel point je suis intéressant ! ...car pour l’instant, cette ville touristique sous la neige se montre bien peu attirante.

    Je me rends dans une bibliothèque pour acheter un pantalon, car je suis jambes nues. Ceux que j’examine coûtent plus de 100€, d’excellente qualité, tissu ocre rouille. Le vendeur me tourne autour. Pourvu qu’il n’ait pas la fâcheuse idée de me pousser à l’achat. Je m’installe pour lire une fabuleuse reconstitution de journal de bord, où un explorateur russophone décrit ce qu’il a vu. Il s’agit de la côte ouest du Finistère- les lettres sont difficilement déchiffrables. L’ensemble se termine sur un coffret, inséré là, annonçant des cartes de repères ; mais elles sont toutes en boule, ou déchirées.

    Deux garçons de dos sur leurs chaises se retournent face à moi, parce que, disent-ils, je suis pris de gorge. En effet, je ne cessais pas de la racler. Il faut que je rejoigne mon poste,avec ou sans pantalon, car ma femme, encore une fois (décidément) a tout fait pour me retarder. Je prends alors la route du nord, défoncée, menacée par la neige, mais il me faudra obliquer vers le nord-ouest, direction Limoges. Peut-être étais-je à Ussel. Or, Nontron n’est pas du tout dans cette direction. Comme d’habitude, j’arriverai en retard pour l’heure de la rentrée.

     

    63 12 12

    Dans une salle d’examen. J’attends avec Mme Chevillon, à qui je demande enfin des nouvelles de son fils, qui va d’emplois en emplois. À côté, des chiottes toutes petites, pour enfants. Les sujets d’examen arrivent. La salel d’à côté était occupée par l’école. « Qu’est-ce que c’est que ces profs qui passent des examens au lieu de faire l’école ? » On rit. Les sujets portent tous sur Zéphyrin, d’Albert Cohen. J’ai fait l’impasse dessus. Les sujets sont rédigés en termes énigmatiques pour ceux qui n’ont pas lu une phrase du livre.

     

    63 12 16

    Avec Christine, autoritaire, en voiture. Charente. Haute falaise en contrebas, tombe, retenu par Christine sur le parapet par un pied, des flics s’avancent et me surveillent.

    Cherchons un restaurant dans une petite ville, ne trouvons qu’un établissement de « cuisine rustique ». Nous nous y installons, repartons vers le nord de la ville, où je suis déjà allé. Mais je n’y retrouve rien. Je lui paierai le déjeuner. Nous retombons sur le restaurant rustique. Mais ce n’est pas assez chic pour Madame. Elle s’accroche avec le jeune serveur. La louche tombe dans la soupière. Le garçon : « S’il y a un mystère, il faut le dire tout de suite. », J’adopte une attitude d’absence totale, les yeux vides, même lorsque quelqu’un d’autre vient s’installer près de moi. Christine veut convoquer le maître d’hôtel parce que le garçon l’aurait traitée de salope. Elle finit par s’en aller. Je reste seul, morne et insensible, mais puissamment mortifié.

    63 12 19

    Dans un hôtel inimaginablement crasseux, tandis qu’Arielle couche dans un autre, très loin dans Paris, pour causes professionnelles, Leduc vient me rejoindre et parvient à me trier une très bonne quantité de foutre, mais à l’extérieur. Elle s’en vantera en ces termes à une autre femme, en terrasse. Ma jambe est de plus en plus ravagée par les traces de griffures sanglantes suite à d’innombtables morsures de puces. Je me retrouve à une terrasse de petit-déjeuner, dans la ferraille et les herbes sales. Je reconnais tout de suite d’ex baba-cools dont Hervé, que je prends par les épaules en lui rappelant où nous nous sommes vus. Il fait semblant de s’en souvenir, à moins que je ne lui indiffère. Un type veut me caresser la main, je me dérobe. Une gonzesse se détourne pour me faire la gueule. Le serveur, grand barbu isolé, peine à servir… Je ne parviens pas à lui commander un croissant et deux tartines.

    Le patron, débordé, lance au micro : »Vous êtes tous des enculés ! » L’assistance a largement dépassé la cinquantaine, tous plus crasseux les uns que les autres. En face rampent plus ou moins vers moi, sortant d’un immeuble décrépit à tomber, des larves humaines de 30/35 ans, prématurément vieillies par un abus de drogues. Ils sont hideux, je ne voudrais pas qu’ils me touchent. Deux gonzesses plus jeunes confondent les deuxième et troisième arrondissements de Paris avec le XVIIe où nous sommes (et en même temps Barrière St-Genès…) Je leur dis en plaisantant : « On les voit, les habitants du Lot-et-Garonne ! » Je repars, dans la crasse et la solitude. Tout de même soulagé que ce ne soient que des vieux attardés, et non pas une renaissance chez la jeunesse.

    63 12 26

    Le père Nogaret intervient à propos du caractère dépensier d’Arielle. Je me plains : plus je gagne, plus elle gaspille. Je cherche des documents dans le moteur de la voiture en me salissant les mains. Le père engueule sa fille ; au début elle acquiesçait, puis le terrain gagné se reperdait. M. Nogaret m’étreint en me disant : « Monsieur, je suis très heureux de vous avoir connu ». Arielle est revenue, en pleurs.

    64 01 03

    Je rejoins à pied une vaste propriété en me déplaçant d’un paquet de mousse à l’autre dans un fossé plein d’eau ; ce sont des organismes vivants dont j’ai oublié le nom et qui se gonflent dans l’élément liquide.

    Arrivé là-bas, je découvre toute une assemblée déjà sur place. À chacun sa chambre. Nous ignorons ce que nous veut le gros propriétaire : notre argent, ou notre corps ? Le PDG vient me rejoindre au lit, et nous discutons, tout habillés ; il prend le ton condescendant et amusé. Nous n’avons eu aucun jeu érotique. Je me lève, retrouve mes vêtements en tas dans la chambre de Carole et d’un autre. J’ouvre ensuite par erreur celle d’une femme dont je suis follement amoureux, elle est entièrement nue, de face, très blanche. Plus tard elle me rejoindra et m’étreindra avec désir. De là où nous sommes, nous apercevons, en contrebas, dans une grande salle, des Asiatiques, ouvriers, se livrant à des expériences sur des explosifs.

    Tel doit être le but du Patron : nous montrer ce qu’il pourrait faire...

     

    64 01 08 A

    Dans un grand hôtel de quatre étages posé sans doute au sein d’un désert égyptien. Chaque étage comporte un salon avec télévision. Les clients se regroupent devant les informations ; je me suis trouvé un coin. Discute avec une femme distinguée qui éloigne, de la main, mon visage du sien. Un enfant prend sa place, mais d’aucuns s’en montrent gênés. D’autres enfants sont là, de familles aisées ; tout ce beau monde voyage beaucoup (Hong-Kong, Singapour). Un vieux serviteur retraité me suit dans mes déplacements. Il fait allusion à son service auprès d’un grand musicien espagnol, « qui n’était pas commode , oh la la... ». Il me rase, je le sème, atteins par ascenseur le quatrième étage, minable, où se situent des chambres en soupente, dont l’une est occupée par un couple de jeunes hommes.

    Quand je redescends, je suis obligé d’appuyer sans cesse sur le bouton de descente, qui se bloque. Beaucoup de monde à chaque étage.

     

    64 01 08 B

    Je me rends à mon nouveau collège, en car, avec des élèves, auxquels je suis mêlé. Gros déconnage. Une fille fait 1m 91. Trajet long et sinueux dans des rues encombrées. Arrivé là-bas, je n’ai qu’un cartable sans documents ni cours préparé. En retard. Ma classe a été envoyée en permanence. La chercher. Ne pas se faire voir. Même mon emploi du temps, avec indication des salles, est resté chez moi. Je pisse en me forçant dans un lavabo plat. Mes élèves sortent, une fille rappelant Melle Large ou Gouge me dit que « ça ne fait rien ». Ce genre de rêve récurrent m’emmerde.

     

    64 01 10

    Je raccompagne Lippa chez lui à pied, dans un immeuble en banlieue, en enchaînant, ex abrupto, les sujets. Il m’écoute plus ou moins bouffonner, avec bienveillance. Il me montre un arrêt de bus pour m’en retourner. Nous prenons un verre, le garçon recompte notre monnaie, en francs. Il ressert une bière à Lippa. « Tu es sûr de pouvoir remonter chez toi ? lui dis-je. - Oui. Et la prochaine fois, dis-moi encore beaucoup de choses, car tu sais beaucoup de choses.

     

    64 01 12

    Arielle et moi nous engueulons devant Sonia dans une petite maison sordide en contrebas d’un chantier routier. Sonia nous signale un grand cavalier style Burt Lancaster, sur un cheval « brun ». Il descend ; c’est un médecin qui fait tourner sensuellement Arielle en pas de danse. : « Mais, vous vous foutez sur la gueule ? - Non, j’ai simplement quelques égratignures au front ». Il prescrit je ne sais quelles règles de conduite. Je pars pour les Pyrénées pour me détendre, envoie une lettre de réconciliation. Quand je reviens, la lettre n’est pas parvenue et Arielle pleure en parlant de séparation. Un troupeau de vaches encombre la route. Je pénètre dans une crypte au chœur abondamment sculpté et ajouré.

    Une chorale essaie de chanter en même temps qu’un apprenti organiste qui s’exerce, lui aussi.

     

    64 01 17

    À bord d’une de ces villes flottantes, mais ici, étroite comme un train, je me promène, trouvant d’insipides carnets de voyages, et des mémés. Un haut-parleur invite à un concours de poésie. Cela m’effraye, mais des applaudissements d’approbation, au loin, finissent par se propager jusqu’à moi. Je remonte vers la proue, qui tangue sur la mer du Nord. Je sympathise avec un petit homme, à la ressemblance de Zemmour, qui attribue des prix, de ceci, de cela. Mon voisin aquarelliste peint de bonnes bandes dessinées ; il me confie que ces prix sont attribués en fonction de l’odeur de queue dégagée par tel ou tel. Mais ses aquarelles sont tracées sur mon carnet ! Il me faut en chercher un autre !

    Mon Zemmour me tire à part, à l’escale : c’est une île minuscule, aménagée en réservoir souterrain géant. Puis nous arrivons à Hambourg. Zemmour et moi explorons une vaste crypte claire et blanche, à demi-écroulée ; il me prête son appareil photo. Le haut-parleur de bord annonce que notre bateau-train sera rejoint par des convois venus de Brive et d’autres lieux. C’est alors qu’un groupe d’hommes, à fortes personnalités, m’attirent et m’enlèvent à bord d’un véhicule hybride ultra-rapide.

     

    64 01 19

    Je sortais d’une structure aux portes numérotées : une « maison pour vieux et veuves », pourvue de plans d’accès inclinés, mais personne n’a besoin de mon aide. La vieille m’accompagne avec son chienchien, me vante les agréments de sa résidence, je lui réponds : « ...d’une belle longévité » (?) , puis je la distance et m’éloigne. En droite-gauche dans ce petit bourg près de Libourne : route à grande circulation, et aussi, des impasses l’une après l’autre, des petits jardins bien entretenus (fleurs), population âgée plus ou moins bourrue. Je balance dans une arrière-cour une bonne quantité de détritus dans une poubelle, presque pleine ainsi que deux autres avec elle.

     

    64 01 26

    1) Avec mon père en exploration à pied dans un paysage désolé mais magnifique. Poussons chaque fois un peu plus loin. Découvrons, prises sous la glace transparente, deux magnifiques mosaïques de la basse latinité, et un temple de peplum… Plus tard, une jeune femme brune à long nez me demande d’une voix ferme si je connais l’albanais (en albanais…) Je réponds que non, m’occupant déjà de 8 ou 9 langues. Elle me sourit, mais elle est pour mon père…

    2) Je pénètre, en Allemagne,chez une vieille dame assise devant sa télévision. Par peur d’être surpris, je ressors m’engager dans un petit chemin herbu grillagé sans issue, puis je reviens m’étendre sur son lit où elle me rejoint, mais devient de plus en plus inconsistante, ou se fait remplacer par une femme plus jeune, la quarantaine. Alors je cherche la grand-mère, en vain ; j’ai dû confondre. À l’heure du petit-déjeuner, un garçonnet me dit que sa mère est intransigeante sur les liens familiaux. Son vocabulaire et son raisonnement dépassent son âge. La famille se complète par un frère de neuf ans, nommé Robert. L’allemand se remplace progressivement par le français. Survient aussi un mari, pas très content de me trouver chez lui, mais correct. Le plus jeune garçon craint maintenant mon comportement excentrique et me dit : « Tu vas me les couper ! Tu vas couper mes bronzes ! Tu vas me les couper ! » Je le persuade du contraire, et l’enfant finit par s’assoir.

     

    64 01 29

    Avec Arielle nous arrivons en voiture dans un charmant village périgourdin que je connais. Je gare mon véhicule renversé dans l’herbe afin que personne ne s’en offusque. Il y a un château-fort que j’ai déjà visité, et surtout une petite église « dans un écrin de verdure » au bord de la rivière. Nous rencontrons une jeune communiante et son petit ami. Arielle veut porter un énorme canard qui patauge dans l’herbe détrempée, mais j’en refuse un autre. Les deux enfants nous suivent avec émerveillement, la fillette inquiète pour sa robe. Nous visitons l’église ; des chats tigrés partout, même sur le clavier de l’harmonium « Des Organistes » !… À peine en sommes-nous ressortis qu’un garçon de dix ans vient y interpréter une œuvre, sur le jeu « piano ». Je dis à Arielle la confiance que m’inspire le peuple des campagnes pour régénérer le pays . La fillette est portée par sa mère, qui semble idiote ou moribonde, sur son épaule : la fillette doit se rendre à sa communion. Je lui récite la formule juive Barouhh chel kwèm malhoussè lé olem hakôl et lui en donne une traduction inexacte ; en tout cas, elle connaît déjà le Tétragramme, ce qui me permettra d’améliorer mes traductions… « Tu demanderas à ton curé », lui dis-je.

     

    64 02 22

    Pendant la guerre, Fier-Cloporte retrouve le ^piano droit du Maréchal Franchet d’Esperey, dont la caisse est envahie d’eaux usées. Il se débrouille avec les dessus, les basses étant recouvertes de chiffons sales. Il improvise en chantant, Un autre joueur, blond, retrouve un autre piano. Promenade sur l’herbe avec Arielle et des soldats. Au loin le canon.

    Fier-Cloporte poursuit au-delà d’une clôture, Arielle préférant revenir sur ses pas. À l’arrière, il propose de faire un spectacle : il chante pour une assistance de paysans, et même, il imite la trompette. Les voici enchantés ? Une jeune fille aigre de 15 ans lui dit : « Un quart d’heure, ça va, mais plus, çs sera emmerdant. Mais Cloporte lui répond que d’autres encore lui succéderont. Le repas peut se repousser jusqu’au « 23 », où la frairie s’annonce achalandée. Alvarez aimerait se mettre à côté de lui, feignant de mal prendre ma plaisanterie de le savoir loin. Le spectacle bouffatoire promet d’être réussi.

     

    64 02 25

    Tout le monde à l’air de bien s’amuser, quoiqu’on ne puisse dans ce fatras mouvant atteindre l’autre rive, mais nous restons coincés sur une structure verticale en forme de massue, sans pouvoir franchir les grands et dangereux espaces qui séparent tous ces passagers de radeaux aériens d’un nouveau genre.

    AMEN

     

     

     

    précipice,Ulysse,chien

    65 02 18

    Dans une petite ville pyrénéenne, des franquistes anticléricaux (!!!) envahissent les rues pour tout massacrer. Les gens fuient de toute part, y compris dans une impasse d’où je me tire pour gagner l’église. Le curé fait une messe pour se placer sous la protection de Dieu, mais d’autres préfèrent monter dans les combles du clocher, où plusieurs étages boisés nous permettront peut-être d’échapper au massacre. Je monte de plus en plus haut, les structures deviennent de plus en plus étroites et rudimentaires. Pourvu qu’ils ne pensent pas à explorer le clocher. Nous avons pu tous redescendre, il n’y a pas eu de meurtres, mais je me retrouve dans un hôtel, où la tenancière, Mme Juin de la rue Traversane est occupée avec une cliente. Je ne peux décemment m’installer, surtout si la chambre semble encore occupée (paquet de café, de cigarettes) sans m’être présenté à la direction.

     

    65 10 11

    Placé dans un établissement devant de gros tuyaux transparents qui contiennent diverses représentations liquides, ou bien niaises, ou bien scientifiques, je suis sommé de les admirer , et de les comprendre. Je n’y parviens pas et trouve cela inepte. Puis, dans la cour, j’aperçois tous les élèves, les parents, les collègues, l’administration, pris dans les tourbillons d’une vaste foire marchande où l’on se bouscule parmi les étals pour « faire de l’argent ». Mes commentaires deviennent de plus en plus véhéments ; je m’extirpe vers la sortie en gueulant sur la mort de l’enseignement au profit du pognon et en traitant tout le monde d’assassins et de fachos, mais sans autre résultat que de faire rire autour de moi.

     

    66 08 23

    Encore un établissement dans le nord de la Dordogne, sous la pluie et le vent. Deux couloirs à l’étage, où je cherche l’administration, ma classe, la cantine… Des femmes aux fonctions imprécises ; l’impression d’entrer dans une vaste magouille à base de favoritismes. À l’extérieur, un rassemblement sur une forte pente autour d’un monument aux morts. Je marche sur des plaques commémoratives. De retour dans l’établissement, ne sachant au juste qui est qui, je trouve enfin ma classe, occupée par des élèves de 18 ans fermement décidés à ne pas écouter le cours. L’un d’eux va jusqu’à me menacer du poing en ricanant.

    66 09 18

    Dans une charmante bourgade autrichienne, j’atteins d’un pot de yaourt la blanche poitrine d’une princesse en compagnie de son prince charmant, tous deux coiffés d’une couronne de fleurs blanches nuptiale. Elle éclate en sanglots. J’espère ne pas avoir été repéré, craignant que mes empreintes digitales ne soient restées sur le pot. Anne et moi gagnons un bistrot où se retrouvent d’anciennes connaissances plus ou moins flirteuses, et je repars de nuit avec des sentiments mêlés, « parce que » dit-elle « je rencontre des gens ». Le lendemain, je repère dans des chiottes-douches un drap plié détrempé. Je le chipe et tâche de l’enfouir ou du moins de le dissimuler dans des prairies où discutent des groupes de jeunes gens et filles.

    Je pense ainsi détourner l’enquête sur d’autres pistes, du moins – vaguement. Je ne récolte qu’un ou deux regards distraits. Ces lieux ne me sont pas inconnus, je sais trouver plus loin une petite église au bord d’un chemin de terre.



    66 09 19

    Toute une foule reçoit l’enseignement du Dmon. Elle est allongée sur le sol. C’est un envahissement progressif de toute l’âme par la terreur. Le démon ouvre une porte ; dans ce labyrinthe on viole les enfants. La leçon est définitive et concerne le monde entier.



    66 09 28

    Reviens de Pologne, avec Arielle, en voiture. Nous franchissons la frontière tchèque. Découvrons le château de la Belle au Bois Dormant. Magnifiques tourelles pointues, jardin accessible, photos (avec effets de soleil). Y entrons ; pénétrons dans une chambre, nous mettons au lit, à poil, mais sans consommer… Je nous fais rhabiller, crainte de bruits. Arielle serait bien restée. En ressortant, nous voyons une femme et se deux enfants qui remontent vers le château. Nous sommes parvenus à une ville frontière magnifique, coupée en deux par une inondation. Nous entrons dans une maison inoccupée, avec une machine à écrire sur un bureau d’étudiant. Celui-ci survient, nous le suivons pour visiter la ville, mais l’inondation nous sépare des vieux quartiers, et du marché. L’eau a emporté le pont. Nous retrouvons la voiture de l’étudiant où nous prenons place tous trois. Nous prenons des photos, nous en imaginons. Arielle et moi n’atteindront Prague qu’en fin d’après-midi, ou le soir.

  • NOX PERPETUE matière première 01 85-95

    55 02 05

    Promenade à St-Germain-en-Laye avec Annie, Sonia et David (plutôt frère et sœur, 13 et 8 ans). Nous contournons les portes du métro, en contrebas desquelles s'étendent des galeries mal aménagées. Nous perdons “les enfants” et passons plutôt par une galerie plus large ; il y a des magasins, des distractions. Un guitariste joue : c'est Gérard Manset. Annie lui pose une question sur “le supplément” qu'il trimballe, une femme qui l'accompagne parle de “petit bout de la lorgnette”. Nous mangeons des friandises très chères à un petit bistrot en plei air avec des loufiats un peu hautains. UTILISÉ

     

    55 03 09

    A la frontière espagnole, je dois enjamber une crevasse d'un mètre au fond de laquelle coule un torrent. La roche, en face, présente des anfractuosités où l'on doit poser les mains, comme des moufles en creux, qui vous réchauffent humainement. D'autres essayent en même temps que moi. C'est cela qui marque la frontière (côté catalan). Je me retrouve en Espagne dans une ville d'eau. Je chante en espagnol, en djungo D'où viens-tu Gitan, tout le monde danse dans une ambiance folle sur mes hurlements harmonieux. Ensuite, on fait passer un texte très bien manuscrit qui correspondrait à celui d'un élève de 3e, où il parle d'un léopard en captivité, et mal installé, avec un bassin d'eau trop petit ; on lui en fournit un beaucoup plus grand. Ce texte évoque aussi des chemins, autour de villages passablement urbanisés déjà, où l'on peut se promener pour se dépayser.

    Une carte indique s'ils sont en pente ou non. L'un de ces chemins va chez Préault (ancien élève). Je l'ai déjà fait ; je confirme son pittoresque. UTILISÉ

     

    55 03 17

    Me promenant dans la rue je rencontre deux aimables jeunes femmes dont l'une, je le découvre avec plaisir, parle allemand. Nous prenons un pot, parfaite entente ; nous sommes rejoints par un beau grand jeune homme. Chemin faisant, il me tâte les couilles et je trouve chanceux que des femmes soient attirées par moi alors que je suis mal rasé, âgé de plus de soixante ans. Nous arrivons au logement des deux jeunes femmes, large plancher donnant sur le vide, où nous sommes parvenus par un système de tire-fesses accéléré qui m'a un peu affolé (pertes d'équilibre), mais je m'étais modelé sur les autres, qui ne semblaient pas affolés. Alors un type, de derrière un comptoir, me réclame 137 000 € ! (alors qu'il avait été question, avant le tire-fesses, de passer 10€ à deux copines étudiantes fauchées) (je m'étais finalement demandé qui allait coucher avec qui, et si nous n'allions pas nous retrouver entre hommes et entre femmes).

    Je refuse de payer une somme pareille malgré les prétendues justifications, et m'enfuis sur les pentes de la montagne où se situe ce perchoir... On me tire dessus mais je m'éloigne rapidement. D'en haut, je vois défiler, emportés par une crue violente, toutes les vaches d'un village basque, puis tous les moutons, toutes les femmes, tous les enfants, tous les hommes... Il semble qu'ensuite un reflux ait remis du moins en place tous les humains… UTILISÉ

     

    55 03 22

    J'arrive dans une gare prétendue “de La Ciotat” ; un vieil accordéoniste joue depuis toujours derrière un comptoir, il y a des Arabes assis sur un matelas bas. Avec Annie nous avons loué une chambre, mais je veux, au bout de trois jours, en repartir. Elle tarde, je l'engueule, rien n'est prêt, nous devions partir un matin, puis le midi, puis pour le soir, puis pour le lendemain matin. Je redescends à pied après avoir gueulé qu'elle était toujours en train de dormir ; l'accordéoniste est toujours accoudé au comptoir. Je remonte avec du pain et un lourd chargement. La pente est raide, une petite vieille me suit, un clodo, un légionnaire. Tout ce monte grimpe assez lentement. Impatienté, le légionnaire descend le clochard d'une balle dans la tête. Je l'approuve. Il m'aide à transporter une armoire déglinguée que nous devons hisser au risque de nous casser la gueule. Nous parvenons au sommet de la pente, le pain se rompt petit à petit, il n'en reste plus grand-chose.

    Reparvenu à notre location, je m'aperçois qu'Annie a refait le lit ; j'en fais des gorges chaudes : “Mais c'est un miracle ! C'est un miracle ! Le lit est fait !” Autour de nous des enfants rigolent... UTILISÉ

     

    55 03 23

    Je me retrouve en classe de 5e, mais avec mon âge, et des élèves que je reconnais. Mon professeur est M. Giot, colosse sévère. Il ne s'aperçoit pas que je n'ai pas fait mes exercices de grammaire, et crois que j'ai recopié quelque chose qu'il ne fallait pas. Je dois refaire une 5une 4e pour atteindre je ne sais quelle spécialité. Quand il est sorti de classe pour la récré, je mange en salle de cours ; mes copains ont placé sur son bureau une cuvette pleine de linge humide, dont mon pyjama : “Il n'a pas changé de pyjama !” Furieux, je passe la tête par la fenêtre : “Si vous n'enlevez pas ça je vous dénonce, toi” (un nom) “et toi, parce que je vous reconnais” (ils n'ont pas vieilli comme moi en effet). “Je suis de Laon, moi, c'est par hasard si j'ai passé 30 ans à Bordeaux, mais je suis de Laon !” Mouvements de satisfaction chez certaines filles dans la cour (or, le lycée n'était pas mixte). Quand je reviens dans la salle, la cuvette a disparu.

    UTILISÉ

    55 04 09

    Dans un château que j'ai déjà visité, avec un groupe. D'abord deux femmes plus une guide, puis d'autres. Comme ce n'est pas ouvert, on va repartir. Un homme atteint d'amabilité génésique veut flirter un peu avec toutes,mais la guide est lesbienne, comme l'a laissé supposer aux deux femmes (que ça fait rigoler) une main glissant sur les fesses. Le propriétaire du château est un paysan bougon qui ne veut pas qu'on allume la télé parce qu'il .ne peut capter que la télé bulgare et que ça lui coûterait cher... Il est question aussi d'acheter de quoi manger pour le groupe. Je plaisante, et une femme me dit sèchement que nous ne sommes pas amis et que j'ai une attitude peu liante, méprisante. Il y a sur la table des rapports en plusieurs exemplaires et sur chacun des membres du groupe, tous très critiques et désagréables. J'ai l'impression de m'être fait piéger par une structure quasi policière. UTILISÉ

     

    55 05 11

    Avec Annie à bord d'un véhicule militaire de fort tonnage possédant un canon. Nous devons effectuer une réparation et cherchons un endroit pour nous garer, dans un village04 constitue pas une menace. Je réponds à mi-voix : “On l'a volé ; si les flics nous voient avec ça on est bon...” Nous le suivons à l'arrière d'un hôtel, mais les emplacements, envahis d'herbe, à moitié défoncés, ne se prêtent pas à un parcage. Un haut-parleur envoie de la musique arabe, du fond d'un parpaing. Annie et son père s'assoient d'un côté d'une table de pique-nique, moi de l'autre. A un moment donné ils tombent dans les bras l'un de l'autre en pleurant. Puis ils se lèvent et s'éloignent un peu, j'entends son père lui dire : “Je vais te donner de l'argent... mais je ne te donne pas tout.” Je m'éclipse, d'abord en sous-sol derrière des panneaux de plastique transparent d'où je vois une assemblée de convives entassés qui se demandent ce que je fous là, il y a des gosses aussi qui jouent en courant. Je reviens par l'arrière de l'hôtel, il fait toujours très chaud, une ancienne élève noire ricane : “Le Collignon... Le Collignon...” UTILISÉ

     

    55 05 25

    Une cage d'escalier vétuste et effondrée ; j'ai mal à la plante des pieds sur des tringles à linge, . Un appartement somptueux, tout en couleurs, tapis, meubles, grande luminosité. Quatre ou cinq vieilles dont feue ma tante Raymonde, très aimables, voire entreprenantes. J'ai oublié de quoi manger, la tante s'affaire en cuisine, je reste vautré sur les tapis avec les autres. Je m'habitue à cet escalier en tringles à linge puisque les autres vieilles l'ont emprunté sans se plaindre. Je descends puis remonte avec un gros billot de bois sous le nez d'un jeune promoteur ahuri. UTILISÉ

     

    55 05 27

    Je suis sur un immense bateau qui descend le Brahmapoutre et le Gange. Ça grouille. Beaucoup d'Européens. Je dépose un plat devant un saint homme et me prosterne. Je suis adopté tout de suite par les femmes de service, misérables mais pleines de dignité, en beaux saris. Elles femmes me parlent dans leur langue. Une érection me prend, je commence à pleurer, ce voyage est sans retour spirituel. Le bateau est très haut, inépuisable, avec des provisions de bois. Je vais connaître un amour infini. D'autres Européens ricanent, ou ne sont pas dignes : attitude méprisante et colonialiste. Je ne reviendrai jamais et serai transformé. Je m'exerce à la langue du pays. Tout le monde couche sur les ponts.

    Je me sens complètement perdu et complètement retrouvé. Annie est quelque part sur le

    bateau, dans la foule. Je laisse tout derrière moi, ma vie ne sera plus qu'une immense prière. Je

    pourrai aimer sans être obligé de baiser. Les femmes m'exercent à prononcer “Brahmapoutre”, sans le “-re” final. Elles s'appellent entre elles selon un système de délinaison. Des Blancs ricanent. Il y a à peine de la place pour s'étendre ou manger. Pas d'hygiène. Je m'en fous. Je ne reviendrai plus en arrière. UTILISÉ

    55 05 28

    Salle basse, qui est aussi une salle des profs. Pas de lumières sauf quelques bougies pour un groupe de privilégiés dont Junca, vers le fond. Je lâche des bordées de juron contre l'Éducation nationale en lui souhaitant de crever, j'insulte mes godasses en les mettant. Me retrouve élève de Descroix dans la pénombre. Je ne parviens pas à traduire du Tite-Live : ne peux consulter mon énorme traduction, qui concerne un autre auteur... Descroix est bougon, mais très aimable. Il reçoit un coup de téléphone : “Non, pas pour elle !” Sylviane et une autre secrétaire s'éclipsent le doigt sur les lèvres avec l'appareil. On habille sa petite fille à deux, elle dit : “Pas trop fort, pas trop fort !” - elle doit être emportée de l'un ou de l'autre côté, les deux habilleuses tirent dessus.

    Pendant ce temps j'aurais dû faire cours, heureusement qu'il ne s'en est pas aperçu.

    UTILISÉ

     

    55 06 15

    Je suis dans un train russe en période révolutionnaire. Je chie dans des toilettes où sont déjà assises trois personnes. Michel Polac se penche sur moi :”Essaye de chier avec trois personnes dans la pièce”, lui dis-je. Il me répond en souriant qu'en effet je suis ridicule. Surtout que j'ai attendu que l'on quitte une gare, et qu'à peine installé voici un autre arrêt. “Estime-toi heureux de ne plus être au temps où l'on s'arrêtait pour une durée indéterminée”- rien ne marchait. Il faut donc que je me retienne. Quand enfin un peu de merde sort, la puanteur fait que tout le monde se lève et s'en va. Je me “colmate la brèche” avec un bouchon de papier cul. Je pense que je parlerais le djungo pour faire semblant de m'exprimer en russe. Le djungo, avec des accents différents, servirait pour toutes les langues...

    UTILISÉ

    55 07 06

    Réunion électorale au village, c'est en même temps la fête patronale, une petite foule se presse sur une place. Il y a Josette et Mme Dorelon. Je vote, mais sans avoir le droit. Je porte un petit garçon, Jean-Pierre, sur les épaules, son échine présente une croûte, comme mon chat. Je recherche sa mère (Marie-France Gouat) pour signaler qu'il faudrait établir une liste électorale. A chaque fois qu'on vote on reçoit une hostie. Je dis à un participant : « Attention de ne pas avaler de travers. » Présence de chats, de boue, de joie populaire.

    UTILISÉ

     

    55 07 10

    Concert donné dans une salle de spectacle dépendant de l'ancien collège de Meulan. La salle, en amphithéâtre, est complète. Un abbé dirige le chœur et l'orchestre, beau, grand, soutane noire, très XIXe siècle. Il est très applaudi. Je vais aux chiottes à côté de l'avant-scène. Java, qui est apparemment trésorière, lui révèle qu'il possède désormais une fortune de plus de trois millions de francs. Il s'étonne, fait signe qu'il n'y est pour rien. Java s'exprime par gestes et mimiques. Le prêtre serait donc sourd et muet ?... A l'énoncé de ce nombre je déclenche à moi seul une nouvelle salve d'applaudissements. Je remonte dans les gradins où j'inspecte et reconstitue maints numéros froissés du Canard Enchaîné et de Sud Ouest, afin de retrouver une photo prouvant ma non-culpabilité dans une affaire de mœurs.

    Je retrouve le dessin que j'ai fait d'un visage de femme choriste, superbe, mais on ne peut bien le voir qu'en le tenant à contre-jour. Je n'ose le jeter. Mais la page manque toujours dans les journaux, y compris dans le Sud Ouest du jour, reconnaissable à une boîte vide et collante de camembert oubliée entre les pages. Impossible de me disculper : quelqu'un a fait disparaître le témoignage favorable. “Ce doit être dans le cimetière”. Un ami hongrois me dissuade d'y retourner. Je me suis aperçu en effet que j'étais nu, parce qu'il faisait très chaud là-bas dans l'amphithéâtre ; si l'on me voit dans cette tenue je risque à peu près le lynchage car il s'agit de ma supposée inconduite en collège autrefois.

    Mais les voitures du public sortent à présent du cimetière abandonné où elles étaient garées, tandis qu'un vaste engin de chantier au bras d'acier puissant démolit là-bas les tombes enfouies dans le sable. Je gagne ma voiture garée non loin et renonce à retourner chercher mes habits dans l'amphithéâtre : il faudra que je conduise nu. Je manque presque dans un virage l'entrée d'un enclos délimitée par un portail de vieilles pierres, et la voiture prend de l'élan. Malheureusement elle s'enlise en pleine pente dans le sable épais, au-dessus du vide tellement c'est devenu raide. Il me sera impossible de descendre, à poil, pour la désensabler, car de plus c'est dangereux. Je reste là coincé, voyant mon véhicule de l'extérieur, et de loin.

    UTILISÉ

    55 07 13

    A une cantine, les femmes me servent avec mauvaise grâce : je suis un chipoteur, donc je n'ai presque rien. Et j'en renverse – il m'en reste encore moins ! On me soupçonne de savoir quelque chose au sujet de Chevènement disparu dans la Sarthe... UTILISÉ

     

    55 07 21

    A

    Consultant mon agenda, je constate qu'une fois de plus Anne a dessiné des caricatures, de plus en plus foisonnantes et talentueuses. Je regrette presque qu'il n'y en ait pas davantage, mais la recherche, pour lui administrer une superratatouille. UTILISÉ

    B

    Sur le chemin du retour à la maison, j'aperçois en contrebas un attroupement autour d'une dizaine de femmes, les unes voilées, les autres non. Une des premières s'est fait agresser, les autres se sont rassemblées pour soutenir les premières. Elles sont très belles et dignes. Il règne une immobilité menaçante. Pour moi, je perds le souffle et m'agenouille en pleurant sur la connerie humaine. Aucun son ne peut sortir de ma bouche, on commence à me regarder.

    UTILISÉ

     

    55 07 23

    En panne de batterie, je dois passer la nuit dans un village, et rien ne sera rechargé avant le lendemain après-midi : “Votre voiture est à 67” (ce devrait être “167”), “ça suffit pour repartir !” Je retourne finir ma salade dans un restaurant de routiers, me lève pour dire que ce sera dégueulasse et le mange debout dans un entrepièces. Ensuite, que de choses j'ai rêvées. La fin d'un bouquin sur “le corps”, dont le dernier chapitre, trop loin, était “La mort”, seul moment où enfin le corps se réalise dans son apogée. Puis je traversais un parking très boueux où les voitures démarraient, très sales, avec des passagers hilares, édentés. C'était, précisément, à Orléans, devant une église, à la place des tombes d'un cimetière.

    De nouveau chez moi, après un coup de téléphone, je m'étendais, m'apercevais en me relevant que la porte du palier était restée ouverte. Alors je parcourais l'appartement tout en criant “Y a quelqu'un ? ou quelqu'une ?” Et justement, poussant une porte, je sentais une résistance, alors je balançais mon pied dans l'embrasure, et c'est Annie, en vrai, qui recevait le coup de pied dans le lit en me disant “Que ça fait mal “, et je m'excusais : “C'était en rêve”. Si je me rendors maintenant ce sera une belle série de cauchemars... UTILISÉ

     

    55 08 08

    Notre appartement, mi-rue David-Johnston mi-allée des Tulipes, envahi par une famille de réfugiés, mi-maurétanienne, mi-cinghalaise. D'abord c'était Fatimatou, puis sa sœur, puis ses parents ; alors je me fâchais, ils prenaient leurs aises, bloquant les toilettes : celles du palier étaient dégueulasses, inutilisables. Je finissais par brailler, désignant tels et tels hommes à grosse tête et bons bouffeurs, disant que je n'avais pas l'argent pour nourrir tout ce monde, les autres râlant dans leur langue. Je parle même d'appeler la police, parce que ce sont peut-être des dissidents, voire des terroristes. Mais ensuite, au troisième (ailleurs), qui était tout ce qui nous restait, je parlais de vendre, en rangeant des assiettes.

    Anne prétendait que, si nous vendions, nous serions accablés d'impôts. “Première nouvelle !” disais-je sans vraiment le croire. UTILISÉ

     

    55 08 09

    En voiture au sommet d'une pente au pied d'immeubles formant une sorte de place sans issue, je tourne en rond, partout des sens interdits. Je suis sans doute parvenu à me garer, parmi d'autres dans le même cas que moi. Je me retrouve au sommet pelé de cette colline, dans un lieu clos à ciel ouvert, sorte de transformateur d'où s'élève comme un sifflemet menaçant de bouilloire surchauffée (c'est en fait le signal des éboueurs comme je m'en apercevrai au réveil). J'essaie d'introduire une clef mais ça ne s'adapte pas. En redescendant la côte, coincée entre deux falaises, je croise une multitude de pélerins du rien, car là-haut, ils ne trouveront que ce transformateur menaçant.

    Je croise des autocars, des groupes. Des femmes se précipitent par en bas, se suicidant d'exaltation. La radio commente tout cela, émettant des doutes : accidents ou suicides collectifs ? Je croise au bord du précipice une gigantesque pyramide humaine masculine vêtue de brun, vraie muraille vivante. Tout le monde se dirige vers les hauteurs stériles et dévastatrices de l'amour, tandis que je redescends peu à peu vers la plaine, soulagé. UTILISÉ

     

    55 08 13

    Dans un CDI en restructuration, une vieille documentaliste. Je dois monter un volume dans des étagères au-dessus de lits superposés. Je l'embrasse. Lippa aussi, il n'y a pas coïncidence des deux désirs. Je suis déjà venu dans cet endroit, avec Sonia transformée en vélo dans une impasse et David en automobile : village en fête, prenons congé d'une famille d'accueil chez qui nous nous sommes introduits. Ecoutons un vieil ivrogne pris d'eau-de-vie. Un phénomène survient dans le ciel. Démontage d'immenses chevaux de bois. Ce rêve, retranscrit à contrecœur, me semble très dangereux. UTILISÉ

     

    55 09 14

    Nous habitons une villa, et nous entendons parfaitement avec nos voisins d'en face. Il fait beau, c'est l'été. La voisine vient me demander d'ouvrir la porte de mon cagibi, plein de cartons, que j'essaye de vider et ranger, “parce qu'il fait chaud” (bizarre...). Je vais chez elle, son mari est occupé à la même chose. Je repars sur un vélo à une roue, très haut. Je m'arrête juste en face d'un poteau dans les feuillages en précisant plaisamment que j'ai trouvé un bon moyen de stopper. Sonia se trouve avec une copine, elles ont dans les treize ans. A ce moment survient une voiture qui frappe la porte de mon cagibi en marche arrière, puis celle du voisin en marche avant, qui repart, heurte tout.

    La petite voiture en question se retourne à moitié, il y a un conducteur et un passager arrière. Je demande aux filles de rentrer pour que nous nous enfermions, mais il est trop tard. Le conducteur descend, agressif, anormal, les yeux égarés, un collier de barbe roussâtre, tendant vers nous un couteau à huîtres. Il dit : “C'est aujourd'hui mon anniversaire.” Il semble complètement psychosé. Je le repousse. Fin du rêve. UTILISÉ

     

    55 12 05

    Avec David dans les rues d'une ville espagnole ; je chipe une voiture postale, qui d'abord ne veut rouler qu'en marche arrière. Nous parvenons à une montée en plein cagnard, où la température atteint 32°, m'avertit le jeune garçon qui m'accompagne. Nous descendons une pente routière, faisons demi-tour devant un camion qui montait, et nous klaxonne. Nous parvenons devant une haute maison de bois et de briques, où se trouvent de nombreux tableaux. Nous montons, avec Parrical jeune fille, l'escalier extérieur de secours, très raide, très instable, qui s'effondre sous nous. Mais nous parvenons à nous rattraper, Anne Parrical si ça appartient à quelqu'un et si c'est bien fixé.

    Elle se lance, avec l'escalier devenu souple, au-delà de l'angle du bâtiment, et arrive à atterrir à un niveau du sol surélevé. Nous l'imitons, mais elle a eu du courage. La maison prend feu avec tous ses tableaux ; nous pensons que cela ne fait rien, que les propriétaires en rachèteront bien d'autres. Le bon gros gardien, nommé Gardien Grillé, nous offre une collation de consolation. Nous avons tous 14 ans, j'ai à côté de moi une jeune fille du même âge, en petite robe, à qui je dis qu'elle

    est belle. « C'est vrai ? » demande-t-elle en se serrant contre moi. Cependant, elle est déjà avec quelqu'un. Je vais dire que mes 14 ans à moi n'ont pas été du tout comme cela, du point de vue des filles.

    Mais on propose un bal costumé, « contre les disputes d'enfants », et ma petite fiancée revêt une robe à tournure, avec deux gros élytres brun brillant à l'arrière... UTILISÉ

     

     

    56 01 07

    Avec Tarche et Hostalier, rentrant chez Carole en remontant une rue, après nous être arrêtés dans une maison délabrée. Des flics nous ont suivis. Carole a préparé le déjeuner : les pièces sont vastes, claires, à l'étage. Les agents de police montent, jeunes, aimables, nous demandant des nouvelles de nos santés. Je réponds : « Un rhume de temps en temps. » Puis je m'aperçois qu'insidieusement ils orientent la conversation vers les substances illicites. Ils commencent à fouiller, me placent un bandeau de laine blanche sur les yeux, qui manque m'obstruer le nez, puis me ligotent les mains pour me faire parler – dur, le réveil... UTILISÉ

     

    56 01 13

    Avec Blanchard, Annie et d'autres à cheval, nous descendons une vaste pente en sous-bois, où se trouvent de nombreuses personnes (pique-nique, etc.). Les couleurs d'automne sont magnifiques. Je me demande si les chevaux pourront emprunter une pente pareille. En bas, malgré les affirmations de mes compagnons, Mme Cholet dans un asile de fous m'impose une perfusion qui me fait très mal à la cuisse droite. Je hurle à l'injustice et j'ai très peur. Allée des Tulipes, on réveille tout le monde par des bruits divers, dont Geneviève enfoncée à l'envers dans son duvet. Dans une petite pièce, Domi, Yssev et Ranou le potier de Meulan discutent ; le potier est un ancien speaker de radio qui me témoigne beaucoup de mépris.

    Je m'en vais puis reviens, tant le monde s'est débridé et déconne pleins tuyaux. Le speaker me demande alors, pour manger, « Du sel s'il vous plaît Monsieur – je dis « Monsieur », à présent ? » Seul, je rédige une lettre de rupture à Domi et Yssev. UTILISÉ

     

    56 01 18

    Je suis une femme de ménage espagnole de 45 ans, maigre, petite, vêtue de noirs cheveux plaqués. Je nettoie une grande chambre d'hôtel à grande baie, un peu renfoncée, donnant sur une pelouse ensoleillée. Je repasse dans ma tête mon journal personnel, qui se termine par «nous avons été réduits à baiser dans le patio », prononcé « sio », à la française. Je pense que je faisais auparavant partie d'un groupe islamiste syrien, qui chantait des couplets religieux guerriers, et s'aiguisaient des lames les unes aux autres. Ils finissaient par s'aiguiser leurs étuis, en ronde bosse, et je me demandais comment ces étuis pouvaient bien être tranchants... UTILISÉ

     

    combat,dompteur,cirque

     

  • NOX PERPETUA Matière Première 01 85-95

    55 02 05

    Promenade à St-Germain-en-Laye avec Annie, Sonia et David (plutôt frère et sœur, 13 et 8 ans). Nous contournons les portes du métro, en contrebas desquelles s'étendent des galeries mal aménagées. Nous perdons “les enfants” et passons plutôt par une galerie plus large ; il y a des magasins, des distractions. Un guitariste joue : c'est Gérard Manset. Annie lui pose une question sur “le supplément” qu'il trimballe, une femme qui l'accompagne parle de “petit bout de la lorgnette”. Nous mangeons des friandises très chères à un petit bistrot en plei air avec des loufiats un peu hautains. UTILISÉ

     

    55 03 09

    A la frontière espagnole, je dois enjamber une crevasse d'un mètre au fond de laquelle coule un torrent. La roche, en face, présente des anfractuosités où l'on doit poser les mains, comme des moufles en creux, qui vous réchauffent humainement. D'autres essayent en même temps que moi. C'est cela qui marque la frontière (côté catalan). Je me retrouve en Espagne dans une ville d'eau. Je chante en espagnol, en djungo D'où viens-tu Gitan, tout le monde danse dans une ambiance folle sur mes hurlements harmonieux. Ensuite, on fait passer un texte très bien manuscrit qui correspondrait à celui d'un élève de 3e, où il parle d'un léopard en captivité, et mal installé, avec un bassin d'eau trop petit ; on lui en fournit un beaucoup plus grand. Ce texte évoque aussi des chemins, autour de villages passablement urbanisés déjà, où l'on peut se promener pour se dépayser.

    Une carte indique s'ils sont en pente ou non. L'un de ces chemins va chez Préault (ancien élève). Je l'ai déjà fait ; je confirme son pittoresque. UTILISÉ

     

    55 03 17

    Me promenant dans la rue je rencontre deux aimables jeunes femmes dont l'une, je le découvre avec plaisir, parle allemand. Nous prenons un pot, parfaite entente ; nous sommes rejoints par un beau grand jeune homme. Chemin faisant, il me tâte les couilles et je trouve chanceux que des femmes soient attirées par moi alors que je suis mal rasé, âgé de plus de soixante ans. Nous arrivons au logement des deux jeunes femmes, large plancher donnant sur le vide, où nous sommes parvenus par un système de tire-fesses accéléré qui m'a un peu affolé (pertes d'équilibre), mais je m'étais modelé sur les autres, qui ne semblaient pas affolés. Alors un type, de derrière un comptoir, me réclame 137 000 € ! (alors qu'il avait été question, avant le tire-fesses, de passer 10€ à deux copines étudiantes fauchées) (je m'étais finalement demandé qui allait coucher avec qui, et si nous n'allions pas nous retrouver entre hommes et entre femmes).

    Je refuse de payer une somme pareille malgré les prétendues justifications, et m'enfuis sur les pentes de la montagne où se situe ce perchoir... On me tire dessus mais je m'éloigne rapidement. D'en haut, je vois défiler, emportés par une crue violente, toutes les vaches d'un village basque, puis tous les moutons, toutes les femmes, tous les enfants, tous les hommes... Il semble qu'ensuite un reflux ait remis du moins en place tous les humains… UTILISÉ 

    prompt,dompteur,cirque

     

     

    55 03 22

    J'arrive dans une gare prétendue “de La Ciotat” ; un vieil accordéoniste joue depuis toujours derrière un comptoir, il y a des Arabes assis sur un matelas bas. Avec Annie nous avons loué une chambre, mais je veux, au bout de trois jours, en repartir. Elle tarde, je l'engueule, rien n'est prêt, nous devions partir un matin, puis le midi, puis pour le soir, puis pour le lendemain matin. Je redescends à pied après avoir gueulé qu'elle était toujours en train de dormir ; l'accordéoniste est toujours accoudé au comptoir. Je remonte avec du pain et un lourd chargement. La pente est raide, une petite vieille me suit, un clodo, un légionnaire. Tout ce monte grimpe assez lentement. Impatienté, le légionnaire descend le clochard d'une balle dans la tête. Je l'approuve. Il m'aide à transporter une armoire déglinguée que nous devons hisser au risque de nous casser la gueule. Nous parvenons au sommet de la pente, le pain se rompt petit à petit, il n'en reste plus grand-chose.

    Reparvenu à notre location, je m'aperçois qu'Annie a refait le lit ; j'en fais des gorges chaudes : “Mais c'est un miracle ! C'est un miracle ! Le lit est fait !” Autour de nous des enfants rigolent... UTILISÉ

     

    55 03 23

    Je me retrouve en classe de 5e, mais avec mon âge, et des élèves que je reconnais. Mon professeur est M. Giot, colosse sévère. Il ne s'aperçoit pas que je n'ai pas fait mes exercices de grammaire, et crois que j'ai recopié quelque chose qu'il ne fallait pas. Je dois refaire une 5une 4e pour atteindre je ne sais quelle spécialité. Quand il est sorti de classe pour la récré, je mange en salle de cours ; mes copains ont placé sur son bureau une cuvette pleine de linge humide, dont mon pyjama : “Il n'a pas changé de pyjama !” Furieux, je passe la tête par la fenêtre : “Si vous n'enlevez pas ça je vous dénonce, toi” (un nom) “et toi, parce que je vous reconnais” (ils n'ont pas vieilli comme moi en effet). “Je suis de Laon, moi, c'est par hasard si j'ai passé 30 ans à Bordeaux, mais je suis de Laon !” Mouvements de satisfaction chez certaines filles dans la cour (or, le lycée n'était pas mixte). Quand je reviens dans la salle, la cuvette a disparu.

    UTILISÉ

    55 04 09

    Dans un château que j'ai déjà visité, avec un groupe. D'abord deux femmes plus une guide, puis d'autres. Comme ce n'est pas ouvert, on va repartir. Un homme atteint d'amabilité génésique veut flirter un peu avec toutes,mais la guide est lesbienne, comme l'a laissé supposer aux deux femmes (que ça fait rigoler) une main glissant sur les fesses. Le propriétaire du château est un paysan bougon qui ne veut pas qu'on allume la télé parce qu'il .ne peut capter que la télé bulgare et que ça lui coûterait cher... Il est question aussi d'acheter de quoi manger pour le groupe. Je plaisante, et une femme me dit sèchement que nous ne sommes pas amis et que j'ai une attitude peu liante, méprisante. Il y a sur la table des rapports en plusieurs exemplaires et sur chacun des membres du groupe, tous très critiques et désagréables. J'ai l'impression de m'être fait piéger par une structure quasi policière. UTILISÉ

     

    55 05 11

    Avec Annie à bord d'un véhicule militaire de fort tonnage possédant un canon. Nous devons effectuer une réparation et cherchons un endroit pour nous garer, dans un village04 constitue pas une menace. Je réponds à mi-voix : “On l'a volé ; si les flics nous voient avec ça on est bon...” Nous le suivons à l'arrière d'un hôtel, mais les emplacements, envahis d'herbe, à moitié défoncés, ne se prêtent pas à un parcage. Un haut-parleur envoie de la musique arabe, du fond d'un parpaing. Annie et son père s'assoient d'un côté d'une table de pique-nique, moi de l'autre. A un moment donné ils tombent dans les bras l'un de l'autre en pleurant. Puis ils se lèvent et s'éloignent un peu, j'entends son père lui dire : “Je vais te donner de l'argent... mais je ne te donne pas tout.” Je m'éclipse, d'abord en sous-sol derrière des panneaux de plastique transparent d'où je vois une assemblée de convives entassés qui se demandent ce que je fous là, il y a des gosses aussi qui jouent en courant. Je reviens par l'arrière de l'hôtel, il fait toujours très chaud, une ancienne élève noire ricane : “Le Collignon... Le Collignon...” UTILISÉ

     

    55 05 25

    Une cage d'escalier vétuste et effondrée ; j'ai mal à la plante des pieds sur des tringles à linge, . Un appartement somptueux, tout en couleurs, tapis, meubles, grande luminosité. Quatre ou cinq vieilles dont feue ma tante Raymonde, très aimables, voire entreprenantes. J'ai oublié de quoi manger, la tante s'affaire en cuisine, je reste vautré sur les tapis avec les autres. Je m'habitue à cet escalier en tringles à linge puisque les autres vieilles l'ont emprunté sans se plaindre. Je descends puis remonte avec un gros billot de bois sous le nez d'un jeune promoteur ahuri. UTILISÉ

     

    55 05 27

    Je suis sur un immense bateau qui descend le Brahmapoutre et le Gange. Ça grouille. Beaucoup d'Européens. Je dépose un plat devant un saint homme et me prosterne. Je suis adopté tout de suite par les femmes de service, misérables mais pleines de dignité, en beaux saris. Elles femmes me parlent dans leur langue. Une érection me prend, je commence à pleurer, ce voyage est sans retour spirituel. Le bateau est très haut, inépuisable, avec des provisions de bois. Je vais connaître un amour infini. D'autres Européens ricanent, ou ne sont pas dignes : attitude méprisante et colonialiste. Je ne reviendrai jamais et serai transformé. Je m'exerce à la langue du pays. Tout le monde couche sur les ponts.

    Je me sens complètement perdu et complètement retrouvé. Annie est quelque part sur le

    bateau, dans la foule. Je laisse tout derrière moi, ma vie ne sera plus qu'une immense prière. Je

    pourrai aimer sans être obligé de baiser. Les femmes m'exercent à prononcer “Brahmapoutre”, sans le “-re” final. Elles s'appellent entre elles selon un système de délinaison. Des Blancs ricanent. Il y a à peine de la place pour s'étendre ou manger. Pas d'hygiène. Je m'en fous. Je ne reviendrai plus en arrière. UTILISÉ

    55 05 28

    Salle basse, qui est aussi une salle des profs. Pas de lumières sauf quelques bougies pour un groupe de privilégiés dont Junca, vers le fond. Je lâche des bordées de juron contre l'Éducation nationale en lui souhaitant de crever, j'insulte mes godasses en les mettant. Me retrouve élève de Descroix dans la pénombre. Je ne parviens pas à traduire du Tite-Live : ne peux consulter mon énorme traduction, qui concerne un autre auteur... Descroix est bougon, mais très aimable. Il reçoit un coup de téléphone : “Non, pas pour elle !” Sylviane et une autre secrétaire s'éclipsent le doigt sur les lèvres avec l'appareil. On habille sa petite fille à deux, elle dit : “Pas trop fort, pas trop fort !” - elle doit être emportée de l'un ou de l'autre côté, les deux habilleuses tirent dessus.

    Pendant ce temps j'aurais dû faire cours, heureusement qu'il ne s'en est pas aperçu.

    UTILISÉ

     

    55 06 15

    Je suis dans un train russe en période révolutionnaire. Je chie dans des toilettes où sont déjà assises trois personnes. Michel Polac se penche sur moi :”Essaye de chier avec trois personnes dans la pièce”, lui dis-je. Il me répond en souriant qu'en effet je suis ridicule. Surtout que j'ai attendu que l'on quitte une gare, et qu'à peine installé voici un autre arrêt. “Estime-toi heureux de ne plus être au temps où l'on s'arrêtait pour une durée indéterminée”- rien ne marchait. Il faut donc que je me retienne. Quand enfin un peu de merde sort, la puanteur fait que tout le monde se lève et s'en va. Je me “colmate la brèche” avec un bouchon de papier cul. Je pense que je parlerais le djungo pour faire semblant de m'exprimer en russe. Le djungo, avec des accents différents, servirait pour toutes les langues...

    UTILISÉ

    55 07 06

    Réunion électorale au village, c'est en même temps la fête patronale, une petite foule se presse sur une place. Il y a Josette et Mme Dorelon. Je vote, mais sans avoir le droit. Je porte un petit garçon, Jean-Pierre, sur les épaules, son échine présente une croûte, comme mon chat. Je recherche sa mère (Marie-France Gouat) pour signaler qu'il faudrait établir une liste électorale. A chaque fois qu'on vote on reçoit une hostie. Je dis à un participant : « Attention de ne pas avaler de travers. » Présence de chats, de boue, de joie populaire.

    UTILISÉ

     

    55 07 10

    Concert donné dans une salle de spectacle dépendant de l'ancien collège de Meulan. La salle, en amphithéâtre, est complète. Un abbé dirige le chœur et l'orchestre, beau, grand, soutane noire, très XIXe siècle. Il est très applaudi. Je vais aux chiottes à côté de l'avant-scène. Java, qui est apparemment trésorière, lui révèle qu'il possède désormais une fortune de plus de trois millions de francs. Il s'étonne, fait signe qu'il n'y est pour rien. Java s'exprime par gestes et mimiques. Le prêtre serait donc sourd et muet ?... A l'énoncé de ce nombre je déclenche à moi seul une nouvelle salve d'applaudissements. Je remonte dans les gradins où j'inspecte et reconstitue maints numéros froissés du Canard Enchaîné et de Sud Ouest, afin de retrouver une photo prouvant ma non-culpabilité dans une affaire de mœurs.

    Je retrouve le dessin que j'ai fait d'un visage de femme choriste, superbe, mais on ne peut bien le voir qu'en le tenant à contre-jour. Je n'ose le jeter. Mais la page manque toujours dans les journaux, y compris dans le Sud Ouest du jour, reconnaissable à une boîte vide et collante de camembert oubliée entre les pages. Impossible de me disculper : quelqu'un a fait disparaître le témoignage favorable. “Ce doit être dans le cimetière”. Un ami hongrois me dissuade d'y retourner. Je me suis aperçu en effet que j'étais nu, parce qu'il faisait très chaud là-bas dans l'amphithéâtre ; si l'on me voit dans cette tenue je risque à peu près le lynchage car il s'agit de ma supposée inconduite en collège autrefois.

    Mais les voitures du public sortent à présent du cimetière abandonné où elles étaient garées, tandis qu'un vaste engin de chantier au bras d'acier puissant démolit là-bas les tombes enfouies dans le sable. Je gagne ma voiture garée non loin et renonce à retourner chercher mes habits dans l'amphithéâtre : il faudra que je conduise nu. Je manque presque dans un virage l'entrée d'un enclos délimitée par un portail de vieilles pierres, et la voiture prend de l'élan. Malheureusement elle s'enlise en pleine pente dans le sable épais, au-dessus du vide tellement c'est devenu raide. Il me sera impossible de descendre, à poil, pour la désensabler, car de plus c'est dangereux. Je reste là coincé, voyant mon véhicule de l'extérieur, et de loin.

    UTILISÉ

    55 07 13

    A une cantine, les femmes me servent avec mauvaise grâce : je suis un chipoteur, donc je n'ai presque rien. Et j'en renverse – il m'en reste encore moins ! On me soupçonne de savoir quelque chose au sujet de Chevènement disparu dans la Sarthe... UTILISÉ

     

    55 07 21

    A

    Consultant mon agenda, je constate qu'une fois de plus Anne a dessiné des caricatures, de plus en plus foisonnantes et talentueuses. Je regrette presque qu'il n'y en ait pas davantage, mais la recherche, pour lui administrer une superratatouille. UTILISÉ

    B

    Sur le chemin du retour à la maison, j'aperçois en contrebas un attroupement autour d'une dizaine de femmes, les unes voilées, les autres non. Une des premières s'est fait agresser, les autres se sont rassemblées pour soutenir les premières. Elles sont très belles et dignes. Il règne une immobilité menaçante. Pour moi, je perds le souffle et m'agenouille en pleurant sur la connerie humaine. Aucun son ne peut sortir de ma bouche, on commence à me regarder.

    UTILISÉ

     

    55 07 23

    En panne de batterie, je dois passer la nuit dans un village, et rien ne sera rechargé avant le lendemain après-midi : “Votre voiture est à 67” (ce devrait être “167”), “ça suffit pour repartir !” Je retourne finir ma salade dans un restaurant de routiers, me lève pour dire que ce sera dégueulasse et le mange debout dans un entrepièces. Ensuite, que de choses j'ai rêvées. La fin d'un bouquin sur “le corps”, dont le dernier chapitre, trop loin, était “La mort”, seul moment où enfin le corps se réalise dans son apogée. Puis je traversais un parking très boueux où les voitures démarraient, très sales, avec des passagers hilares, édentés. C'était, précisément, à Orléans, devant une église, à la place des tombes d'un cimetière.

    De nouveau chez moi, après un coup de téléphone, je m'étendais, m'apercevais en me relevant que la porte du palier était restée ouverte. Alors je parcourais l'appartement tout en criant “Y a quelqu'un ? ou quelqu'une ?” Et justement, poussant une porte, je sentais une résistance, alors je balançais mon pied dans l'embrasure, et c'est Annie, en vrai, qui recevait le coup de pied dans le lit en me disant “Que ça fait mal “, et je m'excusais : “C'était en rêve”. Si je me rendors maintenant ce sera une belle série de cauchemars... UTILISÉ

     

    55 08 08

    Notre appartement, mi-rue David-Johnston mi-allée des Tulipes, envahi par une famille de réfugiés, mi-maurétanienne, mi-cinghalaise. D'abord c'était Fatimatou, puis sa sœur, puis ses parents ; alors je me fâchais, ils prenaient leurs aises, bloquant les toilettes : celles du palier étaient dégueulasses, inutilisables. Je finissais par brailler, désignant tels et tels hommes à grosse tête et bons bouffeurs, disant que je n'avais pas l'argent pour nourrir tout ce monde, les autres râlant dans leur langue. Je parle même d'appeler la police, parce que ce sont peut-être des dissidents, voire des terroristes. Mais ensuite, au troisième (ailleurs), qui était tout ce qui nous restait, je parlais de vendre, en rangeant des assiettes.

    Anne prétendait que, si nous vendions, nous serions accablés d'impôts. “Première nouvelle !” disais-je sans vraiment le croire. UTILISÉ

     

    55 08 09

    En voiture au sommet d'une pente au pied d'immeubles formant une sorte de place sans issue, je tourne en rond, partout des sens interdits. Je suis sans doute parvenu à me garer, parmi d'autres dans le même cas que moi. Je me retrouve au sommet pelé de cette colline, dans un lieu clos à ciel ouvert, sorte de transformateur d'où s'élève comme un sifflemet menaçant de bouilloire surchauffée (c'est en fait le signal des éboueurs comme je m'en apercevrai au réveil). J'essaie d'introduire une clef mais ça ne s'adapte pas. En redescendant la côte, coincée entre deux falaises, je croise une multitude de pélerins du rien, car là-haut, ils ne trouveront que ce transformateur menaçant.

    Je croise des autocars, des groupes. Des femmes se précipitent par en bas, se suicidant d'exaltation. La radio commente tout cela, émettant des doutes : accidents ou suicides collectifs ? Je croise au bord du précipice une gigantesque pyramide humaine masculine vêtue de brun, vraie muraille vivante. Tout le monde se dirige vers les hauteurs stériles et dévastatrices de l'amour, tandis que je redescends peu à peu vers la plaine, soulagé. UTILISÉ

     

    55 08 13

    Dans un CDI en restructuration, une vieille documentaliste. Je dois monter un volume dans des étagères au-dessus de lits superposés. Je l'embrasse. Lippa aussi, il n'y a pas coïncidence des deux désirs. Je suis déjà venu dans cet endroit, avec Sonia transformée en vélo dans une impasse et David en automobile : village en fête, prenons congé d'une famille d'accueil chez qui nous nous sommes introduits. Ecoutons un vieil ivrogne pris d'eau-de-vie. Un phénomène survient dans le ciel. Démontage d'immenses chevaux de bois. Ce rêve, retranscrit à contrecœur, me semble très dangereux. UTILISÉ

     

    55 09 14

    Nous habitons une villa, et nous entendons parfaitement avec nos voisins d'en face. Il fait beau, c'est l'été. La voisine vient me demander d'ouvrir la porte de mon cagibi, plein de cartons, que j'essaye de vider et ranger, “parce qu'il fait chaud” (bizarre...). Je vais chez elle, son mari est occupé à la même chose. Je repars sur un vélo à une roue, très haut. Je m'arrête juste en face d'un poteau dans les feuillages en précisant plaisamment que j'ai trouvé un bon moyen de stopper. Sonia se trouve avec une copine, elles ont dans les treize ans. A ce moment survient une voiture qui frappe la porte de mon cagibi en marche arrière, puis celle du voisin en marche avant, qui repart, heurte tout.

    La petite voiture en question se retourne à moitié, il y a un conducteur et un passager arrière. Je demande aux filles de rentrer pour que nous nous enfermions, mais il est trop tard. Le conducteur descend, agressif, anormal, les yeux égarés, un collier de barbe roussâtre, tendant vers nous un couteau à huîtres. Il dit : “C'est aujourd'hui mon anniversaire.” Il semble complètement psychosé. Je le repousse. Fin du rêve. UTILISÉ

     

    55 12 05

    Avec David dans les rues d'une ville espagnole ; je chipe une voiture postale, qui d'abord ne veut rouler qu'en marche arrière. Nous parvenons à une montée en plein cagnard, où la température atteint 32°, m'avertit le jeune garçon qui m'accompagne. Nous descendons une pente routière, faisons demi-tour devant un camion qui montait, et nous klaxonne. Nous parvenons devant une haute maison de bois et de briques, où se trouvent de nombreux tableaux. Nous montons, avec Parrical jeune fille, l'escalier extérieur de secours, très raide, très instable, qui s'effondre sous nous. Mais nous parvenons à nous rattraper, Anne Parrical si ça appartient à quelqu'un et si c'est bien fixé.

    Elle se lance, avec l'escalier devenu souple, au-delà de l'angle du bâtiment, et arrive à atterrir à un niveau du sol surélevé. Nous l'imitons, mais elle a eu du courage. La maison prend feu avec tous ses tableaux ; nous pensons que cela ne fait rien, que les propriétaires en rachèteront bien d'autres. Le bon gros gardien, nommé Gardien Grillé, nous offre une collation de consolation. Nous avons tous 14 ans, j'ai à côté de moi une jeune fille du même âge, en petite robe, à qui je dis qu'elle

    est belle. « C'est vrai ? » demande-t-elle en se serrant contre moi. Cependant, elle est déjà avec quelqu'un. Je vais dire que mes 14 ans à moi n'ont pas été du tout comme cela, du point de vue des filles.

    Mais on propose un bal costumé, « contre les disputes d'enfants », et ma petite fiancée revêt une robe à tournure, avec deux gros élytres brun brillant à l'arrière... UTILISÉ

     

     

    56 01 07

    Avec Tarche et Hostalier, rentrant chez Carole en remontant une rue, après nous être arrêtés dans une maison délabrée. Des flics nous ont suivis. Carole a préparé le déjeuner : les pièces sont vastes, claires, à l'étage. Les agents de police montent, jeunes, aimables, nous demandant des nouvelles de nos santés. Je réponds : « Un rhume de temps en temps. » Puis je m'aperçois qu'insidieusement ils orientent la conversation vers les substances illicites. Ils commencent à fouiller, me placent un bandeau de laine blanche sur les yeux, qui manque m'obstruer le nez, puis me ligotent les mains pour me faire parler – dur, le réveil... UTILISÉ

     

    56 01 13

    Avec Blanchard, Annie et d'autres à cheval, nous descendons une vaste pente en sous-bois, où se trouvent de nombreuses personnes (pique-nique, etc.). Les couleurs d'automne sont magnifiques. Je me demande si les chevaux pourront emprunter une pente pareille. En bas, malgré les affirmations de mes compagnons, Mme Cholet dans un asile de fous m'impose une perfusion qui me fait très mal à la cuisse droite. Je hurle à l'injustice et j'ai très peur. Allée des Tulipes, on réveille tout le monde par des bruits divers, dont Geneviève enfoncée à l'envers dans son duvet. Dans une petite pièce, Domi, Yssev et Ranou le potier de Meulan discutent ; le potier est un ancien speaker de radio qui me témoigne beaucoup de mépris.

    Je m'en vais puis reviens, tant le monde s'est débridé et déconne pleins tuyaux. Le speaker me demande alors, pour manger, « Du sel s'il vous plaît Monsieur – je dis « Monsieur », à présent ? » Seul, je rédige une lettre de rupture à Domi et Yssev. UTILISÉ

     

    56 01 18

    Je suis une femme de ménage espagnole de 45 ans, maigre, petite, vêtue de noirs cheveux plaqués. Je nettoie une grande chambre d'hôtel à grande baie, un peu renfoncée, donnant sur une pelouse ensoleillée. Je repasse dans ma tête mon journal personnel, qui se termine par «nous avons été réduits à baiser dans le patio », prononcé « sio », à la française. Je pense que je faisais auparavant partie d'un groupe islamiste syrien, qui chantait des couplets religieux guerriers, et s'aiguisaient des lames les unes aux autres. Ils finissaient par s'aiguiser leurs étuis, en ronde bosse, et je me demandais comment ces étuis pouvaient bien être tranchants... UTILISÉ

     

     

     

  • LECTURES 2045 B

     

     

     

     

     

     

    B E R N A R D

     

     

     

     

     

    C O L L I G N O N

     

     

     

    L E C T U R E S

     

     

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    HARDT VANDEKÉ-ËN “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

    LECAT “LE SIÈCLE DE LA TOISON D'OR” 2

     

     

     

    La toison d'or ? qu'est-ce donc ? Un ordre de chevalerie prestigieux qui orna le col de tous les grands dignitaires de Bourgogne à partir de 1429, où il fut fondé par Philippe le Bon.Symbole de la splendeur d'une cour qui a vu son pouvoir s'étendre des Flandres à la France-Comté, sans compter le Charolais. Cette décoration se présente sous la forme d'un collier richemebt paré, au bout duquel pend la dépouille d'un antique bélier, dont la toison fut conquise par Jason et Médée après maintes péripéties héroïques et sanglantes, et nul doute que les poètes de cour n'aient rattaché l'illustre famille de Bourgogne, de sang royal français, aux héros de la grande histoire hellénique.

    La maison de Bourgogne, pendent la guerre de Cent Ans, défendit la maison de France à son profit futur, pensait-elle, tandis que les Armagnacs se seraient plutôt alliés aux envahisseurs anglais. Plus connue sans doute, l'époque illustrée par le conflit entre Louis XI, le prétendu roi cruel aux cages de fer, et le glorieux mais stupide Charles le Téméraire : parfois « passe à la télévision » le film où Roger Hanin, jeune et grassouillet, incarne le fringant Duc de Bourgogne. Vous savez bien sûr que le tout s'acheva par la défaite du fringant Charles dans les marais de Nancy, gelés par l'hiver. Puis la Bourgogne rejoignit les domaines de France, et ainsi disparut le dernier vestige du partage de l'Empire de Charlemagne : à l'ouest la Francie, ancêtre de la France, à l'est la Germanie, et coincée entre les deux, dévolue au faible roi Lothaire, la Lotharingie qui devint la Lorraine.

    Six siècles plus tard, Lorraine et Bourgogne prospéraient grâce aux bœufs, aux filatures et aux orfèvreries. C'est de la floraison artistique exceptionnelle de ce siècle que nous entretient Lecat, dans un livre d'art consacré aux ornementations de la cour de Bourgogne, aiguières, tombeaux et sculptures. Un volume broché 21x29, paru chez Flammarion, très abondamment illustré, et présentant nombre de mises au point historiques. Cela permet de resituer plus exactement le mouvement artistique au sein d'une expansion économique, car le poète dit bien « Apollon a bien dîné quand il crie évohé ». Ces commentaires historiques, en italiques, s'accompagnent également de considérations artistiques élaborées, ce qui réjouit donc à la fois l'œil, le sens de l'histoire et l'érudition plastique.

    L'émission que vous écoutez vous permet aussi d'apprécier l'ambiance musicale de cet apogée de la Bourgogne. Cette histoire est mal connue de nos manuels, centrés, au temps où nos petits faisaient de l'histoire « qui ne se't à 'ien », sur les évènements liés au pouvoir parisien. C'est

     

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    ainsi que régulièrement, nous nous embrouillons dans l'ordre de succession des ducs de Bourgogne, alors que seul compte dans nos souvenirs le vainqueur, le rusé Louis XI, dont plus personne aujourd'hui ne sait qu'il portait un petit chapeau aussi orné de médailles superstitieuses qu'un couvre-chef de randonneur autrichien. Ce qu'il faut considérer aussi à cette époque est l'atmosphère à la fois de richesse, de luxe, et de piété, profondément, corporellement ressentie. Huizinga nous en parle dans son histoire du « Déclin du Moyen Âge ». Dieu était physiquement présent dans les âmes, où l'on pouvait s'élever dans des extases somptueuses.

    Le sacrifice du Christ était profondément ressenti, c'est l'époque de L'agneau mystique de Van Eyck. Et le prêtre de faire pleurer son auditoire en évoquant la saveur de l'agneau rôti, tout prêt à être consommé dans le repas de la communion : jouissance de cannibales… et raffinement extrême, ce n'étaient sans doute pas les mêmes personnes qui salivaient aux sermons incongrus ou qui se recueillaient devant les tableaux de maîtres. L'ouvrage de Jean-Philippe Lecat représente une somme remarquable des œuvres d'art produites en Flandres, en Bourgogne et en Franche-Comté pendant les cent ans d'apogée du duché. L'art est à la fois splendeur et représentation de l'ordre divin, leçon de Dieu et de l'Incarnation.

    Le mystère bouleversant de cette Incarnation fait palpiter le ciseau du graveur et celui de l'orfèvre. L'art est donc le point de rencontre de l'opulence approbatrice de l'ordre du monde, et du tremblement mystique.

    « La vérité qu'il a mission d'enseigner est pourtant, par essence, dramatique. Les enfances du Christ sont cernées d'assassins, son acceptation du sacrifice est une agonie, à sa mort : «Le voile du Temple se déchira... ». Ave crux, spes unica est un chant de défi, une clameur d'espérance. Qu'il doive éviter l'emphase, source de transgression, l'art en est averti par un courant minoritaire mais influent qui le considère avec méfiance. »

    Nous commenterons brièvement trois points, le premier est l'existence, historiquement inexacte, mais à l'époque reçu comme un point de dogme, du Massacre des Innocents par lequel Hérode ordonna de supprimer tous les nouveaux-nés à la naissance du Christ, d'où le départ de la Sainte Famille pour l'Égypte. Le second point est une réflexion purement indicative sur le paradoxe de l'espérance, qui est uniquement celle de la croix. Dans le dernier supplice infamant du Christ réside notre espérance, si nous sommes chrétiens. Nous n'avons que la mort pour espérance, la

     

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    souffrance : cruel réalisme, ou, à mon avis, caractère morbide du christianisme, qui a divinisé la souffrance. Mais les véritables chrétiens sauront rejoindre les philosophes qui affirment le triomphe de 'homme précisément dans ses échecs les plus apparemment patents. Le troisième point, puisqu'il faut bien revenir à l'art dans un tel ouvrage, concerne sa mission éducatrice, en un temps où les sculptures des cathédrales enseignaient la foi aux illettrés comme aux savants : l'art est précisément ce qui permet de maintenir la foi dans son intériorité, loin de ces égarements sensuels plus que suspects que nous avons mentionnés plus haut.

    Ce n'est pas pleurer ni jouir de sangloter qu'il faut devant la croix, mais élever son âme dans une sobre et profonde douleur, qui est en même temps notre seule espérance, spes unica. Un art qui ne renie pas la jouissance du monde matériel, puisque la page 94 représente - eh oui, en ce temps-là les peintres n'avaient pas honte de « représenter » le monde qui les entourait – in détail des Sept Joies de la Vierge, prétexte à la glorification de la richesse et de la chevalerie. Le peintre s'appelle Hans Memlling, le détail de ce tableau montre une troupe de cavaliers musulmans enturbannés, qui, vue de dos, se dirige, par un défilé, vers une mer très calme, où sont à l'arrêt deux voiliers de haut-bord.

    Chevaux lustrés, costumes d'apparat, châteaux-forts étincelants de nouveauté, tous les éléments du prestige apparaissent ici, dans un mouvement ascendant de célébration du monde. À une époque encore médiévale où rien de ce qui était le monde ne pouvait être évoqué sans prétexte religieux, aucun divorce n'était consommé entre l'univers de Dieu et celui eds sens, ni même celui du commerce bienheureux. La page 141 est encore une planche en couleur, ai-je dit que le volume entier est imprimé sur papier glacé, représentant cette fois, muni du grand collier de la Toison d'Or, un certain Baudouin de Lannoy, tenant un bâton de commandement, portant des habits brodés d'or, sous un grand demi-cercle de chapeau sombre d'autorité.

    Portrait officiel par Jan van Eyck, à la Galerie de peinture de Berlin-Dahlem. Nous avons oublié tous ces hommes. Leur air d'autorité altière les représente imbus de leur mission, et toutes les missions d'ordre étaient sacrées : c'est-à-dire que l'on se sentait orgueilleux comme le bras de Dieu sur la terre, et aussi, extrêmement humble, sachant que l'on serait oublié, mais désireux tout de même de transmettre son nom et son image à la postérité, par le plus grand peintre.

    Et qu'on ne vienne pas dire que la photographie à présent permet de « représenter ». Nul dirigeant n'oserait plus à présent afficher cet air sauvage et revêche, quoique humain à y regarder de HARDT VANDEKÉ-ËN “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

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    près entre les plis des yeux. Il conviendrait de se montrer décontracté, en chemise à manches courtes et chaussettes. Eh bien pouah. Comme dira Stendhal, en régime aristocratique je dois m'efforcer de plaire à mon prince, alors qu'en régime démocratique je dois plaire à l'épicier du coin.

    L'ouvrage de Jean-Philippe Lecat, Le Siècle de la Toison d'Or, s'achève sur un génial bric-à-brac, en noir et blanc, condensé en fin de volume, où se retrouvent aussi bien le nom de Memling (pour Les sept joies de la Vierge cette fois en son entier (Bruges, 1494, huile sur bois) que celui de Nuno Gonçalves, ou les mentions d'anonymat plus ou moins dissimulé : « Maître de la légende de sainte Lucie », « Atelier flamand, début du XVIe siècle ».

    Ainsi se récapitule en une série de tableautins toute la nostalgie rayonnante d'une époque, d'un savoir-faire et d'un savoir-penser, ainsi que les leçons de modestie et d'orgueils mêlés dont témoignent tant de magnifiques objets, tant ciselés que peints ou sculptés, à l'époque de la Toison d'Or, de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire : Le Siècle de la Toison d'Or, Jean-Philippe Lecat, chez Flammarion, 1989.

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    Jean ROUCAS « LES ROUCASSERIES » T. 2 45 08 21 6

     

     

     

    Jean Roucas, ah, ma bonne dame ! toute une époque ! Et ce n'est que cela : qui se souvient encore de ces joyeux conteurs d'historiettes dites drôles, sur lesquelles nous nous pâmâmes à la fin des années 2030 ? Deux règlements de compte au passage : qui a dit qu'en dehors de l'actualité stricte du livre il n'y avait que les classiques, sous-entendu les vieilles barbes ? Deuxième contrafuoco : vivre avec son temps, comme disait Papon en 89, c'est se condamner à périr avec son temps, comme Roucas précisément.

    Il est vrai que Claude Sérillon est bien revenu. Et que Jean Roucas, donc, à la demande générale, édite une deuxième liasse de ses « roucasseries », de ces histoires qu'il nous débitait à la télé tenez, encore en 1992, du vivant de Mitterrand, c'est dire ! de l'agonisant plutôt de M. Mitterrand, pour suivre M. Roucas dans ses irrésistibles cruautés. Car nous rîmes, nous rîmes de bon coeur à toutes ses sornettes, fines ou peu fines, puisque celui qui fait oublier au peuple ses misères par une bonne dilatation des zygomatiques est béni.

    Roucas donna vie aux Ginette, provoquant les protestations de toutes les braves femmes portant ce prénom. Je me souviens aussi des Jeanine, qui croyaient de bon ton d'écrire « J-A », ou de se transformer (plus tard) en Géraldine. Roucas inventa aussi ce chuintement si caractéristiques des bonnes femmes juives ou portugaises, l'un n'excluant pas l'autre – quand elles sont vieilles, en plus, c'est du délire. C'est lui qui imitait Chirac en docteur, trouvant ce ton pète-sec ou doucereux, et reprenant ces stupides liaisons anticipées dont on abuse à présent jusqu'aux lucarnes d'information : écoutez-ézzz...euh… « faire la liaison » - d'ici que le Petit Robert, jamais en retard d'une connerie, ne les enregistre parce que « c'est l'usâââge » n'est-ce pas – dès qu'un connardeau pommadé fait une faute, ça devient « l'usâââge »…

    Roucas a fait rigoler tous les enfants de France avec des histoires de cul bien dégueu, afin que les cons de parents viennent me reprocher de les répéter, moi le prof, salut Tartufe et vive Clinton. Qu'est-ce que j ai pu me boyauter sur toutes ces « histoires drôles » qui courent de bouche en bouche depuis des générations. Nous pourrions penser qu'à les relire, le sel se retire : pas du tout!Il faut être coincé comme les critiques de Télégnagna pour ravaler au rang de franchouillades vulgaires et misogynes (« et puis il y a des histoires juives, Monsieur ; on ne rigole pas de ces choses-là, Monsieur ; les Belges, passe encore » - « Pourquoi les Belges ne rient-ils pas des histoires belges ? ...parce qu'ils ne les comprennent pas! et pourquoi les Français rient des histoires belges ? - Parce que ce sont les seules qu'ils comprennent, un point partout, balle au centre.

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    Jean ROUCAS « LES ROUCASSERIES » T. 2 45 08 21 7

     

     

     

    Précisons que ce livre m'a été prêté par une Suissesse, merci Pascale, je me suis bien marré, je te le rends. Bref, Roucas réalise la synthèse entre l'histoire trop brève, qui fait mouche si vite qu'on n'a même pas le temps de comprendre (ce sont nos préférées)et les interminables mimiques du gros chauve des Grosses Têtes, Montagné peut-être, qui fait les dialogues, les mimiques, transforme les crottes en cacathédrales, ce qui n'est pas mal non plus, mais finit par lasser. Pendant que j'y repense, revenons sur Télécaca : plus il assomme un film comique, sous prétexte qu'il est vulgaire et qu'il éclabousse l'honneur des femmes (quel honneur ?…) - le film est à se tordre ?

    Bon, je m'essuie les larmes et je change mon fusil d'épaule. Prouvons une fois de plus à nos auditeurs ébaubis que ce qui importe, en critique littéraire (tiens ? pourquoi riez-vous à votre tour ?) - c'est l'humeur du bonhomme et non pas la valeur du bouquin. Car si j'étais pisse-froid – nul ne l'est plus qu'un homme qui passe pour être drôle, n'est-ce pas Bedos – je dirais ceci : que les histoires drôles, ou chistes, y compris à paraître ce livre intitulé « 1001 histoires drôles, se réduisent à quatre ou cinq schémas bien établis. Et puis, à l'intérieur de ces quelques mécanismes bien rodés, la répétition en est un autre. Tout repose sur le nombre 3 : une, deux, trois, comme chez les gosses ; la première fois, il ne se passe rien.

    La deuxième, non plus, juste la tension qui monte ! C'est à la troisième qu'intervient la Chute : c'est là qu'il faut rire. Et vous en attendez une, vous tous qui m'écoutez encore sur 90 virgule 1 et non pas « point 1 » bande de sous-américanisés du sphincter jusqu'aux molaires. Parce que de deux choses l'une : ou vous êtes coincés au feu rouge et vous en profitez pour extirper de vos narines une énorme crotte visqueuse que vous étalez sur la portière, ce qui vous empêche de tourner le bouton, ou bien vous attendez des vannes elles aussi bien baveuses ? Eh bien voici :

    « Hors du mariage ! c'est horrible : vous me ferez deux pâtés et trois ovaires » - oh, les mecs, je viens juste de comprendre : deux Ave et trois Pater ! « Vient le tour de la troisième Ginette » - vous pouvez dormir, rien ne se passera, c'est la règle « des trois » - dit comme ça, bien sûr, avec ma manie de ne jamais citer que trois phrases à la file, ce n'est guère clair. Mais c'est encore une histoire de gros mots – vous connaissez des variantes du genre, avec Tapie en particulier, invité chez les Rothschild, et qui demande, une tasse de thé à la main : «Et avec quoi je touille ? Mes couilles? »

    Je rajoute à cela qu'une fois, testant une classe de seconde, j'ai fait mon entrée en HARDT VANDEKÉ-ËN “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

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    déclamant prout, caca, boudin. Toute la classe a éclaté de rire. Lévy-Strauss avait pour sa part constaté que dans je ne sais plus quelle tribu amazonienne, il suffisait de prononcer à haute vois pendant la sieste l'un des innombrables synonymes du sexe mâle ou femelle pour provoquer des rires inextinguibles.

    « Bien sûr que non ! Vous êtes trop petits !

    « Alors le petit garçon se tourne vers la petite fille et lui dit :

    «  - Tu vois ! » (« ce n'était pas la peine de faire attention »).

    Suite, p. 141. Ici, c'est l'acte et non le mot. Il s'agit de pervertir l'innocence : ou bien celle d'une petite vieille, ou bien celle de jeunes enfants, ou bien la pruderie d'une assemblée huppée. En fait, une bonne partie du comique provient de l'intrusion de la chose obscène dans un contexte de pureté, réelle ou artificielle. Bref, c'est le comique de l'ouverture soudaine de la braguette, le comique de l'exhibitionniste. Et, voyez, j'imaginais une coïncidence, mais tombant sur la quatrième histoire p. 188, je me dis que ce doit être tout de même plus que cela, eh bien pas du tout : même agression du sens ? Freud, dans son admirable ouvrage Sur les mots d'esprit, à vous procurer de toute urgence, dit bien que le comique en fait est une attaque, et qu'il se déchaîne particulièrement dès qu'il se trouve dans l'assistance une personne censée s'offusquer : curé, ou simplement femme.

    Tenez : « Il s'approche du mec qui est au flipper, lui baisse son pantalon, lui baisse son slip et lui met une main dans le derrière. À ce moment-là » - il s'agit évidemment de la troisième tentative - « le loubard se retourne et lui fait :

    - Dis donc, tu cherches la merde ? »

    Même jeu avec l'histoire suivante : « Ça se passe dans la rue et il y a trois putes. »

    Et enfin, même topo :

    « Ouais ouais j'fais l'amour à la cérébrale, aow. Ça je susi sûre qu'on te l'a jamais fai…

    - Ben non, on m'a jamais fait.

    J'eusse pu me montrer plus subtil, je ne dis pas le contraire. Et je pourrais tirer de grandes conclusions sur l'état de la France au début des quatre-vingt dix, mais je suis satisfait du petit peu que vous avez eu là. Et que la connaissance des mécanismes ne vous empêche pas plus de rire que la vue des véroles n'empêche les gynécologues de bander. Quoique...

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    GOLDZINK “VOLTAIRE, LA LÉGENDE” 2045 08 28

     

     

     

    La légende de saint Arouet, tel est le sous-titre du volume sur Voltaire paru dans la collection « Découvertes Gallimard ». Ladite collection d'ailleurs avait été prévue pour les jeunes de

    14 à 18 ans, mais ces braves ados préfèrent sortir en boîte et bêler avec les fachos ou les curetons, quand ce n'est pas avec les « tout le monde il est beau tout le monde il est gentil ». Il faut vivre avec son temps, hein les jeunes, comme Papon en 43, en voilà un qui savait s'adapter à son époque… C'était notre inépuisable rubrique « la jeunesse crèvera mais je suis éternel ». Et Voltaire donc, qui se croyait le plus grand tragique de son temps, successeur de Racine et dont la postérité décidément ingrate n'a retenu que ce vers :

    « Non, il n'est rien que Nanine n'honore » -

    et qui se retrouve essentiellement à la tête de petits contes qu'il avait tant méprisé de son vivant, comme Candide, Micromégas et autres Huron… De lui, on se souvient également de son temple élevé à Dieu à Ferney, Deo erexit Voltaire, car il ne pouvait concevoir en parlant de l'univers que « cette grande horloge n'ait point d'horloger ». Or, ayant lutté toute sa vie contre l'obscurantisme, signant « Écrasons l'infâme », en abrégé « Éclinf », et employés des postes de trouver ce ce monsieur Éclinf avait un bien joli style, Voltaire, né Arouet, en vint à être considéré comme un saint laïque, au point que, sur le chemin qui rapporta ses restes sur une civière à Paris, les populations s'assemblaient pour faire toucher à leurs enfants la dépouille en balade de Voltaire…

    Que d'anecdotes, quel riche et fécond fumier à soulever du bout de nos fourches révolutionnaires – à ce sujet, sachons bien que seuls les bourgeois ont été en mesure de faire la Révolution française, pour l'excellente raison que, disait Voltaire, « le peuple ne lit pas : tous les jours de la semaine, il travaille, et le dimanche, il va au cabaret » - bien vu Voltaire. Maintenant il regarde les informations sportives. Le petit volume de la collection Gallimard ne dément pas sa réputation de facilité de consultation, d'abondance de l'illustration, de superficialité de contenu. Le ton adopté est bien sûr celui de la plaisanterie perpétuelle et sèche, vide-cœur :

    « Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire

    « Voltige-t-il encore sur tes os décharnés », itation de Musset notée avec

     

     

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    nombreuses préparations ratées à l'agrégation, mais que je récite à l'antenne parce que plus rien n'est à présent cliché pour les ignares qui m'écoutent. Bref ! la vie de Voltaire fut aussi mouvementée qu'un parcours judiciaire de Léotard, et il ne lui manqua même pas les coups de bâton qui font un philosophe : car avant de s'enticher de redresser les torts des nantis envers les pauvres gens, Voltaire, comme le général Marius, aurait bien voulu en être, et se faire accepter par les marquis poudrés et fortunés, c'est le syndrome du Loup des Steppes… Et comme on ne l'acceptait décidément pas – trop remuant, trop insolent, trop d'esprit – Voltaire cultiva ses pointes, dont il ne pouvait se débarrasser.

    Il se prit de bec avec le marquis de Rohan, de noble origine, l'abbé Duvernet prétend que ce fut au théâtre :

    « La version plus tardive », je cite Goldzink, « de l'abbé Duvernet » - premier biographe de Voltaire - « est moins sûre, mais obéit mieux au principe de l'unité de lieu ». Pourquoi on devient philosophe, demande l'auteur en titre d'un de ses chapitres sur Voltaire, c'est-à-dire non pas philosophe de l'Antiquité, pour lequel la sagesse consiste à s'écraser en obéissant aux lois, comme fit Socrate qui refusa de s'évader, puis but sa ciguë – mais philosophe du siècle des Lumières, combattant l'obscurantisme ecclésiastique - pléonasme, encore de nos jours. Et Goldzink de nous renseigner sur une « Recette franco-anglaise ». « Comment faire, d'un brillant poète, un grand homme ? Prenez un poète bien frais, maigre de préférence, l'œil vif ».

    D'une part donc, l'esprit d'indépendance soufflait d'Angleterre plus que de France, car de l'autre côté du Channel on savait déjà comment tenir un souverain en bride : le premier roi décapité, remember, fut anglais. D'autre part, Voltaire effectivement excellait à écrire en vers, toute une partie de sa production perdue pour nous autres, qui avons désormais une autre conception du poète qu'au XVIIIe siècle : il ne suffit plus de versifier de bons mots pour être poète. Il est vrai qu'il suffit pour certains de s'appeler Roubaud – passons… Voltaire, de l'autre côté de la Manche, se frottera aux Anglais et à leur sens pratique. Il parlait anglais avec le même excellent accent que Maurice Chevalier et Jacques Chirac…

    Tels sont les débuts rageurs de notre excellent philosophe, né Arouet mais si soucieux de particule… Et à la fin, sa bibliothèque et ses papiers passèrent en la possession de Catherine II de

     

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    Russie ! « Ce long transport », dit Goldzink, « évita peut-être démembrement et funeste débandade ». Ce fut Mme Denis qui fit parvenir toute cette documentation à Catherine II : car Voltaire, soucieux de respectabilité, fut très apprécié des souverains, Frédéric II certes, mais aussi la grande Catherine. L'on voit donc par là que loin de vouloir l'abolition de la royauté, il souhaitait au contraire l'accession au trône de rois-philosophes ou de « despotes éclairés », suivant ainsi Platon : l'humanité serait sauvée le jour où les philosophes seraient rois, ou les rois philosophes. Noble illusion !

    Le volume de Gallimard montre une petite vignette représentant les charmes acidulés de Mme Denis, avec le commentaire : « Pourquoi Mme Denis (1712-1790), qui vécut si longtemps auprès de Voltaire, a-t-elle si peu tenté les biographes ? Ce portrait charmant ne l'explique pas, s'il justifie les émois vacillants de l'oncle quinquagénaire ». « Émois vacillants » : vous versez dans la grivoiserie égrotante, monsieur Goldzink. Comment peut-on, riposteront les moralistes, s'enticher de sa propre nièce, et cela jusqu'au bout… L'illustration de la page de gauche, montrant Voltaire en train de composer, le front noblement levé vers les allégories célestes, se voit commentée, elle, de la façon suivante :

    « La vision d'un Voltaire poète inspiré surprend le lecteur moderne, tant notre image du génie voltairien s'est singulièrement rétrécie ». C'est la faute à Voltaire, c'est la faute à Rousseau, ainsi qu'aux romantiques ultérieurs. Voltaire fut follement apprécié pour ses dons de versificateur : les lecteurs de ce temps-là se montraient fort sensibles à la cadence, porteurs de maints messages éclaircissant l'esprit. Pourrait-on rapprocher Voltaire de certains rappeurs ? oui, mais en jabot. Et Rousseau ? car on ne peut parler de l'un sans parler de l'autre. Jean-Jacques serait le hippy aux champs. Mais nous exagérons. Car Jean-Jacques lui aussi possédait une grande conscience de sa valeur, et de celle de Voltaire.

    Écoutez ce qu'il lui écrit, recueilli par Goldzink dans son abondante documentation finale, et vous verrez qu'il ne faut pas donner la parole à n'importe qui sur les grands problèmes de la vie, contrairement à notre putain de siècle où l'on s'imagine que tout Dupont-Durant interviewé par les porcs de l'information peut nous apporter quelque chose :

    « Les boiteux, dit Montagne » - c'est Montaigne, prononcé correctement - « sont mal

     

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    propres aux exercices du corps, et aux exercices de l'esprit les âmes boiteuses. Mais en ce siècle savant on ne voit que boiteux vouloir apprendre à marcher au Autres. Le Peuple reçoit les écrits des sages pour juger et non pour s'instruire. Le Théâtre en fourmille, les Caffés retentissent de leurs arrêts, les quais regorgent de leurs Écrits, et j'entends critiquer l'Orphelin, parce qu'on l'applaudit, à tel Grimaud si peu capable d'en voir les défauts qu'à peine en sent-il les beautés. » Traduisons : le grimaud, c'est-à-dire le beauf, critique l'Orphelin, entendez le brave homme. Ceux qui ont souffert l'emportent en jugement sur ceux qui ont peiné au-dessus de leur pupitre.

    Sur ce jugement fumeux s'achève notre trop brève promenade, ainsi que sur la recommandation de lire, de Goldzink, le volume consacré à Voltaire dans la belle collection Découvertes-Gallimard », pour rafraîchir les mémoires défaillantes et initier les jeunes de 25 ans qui veulent s'instruire après dix ans de chômage. Vous y trouverez également des illustrations du Musée des Beaux-Arts de Rouen, page 93 en haut un Portrait de Madame de Geoffrin en 1757, peinture de J.F. » pour Jean-François, « Colson » de son nom de famille. Voilà, c'est tout ce que nous pouvions vous dire aujourd'hui. Universitaires s'abstenir.

     

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    EUSTACHE « LA MAMAN ET LA PUTAIN » 45 09 11

     

     

     

    Je tiens entre les mains le plus beau scénario du cinéma : La maman et la putain de Jean Eustache, suicidé parce que les industriels ne voulaient plus lui donner un rind. Bien des salles portent son nom mais il est mort. Et méconnu, puisque je ne connais pas d'autre film de lui. Il doit à Truffaut et de l'underground. Voilà toute ma science. Il a repris l'acteur Léau, il a considéré les gens avec cette indulgence sensuelle et – chez lui – navrée – qui vous soulève le cœur de pitié. Il a cadré gros, chuinté l'image dans le flou, aimé le « son naturel », c'est difficile et fascinant à la fois, tu veux quitter, puis tu restes, tu regardes les femmes dans les yeux, et tu les aimes, tu veux tout savoir d'elles ; de leurs peines jusqu'à leurs Tampax.

    Tu t'engueules avec ta petite amie, qui trouve les femmes bien connes et le mec nul et creux, mais tu as reconnu tout le monde, le jeu qui se joue d'un sexe à l'autre, l'homme et faible et volage, et c'est la femme, prisonnière des clichés, qui aime : toutes des putes, ou des mères, doivent être les deux à la fois, pour que l'Homme tire son coup sans grâce. Et la grâce, c'est elles, Jean-Pierre Léau ne véhicule que le charme du moustique à petite queue, sur qui rien ne peut se bâtir, sans qui les femmes de l'histoire ne peuvent se trouver dans la douleur. C'est l'histoire de la profondeur incommensurable de la connerie, de son humanité profonde à s'arracher les cheveux, d'un idéal masculin d'estampillage de viande, et de la souffrance aussi du vide, quand ce sont les nerfs qui remplacent le cœur.

    L'éjaculation précoce de l'âme. Et cette envie naïve de vivre avec chacun des personnages, l'homme et les deux femmes, de les prendre dans les bras pour leur faire la leçon, couler dans la coupable ivresse de donner des conseils, dont aucun ne sert à rien, et la destinée molle nous mène impitoyable, vers les lamentations, ejulatus en latin ; volupté de pleurer, de déplorer, qui est la vraie catharsis des tragiques. Ils boivent. VERONIKA dit : « Vous ne pouvez pas savoir comme les internes sont cons. »

    Rien que ça. La grossièreté chez la femme, révolte contre les pinceurs de fesses, l'accouchement dans la douleur de la liberté sexuelle, illustrée ici, même si elle n'a pas eu lieu dans la réalité : « je couche avec qui je veux, le prix à payer est de se faire prendre pour une Pute par les mâles épais qui vous cernent professionnellement ; et aussi, deuxième douleur, de s'apercevoir que les hommes sont mous, qu'il est devenu impossible à tout jamais de les idéaliser. La maman et la putain, soit, mais aussi « Le butor et le morpion ». Et si tu veux aimer à égalité, à réciprocité, toi la

     

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    EUSTACHE « LA MAMAN ET LA PUTAIN » 45 09 11

     

     

     

    femme, tu dois affronter le double vide des hommes, bite ou cerveau, tous deux fonctionnant mal, tous deux tragiquement séparés, fabriquant leurs petites éjaculations exténuées chacun dans leur coin, petits raisonnements sordides, baisouilles avortées. En même temps, tu aimes et homme, cet Alexandre (« le Conquérant »!) car tu t'y vois à nu, homme ou femme, et le nu est émouvant, je suis ainsi et je retiens mon souffle devant les ailes de papillon si éminemment froissables : celles de l'homme. Les femmes sont aussi insectes, qui à leur tour observent, sous leur carapace toute neuve du fond des siècles, car il y a si longtemps qu'elles se sont désillusionnées.

    Mais la carapace des femmes, comme chez les coléoptères, présente un point faible, sous le ventre, où il suffit d'appuyer tant soit peu pour que gicle la liqueur vitale. Tous vibrent sous leurs carapaces, tous durs et fragiles, exposés en noir et blanc, bavardages et silences, pathétiques vouvoiements dans le lit, écorchements. « Aidez-moi » dit Alexandre. Il l'embrasse. Dégrafe son corsage ». Et à présent je me souviens – de cette extraordinaire, ineffable sensualité, délicatesse et crudité, c'est ainsi que tu ferais l'amour, frémissant et précipité, car l'amour ne présente autant de dentelles que pour qu'elles soient déchirées. Il reste si peu de choses à dire sans tomber dans le cliché, « le mélange de la pudeur et de la brutalité », la réalisation de soi dans le gâchis, « documentaire historique sur les Soixante-Dix », « documentation éternelle du cœur », etc.

    Mes rubriques se font de plus en plus courtes. Que puis-je ajouter ? Surtout pour m'attendrir sur des personnages siproches de chacun de vous, ce n'est pas très propre. Et d'autres – ont carrément rejeté ce film. Ils s'appelaient peut-être « producteurs », ils n'aimaient pas pleurer sur eux-mêmes, parce que c'est répugnant. Ce scénario, de La maman et la putain, devenu introuvable je pense, sans effets spéciaux, sauf celui de Jean-Pierre Léau et de Bernadette Laffon, et d'une certaine Françoise Lebrun je pense, est peut-être encore disponible aux Cahiers du cinéma. Et je reste tout penaud après avoir été si court, genre éjaculation précoce voir plus haut, mais qu'est-ce qui pourrait faire croire que le personnage d'Alexandre baise mal ?

    S'il le fait bien, c'est parce que c'est tout ce qu'il sait faire, c'est donc cela que vous aimeriez entendre dire ? Lisez le scénario, allez voir le film, dans quelque obscur ciné-club d'Albi ou de Monte-Carlo, que sais-je. In memoriam Eustachi.

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    DÖBLIN BERLIN, ALEXANDERPLATZ » 45 09 18

     

     

     

    Berlin, Alexanderplatz, ou « Berlin, place Alexandre », fut écrit en allemand et traduit en français par un courageux : déjà, point n'est besoin de traduire le titre afin de restituer l'exotisme du lieu, qui doit absolument être sacré dans une réalité géographique. Cette place correspondrait avec bien des restrictions à une sorte de place Clichy de Paris, autour de laquelle graviteraient gens du peuple et maquereau de tout acabit. Cette place a disparu du plan de Berlin, et même à supposer qu'elle ait été reconstruite à l'identique ce qui m'étonnerait, ne retrouverait plus jamais son atmosphère d'avant-guerre, d'avant le nazisme même, disons 1927-28. On y trouve quelques propagandistes zélés, un personnage se laisse même entraîner à distribuer des tracts d'extrême droite, mais n'insiste pas, ne se commet pas davantage avec ces rigolos, comme on les juge à l'époque.

    Il s'agit donc d'un dépaysement non seulement spatial, mais temporel, d'une pathétique archéologie, y compris pour les germanophones, à qui le passé d'avant le nazisme doit particulièrement apparaître comme une vision fantomatique, comme si ces personnages-là demeuraient éternellement figés dans leurs agitations sous une gelée mal transparente. La deuxième difficulté, l'obstacle à vaincre, est celui de la langue, qui n'est pas de l'allemand pur, du hochdeutsch. Non pas du patois non plus, mais un argot, une manière de s'exprimer, partant, de sentir, une espèce de gouaille de titi berlinois, décalée dans le temps qui plus est, extrêmement délicate à rendre, qui ne peut devenir non pas même compréhensible, mais approchable, à un Français contemporain, que par une transposition toujours en porte-à-faux ou du moins en équilibre instable.

    L'archéologue funambule, voilà ce que doit être le traducteur, Zoya Motchane, ancien médecin juif, dont l'identité lui aurait valu avant-guerre de sérieux ennuis. Il ne s'agit pas en effet de traduire de l'argot, mais de connaître le vieil argot. Celui de 1928 en France dans des milieux similaires, de putes, de garçons bouchers, de coiffeurs, de souteneurs, de malfrats et de braves vieilles. D'où le charme désuet de ce langage, qui passait pour terrible, populo, grossier, vulgaire, pour la marque langagière indélébile d'un certain milieu violent peu fréquentable, et qui procure à présent l'étrange impression de ces films où les gangsters sont joués par de tout petits enfants qui font semblant de fumer le cigare sous des hauts-de-formes à leur taille.

    Plus personne ne dit maintenant « Aboule ton fric, v'là les flics qui rappliquent ». À la

     

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    DÖBLIN BERLIN, ALEXANDERPLATZ » 45 09 19

     

     

     

    limite, ça fait puéril, ou second degré, comme des petits garçons et des petites filles qui joueraient aux gendarmes et aux voleurs. Nous sommes tout attendris par ces faux durs qui finissent tout de même par violer, tuer, couper des bras en vrai et descendre vraiment de vrais vigiles. Tout cela par le décalage du langage, à l'intérieur de la langue allemande pour les Allemands, dont la pègre actuelle n'a pas non plus le même langage codé que celle de 1928, et à l'intérieur de la langue française. De plus, les personnages eux aussi, outre leur langage inadapté pour nous, possèdent effectivement entre eux, même dans les milieux interlopes, une tendresse, une façon de s'exprimer directe, une transparence de laquelle nous ont déshabitués les histoires de tueurs froids contemporains dépourvus exprès de tout arrière-plan psychologique.

    Les prostituées, chez Döblin, sont réellement amoureuses de leur mac, les appellent mon lapin, mon trésor, même décalage de la langue et du temps. Les maquereaux ont peur, ils le disent, l'auteur l'explique, il ne suffit pas d'un gros plan sur un visage impassible ruisselant de sueur pour exprimer la terreur ? Un discours se dégage, un discours qui court sans cesse d'un personnage à l'autre, les mots, l'accent de Berlin imaginaire, parcourent toutes les pages de Berlin, Alexanderplatz. Les personnes éprouvent des sentiments mutuels, des inquiétudes, la prostituée pleurant son amant disparu nous émeut jusqu'aux larmes internes par son émotion même. Où est le bon vieux temps où putains et maquereaux, chômeurs et estropiés, avaient un langage plein de justesse et de pudeur, au lieu de s'exprimer dans la hargne et le voyeurisme des caméras ?

    Car je n'ai pu m'empêcher de faire allusion sans cesse à ce qu'aurait pu être ce livre filmé par un Murnau (mort en 31) ou tel autre cinéaste des années de la décomposition allemande, le film de Fassbinder datant de 80. Il court dans ce langage, or les personnages de roman ne sont que leur langage et leur conduite, une sève naïve, du fait qu'ils appartiennent tous à un même peuple solidaire, misérable, essayant de tous les expédients, où nous passons insensiblement de l'honnêteté à la petite déliquescence, à a délinquance minable (vol de vêtements pour les revendre et autres combines au petit pied). Puis nous redevenons honnêtes, du moins nous aimerions rejoindre le droit chemin, mais la misère, la débrouillardise sordide imprègnent tellement la population à moitié misérable de l'Alexanderplatz et des rues qui l'environnent qu'il est impensable d'échapper au moisissement général sur fond de ventres creux et de mauvaises haleines.

    Nous éprouvons alors pour tout ce peuple une compassion qui tourne à l'attendrissement, à la sensiblerie, à la fraternité, avec tout ce que cela comporte d'inconfortable et HARDT VANDEKÉ-ËN “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 16

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    de gluant. Risquons le mot : Berlin Alexanderplatz est une œuvre de mauvais goût, le lecteur sentant peu à peu la glu l'envahir, le sentiment facile des goualantes populaires, l'avachissement des muscles, du sens esthétique et moral détendre les faisceaux de son cadre Littéraire ; Correctif immédiat cependant : la distance. Et Döblin s'y entend. Par des titres moraux, à rallonge, où s'annonce ce qu'il va se dérouler de façon inéluctable – de sorte que nul n'échappe à son destin. Par des sauts de perspectives, des ricanements, les ricanements même des procédés d'écrivains, des intervention ricanantes, avec toujours cette pointe de larme dan le sarcasme , ce fragment de cœur faisandé qui pourrit suavement dans un repli de votre bouche, avec ce goût attendrissant et vaguement répugnant de la sauce douce-amère présentée en flacons.

    Celui qui incarne le tourbillon lent de cette mélasse est appelé Biberkopf, « Tête de Castor », car il veut absolument reconstruire sa vie après avoir sorti de prison – il a tué sa maîtresse dans un accès d'ivrognerie, moins celle de l'alcool que celle du malheur, cette attirance vers les bas-fonds de soi. Mais comment s'en sortir quand on sort des prisons, à plat, sans argent ? Lors d'un cambriolage, où il a voulu se laisser entraîner, en se disant que c'était le dernier avant la vie honnête enfin, Biberkopf, pris pour un minable, pour un cave par ses anciens complices, perd un bras sous une voiture en fuite. Il n'avait pas la trempe d'un bandit, même pas d'un voleur de vêtements, avec la complicité d'un gardien qui se laisse ligoter ne serrez pas trop fer les gars.

    Son attirance pour tout ce qui pourrait lui faire du mal, lui faire ressentir ce qu'il et vraiment, car c'est au sein de la jouissance d'humiliation que certains se retrouvent le mieux, lui fait rechercher ces voleurs qui le méprisent, pour un surcroît d'humiliation. Il veut être intégré, malgré son corps de manchot qui n'a plu son intégrité. Répugnant ? non, car aussitôt, une fois de plus, correctif : notre Biberkopf la ramène, boit bien, fume sec, se vante, est bourré de défauts dont le plus voyant est de toujours se dissimuler son caractère minable par une surenchère de tchatche. Et le voici proche de l'homme, tout simplement, qui se débat, et qui serait délinquant lui aussi, pour peu que les circonstances l'exigeassent : en effet, le plus sûr moyen de crever dans un camp de concentration comme dans la vie normale, c'est de suivre, de respecter à la règle le règlement.

    La loi est faite pour que vous creviez. Biberkopf parvient même à s'estimer victime de « pas de chance », devenu infirme – ne parvenant pas, n'essayant même pas et pour cause de se faire passer pour un manchot de la guerre Quatorze – et donc, la jeune fille de bonne famille ou plutôt de

     

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    famille honnête-mais-pauvre, fugueuse, qu'il encourage dans la voie du tapin, devient son seul soutien, à lui, infirme pour avoir voulu redevenir honnête après un ultime cambriolage, qui n'a pas été « le bon ». Le couple Biberkopf-Sonia rejoint ainsi dans l'imaginaire le couple de Sonia et de Raskolnikov, ou pourquoi pas d'Édipe et Antigone, le tout dans une sauce douce-amère écœurante où la malice ricanante permanente de l'auteur aurait ajouté du jus de câpres et de piment cambodgien. Et le tout se termine par une ode extraordinairement désespérée, fraternelle, à la fois sanglotante, digne et grandiose, à l'homme qui va, qui doit mourir.

    Mais de Berlin, Alexanderplatz, on ne parle plus nulle part : c'est vieux, tout ça, la critique littéraire, ça va être « achetez ci », « achetez ça », vous allez voir tout ce que vous allez déguster avec toute cette prétendue « rentrée » littéraire – est-ce que Hugo, Döblin ou Dante faisaient leur « rentrée littéraire », je vous le demande ? La couverture de Berlin Alexanderplatz en collection Folio représente un grouillement émouvant : George Grosz est parfaitement lié à cette époque appelée Dieu sait pourquoi « Expressionnisme ». Nous voyons chez lui des infirmes, des femmes brèche-dents sous leur voilette, un faux aveugle terrible et un militaire vaincu sous son insolent shako.

    Prenez vos masques à gaz et accrochez vos ceintures, nous vous emmenons en promenade avec Alfred Döblin :

    «Le noiraud le pousse.

    - Ne le décourage pas.

    Le forçat, dressé, dodelinant de la tête, des deux bras repoussait l'air , « faut de l'air, de l'air, voilà tout ! ».

    Les premières personnes rencontrées par Biberkopf sont deux juifs, d'où l'entraide entre les fous, les rejetés, les juifs et les humiliés. Humiliés et offensés, dirait Dostoïevski – pensons aussi à Pétersbourg de Biély, sensiblement de la même époque. Que devient notre Jean Valjean de Germanie ?

    « J'marche pas (notez l'élision si désuète,si stylistiquement volontairement datée) pour les souricières, par exemple, les droguistes vous feraient trop de concurrence avec tous leurs poissons qu'ils mettent en vente, mais des bustes en plâtre, pourquoi pas ? Tenez, ça prendrait bien dans les petites villes de province.

     

     

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    “ - Vous l'avais-je pas dit ? » réplique le partenaire. Ce qui vous a des accents presque raciniens, pour ceux qui connaissent encore. Note héros essaie donc lamentablement de retrouver de petits commerces minables sans patente, et il n'est pas jusqu'aux objets qui ne participent pas à cette impression de bric-à-brac déglingué, à cheval sur les êtres et sur les choses, dans ce langage faussement détraqué mais respectant tout de même la traduction grammaticale.

    « Les autres écoutent en silence, puis font des commentaires politiques et autres sur les capitalistes, sur les sangsues qui pompent les autres gens et sur les mouchards.

    « Franz pense à son poème et aux camarades de là-bas. Doit y avoir pas mal de nouveaux, puisqu'il en arrive tous les jours. »

    Pense-t-il à ceux qu'il a laissés en prison ? Concevez-vous qu'un petit assassin écrive des poèmes ? Entendez-vous toute cette pègre rongée par la réflexion, et qui basculera dans un avenir si menaçant, que personne encore n'entend venir ? Notre héros Franz Biberkopf sera tenté dans son parcours par la dérive politique, mais s'estimera bien plus anarchiste que les anarchistes, puisque lui bravera carrément les lois de la société, non pas en distribuant des tracts avant de rentrer dans les bâtiments de l'usine pour y acomplir sa tâche d'esclave, mais en virant maquereau, malfaiteur, un vrai révolté, quoi. Ce qui est un peu fort, n'est-ce pas mes braves gens… Du Jean Genet mou avant la lettre.

    « Des toiles d'araignées là-bas, dans ce coin sombre. On n'en voudrait même pas en guise d'une souricière. J'veux boire de l'eau. »

    Reprise du mot «souricière ». Biberkopf est sous l'effet du narcotique. Il est désespéré. On le plaint. Je ne peux pas me souvenir de tout, dans cette œuvre foisonnante, et Dieu merci très longue, une de celles auxquelles on pense encore après l'avoir finie, pas comme La première gorgée de bière.

    « Après cela, sa soif avait diminué, il lui restait encire soixante-quinze pfennigs qu'il tournait entre ses doigts. « J'vas chez Lina ? Pour quoi faire ? »

    ...Il ne l'aime pas. On ne baise qu'avec les femmes qu'on aime, tout de même. Un bon gueuleton, mais pas n'importe quoi. Profiter de tout jour après jour. Aimer, chercher les amitiés, se faire protecteur envers les pauvres types, qui ensuite vous récompenseront par une traîtrise de première bourre :

    « Çui-là, nous l'tenons en laisse ! »

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    Muni de son café et de sa limonade, Reinhold s'assied à leur table, ronronne quelque chose d'incompréhensible et bégaye un peu. Franz a grande envie de lui taper amicalement sur l'épaule et de lui dire devant Meck :

    - Eh ben mon vieux, comment vas ? Tout est bien à la maison ?

    Moi je ne veux pas vous raconter l'histoire, n'est-ce pas, mais sachez que ce Reinhold ne sait pas comment se débarrasser des gonzesses qui lui collent ; il les repasse à Franz qui bonne poire les recueille. Mais qui doit les relâcher aussi au rythme où Reinhold lui refile ses nouvelles conquêtes dont il est lassé… Jusqu'au jour où… mais silence.

    « Savez-vous quéque chose ?

    « Les trois échangent des regards, ils ne comprennent pas. Eva lui donne une tape sur le bras :

    « Mais, Franz, tu le connais aussi bien qu'nous ».

    Voilà, vous l'avez compris, ce qui perd Franz Biberkopf : son honnêteté, sa naïveté (les autres ne lui diront rien), son bon cœur finalement. Il veut se battre dans la vie, et n'a pas les muscles pour ça, pas la destinée pour ça. Nous allons le laisser poursuivre son maelstrom descendant, avant de rejoindre le nôtre, où nous nous débattons, nous débattons, petites Têtes de Castors Bâtisseurs emportés par le flot de rupture du barrage que nous pensions construire…

     

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    En voilà encore un, de pensum, tenez, parler de Sartre aujourd'hui, Huis-Clos, Les mouches, publiés ensemble par Folio en 72 et réimprimé jusqu'en 82, sans compter ce qui se doit réimprimer actuellement. Deux pièces qui paraît-il ont terriblement vieilli, qui font partie de tout ce que les compagnies théâtrales ont de plus classique. Voyons cela.

    Huis-Clos, Les mouches, pourquoi ensemble, mystères de la pagination et des obligations commerciales de format. Mais on peut toujours trouver des points communs, l'inspiration théâtrale de Sartre ne manquant pas d'unité. C'est même par là qu'on peut le mieux saisir dans le vif les théories existentielles et autres de Sartre. Je dis « et autres », car les visions philosophiques suscitées par Sartre dans les esprits ne se résument pas à ces schémas surannés. Le point commun, c'est la hantise du jugement et de la culpabilité : Huis-Clos, c'est un terme de tribunal. Être jugé à huis-clos, c'est supprimer le public, en raison de la gravité, de l'intimité obscène qui risquerait de rejaillir sur le public voyeur. Or il est là, le public, avide de voir souffrir sur scène, ob scænam, cet homme mort cerné de deux femmes mortes.

    Et les mouches, qui sucent le sang des habitants d'Argos, c'est le remords, que le héros Oreste dissipera de ses ricanements. Dans les deux cas, regard d'autrui, jugement et condamnation. Dans Huis-Clos, vous l'attendiez je vous le sers, l'enfer c'est les autres, rien ne pouvant échapper aux horribles regards mutuels, enfermés pour l'éternité dans un salon «aux meubles Second Empire » ; dans Les mouches, les regards de terreur échangés par tous les habitants d'une cité coupable devraient s'éclaircir après la mise au point d'Oreste, mais ne s'éclaircissent pas. Dans les deux pièces, l'obsession donc du regard d'autrui, aussi bien de soi sur soi. Jean-Paul Sartre dans son enfance était considéré comme un futur petit prodige par son grand-père, ce qui est très dangereux quand on n'est pas vraiment un génie.

    Nous sommes tous passés par là quand nous étions bébés, admirés par notre cher entourage familial. Puis il a fallu nous y faire : nous sommes tous devenus petit à petit comme les autres. Sartre a fort bien évoqué le « singe savant » qu'est le petit enfant, préoccupé de se contorsionner désespérément pour quémander l'approbation des uns et des autres. Puis il a supprimé la référence au jugement d'autrui, ou du moins, il l'aurait bien voulu. Se débarrasser de Dieu, facile : Les mouches met en scène un Jupiter grotesque et terrible, qui fait les gros yeux et la grosse voix dès que ses sujets, les mortels, font mine de se repentir un peu moins. Ce Jupiter, seigneur des

     

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    mouches, ce qui se dit en hébreu Belzébuth (ce n'est pas un hasard) tient plus du Dieu de l'Ancien Testament, grondeur, vengeur, sanguinaire, maudit par William Blake en son temps. Il est donc aisé de se débarrasser de cet épouvantail qui a fait tant de ravages, et qui en fait encore puisque le curé de Vayres n'a rien trouvé de mieux, pour sa messe de Saint-Hubert – et il n'est pas le seul, hélas ! - que de commencer les prières par une déclaration de culpabilité. « Reconnaissons devant Dieu que nous sommes pécheurs et demandons-lui pardon » : merde ! on en est encore là, dans l'Église catholique ? est-ce notre faute si nous sommes imparfaits ? Certains d'entre nous rencontrent leur Oreste, qui les délivrent de tous ces remords qui nous sucent : cet Oreste-là peut aussi bien être nous-mêmes.

    Or, dans la pièce de Sartre, les habitants ne peuvent supporter leur liberté, se révoltent contre leur sauveur et manquent le lapider. Sa sœur Électre ne peut supporter cette vengeance contre sa mère, qu'elle appelait pourtant de tous ses vœux depuis des années (je rappelle que la mère d'Électre et d'Oreste assassina leur père Agamemnon, a cru éliminer Oreste, qui revient donc, plus tard, massacrer sa mère et venger son père). Électre abandonne Oreste ! Lles habitants d'Argos veulent lui faire un mauvais parti, pour avoir voulu les rendre libres ! Facile donc de recouvrer sa liberté, fût-ce en fuyant Dieu. Mais les autres ? Les trois enfermés du Huis-Clos vont se torturer par leurs appréciations mutuelles, l'homme plus ou moins salaud selon les femmes, la femme Numéro Un plus ou moins infanticide…

    Admettons d'ailleurs que les autres ne nous torturent pas, qu'ils ne nous veuillent aucun mal : il n'en resterait pas moins leurs regards. Or vous savez, fervents sartriens, que l'on ne se connaît pas soi-même parce que l'on ne peut être à la fois sujet et objet, et que ce sont les autres qui vous apprennent ce que vous êtes, qui vous fondent, en quelque sorte, et que nous ne serions que la somme des regards d'autrui, bien plus que ce que nous croyons être : trop bons ou trop mauvais. Seuls les autres, le croisement de leurs regards contradictoires, vous constituent en moyenne objective. On dit qu'Albert Camus est un philosophe pour classes de terminales, mais Sartre aussi – tous deux ayant également leurs profondeurs.

    Ici j'aligne les clichés. Mais voici du nouveau : ne pourrait-on pas dire que l'importance du regard de tous les autres est aussi primordiale chez Sartre que chez Rousseau ? Jean-Paul et Jean-Jacques, tout opposés qu'ils soient, n'ont-ils pas souffert tous deux dans leur géniale et banale

     

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    intuition que nous vivons toujours, que nous le voulions ou non, que nous ayons un grand-pèr envahissant ou non, sous le regard d'autrui ? Solution : se constituer soi-même ; assumer ce regard des autres, accepter de se mêler aux autres dans une mission historique, aussi vulnérable, signifiante ou insignifiante, que tout le reste. Cette « mission historique », c'est ce que Sartre à inventé pour se substituer à la transcendance. En regard et en revanche, proclamer les autres coupables de leurs jugements, se réfugier dans son innocence, rejeter toutes les fautes sur la société qui « déprave » le petit homme isolé, immaculé, dans son état de nature, telle est la solution de Rousseau.

    Rarement l'on aura vu d'opinions aussi antinomiques, mais toutes deux puisent leur force dans la volonté d'échapper au regard multiple d'innombrables Big Brothers, au pis, hostiles, au mieux, balourds, en tout cas, indiscrets, forceurs de serrures, violateurs de domiciles. Huis-Clos durera éternellement – avouez qu'il existe une continuité : les évènements se succéderont jusqu'à la fin des temps, entendez : les reproches, et les justifications. Tandis que l'Oreste des « Mouches » disparaît en coulisses, il n'y a pas de suite pour lui, qu'une errance sans fin. La solution dans la fuite, mais une fuite théâtrale qui ne peut correspondre à rien de concret ou de réaliste, un véritablement évanouissement d'objet théâtral.

    Oreste cesse d'exister, se volatilise après le baisser de rideau, dans le virtuel des idées ; tandis que Garcin, héros des « Mouches », Inès et l'autre femme, demeureront perpétuellement sur scène. Quant à savoir si le théâtre de Sartre a pris ou non des rides, la réponse est dans l'interprétation, encore que la dernière reprise des « Mains sales » ait suscité quelques moues, malgré ses excellents comédiens. J'aimerais voir Les mouches plus que l'autre pièce ; affaire de goût. Huis-Clos est trop racinien, trop clos justement, trop propre. Pas assez esthétique. Tandis que Les mouches, avec ses longs hurlements collectifs de repentir, sa saleté bourdonnante, son mélodramatisme, l'outrance de ses thèses (un dieu féroce et borné, des habitants tout juste aussi grossiers net criminellement crétins que notre imagination se plaît à imaginer l'humanité, alors que nous n'en voulons à personne), Les mouches excite davantage les tréfonds d'un hystérisme refoulé, de la jouissance d'être piétiné, victime d'une conspiration universelle de la connerie envers notre propreté morale…

    Comme un gosse qui jouit de pleurer. Et dans Huis-Clos, contrairement aux « Mouches » où nous sommes en terrain connu de plaisir de persécution, les personnages sont trop proches : on doit les affronter un par un, en tenant compte de leur individualité, au lieu de rejeter en

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    bloc tout un monde d'humains. Tenez : il y a deux femmes justement, Estelle, et Inès, la dernière étant lesbienne pour corser le tout. Inès demande à Estelle :

    « Tu ne veux pas qu'on se tutoie ?'

    Et Estelle, brave bourge :

    « Tu me jures que c'est bien ? »

    Et Inès :

    « Tu es belle ».

    Voilà une bonne drague, qui consiste à ne pas répondre aux questions, mais avec les mots que la femme attend exactement. La vie continue, sous terre aussi. Bon sang c'est vrai que ce doit être terrifiant, d'imaginer qu'il y a une vie encore après la mort… La pièce ne s'achève-t-elle pas en fait par l'horrible mot si banal de Garcin :

    «  - Eh bien, continuons. »

    Sartre avait-il peur de la mort ? Il paraît que non, mais il lui a échappé aussi, à moins que ma mémoire ne me trompe, de dire qu'il vivait sa mort à chaque instant, par un arrachemen t volontariste perpétuel, se trahissant sans cesse pour ne pas se laisse saisir, figer, dans une posture définitive, qui le définirait à tout jamais, justement. Toujours en fuite, « depuis l'enfance je cours, disait-il, je cours toujours », pour échapper au regard étiquetant, stérilisant, de ces autres, de ces deux adultes qui l'avaient estampillé dès sa plus tendre enfance. Laissons la parole à Électre des « Mouches », quand elle est encore révoltée, face à Clytemnestre sa mère toujours vivante :

    « Vous pourrez répondre au roi que je ne paraîtrai pas à la fête. Sais-tu ce qu'ils font, Philèbe ? Il y a, au-dessus de la ville, une caverne dont nos jeunes gens n'ont jamais trouvé le fond ; on dit qu'elle communique avec les enfers, le Grand Prêtre l'a fait boucher par une grosse pierre. » - ce qui est plus commode ajouterai-je pour prétendre que la grotte est sans issue. Il s'agit du déroulement des grandes fêtes du repentir, avec hululements rythmés, pendant lesquelles la population d'Argos expie bruyamment et de façon répugnante ses péchés et ses souillures. Électre aspire de toutes ses forces à la délivrance, à l'assassinat de sa mère et du roi, du nouveau roi qui a pris la place de son père Agamemnon – ô combien d'aspirants à la liberté qui ne supportent pas la liberté quand elle est venue, mais frileusement se recroquevillent, ramenant sur leur tête le drap

     

     

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    épais des remords confortables, amis psychiatres, bonsoir. Or l'instigateur de ces lugubres cérémonies, c'est Égisthe, complice de l'assassinat d'Agamemnon, et qui a pris sa place. Il maintient le peuple sous la culpabilité : « Si je ne les avais frappés de terreur, ils se débarrassaient en un tournemain de leurs remords ». Et Clytemnestre répond : « N'est-ce que cela qui vous inquiète ? Vous saurez toujours glacer leur courage en temps voulu ». Rien ne paralyse en effet l'homme d'action, l'homme au moment d'agir, se s'engager, de se commettre, de se responsabiliser, que le brusque ou sournois souvenir de sa culpabilité intrinsèque et de son infinitésimale insignifiance. Il est curieux en l'occurrence de voir ici Jean-Paul Sartre militer en faveur de la liberté, alors qu'Albert Camus l'a certainement plus ou moins décrit lui-même dans La chute comme celui qui culpabilise son monde en traitant tous les humains de larves incapables.

    Ce qui me terrorisait en effet, ce qui me terrorise encore chez Sartre, est cette affirmation de notre entière liberté : « Si tu n'y arrives pas, c'est que tu ne l'as pas suffisamment voulu ». Quelle torture ! Je me plains, et l'on me répond, mes amis – ce sont toujours les amis qui s'expriment ainsi : « Mais secoue-toi ! S'il t'arrive des bricoles, c'est que tu l'as bien voulu ! Tu es un homme ou quoi ? » Si je les écoutais, les amis, je réglerais ma vie comme du papier à musique, et je m'engueulerais avec tout le monde, tout le monde, en pétard continuel, pour le plus grand bien de l'humanité que je viendrais sauver, et j'assurerais mon salut par-dessus le marché. La perfection à la portée de tous les cerveaux, par le Révérend Sartre !

    Même Simone de Beauvoir, vous vous rendez compte, même elle a fini par conclure dans La force des choses qu'on fait ce qu'on veut, mais qu'en réalité, on ne peut pas toujours faire ce qu'on veut. Ah mais. De la philosophie pour terminales, on vous dit. Je crois d'ailleurs qu'on ne philosophe bien qu'en terminale, car les grands adolescents sont en prise directe avec leurs pires ennemis, les questions métaphysiques insolubles. Ensuite, ils enterrent le problème, et se mettent à vivre, à devenir des salaud comme les autres. Et pour finir, Oreste dit à Jupiter : « Prends garde. Tu viens de faire l'aveu de ta faiblesse. Moi, je ne te hais pas. Qu'y a-t-il de toi à moi ? » Homme libre, homme seul, homme san Dieu, mais infiniment multiplié sous le regard de ses semblables, sous son propre regard…

    Pensez-y de temps en temps, mortels, tremblez, et respirez à fond.

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    Parmi les ouvrages fameux inspirés par la guerre Quatorze, il en est un à la fois fameux et méconnu : ce sont les « Orages d'Acier » par Ernst Jünger ; méconnu parce qu'allemand, mais À l'ouest rien de nouveau d'Erich-Maria Remarque fut un best-seller. Méconnu donc pour une autre raison, qui est l'absence radicale de toute morale pacifiste récupératrice. La guerre de 1914 fut une épreuve horrible, et bien oubliée, traitée de ringarde par les analphabètes qui nous houspillent. Mais nous ne devons pas attendre d'Ernst Jünger un discours inhabituel. Ce n'est guère en effet avant ses 98 ans, pour s'éteindre vers 103, qu'il a un tantinet refait surface sur l'écume de nos médias. Être exceptionnel donc en raison de sa longévité, lui qui manqua le rêve d'embrasser trois siècles à lui seul, ayant vu le jour le 29 mars 1895.

    Exceptionnel aussi en raison de son passé que d'aucuns qualifièrent de sulfureux. Il se contenta en effet de mépriser les nazis, sans les combattre autrement que par une retraite farouche et austère, dédaignant de traiter avec eux, de composer, de poser en emblème du courage allemand. Il refusa de servir de héros à ces aventuriers méprisables, lui qui fut dès 26 ans couvert de décorations pour actes de bravoure, en tant qu'officier qui plus est, toujours aussi exposé que ses hommes. Certains dirent qu'il aurait pu s'engager dans une lutte plus compromettante, se montrer aussi courageux face aux chiens en chemise brune que face aux Français dans les tranchées. Dois-je vous faire l'insulte de vous renvoyer au tube de Goldman Né en 17 à Leidenstadt

    (Et si j'étais né en 17 à Leidenstadt

    Sur les ruines d'un champ de bataille.

    Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens.

    Si j'avais été allemand ?)

    qui me fout encore le frisson… Toujours est-il qu'Ernst Jünger appartenait à une famile de hobereaux, de Junker justement, de ces petits nobles prussiens gélifiés dans leur morgue et leurs traditions. Il avait un comportement d'aristocrate, pétri de culture et d'orgueil, et nourri de générations en générations d'idéal guerrier.

    Pour lui la guerre est l'état naturel du mâle, de la nature humaine, et il ferait volontiers sienne cette devise grecque « Polémos pantôn pater », « la guerre est la mère de toutes choses », mot à mot « le combat est le père de tout ». Et n'en déplaise aux âmes sensibles, c'est en temps de guerre et de mort que les techniques de toute sorte progressent le plus vite, étant donné l'urgence et de précarité de la vie. Les techniques progressant le plus vite en temps de guerre sont en effet celles HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 27

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    de la vie et de la mort, soit l'armement, et la chirurgie. Nous en arrivons donc à ces archaïques conceptions selon lesquelles la proximité de la mort, violente, brutale, exalterait les principes de vie. De même que l'on se baisait fort entre les caveaux de Milan pendant la peste de 1630, de même l'apogée de la Grande Faucheuse stimule-t-elle les exploits des techniciens de la survie, toubibs et autre sauveurs. Elle coïncide aussi avec une baisse remarquable des naissances, et chacun préfère que ces belles théories viriles façon Iliade s'appliquant ailleurs que sur sa propre peau si fragile. Mais ce sont là pensées de bourgeois et de simples manants. Force est de rendre justice à Ernst Jünger qu'il s'est toujours porté aux points les plus dangereux, quand l'héroïsme pouvait prévaloir, sans oublier de se mettre à l'abri quand véritablement une action militaire eût été pur suicide gratuit. Courageux, téméraire même, mais non stupide. Et cela donne un climat particulièrement archaïque, spartiate, homérique, aux récits d'engagements et de bombardements qu'il nous fait, au sein d'un décalage chronologique fascinant. C'est un guerrier achéen ; combattant de l'Iliade ; compagnon d'Énée, de Roland de Roncevaux, plus célèbre précisément dans sa défaite. Car les Allemands ont été vaincus, mais sous le nombre, et comme le chante cette fois Michel Sardou

    Si les Ricains n'étaient pas là

    Vous seriez tous en Germanie

    A parler de je ne sais quoi

    A saluer je ne sais qui…

    - car ce sont eux qui nous ont bel et bien sauvé la mise en 1917 déjà, très précisément à Montfaucon d''Argonne près de Verdun.

    Vous ne trouverez chez Jünger aucune plainte, non pus que chez le soldat Hitler. Car ce dernier, après la brillante carrière que l'on sait, fut aussi un soldat courageux. Comme si la guerre était la punition méritée d'un péché originel, celui d'être né. Adolf fut un enfant battu, comme tous ceux de sa génération, ce qui n'excuse rien mais peut expliquer certaines choses. Et si je fais ce détour par Adolf, c'est justement pour rapprocher ces deux hommes : ils se détestaient cordialement, Hitler jalousant ce grand guerrier qui au moins avait su rester digne, mais possédaient en commun l'amour détestable de la guerre. Pourtant c'est très beau, la guerre, sur le papier, sur pellicule aussi. Dans la réalité, on reçoit sur la gueule toutes les tripes et la cervelle chaude de ses petits camarades, ce qui met un frein tout de même à l'héroïsme… Jünger ne nous cache pas les VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 28

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    souffrances, les horreurs du massacre. Il dit simplement qu'il fut violemment ému, qu'il pleura, sanglota, se roula à terre en vomissant, car il ne cache rien. Il ne l'exhibe pas non plus. Ce fut ainsi. Il vit périr des hommes qu'il aimait, de cet attachement farouche du chef pour le soldat, mais c'était le destin. La guerre était l'expression la plus accomplie de la nature humaine – il ne le dit pas, mais cela exsude de ses pages dans Orages d'acier. Ne sommes-nous pas en effet tous menacés d'une mort plus ou moins proche ? Cette fois-ci, cela se passe en accéléré, on ne peut plus dire en flûtant comme l'exprime de façon si grinçante Kundera S'il m'arrive de mourir un jour, mais ça se passe là, tout de suite, d'un éclat d'obus l'autre, de vie à trépas.

    Dans la guerre se réalise aussi l'horrible fantasme de se guérir de la peur de la mort en la semant le plus possible autour de soi, « je tue donc je vis ; c'est l'autre qui meurt, donc ce n'est pas moi ». Ce que nous voudrions faire comprendre, c'est qu'il n'existe pas pour Ernst Jünger de guerre juste ou injuste, mais un devoir, transmis par les supérieurs au nom de la Patrie, au nom de l'homme qui trouve justement son plus haut degré de dignité dans cette confrontation avec la mort et sa victoire incessamment différée. Voyez-vous, les choses n'étaient pas aussi claires en 1914 qu'en 1940 – et encore : n'oubliez pas que si horrible que cela puisse paraître aujourd'hui, les jeunes hitlériens de 1939, beaucoup moins intelligents, beaucoup moins lucides que Ernst Jünger, s'imaginaient réellement qu'ils allaient régénérer le monde, lui insuffler la nouvelle jeunesse d'une révolution.

    Jünger, lui, avait fait la guerre, la précédente : il savait le sang et les hurlements que cachaient les beaux discours exaltants. Il avait assisté au vaste naufrage d'un idéal guerrier. Mais il savait aussi qu'il existe une manière de faire la guerre moins atroce que de massacrer des populations civiles. En 1914, et après la guerre, il avait appris que les deux peuples, le français et l'allemand, sans parler des autres, s'étaient fait la guerre essentiellement pour des motifs économiques. On avait bien gonflé le moral belliqueux des belligérants, qui s'imaginaient chacun combattre pour la civilisation, mais on se battait surtout pour les bénéfices des marchands de canon, et jamais les usines d'armement des deux pays ne furent sérieusement inquiétées par les bombardements, alors qu'elles se situaient de part et d'autre de la frontière, sur le bassin de gisement de fer de Lorraine en particulier.

    Tous les potaches savent cela aujourd'hui. C'est ainsi que des monuments de la Grande Guerre furent barbouillés, naguère, au minium, Morts pour la peau. En 1914 en effet, chose HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 29

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    impossible pendant la dernière guerre, en 1914 il arrivait qu'on ne sût plus très bien pour quoi l'on se battait. Mais on respectait certaines règles. En particulier de respecter les civils à l'arrière du front. Jünger nous parle volontiers du bon accueil que les populations occupées réservaient aux guerriers revenants de leur champ de souffrance, et il s'agissait bien plus de compassion, en ce temps-là, que de collaboration. Les enjeux différaient totalement. Il faut dire que la rigidité de l'administration militaire allemande facilitait la connaissance du terrain et des gens qui s'y trouvaient : en effet, quand on était affecté à un certain secteur du front, de retour de permission, il fallait bien les retrouver, ces indigènes…

    C'était pratique pour la connaissance des lieux, mais éprouvant pour le moral. Et c'est en raison de cette rigidité que les Allemands ont perdu la bataille de Verdun, et peut-être la guerre. Les Alliés, eux, pratiquaient les mutations : chaque soldat faisait ses trois semaines ou plus à Verdun, puis savait qu'il serait ensuite affecté, s'il avait survécu, à une région plus calme, moins exposé. Tandis que le soldat allemand, arrivé à Verdun, et sachant par ouï-dire le massacre qui s'y perpétrait, savait qu'il ne serait jamais relevé, qu'il serait remplacé seulement quand il mourrait. Il n'avait nul espoir de s'en sortir vivant. Être affecté à Verdun était l'équivalent d'une condamnation à mort. Il existe une énergie du désespoir, chantée par Virgile : Un seul espoir subsiste à ceux qui n'ont plus d'espoir, c'est le désespoir, je cite de mémoire, mais le soldat de base n'a pas lu Virgile, ni Jünger, et sombre dans le défaitisme.

    Jünger était affecté dans le Pas-de-Calais, du côté de Vimy, Arras, Bapaume. Il est passionnant de suivre ses itinéraires, ses avancées, puis, plus souvent, ses reculs, sur une de ces cartes où je retrouve à quelque cent kilomètres près, ces lieux de mon enfance dont je fais semblant, de temps en temps, d'avoir la nostalgie. Mais plus passionnant, plus impressionnant encore, de voir les prodiges de réorganisation, de rafistolage incessant de la matière humaine, de la chair à canon, au moment même où tout semble perdu et haché par la mitraille, afin de repartir de l'avant, non plus pour la victoire de la Grande Allemagne ou quelque idéologie vaseuse, mais pour la dignité de l'homme.

    Tout cela reste rhétorique, et j'ai passé le plus clair de mon service militaire à l'hôpital Robert Piqué pour me faire réformer (« troubles mentaux ») - mais j'aime la littérature, les belles envolées, les couillonnades ronflantes – même pas, car Jünger a de la tenue et ne livre jamais ses arcanes idéologiques ; je l'ai même fait parler plus qu'il n'en a dit, et maintes de mes affirmations HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 30

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    seraient sans doute accueillies par ce sourire silencieux et pincé de grand aristocrate qui ne me recevrait pas à sa table. Indépendamment de toute idéologie – quoique – laissez-moi lâchement, les pieds dans mes pantoufles, jouir des récits de manœuvres et de tourments guerriers, m'exalter, le cul dans ma flanelle, de ce que j'aurais pu être si j'avais été un autre : un homme, mon fils. Et pet sur la terre aux hommes de bonne volonté. Voici la première montée au front de Jünger :

    « Certes, on ne pouvait rien voir de ce qui se passait dans le lacis des boyaux, mais l'appel : « Des brancardiers ! », de plus en plus fréquents, montrait assez que le bombardement commençait à opérer. Parfois, une silhouette passait à la hâte, un pansement frais, visible de loin, autour de la tête, au cou ou à la main, et disparaissait en direction de l'arrière. Il s'agissait de mettre à l'abri la « fine blessure », car, selon une superstition de soldats, la blessure sans gravité n'est souvent que l'avant-courrière d'une autre, meurtrière. »

    Réalisme, sobriété, humanité, suffiront en guise de commentaire. N'oublions pas que le premier devoir du combattant est aussi de survivre. Un peu plus loin :

    « En trois sauts, je fus à la cave, où les autres habitants de la maison s'étaient rendus avec une étonnante célérité, et offraient l'image d'un groupe pitoyable d'infortunés. Comme la cave dépassait à moitié du sol et n'était séparée du jardin que par un mur de faible épaisseur, tout le monde s'empilait dans un goulot de sape, étroit et peu profond, dont la construction n'avait commencé que dans ces derniers jours. Mon chien de berger se glissait en gémissant entre les corps serrés, mû par son instinct d'animal, pour gagner le coin le plus sombre. »

    Humanisme, disions-nous, pitié pour les hommes et affection pour le berger allemand. Mais rien de plus. Croyez-vous donc que les guerriers n'ont point d'âme ? Voici plus grave :

    « Le visage figé, encadré par le bord d'acier du casque, et la voix blanche, qu'accompagnait le vacarme du front, nous firent une impression macabre. Quelques jours avaient suffi pour mettre sur ce coureur qui devait nous mener au royaume des flammes une empreinte qui semblait nous le rendre indiciblement étranger.

    « Quand on y tombe, on y reste. Rien à faire. »

    Portrait d'un soldat :

    « Il venait de farfouiller dans sa poche pour en tirer sa pipe, qui s'était prise dans l'anneau d'une de ses grenades et l'avait amorcée. Il avait eu la surprise d'entendre soudain la détonation sourde, sans équivoque, qui précède les trois secondes durant lesquelles se consume HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 31

    JÜNGER « ORAGES D'ACIER » 2045 10 09

     

     

     

    l'amorce de l'engin. Dans ses efforts épouvantés pour tirer la maudite grenade et la balancer loin de lui, il s'embrouilla si bien dans ses propres poches qu'elle aurait eu tout le temps de le déchiqueter si, par un hasard fantastique, ce projectile n'avait justement raté. »

    La vie tient à peu de choses, dira Monsieur Muche. Avant d'aller vous réjouir au film de M. Spielberg, lisez Orages d'acier d'Ernst Jünger : là, ce n'est pas à votre corps que l'on s'en prend au moyen d'un son tonitruant, mais à votre âme d'homme. Et comme dit la chanson :

    « Que maudit soit la guerre / Où le roi m'a mandé ».

     

    HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 32

    Louis SIMON « À HURLER DE RIRE » 43 10 16

    VOIR AUSSI SUR LE MÊME OUVRAGE 2012 11 15  P. 93

     

     

    Je ne sais toujours pas à quoi peuvent bien servir les recueils d'histoires drôles : le plaisir qu'on éprouve à les raconter se fonde sur l'échange improvisé, la joie de les transmettre et de faire rire avec spontanéité. Je ne vois pas un amuseur public, un clown pour noces et banquets, réviser dans son manuel les textes des histoires qu'il dira, telle aux hors-d'œuvres et telle au dessert. À supposer qu'on soit comique professionnel, je conçois qu'on apprenne par cœur un sketch, comme Guy Bedos récitant Dabadie ; ce qui mène d'ailleurs à certaines déconvenues lorsqu'on assiste au spectacle d'un même susdit artiste sans avoir laissé subsister un laps de temps suffisant entre deux représentations.

    Mais nous concevrions encore davantage la composition secrète, par l'auteur, de son fonds de saynètes, avant qu'il les produise sur scène. Nous voyons par là le caractère incompatible entre la convivialité impromptue de ces échanges d'histoires drôles à la fin des repas bien arrosés, et la morne recension des couillonnades accumulées par les décennies sinon par les siècles. À hurler de rire, de Louis Simon avec la collaboration de Catherine Bessonart (pour les plus sales j'espère), pousse même le systématisme jusqu'à les classer par genres. Nous avons un chapitre sur les curés, un chapitre sur les militaires, sur les amoureux, et j'en passe. Les éditeurs essaient de plus en plus de nous appâter avec les « histoires préférées » de personnalités, Poulidor, ou que sais-je, qui rappellent furieusement Les grosses têtes, ou telles émissions de variétés présentant des hommes politiques en mal de démagogie, tâchant de trouver l'histoire graveleuse mais pas trop tout de même qui fera rire les électeurs…

    Autre défaut : les doublons ; nous connaissons tous des blagues à variantes : « Je la connaissais, mais pas comme ça ». Le nombre de vannes de cul rapetassées pour s'adapter au cas de Clinton s'élève paraît-il à plusieurs milliers. Je me demande si les ressorts du comique ne sont pas piètrement limitées. La couverture du livre de Louis Simon représente un quidam à foulard jaune (symbole de la clownerie, voire de la folie) s'esclaffant, le volume à la main, tandis qu'un pot de fleurs tombe à grande vitesse sur le sommet de son crâne. Est-ce une façon de rappeler que ce qui arrive de fâcheux aux autres est en fait une tragédie pour ceux qui le vivent ? Le comique n'est jamais innocent.

    Il se trouve là-dedans des histoires franchement racistes et avouées comme telles, mais qui font rire. Nous rappellerons donc notre grande approbation pour le rire, quel qu'il soit. Car si l'on élimine les histoires juives, les histoires belges, celles qui rabaissent les fonctions sexuelles si HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 33

    Louis SIMON « À HURLER DE RIRE » 43 10 16

     

     

     

    nobles et si sacrées, la femme, les handicapés, les crétins, les nègres, les Anglais, les Français (en Belgique) – il ne restera plus rien à nous mettre sous les zygomatiques. En Belgique, on met le mot « belge » entre guillemets, pour bien rappeler qu'il ne s'agit pas de véritables Belges – eh bien, tout est foutu par terre. Il faut qu'une blague soit méchante. Elle n'est pas agressive : le rire désarme. Il désamorce, « ça va mieux en le riant ». Et s'il était interdit de rire des petits travers réels et supposés de telle ou telle couche de la population, professeurs, évêques, pédés ou PDG, quelle ne serait pas l'agressivité rentrée dont nous deviendrions, à terme, les victimes !

    Bien sûr qu'il est dangereux de rire des juifs ou des pédés, comme il est dangereux de conduire ou de se moucher un peu fort. Mais combien serait-i plus dangereux de croire que tout le monde est respectable, et beau, et gentil, et qu'il ne faut pas y toucher ! Évidemment qu'il y a des gens devenus antisémites à force de mettre en scène des Lévy ou des Nathan ! La question est de savoir s'ils n'étaient pas déjà un tout petit peu antisémité auparavant… Le fait que les juifs, justement, sont les meilleurs narrateurs de blagounettes juives, force le respect : l'autodérision est une qualité éminemment rare ; la vie n'est pas sérieuse, mais tragique. Ce qui n'autorise pas à plaisanter, à l'antenne, à balancer des prétendues drôleries le jour même anniversaire de la libération d'Auschwitz…

    Il existe un bon et un mauvais usage du rire. En fonction des circonstances, en fonction du public. Une blague raciste n'aura pas la même connotation chez moi à table ou dans un congrès du Front Nariona (j'évite…) Mais le fait d'exercer son humour contre des cibles variées, paysans, gouines ou bacheliers, implique de façon absolue et sans exception de faire à son tour partie des cibles. Se moquer de soi-même est le commencement de la sagesse, et une qualité qui se perd. Savez-vous que Sheila en son temps fut victime d'une plainte des marchands de charbon, prétendant qu'elle portait atteinte à la profession des « bougnats » ?

    C'était un air du folklore auvergnat

    Que j'avais entendu chanté par mon bougnat

    C'était un air du folklore auvergnat

    Que mon bougnat chantait en livrant ses boulets

     

    - même mésaventure pour Les colonies de vacances de Pierre Perret. Plus récemment, Ceaucescu avait promulgué une loi interdisant de se moquer, de quelque façon que ce soit, articles ou dessins, des membres du gouvernement roumain ou de ses décisions ? Il en est toujours ainsi : la

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    Louis SIMON « À HURLER DE RIRE » 43 10 16

     

     

     

     

    censure s'avance sous couvert de défendre la liberté, le respect, la sensibilité délicate. Quand je pense qu'il existe une famille Bidochon, de son vrai nom s'entend, qui poursuit notre sympathique Binet pour avoir utilisé son patronyme sans autorisation, salissant ainsi le patronyme des vrais Bidochon, honorable famille de Bourgogne ! Ne voudraient-ils pas avoir tout simplement leur part du gâteau, sous forme d'indemnités ? Le drame voyez-vous, c'est que si un couillon veut attaquer son voisin, il découvre toujours un obscur paragraphe de loi ou de jurisprudence pour le faire, et un avocat pour trouver de bons arguments.

    Ô misère de l'entendement humain, et comme nous devrions bien tous nous foutre de nos propres gueules ! Ce n'est pas fini : le' bon grassouillet Timsit se fait attaquer, non par la communauté juive, mais par une famille, lui reprochant d'avoir blessé la susceptibilité des parents d'un handicapé mental par la déclaration suivante : « les débiles c'est comme les crevettes, à part la tête tout est bon » ! Et alors ? n'avez-vous donc pas entendu parler de je ne sais plus quelle pièce féroce, où des parents d'enfants-légumes se font pleurer sur la scène à force de plaisanteries amères pendant que toute la salle croule de rire ? Ce sont des héros. Où serions-nous donc si nous n'avions pas le droit de rire des misères de tous, celles des autre et les nôtres ?

    Va-t-il falloir faire le tri entre ceux qui auraient le droit de raconter tel type d'histoires drôle, et les autres ? Devrons nous approuver frère Jorge du « Nom de la Rose », et brûler ce traité du rire d'Aristote, sous prétexte que rire est le propre du Diable, qui remet en cause l'excellence de la création divine ? Lisez La plaisanterie de Kundera, et vous verrez comment une simple vanne de carte postale a mené son auteur à l'exclusion de la société communiste tchèque, et presque au goulag. Quand je pense au nombre de colères que j'ai suscitées pour avoir sorti à mes élèves quelques histoires bien salées au moment où ils s'endormaient sur la grammaire française ou Les confessions de Jean-Jacques Rousseau ?

    Encore un constipé, celui-là, qui aurait volontiers voué Molière aux gémonies, lui que l'abbé Roulé voulait faire brûler en Place de Grève pour avoir voulu représenter Le Tartuffe ? Lisez donc les articles de Télérama – on se signe – concernant les petites comédies filmées, pas très fines mais dilatatrices d'amygdales : c'est vulgaire, ringard, racoleur, attentatoire à l'image de la femme ou même, je n'invente rien, du monde paysan ! - ça, c'est pour La soupe aux choux, de Funès, Villeret, Carmet, excusez du peu, à cause d'un concours de pets en pleins champs ; La production HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 35

    Louis SIMON « À HURLER DE RIRE » 43 10 16

     

     

     

    cinématographique internationale n'en fut certes pas bouleversée, mais est-ce pour autant que nous allons prendre les paysans pour des pétomanes mal embouchés ? Le rire est à la foi démoniaque et démocratique. Dissertez là-dessus pour voir ; Et si vous vous demandez quand est-ce qu'on va enfin se décider à rigoler dans une émission consacrée à un ouvrage comique, de Louis Simon et Catherine Bessonart, voici : c'est un jeune couple qui discute. L'homme propose la vie commune : « Et si nous nous rendons compte que nous avons fait une boulette, nous nous séparerons sans nous déchirer. « Je veux bien, dit la jeune fille. Mais lequel d'entre nous gardera la boulette ? » Vous n'êtes pas obligés de rire, c'est de la misogynie plate.

    Il y a des cibles comme cela qui n'ont pas changé depuis des millénaires. «Une jeune fille un peu naïve a épousé un séduisant jeune homme grec. Sa mère ne croit pas bien sûr à tout ce qu'on raconte sur le Grecs mais, dans le doute, elle a pris sa fille à part pour la mettre en garde. » Inutile de dire que la précaution sera, comme toutes celles de cet ordre, parfaitement vaine. Je noterai le côté désuet, et non pas obsolète, démodé, vieille France, de ces dialogues. C'est le passeport des histoires les plus salaces, justement. La forme y est, le costume-cravate, et puis d'un coup ça déboule. Savez-vous que nous horrifions les étrangers, nous autres Français, toujours aussi réfractaires à l'américanisation sauce puritaine ?

    Quel que soit le milieu social en effet, fût-ce à une réception guindée d'ambassade, nous réservons toujours, à la fin du repas, un petit quart d'heure à Rabelais, où ces Messieurs, devant les Dames, le verre de champ' à la main, sortent des incongruités à faire s'évanouir Égyptiens, Canadiens ou Burkinabés… Une autre, une autre ! « Que dit-il ? demande le vieux, qui est sourd comme un pot. - Il dit qu'il a bien connu notre village ! répète le plus jeune. - Ya, ya » - bref, l'Allemand se révèle le cocufieur du vieux sourd pendant la guerre. Il a même fait des enfants à sa femme, sans doute… À propos d'enfants, rions de ce brave petit qui ne sait pas quoi écrire sous la rubrique « Nom des parents ».

    Il réfléchit longuement, puis écrit :

    « Papa et maman » ;

    Mais alors, chers amis, vous méprisez vos enfants ? Mais non mais non ! - quoique…

    « Oh là oui, mon petit Dugommeau. Tiens, soyez gentil, allez me chercher de l'aspirine à la pharmacie.

    - Si vous voulez, monsieur le directeur.

    HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 36

    Louis SIMON « À HURLER DE RIRE » 43 10 16

     

     

     

    Le meilleur remède contre le mal de tête, « c'est de faire l'amour avec ma femme » ; et l'interlocuteur demande : « Moi je veux bien, quand est-ce qu'elle est libre, votre femme ? » Quelle honte, mais quelle honte, le patron des patrons devrait porter plainte. Changeons de sujet :

    « Qu'est-ce que c''est que c'est que ça, des Panous-Panous ? *

    - Je ne sais pas très bien » - bon, ce sont des Noirs qui crient « Pas nous, pas nous ! » ...Faites gaffe de ne pas vous fourrer dans un procès avec Fodé Sylla, ni avec Giscard et les chasseurs « au gros ». Et puis, il y en a de très connes :

    « Je ne peux pas, fait la malheureuse en rougissant. Je n'oserai jamais les répéter en public…

    « Alors écrivez-les, dit le procureur. »

    Les paroles du violeur à la violée parviennent dans le jury, du moins au premier juré, qui refuse de les faire circuler sous prétexte que « c'est trop personnel ».

    ...Finalement, les blagues à répétition, c'est pas drôle, surtout que je fais exprès de ne pas les raconter bien. On s'arrête là, je vous souhaite de joyeuses noces, de beaux réveillons, de bonnes histoires bien grasses et bien subtiles. Vive l'humour, achetez ou volez À hurler de rire, 1001 histoires drôles, par Louis Simon et Catherine Bessonart.

     

    HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 36 bis

    COUTON « CORNEILLE » 2045 10 23

     

     

    J'en lis de drôles de livres, moi. Ne voilà-t-il pas que je me suis mis en tête pendant les vacances de reprendre un ouvrage édité dans la collection « Connaissance des Lettres' et intitulé, tout simplement, Corneille. C'est par un honorable universitaire inconnu par ailleurs, nommé Couton, sans « h », et relatant tout ce qu'il est possible de relater non pas tant sur la vie de Corneille, au sujet de laquelle il y a peu à raconter, que sur ses œuvres. Le tout sans élucubrations linguistiques, en langage accessible à tous, et parfaitement dépassé, en une époque, les années 60, où l'on ne se croyait pas déshonoré de publier des commentaires lisibles, sans jargon diafoirien, sans épate, sans images sur papier glacé accompagnées d'un texte creux, mais pour toutes les honnêtes gens désireuses tout simplement de s'instruire.

    La couverture est un guilloché camaïeu (« C'est quoi un guilloché camaïeu » ? - Ta gueule. ») bien gris, bien austère, en un temps répété-je où l'austérité garantissait le sérieux. Un texte chiant comme la pluie, qui se lit la tête dans les mains, sans fatigue, mais avec la satisfaction de se faire rafraîchir les connaissances tout en acquérant de nouvelles lumières. Une chose turlupine le bon monsieur Couton, comme elle turlupina tous les cornéliens, entendez les spécialistes de Corneille : le déclin d'icelui. Quand le roi lui rendit sa pension, le vieux Corneille proche de la misère l'était également du gâtisme, et ne se rendit plus compte de grand-chose. L'hypothèse fut éise qu'il avait trop usé de son cerveau pour élaborer maintes pièces de théâtre parmi les plus grandioses.

    Et justement, chacun se souvient du « Cid », de Cinna, d'Horace ; avec un peu de chance, on trouvera des amateurs de Polyeucte, peut-être même de Nicomède, ou de L'illusion comique. Et ce sera à peu près tout, puisqu'à présent certains enseignants criminels suppriment Corneille de leurs programmes. Trop ringard, et je te trouve des élèves de 1e qui n'ont jamais lu un vers de Corneille. Il est vrai – je ne rate jamais une occasion de taper sur l'analphabétisme – que la glorieuse classe de première L d'Andernos, fer de lance de la contestation actuelle, n'a pas été fichue dans l'itinéraire de manif qui nous a été confiée d'orthographier « Cours d'Albret » avec un « s », confondant sans doute les « cours » de Bordeaux avec des cours de récréation.

    Et voilà où mène la négligence de Corneille. Qu'est-ce que vous voulez que ça me foute, que ça intéresse les jeunes ou pas ? C'est à moi, professeur, de faire en sorte que ça les intéresse. J'avais fait tout un cours sur l'Horace de Corneille, en établissant un parallèle entre les théories du Vieil Horace et le fascisme, carrément. Ceux qui suppriment Corneille de leur programme sont des assassins de la culture. Les contemporains de Corneille l'avaient supprimé de leurs programmes HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 37

    COUTON « CORNEILLE » 2045 10 23

     

     

    théâtraux de son vivant. Ses pièces n'ont pas eu de succès, passé cinq ou six d'entre elles. Nous pouvons même dire que la réputation des unes fait de l'ombre à celle des autres. Elles ont été accusées de présenter des intrigues trop chargées, comme Rodogune ou Héraclius. Racine, de son côté, pousse l'ancêtre à la roue, autre raison de cette désaffection. Allez savoir pourquoi le public s'engoue de telles pièces plutôt que de telles autres. Le drame est que la Comédie française entérine ces jugements hâtifs selon Couton, ne mettant à son répertoire que les grosses machines, Cinna, Polyeucte, mais plus jamais Sertorius ou La mort de Pompée. Elle aurait pu sauver la totalité de la production du « bonhomme Corneille », elle ne l'a pas fait.

    Pourtant tous les amateurs s'y rueraient, vu l'aura que notre auteur répandrait de nos jours. Cette discussion sur le déclin de Pierre Corneille est décidément la bouteille à l'encre de tous les critiques, et l'un des grands ^mystères de l'histoire littéraire. Cet auteur aurait été, cependant, le précurseur du drame romantique, en une époque où nul n'était disposé à recevoir cette leçon d'avant-gardisme. On me permettra d'en douter. Il faut un talent fou à l'enseignant ou au metteur en scène désireux de ressusciter une pièce mal connue de Corneille. Un jour, un jeune comédien étant venu demander à l'auteur ce que voulait dire un de ses vers, Corneille demeura bien embarrassé, puis lui recommanda : « Jouez cela de la façon la plus majestueuse possible, et le spectateur en tirera le sens général ».

    ...Ou à peu près. Toujours est-il que l'auteur le plus connu et le plus admiré fut en fait le plus méconnu, toujours à « repêcher » par maints aspects restés dans l'ombre. Couton est également l'auteur d'une thèse disparue dans les archives de la poussière : Réalités dans « Le Cid », 1953. « Nous », dit-il, le « nous » de modestie, «avons dit ailleurs assez en détail » (que la pièce du « Cid », faussement espagnole, mettait en scène nombre d'aspect de la France du XVIIe siècle) «pour nous borner à rappeler ici quelques aspects. Elle évoque de façon rapide mais nette les mœurs encore très féodales de la France contemporaine, où les chefs des grandes maisons attiraient dans leur orbite toute une vassalité et prenaient de très larges initiatives politiques. Elle fait écho aux angoisses et aux joies patriotiques suscitées par la perte, puis par la reprise de Corbie ».

    Ça ne vous dit plus rien, Corbie. C'est une ville de la Somme, avec de beaux restes fortifiés, où les Espagnols, possesseurs des Pays-Bas, ont bien failli nous envahir. Or le Cid, Rodrigue, a bien lui aussi sauvé l'Espagne d'un retour offensif victorieux des Maures, entendez des Musulmans :

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    « ………………………………...Mais par un prompt renfort

    Nous nous vîmes cinq mille en arrivant au port,

    Tant,à nous voir marcher avec un tel visage,

    Les plus épouvantés reprenaient de courage ».

    Faudrait-il voir, dans Rodrigue, un équivalent lointain de la famille de Condé ? Or Pierre Corneille avait à cœur de respecter, autant que possible, malgré les applications contemporaines, les mœurs anciennes mises en scène par lui :

    « Il faut préciser. Respecter les mœurs consiste pour une part à laisser aux héros anciens les traits que l'histoire a transmis : rien qui puisse là étonner un moderne habitué aux scrupules, voire aux minuties historiques, par les Romantiques et les Parnassiens. Mais respecter les mœurs a aussi une autre signification, que notre sensibilité moderne trouverait [peu compatible]avec la précédente : ne pas choquer le public en lui présentant des usages trop différents des siens ; donc respecter les mœurs des spectateurs contemporains ».

    « En termes assez moroses, nous dit Couton à propos de l'échec de Pertharite, un Avis au lecteur annonça que le poète prenait un congé probablement définitif. » Même respecté, un public se lasse. Les générations se renouvellent, et les faveurs se portent ailleurs. A-t-on assez raillé Corneille pour ses avant-propos, ses avis aux lecteurs, où il se débattait pour justifier tout ce qu'on voulait, que la règle des trois unités ne fût respectée qu'en tirant les cheveux des perruques, ou quoi que ce fût, montrant un homme inquiet, soucieux de plaire sans pour autant déchoir, à la fois grincheux, rebelle et soumis, toujours à ruer dans les brancards de la tradition, en fondant une autre lui-même sans s'en douter.

    Au chapitre IX, Couton nous entretient de La retraite et [du] retour au théâtre, de « L'imitation » à Sophonisbe (1652-1663). Car notre auteur, on l'ignore, traduisit L'imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, livre que je recommande à tous ceux qui veulent définitivement se saborder le moral, prouvant bien le degré de résignation grandiose et hautaine où Corneille était parvenu. C'est encore une partie de son œuvre que Couton, décidément admirateur sans condition, voudrait voir remise à l'honneur. La vie de Corneille, peu encombrée d'épisodes hauts en couleurs, fut toute intérieure, sans doute riche en exaltations religieuses. Il écrit en effet :

    « Les dévotions ordinaires de la semaine sainte et les embarras où je suis maintenant comme marguillier de ma paroisse » - tiens, la citation s'interrompt – il écrivait en ces termes au HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 40

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    R[évérend] P[ère] Boulart, c'est classé dans le livre X, paragraphe 458 je suppose de cet échange épistolaire enfoui. « Ainsi parla Cléanthe et ses maux se passèrent... », écrit l'auteur dans son œuvre Àmarquise ! Vous savez bien que Corneille fut amoureux d'une « marquise » de 26 ans, alors qu'il en avait plus du double… Dieu m'épargne cette épreuve ! Il est vrai que je n'avais plus jamais été amoureux depuis mon mariage… L'extrait que nous allons vous lire vient de Suréna :

    « Je veux qu'un noir chagrin à pas lents me consume,

    «  Qu'il me fasse à longs traits boire mon amertume ;

    «  Je veux, sans que la mort ose me secourir,

    « Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir ».

    On n'étudie plus, on ne met plus en scène Suréna, bande de barbares ! ça vous a tout de même une autre gueule que Florent Pagny ! Acte I scène 3, vers 265 à 269 – qui a dit que Corneille ne se confiait pas dans ses vers ? Et Couton de conclure :

    « Le poète arrive, avec ces sentiments et ces musiques, à la limite où le tragique se dissout dans l'élégiaque ». Mais « élégiaque », Corneille, ah, jamais ! car ce n'est pas d'aujourd'hui que nos critiques et le bon goût imposent aux auteurs nos étiquettes : tragique tu es, tragique tu resteras. Souhaitons que l'on reprenne, à Paris ou en Province, l'une ou l'autre des fameuses pièces de Corneille, qui nous firent vibrer, ou pourquoi pas, l'une de ces perles enganguées dans les sédiments de l'oubli. Amis cornéliens, bonsoir.

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    HUXLEY « LE MEILLEUR DES MONDES »

     

     

     

    1.  

    Ce n'est que la semaine prochaine peut-être que nous vous parlerons des Particules élémentaires de Houellebecq, dévoré par nous. Cependant, puisqu'en un de ses chapitres l'auteur de ce goncourable émet par un de ses personnages quelques opinions sur Le meilleur des mondes de Huxley, c'est de ce dernier ouvrage que nous aimerions vous entretenir. Vous me direz qu'on ne présente plus Le meilleur des mondes. Si. Du moins, on le revisite. Le personnage de Houellebecque affirme que Huxley, en fait, approuvait cette course de l'humanité vers l'eugénisation et l'euthanasie. Entendez par là qu'on fait en sorte que chacun naisse, en dehors du sein maternel ce qui libère la femme des épreuves de la grossesse, en accord avec sa destinée : vous avez tous en tête, bande d'analphabètes, ces hallucinantes séquences où l'on conditionne d'abord in vitro, ou plutôt in bocalo, les futurs mineurs (par exemple) à supporter les fortes chaleurs de dessous terre.

    Puis on leur apprend à haïr les fleurs en leur envoyant des décharges électriques sitôt qu'ils s'en, approchent. Cela fait même partie des morceaux choisis. Et ce n'est pas si terrible, après tout : comme le fait dire Maurice Druon à l'un de ses personnages historiques, le bonheur n'est-il pas la parfaite adéquation des individus à leur destinée ? Quant à l'euthanasie, elle s'applique sans heurts majeurs : les personnes étant aussi fraîches et fringantes à 60 ans qu'à 20 décident de se supprimer sans douleur dès qu'elles ne sont plus productives. Les décès ont lieu dans la douceur, avec gaz parfumé, paysage adapté aux vœux de chacun (ce qui est contradictoire, puisque les humains, fabriqués à la chaîne, devraient avoir des réactions stéréotypées), les enfants sont entraînés à jouer dans les hôpitaux de moribonds, afin de ne pas avoir peur de la déchéance ni de la mort Mieux encore diront les hédonistes (haha, les analphabètes, je vous y prends à plonger dans vos dictionnaires), les femmes doivent se donner à quiconque le leur demande, cela fait partie de leurs bonnes manières, et même de leur honneur. Et rien que pour cela, je voudrais vivre dans ce monde, où l'on a enfin

    HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

    HUXLEY «  LE MEILLEUR DES MONDES » 42

    1.  

    2.  

    compris que la frustration sexuelle était la pire souffrance, pire, la plus intolérable limitation pour un être humain. Oui, c'est bien vers ce paradis-là que nous aimerions tous voguer, que nous font cingler à pleines voiles tous les artisans de nos progrès médicaux, ayant inventé la pilule, la liberté sexuelle de mon cul et autres fariboles. Comme disent les curés, heureusement que le sida est venu sur ordre de Notre-Seigneur pour mettre un peu d'ordre dans tout cela. Pas de sida dans Le meilleur des mondes, où tous jouissent d'une santé parfaite, surtout morale, les petit cachets de bien-être étant généreusement distribués parmi la population pour qu'on ne se pose jamais de questions : une petite interrogation métaphysique douloureuse, et hop! avec dix centigrammes, efface dix sentiments, ou quelque chose du genre.

    Eh bien, réfléchissons : il existe sur la planète Terre telle que la remodèle Aldous Huxley une espèce de réserve indienne où furent abandonnés à leur triste sort certaines populations , qui ne valaient pas la peine d'être sauvées, des Indiens des Rocheuses précisément. Puisque vous vous souvenez de tout, vous n'ignorez pas qu'une femme a été envoyée en exil dans ces sauvages contrées avec le fils de je ne sais plus quel directeur très, très haut placé, qui voulait dissimuler cette faute répugnante, avoir mis une femme enceinte, alors qu'on peut faire ça dans des bocaux hermétiques. Si Aldous Huxley avait voulu vraiment faire une satire de la science déshumanisante, productrice de clones, de personnes dépersonnalisées, aux comportements désespérément stéréotypés, il nous aurait montré cette réserve amérindienne sous le meilleur jour écologique, mot peu employé avant guerre.

    Tous auraient vécu heureux dans la portée naturelle, à la Rousseau. Pas du tout. La femme exilée regrette cuisamment sa vie passée dans le paradis d'où elle fut expulsée, elle communique ce regret à son fils qui n'a jamais connu « le meilleur des mondes ». Les populations de ces contrées déshéritées vivent dans la faim, la maladie, le rudimentaire de confort, les mouches, le manque donc d'hygiène et de moindre confort médical. Cependant, le fils a lu Shakespeare, éprouve des sentiments d'amour, de haine, vit à l'intérieur de son âme comme on aurait pu vivre et sentir au XVIIe siècle. Vous savez tous que ce fils ne pourra supporter la vie aseptisée, les comportements mécaniques des êtres nouvellement créés.

    Il essayera de les soulever contre leur propre confort, mais ils ne supportent même plus l'esclavage technique où ils sont tombés, et finissent par provoquer sa mort. Cela, vous le savez, ou vous faites semblant, car moi aussi j'avais lu cela vers mes vingt ans, et je l'avais bel et bien oublié, HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

    HUXLEY «  LE MEILLEUR DES MONDES » 43

     

     

    mêlant à ces épisodes d'autres chapitres tirés de « Quatre-vingt quatre » d'Orwell, que je n'ai jamais fini, celui-là. Cependant, le personnage d'Houellebecque exagère : il est visible que Huxley n'affectionne pas particulièrement le monde robotisé où il a plongé ses héros. Il est certain qu'il fait sien l'adage « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». C'est le même lieu commun que les professeurs ont toutes les peines du monde à orner pour leurs potaches. Mais j'aimerais à mon tour aller plus loin que ces lieux communs. Ce qui m'a frappé moi, et douloureusement, c'est cette glissade fort bien vue par Huxley des cerveaux pensants vers d'atroces préjugés : on a supprimé Dieu et Shakespeare parce que c'était vieux.

    C'est tout à fait cela. C'est moderne. C'est tout à fait dans le vent coco, ainsi que me l'affirmait une de mes charmantes et primesautières élèves, « si le prince Sigismond avait regardé les arbres, les feuilles et les petits oiseaux, il ne se serait pas pris la tête avec des questions sans réponse, comme qui suis-je, où vais-je et dans quel état j'erre. C'est beau la jeunesse ; nous sommes toujours effrayés de voir des jeunes aux meetings de Le Pen. La connerie ça repousse, mon pote, à chaque génération il faut faire le ménage, c'est à désespérer de l'évolution. Je retrouve en tout cas dans Le meilleur des mondes, et fustigés j'espère, les imbécillités de ceux qui prétendent qu'il ne faut apprendre que ce qui est immédiatement utile, toujours créer de nouveaux besoins chez les consommateurs en ne fabriquant que des produits très chers.

    Et c'est cela qui m'effraie, cette montée des crétins qui veulent éliminer de l'école tout ce qui n'est pas utile – c'est quoi, « utile » ? - certainement pas le grec ou l'histoire de l'art, certainement pas le japonais, qu'est-ce que j'en ai à foutre d'apprendre le japonais ou le polonais, du moment qu'il y a ce satané anglais de mes couilles, of my balls. Je crois que j'aurais intérêt à revenir au texte, avant de dire des conneries – trop tard… C'est le bon vieil exemplaire double 346/347 du Livre de poche, au temps où cette appellation signifiait quelque chose. Et il me dit, ce vieil exemplaire, page 47 :

    « Il fut couvert de confusion.

    - Plus la caste est basse, dit Mr Foster, moins on donne d'oxygène. Le premier organe affecté, c'est le cerveau ».

    Il s'agit bien évidemment de la première séquence si impressionnante et si ingénieusement présentée, où les étudiants parcourent toute l'usine de fabrication de générations. De nos jours, nous trouvons tout cela bien barbare, mais nos tripoteurs de gènes sauront bien manipuler HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

    HUXLEY «  LE MEILLEUR DES MONDES » 44

     

     

    nos codes génétiques de façon moins artisanale, moins sale et tout à fait clandestine. Page 94, voyons les mystères de l'ectogénèse :

    «  - Mais les gouvernements daignèrent-ils y jeter un regard ? Non. Il y avait quelque chose qui s'appelait le Christianisme. »

    Froid dans le dos, mon Pape ? « quelque chose qui s'appelait le Christianisme » ! Ça oui j'aimerais bien le voir disparaître. Toujours au premier rang du rétrograde, le christianisme, ça c'est sûr. Contre l'accouchement sans douleur. « Tu enfanteras dans la douleur », c'est dans la Bible. Et vous pouvez être sûrs que de même qu'ils sont contre le PACS, de même ils seront, et avec eux tous les timorés, tous les bénisseurs du passé révolu, seront également contre la suppression de la grossesse. Ces opinions n'engagent que moi, mais j'aimerais tant qu'on en finisse une fois pour toutes avec cette fameuse condition humaine intouchable et si horrible, et qu'on prolonge la vie jusqu'à supprimer la mort.

    Merde alors. Ça supprimerait tout, d'ailleurs, la religion, la littérature… Je réfléchirai encore un peu. Je vais m'avaler un peu de soma, par exemple : c'est cette drogue qui rend la vie meilleure dans Le meilleur des mondes : « Cette seconde dose de soma avalée une demi-heure avant la fermeture avait élevé un mur tout à fait impénétrable entre l'univers réel et leur esprit. C'est en flacon qu'ils traversèrent la rue ; en flacon qu'ils prirent l'ascenseur pour monter à la chambre de Henry au vingt-huitième étage. Et cependant, toute enfermée en flacon qu'elle fût, et en dépit de ce second gramme de soma, Lenina n'oublia pas de prendre toutes les précautions anticonceptionnelles prescrites par les règlements. »

    Il y a déjà en effet dans des instituts américains des patients qui se gavent de gélules prolongeant la vie – en fusillant leur estomac probablement ? La drogue légale ! quel tabac mon frère ! mieux que le PACS ! ...Ce taf géant ! et la baise sans risque en prime ! ah que c'est ambigu… C'est plein de nanas qui ne demandent qu'à baiser, le rêve ! mais elles sont cons – le désastre. L'une d'elles assiste à un mariage, cérémonie répugnante se déroulant dans la réserve amérindienne :

    « C'est fini, dit le vieux Mitsima d'une voix forte. Ils sont mariés.

    - Eh bien, dit Linda, tandis qu'ils s'éloignaient, tout ce que je puis dire, moi, c'est qu'ils semblent faire bien des manières pour fort peu de chose. »

    Oui mes chers, dans Le meilleur des mondes, il n'y a plus de sentiments, la complexité HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

    HUXLEY «  LE MEILLEUR DES MONDES » 45

     

     

     

    des âmes humaines a disparu, on baise comme on respire, dommage seulement que l'amour se soit fait la malle. Mis à part que l'une de ces femmes semble éprouver des désirs (les femmes appellent ça « de l'amour ») pour ce fameux sauvage revenu dans le paradis de la pilule :

    « Et cependant, à un point de vue, avait-elle avoué à Fanny, j'éprouve la sensation d'obtenir quelque chose par abus de confiance. Parce que, naturellement, la première chose qu'ils désirent tous savoir, c'est ce qu'on ressent à faire l'amour avec un sauvage. Et je suis obligée de dire que je n'en sais rien. »

    Ce sauvage emploie telles quelles des expressions tirées de Shakespeare, King Lear IV, 6, Othello IV, 2, tout en se montrant fort brutal : « Ouvres ! commanda-t-il en donnant un coup de pied dans la porte » (Le meilleur des mondes, p. 331). Il ignore ce que veut dire le mot « Science ». « Mais ce qu'il signifiait au juste, John n'eût pas su le dire. Shakespeare et les vieillards du pueblo n'avaient jamais fait mention de la science, et de Linda il n'avait reçu que les indications les plus vague : la science, c'est quelque chose dont on fait les hélicoptères, quelque chose qui fait que l'on se moque des Danses du Blé, quelque chose qui vous empêche d'avoir des rides et de perdre vos dents. Il fit un effort désespéré pour saisir ce que voulait dire l'Administrateur. »

    Enfin John le Sauvage mourra dans la déchéance. Il est filmé malgré lui dans sa retraite, avec ses rites antédiluvien, et voilà le résultat :

    « L'après-midi qui en suivit la représentation en public, la solitude rustique de John fut soudain violée par l'arrivée, dans les airs, de tout un gros essaim d'hélicoptères.

    « Il bêchait son jardin, il bêchait également son esprit, ramenant laborieusement à la surface la substance de ses pensées. La mort – et il enfonçait soudain sa bêche, puis de nouveau – encore. »

    Après avoir donc redécouvert que la grandeur de l'homme vient de son imperfection, de sa condition de mortel, nous allons refermer ce livre où règne impitoyablement la loi du groupe, car « il n'est pas bon que l'homme soit seul » dit la Bible qu'on a pourtant éliminée de ce monde-là comme un livre obscène, ou comme le disait le curé de Vayres le jour de la messe de la Saint-Hubert », saint Hubert aimait la solitude, ah c'est pas bien, ça... »

    Tas de tarés, je retourne dans ma bauge. Sans rancune, ave, à tout à l'heure pour le feuilleton, j'adore les fausses sorties…

     

    HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

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    D'un château l'autre de Céline à La clé des ondes ? Qu'est-ce à dire ? Invasion de fachos à la radio littéraire de Bordeaux ? Que nenni. L'amour de Céline n'a rien à voir avec le nazisme rampant. Ce mauvais procès à celui qui a bouleversé la littérature avant et après la guerre me gonfle les testicules depuis belle lurette. Nous allons vous citer pour mémoire quelques petites phrases bien corsées qui vous prouveront que bien des écrivains sont des salauds. À tout seigneur tout honneur, commençons par Flaubert : 30 000 fusillés sous la Commune ? « On aurait bien dû » nous dit Flaubert « en fusiller deux fois plus ». À la trappe Flaubert. Émeute pour émeute, qui est-ce qui a chargé avec les gardes nationaux contre les barricades de juin 1848 ?

    Victor Hugo. À bas Hugo, qui a traité certains ministres de Napoléon III de sales juifs, ou c'est tout comme. Aux chiottes Hugo. Au chiottes aussi Walter Scott, l'auteur d'Ivanhoé : rien n'y manque. Le juif cupide, lâche, et sa fille très belle mais diabolique, cédant pour finir la place à une jeune fills bien blonde – dans le cœur du héros. Nous devrions pouvoir aussi dégommer ce saligaud de Shakespeare, qui a mis sur scène le juif Shylock, prince des orduriers. Et ce n'est pas tout : Villon, le grand Villon, a tué un prêtre. Il est vrai que le saint homme et lui-même s'étaient passablement bourrés, voire imbibés. N'importe, Môssieu : on ne tue pas un prêtre. Pendez Villon. Je continue : Vigny (Alfred de), a dénonce un prêtre pour avoir participé à Dieu sait quelle manifestation interdite, afin de toucher ses bénéfices ecclésiastiques à sa place. Le curé, déporté à Cayenne ou à Nouméa, crève dans l'année. Bravo Vigny, apôtre de la morale spartiate et de la rigueur vertueuse. Le jeu de massacre bat son plein : Hölderlin, le doux Hölderlin, à propos de la contagion possible de la Révolution française dans les campagnes souabes, dit en toutes lettres qu'il espère bien que si les paysans deviennent insolents, quelqu'un saura bien les mater, les remettre à leur place. Dégommez Hölderlin. Citons Balzac : « La femme est un être inférieur, parce qu'elle cède à ses passions ».

    Enculez Balzac. Villon, Flaubert, toute la llittérature. N'est-il pas curieux, voire inadmissible, que le Bourgeois Gentilhomme s'appelle Monsieur Jourdain ? Le pompon revient à Voltaire : « Les juifs sont la race la plus méprisable et la plus exécrable qui ait jamais infesté la terre », c'est dans son Dictionnaire philosophique. « Oui mais, du temps de Céline, on savait ». D'une part, ça se discute. D'autre part, croyez-vous qu'au temps de Voltaire ou de Shakespeare on ignorait que les juifs étaient persécutés, livrés aux massacres plus tard appelés « pogroms » ? et puisqu'il faut aller par là, comment se fait-il que De Gaulle, dans ses Mémoires, ne parle presque la HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

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    jamais des juifs, et se concentre, ce qui n'est déjà pas mal, sur l'expulsion des envahisseurs du sol français ? Comment se fait-il que les services d'espionnage anglais aient déjà su, dans un « livre blanc » dont Chamberlain eut connaissance en 1938, que les nazis avaient ouvert des camps de concentration pour opposants, et qu'on y pratiquait, je cite, des « traitements dégradants », sans la moindre protestation diplomatique ? Sans parler du Vatican, l'État le mieux informé du monde, qui a bien dû savoir cela aussi. Pourquoi personne n'a-t-il manifesté son écœurement devant le fait que non seulement les Résistants n'ont jamais reçu l'ordre de neutraliser un seul petit minuscule convoi de déportés, qu'ils n'en aient jamais pris l'initiative, ordres reçus ou pas, mais que le fameux personnel de la SNCF ne se soit décider à laver l'honneur qu'en toute fin de partie ?

    Voilà bien en effet la meilleure : ils ont conduit eux-mêmes les convois de juifs dans des conditions épouvantables, au moins jusqu'à la frontière, et à la fin des fins, viennent plastronner en arguant qu'il étaient résistants ? Combien de transports en wagons plombés leur a-t-il suffi pour se dire « Bon, ça suffit, je change de bord ? » - moi,je me serais chié de trouille dans ma culotte, je suis tout juste bon à dégoiser dans un micro. Un sans-couilles je suis, un veule, un fielleux, un sac à diarrhée, je n'ai pas les nerfs ni le sang-froid, le sang reptilien de Papon. Mais je ne vais pas plastronner sous une batterie de médailles. Et c'est ce genre d'attitude que dénonce Louis-Ferdinant Céline, bouc émissaire.

    Tous les châtrés tondeurs de femmes sont allés lui piller, lui saccager sa maison lorsqu'il était en fuite à Sigmaringen. Et s'il a pris la fuite, c'est qu'il valait mieux se mettre à l'abri au moment de la Libération, par les résistants de la 25e heure. D'un château l'autre est une poche à fiel, une poche à pus qui crève. Ça se passe à Sigmaringen avec le vieux croûton Pétain, et toute une armada de crétins plus fous les uns que les autres. Tout le monde se prend au sérieux, s'imagine investi des plus hautes fonctions, « dans une ambiance de fin de règne » comme on dit à Paris-Match. Il y en a même un qui scrute le cours du Danube à la jumelle par peur de voir des flottilles envahissantes le remonter.

    Tout le monde est lâche, ridicule, Céline y compris, qui donne du « oui chef bien chef » à tout ce qui remue. Nous visitons l'Enfer de Dante, les chiottes se bouchent périodiquement, l'hôtel déborde de merde et de parasites, avec recoins et radicoins, des renfoncements où seuls la femme et le chat Bébert s'y retrouvent. Un faux médecin veut arracher l'œil d'un client qu'il maintient sur le billard de toute la force de son genou, des comédiennes rescapées du courageux bombardement de HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

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    Dresde se branlent mutuellement les quatre jambes dans la merde en fuite sur la palier sous les applaudissement de la foule en délire. Épique. Dérisoire. On ne s'ennuie pas. Corruption et passe-droits à tous les étages. Et la fuite organisée. Les rails qui sautent. Bakchichs et passages à tabac. Les mégalomanies. Céline qui se garde sa petite ampoule perso de cyanure « au cas où ». Impossible de disserter sur D'un château l'autre. Ce sont plutôt des visions qui me reviennent. Des renvois. Des nuages accélérés dans le ciel de « Paris-Première ». Le style, le fameux style, parfaitement conscient et retravaillé jusqu'à lui donner la saveur du parler, mais du faux-parler.

    Le parler tel qu'on se le figure dans la tête quand on lit, la pecquenauderie vue par les Parisien. Parce qu'essayez voir de les prononcer à haute voix, les phrase de Céline : bernique. Ça ne passe pas. Ce n'est pas « du style de bébé », comme disait Simonin. Mais des phrases décousues, elliptiques, ultraréférencées à la culture générale, aux phrases précédentes, allusions d'allusions. Des grognements. Des modulations du présent, l'instant où il écrit, au passé. Tout cela formant un inimaginable assemblage de lambeaux, de haillons, à l'image de l'effondrement de toutes les consciences dont Céline est partie prenante, avec le seul souci, pas héroïque du tout, de sauver sa peau.

    Et ce style, justement, si mal imité après lui, qu'on aurait voulu éliminer, comme un grand-oncle gênant, n'est plus rien chez ses épigones, parce qu'ils n'ont pas la débâcle aux fesses, débâcle de tout le ciment des sociétés, voire de ce qu'une mauvaise habitude métaphysique s'obstine à nommer « l'âme humaine ». S'il y a encore des hommes dans 200 ans, « l'éternité à la mesure humaine » dit Lampedusa, toutes passions affadies par le temps, combien ne béniront-ils pas Céline d'avoir arraché à l'histoire ces visions apocalyptiques. Je sauve Céline par la vigueur du témoignage, l'honnêteté vinaigrée de l'autodérision, le pîtoyable hululement qu'il pousse sur lui-même sans doute, mais que je reconnais au tréfonds de ma petite âme de lapin féroce.

    Au fin fond de vos petites cervelles paralysées et trépignantes, qui se prennent pour des héroïnes parce qu'elles ont eu l'audace de ne pas aller soulever les couvercles de ces sacs à merde, les hommes. Et Céline se paie le luxe de ne pas mépriser l'humanité. Il donne raison à tout le monde, il se vante d'être lâche, souvenez-vous de son premier contact avec le feu en 1914 (Voyage au bout de la nuit). Or, mes frères, la couverture est de Tardi, et représente, en collection Folio, une immense ombre hugolienne, celle du château baroque de Sigmaringen, au pied duquel je fus interrogés par les flics en 70, tandis qu'en bas de page, la queue droite, médite le chat Bébert, seule HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

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    silhouette humaine. Céline à présent vous parle. De monsieur Mollet, Guy :

    « Mollet ?...ils savent pas !… ils causent… j'irai moi, me finir dans le jardin… là !… il est grand… plutôt dans la cave ?… la cave aussi est bien propice… la chatte va y faire ses petits… régulièrement… Lili l'aide, la masse… moi, personne m'aidera… Lili aura pas d'ennuis… tout se sera passé régulièrement… le Parquet viendra constater… cause du suicide ?… neurasthanie… je laisserai une lettre au Procureur et une petite somme à Lili… demi-tour par principe !... »

    Pas compris grand-chose ? ça ne fait rien ! vous avez haleté ! a-t-on tout dit sur les points de suspension d'asthmatique, au bord de l'agonie !… qui vous empoignent par la gorge ! il ne faut pas s'arrêter quand on lit Céline – point commun avec Proust, avec la bicyclette et les pédales : tu t'arrêtes tu tombes ! et chez Céline, c'est dans le crade que tu tombes… Tiens : Céline, médecin, vous parle d'une Mme Niçois qui crève d'un cancer, plus tard, après la guerre, dans un mélange d'époques. Tantôt en 59, tantôt en 44 – c'était tout proche, comme à présent serait 83, vous pouvez vous rendre compte ? Et si la guerre ne remontait qu'en 1983 ? (2030 n.s.) Vous en avez des frissons non ?

    Alors Mme Niçois, et son médecin, qui s'appelle Louis-Ferdinant Destouches, ne pas confondre :

    « Mme Niçois était tel cas… son mal évoluait très lentement… une forme des vieillards… en plus, une forme pas nette du tout… envahissante, certes… et saignante… oh ! des précautions à traiter ! à accompagner, ainsi dire... gaze par gaze… pansements de finesses !… et le moins possible de morphine… cependant de jamais aller mieux et de toujours saigner un petit peu… « Docteur ! Docteur ! enlevez-moi ça !… Oh ! Madame Niçois, non ! ...voyons !... »

    Mais c'est qu'il nous ferait de l'humour dans la charogne cancéreuse ce Céline, et dans la tendresse humaine encore ! ça ne devrait pas être permis ! aux chiottes Céline ! qu'il a purgé de la prison à Copenhague, et qu’ils auraient dû l’achever ! Je cite - et Céline anticipe, n’allez pas croire que la chronologie soit sont fort, l’Amaury - pas du tout, pas du tout :

    « Que si c’est tout si perfectionné, si mirobolo-sanitaire, Copenhague Danemark que c’est à se foutre le cul en mille… croyez pas un mot ! ...la condition du monde entier !;.. c’est-à-dire… c’est-à-dire : les femmes de ménage qui font tout ! ...responsables de tout et partout ! dans les ministères, dans les restaurants, dans les partis politiques, dans les hôpitaux ! Les femmes de ménage qui ont le mot ! ...vous retournent un dossier, un article, un secret d’État, comme un

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    CÉLINE « D'UN CHÂTEAU L'AUTRE » 45 12 11 50

     

     

     

    agonique !… le monde dort… jamais la femme de ménage ! ...termites ! termites !… le matin vous trouvez plus rien !… votre agonique est en boîte !…

    « Yorick ! Pas d’alas ! s’ils peuvent hurler !… s’ils peuvent attendre !… morphine !… sondages ! là ! Là ! Moi qu’était le « vigilant » de service !… le samaritain à la sonnette ! … le dernier soupir ? glinn ! glinn ! envoyez ! un de moins !… l’Erna… l’Ingrid… m’arrivaient… bâillantes… roulaient le mec hors… je dis, je parle pas du tout en l’air… Sonbye Hospital, chef de service Professeur Gram… fin clinicien !… subtil, sensible… oh, il n’a jamais dit un mot ! on ne parle pas aux prisonniers !… j’étais moi aussi, en traitement… je partais, moi aussi, en lambeaux... »

    Et ça continue ! Roulez petits bolides ! D’un château l’autre de Céline, Folio776, bonne lecture…

     

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    HOUELLEBECQ ‘LES PARTICULES ÉLÉMENTAIRES » 45 12 18

     

     

     

    (…) d’une psychologie archi-usée depuis Paul Bourget. Ces effets sont de grosses ficelles, mais au moins ça décape. Même si l’on s’en rend compte, ça fonctionne terrible. Et c’est triste, certes, désespérant, l’amour est condamné, et n’est rien d’autre que du sexe, mais c’est bien cela que je ressens en tout cas comme réel. Mais si les bien-pensants sont contre, ce doit être bon. Leurs bandeaux à l’eau de rose, on en a marre. Je n’en ai rien à foutre de délivrer un message optimiste aux braves gens, il y a les Lagaf pour ça ; d’ailleurs, l’inspiration, n’en déplaise aux fabricateurs d’ouvrages à la chaîne (pour plaire, « yaka » faire ci, « yaka » faire ça »), on ne la commande pas.

    Si Anne Jalevski n’arrive qu’à peindre des tableaux lugubres et inquiétants, c’est qu’elle sent du lugubre et de l’inquiétant en elle, point à la ligne. « Vous ne pouvez pas écrire quelque chose de plus gai ? » - eh bien non, il ne peut pas. « Vous voulez vous donner un genre ? » - non Ducon, c’est venu comme ça. Houellebecq, ce n’est pas pour les petits fragiles qui se voilent la face devant la quique à Clinton, avec les doigts écartés. C’est pour les lucides, dont nous sommes tous, n’est-ce pas es braves. Et que nous dit-il sur l’état de nature, si extraordinaire paraît-il, notre Houellebecq ? la même chose que Buzzati : l’état de nature est de la merde, dont nous devons nos éloigner le plus possible : la preuve, nous nous habillons le cul et nous prenons l’avion :

    « Il suivait cependant, le cœur serré, la diffusion hebdomadaire de La vie des animaux. Les gazelles et les daims, mammifères graciles, passaient leurs journées dans la terreur, les lions et les panthères vivaient dans un

     

     

     

     

    Jacques,Ménilmontant,bourse

    (…faire tout ce que nous voulions, il suffisait de le vouloir : le chômeur devenait millionnaire avec sa volonté, le paralytique prenait son billet d’avion pour New York avec de la volonté, le mec se tapait toutes les femmes avec de la volonté. Bref il fallait être le dernier des minables, la dernière des sous-merdes pour ne pas tirer le meilleur parti possible de toute situation, quelque paralysante qu’elle fût. Ta femme t’emmerdait ? t’avais qu’à divorcer. Ton métier te faisait chier ? t’avais qu’à démissionner. La situation politique te révoltait ? t’avais qu’à monter sur un tonneau et faire ta révolution tout seul, avec la presse autour, et toute ta cour. Sartre ? Le roi du « y’a qu’à ».

    Et gare à toi si tu n’es pas à la hauteur : tu es coupable, coupable, on te dit, responsable et coupable. Le libre exercice de la volonté libère les forts, les argentés, les libres, ceux qui aiment l’action collective, pas les grincheux. Allez hop ! place aux amoureux des chambrées et de l’odeur des pieds ! hop-hop ! On va être libre coco, tous engsemble tous engsemblecong,ouaiaiais ! Toil à tu préfères être tout seul? tu es un petit bourgeois connard antirévolutionnaire, un anticommuniste, un minable, un chien. Hop-hop ! Pas de pitié pour les faibles. J’y suis bien arrivé, pourquoi pas vous ? parce que je ne suis pas vous, Jean-Paul. Parce que je pense, parce que j’ai une femme et des enfants à ne pas blesser, parce que je ne peux pas retrouver du boulot d’un claquement de doigts, parce que j’ai un flic, des complexes, dans la tête et qu’on ne s’en débarrasse pas comme ça, hop-hop, d’un coup de liberté magique !

    Alors, comme un tel système philosophique ne tient pas debout, on l’enrobe de tout un jargon pseudofreudien bien qu’on dénie, évidemment ! toute importance à la psychanalyse, on s’égare dans les labyrinthes de l’ « en soi » et du « pour soi », on étale tant bien que mal ses thèses de bric et de broc, on se contredit, on multiplie les distinguo, les « c’est-pas-la-même-chose », « tu confonds tout » et autres formules bien culpabilisantes, si bien que le pauvre pékin de lecteur, terrorisé dans son insignifiance, tombe pieds et poings liés aux pieds du Grand-Maître. Nous en avons tous connu des comme ça, par paquets de dix, épinglés par Camus dans La chute, des Clamence, prêts à morigéner les autres du haut de sa suffisance.

    Et à présent, hop-hop, je retourne ma veste : Sartre est grand et je n’y comprends rien. Nous avons trouvé dans un récent Charlie-Hebdo une interview de Mesguich où il règle leur compte

    aux « ignorants-méprisants » - ce sont les mêmes : à présent, dit-il en substance, les cons prétendent que du moment qu’ils ne comprennent rien, c’est parfaitement idiot. Alors qu’ils devraient se dire HARDT VANDEKÉ-ËN LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES”

    JEANSON « SARTRE PAR LUI-MÊME 45 12 25

     

     

     

    humblement « Je ne comprends rien et je vais essayer de comprendre ». C’est ainsi que je devrais réagir face à l’immense Sartre, qui m’a fasciné, qui m’a façonné en son temps comme tant d’autres. Il m’a plongé dans l’espoir, en me prouvant que je pouvais quelque chose à mes malheurs, et je ne lui pardonne pas de m’avoir laissé  dans ma merde quand ma volonté a fini par craquer, quand je me suis laissé – confortablement n’est-ce pas – dans les liens gluants et arachnéens de mille et mille Lilliputiens. On me dit : « Qui es-tu pour t’attaquer à Sartre ? » Je réponds « Collignon, comme le cocher, trente ans de boulot, qui n’a pas eu la chance de rencontrer un sponsor riche, pédé, parisien, mafieux pour faire tout le battage à sa place, et je ne vaux pas moins que vous. Bref un type puant. Et savez-vous ce qu’on va faire ? au lieu de (...)

    Voir cassette Jeanson dans la maisonnette 66 10 06

     

     

     

  • KHYRRS ET TZAGHÎRS

    COLLIGNON KHYRS ET TZAGHÎRS

     

    1. La stèle

     

    Ici le fleuve entaille la falaise. Six cents doghs de dénivelé. Au sommet, la ligne des arbres – en bas, la trouée du rapide et son ravage de troncs. L’eau fume jusqu’aux premières savanes sous la pente : c’est là, au bout de la dernière piste, que se devine sous les herbes la stèle d’Alloum-Khéfi.

    « Lis ce qui est écrit !

    - Comment serait-ce possible, ô Badjar, à celui que tu as privé de la vue ?

    - C’est juste.Qu’on l’achève.

    Un esclave pousse le Blanc, qui tombe à quatre pattes et reçoit sur la nuque le froid tranchant du ssûtak ; un autre entraîne le corps et la tête hors de la piste, à portée de hyènes.

    « Blanc, lis-nous le texte de la stèle.

    - De la dixième année de mon très glorieux Règne

    « Quiconque, homme ou femme, de peau noire, ayant franchi la borne du Royaume

    «  Sera sur-le-champ exécuté ».

    Un vaste éclat de rire secoue les Suivants sur leurs méharis, et gagne la colonne des guerriers sur toute sa longueur. Le prisonnier halète. Le ssûtak recourbé s’élève sur sa tête, mais le Badjar fait un geste condescendant : « Laissez-lui la vie ». L’homme est tiré en arrière par la corde qui lie ses poignets. Le Badjar tend le bras vers la stèle. Aussitôt dix guerriers s’arc-boutent à sa base et s’écartent d’un bond quand la pierre s’abat dans un creux d’eau sous les herbes, avec le bruit lourd d’un hippopotame touché à mort.

    Alors une clameur remonte la colonne jusqu’aux lisières de forêts, et plus loin, où l’on n’a rien vu. Le Badjar a levé trois fois le ludabeth, sa lance-d’appui, qui descend jusqu’au sol le long de sa monture, et rythme la marche vers le nord : Hy-bâ !

    Hy-bâ ! crient les flancs-gardes.

    Le Badjar marche en tête sur son méhari. Ses lèvres sont bleues. Son crâne aux tempes poncées porte une crête rousse de la nuque au front. De sa ceinture partent huit longues étoles rouges, tendus en étoiles par huit esclaves à pied, aux lèvres bleues, le torse nu. Ainsi maintenu à mi-corps, il avance avec majesté, comme une rutilante mygale.

    Les tendeurs d’étoles trébuchent sur les longues-herbes, prenant soin de toujours garder le tissu soigneusement tiré. Leurs traits et leurs muscles luisent. Sous la taille écartelée par les écharpes tendues à se rompre, un pantalon bouffant d’étoffe blanche à crevés rouges. Les pieds sont nus. Derrière l’imposante pyramide formée par le Badjar et ses étoliers, les treize fouroukh montent des chevaux noirs à crinière courte. Les fouroukhs ou maréchaux ont la tête rousse et la bouche bleu saphir ; mais leurs cheveux sont plus ras, et leurs prérogatives ne vont pas jusqu’à s’autoriser la garance pour se peindre, ou la poudre d’indigo.

    Ainsi se règle la tenue des officiers, reconnaissables au nombre de leurs bagues.Les serre-files agitent leurs baguettes de cuivre. Le peuple tzaghîr est en marche : hommes et femmes en état de porter les armes. Ils ont tous les cheveux roux, les lèvres bleues et vernies, et lorsque le Badjar tourne la tête, il aperçoit, en file interminable jusqu’aux Gorges de Lazb, un immense dégorgement humain de braises rouges et de peaux noires.

     

    X

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    TZAGHÎR FRANÇA1S

     

    « Mior utimer wendrè halemu «  Nous avons ainsi cheminé

    « horpowo biongak cho rikao, «  jusqu’au coucher du soleil,

    «  pö ruzuerru rok mispa fwonga. «  qui s’abaissa sur notre gauche.

    «  Ja bunsuéla u jumbu ku nkéakè, «  Le bounsouéla a lancé la prière,

    «  nör mior utimer diklu «  puis nous avons formé

    « diklu kar bakbar chuzuma. «  les cercles d’ébène.

    « Ha nikhuè jami  «  Je portais le numéro 743

    «  rior kaq ipshkar Schebbi «  sous les ordres d’Ebbi

    «  as ha gor runuzu «  et je fus séparé

    «  sha Hamaoua. « de Hamaoua.

    «  Ba riok-jou, ha bilnwè «  Ce soir-là, je comptai

    «  tchoumer ju turmankwèma «  dans la vaste plaine

    « …. «  plus de 50 cercles,

    « …e aucun Blanc n’apparaissait encore. Mon tour de garde n’intervenait qu’aux quatrièmes «  veilles. Je dégainai mes deux épées-de-main, l’une plus courte pour la gauche, et l’autre «  pour la droite, et les plantai dans le sol comme il m’avait été enseigné. Puis je déroulai le « çèmo qui ceignait mes reins pendant la marche, et m’y enveloppai. Je ne pouvais dormir, «  enfin parvenu au Pays Blanc... »

     

    X

    X X

     

    « Maîtresse !

    - Que me veux-tu, à cette heure de la nuit ?

    - Pose ton Rouleau-des-Lois, viens à la fenêtre !

    - Je suis trop âgée pour pouvoir m’étonner.

    - Tu n’entendais pas ce bruit par la ville ?

    - Me voici près de toi. La nuit est restée chaude.

    - Les guerriers se sont rassemblés sur la place et les rues voisines remplies.

    - Les flambeaux luisent sur les murs de sable.

    «  Au-dessus des ruelles invisibles je vois le tunnel pourpre des torches.

    - Ils partent cette nuit pour le pays des Khyrs ! »

    Djezirah et sa servante demeurent accoudées sur le balcon. Tous les contingents mobilisables d’Aïn-Artoum se sont agglutinés, bloquant la place au coude à coude. Les lances tendues à l’alignement jettent des éclairs roux. Devant le premier rang est ménagé un espace libre. Une vaste gifle de métal:lesl ances se sont redressées. Le Dovi paraît, escorté de deux colosses aux lèvres violacées. Ils élèvent sans effort le Chef sur le pavois.

    « Troupes aimées, guerriers !

    « Il est venu, le temps des prophéties.

    «  Plusieurs fois nos marchands sont allés au gras pays des Blancs

    « Les Khyrs, les Gorgés.

    « Plusieurs fois leurs curieux ont grimpé sur nos plateaux Tzaghîrrs.

    « Nous sommes curieux, nous aussi.

    «  À présent nos marchands sont armés

    « notre noir empire est plus ancien qu’eux :

    «  nous sommes les fils de la Lune et du Vent, Enfants de Toutes-Aures.

    «  Que le Premier Croissant nous éperonne.

    «  Lune a promis la Terre à nos conquêtes

    «  Depuis .540. années pour .540. autres années

    «  - Peuple Têtes-Rousses !

    2. La bataille de Drinop

     

     

    a)

    ! k

    ! k Les Khyrs

    !k !k tentent

    !k de déborder les Tzaghîrrs

    >>>>>>>>

    TZA !k Ceux-ci percent

    >>>>>>>> leur centre

    !k !k et se rabattent

    sur ceux qui

    !k voulaient les déborder.

    Le centre Khyr est en fuite.

    ‘’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’

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    Récit d’un jeune Tzaghîr, Héri

    (dans le style de sa nation)

     

    « Ma taille n’excédant pas le rayon du soleil (1), je fus introduit au corps agile des

    «  Archers. Ce sont les plus parfumées de nos guerrières. Choyé d’une majorité de

    « femmes, mon tempérament s’épanouit. Nos exercices alliaient la grâce à la prompti-

    «  tude. Comme prescrit par la pratique et les incantations, nous prouvons sur le terrain

    «  nos qualités d’infiltration et de repli, et la plus grande souplesse du poignet. Gliss é s

    «  parmi le trot des chameaux, nous décochons de bas en haut nos traits courts et mor -

    «  tels ; de nos couteaux nous achevons qui choient sur le sol.

    «  Nous avons adopté la position du Croissant. Notre aile tenait le nord.

    «  À peine avait paru sur le tranchant de l‘horizon la muraille des Blancs.

    «  À peine les chefs de pointe avaient-ils levé leur lance de signal que nous fûmes enve -

    «  loppés sur notre gauche. Les sauvages escadrons lourds des Khyrs, si véloces sur leurs

    «  bêtes, frappaient lourdement comme une mâchoire de pince. Les guerrières f roissées

    «  s’abattaient sur leurs arcs flexibles. Les clameurs mêlaient leurs panaches. Pressés

    «  comme nous étions, dans une extrême excitation, le mouvement tournant sur la gauche

    «  nous fut freiné, mais ceux qui périrent sont tombés sur place. Chameaux et ar c h è r e s

    «  mêlées, nous autres quelques hommes, parvinrent à faire front : cohue, retrait du bras,

    «  corde bandée, flèches tirées d’en bas.

    «  Que notre combat semblait solitaire !

    «  Nous avons tenu, enveloppant les chevaux des Blancs sous nos nuées de pennes. Et les

    «  Blancs à leur tour chantèrent l’atroce mélodie de la souffrance : jarrets tranchés des bê-

    «  tes, cous harassés qu’on égorge, dards fichés au creux des tripes. Nos parfums tournè -

    «  rent sous la fadeur, alors les Blancs pleurèrent. Leurs arrières sentirent le poids des lan -

    «  ces d’avant-garde, qui s’étaient refermées sur eux comme une coque. Nous en a v o n s

    «  consommé un grand massacre, fabuleusement regorgeant d’hymnes d’amour, et les « archères mourantes jetaient leur dernière œillade. Nous avons appris qu’un autre fruit de « guerre s’était refermé côté sud, autour du second bataillon des Blancs : deux lunes « digérantes avaient donc tournoyé, côte à côte et s’ignorant.

    Prévenus par leurs éclaireurs, les Khyrrs ont mis leur point d’honneur à progresser sans se dissimuler, avec tout l’apparat possible ; les Tzaghîrs ont adopté, pour se déployer, la

    (1) 1m 67

    formation du Divin Croissant (Tchétem), particulièrement adaptée en terrain plat. Au centre, les Chameaux Lourds (Djoulavor), peu rapides mais pourvus de longues piques de 15 pieds. Aux ailes les chameaux de charge, les archers, et les « Petites Tailles » ou fantassins (Nassar). Les Khyrs, eux, de peau blanche, se sont tenus aux normes classiques, en quinconces. Les cavaliers portent sur leurs épaules un voile flottant de couleur claire, attaché au cou par un système d’agrafes d’or. La disposition en croissants des Tzaghîrs offrant à leur course un large espace, ils l’attribuent à la lâcheté de leurs adversaires. Atsahî, sous ses pans de toile blanche, caracole sur le front des troupes : lançant sa monture, il la bride d’un coup tous les cent pas, afn de haranguer les guerriers : la bête se cabre et bat des sabots à hauteur des têtes. N’avancez pas ! crie le hobozem aux troupes d’infanterie. « Vous devez tenir sur place, tant que nos cavaliers n’auront pas tourné les forces des Lèvres-Bleues ! » Les recrues, au comble de l’exaltation, saluent de leurs épées levées.

    À cent pas, Atzahî réitère son appel, la même scène se répète, hallucinante. Les Khyrrs des ailes nord et sud ont engagé la charge. Leur confiance est forte. Très vite les chevaux lourds se truvent aux prises avec les petits chameaux ; lesTzaghîrs ont à peine eu le temps de se rabattre de côté. Mais les pertes sont lourdes à cause des archères.

    C’est alors que les jeunes Khyrrs, demeurés calmes en dépit du désir, virent fondre sur eux la lourde masse des piquiers montés, visages durs, lourdes lances noires abaissées à quatre pieds du sol au niveau des poitrines, quinze rangs de chameaux géants trottant l’amble ; chaque pique est forgée de façon différente, multiples clés d’une serrure unique : la mort. Les jeunes Dix-Huitenaires ne tentent pas de résister. Ils se laissent glisser sur les ailes ; quand les lourds chevaux khyrrs, sentiront sur leurs flancs prêts à les seconder les vaillants fantassins bouillonnants de jeunesse, quelle ardeur ne les poussera point, cœurs d’homme à poitrail de bête !

    ...Car ces Tzaghîrs ne savent combattre que de loin, pique ou arc ; qu’on presse leurs thorax, bien peu résisteront- mais voici des cris qui s’élèvent au dernier rang des fuyards, stratèges malhabiles : les Chameaux-Lourds et les piques entrent en danse, côté dos. Et il faut bien se retourner, faire face trop tard aux longues barres, découpant les poitrines en dentelles variées. . De part et d’autre de la percée, les Chameliers se sont rabattus : chaque parti de Khyrs se trouve encerclé. Chaque boule d’épines, furieuses, pressent et perçoit les appels de l’autre part, également bloquée. La pression s’accentue, jusqu’à la curée. Très peu auront survécu à ce casse-noix.

    Les rescapés, jeunes conscrit, se sont bel :et bien enfuis vers Pikâr, la ville la plus proche, y semant la confusion. Les fuyards furent poursuivis et troués dans le dos sur plusieurs lieues de course. Cependant les Grands Chameliers ne les exterminèrent pas, comptant sur la terreur des survivants pour désorganiser l’arrière., mais obéissant avant tout

    à une coutume ancestrale et absurde : chaque engagement d’importance, victorieux en particulier, nécessitait le tirage des sorts, afin de décider de la marche en avant ou de l’immobilisation du front. Dans le passé, une telle superstition avait souvent causé la défaite.

    Les soldats tzaghîrs ont vu les Grands Chameliers revenir sur leurs pas, avec des huées de désappointement.

    Ebbi fit rassembler ses neuf meilleurs guerriers, couverts du sang ennemi. Puis neuf hommes blancs, les plus robustes, mais qui s’étaient laissé capturer. On les réunit sous une tente circulaire, la Tente d’Amitié. Tous s’y mirent nus, ce qui n’alla pas sans difficulté pour les Blancs, accoutumés à la pudibonderie. On se moqua d’eux pour commencer, à cause de leurs sexes scarifiés dans le sens de la longueur. Ensuite, le plus grand des neuf Noirs déclara : « Nous, qui vous avons défaits, nous vous servirons toute cette nuit. Nous nous témoignerons toutes les marques de la plus vive amitié ».

    Tous étaient nus et graves. La coupe de sang de bœuf circula lentement. Les pans lourds de la tente s’agitaient au vent réfléchi de la nuit. Chaque couple, se tenant par l’épaule, buvait joue contre joue l’âcre breuvage rituel. On se parlait à voix basse et assurée. L’interprète, au centre, faisait son office. On échangeait des poésies, des chansons fredonnées, et ces hommes devenaient proches. Un Tzaghîr expliqua, au milieu de la nuit, qu’il fallait échanger de son sang. Il montra l’exemple avec un jeune homme à peau rose qui se tenait accroupi à son côté ; l’incision à l’épaule fut brève, il s’accolèrent pour une mutuelle succion. Les sautres agirent de même. Puis Blancs et Noirs s’assirent en silence contres les parois, en alternance de couleurs. Posée sur le sol devant chacun d’eux, les lampes à huile projetaient sous leurs mentons des lueurs déjà cadavériques, creusant les joues et les mâchoires.

    La plupart s’hypnotisaient sur les flammèches. Si l’un d’eux venait à surprendre les traits de son compagnon, il baissait les yeux. L’un des Tzaghîrs, pour éviter que la nuit ne fût souillée par le sommeil, murmura le premier couplet d’une chanson d’amour. À ce moment tous entendirent, précis dans la nuit, les premiers coups des charpentiers.

    « C’est l’uñuosh qu’on assemble devant la tente ». L’interprète traduisit. Les Blancs écoutèrent. Les Noirs se résignèrent : l’ uñuosh, c’était l’échafaud, vaste ring surélevé, rond et ceint de cordes, où le combat terminal se tiendrait. Les hommes s’apprirent leurs chants, chacun dans leur langue.

    Au petit matin, quatre courtes cornes de brume s’étranglèrent aux quatre points cardinaux. Les hommes-sous-la-tente urinèrent, puis ceignirent un pagne, de couleur opposée à la sienne. Très vite les quatre cornes résonnèrent une seconde fois. Les hommes accoururent deux par deux. Ils s’étreignirent avec émotion, tout en courant, car l’un ou l’autre devait mourir. Les Blancs portaient un gorgerin de fer, les Noirs un casque – rapidement noués par un diacre-bourreau. Les affrontements furent brefs, étant donné la frayeur de chacun. Les diacres avaient recouvert le plancher d’une épaisse couche de sable. Après chaque duel, ils la creusaient et la déblayaient, aussi loin que le sable avait bu.

    La matière ainsi recueillie trouvait place dans des seaux de métal hermétiquement clos, qu’on enfouirait dans un lieu tenu secret. En une heure de soleil, les combats furent achevés. Les corps brûlés avec le bois de l’ uñuosh, l’armée observa le repos rituel d’un jour.

     

    * * * * * * * * * * * * * *

     

    «  Le couple de chameaux, fines jambes rapides,

    «  Bat l’amble dans les hautes herbes

    «  Kassim et Oultaïla

    «  L’ellipse orange peinte sur leur crâne d’or

    «  Court annoncer la victoire…

    (poème d’Agattîr)

     

    «  Un témoin raconta qu’il les avait vus, criant et riant, se lancer le message de l’une «  à l’autre monture : la boîte de bois verni tournoyait comme une hache, touchant la

    «  main droite ou la gauche, le coude ou la coquille du poignard. Leurs lèvres étirées

    «  - comme des saphirs fendus vola sur la crête des herbes.

    (Houbizé, XI, 11)

     

    «  Portés par l’élan, ils eurent franchi le défilé d’un seul bond, traversèrent la Terre

    «  du Cacao, la Terre Rouge, et proclamèrent à grande allure la victoire à travers les

    «  places d’Ikattan. Or on était en cinquième heure, en pleine agitation du Grand

    «  Commerce. Par l’enthousiasme qu’ils éprouvèrent, les marchands renversèrent « leurs étals, invitant la population à se servir, afin qu’elle festoyât. De toute part

    «  s’élevèrent les clameurs, toute la nuit le Peuple aux Crêtes Rouges célébra le

    «  combat de Gozar Gatzar. »

     

    3. L’arrivée des fuyards

     

     

    Bravant les dieux 300 hommes montés suivaient la retraite des Blancs. Ceux-ci, passéela débandade, s’étaient recomposés, sans courir. La nuit les trouva au lieu-dit Armalak. Les survivants des chefs firent panser les blessés : seuls les chirurgiens, regroupés dans un pli du terrain, purent allumer des feux de braise. La garde fut montée, les rondes assurées.

    Au matin, les soldats en retraite aperçurent, dans trois directions, les chameaux tzaghîrs à l’arrêt, à un quart de lieue, épiant.

    Des mouvements d’âme agitèrent les guerriers. Les uns voulurent achever les blessés, fuir vers le nord, et la ville. Les autres, plus nombreux, parlèrent de charger les Noirs insolents. Thérif, simple moyaf (1) promu chef, opta pour un moyen terme : on s’avancerait à leur rencontre, mais sans rechercher le contact. « Le Tzaghîr apprendrait à respecter le lion, même à reculons ». On fit ainsi qu’il avait dit. Chacun pouvait dénombrer, dans les rangs adverses, les silhouettes. Mais on ne distingua pas les visages. Aucun acte d’indiscipline ne fut tenté : pas un cri.

    Les Noirs n’étaient que trois cents, dépourvus de l’accord rituel des dieux. Le terrain les favorisait, car le sol ne cessait de descendre, si bien que les Blancs pensaient avoir dans leur dos l’avant-garde d’une puissante formation. Le jour suivant, les Noirs étaient plus proches. Cette fois-ci, l’armée entière suivait à courte distance. Les Khyrrhs devinrent nerveux. Peu après le milieu de la journée, Thérif aperçut d’autres troupes de son pays, qui s’étaient enfuies par des chemins différents. « Que font les Noirs ? » leur demanda-t-il. « Les Tzaghîrs nous suivent de près » lui fut-il répondu.

    La réunion des deux bribes d’armée, au lieu de restaurer la confiance, accentua la crainte. Le camp fut levé plus tôt. Les Tzaghîrs suivaient à présent, bien visibles, narquois. L’allure s’accélérait insensiblement, les alignements se défaisaient malgré les cris des serre-files. À présent les Noirs lançaient des quolibets. Les Blancs forçant l’allure, les Crêtes Rousses allongèrent le pas, et des guerriers, par jeu, lançaient le cri de guerre. Les chameaux, reconnaissant l’injonction, mais comprenant peu la plaisanterie, accélérèrent. Certains les freinèrent, d’autres non. Le reste de l’armée noire ayant rejoint ses éclaireurs se montrait à présent compacte.

    Une formidable huée jaillit des Lèvres Bleues, à quoi fit écho la plus faible et honteuse clameur des paniques. Les moïavt (lieutenants) exécutèrent de leurs propres mains les plus proches d’entre eux qui jetaient les armes. Mais tout fut emporté. Les cavaliers blancs s’ouvrirent le chemin à coup de lance dans la masse et la nuque des fantassins. La fuite se déploya sur une largeur de trois lieues. La plaine ruisselait de lâches meurtres et de piétinements. Des hameaux et des bourgs, raflés par cette gigantesque cohue giclaient des files d’expulsés, molécules chargées de meubles et de ballots, qui couraient tous s’agglutiner.

    Or les Tzaghîrrs ne frappaient point ! ils ne tiraient pas de flèches, se poussant seulement contre les blanches épaules convulsives. C’étaient leurs clameurs de joie que les Blancs prenaient pour des cris d’assaut, et le massacre ne venait que des Blancs eux-mêmes, se piétinant, se foulant sans vergogne, les cavaliers sur les soudards, les soudards sur les valets, ces derniers sur les femmes et les marchands.

    Le premier de la ville qui vit converger des trois points de l’horizon cette triple lame grouillant de poussière, fut la vigie de la Tour Sud des Pères. Déjà la foule propulsée par la panique battait les redans de la barbacane.

    La ville dePhytallia, comme la plupart des cités de Khyrs, était fortifiée « à la pieuvre », c’est-à-dire que les murs s’étiraient en fins tentacules creux, sur une longueur d’un quart de lieue, à partir du cercle de l’enceinte ; hérissant le tentacule à intervalles réguliers, des ventouses fortement remparées. Mais une seule porte, à l’extrémité du tentacule exclusivement. On imagine l’épouvante de cette foule traquée, face aux seules ouvertures praticables. De plus les Tzaghîrrs, mis en appétit, commençaient à lâcher quelques flèches et coups de lance pas tous inoffensifs.

    Une porte fut ouverte. Une longue contre-éjaculation ébranla les murailles parallèles. Sous les passages couverts le grondement redoublait. Là-haut, sur les chemins de ronde, la garde se mutinait ; ses chefs ordonnaient d’arroser de flèches les déserteurs.

    « Les moïavt juraient par tous les Dieux qu’il n’était pas meilleure perte pour un peuple « que des traîtres fuyards ; ajoutaient qu’ils voyaient très bien les Tzaghîrs emportés mêlés « au torrent, et qu’ils tuassent au moins ces ennemis. À quoi répondaient les gardiens qu’ils « auraient mieux couru de même vers leurs refuges, tout armés comme ils l’étaient ; que ce « n’était raison de flécher leurs camarades lesquels à leur endroit eussent agi de même ; « enfin baguenaudoient certains qu’ils aimaient ainsi se remplir du spectacle sans en obturer « l’ordonnance. »

    YOTH, XV, 37

    (« Par ainsi se répandit la tourbe tumultueuse enmi les rues et voies de la ville du sud »)

     

    Figure p. 20 Phytallia présente un système de défense propre aux Khyrrs. On obaerve sur cette figure le dessin concentrique des voies principales, an centre duquel se

    dresse une île conique sommée d’une citadelle. Les flèches représentent le

    trajet des fuyards. Les deux moitiés d’armée blanche s’entretuèrent d’abord

    à leur point de jonction, faute de se reconnaître. Nombreux furent ceux qui

    se précipitèrent dans lac tout armés, et s’y engloutirent.

     

     

    ...Mais la population de Phytallia se ressaisit à sa façon. Les civils, barricadés dans leurs hautes demeures, bombardèrent les fuyards de tout ce qu’ils purent trouver de plus lourd : meubles, candélabres, et jusqu’aux pierres descellées de leur maison…

    Cependant sur la place aux Étrèbes, les étals du marché, tentures, tréteaux, fruits, toiles, marchands, furent foulés pêle-mêle par les cavaliers en déroute, couverts jusqu’aux genoux du sang des leurs qu’ils avaient tailladés pour se frayer retraite. Des masses gagnées par la panique se bousculèrent aux parvis des temples, hurlant leurs prières. Des rues surgissaient encore des bandes enragées, lançant des pierres et des sarcasmes. Des incendies se déclarèrent.

    Or trois cents Noirs s’étaient introduits dans la ville : c’étaient les trois cents premiers éclaireurs. Pensant le reste de l’armée derrière eux, ils s’étaient mis à massacrer sournoisement la population d’un mur à l’autre à travers les rues. Les portes de la ville s’étaient refermées sur eux seuls. Voici comment : du haut de son chemin de ronde, la garde blanche s’était aperçue qu’un flot continu de crânes noirs à crête rouge franchissaient à présent le portail. Abandonnant leur propre rébellion, les Blancs tirèrent un barrage de flèches. Certains même osèrent descendre par les rampes pour en découdre, et refermer les portes. Le chroniqueur Abdulislam ajoute que la fermeture des lourds vantaux sembla facilitée par les Tzaghîrs eux-mêmes, qui auraient bridé l’avance de leurs chameaux.

    Les gardes blancs démentirent cette version, qui diminuait leur mérite,mais certains dévotsla divulguèrent, invoquant le secours in extremis du dieu des Murs, DAQST. (Les travaux du professeur Momamovitz sur la mentalité tzaghîre (Crêtes Rouges, 1932) avancent l’hypothèse vraisemblable selon laquelle ces 300 « éclaireurs immédiats », volontairement laissés en avant-garde de l’assaut proprement dit, et isolés par un cordon de guerriers bloquant toute retraite, n’avaient été introduits dans la ville en nombre nettement inférieur afin d’être immolés, à cuase de leur désobéissance initiale au Combat des Dix-Neufs, dont ils n’avaient pas attendu l’issue). Les Éclaireurs Immédiats se trouvèrent soudain regroupés au centre d’une esplanade en bordure de lac, où les limites de leur groupe leur apparurent.

    « Encommencèrent à considérer combien moindre en nombre estoient, si qu’on les pouvoit «  «  « aiséement cercler, et de faict l’estoient-ilz au mitan d’icelle place,isolés, de pied, toutefois « pourveus d’armes. Après grand stupeur et silence, tel poussa le premier cri, ainsi gagnant de « proche en proche tout alentour de la susdite place.Toute la cité recria de mesmes, s’entrencourageant l’un l’autre, et ce dict-on, que les Khyrrhs empeschés de bien veoir s’exclamoient aussi de confiance encontre leurs envahisseurs ».

    YOTH, XVI, 31-32

     

    Les éclaireurs noirs, se comprenant sacrifiés, luttèrent sans espoir autant dire de toute leur vaillance. Les Khyrrhs, dépités de leur primordiale panique, se déchargèrent sur la poignée de Crêtes Rouges. Ceux-ci succombaient sous le nombre, et l’ignoble carnage se perpétrait, quand de nouveaux cris de terreur éclatèrent au loin : tandis que tous tourbillonnaient pour porter leurs coups, les Tzaghîrs de l’extérieur avaient enfoncé les portes désertées.D’un long trot de chamellerie, les assaillants avaient remonté les couloirs défensifs ou « bras de pieuvre », et reprenaient de dos les massacreurs affairés. « On nous tue dans le dos ! » criaient les Khyrs ; et les Noirs répondaient Buqmufa ! buqmufa ! ce qui signifie « Carnage ! carnage ! »

    Une stricte discipline réprimant le pillage et le viol, Kolba, ayant abusé d’une fillette de 12 ans, fut aussitôt exécuté. Alors les Blanches qui se trouvaient dans les rues, mêlées parfois aux massacreurs, purent chercher refuge auprès des chefs tzaghîrs. Aucune rigueur ne leur fut tenue d’avoir porté ou voulu porter un coup mortel.

    Ainsi fut prise Phytalia, et maints de ses habitants occis.

     

    4. Situation de Khyr en 480

     

    80 lieues séparent Phytalia de Slavod, la capitale. L’annonce du désastre eût dû y parvenir au plus tard dans les trois jours. Or, les hiérarques l’avait interceptée.

    Il existait à Khyr une grande prolifération administrative. Point de chef qui ne fût subalterne à quelque titre de telle ou telle subdivision, ni de subordonné qui ne le fût à plusieurs chefs simultanés, en relation chacun avec telle fraction de ses attributions. D’un autre côté, tel supérieur hiérarchique pouvait fort bien se trouver sous la dépendance de son employé, qui avait pouvoir de décision sur lui dans un autre domaine, en vertu de la « Loi de bascule ». Ainsi le Maître des Ponts décidait-il des frais de construction, qu’il imposait au Pontonnier Majeur. Mais ce dernier avait la haute main sur le choix du personnel et des matériaux, qu’il imposait à son supérieur. Aux écuries, le Grand Avoinier fournissait le fourrage aux chevaux du roi, mais devait le respect au Litier, qui veillait à l’entretien des écuries. Au-delà d’une simple répartition des charges, il s’agissait d’un équilibrage des respects dus à chacun, selon sa fonction du moment. Inutile de dresser un tableau complet des lourdeurs inextricables et de la gabegie dont l’administration khyre se trouvaient infestée.

    Le rois ne recevait donc que la portion d’information que lui communiquaient les filtres de ses fonctionnaires inamovibles, ses hiérarques. On ne sache point qu’il eût souhaité en apprendre davantage, confiné qu’il était dans ses métaphysiques. On peut même affirmer qu’une simple obstruction dans la transmission d’un message n’a pu à elle seule entraîner la chute d’un empire. L’attitude des Grands contribua toutefois au manque de cohésion d’une défense militaire que le nombre aurait pu douer d’une certaine efficacité.

    Le 5 de nibhûr au matin, le messager parut aux portes de Slavod, arborant dans son dos l’antenne bleue de la défaite. La sentinelle avait ses ordres et le débarrassa de son fanion. On le restaura. Le Sire d’Inville tiré de son sommeil extirpa du messager le plus d’indications qu’il put, le messager sachant tout par cœur. Ensuite on enferma le messager, et les sentinelles furent consignées – d’autres les auraient tuées.

    Un conseil exceptionnel se réunit au palais des Akères. On retrouve là tous ces parasites d’Ètat qui tour à tour formèrent ou déformèrent l’empire (cf. « L’apogée khye au Moyen-Orient » (- 125 / + 216, Franzens 1932) : les cousins Porlaty, Mo-Rhamdès, Kuynsan et Béouleh – que leurs jours soient comptés, que la bêche les tranche vifs. Leur idéal est la rapine, leur joie de vivre nulle. Puiser dans les coffres en étalant sa morgue, telle est la vie des hiérarques de ces temps-là. C’est au moment précis de la convocation que les rues de Phytallia sont livrées à un nouveau massacre ; mais eux, doctement, argutient pour déterminer ce dont le roi LIGA sera nformé, et quand. Voici ce que décident ces trafiquants, anoblis par eux-mêmes :

    « Ces Nolrs ont de l’or, et des diamants profère Porlaty. - Nos Sciences affirment, profèrn Kuynsan, que dans les Montagnes les Démons se cuisent des escarboucles et des rubis sur leurs grils souterrains ». Sa voix se perd dans un éclat de toux. Son éloquence l’emporte : ne pas combattre les Barbares ; traiter seulement, filouter. Les deux femmes du conseil, exceptionnellement tirées du gynécée, doutaient fortement : il faudrait lentement se laisser envahir ; « et qui sait, ajoutait Nosdol, s’ils nous accorderaient suffisamment de vie sauve pour jouir des premiers carats ». - sa compagne suggéra de mettre à profit toutefois la défaite pour dépouiller de leurs biens les généraux couards. Face aux fortunes soustraites au fisc, les passe-droits promis aux grades supérieurs furent de peu de poids ; on osa même attribuer à ces confiscations des vertus purificatrices : les fortunes foncières et leurs troupes d’esclaves constituaient, on s’en avisait soudain, une grave atteinte aux prérogatives royales.

    Les jours suivants fournirent aux voleurs une occasion de s’exercer. Les envahisseurs en effet n’avançaient pas en plaine, rendus circonspects par la minceur de leurs arrières, qu’alimentaient seuls pour l’instant les défilés du Ktôh, et que freinaient leurs superstitions méticuleuses. Ces derniers avançaient sans hâte, fourvoyés entre les bras des affluents, revenant sur leurs pas, phagocytant les poches avec des nonchalances d’amibes, mais toujours victorieux. Quant au peuple khyrr, il s’était transmis à lui seul le cours des évènements. L’annonce du désastre ne pouvait décemment plus être retardée au Roi, qu’un chambellan de bas étage eût pu l’informer sans fard.

    Mais les hiérarques parvinrent à combiner cette révélation avec la nouvelle d’une trahison : celle du obozem Ovnot. Ils n’avaient pas tort, quoique sans le savoir, et ce n’est que depuis les travaux de Herr Professor Dekentmayer sur les manuscrits de Nyatt que nous pouvons annoncer ce qui suit :

    « Ovot fut chargé de bouter hors, ou mieux d’anéantir, l’avalanche des Crêtes-Rouges. La raison invoquée lors de son interrogatoire fut l’insuffisance numérique. Mais il avait tardé. Aussi, il envoya son collègue Yuzonnt en mission auprès d’Éod, afin de le persuader de se joindre aux forces de répulsion : indépendance des chefs d’armée ; nous savons par d’autres sources que Yuzonnt était bien le dernier ambassadeur qu’il convînt d’envoyer auprès d’Éod, les deux hommes étant brouillés depuis longtemps. Les hiérarques pouvaient donc présenter Ovnot comme un traître, agrémentant leurs propos de soupçons aussi soigneusement distillés qu’invérifiables.

    Le roi LIGA se fiait aveuglément à Mogandé, rapporteur de hiérarques. Il le crut, cita illico à comparaître Ovnot, Yuzonnt, Éod, et maints autres. Ils étaient perdus.

    5. Liga le Fou

     

     

     

    Le Roi Liga était âgé de 25 ans. Sombre, sournois, le teint olivâtre, le nez coupant, la face vers le bas ou marquée de suspicion. Sa sensibilité le livre à des accès d’agitation fourmillante suivis de prostrations, d’où jaillissaient des projets capables, à la lettre, de bouleverser le monde, et l’entourage, les ministres… n’avaient pas avantage à faire languir les ordres, jusqu’aux prochaines turbulences.

    LIGA, de sa propre volonté, vit reclus. C’est la condition essentielle au succès de ses magies, qui lui assurent, au sein de son silence, la maîtrise absolue. Il adorerait, au fond d’une crypte, la Pierre étoilée du Nord phosphorescent. Il s’y retire, masqué, couvert d’or, absorbant dans le noir des gelées miroitantes. De ses révélations procède le gouvernement. « Cet être exceptionnel méritait l’illumination » estimait Yôth-Ahnan.

    Malheureusement le programme des Grands s’exécuta de point en point. Des messagers encagoulés furent expédiés aux meilleurs chefs de guerre. Ils portaient à l’arçon une large hache au profil teint de rouge. Il faut relire le saisissant récit de Vârash, officier de secrétariat, à la fois témoin et acteur :

    Français Djunngo

    « Yuzoat avait alors quarante-et-cinq « Tuzvoat juyf’must räzdvidopr’ppoït

    « Il était fort et bien fait « On ojof gusf if coïddjôf.

    « L’âge n’avait point courbé « Mikhi shuyofrrt dwasco

    « son ossature, et il ne devait jamais «  tup attvazi, if pi shuyof l’ñot

    « la courber. Il avait parfois « m’dwashis. Omuyof rzgwot

    « succombé aux puissances de « taddungo jath rôtt’ddit fi

    « l’intérêt et de la famille, « m’oddvosôv iffi n’djnommi,

    « grandes pour se soumettre tout « xtfit rwas ti twannivsi bâf

    « homme du peuple au Roi, mais « junni fa riarmi ya Swo, ñot

    « néfastes pour sa fin, et pour « podjivvit rwas tgô, iv rwat

    « notre fin à tous, comme il advient « puvsi gô ibât, dunñom afwoïtf

    « en général et comme il nous « ip khobozm iv dunñom bwat

    « advint de jour-là « fwof di lwaz-mi

    (On trouvera la suite du texte djunngo chez les Éditions du Caveau, rue Barbentane, LYON)

     

    (suite du texte en français) :

    (…) Éod sortait la tête haute, satisfait des vins et du pardon, accordant son arrogant soutien «  à la cause commune. Et n’eussent été les ordres cruels de LIGA, nul doute que tant de « forces réunies n’eussent contenu et repoussé l’invasion. On entendit sur le parvis de la « tente le galop freiné de deux montures. Sorti simplement encontre le bruit, Notre Maître « Yuzoat vit sautant des selles deux envoyés du roi LIGA, portant au nœud de l’épaule la « broche ronde d’améthyste, à la main chacun le message également scellé d’améthyste.

    « Les déroulant devant lui, lurent ensemble la citation à comparaître et le rappel de la « mission. L’un des messagers parlait d’une voix rauque, l’autre tenait l’accent des Nsoyitt. « Yuzoat soulevant encore le pan de sa tente cracha de dépit sur le sol, et déclara qu’il « n’avait point démérité, que les accusations sans retour dont il était chargé, car on ne « sortait pas vivant des tribunaux de l’Améthyste, ressortissaient à la calomnie. Il osa même, « et de cela je suis témoin, porter la main sur la broche et mettre en doute avec courroux la « légitimité du symbole. Ce que voyant, l’homme Naoyitt courut détacher de la selle la « hache au tranchant teint de rouge. Notre Maître reçut le coup, qui lui détacha l’épaule, et « le rideau frangé retomba sur son sang. Je m’abstins de paraître, sachant, comme il advint « de vrai, que la terreur des améthystes fige le peuple et l’armée. J’appris que la peur avait « poussé si loin qu’Éod lui-même, peu de temps après le départ des messagers, fut poignardé dans la nuque par un officier d’en-bas, pour gagner quelque grade. »

    Ajoutons que dix autres messages en ce sens furent expédiés, acculant au suicide les meilleurs chefs de l’armée khyrrhe. Cette erreur décapita le haut commandement, supprimant ainsi toute possibilité d’intervention efficace.

    6. L’Épanchement

     

     

     

     

    Un flot constant de Tzaghîrrs franchissait désormais les défilés du Ktôh, sans défense depuis la déroute de Drinop. Le gros de l’armée s’était alors emparé de Phytallia, comme relaté plus haut. Cependant, un autre corps de troupes, nouvellement parvenu sur territoire khyrr, prenait l’important marché de Baâssam. Aucune résistance, déjà se propageait la désorganisation semée par les hiérarques. Les Tzaghîrs se contentèrent de s’attribuer les meilleurs logements. Les informations étaient restées aux mains du Sire d’Inville et de ses acolytes, qui tournèrent l’esprit du Roi de telle sorte qu’il se préoccupait bien plus d’exécuter ses serviteurs que de remédier à la défaite. Mais le peuple, désormais, savait que le Roi était fou, et les ministres pervertis.

    Or les Tzaghîrs, passées les premières conquêtes sur une profondeur de 25 « lieues », n’avaient plus éprouvé le besoin de progresser. Épandues sur le Sud du pays en un delta dont le défilé de Ktôh formait la racine, leurs troupes à présent épaissies de bagages et de marchands poussaient nonchalamment leurs avances. Un bref combat le cas échéant, une annexion tranquille de 10 lieues carrées, et le delta de l’invasion s’évasait vers le nord et la capitale.

    Dans les siècles passés, pour autant que la faiblesse des sources peut nous le laisser supposer, les rois tzaghîrrs avaient conduit leurs peuples à l’assaut des primitifs de l’équateur ; une alternance incessante de succès et de revers avait jeté sous leurs lances, ou les en avait arraché, les mêmes territoires alternativement disputés.

    Depuis cent années, les Tzaghîrrs s’étaietn contenté de mettre en valeur les terres riuges du plateau d’Ettoboï, avec les monts qui les encadraient. Seules des motivations religieuses, relatives à des prophéties expansionnistes, les avaient jetés comme un rapide aussitôt absorbé par le sol, à travers les défilés du Ktôh. On peut se figurer la mornitude galopante éprouvée face à des peuples n’éprouvant aucune envie de se défendre, ainsi que l’a imaginé Moellfort, ou, plus vraisemblablement,le dédain manifesté pour une capitale dont la chute, sans importance stratégique réelle, se fût accomplie d’elle-même. Rien n’était prêt non plus sur les murailles, rien d’autre que les patrouilles habituelles.

    Simplement, pour satisfaire aux rumeurs inlassables de défaites non confirmées, tel flavets ici (adjudant), tel tishift là (sergent) s’étaient-ils permis de renforcer à tout hasard le secteur confié à son commandement. Mais quelques flèches ou tirs de catapultes sans portée

    se révélèrent sans commune mesure avec la formidable surprise qui assaillit les défenseurs de SLAVOD à l’aube du 3 nibhur 489 : une horde de démons noirs aux lèvres peintes, d’abord mobile à peine à l’horizon de 40 guetteurs à la fois, quel que fût leur point cardinal. Le cor d’alarme circula tout autour des murailles dans une succession plus rapide qu’aucun mot d’ordre n’eût su l’obtenir : chaque vigile revendiqua sur l’honneur le premier coup d’œil exact

    Les Tzaghirrs en effet s’avancèrent de toutes les directions à la fois, en cercle parfait sur la plaine steppeuse. Cette fois-ci encore, prêtres et chefs noirs s’étaient concertés pour l’impeccable déploiement du rite. Puis on distingua les hautes colonnes chamelières, badjars liés sur leurs bêtes par les huit rubans en toupie, en ordre de marche et non pas de bataille, tant était poussé loin le mépris du Blanc. Ainsi roula le bourrelet négligemment resserré autour de la capitale, sans aucune autre réaction qu’une stupéfaction curieuse. Ni sortie donc, ni traits : mais 40 vigiles époumonnés, les yeux immenses et les cors ballant aux ceintures. Les Tzaghîrrs cantonnés à 400 pas des murailles montèrent leurs tentes et cuisirent leur odorante nourriture, car c’était l’heure du repas de ce matin-là.

     

    Vigie 32 – Rapport

     

    « Vu l’armée des Noirs. Osé souffler du cor ,tous ceux qui m’ont imité jetés plus tard aux fers.

    «  Noirs crêtes rouges en arrêt 400 pas. Mangent et boivent. Présence de femmes. Odeurs

    « méconnues, appétit. Vers midi, grande agitation Secteur 32.

    « Espace dégagé devant immense tente, chameaux écartés. Chant poussé par tous. Voix graves et

    « forcées, de plus en plus fort. La tente du chef s’agite. Il paraît, sans ornement. Tous les guerriers

    « torse nu, ÉPÉE démesurément longue apportée, très blanche, très brillante, ÉPÉE fichée en terre.

    « Tous en cercle, le chef parmi eux. Des chants assis, des prosternations. Des cris litaniques. Des

    « chants la face contre sol. Adoration de la Force de l’Épée. Clameurs énormes : HALAM !

    « HALAM ! - cris propagés en cercle, à travers tout le camp, secteurs 32, 31, 30 et 33.

    Vigie 32 – nom : Kapedagh, âge : 29. »

     

    Les Tazghîrrs exultaient.

    Le texte ci-dessus est la première mention d’une cérémonie de cet ordre en plein jour. L’épée géante fut ensuite menée en procession au travers du camp. Des guerriers au crâne peint lui faisaient

    escorte. Parvenus, après plus d’un tout de reconnaissance, au droit de la porte qu’ils estimèrent principale (en fait ce n’était que la Porte des Roses, plus richement ornée), ils replantèrent l’épée dans le sol.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • KHYRRS ET TZAGHÎRS

    COLLIGNON KHYRS ET TZAGHÎRS

     

    1. La stèle

     

    Ici le fleuve entaille la falaise. Six cents doghs de dénivelé. Au sommet, la ligne des arbres – en bas, la trouée du rapide et son ravage de troncs. L’eau fume jusqu’aux premières savanes sous la pente : c’est là, au bout de la dernière piste, que se devine sous les herbes la stèle d’Alloum-Khéfi.

    « Lis ce qui est écrit !

    - Comment serait-ce possible, ô Badjar, à celui que tu as privé de la vue ?

    - C’est juste.Qu’on l’achève.

    Un esclave pousse le Blanc, qui tombe à quatre pattes et reçoit sur la nuque le froid tranchant du ssûtak ; un autre entraîne le corps et la tête hors de la piste, à portée de hyènes.

    « Blanc, lis-nous le texte de la stèle.

    - De la dixième année de mon très glorieux Règne

    « Quiconque, homme ou femme, de peau noire, ayant franchi la borne du Royaume

    «  Sera sur-le-champ exécuté ».

    Un vaste éclat de rire secoue les Suivants sur leurs méharis, et gagne la colonne des guerriers sur toute sa longueur. Le prisonnier halète. Le ssûtak recourbé s’élève sur sa tête, mais le Badjar fait un geste condescendant : « Laissez-lui la vie ». L’homme est tiré en arrière par la corde qui lie ses poignets. Le Badjar tend le bras vers la stèle. Aussitôt dix guerriers s’arc-boutent à sa base et s’écartent d’un bond quand la pierre s’abat dans un creux d’eau sous les herbes, avec le bruit lourd d’un hippopotame touché à mort.

    Alors une clameur remonte la colonne jusqu’aux lisières de forêts, et plus loin, où l’on n’a rien vu. Le Badjar a levé trois fois le ludabeth, sa lance-d’appui, qui descend jusqu’au sol le long de sa monture, et rythme la marche vers le nord : Hy-bâ !

    Hy-bâ ! crient les flancs-gardes.

    Le Badjar marche en tête sur son méhari. Ses lèvres sont bleues. Son crâne aux tempes poncées porte une crête rousse de la nuque au front. De sa ceinture partent huit longues étoles rouges, tendus en étoiles par huit esclaves à pied, aux lèvres bleues, le torse nu. Ainsi maintenu à mi-corps, il avance avec majesté, comme une rutilante mygale.

    Les tendeurs d’étoles trébuchent sur les longues-herbes, prenant soin de toujours garder le tissu soigneusement tiré. Leurs traits et leurs muscles luisent. Sous la taille écartelée par les écharpes tendues à se rompre, un pantalon bouffant d’étoffe blanche à crevés rouges. Les pieds sont nus. Derrière l’imposante pyramide formée par le Badjar et ses étoliers, les treize fouroukh montent des chevaux noirs à crinière courte. Les fouroukhs ou maréchaux ont la tête rousse et la bouche bleu saphir ; mais leurs cheveux sont plus ras, et leurs prérogatives ne vont pas jusqu’à s’autoriser la garance pour se peindre, ou la poudre d’indigo.

    Ainsi se règle la tenue des officiers, reconnaissables au nombre de leurs bagues.Les serre-files agitent leurs baguettes de cuivre. Le peuple tzaghîr est en marche : hommes et femmes en état de porter les armes. Ils ont tous les cheveux roux, les lèvres bleues et vernies, et lorsque le Badjar tourne la tête, il aperçoit, en file interminable jusqu’aux Gorges de Lazb, un immense dégorgement humain de braises rouges et de peaux noires.

     

    X

    X X

    TZAGHÎR FRANÇA1S

     

    « Mior utimer wendrè halemu «  Nous avons ainsi cheminé

    « horpowo biongak cho rikao, «  jusqu’au coucher du soleil,

    «  pö ruzuerru rok mispa fwonga. «  qui s’abaissa sur notre gauche.

    «  Ja bunsuéla u jumbu ku nkéakè, «  Le bounsouéla a lancé la prière,

    «  nör mior utimer diklu «  puis nous avons formé

    « diklu kar bakbar chuzuma. «  les cercles d’ébène.

    « Ha nikhuè jami  «  Je portais le numéro 743

    «  rior kaq ipshkar Schebbi «  sous les ordres d’Ebbi

    «  as ha gor runuzu «  et je fus séparé

    «  sha Hamaoua. « de Hamaoua.

    «  Ba riok-jou, ha bilnwè «  Ce soir-là, je comptai

    «  tchoumer ju turmankwèma «  dans la vaste plaine

    « …. «  plus de 50 cercles,

    « …e aucun Blanc n’apparaissait encore. Mon tour de garde n’intervenait qu’aux quatrièmes «  veilles. Je dégainai mes deux épées-de-main, l’une plus courte pour la gauche, et l’autre «  pour la droite, et les plantai dans le sol comme il m’avait été enseigné. Puis je déroulai le « çèmo qui ceignait mes reins pendant la marche, et m’y enveloppai. Je ne pouvais dormir, «  enfin parvenu au Pays Blanc... »

     

    X

    X X

     

    « Maîtresse !

    - Que me veux-tu, à cette heure de la nuit ?

    - Pose ton Rouleau-des-Lois, viens à la fenêtre !

    - Je suis trop âgée pour pouvoir m’étonner.

    - Tu n’entendais pas ce bruit par la ville ?

    - Me voici près de toi. La nuit est restée chaude.

    - Les guerriers se sont rassemblés sur la place et les rues voisines remplies.

    - Les flambeaux luisent sur les murs de sable.

    «  Au-dessus des ruelles invisibles je vois le tunnel pourpre des torches.

    - Ils partent cette nuit pour le pays des Khyrs ! »

    Djezirah et sa servante demeurent accoudées sur le balcon. Tous les contingents mobilisables d’Aïn-Artoum se sont agglutinés, bloquant la place au coude à coude. Les lances tendues à l’alignement jettent des éclairs roux. Devant le premier rang est ménagé un espace libre. Une vaste gifle de métal:lesl ances se sont redressées. Le Dovi paraît, escorté de deux colosses aux lèvres violacées. Ils élèvent sans effort le Chef sur le pavois.

    « Troupes aimées, guerriers !

    « Il est venu, le temps des prophéties.

    «  Plusieurs fois nos marchands sont allés au gras pays des Blancs

    « Les Khyrs, les Gorgés.

    « Plusieurs fois leurs curieux ont grimpé sur nos plateaux Tzaghîrrs.

    « Nous sommes curieux, nous aussi.

    «  À présent nos marchands sont armés

    « notre noir empire est plus ancien qu’eux :

    «  nous sommes les fils de la Lune et du Vent, Enfants de Toutes-Aures.

    «  Que le Premier Croissant nous éperonne.

    «  Lune a promis la Terre à nos conquêtes

    «  Depuis .540. années pour .540. autres années

    «  - Peuple Têtes-Rousses !

    2. La bataille de Drinop

     

     

    a)

    ! k

    ! k Les Khyrs

    !k !k tentent

    !k de déborder les Tzaghîrrs

    >>>>>>>>

    TZA !k Ceux-ci percent

    >>>>>>>> leur centre

    !k !k et se rabattent

    sur ceux qui

    !k voulaient les déborder.

    Le centre Khyr est en fuite.

    ‘’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’

    b)

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    Récit d’un jeune Tzaghîr, Héri

    (dans le style de sa nation)

     

    « Ma taille n’excédant pas le rayon du soleil (1), je fus introduit au corps agile des

    «  Archers. Ce sont les plus parfumées de nos guerrières. Choyé d’une majorité de

    « femmes, mon tempérament s’épanouit. Nos exercices alliaient la grâce à la prompti-

    «  tude. Comme prescrit par la pratique et les incantations, nous prouvons sur le terrain

    «  nos qualités d’infiltration et de repli, et la plus grande souplesse du poignet. Gliss é s

    «  parmi le trot des chameaux, nous décochons de bas en haut nos traits courts et mor -

    «  tels ; de nos couteaux nous achevons qui choient sur le sol.

    «  Nous avons adopté la position du Croissant. Notre aile tenait le nord.

    «  À peine avait paru sur le tranchant de l‘horizon la muraille des Blancs.

    «  À peine les chefs de pointe avaient-ils levé leur lance de signal que nous fûmes enve -

    «  loppés sur notre gauche. Les sauvages escadrons lourds des Khyrs, si véloces sur leurs

    «  bêtes, frappaient lourdement comme une mâchoire de pince. Les guerrières f roissées

    «  s’abattaient sur leurs arcs flexibles. Les clameurs mêlaient leurs panaches. Pressés

    «  comme nous étions, dans une extrême excitation, le mouvement tournant sur la gauche

    «  nous fut freiné, mais ceux qui périrent sont tombés sur place. Chameaux et ar c h è r e s

    «  mêlées, nous autres quelques hommes, parvinrent à faire front : cohue, retrait du bras,

    «  corde bandée, flèches tirées d’en bas.

    «  Que notre combat semblait solitaire !

    «  Nous avons tenu, enveloppant les chevaux des Blancs sous nos nuées de pennes. Et les

    «  Blancs à leur tour chantèrent l’atroce mélodie de la souffrance : jarrets tranchés des bê-

    «  tes, cous harassés qu’on égorge, dards fichés au creux des tripes. Nos parfums tournè -

    «  rent sous la fadeur, alors les Blancs pleurèrent. Leurs arrières sentirent le poids des lan -

    «  ces d’avant-garde, qui s’étaient refermées sur eux comme une coque. Nous en a v o n s

    «  consommé un grand massacre, fabuleusement regorgeant d’hymnes d’amour, et les « archères mourantes jetaient leur dernière œillade. Nous avons appris qu’un autre fruit de « guerre s’était refermé côté sud, autour du second bataillon des Blancs : deux lunes « digérantes avaient donc tournoyé, côte à côte et s’ignorant.

    Prévenus par leurs éclaireurs, les Khyrrs ont mis leur point d’honneur à progresser sans se dissimuler, avec tout l’apparat possible ; les Tzaghîrs ont adopté, pour se déployer, la

    (1) 1m 67

    formation du Divin Croissant (Tchétem), particulièrement adaptée en terrain plat. Au centre, les Chameaux Lourds (Djoulavor), peu rapides mais pourvus de longues piques de 15 pieds. Aux ailes les chameaux de charge, les archers, et les « Petites Tailles » ou fantassins (Nassar). Les Khyrs, eux, de peau blanche, se sont tenus aux normes classiques, en quinconces. Les cavaliers portent sur leurs épaules un voile flottant de couleur claire, attaché au cou par un système d’agrafes d’or. La disposition en croissants des Tzaghîrs offrant à leur course un large espace, ils l’attribuent à la lâcheté de leurs adversaires. Atsahî, sous ses pans de toile blanche, caracole sur le front des troupes : lançant sa monture, il la bride d’un coup tous les cent pas, afn de haranguer les guerriers : la bête se cabre et bat des sabots à hauteur des têtes. N’avancez pas ! crie le hobozem aux troupes d’infanterie. « Vous devez tenir sur place, tant que nos cavaliers n’auront pas tourné les forces des Lèvres-Bleues ! » Les recrues, au comble de l’exaltation, saluent de leurs épées levées.

    À cent pas, Atzahî réitère son appel, la même scène se répète, hallucinante. Les Khyrrs des ailes nord et sud ont engagé la charge. Leur confiance est forte. Très vite les chevaux lourds se truvent aux prises avec les petits chameaux ; lesTzaghîrs ont à peine eu le temps de se rabattre de côté. Mais les pertes sont lourdes à cause des archères.

    C’est alors que les jeunes Khyrrs, demeurés calmes en dépit du désir, virent fondre sur eux la lourde masse des piquiers montés, visages durs, lourdes lances noires abaissées à quatre pieds du sol au niveau des poitrines, quinze rangs de chameaux géants trottant l’amble ; chaque pique est forgée de façon différente, multiples clés d’une serrure unique : la mort. Les jeunes Dix-Huitenaires ne tentent pas de résister. Ils se laissent glisser sur les ailes ; quand les lourds chevaux khyrrs, sentiront sur leurs flancs prêts à les seconder les vaillants fantassins bouillonnants de jeunesse, quelle ardeur ne les poussera point, cœurs d’homme à poitrail de bête !

    ...Car ces Tzaghîrs ne savent combattre que de loin, pique ou arc ; qu’on presse leurs thorax, bien peu résisteront- mais voici des cris qui s’élèvent au dernier rang des fuyards, stratèges malhabiles : les Chameaux-Lourds et les piques entrent en danse, côté dos. Et il faut bien se retourner, faire face trop tard aux longues barres, découpant les poitrines en dentelles variées. . De part et d’autre de la percée, les Chameliers se sont rabattus : chaque parti de Khyrs se trouve encerclé. Chaque boule d’épines, furieuses, pressent et perçoit les appels de l’autre part, également bloquée. La pression s’accentue, jusqu’à la curée. Très peu auront survécu à ce casse-noix.

    Les rescapés, jeunes conscrit, se sont bel :et bien enfuis vers Pikâr, la ville la plus proche, y semant la confusion. Les fuyards furent poursuivis et troués dans le dos sur plusieurs lieues de course. Cependant les Grands Chameliers ne les exterminèrent pas, comptant sur la terreur des survivants pour désorganiser l’arrière., mais obéissant avant tout

    à une coutume ancestrale et absurde : chaque engagement d’importance, victorieux en particulier, nécessitait le tirage des sorts, afin de décider de la marche en avant ou de l’immobilisation du front. Dans le passé, une telle superstition avait souvent causé la défaite.

    Les soldats tzaghîrs ont vu les Grands Chameliers revenir sur leurs pas, avec des huées de désappointement.

    Ebbi fit rassembler ses neuf meilleurs guerriers, couverts du sang ennemi. Puis neuf hommes blancs, les plus robustes, mais qui s’étaient laissé capturer. On les réunit sous une tente circulaire, la Tente d’Amitié. Tous s’y mirent nus, ce qui n’alla pas sans difficulté pour les Blancs, accoutumés à la pudibonderie. On se moqua d’eux pour commencer, à cause de leurs sexes scarifiés dans le sens de la longueur. Ensuite, le plus grand des neuf Noirs déclara : « Nous, qui vous avons défaits, nous vous servirons toute cette nuit. Nous nous témoignerons toutes les marques de la plus vive amitié ».

    Tous étaient nus et graves. La coupe de sang de bœuf circula lentement. Les pans lourds de la tente s’agitaient au vent réfléchi de la nuit. Chaque couple, se tenant par l’épaule, buvait joue contre joue l’âcre breuvage rituel. On se parlait à voix basse et assurée. L’interprète, au centre, faisait son office. On échangeait des poésies, des chansons fredonnées, et ces hommes devenaient proches. Un Tzaghîr expliqua, au milieu de la nuit, qu’il fallait échanger de son sang. Il montra l’exemple avec un jeune homme à peau rose qui se tenait accroupi à son côté ; l’incision à l’épaule fut brève, il s’accolèrent pour une mutuelle succion. Les sautres agirent de même. Puis Blancs et Noirs s’assirent en silence contres les parois, en alternance de couleurs. Posée sur le sol devant chacun d’eux, les lampes à huile projetaient sous leurs mentons des lueurs déjà cadavériques, creusant les joues et les mâchoires.

    La plupart s’hypnotisaient sur les flammèches. Si l’un d’eux venait à surprendre les traits de son compagnon, il baissait les yeux. L’un des Tzaghîrs, pour éviter que la nuit ne fût souillée par le sommeil, murmura le premier couplet d’une chanson d’amour. À ce moment tous entendirent, précis dans la nuit, les premiers coups des charpentiers.

    « C’est l’uñuosh qu’on assemble devant la tente ». L’interprète traduisit. Les Blancs écoutèrent. Les Noirs se résignèrent : l’ uñuosh, c’était l’échafaud, vaste ring surélevé, rond et ceint de cordes, où le combat terminal se tiendrait. Les hommes s’apprirent leurs chants, chacun dans leur langue.

    Au petit matin, quatre courtes cornes de brume s’étranglèrent aux quatre points cardinaux. Les hommes-sous-la-tente urinèrent, puis ceignirent un pagne, de couleur opposée à la sienne. Très vite les quatre cornes résonnèrent une seconde fois. Les hommes accoururent deux par deux. Ils s’étreignirent avec émotion, tout en courant, car l’un ou l’autre devait mourir. Les Blancs portaient un gorgerin de fer, les Noirs un casque – rapidement noués par un diacre-bourreau. Les affrontements furent brefs, étant donné la frayeur de chacun. Les diacres avaient recouvert le plancher d’une épaisse couche de sable. Après chaque duel, ils la creusaient et la déblayaient, aussi loin que le sable avait bu.

    La matière ainsi recueillie trouvait place dans des seaux de métal hermétiquement clos, qu’on enfouirait dans un lieu tenu secret. En une heure de soleil, les combats furent achevés. Les corps brûlés avec le bois de l’ uñuosh, l’armée observa le repos rituel d’un jour.

     

    * * * * * * * * * * * * * *

     

    «  Le couple de chameaux, fines jambes rapides,

    «  Bat l’amble dans les hautes herbes

    «  Kassim et Oultaïla

    «  L’ellipse orange peinte sur leur crâne d’or

    «  Court annoncer la victoire…

    (poème d’Agattîr)

     

    «  Un témoin raconta qu’il les avait vus, criant et riant, se lancer le message de l’une «  à l’autre monture : la boîte de bois verni tournoyait comme une hache, touchant la

    «  main droite ou la gauche, le coude ou la coquille du poignard. Leurs lèvres étirées

    «  - comme des saphirs fendus vola sur la crête des herbes.

    (Houbizé, XI, 11)

     

    «  Portés par l’élan, ils eurent franchi le défilé d’un seul bond, traversèrent la Terre

    «  du Cacao, la Terre Rouge, et proclamèrent à grande allure la victoire à travers les

    «  places d’Ikattan. Or on était en cinquième heure, en pleine agitation du Grand

    «  Commerce. Par l’enthousiasme qu’ils éprouvèrent, les marchands renversèrent « leurs étals, invitant la population à se servir, afin qu’elle festoyât. De toute part

    «  s’élevèrent les clameurs, toute la nuit le Peuple aux Crêtes Rouges célébra le

    «  combat de Gozar Gatzar. »

     

    3. L’arrivée des fuyards

     

     

    Bravant les dieux 300 hommes montés suivaient la retraite des Blancs. Ceux-ci, passéela débandade, s’étaient recomposés, sans courir. La nuit les trouva au lieu-dit Armalak. Les survivants des chefs firent panser les blessés : seuls les chirurgiens, regroupés dans un pli du terrain, purent allumer des feux de braise. La garde fut montée, les rondes assurées.

    Au matin, les soldats en retraite aperçurent, dans trois directions, les chameaux tzaghîrs à l’arrêt, à un quart de lieue, épiant.

    Des mouvements d’âme agitèrent les guerriers. Les uns voulurent achever les blessés, fuir vers le nord, et la ville. Les autres, plus nombreux, parlèrent de charger les Noirs insolents. Thérif, simple moyaf (1) promu chef, opta pour un moyen terme : on s’avancerait à leur rencontre, mais sans rechercher le contact. « Le Tzaghîr apprendrait à respecter le lion, même à reculons ». On fit ainsi qu’il avait dit. Chacun pouvait dénombrer, dans les rangs adverses, les silhouettes. Mais on ne distingua pas les visages. Aucun acte d’indiscipline ne fut tenté : pas un cri.

    Les Noirs n’étaient que trois cents, dépourvus de l’accord rituel des dieux. Le terrain les favorisait, car le sol ne cessait de descendre, si bien que les Blancs pensaient avoir dans leur dos l’avant-garde d’une puissante formation. Le jour suivant, les Noirs étaient plus proches. Cette fois-ci, l’armée entière suivait à courte distance. Les Khyrrhs devinrent nerveux. Peu après le milieu de la journée, Thérif aperçut d’autres troupes de son pays, qui s’étaient enfuies par des chemins différents. « Que font les Noirs ? » leur demanda-t-il. « Les Tzaghîrs nous suivent de près » lui fut-il répondu.

    La réunion des deux bribes d’armée, au lieu de restaurer la confiance, accentua la crainte. Le camp fut levé plus tôt. Les Tzaghîrs suivaient à présent, bien visibles, narquois. L’allure s’accélérait insensiblement, les alignements se défaisaient malgré les cris des serre-files. À présent les Noirs lançaient des quolibets. Les Blancs forçant l’allure, les Crêtes Rousses allongèrent le pas, et des guerriers, par jeu, lançaient le cri de guerre. Les chameaux, reconnaissant l’injonction, mais comprenant peu la plaisanterie, accélérèrent. Certains les freinèrent, d’autres non. Le reste de l’armée noire ayant rejoint ses éclaireurs se montrait à présent compacte.

    Une formidable huée jaillit des Lèvres Bleues, à quoi fit écho la plus faible et honteuse clameur des paniques. Les moïavt (lieutenants) exécutèrent de leurs propres mains les plus proches d’entre eux qui jetaient les armes. Mais tout fut emporté. Les cavaliers blancs s’ouvrirent le chemin à coup de lance dans la masse et la nuque des fantassins. La fuite se déploya sur une largeur de trois lieues. La plaine ruisselait de lâches meurtres et de piétinements. Des hameaux et des bourgs, raflés par cette gigantesque cohue giclaient des files d’expulsés, molécules chargées de meubles et de ballots, qui couraient tous s’agglutiner.

    Or les Tzaghîrrs ne frappaient point ! ils ne tiraient pas de flèches, se poussant seulement contre les blanches épaules convulsives. C’étaient leurs clameurs de joie que les Blancs prenaient pour des cris d’assaut, et le massacre ne venait que des Blancs eux-mêmes, se piétinant, se foulant sans vergogne, les cavaliers sur les soudards, les soudards sur les valets, ces derniers sur les femmes et les marchands.

    Le premier de la ville qui vit converger des trois points de l’horizon cette triple lame grouillant de poussière, fut la vigie de la Tour Sud des Pères. Déjà la foule propulsée par la panique battait les redans de la barbacane.

    La ville dePhytallia, comme la plupart des cités de Khyrs, était fortifiée « à la pieuvre », c’est-à-dire que les murs s’étiraient en fins tentacules creux, sur une longueur d’un quart de lieue, à partir du cercle de l’enceinte ; hérissant le tentacule à intervalles réguliers, des ventouses fortement remparées. Mais une seule porte, à l’extrémité du tentacule exclusivement. On imagine l’épouvante de cette foule traquée, face aux seules ouvertures praticables. De plus les Tzaghîrrs, mis en appétit, commençaient à lâcher quelques flèches et coups de lance pas tous inoffensifs.

    Une porte fut ouverte. Une longue contre-éjaculation ébranla les murailles parallèles. Sous les passages couverts le grondement redoublait. Là-haut, sur les chemins de ronde, la garde se mutinait ; ses chefs ordonnaient d’arroser de flèches les déserteurs.

    « Les moïavt juraient par tous les Dieux qu’il n’était pas meilleure perte pour un peuple « que des traîtres fuyards ; ajoutaient qu’ils voyaient très bien les Tzaghîrs emportés mêlés « au torrent, et qu’ils tuassent au moins ces ennemis. À quoi répondaient les gardiens qu’ils « auraient mieux couru de même vers leurs refuges, tout armés comme ils l’étaient ; que ce « n’était raison de flécher leurs camarades lesquels à leur endroit eussent agi de même ; « enfin baguenaudoient certains qu’ils aimaient ainsi se remplir du spectacle sans en obturer « l’ordonnance. »

    YOTH, XV, 37

    (« Par ainsi se répandit la tourbe tumultueuse enmi les rues et voies de la ville du sud »)

     

    Figure p. 20 Phytallia présente un système de défense propre aux Khyrrs. On obaerve sur cette figure le dessin concentrique des voies principales, an centre duquel se

    dresse une île conique sommée d’une citadelle. Les flèches représentent le

    trajet des fuyards. Les deux moitiés d’armée blanche s’entretuèrent d’abord

    à leur point de jonction, faute de se reconnaître. Nombreux furent ceux qui

    se précipitèrent dans lac tout armés, et s’y engloutirent.

     

     

    ...Mais la population de Phytallia se ressaisit à sa façon. Les civils, barricadés dans leurs hautes demeures, bombardèrent les fuyards de tout ce qu’ils purent trouver de plus lourd : meubles, candélabres, et jusqu’aux pierres descellées de leur maison…

    Cependant sur la place aux Étrèbes, les étals du marché, tentures, tréteaux, fruits, toiles, marchands, furent foulés pêle-mêle par les cavaliers en déroute, couverts jusqu’aux genoux du sang des leurs qu’ils avaient tailladés pour se frayer retraite. Des masses gagnées par la panique se bousculèrent aux parvis des temples, hurlant leurs prières. Des rues surgissaient encore des bandes enragées, lançant des pierres et des sarcasmes. Des incendies se déclarèrent.

    Or trois cents Noirs s’étaient introduits dans la ville : c’étaient les trois cents premiers éclaireurs. Pensant le reste de l’armée derrière eux, ils s’étaient mis à massacrer sournoisement la population d’un mur à l’autre à travers les rues. Les portes de la ville s’étaient refermées sur eux seuls. Voici comment : du haut de son chemin de ronde, la garde blanche s’était aperçue qu’un flot continu de crânes noirs à crête rouge franchissaient à présent le portail. Abandonnant leur propre rébellion, les Blancs tirèrent un barrage de flèches. Certains même osèrent descendre par les rampes pour en découdre, et refermer les portes. Le chroniqueur Abdulislam ajoute que la fermeture des lourds vantaux sembla facilitée par les Tzaghîrs eux-mêmes, qui auraient bridé l’avance de leurs chameaux.

    Les gardes blancs démentirent cette version, qui diminuait leur mérite,mais certains dévotsla divulguèrent, invoquant le secours in extremis du dieu des Murs, DAQST. (Les travaux du professeur Momamovitz sur la mentalité tzaghîre (Crêtes Rouges, 1932) avancent l’hypothèse vraisemblable selon laquelle ces 300 « éclaireurs immédiats », volontairement laissés en avant-garde de l’assaut proprement dit, et isolés par un cordon de guerriers bloquant toute retraite, n’avaient été introduits dans la ville en nombre nettement inférieur afin d’être immolés, à cuase de leur désobéissance initiale au Combat des Dix-Neufs, dont ils n’avaient pas attendu l’issue). Les Éclaireurs Immédiats se trouvèrent soudain regroupés au centre d’une esplanade en bordure de lac, où les limites de leur groupe leur apparurent.

    « Encommencèrent à considérer combien moindre en nombre estoient, si qu’on les pouvoit «  «  « aiséement cercler, et de faict l’estoient-ilz au mitan d’icelle place,isolés, de pied, toutefois « pourveus d’armes. Après grand stupeur et silence, tel poussa le premier cri, ainsi gagnant de « proche en proche tout alentour de la susdite place.Toute la cité recria de mesmes, s’entrencourageant l’un l’autre, et ce dict-on, que les Khyrrhs empeschés de bien veoir s’exclamoient aussi de confiance encontre leurs envahisseurs ».

    YOTH, XVI, 31-32

     

    Les éclaireurs noirs, se comprenant sacrifiés, luttèrent sans espoir autant dire de toute leur vaillance. Les Khyrrhs, dépités de leur primordiale panique, se déchargèrent sur la poignée de Crêtes Rouges. Ceux-ci succombaient sous le nombre, et l’ignoble carnage se perpétrait, quand de nouveaux cris de terreur éclatèrent au loin : tandis que tous tourbillonnaient pour porter leurs coups, les Tzaghîrs de l’extérieur avaient enfoncé les portes désertées.D’un long trot de chamellerie, les assaillants avaient remonté les couloirs défensifs ou « bras de pieuvre », et reprenaient de dos les massacreurs affairés. « On nous tue dans le dos ! » criaient les Khyrs ; et les Noirs répondaient Buqmufa ! buqmufa ! ce qui signifie « Carnage ! carnage ! »

    Une stricte discipline réprimant le pillage et le viol, Kolba, ayant abusé d’une fillette de 12 ans, fut aussitôt exécuté. Alors les Blanches qui se trouvaient dans les rues, mêlées parfois aux massacreurs, purent chercher refuge auprès des chefs tzaghîrs. Aucune rigueur ne leur fut tenue d’avoir porté ou voulu porter un coup mortel.

    Ainsi fut prise Phytalia, et maints de ses habitants occis.

     

    4. Situation de Khyr en 480

     

    80 lieues séparent Phytalia de Slavod, la capitale. L’annonce du désastre eût dû y parvenir au plus tard dans les trois jours. Or, les hiérarques l’avait interceptée.

    Il existait à Khyr une grande prolifération administrative. Point de chef qui ne fût subalterne à quelque titre de telle ou telle subdivision, ni de subordonné qui ne le fût à plusieurs chefs simultanés, en relation chacun avec telle fraction de ses attributions. D’un autre côté, tel supérieur hiérarchique pouvait fort bien se trouver sous la dépendance de son employé, qui avait pouvoir de décision sur lui dans un autre domaine, en vertu de la « Loi de bascule ». Ainsi le Maître des Ponts décidait-il des frais de construction, qu’il imposait au Pontonnier Majeur. Mais ce dernier avait la haute main sur le choix du personnel et des matériaux, qu’il imposait à son supérieur. Aux écuries, le Grand Avoinier fournissait le fourrage aux chevaux du roi, mais devait le respect au Litier, qui veillait à l’entretien des écuries. Au-delà d’une simple répartition des charges, il s’agissait d’un équilibrage des respects dus à chacun, selon sa fonction du moment. Inutile de dresser un tableau complet des lourdeurs inextricables et de la gabegie dont l’administration khyre se trouvaient infestée.

    Le rois ne recevait donc que la portion d’information que lui communiquaient les filtres de ses fonctionnaires inamovibles, ses hiérarques. On ne sache point qu’il eût souhaité en apprendre davantage, confiné qu’il était dans ses métaphysiques. On peut même affirmer qu’une simple obstruction dans la transmission d’un message n’a pu à elle seule entraîner la chute d’un empire. L’attitude des Grands contribua toutefois au manque de cohésion d’une défense militaire que le nombre aurait pu douer d’une certaine efficacité.

    Le 5 de nibhûr au matin, le messager parut aux portes de Slavod, arborant dans son dos l’antenne bleue de la défaite. La sentinelle avait ses ordres et le débarrassa de son fanion. On le restaura. Le Sire d’Inville tiré de son sommeil extirpa du messager le plus d’indications qu’il put, le messager sachant tout par cœur. Ensuite on enferma le messager, et les sentinelles furent consignées – d’autres les auraient tuées.

    Un conseil exceptionnel se réunit au palais des Akères. On retrouve là tous ces parasites d’Ètat qui tour à tour formèrent ou déformèrent l’empire (cf. « L’apogée khye au Moyen-Orient » (- 125 / + 216, Franzens 1932) : les cousins Porlaty, Mo-Rhamdès, Kuynsan et Béouleh – que leurs jours soient comptés, que la bêche les tranche vifs. Leur idéal est la rapine, leur joie de vivre nulle. Puiser dans les coffres en étalant sa morgue, telle est la vie des hiérarques de ces temps-là. C’est au moment précis de la convocation que les rues de Phytallia sont livrées à un nouveau massacre ; mais eux, doctement, argutient pour déterminer ce dont le roi LIGA sera nformé, et quand. Voici ce que décident ces trafiquants, anoblis par eux-mêmes :

    « Ces Nolrs ont de l’or, et des diamants profère Porlaty. - Nos Sciences affirment, profèrn Kuynsan, que dans les Montagnes les Démons se cuisent des escarboucles et des rubis sur leurs grils souterrains ». Sa voix se perd dans un éclat de toux. Son éloquence l’emporte : ne pas combattre les Barbares ; traiter seulement, filouter. Les deux femmes du conseil, exceptionnellement tirées du gynécée, doutaient fortement : il faudrait lentement se laisser envahir ; « et qui sait, ajoutait Nosdol, s’ils nous accorderaient suffisamment de vie sauve pour jouir des premiers carats ». - sa compagne suggéra de mettre à profit toutefois la défaite pour dépouiller de leurs biens les généraux couards. Face aux fortunes soustraites au fisc, les passe-droits promis aux grades supérieurs furent de peu de poids ; on osa même attribuer à ces confiscations des vertus purificatrices : les fortunes foncières et leurs troupes d’esclaves constituaient, on s’en avisait soudain, une grave atteinte aux prérogatives royales.

    Les jours suivants fournirent aux voleurs une occasion de s’exercer. Les envahisseurs en effet n’avançaient pas en plaine, rendus circonspects par la minceur de leurs arrières, qu’alimentaient seuls pour l’instant les défilés du Ktôh, et que freinaient leurs superstitions méticuleuses. Ces derniers avançaient sans hâte, fourvoyés entre les bras des affluents, revenant sur leurs pas, phagocytant les poches avec des nonchalances d’amibes, mais toujours victorieux. Quant au peuple khyrr, il s’était transmis à lui seul le cours des évènements. L’annonce du désastre ne pouvait décemment plus être retardée au Roi, qu’un chambellan de bas étage eût pu l’informer sans fard.

    Mais les hiérarques parvinrent à combiner cette révélation avec la nouvelle d’une trahison : celle du obozem Ovnot. Ils n’avaient pas tort, quoique sans le savoir, et ce n’est que depuis les travaux de Herr Professor Dekentmayer sur les manuscrits de Nyatt que nous pouvons annoncer ce qui suit :

    « Ovot fut chargé de bouter hors, ou mieux d’anéantir, l’avalanche des Crêtes-Rouges. La raison invoquée lors de son interrogatoire fut l’insuffisance numérique. Mais il avait tardé. Aussi, il envoya son collègue Yuzonnt en mission auprès d’Éod, afin de le persuader de se joindre aux forces de répulsion : indépendance des chefs d’armée ; nous savons par d’autres sources que Yuzonnt était bien le dernier ambassadeur qu’il convînt d’envoyer auprès d’Éod, les deux hommes étant brouillés depuis longtemps. Les hiérarques pouvaient donc présenter Ovnot comme un traître, agrémentant leurs propos de soupçons aussi soigneusement distillés qu’invérifiables.

    Le roi LIGA se fiait aveuglément à Mogandé, rapporteur de hiérarques. Il le crut, cita illico à comparaître Ovnot, Yuzonnt, Éod, et maints autres. Ils étaient perdus.

    5. Liga le Fou

     

     

     

    Le Roi Liga était âgé de 25 ans. Sombre, sournois, le teint olivâtre, le nez coupant, la face vers le bas ou marquée de suspicion. Sa sensibilité le livre à des accès d’agitation fourmillante suivis de prostrations, d’où jaillissaient des projets capables, à la lettre, de bouleverser le monde, et l’entourage, les ministres… n’avaient pas avantage à faire languir les ordres, jusqu’aux prochaines turbulences.

    LIGA, de sa propre volonté, vit reclus. C’est la condition essentielle au succès de ses magies, qui lui assurent, au sein de son silence, la maîtrise absolue. Il adorerait, au fond d’une crypte, la Pierre étoilée du Nord phosphorescent. Il s’y retire, masqué, couvert d’or, absorbant dans le noir des gelées miroitantes. De ses révélations procède le gouvernement. « Cet être exceptionnel méritait l’illumination » estimait Yôth-Ahnan.

    Malheureusement le programme des Grands s’exécuta de point en point. Des messagers encagoulés furent expédiés aux meilleurs chefs de guerre. Ils portaient à l’arçon une large hache au profil teint de rouge. Il faut relire le saisissant récit de Vârash, officier de secrétariat, à la fois témoin et acteur :

    Français Djunngo

    « Yuzoat avait alors quarante-et-cinq « Tuzvoat juyf’must räzdvidopr’ppoït

    « Il était fort et bien fait « On ojof gusf if coïddjôf.

    « L’âge n’avait point courbé « Mikhi shuyofrrt dwasco

    « son ossature, et il ne devait jamais «  tup attvazi, if pi shuyof l’ñot

    « la courber. Il avait parfois « m’dwashis. Omuyof rzgwot

    « succombé aux puissances de « taddungo jath rôtt’ddit fi

    « l’intérêt et de la famille, « m’oddvosôv iffi n’djnommi,

    « grandes pour se soumettre tout « xtfit rwas ti twannivsi bâf

    « homme du peuple au Roi, mais « junni fa riarmi ya Swo, ñot

    « néfastes pour sa fin, et pour « podjivvit rwas tgô, iv rwat

    « notre fin à tous, comme il advient « puvsi gô ibât, dunñom afwoïtf

    « en général et comme il nous « ip khobozm iv dunñom bwat

    « advint de jour-là « fwof di lwaz-mi

    (On trouvera la suite du texte djunngo chez les Éditions du Caveau, rue Barbentane, LYON)

     

    (suite du texte en français) :

    (…) Éod sortait la tête haute, satisfait des vins et du pardon, accordant son arrogant soutien «  à la cause commune. Et n’eussent été les ordres cruels de LIGA, nul doute que tant de « forces réunies n’eussent contenu et repoussé l’invasion. On entendit sur le parvis de la « tente le galop freiné de deux montures. Sorti simplement encontre le bruit, Notre Maître « Yuzoat vit sautant des selles deux envoyés du roi LIGA, portant au nœud de l’épaule la « broche ronde d’améthyste, à la main chacun le message également scellé d’améthyste.

    « Les déroulant devant lui, lurent ensemble la citation à comparaître et le rappel de la « mission. L’un des messagers parlait d’une voix rauque, l’autre tenait l’accent des Nsoyitt. « Yuzoat soulevant encore le pan de sa tente cracha de dépit sur le sol, et déclara qu’il « n’avait point démérité, que les accusations sans retour dont il était chargé, car on ne « sortait pas vivant des tribunaux de l’Améthyste, ressortissaient à la calomnie. Il osa même, « et de cela je suis témoin, porter la main sur la broche et mettre en doute avec courroux la « légitimité du symbole. Ce que voyant, l’homme Naoyitt courut détacher de la selle la « hache au tranchant teint de rouge. Notre Maître reçut le coup, qui lui détacha l’épaule, et « le rideau frangé retomba sur son sang. Je m’abstins de paraître, sachant, comme il advint « de vrai, que la terreur des améthystes fige le peuple et l’armée. J’appris que la peur avait « poussé si loin qu’Éod lui-même, peu de temps après le départ des messagers, fut poignardé dans la nuque par un officier d’en-bas, pour gagner quelque grade. »

    Ajoutons que dix autres messages en ce sens furent expédiés, acculant au suicide les meilleurs chefs de l’armée khyrrhe. Cette erreur décapita le haut commandement, supprimant ainsi toute possibilité d’intervention efficace.

    6. L’Épanchement

     

     

     

     

    Un flot constant de Tzaghîrrs franchissait désormais les défilés du Ktôh, sans défense depuis la déroute de Drinop. Le gros de l’armée s’était alors emparé de Phytallia, comme relaté plus haut. Cependant, un autre corps de troupes, nouvellement parvenu sur territoire khyrr, prenait l’important marché de Baâssam. Aucune résistance, déjà se propageait la désorganisation semée par les hiérarques. Les Tzaghîrs se contentèrent de s’attribuer les meilleurs logements. Les informations étaient restées aux mains du Sire d’Inville et de ses acolytes, qui tournèrent l’esprit du Roi de telle sorte qu’il se préoccupait bien plus d’exécuter ses serviteurs que de remédier à la défaite. Mais le peuple, désormais, savait que le Roi était fou, et les ministres pervertis.

    Or les Tzaghîrs, passées les premières conquêtes sur une profondeur de 25 « lieues », n’avaient plus éprouvé le besoin de progresser. Épandues sur le Sud du pays en un delta dont le défilé de Ktôh formait la racine, leurs troupes à présent épaissies de bagages et de marchands poussaient nonchalamment leurs avances. Un bref combat le cas échéant, une annexion tranquille de 10 lieues carrées, et le delta de l’invasion s’évasait vers le nord et la capitale.

    Dans les siècles passés, pour autant que la faiblesse des sources peut nous le laisser supposer, les rois tzaghîrrs avaient conduit leurs peuples à l’assaut des primitifs de l’équateur ; une alternance incessante de succès et de revers avait jeté sous leurs lances, ou les en avait arraché, les mêmes territoires alternativement disputés.

    Depuis cent années, les Tzaghîrrs s’étaietn contenté de mettre en valeur les terres riuges du plateau d’Ettoboï, avec les monts qui les encadraient. Seules des motivations religieuses, relatives à des prophéties expansionnistes, les avaient jetés comme un rapide aussitôt absorbé par le sol, à travers les défilés du Ktôh. On peut se figurer la mornitude galopante éprouvée face à des peuples n’éprouvant aucune envie de se défendre, ainsi que l’a imaginé Moellfort, ou, plus vraisemblablement,le dédain manifesté pour une capitale dont la chute, sans importance stratégique réelle, se fût accomplie d’elle-même. Rien n’était prêt non plus sur les murailles, rien d’autre que les patrouilles habituelles.

    Simplement, pour satisfaire aux rumeurs inlassables de défaites non confirmées, tel flavets ici (adjudant), tel tishift là (sergent) s’étaient-ils permis de renforcer à tout hasard le secteur confié à son commandement. Mais quelques flèches ou tirs de catapultes sans portée

    se révélèrent sans commune mesure avec la formidable surprise qui assaillit les défenseurs de SLAVOD à l’aube du 3 nibhur 489 : une horde de démons noirs aux lèvres peintes, d’abord mobile à peine à l’horizon de 40 guetteurs à la fois, quel que fût leur point cardinal. Le cor d’alarme circula tout autour des murailles dans une succession plus rapide qu’aucun mot d’ordre n’eût su l’obtenir : chaque vigile revendiqua sur l’honneur le premier coup d’œil exact

    Les Tzaghirrs en effet s’avancèrent de toutes les directions à la fois, en cercle parfait sur la plaine steppeuse. Cette fois-ci encore, prêtres et chefs noirs s’étaient concertés pour l’impeccable déploiement du rite. Puis on distingua les hautes colonnes chamelières, badjars liés sur leurs bêtes par les huit rubans en toupie, en ordre de marche et non pas de bataille, tant était poussé loin le mépris du Blanc. Ainsi roula le bourrelet négligemment resserré autour de la capitale, sans aucune autre réaction qu’une stupéfaction curieuse. Ni sortie donc, ni traits : mais 40 vigiles époumonnés, les yeux immenses et les cors ballant aux ceintures. Les Tzaghîrrs cantonnés à 400 pas des murailles montèrent leurs tentes et cuisirent leur odorante nourriture, car c’était l’heure du repas de ce matin-là.

     

    Vigie 32 – Rapport

     

    « Vu l’armée des Noirs. Osé souffler du cor ,tous ceux qui m’ont imité jetés plus tard aux fers.

    «  Noirs crêtes rouges en arrêt 400 pas. Mangent et boivent. Présence de femmes. Odeurs

    « méconnues, appétit. Vers midi, grande agitation Secteur 32.

    « Espace dégagé devant immense tente, chameaux écartés. Chant poussé par tous. Voix graves et

    « forcées, de plus en plus fort. La tente du chef s’agite. Il paraît, sans ornement. Tous les guerriers

    « torse nu, ÉPÉE démesurément longue apportée, très blanche, très brillante, ÉPÉE fichée en terre.

    « Tous en cercle, le chef parmi eux. Des chants assis, des prosternations. Des cris litaniques. Des

    « chants la face contre sol. Adoration de la Force de l’Épée. Clameurs énormes : HALAM !

    « HALAM ! - cris propagés en cercle, à travers tout le camp, secteurs 32, 31, 30 et 33.

    Vigie 32 – nom : Kapedagh, âge : 29. »

     

    Les Tazghîrrs exultaient.

    Le texte ci-dessus est la première mention d’une cérémonie de cet ordre en plein jour. L’épée géante fut ensuite menée en procession au travers du camp. Des guerriers au crâne peint lui faisaient

    escorte. Parvenus, après plus d’un tout de reconnaissance, au droit de la porte qu’ils estimèrent principale (en fait ce n’était que la Porte des Roses, plus richement ornée), ils replantèrent l’épée dans le sol.