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der grüne Affe - Page 17

  • KHYRRS ET TZAGHÎRS

    COLLIGNON KHYRS ET TZAGHÎRS

     

    1. La stèle

     

    Ici le fleuve entaille la falaise. Six cents doghs de dénivelé. Au sommet, la ligne des arbres – en bas, la trouée du rapide et son ravage de troncs. L’eau fume jusqu’aux premières savanes sous la pente : c’est là, au bout de la dernière piste, que se devine sous les herbes la stèle d’Alloum-Khéfi.

    « Lis ce qui est écrit !

    - Comment serait-ce possible, ô Badjar, à celui que tu as privé de la vue ?

    - C’est juste.Qu’on l’achève.

    Un esclave pousse le Blanc, qui tombe à quatre pattes et reçoit sur la nuque le froid tranchant du ssûtak ; un autre entraîne le corps et la tête hors de la piste, à portée de hyènes.

    « Blanc, lis-nous le texte de la stèle.

    - De la dixième année de mon très glorieux Règne

    « Quiconque, homme ou femme, de peau noire, ayant franchi la borne du Royaume

    «  Sera sur-le-champ exécuté ».

    Un vaste éclat de rire secoue les Suivants sur leurs méharis, et gagne la colonne des guerriers sur toute sa longueur. Le prisonnier halète. Le ssûtak recourbé s’élève sur sa tête, mais le Badjar fait un geste condescendant : « Laissez-lui la vie ». L’homme est tiré en arrière par la corde qui lie ses poignets. Le Badjar tend le bras vers la stèle. Aussitôt dix guerriers s’arc-boutent à sa base et s’écartent d’un bond quand la pierre s’abat dans un creux d’eau sous les herbes, avec le bruit lourd d’un hippopotame touché à mort.

    Alors une clameur remonte la colonne jusqu’aux lisières de forêts, et plus loin, où l’on n’a rien vu. Le Badjar a levé trois fois le ludabeth, sa lance-d’appui, qui descend jusqu’au sol le long de sa monture, et rythme la marche vers le nord : Hy-bâ !

    Hy-bâ ! crient les flancs-gardes.

    Le Badjar marche en tête sur son méhari. Ses lèvres sont bleues. Son crâne aux tempes poncées porte une crête rousse de la nuque au front. De sa ceinture partent huit longues étoles rouges, tendus en étoiles par huit esclaves à pied, aux lèvres bleues, le torse nu. Ainsi maintenu à mi-corps, il avance avec majesté, comme une rutilante mygale.

    Les tendeurs d’étoles trébuchent sur les longues-herbes, prenant soin de toujours garder le tissu soigneusement tiré. Leurs traits et leurs muscles luisent. Sous la taille écartelée par les écharpes tendues à se rompre, un pantalon bouffant d’étoffe blanche à crevés rouges. Les pieds sont nus. Derrière l’imposante pyramide formée par le Badjar et ses étoliers, les treize fouroukh montent des chevaux noirs à crinière courte. Les fouroukhs ou maréchaux ont la tête rousse et la bouche bleu saphir ; mais leurs cheveux sont plus ras, et leurs prérogatives ne vont pas jusqu’à s’autoriser la garance pour se peindre, ou la poudre d’indigo.

    Ainsi se règle la tenue des officiers, reconnaissables au nombre de leurs bagues.Les serre-files agitent leurs baguettes de cuivre. Le peuple tzaghîr est en marche : hommes et femmes en état de porter les armes. Ils ont tous les cheveux roux, les lèvres bleues et vernies, et lorsque le Badjar tourne la tête, il aperçoit, en file interminable jusqu’aux Gorges de Lazb, un immense dégorgement humain de braises rouges et de peaux noires.

     

    X

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    TZAGHÎR FRANÇA1S

     

    « Mior utimer wendrè halemu «  Nous avons ainsi cheminé

    « horpowo biongak cho rikao, «  jusqu’au coucher du soleil,

    «  pö ruzuerru rok mispa fwonga. «  qui s’abaissa sur notre gauche.

    «  Ja bunsuéla u jumbu ku nkéakè, «  Le bounsouéla a lancé la prière,

    «  nör mior utimer diklu «  puis nous avons formé

    « diklu kar bakbar chuzuma. «  les cercles d’ébène.

    « Ha nikhuè jami  «  Je portais le numéro 743

    «  rior kaq ipshkar Schebbi «  sous les ordres d’Ebbi

    «  as ha gor runuzu «  et je fus séparé

    «  sha Hamaoua. « de Hamaoua.

    «  Ba riok-jou, ha bilnwè «  Ce soir-là, je comptai

    «  tchoumer ju turmankwèma «  dans la vaste plaine

    « …. «  plus de 50 cercles,

    « …e aucun Blanc n’apparaissait encore. Mon tour de garde n’intervenait qu’aux quatrièmes «  veilles. Je dégainai mes deux épées-de-main, l’une plus courte pour la gauche, et l’autre «  pour la droite, et les plantai dans le sol comme il m’avait été enseigné. Puis je déroulai le « çèmo qui ceignait mes reins pendant la marche, et m’y enveloppai. Je ne pouvais dormir, «  enfin parvenu au Pays Blanc... »

     

    X

    X X

     

    « Maîtresse !

    - Que me veux-tu, à cette heure de la nuit ?

    - Pose ton Rouleau-des-Lois, viens à la fenêtre !

    - Je suis trop âgée pour pouvoir m’étonner.

    - Tu n’entendais pas ce bruit par la ville ?

    - Me voici près de toi. La nuit est restée chaude.

    - Les guerriers se sont rassemblés sur la place et les rues voisines remplies.

    - Les flambeaux luisent sur les murs de sable.

    «  Au-dessus des ruelles invisibles je vois le tunnel pourpre des torches.

    - Ils partent cette nuit pour le pays des Khyrs ! »

    Djezirah et sa servante demeurent accoudées sur le balcon. Tous les contingents mobilisables d’Aïn-Artoum se sont agglutinés, bloquant la place au coude à coude. Les lances tendues à l’alignement jettent des éclairs roux. Devant le premier rang est ménagé un espace libre. Une vaste gifle de métal:lesl ances se sont redressées. Le Dovi paraît, escorté de deux colosses aux lèvres violacées. Ils élèvent sans effort le Chef sur le pavois.

    « Troupes aimées, guerriers !

    « Il est venu, le temps des prophéties.

    «  Plusieurs fois nos marchands sont allés au gras pays des Blancs

    « Les Khyrs, les Gorgés.

    « Plusieurs fois leurs curieux ont grimpé sur nos plateaux Tzaghîrrs.

    « Nous sommes curieux, nous aussi.

    «  À présent nos marchands sont armés

    « notre noir empire est plus ancien qu’eux :

    «  nous sommes les fils de la Lune et du Vent, Enfants de Toutes-Aures.

    «  Que le Premier Croissant nous éperonne.

    «  Lune a promis la Terre à nos conquêtes

    «  Depuis .540. années pour .540. autres années

    «  - Peuple Têtes-Rousses !

    2. La bataille de Drinop

     

     

    a)

    ! k

    ! k Les Khyrs

    !k !k tentent

    !k de déborder les Tzaghîrrs

    >>>>>>>>

    TZA !k Ceux-ci percent

    >>>>>>>> leur centre

    !k !k et se rabattent

    sur ceux qui

    !k voulaient les déborder.

    Le centre Khyr est en fuite.

    ‘’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’

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    TZ<TZ

    Récit d’un jeune Tzaghîr, Héri

    (dans le style de sa nation)

     

    « Ma taille n’excédant pas le rayon du soleil (1), je fus introduit au corps agile des

    «  Archers. Ce sont les plus parfumées de nos guerrières. Choyé d’une majorité de

    « femmes, mon tempérament s’épanouit. Nos exercices alliaient la grâce à la prompti-

    «  tude. Comme prescrit par la pratique et les incantations, nous prouvons sur le terrain

    «  nos qualités d’infiltration et de repli, et la plus grande souplesse du poignet. Gliss é s

    «  parmi le trot des chameaux, nous décochons de bas en haut nos traits courts et mor -

    «  tels ; de nos couteaux nous achevons qui choient sur le sol.

    «  Nous avons adopté la position du Croissant. Notre aile tenait le nord.

    «  À peine avait paru sur le tranchant de l‘horizon la muraille des Blancs.

    «  À peine les chefs de pointe avaient-ils levé leur lance de signal que nous fûmes enve -

    «  loppés sur notre gauche. Les sauvages escadrons lourds des Khyrs, si véloces sur leurs

    «  bêtes, frappaient lourdement comme une mâchoire de pince. Les guerrières f roissées

    «  s’abattaient sur leurs arcs flexibles. Les clameurs mêlaient leurs panaches. Pressés

    «  comme nous étions, dans une extrême excitation, le mouvement tournant sur la gauche

    «  nous fut freiné, mais ceux qui périrent sont tombés sur place. Chameaux et ar c h è r e s

    «  mêlées, nous autres quelques hommes, parvinrent à faire front : cohue, retrait du bras,

    «  corde bandée, flèches tirées d’en bas.

    «  Que notre combat semblait solitaire !

    «  Nous avons tenu, enveloppant les chevaux des Blancs sous nos nuées de pennes. Et les

    «  Blancs à leur tour chantèrent l’atroce mélodie de la souffrance : jarrets tranchés des bê-

    «  tes, cous harassés qu’on égorge, dards fichés au creux des tripes. Nos parfums tournè -

    «  rent sous la fadeur, alors les Blancs pleurèrent. Leurs arrières sentirent le poids des lan -

    «  ces d’avant-garde, qui s’étaient refermées sur eux comme une coque. Nous en a v o n s

    «  consommé un grand massacre, fabuleusement regorgeant d’hymnes d’amour, et les « archères mourantes jetaient leur dernière œillade. Nous avons appris qu’un autre fruit de « guerre s’était refermé côté sud, autour du second bataillon des Blancs : deux lunes « digérantes avaient donc tournoyé, côte à côte et s’ignorant.

    Prévenus par leurs éclaireurs, les Khyrrs ont mis leur point d’honneur à progresser sans se dissimuler, avec tout l’apparat possible ; les Tzaghîrs ont adopté, pour se déployer, la

    (1) 1m 67

    formation du Divin Croissant (Tchétem), particulièrement adaptée en terrain plat. Au centre, les Chameaux Lourds (Djoulavor), peu rapides mais pourvus de longues piques de 15 pieds. Aux ailes les chameaux de charge, les archers, et les « Petites Tailles » ou fantassins (Nassar). Les Khyrs, eux, de peau blanche, se sont tenus aux normes classiques, en quinconces. Les cavaliers portent sur leurs épaules un voile flottant de couleur claire, attaché au cou par un système d’agrafes d’or. La disposition en croissants des Tzaghîrs offrant à leur course un large espace, ils l’attribuent à la lâcheté de leurs adversaires. Atsahî, sous ses pans de toile blanche, caracole sur le front des troupes : lançant sa monture, il la bride d’un coup tous les cent pas, afn de haranguer les guerriers : la bête se cabre et bat des sabots à hauteur des têtes. N’avancez pas ! crie le hobozem aux troupes d’infanterie. « Vous devez tenir sur place, tant que nos cavaliers n’auront pas tourné les forces des Lèvres-Bleues ! » Les recrues, au comble de l’exaltation, saluent de leurs épées levées.

    À cent pas, Atzahî réitère son appel, la même scène se répète, hallucinante. Les Khyrrs des ailes nord et sud ont engagé la charge. Leur confiance est forte. Très vite les chevaux lourds se truvent aux prises avec les petits chameaux ; lesTzaghîrs ont à peine eu le temps de se rabattre de côté. Mais les pertes sont lourdes à cause des archères.

    C’est alors que les jeunes Khyrrs, demeurés calmes en dépit du désir, virent fondre sur eux la lourde masse des piquiers montés, visages durs, lourdes lances noires abaissées à quatre pieds du sol au niveau des poitrines, quinze rangs de chameaux géants trottant l’amble ; chaque pique est forgée de façon différente, multiples clés d’une serrure unique : la mort. Les jeunes Dix-Huitenaires ne tentent pas de résister. Ils se laissent glisser sur les ailes ; quand les lourds chevaux khyrrs, sentiront sur leurs flancs prêts à les seconder les vaillants fantassins bouillonnants de jeunesse, quelle ardeur ne les poussera point, cœurs d’homme à poitrail de bête !

    ...Car ces Tzaghîrs ne savent combattre que de loin, pique ou arc ; qu’on presse leurs thorax, bien peu résisteront- mais voici des cris qui s’élèvent au dernier rang des fuyards, stratèges malhabiles : les Chameaux-Lourds et les piques entrent en danse, côté dos. Et il faut bien se retourner, faire face trop tard aux longues barres, découpant les poitrines en dentelles variées. . De part et d’autre de la percée, les Chameliers se sont rabattus : chaque parti de Khyrs se trouve encerclé. Chaque boule d’épines, furieuses, pressent et perçoit les appels de l’autre part, également bloquée. La pression s’accentue, jusqu’à la curée. Très peu auront survécu à ce casse-noix.

    Les rescapés, jeunes conscrit, se sont bel :et bien enfuis vers Pikâr, la ville la plus proche, y semant la confusion. Les fuyards furent poursuivis et troués dans le dos sur plusieurs lieues de course. Cependant les Grands Chameliers ne les exterminèrent pas, comptant sur la terreur des survivants pour désorganiser l’arrière., mais obéissant avant tout

    à une coutume ancestrale et absurde : chaque engagement d’importance, victorieux en particulier, nécessitait le tirage des sorts, afin de décider de la marche en avant ou de l’immobilisation du front. Dans le passé, une telle superstition avait souvent causé la défaite.

    Les soldats tzaghîrs ont vu les Grands Chameliers revenir sur leurs pas, avec des huées de désappointement.

    Ebbi fit rassembler ses neuf meilleurs guerriers, couverts du sang ennemi. Puis neuf hommes blancs, les plus robustes, mais qui s’étaient laissé capturer. On les réunit sous une tente circulaire, la Tente d’Amitié. Tous s’y mirent nus, ce qui n’alla pas sans difficulté pour les Blancs, accoutumés à la pudibonderie. On se moqua d’eux pour commencer, à cause de leurs sexes scarifiés dans le sens de la longueur. Ensuite, le plus grand des neuf Noirs déclara : « Nous, qui vous avons défaits, nous vous servirons toute cette nuit. Nous nous témoignerons toutes les marques de la plus vive amitié ».

    Tous étaient nus et graves. La coupe de sang de bœuf circula lentement. Les pans lourds de la tente s’agitaient au vent réfléchi de la nuit. Chaque couple, se tenant par l’épaule, buvait joue contre joue l’âcre breuvage rituel. On se parlait à voix basse et assurée. L’interprète, au centre, faisait son office. On échangeait des poésies, des chansons fredonnées, et ces hommes devenaient proches. Un Tzaghîr expliqua, au milieu de la nuit, qu’il fallait échanger de son sang. Il montra l’exemple avec un jeune homme à peau rose qui se tenait accroupi à son côté ; l’incision à l’épaule fut brève, il s’accolèrent pour une mutuelle succion. Les sautres agirent de même. Puis Blancs et Noirs s’assirent en silence contres les parois, en alternance de couleurs. Posée sur le sol devant chacun d’eux, les lampes à huile projetaient sous leurs mentons des lueurs déjà cadavériques, creusant les joues et les mâchoires.

    La plupart s’hypnotisaient sur les flammèches. Si l’un d’eux venait à surprendre les traits de son compagnon, il baissait les yeux. L’un des Tzaghîrs, pour éviter que la nuit ne fût souillée par le sommeil, murmura le premier couplet d’une chanson d’amour. À ce moment tous entendirent, précis dans la nuit, les premiers coups des charpentiers.

    « C’est l’uñuosh qu’on assemble devant la tente ». L’interprète traduisit. Les Blancs écoutèrent. Les Noirs se résignèrent : l’ uñuosh, c’était l’échafaud, vaste ring surélevé, rond et ceint de cordes, où le combat terminal se tiendrait. Les hommes s’apprirent leurs chants, chacun dans leur langue.

    Au petit matin, quatre courtes cornes de brume s’étranglèrent aux quatre points cardinaux. Les hommes-sous-la-tente urinèrent, puis ceignirent un pagne, de couleur opposée à la sienne. Très vite les quatre cornes résonnèrent une seconde fois. Les hommes accoururent deux par deux. Ils s’étreignirent avec émotion, tout en courant, car l’un ou l’autre devait mourir. Les Blancs portaient un gorgerin de fer, les Noirs un casque – rapidement noués par un diacre-bourreau. Les affrontements furent brefs, étant donné la frayeur de chacun. Les diacres avaient recouvert le plancher d’une épaisse couche de sable. Après chaque duel, ils la creusaient et la déblayaient, aussi loin que le sable avait bu.

    La matière ainsi recueillie trouvait place dans des seaux de métal hermétiquement clos, qu’on enfouirait dans un lieu tenu secret. En une heure de soleil, les combats furent achevés. Les corps brûlés avec le bois de l’ uñuosh, l’armée observa le repos rituel d’un jour.

     

    * * * * * * * * * * * * * *

     

    «  Le couple de chameaux, fines jambes rapides,

    «  Bat l’amble dans les hautes herbes

    «  Kassim et Oultaïla

    «  L’ellipse orange peinte sur leur crâne d’or

    «  Court annoncer la victoire…

    (poème d’Agattîr)

     

    «  Un témoin raconta qu’il les avait vus, criant et riant, se lancer le message de l’une «  à l’autre monture : la boîte de bois verni tournoyait comme une hache, touchant la

    «  main droite ou la gauche, le coude ou la coquille du poignard. Leurs lèvres étirées

    «  - comme des saphirs fendus vola sur la crête des herbes.

    (Houbizé, XI, 11)

     

    «  Portés par l’élan, ils eurent franchi le défilé d’un seul bond, traversèrent la Terre

    «  du Cacao, la Terre Rouge, et proclamèrent à grande allure la victoire à travers les

    «  places d’Ikattan. Or on était en cinquième heure, en pleine agitation du Grand

    «  Commerce. Par l’enthousiasme qu’ils éprouvèrent, les marchands renversèrent « leurs étals, invitant la population à se servir, afin qu’elle festoyât. De toute part

    «  s’élevèrent les clameurs, toute la nuit le Peuple aux Crêtes Rouges célébra le

    «  combat de Gozar Gatzar. »

     

    3. L’arrivée des fuyards

     

     

    Bravant les dieux 300 hommes montés suivaient la retraite des Blancs. Ceux-ci, passéela débandade, s’étaient recomposés, sans courir. La nuit les trouva au lieu-dit Armalak. Les survivants des chefs firent panser les blessés : seuls les chirurgiens, regroupés dans un pli du terrain, purent allumer des feux de braise. La garde fut montée, les rondes assurées.

    Au matin, les soldats en retraite aperçurent, dans trois directions, les chameaux tzaghîrs à l’arrêt, à un quart de lieue, épiant.

    Des mouvements d’âme agitèrent les guerriers. Les uns voulurent achever les blessés, fuir vers le nord, et la ville. Les autres, plus nombreux, parlèrent de charger les Noirs insolents. Thérif, simple moyaf (1) promu chef, opta pour un moyen terme : on s’avancerait à leur rencontre, mais sans rechercher le contact. « Le Tzaghîr apprendrait à respecter le lion, même à reculons ». On fit ainsi qu’il avait dit. Chacun pouvait dénombrer, dans les rangs adverses, les silhouettes. Mais on ne distingua pas les visages. Aucun acte d’indiscipline ne fut tenté : pas un cri.

    Les Noirs n’étaient que trois cents, dépourvus de l’accord rituel des dieux. Le terrain les favorisait, car le sol ne cessait de descendre, si bien que les Blancs pensaient avoir dans leur dos l’avant-garde d’une puissante formation. Le jour suivant, les Noirs étaient plus proches. Cette fois-ci, l’armée entière suivait à courte distance. Les Khyrrhs devinrent nerveux. Peu après le milieu de la journée, Thérif aperçut d’autres troupes de son pays, qui s’étaient enfuies par des chemins différents. « Que font les Noirs ? » leur demanda-t-il. « Les Tzaghîrs nous suivent de près » lui fut-il répondu.

    La réunion des deux bribes d’armée, au lieu de restaurer la confiance, accentua la crainte. Le camp fut levé plus tôt. Les Tzaghîrs suivaient à présent, bien visibles, narquois. L’allure s’accélérait insensiblement, les alignements se défaisaient malgré les cris des serre-files. À présent les Noirs lançaient des quolibets. Les Blancs forçant l’allure, les Crêtes Rousses allongèrent le pas, et des guerriers, par jeu, lançaient le cri de guerre. Les chameaux, reconnaissant l’injonction, mais comprenant peu la plaisanterie, accélérèrent. Certains les freinèrent, d’autres non. Le reste de l’armée noire ayant rejoint ses éclaireurs se montrait à présent compacte.

    Une formidable huée jaillit des Lèvres Bleues, à quoi fit écho la plus faible et honteuse clameur des paniques. Les moïavt (lieutenants) exécutèrent de leurs propres mains les plus proches d’entre eux qui jetaient les armes. Mais tout fut emporté. Les cavaliers blancs s’ouvrirent le chemin à coup de lance dans la masse et la nuque des fantassins. La fuite se déploya sur une largeur de trois lieues. La plaine ruisselait de lâches meurtres et de piétinements. Des hameaux et des bourgs, raflés par cette gigantesque cohue giclaient des files d’expulsés, molécules chargées de meubles et de ballots, qui couraient tous s’agglutiner.

    Or les Tzaghîrrs ne frappaient point ! ils ne tiraient pas de flèches, se poussant seulement contre les blanches épaules convulsives. C’étaient leurs clameurs de joie que les Blancs prenaient pour des cris d’assaut, et le massacre ne venait que des Blancs eux-mêmes, se piétinant, se foulant sans vergogne, les cavaliers sur les soudards, les soudards sur les valets, ces derniers sur les femmes et les marchands.

    Le premier de la ville qui vit converger des trois points de l’horizon cette triple lame grouillant de poussière, fut la vigie de la Tour Sud des Pères. Déjà la foule propulsée par la panique battait les redans de la barbacane.

    La ville dePhytallia, comme la plupart des cités de Khyrs, était fortifiée « à la pieuvre », c’est-à-dire que les murs s’étiraient en fins tentacules creux, sur une longueur d’un quart de lieue, à partir du cercle de l’enceinte ; hérissant le tentacule à intervalles réguliers, des ventouses fortement remparées. Mais une seule porte, à l’extrémité du tentacule exclusivement. On imagine l’épouvante de cette foule traquée, face aux seules ouvertures praticables. De plus les Tzaghîrrs, mis en appétit, commençaient à lâcher quelques flèches et coups de lance pas tous inoffensifs.

    Une porte fut ouverte. Une longue contre-éjaculation ébranla les murailles parallèles. Sous les passages couverts le grondement redoublait. Là-haut, sur les chemins de ronde, la garde se mutinait ; ses chefs ordonnaient d’arroser de flèches les déserteurs.

    « Les moïavt juraient par tous les Dieux qu’il n’était pas meilleure perte pour un peuple « que des traîtres fuyards ; ajoutaient qu’ils voyaient très bien les Tzaghîrs emportés mêlés « au torrent, et qu’ils tuassent au moins ces ennemis. À quoi répondaient les gardiens qu’ils « auraient mieux couru de même vers leurs refuges, tout armés comme ils l’étaient ; que ce « n’était raison de flécher leurs camarades lesquels à leur endroit eussent agi de même ; « enfin baguenaudoient certains qu’ils aimaient ainsi se remplir du spectacle sans en obturer « l’ordonnance. »

    YOTH, XV, 37

    (« Par ainsi se répandit la tourbe tumultueuse enmi les rues et voies de la ville du sud »)

     

    Figure p. 20 Phytallia présente un système de défense propre aux Khyrrs. On obaerve sur cette figure le dessin concentrique des voies principales, an centre duquel se

    dresse une île conique sommée d’une citadelle. Les flèches représentent le

    trajet des fuyards. Les deux moitiés d’armée blanche s’entretuèrent d’abord

    à leur point de jonction, faute de se reconnaître. Nombreux furent ceux qui

    se précipitèrent dans lac tout armés, et s’y engloutirent.

     

     

    ...Mais la population de Phytallia se ressaisit à sa façon. Les civils, barricadés dans leurs hautes demeures, bombardèrent les fuyards de tout ce qu’ils purent trouver de plus lourd : meubles, candélabres, et jusqu’aux pierres descellées de leur maison…

    Cependant sur la place aux Étrèbes, les étals du marché, tentures, tréteaux, fruits, toiles, marchands, furent foulés pêle-mêle par les cavaliers en déroute, couverts jusqu’aux genoux du sang des leurs qu’ils avaient tailladés pour se frayer retraite. Des masses gagnées par la panique se bousculèrent aux parvis des temples, hurlant leurs prières. Des rues surgissaient encore des bandes enragées, lançant des pierres et des sarcasmes. Des incendies se déclarèrent.

    Or trois cents Noirs s’étaient introduits dans la ville : c’étaient les trois cents premiers éclaireurs. Pensant le reste de l’armée derrière eux, ils s’étaient mis à massacrer sournoisement la population d’un mur à l’autre à travers les rues. Les portes de la ville s’étaient refermées sur eux seuls. Voici comment : du haut de son chemin de ronde, la garde blanche s’était aperçue qu’un flot continu de crânes noirs à crête rouge franchissaient à présent le portail. Abandonnant leur propre rébellion, les Blancs tirèrent un barrage de flèches. Certains même osèrent descendre par les rampes pour en découdre, et refermer les portes. Le chroniqueur Abdulislam ajoute que la fermeture des lourds vantaux sembla facilitée par les Tzaghîrs eux-mêmes, qui auraient bridé l’avance de leurs chameaux.

    Les gardes blancs démentirent cette version, qui diminuait leur mérite,mais certains dévotsla divulguèrent, invoquant le secours in extremis du dieu des Murs, DAQST. (Les travaux du professeur Momamovitz sur la mentalité tzaghîre (Crêtes Rouges, 1932) avancent l’hypothèse vraisemblable selon laquelle ces 300 « éclaireurs immédiats », volontairement laissés en avant-garde de l’assaut proprement dit, et isolés par un cordon de guerriers bloquant toute retraite, n’avaient été introduits dans la ville en nombre nettement inférieur afin d’être immolés, à cuase de leur désobéissance initiale au Combat des Dix-Neufs, dont ils n’avaient pas attendu l’issue). Les Éclaireurs Immédiats se trouvèrent soudain regroupés au centre d’une esplanade en bordure de lac, où les limites de leur groupe leur apparurent.

    « Encommencèrent à considérer combien moindre en nombre estoient, si qu’on les pouvoit «  «  « aiséement cercler, et de faict l’estoient-ilz au mitan d’icelle place,isolés, de pied, toutefois « pourveus d’armes. Après grand stupeur et silence, tel poussa le premier cri, ainsi gagnant de « proche en proche tout alentour de la susdite place.Toute la cité recria de mesmes, s’entrencourageant l’un l’autre, et ce dict-on, que les Khyrrhs empeschés de bien veoir s’exclamoient aussi de confiance encontre leurs envahisseurs ».

    YOTH, XVI, 31-32

     

    Les éclaireurs noirs, se comprenant sacrifiés, luttèrent sans espoir autant dire de toute leur vaillance. Les Khyrrhs, dépités de leur primordiale panique, se déchargèrent sur la poignée de Crêtes Rouges. Ceux-ci succombaient sous le nombre, et l’ignoble carnage se perpétrait, quand de nouveaux cris de terreur éclatèrent au loin : tandis que tous tourbillonnaient pour porter leurs coups, les Tzaghîrs de l’extérieur avaient enfoncé les portes désertées.D’un long trot de chamellerie, les assaillants avaient remonté les couloirs défensifs ou « bras de pieuvre », et reprenaient de dos les massacreurs affairés. « On nous tue dans le dos ! » criaient les Khyrs ; et les Noirs répondaient Buqmufa ! buqmufa ! ce qui signifie « Carnage ! carnage ! »

    Une stricte discipline réprimant le pillage et le viol, Kolba, ayant abusé d’une fillette de 12 ans, fut aussitôt exécuté. Alors les Blanches qui se trouvaient dans les rues, mêlées parfois aux massacreurs, purent chercher refuge auprès des chefs tzaghîrs. Aucune rigueur ne leur fut tenue d’avoir porté ou voulu porter un coup mortel.

    Ainsi fut prise Phytalia, et maints de ses habitants occis.

     

    4. Situation de Khyr en 480

     

    80 lieues séparent Phytalia de Slavod, la capitale. L’annonce du désastre eût dû y parvenir au plus tard dans les trois jours. Or, les hiérarques l’avait interceptée.

    Il existait à Khyr une grande prolifération administrative. Point de chef qui ne fût subalterne à quelque titre de telle ou telle subdivision, ni de subordonné qui ne le fût à plusieurs chefs simultanés, en relation chacun avec telle fraction de ses attributions. D’un autre côté, tel supérieur hiérarchique pouvait fort bien se trouver sous la dépendance de son employé, qui avait pouvoir de décision sur lui dans un autre domaine, en vertu de la « Loi de bascule ». Ainsi le Maître des Ponts décidait-il des frais de construction, qu’il imposait au Pontonnier Majeur. Mais ce dernier avait la haute main sur le choix du personnel et des matériaux, qu’il imposait à son supérieur. Aux écuries, le Grand Avoinier fournissait le fourrage aux chevaux du roi, mais devait le respect au Litier, qui veillait à l’entretien des écuries. Au-delà d’une simple répartition des charges, il s’agissait d’un équilibrage des respects dus à chacun, selon sa fonction du moment. Inutile de dresser un tableau complet des lourdeurs inextricables et de la gabegie dont l’administration khyre se trouvaient infestée.

    Le rois ne recevait donc que la portion d’information que lui communiquaient les filtres de ses fonctionnaires inamovibles, ses hiérarques. On ne sache point qu’il eût souhaité en apprendre davantage, confiné qu’il était dans ses métaphysiques. On peut même affirmer qu’une simple obstruction dans la transmission d’un message n’a pu à elle seule entraîner la chute d’un empire. L’attitude des Grands contribua toutefois au manque de cohésion d’une défense militaire que le nombre aurait pu douer d’une certaine efficacité.

    Le 5 de nibhûr au matin, le messager parut aux portes de Slavod, arborant dans son dos l’antenne bleue de la défaite. La sentinelle avait ses ordres et le débarrassa de son fanion. On le restaura. Le Sire d’Inville tiré de son sommeil extirpa du messager le plus d’indications qu’il put, le messager sachant tout par cœur. Ensuite on enferma le messager, et les sentinelles furent consignées – d’autres les auraient tuées.

    Un conseil exceptionnel se réunit au palais des Akères. On retrouve là tous ces parasites d’Ètat qui tour à tour formèrent ou déformèrent l’empire (cf. « L’apogée khye au Moyen-Orient » (- 125 / + 216, Franzens 1932) : les cousins Porlaty, Mo-Rhamdès, Kuynsan et Béouleh – que leurs jours soient comptés, que la bêche les tranche vifs. Leur idéal est la rapine, leur joie de vivre nulle. Puiser dans les coffres en étalant sa morgue, telle est la vie des hiérarques de ces temps-là. C’est au moment précis de la convocation que les rues de Phytallia sont livrées à un nouveau massacre ; mais eux, doctement, argutient pour déterminer ce dont le roi LIGA sera nformé, et quand. Voici ce que décident ces trafiquants, anoblis par eux-mêmes :

    « Ces Nolrs ont de l’or, et des diamants profère Porlaty. - Nos Sciences affirment, profèrn Kuynsan, que dans les Montagnes les Démons se cuisent des escarboucles et des rubis sur leurs grils souterrains ». Sa voix se perd dans un éclat de toux. Son éloquence l’emporte : ne pas combattre les Barbares ; traiter seulement, filouter. Les deux femmes du conseil, exceptionnellement tirées du gynécée, doutaient fortement : il faudrait lentement se laisser envahir ; « et qui sait, ajoutait Nosdol, s’ils nous accorderaient suffisamment de vie sauve pour jouir des premiers carats ». - sa compagne suggéra de mettre à profit toutefois la défaite pour dépouiller de leurs biens les généraux couards. Face aux fortunes soustraites au fisc, les passe-droits promis aux grades supérieurs furent de peu de poids ; on osa même attribuer à ces confiscations des vertus purificatrices : les fortunes foncières et leurs troupes d’esclaves constituaient, on s’en avisait soudain, une grave atteinte aux prérogatives royales.

    Les jours suivants fournirent aux voleurs une occasion de s’exercer. Les envahisseurs en effet n’avançaient pas en plaine, rendus circonspects par la minceur de leurs arrières, qu’alimentaient seuls pour l’instant les défilés du Ktôh, et que freinaient leurs superstitions méticuleuses. Ces derniers avançaient sans hâte, fourvoyés entre les bras des affluents, revenant sur leurs pas, phagocytant les poches avec des nonchalances d’amibes, mais toujours victorieux. Quant au peuple khyrr, il s’était transmis à lui seul le cours des évènements. L’annonce du désastre ne pouvait décemment plus être retardée au Roi, qu’un chambellan de bas étage eût pu l’informer sans fard.

    Mais les hiérarques parvinrent à combiner cette révélation avec la nouvelle d’une trahison : celle du obozem Ovnot. Ils n’avaient pas tort, quoique sans le savoir, et ce n’est que depuis les travaux de Herr Professor Dekentmayer sur les manuscrits de Nyatt que nous pouvons annoncer ce qui suit :

    « Ovot fut chargé de bouter hors, ou mieux d’anéantir, l’avalanche des Crêtes-Rouges. La raison invoquée lors de son interrogatoire fut l’insuffisance numérique. Mais il avait tardé. Aussi, il envoya son collègue Yuzonnt en mission auprès d’Éod, afin de le persuader de se joindre aux forces de répulsion : indépendance des chefs d’armée ; nous savons par d’autres sources que Yuzonnt était bien le dernier ambassadeur qu’il convînt d’envoyer auprès d’Éod, les deux hommes étant brouillés depuis longtemps. Les hiérarques pouvaient donc présenter Ovnot comme un traître, agrémentant leurs propos de soupçons aussi soigneusement distillés qu’invérifiables.

    Le roi LIGA se fiait aveuglément à Mogandé, rapporteur de hiérarques. Il le crut, cita illico à comparaître Ovnot, Yuzonnt, Éod, et maints autres. Ils étaient perdus.

    5. Liga le Fou

     

     

     

    Le Roi Liga était âgé de 25 ans. Sombre, sournois, le teint olivâtre, le nez coupant, la face vers le bas ou marquée de suspicion. Sa sensibilité le livre à des accès d’agitation fourmillante suivis de prostrations, d’où jaillissaient des projets capables, à la lettre, de bouleverser le monde, et l’entourage, les ministres… n’avaient pas avantage à faire languir les ordres, jusqu’aux prochaines turbulences.

    LIGA, de sa propre volonté, vit reclus. C’est la condition essentielle au succès de ses magies, qui lui assurent, au sein de son silence, la maîtrise absolue. Il adorerait, au fond d’une crypte, la Pierre étoilée du Nord phosphorescent. Il s’y retire, masqué, couvert d’or, absorbant dans le noir des gelées miroitantes. De ses révélations procède le gouvernement. « Cet être exceptionnel méritait l’illumination » estimait Yôth-Ahnan.

    Malheureusement le programme des Grands s’exécuta de point en point. Des messagers encagoulés furent expédiés aux meilleurs chefs de guerre. Ils portaient à l’arçon une large hache au profil teint de rouge. Il faut relire le saisissant récit de Vârash, officier de secrétariat, à la fois témoin et acteur :

    Français Djunngo

    « Yuzoat avait alors quarante-et-cinq « Tuzvoat juyf’must räzdvidopr’ppoït

    « Il était fort et bien fait « On ojof gusf if coïddjôf.

    « L’âge n’avait point courbé « Mikhi shuyofrrt dwasco

    « son ossature, et il ne devait jamais «  tup attvazi, if pi shuyof l’ñot

    « la courber. Il avait parfois « m’dwashis. Omuyof rzgwot

    « succombé aux puissances de « taddungo jath rôtt’ddit fi

    « l’intérêt et de la famille, « m’oddvosôv iffi n’djnommi,

    « grandes pour se soumettre tout « xtfit rwas ti twannivsi bâf

    « homme du peuple au Roi, mais « junni fa riarmi ya Swo, ñot

    « néfastes pour sa fin, et pour « podjivvit rwas tgô, iv rwat

    « notre fin à tous, comme il advient « puvsi gô ibât, dunñom afwoïtf

    « en général et comme il nous « ip khobozm iv dunñom bwat

    « advint de jour-là « fwof di lwaz-mi

    (On trouvera la suite du texte djunngo chez les Éditions du Caveau, rue Barbentane, LYON)

     

    (suite du texte en français) :

    (…) Éod sortait la tête haute, satisfait des vins et du pardon, accordant son arrogant soutien «  à la cause commune. Et n’eussent été les ordres cruels de LIGA, nul doute que tant de « forces réunies n’eussent contenu et repoussé l’invasion. On entendit sur le parvis de la « tente le galop freiné de deux montures. Sorti simplement encontre le bruit, Notre Maître « Yuzoat vit sautant des selles deux envoyés du roi LIGA, portant au nœud de l’épaule la « broche ronde d’améthyste, à la main chacun le message également scellé d’améthyste.

    « Les déroulant devant lui, lurent ensemble la citation à comparaître et le rappel de la « mission. L’un des messagers parlait d’une voix rauque, l’autre tenait l’accent des Nsoyitt. « Yuzoat soulevant encore le pan de sa tente cracha de dépit sur le sol, et déclara qu’il « n’avait point démérité, que les accusations sans retour dont il était chargé, car on ne « sortait pas vivant des tribunaux de l’Améthyste, ressortissaient à la calomnie. Il osa même, « et de cela je suis témoin, porter la main sur la broche et mettre en doute avec courroux la « légitimité du symbole. Ce que voyant, l’homme Naoyitt courut détacher de la selle la « hache au tranchant teint de rouge. Notre Maître reçut le coup, qui lui détacha l’épaule, et « le rideau frangé retomba sur son sang. Je m’abstins de paraître, sachant, comme il advint « de vrai, que la terreur des améthystes fige le peuple et l’armée. J’appris que la peur avait « poussé si loin qu’Éod lui-même, peu de temps après le départ des messagers, fut poignardé dans la nuque par un officier d’en-bas, pour gagner quelque grade. »

    Ajoutons que dix autres messages en ce sens furent expédiés, acculant au suicide les meilleurs chefs de l’armée khyrrhe. Cette erreur décapita le haut commandement, supprimant ainsi toute possibilité d’intervention efficace.

    6. L’Épanchement

     

     

     

     

    Un flot constant de Tzaghîrrs franchissait désormais les défilés du Ktôh, sans défense depuis la déroute de Drinop. Le gros de l’armée s’était alors emparé de Phytallia, comme relaté plus haut. Cependant, un autre corps de troupes, nouvellement parvenu sur territoire khyrr, prenait l’important marché de Baâssam. Aucune résistance, déjà se propageait la désorganisation semée par les hiérarques. Les Tzaghîrs se contentèrent de s’attribuer les meilleurs logements. Les informations étaient restées aux mains du Sire d’Inville et de ses acolytes, qui tournèrent l’esprit du Roi de telle sorte qu’il se préoccupait bien plus d’exécuter ses serviteurs que de remédier à la défaite. Mais le peuple, désormais, savait que le Roi était fou, et les ministres pervertis.

    Or les Tzaghîrs, passées les premières conquêtes sur une profondeur de 25 « lieues », n’avaient plus éprouvé le besoin de progresser. Épandues sur le Sud du pays en un delta dont le défilé de Ktôh formait la racine, leurs troupes à présent épaissies de bagages et de marchands poussaient nonchalamment leurs avances. Un bref combat le cas échéant, une annexion tranquille de 10 lieues carrées, et le delta de l’invasion s’évasait vers le nord et la capitale.

    Dans les siècles passés, pour autant que la faiblesse des sources peut nous le laisser supposer, les rois tzaghîrrs avaient conduit leurs peuples à l’assaut des primitifs de l’équateur ; une alternance incessante de succès et de revers avait jeté sous leurs lances, ou les en avait arraché, les mêmes territoires alternativement disputés.

    Depuis cent années, les Tzaghîrrs s’étaietn contenté de mettre en valeur les terres riuges du plateau d’Ettoboï, avec les monts qui les encadraient. Seules des motivations religieuses, relatives à des prophéties expansionnistes, les avaient jetés comme un rapide aussitôt absorbé par le sol, à travers les défilés du Ktôh. On peut se figurer la mornitude galopante éprouvée face à des peuples n’éprouvant aucune envie de se défendre, ainsi que l’a imaginé Moellfort, ou, plus vraisemblablement,le dédain manifesté pour une capitale dont la chute, sans importance stratégique réelle, se fût accomplie d’elle-même. Rien n’était prêt non plus sur les murailles, rien d’autre que les patrouilles habituelles.

    Simplement, pour satisfaire aux rumeurs inlassables de défaites non confirmées, tel flavets ici (adjudant), tel tishift là (sergent) s’étaient-ils permis de renforcer à tout hasard le secteur confié à son commandement. Mais quelques flèches ou tirs de catapultes sans portée 

    Poséidon,poésie,gammaire

    se révélèrent sans commune mesure avec la formidable surprise qui assaillit les défenseurs de SLAVOD à l’aube du 3 nibhur 489 : une horde de démons noirs aux lèvres peintes, d’abord mobile à peine à l’horizon de 40 guetteurs à la fois, quel que fût leur point cardinal. Le cor d’alarme circula tout autour des murailles dans une succession plus rapide qu’aucun mot d’ordre n’eût su l’obtenir : chaque vigile revendiqua sur l’honneur le premier coup d’œil exact

    Les Tzaghirrs en effet s’avancèrent de toutes les directions à la fois, en cercle parfait sur la plaine steppeuse. Cette fois-ci encore, prêtres et chefs noirs s’étaient concertés pour l’impeccable déploiement du rite. Puis on distingua les hautes colonnes chamelières, badjars liés sur leurs bêtes par les huit rubans en toupie, en ordre de marche et non pas de bataille, tant était poussé loin le mépris du Blanc. Ainsi roula le bourrelet négligemment resserré autour de la capitale, sans aucune autre réaction qu’une stupéfaction curieuse. Ni sortie donc, ni traits : mais 40 vigiles époumonnés, les yeux immenses et les cors ballant aux ceintures. Les Tzaghîrrs cantonnés à 400 pas des murailles montèrent leurs tentes et cuisirent leur odorante nourriture, car c’était l’heure du repas de ce matin-là.

     

    Vigie 32 – Rapport

     

    « Vu l’armée des Noirs. Osé souffler du cor ,tous ceux qui m’ont imité jetés plus tard aux fers.

    «  Noirs crêtes rouges en arrêt 400 pas. Mangent et boivent. Présence de femmes. Odeurs

    « méconnues, appétit. Vers midi, grande agitation Secteur 32.

    « Espace dégagé devant immense tente, chameaux écartés. Chant poussé par tous. Voix graves et

    « forcées, de plus en plus fort. La tente du chef s’agite. Il paraît, sans ornement. Tous les guerriers

    « torse nu, ÉPÉE démesurément longue apportée, très blanche, très brillante, ÉPÉE fichée en terre.

    « Tous en cercle, le chef parmi eux. Des chants assis, des prosternations. Des cris litaniques. Des

    « chants la face contre sol. Adoration de la Force de l’Épée. Clameurs énormes : HALAM !

    « HALAM ! - cris propagés en cercle, à travers tout le camp, secteurs 32, 31, 30 et 33.

    Vigie 32 – nom : Kapedagh, âge : 29. »

     

    Les Tazghîrrs exultaient.

    Le texte ci-dessus est la première mention d’une cérémonie de cet ordre en plein jour. L’épée géante fut ensuite menée en procession au travers du camp. Des guerriers au crâne peint lui faisaient

    escorte. Parvenus, après plus d’un tout de reconnaissance, au droit de la porte qu’ils estimèrent principale (en fait ce n’était que la Porte des Roses, plus richement ornée), ils replantèrent l’épée dans le sol.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Le jeu des parallèles

    COLLIGNON LE JEU DES PARALLÈLES

     

    NOSTALGIE

     

     

    « …qui devait s'affiner, filer à l'infini, vanish and disappear, Mylitsa, « l'un l'autre » « l'un pour l'autre », « je t'aime » en salade, tout ce paquet de lettres où nous ne cherchons plus rien.

     

    Quel somptueux mariage Mylitsa, extrasmart assistance, les Prest, les Hampérus, Vautour, Volov de Berwitt, et tous les enfants. Cortège, lange Wagen, lents éclairs glissants sur les chromes, carillons, moteurs et trompes rugissants, caravanes enrubannées (poignées de portes, ailes et antennes garnies de ces petits papillons de tulle que huit jours de vapeurs d'essence suffisent à transformer en petits tampax endeuillés. Femmes, filles et garçons d’honneur porte-traîne, enfants de chœur, disposez bien les drapés sur la pelouse en transparence se devine la vasque et le cygne. Souriez.

    Nous fûmes à notre tour rubiconds et bovariques, jusqu'à quatre heures on mangea puis il fallut, passé le dessert, témoigner de nouveau par le bruit notre joie dans la ville, vitres étincelantes. Et dans la dernière voiture, gréée de poupe en proue de rubans rose gras, médaillée comme un foie de porc et crucifiée de bandes roses à pompons, perdus dans le tulle sur le siège arrière, sous les plis finement repassés, tes yeux tristes. Chaque fois que je vois passer un mariage, que m’assourdissent

    les trompes synthétiques etc. braillant aux feux rouges La Cucaracha, c’est la même marée qui me remonte du cœur à la gorge où la salive s’accumule puis sous les paupières – s’ils savaient mon Dieu s’ils savaient ce que personne ne veut savoir, cette lourde chose de la vie conjugale qui serpente et se replie entre berceau et lavabo, la tâche que c’est de tendre à bout de bras le jour en jour d’amour. Mystère dégradé en cérémonie vineuse. Je n’avais pu obtenir de faire taire un seul instant, rien que pour nous, la cacophonie des klaxons. Il faudrait marcher seuls, émus, méditants...

    Le mariage reste en ce temps-là le Jeu où la vie se noue, sans rémission, inéluctable, etc.

    Je m’unissais à une divinité, énorme dans sa robe, en un rite barbare, elle en blanc, moi en noir -

    j’ai l’impression d’y être resté. Toi le soleil, le soleil, la bataille, et moi le plomb ; lourd, obscur, laborieux, fonctionnaire.

    Tu es partie chez un vieil homme, sur une lettre absurde et enflammée. Cette ville a pour nom Théople. Je ne l’avais vue qu’une fois. Tu as déjà tout un passé. J’ai renié le mien, je te livre aussi mon avenir. Nulle aventure ne me tente, sauf celle du moine. Je monologue en allemand, je capte à la radio le Süddeutsche Rundfunk, j’ai un tiroir entier de documentation, München, Wien, Hamburg. Pour aller là-bas, me faire naturaliser, il faudrait me séparer de toi, le jour où je voudrais trancher – nulle décision ne te coûte, brusquée, vivante. Toi : tu ne te sens pas coupable de vivre.

    « Qu’est-ce que c’est que ça ?!

    « Je hais, j’envie, j’aime… te hais, t’envie, t’aime… il ne tient qu’à moi, naturellement » (« de... ») - nous en restons là pour le moment – 1000km, ce n’est pas le bout du monde » - Mylitsa, surtout : danse, choisis, pourchasse ! Tu n’as cessé de poursuivre tes rêves, ils pourraient sans surprise surgir tout armés au-dessus du monde. Pour moi ces briques que je vois, ce sol terne ont déjà trop de poids pour contenir autre chose qu’eux-mêmes. Plutôt que « tirer au clair », je voudrais refondre au gouffre la totalité de l’existence. Du réel, faire un rêve : ton exact contraire.

    Une âme vide que le monde ne saurait combler.

    Une âme comble que nul rêve ne peut aérer.

    Tu projettes, j’aspire. J’ingère.

    Ma chambre est cubique et close. J’écris depuis mon lit où tu n’as jamais dormi, où les deux corps d’un couple mort ont creusé côte à côte leur place. Je me mets sous le couvre-pied. Il fait déjà froid. Sur les murs un papier peint bleu, cru. Gros bleu dit Z. Le lit est immense et profond, craquant. Son cadre engloutirait plusieurs édredons. Mais THÉOPLE au bord de mer a de si hauts immeubles, clairs et si aériens ! Tu ne vois ni goudron ni galet ni la transpiration des gigolos sur les matelas de plage ni leurs corps moulés de blanc sur les trottoirs de la rue Jan- Mayen.

    Nos rêves sont étanches. À propos, je bois beaucoup moins depuis que… Mon alcool à présent, c’est Proust. Mais j’y étouffe. Son monde est inassimilable.

    Est-ce que tu me manques ? je te parle tout bas dans le creux de mon bras, ce qu’on appelle la saignée. Je sais à quoi je m’expose. J’aimerais changer de souffrance.

    * * *

     

    Joie, Halpérus !

    Enthousiasme ! Énn Théô !

    Ce n’est pas trop de sauter en l’air, de danser, car je danse, Halpérus ! Le Prince m’a inscrite aux Cours Internationaux de Sandra Greathiger ! Les soldats criaient THALASSA et s’embrassaient au milieu des neiges. Colomb criait TERRE : je possède à la fois la Terre et la Mer et la Ville ; ses collines plantées de pins, la ville où le béton même se fait harmonieux : clair, droit, volumes verticaux agrafant le ciel à l’eau - à propos de ce que tu m’écrivais la semaine dernière, je suis bien entendu d’accord : la situation doit se dénouer. Je ne vois pas pourquoi tu en fais un tel plat. Tu rumines, mon pauvre. Mais ici, il se passe des choses : THEOPLE est vivante, et tu es mort. Théople est immense, mon âme est à sa mesure.

    Tu ne pourrais pas tenir ici. Ton âme à toi est à la mesure d’une chambre, d’une pantoufle. Peut-être gagne-t-elle ainsi sa densité. Mais la mienne passe à tous les vents.

    J’ai une chambre vaste et somptueuse. Battants de fer forgé devant les glaces. Lustre en cuivre délirant, garni de chaînettes et de pendeloques. Fenêtre à impostes bulbées, fourrures, tapis, lit à colonnes. Partout du vert, du rouge, de l’or, des moulures en losanges. Toutes les chambres donnent sur un mezzanine, filles d’un côté garçons de l’autre – mais grâce au balcon... Il doit y avoir d’autres chambres plus haut, je n’y suis jamais montée. En bas c’est une espèce de salon, où le Prince quelquefois vient lire. Nous le regardons depuis la balustrade. Il ne monte jamais nous voir.

    ...Cette scène que tu m’avais faite, quand je t’avais dit mon intention d’aller là-bas ! « Exotisme de pacotille », « évasion de petit-bourgeois » ! Tu m’as traitée de midinette, de pétasse à romans-photos… Oui, Théople est laide, on n’y voit que des bâtiments, des magasins, pas de vieux quartiers – « le Queysset » vous dit-on d’un air dédaigneux mais c’est très loin – une circulation débordante, du soleil, des plages privées...Gratin décati… « Babylone de la connerie » disais-tu. Mais pour moi ! Quelle naïveté bien sûr, quelle provincialerie – à la rigueur, si je parlais d’expositions, de salons, de potins – on serait indulgent, on comprendrait. Il en est beaucoup même qui applaudiraient – où peut-on vivre ailleurs qu’à Théople – mais pour moi ce n’est pas ça.

    ...Les dessous, les tripotages, « sonder la corruption sous le masque », « les plaies secrètes » - c’est encore trop plat, trop attendu. Je ne suis pas venue potasser une thèse. Rien de répertorié. Je vois Théople à travers un prisme. Un long volume blanc percé de trous stricts à intervalles réguliers : le Centre Sandra Greathigher, sur la pente, domine la cité comme un phare – la liberté, la danse éclairant le monde. Et de l’espace où je m’exerce baies ouvertes sur la ville, mes battements de pieds frappent buildings et trottoirs pavés d’or, afin que seuls survivernt aux bords de mer les corps des androgynes aux longs flancs de sable, et l’esprit de la danse, jambes ouvertes, entre les rues vivantes et le soleil. Je vois Théople à travers un visage, des mains : le Prince est grand, noble et généreux. Mais nul ne partage son lit, qu’un petit gringalet blond, méprisé, toléré.

    C’est grâce au Prince que le Centre subsiste ; il héberge chez lui son trop-plein d’étudiants. Ses yeux pénètrent et fécondent les bouges où mes désirs basculent ; percent les murs des salles où les matins me ressuscitent. Nous marchons et dansons dans les yeux du Prince. Et ses mains diaphanes tendues contre le ciel donnent aux rues la lumière, soutiennent et cambrent les tailles.

    Je vois Théople au travers d’un diamant, qui serait mon cœur.

    Théople… Ce nom que j’ai inventé, redécouvert sans doute, cent fois prononcé, cent fois oublié, grâce à moi désormais destiné à ne plus périr, grâce à l’éclat dont je l’aurai orné, moi seule. Ville des Dieux, Cité Divine -Théople aux syllabes légères et empesées claquant comme une aile dans le soleil ou constellation levée parmi les étoiles – Tino, Vera, Lavrontis – je crains de te sembler stupide ou frivole. Ton jugement m’importe plus que tu ne penses. Pour me regarder, sur qui puis-je me compter sinon sur toi ? Ces noms privés qu’ils sont de tout ce que j’ai pu rêver sur eux, privés de toute gloire et de toute aura, aussi mesquins et arbitraires qu’un drame ou un roman – moi seule rassemble les facettes qui les unissent – eux, les ignorent.

    Tous ceux que je n’attendais pas ici, qu’une obscure volonté espérait à ma place, happés par moi, façonnés – mon monde à moi reste irréductible aux coulisses où les voudraient borner les malfaisants – mais comme les dieux en perpétuelle expansion. Théople, non plus  la plage aux starlettes mais lieu prédestiné de ma rencontre avec moi-même, dont la place géographique importe peu – dont les chorégraphies dessinent les preuves les plus évidentes de l’existence de THÉOPLE.

    X

    X X

     

    VERA. Surgie des brumes et du soleil. À mi-hauteur des terrasses dallées d’où les buildings tendaient leurs nuques trempées dans l’or et les bancs de pourpre. Et moi, fascinée toute droite sur l’escalier de fer dévalant vers le portail ouvert en fer forgé et au-delà sur la pente jusqu’aux premiers flocons débordés de la mer où tout sombre – il remonte de tout cela lancinant le bruit vivant d’un moteur qui cherche et passe le dernier virage devant nous

    VÉRA

    HONDA 750

    sortie des eaux Reptile de proie Bras crucifiés sur le guidon dans le soleil Ailes translucides combinaison claquante déployée en membrane de varan. Dans son sillage les brumes fendues J’ai poussé un grand cri

    Centaure aux cuisses d’argent déchirant le puits du dernier soleil dormant au fond de son cylindres

    dans les hauts vitraux sertis de fleurs de fer tremblent la coupe de verre et d’or – grand lustre suranné tintinnabulant dans l’essence et les coups de machine. Véra pousse le monstre renâclant sous l’escalier dont la bête contourne le pied puis se cabre et me flaire. À l’étage les portes battent en cercle au-dessus de ma tête – on se penche on m’enlève on salue de la main.

    Nous plongeons dans le soleil couchant.

    J’ai croisé mes mains autour de sa taille.

    Je sens sur mes paumes le contact du cuir synthétique. Premiers réverbères sur l’avenue. « Tu viens d’arriver ? » demande-t-elle.

    Halpérus je t’en prie essaie de comprendre. Il y a dans ma lettre bien des grandiloquences. J’ai même été tentée de tourner tout cela au burlesque. Je t’en laisse le soin. Véra, je la connaissais déjà. C’était toutes ces silhouettes furtives pourtant si lourdes , regard, taille et souplesse croisées sur les trottoirs et dans les trains.

    ...Tous les soirs depuis mon arrivée je sortais dans les rues de Théople. Jusque tard dans la nuit je me suis promené sous l’iris safran des réverbères à iode, le double ruissellement du Front de  Mer en feu, juste au-dessus des vagues cachées dans l’ombre. Ou bien, après une longue avenue où les voitures en veilleuse tatouaient les murailles de lueurs mortuaires – je prenais par la rue Jan-Mayen où les travelos me frôlaient en chuchotant des mots que je ne comprenais pas.

    J’avais déjà rencontré Véra, par petites touches, dans ces quartiers-là. En moi aussi au gré des épisodes noyés, un angle du bras, un rictus dans la voix – ne va pas croire qu’ils surgissent de pied en cap, le petit rouleau d’aventures à la main – quelquefois ce visage sns yeux, cette chaleur indéfinissable. J’ignore si ces êtres existent sur une autre terre, si j’ai vécu leurs vies ou si je dois les vivre. Pour Véra, tout est allé remarquablement vite – prise à la bola, comme un cheval de pampa. Je me suis vue en croupe, dévalant vers les Quartiers Francs : douze rues coupées à angles droits, baignées d’un jaune chloreux. Froide Subhurre. De jour, respectabilité. Murs dallés de faux marbre. Enseignes flétries près des rideaux baissés. La circulation intense et stupide n’a pour but que de traverser, de violer ce lieu. Mais à dix-huit heures trente, au plus fort de l’assaut, les flics de la Spéciale s’élancent au milieu des rues, jeunes, vêtus de blanc à la façon des infirmiers ; de leurs képis s’échappent d’interminables mèches que certains se tressent. Ils s’établissent dans les carrefours. Il faut les voir disposer, en tournant sur eux-mêmes – arabesque – leurs plates-formes circulaires, les entendre rire très fort en s’interpellant d’un croisement l’autre, dans une langue ni hongroise, ni serbe ni roumaine.

    Puis ils disparaissent, roulant leurs socles à l’intérieur du Quartier Franc. Ils quittent rapidement leur uniforme car je ne les revois plus. Que je te dise le nom des rues : Jan-Mayen, que u connais déjà, Virben, Thermopolis – à mon excitation tu vas penser que j’en suis devenue assidue, tu as raison de le penser, lourd Halpérus, Connais cependant ma fierté, car je ne me prostitue pas. À présent, accroche-toi dans tes pantoufles : rue Baudoyer, des Aurochs, Tangue-Lune, Sabatier, Califat : il existe un quartier derrière le précédent, qui n’est qu’une couverture. Plus vert, plus sulfureux. Petites rues en entrailles, croulantes, malodorantes, où je joue des coudes, où je me cogne aux murs, décors de studios où les sous-cinéastes s’imaginent reconstituer Montmartre.

    Maquereaux clope au bec talon levé au mur comme autant de grues, têtes verdâtres qui s’étreignent vénalement dans le vert des réverbères – il n’est pas rare en vérité de heurter en

    équilibre sur les hautes bornes les couples en action – exhibitionnisme ici dépourvu de toute vulgarité, outrance calme avec dans les yeux ces connivences et l’esprit persistant il semble que l’on parcoure les allées de carton parcourues de figurants désœuvrés prenant la pose en attendant le premier coup de manivelle. Ici croupissent cependant les menaces sourdes des crimes bon enfant, de ceux qui jusque dans les année 30 alimentaient complaintes et goualantes.

    Le premier quartier se referme sur ses débordements ; il filtre au travers des impostes desmains bouffées de musique lourde. Un travesti parfois se tient en faction, hiératique ; le sexe est un rite. Les rues s’étendent sombres et veloutées, sans autre vie que ces pulsations qui se répondent de porte en soupirail : cantiques, bruissements d’orgue sur fond d’encens. On ne salue rapidement, aussi cérémonieusement qu’on peut. Hautes façades, rues larges mal éclairées. La brume hésite incertaine, dorée de ce côté-ci, passant au vert dès l’autre rive du Boulevard (simple frontière s’élargissant aux carrefours autour d’une fontaine). On passe aisément d’un bord à l’autre ; mais cela ne se dit pas.

    Les mêmes gens se reconnaissent de part et d’autre ; mais honte à celui que l’on voit franchir la .frontière. On les voit nonchalamment flâner le long des vasques, les uns vêtus déjà de longues capes brodées, les autres en rase-pet et souliers de croco – détournant leurs regards les uns des autres.

    Il faut changer non seulement d’habits mais de voix, de sourires, de rêves. Pourtant (c’est Véra qui m’apprit tout cela) l’opposition n’est pas si forte. Car tous, éphèbes en gandourahs, putains pavoisées, macs à braguettes et biches, ont en commun ce qui si cruellement fait défaut aux humains d’ailleurs : le sens du masque, du faux plus vrai que le vrai. Ils ont os être, ils le jouent avec un détachement, une étude de soi, une noblesse au-delà de l’humour. À des riens de l’épaule et du bras, aux frémissements de l’œil jusque dans son refus, aux terminaisons des ongles et des paupières, j’ai précisément reconnu ma voie et ceux qui la hantent, de part et d’autre de la Frontière.

    Aux Quartiers-Francs.

    Le sexe de Véra forme un étroit triangle, tranchant comme un profil de hache.Ou de coin. Et lorsque certains soirs fixés nous descendons aux Quartiers-Francs, les premières fusées d’artifice tracent de loin leurs arceaux contre le crépuscule. Nous entrons, et la rue s’emplit de rencontres. Ils viennent à nous mains ouvertes, androgynes aux voiles d’eau pâle, et nous laissons derrière nous se rabaisser leurs avant-bras bruissants comme un sillage. Des portails drapés battent pour nous sur des points d’orgue graves. Vera 750 défile à lente allure, je tiens sa taille entre mes bras. Le moteur murmure et la foule ne crie point. Aux quatre directions surgit le bref et rauque appel des Yamaka, Bushido, Kawasaki. Toutes convergent place Amalfi, se poursuivent lentement s’opposent botte à botte et tracent infiniment, s’approchant, s’écartant, de longs losanges fluctuant. Athlétisme du métal. Des haut-parleurs nous couvrent de leurs cymbales, les échappements bercent nos vertiges. Comme un ballon qui prend le large. Il en vient du Quart-Neuf, des Bauciers, du Haut-Bourg. Tassées au coin des ruelles des putes en vert s’écartent. Nous louvoyons.parmi des récifs de chair. Véra se dresse sur les cale-pieds – tous l’imitent, les ovations désordonnées retombent en ressacs. Par dessous nous vacillent les lumières de la Ville jusqu’au ciel. J’attrape au vol un des grands châles agités par les passagers, le fais tournoyer comme eux. Nous évoluons au centre d’un stade où s’élancent les scansions. Atmosphère de foule poussée là spontanément organisée. Nous ouvrons et fermons nos losanges pneumatiques. Les têtes maquillées qui se renversent, éclaboussées de phares, immolées aux bouquets de réverbères.

    Visages encore ! Surgissent, s’accrochent, et s’évanouissent ; les saisir, les tirer à soi, les plaquer sur le sien, échanger nos forces et nos vertus. Départ d’une autre connaissance… Un visage d’homme aux yeux verts tombe à la renverse dans les mèches rousses. Les haut-parleurs diffusent Beethoven. Enlace au dos ce Véra je pleure à grandes secousses. Encore à présent j’ignore les signaux de cette folie je ne sais plus ce que la foule hurle de joie. J’étais je suis encore amoureuse de Véra et de moi-même, j’ai cru sans peine qu’elle avait entraîné le monde après soi. Elle s’est arrêtée devant l’arc abaissé d’un porche à judas.

    EASYSOFT

    La foule s’est éloignée. Dans l’air abandonné flottait encore un parfum d’huile refroidie. Bien sûr on nous a introduits tout de suite, à peine le judas soulevé. Le spectacle avait déjà commencé. Ça m’a donné envie très vite de monter moi aussi un spectacle, je t’en parlerai plus tard – j’ai même regretté que tu ne sois pas là – tu n’aurais pas apprécié – rien que des travelos. Une scène ronde illuminée dans uen salle obscure, on se heurtait aux tables, aux genoux, je tenais Véra par la ceinture, nous avons pris deux vodkas-orange. C’était une revue par tableaux, comme on en fait beaucoup : strip-tease d’un guerrier à dessous féminins, banquet funèbre grec aux éphèbes nus, Camille C. en Walkyrie – ma vie n’est que spectacle et je reste assise je connais tes refrains - en entrant là j’étais campagnarde, plouque sortie de sa bauge à ploucs – mais dans ce soir glauque, la main de Véra sur mon cœur, ce play-back véhément au-delà des visages, voix chevrotantes et passées, pucelle suspendue au mur ; bel canto étouffé en coulisse – tandis que sur scène, douteux, absents, se déchaînaient les travelos, dans ce creuset au bout de mes pincettes je les tenais, déjà toute la ville entre mes yeux, quintessence de Théople. Chaque numéro nourrissait ma nudité : depuis le guerrier médiéval tendant à bout de bras chaque pièce de son armure ; Agathon en bonnet de bain blanc, poulpeux, vautré sur les masques et les faux seins ; les sœurs Thomaï, toutes en genoux et hanches – jusqu’au final genre nigger bottom, où la troupe en folie, jambes nues, écartait d’un coup sec les faux visons sur des seins plats, épilés, poncés, talqués – s’empilait en glaçons frissonnants dans nos verres à double dosage, et je buvais, buvais des yeux et des lèvres entières, et les petites notes blanches, pudiquement retournées, s’accumulaient dans leurs petites pinces ; je n’y pris garde qu’à la fin, lorsqu’il fallut que je paye ma part.

    Véra a de ces absences…

    Après le spectacle les boys sont descendus en salle. On a fait tomber du plafond une lueur bleue de sous-marin ou d’ovni. Ils se sont répartis entre les tables. Sur un signe de Véra l’un d’eux s’assoit près de nous. Un homme celui-là. Costar années 30, cravate et gomina. Brillantine Piver Pompeia. Tanguero caliente. Des yeux immenses de lac argentin. Le nez large et ourlé, cheveux crépelés souvent effleurés de la main. Il s’appelle Damian, baryton à Milan voire Premier Sujet (deux remplacements à San Miguel) et s’incline vers elle votre peau de velours azur et le front d’un Rafaele – sonrisa ilimitada essayant de toucher ma main par-dessus le giron de Véra tandis qu’elle se reteient de rire ou de lui flanquer une claque.

    Elle s’est contentée de me regarder en haussant les épaules. Puis elle a parlé de la troupe je connais bien Milan j’ai dansé deux saisons à l’Arcimboldi les voici qui s’échangent des nouvelles : de Stilbo, Canogli, da Ricci… Puis les décors du dernier Aïda, les frasques du chef décorateur… À ce moment j’ai sorti mon nez de mon gin : mon rêve de me placer décoratrice à l’Opéra, Vienne, Covent Garden and so on. Tu ne vas pas me croire (sauf si tu ne vois pas ce que ça peut bien avoir d’extraordinaire…) - le Damian ( j’ai entendu parler de lui dans « Jours de Danse » ; il est un peu sur le retour à présent) bref, il m’a proposé (dès que je lui ai montré des portraits de Véra – il faudrait que tu voies ça) – il m’a proposé de poser pour moi.

    Aussitôt je l’ai trouvé bien plus éminent. Je me suis souvenue juste à point d’une foule d’entrefilets, qu’il buvait de ses yeux de volaille et de velours. J’ai seulement fait la gaffe de rappeler sa date de naissance – 1927 – il a tiqué mais c’est passé au milieu du reste.

    Il habite un six pièces au Val de Luys à Sup-Théople (ou Super-Thé si tu veux), au-dessus de toute la baie  (Véra me fait un signe d’acquiescement ; je ne lui avait rien demandé) – je commence jeudi.

    Tout cela ne m’empêche pas de suivre les cours de danse, trois heures par jour, je tiens avec un yaourt à midi ou presque.

    Et voici le point délicat de la lettre : j’ai composé une pièce en un acte, très vite, en troisjours. Je te l’envoie par pli séparé. Combien peux-tu me faire passer ? il en faut pour le décor, les chevaux, les costumes surtout – je suis navrée, mais comprends-moi, tout m’arrive, théâtre, danse, peinture, tous les dons me coulent des doigts, je me baigne dans le Don, tu ne voudrais tout de même pas, toi qui es radin, laisser gaspiller tout ça faute d’argent ? Réponds vite, je t’embrasse,

    Militsa

    P.S. Le titre, c’est Lahire le Sodomite. Tu sais ce que Véra m’a fait remarquer ? Si tu mélanges les lettres, ça donne Soleil Hermaphrodite ! C’est drôle – de toute façon elle s’est trompé : il reste R, P et H.

    Bises. CCP 986-44 S, NICE

     

    X

    X X

    L A H I R E L E S O D O M I T E

    pièce en un acte de

    M I L I T S A J A N D R O V S K I

     

     

    Décor : la forêt de Brocéliande

    Lahire à cheval, en armure, lance au poing. Il chevauche quelque temps ; les frondaisons défilent en bruissant sur son casque, polissant les lueurs du soleil levant. Soudain, dans une mare, une forme retient son attention. Il tombe en arrêt, pointe sa lance. La forme se redresse, dégouttante d’eau et de vase : c’est un jeune homme en long bliaut de corps.

    LAHIRE : Qui es-tu, jeune chevalier aux vêtements souillés ?

     

    Le jeune homme est coiffé d’un chaperon de velours sale d’où s’échappent de longues mèches cendrées. Il porte un rebec en bandoulière.

    LE JEUNE HOMME : Je suis Loÿs de Gréselois, de Rugne et de Tarcas.

    LAHIRE : Tu trembles, noble homme ; monte en croupe avec moi.

    Il se hisse.

    LOŸS : Où irons-nous ?

    LAHIRE : Où nous conduisent les destins.

     

    Coup de gong, fin du premier tableau

    (…)

     

    P.S. On m’a déjà promis la salle des Augustins. Il me faut les acteurs. En chasse !

    P.P.S. Je ne sais plus si je te l’ai dit : pense à m’envoyer de quoi payer décors, affiches, éclairage, etc.

    CCP 986-44 P NICE

     

    X

    X X

    Cité L. (Agen), 12 10 2016ns

    Mylitsa, tu débloques. Des conneries, j’en ai déjà lu, des épaisses, mais des comme ça, jamais. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de dingues ? Ce style torché dans les chiottes de Maeterlinck ? C’est ridicule au dernier degré. Ça ne tiendra pas trois jours. La scène va crouler sous les couilles de babouins tranchées au yatagan. Une histoire de pédés : bravo, c’est original ! Brocéliande, le Graal, salez, poivrez, servez chaud – la lance, vas-y Freud, perds pas tes sabots. 

    troc,truc,machin

    L’ange est le diable, l’amour purifie tout, « et rien ne pourra plus les séparer » passe-moi le P.Q. J’oubliais la sorcière, et le bourrin, qui « s’évanouissent dans les airs » - il va falloir un trucage – sans blague ? On n’a jamais rien fait de plus con de puis Pédéraste et Médisante. Un festival de perlouzes. Je te prédis un franc succès.

    Comique.

    À ta place je ferais chier le canasson sur scène.

    Ci-joint le fric.

    On ne sait jamais.

    Ici je t’ai coupé de toutes relations. Tu n’as pas tenu. On n’est pas des moines !

    1. Moi si. Les Pierre, les Paul, les Jacques, ça me soûle. Leurs clés de garage, leur gauche à deux balles, et leur baratin – la vie, la mort, la Sécu, l’atomique… ma connerie me suffit, sans celle des autres. Moi aussi je tripote le truisme. Mieux que toi. Les autres, les « vivants » - il faut se les farcir jusqu’au bout – un bouquin, ça se balance. Oui j’ai peur. Non je ne veux pas changer. Ça me fait toujours un caractère. Les bouquins, tu leur parles. Quand je lis ça grogne, ça siffle, une baleine à bosse. Les écrivains me bousculent, mais sans gueuler, sans mauvaise haleine. Ça reste entre nous. Pas de témoins. Pas de « y a qu’à ». Toi tu changes. Moi je reste ». mais en aucun cas, mais à aucun prix, je ne modifierais l’Art de Vivre.

    L’ont-ils fait ?

    J’admire, en vérité, ceux qui descendent en flèche – les liseurs ; les non-engagés - « fossiles ! » - oui, nous avons été tout ce qu’ils ont dit , avec fierté, il le faut.

    De mon côté je jette au loin les Bicepsus de l’Action

    J’AIME PAS – LES COU- RANTS D’AIR

    - excitation excessive. Plus tu t’entêtes plus tu pues

    bientôt tu trépignes

    veux pas monter sur le manège

    peut-être pas dessus mais attaché déjà en contrebas comme un chiot

    Te souviens-tu de ton vivant où tu essuyais sans envie les couverts et les imaginais en pièces détachées monotones près de ta mère – de soucoupes volantes martiennes, c’étaient autant de pendeloques, de volants qui servaient d’accélérateurs de Dieu sait quelle force centrifuge.

    Les livres sont toute la vie tant pis (tant mieux) cela n’est plus guère qu’avec toi, par lettres, que j’en peux discuter… À la Bibliothèque, les collègues et moi nous passons des coups de fil. Chacun tient un Secteur. Moi c’est l’Histoire. En général les lecteurs choisissent leurs emprunts dans le même Secteur.

    Mais si par exemple – imagine – que l’un d’eux veuille consulter, au hasard, Histoire et Socio : il vient me consulter, moi tout seul, et glisse ses trois fiches vertes sous le guichet ; aussitôt je contacte Z, Pilier 3 – mais tu ne m’écoutes pas je le sens – le lecteur recevra les 3 ouvrages en même temps.

    C’est tout de même unique cette disposition, même à Théople vous n’avez pas ces cinq immenses salles vitrées, comportant chacune trois espèces de cages également vitrées glissant à la verticale sur trois piliers de verre – l’une monte, l’autre descend, et la troisième est immobile. Ou bien deux qui montent et l’une qui descend. Ou bien toutes les trois montent et descendent à la fois et c’est le plus impressionnant. Il existe un Niveau d’Arrêt réglementaire, mais nous préférons rester à celui du dernier livre Commandé.

    Puis nous les expédions par le « vide-ordures » ; nous les voyons circuler vers les lecteurs, comme autant de de bols alimentaires à travers des cous de girafes transparents. Le client les emporte vers sa table de verre – une fourmi ses œufs, tout raplatis par la perspective ; car sous nos pieds c’est le vide, vert et déformant.

    Derrière nous un œil électrique par étage de rayons -

     

     

  • ITINERRANCES 2

    I T I N E R R A N C E S 2062

    COLLIGNON

     

     

    Ici, c'est le vide. Vide des esprits, vide des sourires, vide de l'accueil, vide du convenu, du discours de trottoir et de comptoir, les affirmations péremptoires de l'un et les histoires de cul de l'autre, n'arrachant plus qu'un rire à s'écorcher le gésier. Certains s'en contentent. Pendant ce temps Hannah dresse en bout de table son masque maladif de momie samoyède, et décline, décline, décline. Je ne dois même pas songer à rejoindre Ufsha si l'occasion s'en présente, encaquée dans ses préjugés d'un autre âge. Ici, du plus loin que je m'en souvienne, je me suis ennuyé à mourir, malgré tous mes efforts. Dans le sentier, mon bouquin sur le coude, j'ai admiré l'aube et l'aurore entre les pins, rien de bien nouveau, rien de bourguignon, ni même de gersois.

    Bref je gâche tout. Cependant Corentin fait des tours sur son tracteur. Elle et lui se retrouvent impotents, par trop d'amour du concret : lui, sur motoculteur, elle, par ses randonnées en petite et moyenne montagne. Le vide au sein du manque.

    05 30

    BORDEAUX-MARSEILLE

     

    Rude tâche. Ô pays de mon enfâche. Parti le matin malgré une grève des bus. Abordé par un Marocain pas très lavé ni à jeun, me décrivant la transparence des eaux du Pacifique (avait voulul céder sa place à je ne sais quelle sexa qui s'en fut vers le fond). Demande à lire ma quatrième de couve et se répand en bien sur Bonaparte. Je relance toujours poliment quand je suis pris à partenariat dans le bus, car je sais ce que c'est que la solitude, l'envie de parler, d'un coup, à n'importe qui. Dans le train, me trouve flanqué d'une accorte quinqua, laquelle se fait gentiment draguer par son voisin de devant, Marseillais, qui lui parle par-dessus le siège, le même qui lui soulevait la valise : "Mais qu'est-ce que vous avez pu mettre là-dedans ?

    - Un cadavre !" Et moi, intelligemment : "J'espère qu'il ne va pas dégouliner !" Je le répète, mais ça ne fait pas rire, mes inhterlocuteurs préfèrent même ne pas m'avoir entendu. Et me revoici coincé avec une inconnue en dispositif "duo", sans la moindre envie de parler ni de faire connaissance. Elle lorgne mes vers latins ; je lorgne ses mots fléchés : tout est dit. Et de plus en plus souvent la tête du passager de devant repasse au-dessus du dossier ; il ressemble à Calvi, en nettement plus moche, ce qui est difficile mais faisable, avec un petit menton pointu fripé comme dans un étau. Et si je veux parler, il me cède la parole, mais je ne sais que vouloir faire rire, et me demander si mon numéro est bon.

    Ma tête de blond vipérin ne joue pas en ma faveur, et le faux Calvi pousse ses pions, pour rien, finalement ; sa belle réussite est d'avoir retrouvé après maintes recherches le second billet de cette femme, qui change à Montpellier. Il épluche page à page "le bouquin", comme il nomme la revue de mots fléchés : notre homme fait partie de ces ignares qui ne différencient pas "livre" et "revue". Comme disaient les jeunes cons à la FNAC de Toulon : "...Mais c'est à lire, ça !" - ils ont fini par trouver des images, qui les ont déçus. La petite pousseuse de wagonnets dans l'allée me demande, près de sa cabine de fonction, si je n'ai pas de cigarettes, parce qu'il lui avait bien semblé en sentir une, fumée par moi – je ne fume pas...

    Je voyage pour trouver mon reflet dans les yeux et les attitudes d'autrui, et non pour "aller au-devant des autres". Mais comme les autres autres demandent à en rencontrer d'autres, et que paraît-il ce sont les autres qui vous définissent le mieux, se trouve résolu ce faux problème des voyages : connaître les autres – se connaître soi-même. Or le train observe une pause de 50mn à Toulouse... Autant prendre la rue Bayard, vers les Galeries La Fayette et le quartier Jeanne d'Arc. Quartier chaud ! Femmes légères légèrement vêtues, qui n'ont pas le droit de racoler mais me disent 59 05 30

    BORDEAUX-MARSEILLE

     

     

     

    bonjour. À 67 ans, j'ai la faiblesse de croire en mes attraits physiques, et si tu souffres de mon narcissisme tu n 'as qu'à te figurer que je parle de toi. Et lorsqu'à Montpellier ma charmante voisine descend, je pousse un gros ouf intérieur, m'étale sur deux sièges et pianote sur la tablette. Et le passager de devant ? Il tapote aussi. Ce ne serait pas moi par hasard, ou bien toi, qu'il aurait voulu draguer ? À Marseillle, je cours vers la voie 5 direction Toulon. Prends un Coca glacé à 2€ (c'est du vol), m'affale sur un strapontin, à côté de deux frères, des "minots", bruns, charmeurs, qui s'échangent des formules de dragons pour des jeux vidéo.

    Arrive une autre quinqua bien grosse à cheveux courts et tailleur, dont je hisse la valise. "Qu'est-ce qu'il y a dedans ?" - je prends modèle : - Un sanglier." Celle qui la transporte en a tout l'aspect et la corpulence. Un haut-parleur nous braille les arrêts dans les oreilles. "Cet arrêt-là" (le premier) "on ferait aussi bien de le faire sauter ; personne n'y descend, personne n'y monte." Et nous nous tournons un peu le dos pour ménager l'espace de nos strapontins. Seulement, parvenu à La Ciotat, j'ose un truc de dingue : j'approche mes lèvres de son épaule nue – elle regarde ça de près, incrédule, écœurée – puis je l'embrasse vite en disant "Au revoir Madame" ; et même sans la regarder dans les yeux, je l'ai vue illuminée d'un grand sourire, souvenir marquant et durable, car ce n'est pas tous les jours que l'on vit cela.

    Les retrouvailles avec Marcel sont chaleureuses, il ne doit plus conduire à cause de la cataracte mais attend que sa femme soit là fin juin pour l'assister, afin de le ramener de la clinique. Et parvenu chez lui pour la sixième ou septième fois, je me sens un peu chez moi, mange du poulet froid à la mayonnaise. La télé nous gonfle avec le bateau de la reine d'Angleterre dont le goût est très précisément de chiotte, jubilé ou pas, puis son reportage sur l'Ukraine (l'histoire en accéléré : "quelques épisodes de collaboration", tu veux parler sans doute de la main-forte abondamment prêtée pour l'élimination des juifs par balles ? 99%, quelle efficacité !) A 11h 1/2, forfait. À minuit, je me relève, pour écouter BHL recommander son film sur la Libye, bien se défendre d'avoir joué la cheville ouvrière de cette libération, se défaussant sur la dimension littéraire du "reportage subjectif" sitôt qu'on l'attaque (mesquinement, banalement) sur sa présence dans tous les plans.

    Il recommanderait à présent l'intervention militaire en Syrie sans en référer à l'ONU, ainsi que les Américains l'ont fait en 2003 pour l'Irak. J'hésiterais... On hésiterait à moins, Blaireaux... si seulement les Israéliens pouvaient en profiter pour reculer un peu les frontières au Golan..... Ça remettrait d'un coup tous les Syriens d'accord – alors Je décide que non... Nuit mouvementée sous la 59 05 30

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    couette, réveil assez tôt, tour du non-propriétaire dans le jardin. Dépotage de plante en pot à 30€ : dans le plastique le terreau a viré au ciment, "sec comme le cœur de Ponce-Pilate" comme disait la mère de Marcel. Je cisaille les bords, puis je scie à la verticale, et tout le cul se décolle : ce fut long, j'utilisais auparavant toutes les sortes d'outils pour peu de résultats, tordais presque un plantoir en plastoc ; puis l'arbuste se mettait en place dans son petit trou jardinier. Mais tout n'était pas fini ! Les mains et les outils lavés, après quelque somnolence sur le lit d'en bas, la sonnette de la porte précédait de peu la Petite musique de nuit de Mozart, jouée à quatre : Michel et Marcel (violons), Elisabeth au violoncelle, et une altiste ex-violoncelliste qui parfois s'égare (Marcel, quant à lui, saute une ligne...) Ça écorche bien un peu, mais comment résister à la petite pantoufle de Marcel, 85 ans dans 15 jours, qui bat la mesure avec les deux femmes ? "On boit un pot, et on reprend après : j'ai des courses à faire" – fais-toi donc livrer.

    Bref, la Nicole est bien sexy, l'Elizabeth pleure son fils sans le montrer, j'applaudis sans prendre mes photos ratées, laisse parler les autres, vieux amis accoutumés d'échanger leurs domiciles pour un quatuor ou quintette hebdomadaire. Cela remonte l'hôte, appréciateur de ces franches camaraderies, qui ses amis partis s'expédie en sieste sans avoir mangé. La télé parle de Fuveaux, de son puits qui ferme en l'an 62, mais bien que né à St-Savournin, Coste s'en fout et me conseille de ne pas descendre en ville avant que les boutiques soient ouvertes. Depuis la chambre aux volets "croisés" ou "en tuile", on entend un bus coincé klaxonner toutes les dix secondes, au loin dans la montée...

    Je ne me souviens plus très bien de cette après-midi même. Encore une descente en ville, une remontée sous la chaleur et l'insignifiance. Habituellement j'arrive ici lundi, et profite le mardi d'un marché tout ce qu'il y a de plus provençal, gueulantes et vulgarité en moins. Cette fois-ci, que des espaces vides en ville, une bibliothèque où je consulte les "Marianne", un sac à main retrouvé puis tendu à bout de bras (?), trois morveux et veuses de 13 ans menant grand tapage à la porte, dehors. Puis la recherche de la poste, la décision de n'envoyer que quatre "Singe Vert" en réservant le cinquième à mon hôte (il me dit l'avoir lu : si vite ?) Dans la rue j'étais heureux, escomptant une prochaine rentrée financière, pourquoi donc ? pas même un bulletin de loto à pétrir !

    Achat de trois livres chez la gouine ou la cancéreuse, sèche, tondue, balafrée de rouge à lèvres : Alexakis et son tagada-pon, Chen et ses évanescences de classique chinois, 14€ tout de même, et Le cimetière de Prague d'Umberto Eco. Un monsieur fut rappelé depuis la caisse de la

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    BORDEAUX-MARSEILLE

     

     

     

    libraire, oubliant sa chemise ou si l'on préfère son dossier ; je ne manquai pas le jeu de mots obligatoire, ni la plaisanterie : "J'hésitais entre les trois, finalement je prends les trois" – pénible, non ? M. G., mon obligeant voisin de Mérignac, subit lui aussi en son temps mes assauts de turlupinades à propos de tout et de rien. Et je m'en fus dans les ruelles, cherchant le bouquiniste ("Il a fermé !" me dit élégamment un relieur en sa boutique). J'ai trouvé le revendeur de livres assis devant son seuil, ses rayons en cours de vidage, dix volumes de "Bibliothèque Verte" formule années 50, et rien à acheter.

    Il ne fouille pas mon sac en plastique. Et je suis remonté chez moi, chez mon hôte, après photos rasantes de ces poteries ressortant au tiers du mur comme autant d'esclaves à la Michel-Ange alignés. Nombreuses haltes, programme nul à la télé, mes pieds nus sur la table et sous le nez de Coste qui me fusilla du regard. Le soir, publicités trop fortes (à 40cm de la table, match nul pour l'incivilité), reportage inepte sur le bateau de la reine d'Angleterre, sur le "Palais de Pékin", ignoble apologie de la "gagne" vulgaire (comme pour "Money Drop", véritable avilissement de la race humaine, qui se montre ignare à un point suicidatif). Nous pourrions développer tout cela. Ce matin, réveillé à 6h 10 par ma douce et tendre, qui dort mal en mon absence mais assume au mieux.

    Impossible de se rendormir. Voilà bien de la misère. Exhibition à Coste de ce prospectus froissé où l'on regrette l'installation de sanitaires lave-cul "à la température du corps" : déjà vu en Egypte me dit-il. Allons ! Partons à pas pesants vers les HLM de Fardeloup, son asile de vieux avec son gros sac pour les couches – quand on est devenu vieillard, se chie-t-on inexorablement dessus ? Bref, je mange au retour (sieste tête bruissante, photos d'escaladeurs de falaise à mains nues), et je lui donne faim. Mon hôte me prête le "Figaro" du jour, qui parle bien plus des trous du cul déformés par la victoire (comme ils sont devenus modestes ! et je ne sais plus ce que je voulais dire ; là aussi, des couches seraient nécessaires) ; le "Figaro" est le seul journal dont je lis les articles littéraires sans éprouver l'impression d'être obligatoirement pris par la main pour penser comme tout le monde (il-faut-penser-aux-autres, chasser-les-Israéliens et croire-en-l'école-pour-tous) – sur quoi je pouffe, et je vais me brosser les dents.

    Le 31, je descends bravement, trouve le cinéma en bordure de la bibliothèque, mais les séances de 16h n'ont lieu que le mercredi. D'autre part, De rouille et d'os (un Arabe amoureux d'orque, qui se fait sectionner les deux jambes, très peu pour moi,n'est pas Almodóvar qui veut, je comprends que ça n'ait pas enthousiasmé le jury de Cannes), et deux autres films ("Sur la route") ne 59 05 30

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    me disent rien du tout : c'est Le prénom que je voulais voir. Prenons donc la décision de voire l'île Verte ; le lecteur s'il existe objectera que tout le monde s'en fout, à l'exception des amateurs de voyageounets, qui se trouvent. En route vers le bateau, bien pépère, trois ou quatre passagers dont une femme de mon âge bien heureuse de n'être pas draguée. À mi-parcours en mer, elle se met un pull sur les épaules. Un quart d'heure de traversée : l'île Verte commence par une lente et haute montée des marches, d'un tronc couché à l'autre, et de toute la promenade il n'y aura aucun banc : donc, heureusement, pas un pique-niqueur, à peine deux baigneurs entrevus d'en haut sur le sable d'une calanque.

    J'erre sur les tapis d'aiguilles et d'écorces, je vois de glorieux débris de ciment qui sont tombés sur les Allemands ("ils faisaient une partie de cartes" dit la légende). Surtout, mes oreilles sont pleines des cris de goélands, des "gabians" : des hurlements de chats, de gosses martyrisés. Rien sur moi pour les enregistrer. Les 14ha de l'île pour eux seuls. A mon approche ils fuient la photo...! de lourds envols et le soleil de face empêche les cadrages. De faibles rambardes protègent les falaises ("Danger ! 30m – 100 feet") et tout en bas le liseré des vagues sur les rocs, ici les arbres tout tordus par l' "anémorphose", en mer les vaisseaux qui croisent (un pavillon grec), uniquement des vues rebattues jusque sur les calendriers des postes, mais ce seront les miennes...

    De panneau en panneau, nous apprenons l'histoire de l'île, la tentative anglaise avortée en 1812, les promeneurs de 1910 et le boisement des années 60, jusqu'à la table d'orientation, juste au-dessus de l'inévitable "souterrain secret permettant de communiquer entre les trois batteries militaires" : sommet du séjour en vérité. Un goéland qui me foncerait dessus n'eût été un branchage qui le cabre vers le ciel. Redescente hâtive de marche en marche vers la navette, une heure aura suffi, le ticket de passage contre une troisième boule de glace gratuite sur la terre ferme. Au retour, mon hôte me charge de tailler le gazon : il veut de la rencontre, de l'amitié, ce que je suis bien incapable de donner, restant de nature froide, profiteuse et bouffonne.

    Mais je l'assomme de toutes sortes de considérations incessantes et bruyantes, il me montre un "Quid" du Transsibérien (son grand regret de voyage) et je finis par lui plaire. C'est difficile, Marcel, de plaire, et je me rends compte que toutes les bouffonneries n'auront pas tant servi à me protéger des autres mais à m'en faire bien voir, c'este-à-dire à les protéger de moi. Alors, de même que mon chat se laisse triturer de temps à autres (c'est sa "corvée de chat"), de même je me livre à ma "corvée de clown". Je tonds entre les arbrisseaux en évitant les nœuds de cordon, rebranche le 59 05 30

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    fil déboîté par l'épaisseur des touffes, et l'un dans l'autre m'attire les compliments du maître de maison, nous nous retrouvons même côte à côte assis sur la marche à contempler l'herbe, enfin du concret, "3m² oubliés à droite". Puis nous avons coupés des épis avec une petite cisaille. Le soir, informations, fott-ball tonitruant, malgré l'omniprésence des sous-titres pour sourds, par groupes de mots, en léger différé, étrange effet pour un match. Et je voyais mon Coste basculer sur le côté, ensommeillé, les jambes tremblotantes comme un chat qui rêve, et je souhaitais qu'il ne mourût pas. Pour la seconde mi-temps, j'ai baissé le son en douce, vu la nullité des commentaires de Lizarazu, les Serbes incolores, inodores et sans saveur. Au lit, j'épluche l'index des personnes en fin de tome II : Le secret du Roi – endormissement quasi immédiat. Très difficile ici de dormir en continu, un beau cafard de tradition pour le réveil. Parti le 1er juin à 8h 35, descente vers l'église du cimetière, la Traverse du Cimetière, les pigeons sur les croix du cimetière, le Passage du Rompe-Cuou ("rompt-le-cou") vers la rue Camusso, poste, détour vers le nord-ouest. Vautré sur un banc de ciment à moitié brisé, subis le sarcasle d'un homophobe "Tu sens pas bon" j'aurais dû répondre "Comme ta connerie", pédé moi ? Juste en rêve, je ne vais tout de même pas m'y remettre à 67 ans !

    ...Profitons des ruelles ombragées, librairie Courty, avec sa gouine chimiothérapée qui s'astique la devanture. Marcher très lentement, profiter d'un dialecte entendu, hispanisant, ni catalan ni provençal. Remonter la rue des Combattants, revoir le relais où descendit Stendhal en 1838, pénétré dans un bus au chauffeur exotique, vers "La Baie" (vérification faite, L'abeille). Il suffit ensuite de 20mn pour remonter la côte. "Il fait déjà chaud", ai-je dit à une vieille qui soufflait en descendant, qui répond : "C'est plus difficile en remontant" – qui a dit que j'étais inapte aux contacts? Ce n'est pas tant la peur qui inspire l'incessante plaisanterie, mais un constant camouflage de ses égoïsmes, de ses prurits de domination.

    Puis j'écrivis, et remontai chez mon hôte, qui faisait semblant de ne pas m'attendre. "Tu n'es pas un simple touriste ! tu es venu voir quelqu'un, pour lui offrir une rencontre, et de l'amitié." Mais pour cela, il faut jouer, car le jeu seul permet la véritable sincérité.

     

    BORDEAUX-MARSEILLE-LA CIOTAT 59 06 02

    C'est une existence oisive, dont il n'y a rien à dire, car tout se confond. Je suis descendu au "Casino", m'étant d'abord trompé, repassant devant la mystérieuse inscription VULVE AFRICA . Puis peinant à l'ombre. Sur place, je me suis rappelé ce raccourci de terrain vague pour accéder au magasin, passant d'abord sous les jeunes gens qui déploraient de se lever à 5h pour nettoyer la plage, puis devant des marginaux gorgés de chiens heureux. Ils m'ont regardé avec surprise : pour prévenir toute insolation, j'avais placé autour du crâne un grand foulard bleu dont les coins s'enfonçaient sous mon décolleté. Mais, étranges par eux-mêmes, ils n'ont pas ricané. Puis, par l'avenue Kennedy, je me suis repropulsé vers les hauteurs, en égrenant toutes les demeures en guise de points de repère ; plus on en a, plus le trajet semble court. Et l'on recherche son hôte, souvent affalé tête basse à table et remplissant un cendrier. Je lui fais une conversation affectée, malgré tout sincère, mais je ne veux pas non plus l'épuiser.

    Il se souviendra de ce qu'il voudra. Il aura enfilé des publicités tonitruantes, mais, en compagnie de ma femme absente, nous aurons regardé Je verrai le pays des neiges. Mon hôte connaissait A.D. Neel, mais ne savait pas plus que moi les déails de son aventure. Parlait-elle français avec son moine-servant ? "Je suis la première Européenne à avoir pénétré dans Lhassa, et vous me menacez de prison ? dit-elle fièrement à l'employé britannique à son retour. "Je ne tiendrai nul compte de nos discours." Marcel ne s'est assoupi que deux fois vingt secondes. C'était ardu, car la fille Blanc jouait trop sûr, trop insolent. Mais les rites tibétains nous ont captivés. Nous avons trouvé qu'il était beau de prôner le renoncement à tout, alors qu'elle possédait une volonté de fer, sans la moindre trace de compassion pour quiconque, sans jamais renoncer à son but : attitude typiquement occidentale.

    Comme j'en ai fait part à mon Epouse, le bouddhisme me semble absolument incompatible avec une vie terrestre active. Tout étant illusion, pourquoi s'acharner à y conquérir quoi que ce soit ? Même en étant dépourvu de toute passion ! Donc, toute volonté vous abandonne. On se place en lotus, on médite et on crève en odeur de sainteté. Même problème que chez Plotin : pourquoi diable avons-nous été créés... tous les philosophes, toutes les religions du monde nous laissent en fait aux prises avec notre sinistre et bouffonne condition humaine, disant : "Quoi que vous fassiez, peu ou beaucoup, cela sera dans le dessein du monde. Et, mes bien chers frères, démerdez-vous." Dans ces conditions, nous voyons mal pourquoi nous devrions nous casser le cul à nous initier au bouddhisme ou à quoi que ce soit, puisque faire effort pour se débarrasser de ses souffrances engendre tout autant de souffrances et de tensions qus si l'on reste dans ses imperfections antérieures.

    ...Ce ne serait pas cela ? maintes subtiles interprétations démontreraient au contraire qu'une fois franchi le surplomb la marche devient tout aisée vers les voluptés suprêmes (qui n'en sont pas), mais souvenez-vous : "il n'y a rien qui ne devienne compliqué pour peu qu'on le décortique," et finalement, il s'agit toujours bel et bien du même "Vivez comme vous l'entendez, ou comme vou s le pouvez, et démerdez-vous." XXX61 06 05XXXPasser ensuite à quelques élucubrations sur le Triangle des Bermudes n'apporte rien, avec ses témoignages mal montés doublés sur l'américain, ses illustrations récurrentes, ses "failles dans l'espace-temps" et autres "vagues scélérates". Malgré mes sournoises diminutions de son, pendant les assoupissements de mon hôte, le ronron sentencieux du commentateur-concierge m'a poursuivi dans ma chambre, contiguë, jusqu'à mon endormissement. A noter deux coups de téléphone simultanés, femme et fille : cette dernière s'inquiétant de n'être pas livrée de son cadeau pour la fête des mères, et la première, hier soir et ce matin, se faisait un devoir de me babiller toute sa présence, car elle s'ennuie pendant mes absences, tient à conserver son lien, je n'ai plus désormais l'impression en voyage d'avoir coupé le pont conjugo-ombilical. Marcel ayant reçu Alexakis et Chang (deux étrangers s'étant plutôt exprimés en français, qu'il lira avec intérêt), je me trouve à ma table de travail à 9h 39 et ne compte pas nécessairement poursuivre ce compte rendu, dont il reste cependant 11mn.

    ...Nous discutâmes de tombeaux, de familles, de longévités, de la considération que je cherchais (en vain, étant bouffon) à obtenir. Puis il m'amena sa vieille Honda (20 ans), sans nous dire autre chose que les platitudes d'usage, élus (pour ma part, mais qui sait...) de nous quitter. Je lui ai tapé sur l'épaule et me voici, sur un tabouret de quai, à l'ombre, après avoir photographié ("piles faibles") la plaque de commémoration de L'entrée en gare de La Ciotat, été 1895.

     

    MARSEILLE 60 02 06

    C'est une ville venteuse, bruyante et sympathique. J'y suis arrivé après un voyage fastidieux, obsédé par la récente attaque du RER à coups de pierres. Descendu les escaliers de Saint-Charles. Evité les bouibouis sans confort. Erré le long des premières façades, guettant les hôtels. Un air de chercher touchant : chapeau, roseur joviale, bonhomie de couillon sur la gueule. Un homme se lève

    de sa chaise sur le trottoir, déclenche son plus beau sourire et m'entraîne sous une porte, HÔTEL. En trois coups de cuillère à pot, me voilà engagé pour quatre jours à 50€ soit 200, somme précisément versée par Anna sur le compte courant. Belle arnaque, puisqu'en descendant le boulevard d'Athènes, je découvre une formule à 35€ ( à dix mètres près), puis cela redescend à 30, voire 28. Canebière, animation. Je ne me souviens plus de rien : hier le 5, grande expédition matinale vers la place Jean-Jaurès, appelée avant-guerre "la Plaine". C'est par-là que logeait Coste, mon ami de La Ciotat, que l'âge rend à la merci d'un plus jeune.

    La place grouille de tout un marché. L'on a de la peine à s'y mouvoir, mon appareil numérique en registre sans viser ni se faire remarquer, jusqu'à un connard de marchand de légumes, qui demande un euro d'un ton rogue, pour "droit à l'image", sotte susceptibilité. Je passe mon chemin, lançant la main par-dessus mon épaule. Rue Saint-Savournin : ce village était son lieu de naissance. Rue sans histoire ? au numéro 65 une haute banderole se déroule sur la façade ; on y voit l'adjoint au maire fustigé par un message déjà collé sur les murs : une école devant fermer transformée en "lieu de vie" autogéré, hors cadre, se proclamant irremplaçable et indestructible. D'autres affiches dans le quartier relatent la visite dudit adjoint venu reconnaître de près l'infraction, bombant le torse et prétendant déloger ces insolents : "Vous ne m'empêcherez pas d'entrer dans MON école et de vous expulser." Ces gens qui ont le droit pour eux m'exaspèrent. Puis, dans les rues qui montent et qui descendent, j'entreprend un "gauche-droite" de la meilleure tradition. Me voici en plein Camas, enchanté de la multitude des commerces. J'examine ensuite par désœuvrement le manège de quatre jeunes manœuvres transportant sur leur dos des sacs de 25k de plâtre. Ils se regardent en clignant de l'œil à mon sujet, m'imaginant que je les drague, alors que je suis juste fatigué.

    En face de moi, une cour de récréation bien animée. Oui, je suis homo refoulé : et alors ? Autre jeune homme qui me vent quatre enveloppes de bonne taille. Pour rejoindre la gare Saint-Charles, il faut retrouver la Plaine, puis on descend. Et grosso modo, cahin-caha, j'y parviens. À l'hôtel, le gérant me tend la clé : je suis claqué. Il faut que je me repose, comme il me l'annonce

    avec agacement. Sans doute me suis-je laissé aller à quitter le ton du client, pour faire l'aimable ; mais cela n'arrange pas du tout les hôteliers ! ils ne s'ennuient pas du tout de faire leur métier ! Mon séjour ici alterne les promenades géantes et les repos qui assomment. En fin d'après-midi, j'ai voulu gagner l'Abbaye Saint-Victor. C'est gratuit. Les cryptes également. Des sarcophages datent de Sidoine. Ils ont encore les caractéristiques arrondies de la romanité finissante. Ensuite, nous pasons à la scuplture plate, tel ce gisant aux pieds aplatis dépassant sous la chasuble. Au-dessus se tiendra vers 6h1/2 une messe pour le personnel de santé de la ville, car c'est Dieu qui guérit.

    Malgré la présence de plusieurs prêtres, il ne semble pas que l'assistance dépasse les 70 personnes. Noter l'existence d'un "brûloir" où, sur de vastes grilles, on offre des cierges larges et trapus. Pas plus absurde que les moulins à prières tibétains. D'une rambarde dominant un immense vortex de voitures illuminées, je fais part au téléphone à mon épouse des impressions que je ressens jusqu'ici : une ville en plein dynamisme, apprivoisant ses immigrés ou Goths, parfaitement bilingues. Rien de plus voyou ici qu'ailleurs. Une grande bonhomie. Marcher seulement droit et décidé. Puis il y eut une nuit, et il y eut un matin. Traversant le cours Belzunce, je me retrouve devant l'Hôtel de Ville, gravis la rue des Repenties, pénètre enfin dans le dédale modéré du Panier, manqué lors d'une précédente visite.

    Il est vrai qu'aujourd'hui j'ai le temps, aucun horaire de train ne me presse. Je revisite doinc la cathédrale de la Major, bicolore par bandeaux, assez lourde, et dont je ne ressens pas le charme. Un tombeau en fond d'abside recouvre le saint Eugène, canonisé par Jean-Paul II pour ses bonnes œuvres, mort en 1861 (1908). Le jeune homme dont j'ai photographié, ailleurs, la tête en bronze, nous est ici représenté, cliché véritable sans doute, sous les traits d'un vieillard de mon âge au regard profondément marqué et généreux. Plus noble même que Mgr Myriel, un peu trop bonasse à mon goût. Puis je remonte vers la place des Moulins, redescends, rate l'entrée de la grande flèche blanche qui se trouve là, me fait héler Alors Mirza ! pour ne pas avancer assez vite, me retourne et envoie sans risque un vieux doigt d'honneur au dos du prolo qui s'éloigne.

    Au bout de la rue Belzunce qui décidément demeure mon grand repère, j'avise en vitrine des montagnes de pâtisseries orientales : à l'intérieur, j'en prends deux, bien grasses et pesantes comme des pavés. Un serveur plus que basané s'empresse, me livre un emballage, une cuillère en plastique, une serviette, me lance "La vie est belle", et moi : Hayat güzel. Il ne connaît pas le turc. Moi non plus. "Et le monde est beau ?" - Non, je suis au bout de ma science. - J'aurai appris quelque chose

    avec vous !" Le patron arabophone me dit : "En arabe, "la vie", haya. Hassiba, que je lui propose, est "le prénom d'une fille". Mais il y a beaucoup de langues en berbérophonie. M'étant aperçu dans une vitre, je me vois blond cendré, rose porc, et toute sémillante. La vraie pédale. Eh bien, assumons. Assis sur une haute borne (cette ville manque cruellement de bancs publics), je me fais aborder par un grand trentenaire en bonnet, l'air enchifrené. Il ne veut ni argent, ni gâteau. Il sait où loger, c'est chauffé, il vient de faire ses courses. Mais il est effroyablement seul, me parle aussi de la température à craindre cette nuit.

    Son élocution est bourbeuse. Il ne voulait peut-être même pas coucher avec moi. Nous nous séparons, nous souhaitant bonne continuation, j'ai peut-être été de quelque secours. Et revenu dans ma chambre, j'ai droit au salut plongeant du patron qui me serre la main. Ne pas changer ; assumer son teint rose et ses cheveux de Belge... Repartons, décrivons ! Les pattes en compote et la tête en feu (Macha Têtenfeu). Au début j'ai l'air beau, ensuite j'ai l'air clodo et je parle tout seul. D'abord plein nord, vent debout, vers les Beaux-Arts. La galerie naturelle est fermée, le grand escalier se voit infliger une rénovation de première, pour le mois de mai de la Culture 2060, à Marseille. Un employé qui fume en travaillant pense que je pourrais essayer de ressortir "en faisant le tour".

    Et ma foi, de grilles de chantier en grilles de chantier, je me retrouve comme deux jours avant place Leverrier, celui qui découvrit Uranus. Mais tout reste impitoyablement fermé, malgré la corniche "Bramante-Vinci-Michel-Ange". Privés de musée jusqu'au mois de mai, les Marseillais ! Alors je me rabats sur le musée Goby, qui doit profiter de cette défection : las, une vieille peau clitoridienne me demande de repasser dans 10 petites minutes – dans ce froid, 10 minutes ? Partons. Sans plan, pour un vendeur de piles ou de pellilcules, pour un bureau de loto. C'est tout de même plus intéressant que Notre-Dame de la Garde, bien connue pour ses gigantesques pissotières. Ce qui donne une irrepérable et incohérente errance dans les rues de Camas, une à gauche une à droite, rue de Bruys et autres ; un achat laborieux de piles où j'oublie les miennes, usagées mais toujours rechargeables.

    Rue Barthélémy, etc. Ce qui m'intéresse finalement, ce sont tous les petits commerces, le tissu social populaire, l'artisanat, les vieilles boutiques en bric-à-brac, rue de l'Abbé de l'Epée, tout cela déjà vu. Il est passionnant de repasser dans ces dédales perpendiculaires accidentés, afin de bien profiter des affichettes de chats perdus, des vitrines humoristiques, des tags toujours grotesques à la portée de tous, de mettre ses pas dans ceux des mémères, avec ou sans chienchien, avec ou sans béquilles, cabas, foulards, tenues maghrébines ou non. L'extraordinaire, c'est de déboucher malgré tout Boulevard de Baille, signalé par Coste : "bien fréquenté malgré l'absence de putes" ; je luidirai que j'ai hanté les numéros 240 à 180, par l'étroite rue Pascal Cros, presque privée, jusqu'à la petite rue du Berceau. Il ne m'aura pas dit son adresse exacte, pour que je n'aille pas péleriner, mais il finira bien par me dire sa rue, du moins sa dernière. Il s'est construit par là un centre d'accueil psychiatrique d'urgence, où je m'assois, dehors, sans qu'on m'embarque.

    C'est un brave macho qui m'a renseigné : "Oui Monsieur, vous pouvez ressortir par là" – mais si tu fais les yeux doux à ma femme je t'assomme. Elle m'a bien souri, poliment, la femme. Que leur importe d'être infantilisées, si elles se sentent protégées ! Boulevard Chave, éternelle rue St-Savournin, village natal de mon ami octogénaire ; rue Du Guesclin, rue Socrate aboutissant au flanc est des Réformés de la Canebière.J'achète deux mandarines pour 60c., m'en suis foutu plein les mains plein le mufle, remonte les épaules et bombe le torse pour prendre en contreplongée le monument aux morts de 1870 (à ma rencontre s'est avancé un bombeur de torse engoncé dans ses épaules, vil imitateur sarcastique !)

    Ici, la clef tombe dans un sac à travers la cage d'escalier, une femme à foulard blanc me change mes serviettes, mais il est inutile de refaire ma vaste chambre carrelée. Mes projets sont les embarcadères pour l'île d'If ou Ratonneau-Pomègues désormais liées qui ravissaient mon enfance cartographe. Marseille aura du moins contribué à me décrasser des idées faciles sur les invasions d'Afrique, car je vois là dans le premier arrondissement une population riante, honnête, pacifique et travailleuse. Avoir vécu au Maroc m'empêche d'avoir peur, mais le dernier qui parle a raison : "mes pensées, ce sont mes catins". Mais Diderot fut cohérent : il s'ébroua, mais fit aussi ses longueurs de piscine.

    Jamais le racisme ne dépassa mes 18 ans, toujours me débecta le fanatisme, et le chrétien itou. Me voici des souvenirs pour trois grands mois, avant La Ciotat, avant le Calvados.

     

    ÎLES DU FRIOUL 60 02 08

    Ces branches tendues vers moi le vieux, le voyageur en toute confiance, ces ongles passés au vernis pourpre... Cette conversation entre sœurs, l'une coupante et l'autre moins... Cette absence totale de grivoiseries dans les conversations pour femmes, où l'on ne se sent pas obligées de rivaliser de gauloiseries pour arracher un éclat de rire... Ces grandes importances émotionnelles accrochées à de petits riens... Tous plus jeunes que moi. Etrange impression. Leurs cordons de GPS, PSK, je ne sais plus. Et leurs soucis qui furent les miens, leur foi plus grande que la mienne en leurs avenirs même pourris, ces énergies que j'ai eues, dirigées vers d'autres buts à fonds perdus. Cette rage de vouloir intriguer, à contretemps, par ma blondeur, mon teint rose, et mon attachement aux moyens désuets... Cette faculté, si je le voulais, de sautiller d'un sujet à l'autre, accentuant ce que je fais de mieux, premier littérateur à user de la composition simultanée. Cette odeur de tabac puis de nouilles froides à la vinaigrette exalée d'une vaste boîte rectangulaire de chez Tupperware. Les engloutissements sans gêne et si énormes, ce délaissement de ma personne où m'abandonnent, sans même m'apercevoir, ces débordements d'énergie et de sexualité même chez des femmes... Mon Dieu je ne les reconnais plus. Ma voisine s'enveloppe dans sa cape, recroquevillée sur son demi-m², les écouteurs aux oreilles et l'i-pod à la main ; que j'en aurai côtoyé de ces belles abandonnées, moi ridicule avec mes délicatesses de vieil homme ; elles mangent, pètent, boivent et chantent comme nous, mais leurs propos demeurent étonnamment mesurés et subtils.

    C'est dans le train, bien plus qu'en pleine nature et mutilé de vents violents, que je trouve mes plus vrais accents, les plus risqués, les plus frôle-récifs. Ces jeunes filles abandonnées aux corps vermoulus ne diffèrent ni de moi ni de nous, semi-vaincues par le sommeil et aussi attirantes, en somme, que les dessous d'aisselles ou les muscles des hommes. Je voudrais savoir d'où viennent les différences charnelles vraiment objectives qui engagent le désir vers telles ou telles avenues si peu opposées finalement. Je n'ai pas sur mes compagnes (trois dans ma rangée, si différentes d'âges et de préoccupations) la clé adéquate à leur interprétation. Je fus précipité par elles dans l'indifférent néant.

    Arrêt en pleine voie "nous invitons les voyageurs..." - non, pas d'annonce. Juste l'impitoyable reflet de nous tous ne laissant rien voir ni pressentir. Ma voisine en noir descend à Bordeaux à 23h 15 comme moi. Elle somnole recroquevillée sous son caftan noir , sans lâcher son i-pod qui lui est consubstantiel. Fausse délicieuse intimité. Ces dames se couvrent. J'étouffe dans mes pieds que je n'ose aérer. J'aimerais la prendre dans mes bras, à condition qu'elle ne s'éveille pas, du moins ne parle pas. Train. Journal, Millás, jeunes filles qui bâillent si semblables à moi sauf au plus creux, quitte à faire éclater le plus cuisant des fous-rires, ne les intéressent plus, jamais, familles, soucis, sexe si peu.

    A présent je la vois bien, ma voyageuse, affalée, les bras à même la tablette de son fauteuil, son petit chignon saillant par-dessus son serre-tête. Elle m'est absolument fraternelle, au groin près. De même, ayant vu le cul tombant d'une autre passagère, qui s'était doigté l'écran plus de deux heures à démolir une pyramide de boules, je sentis qu'il y avait des femmes intelligentes , sensibles, et des femmes connes ! ...quelle que fût la vallée framboiseuse où leurs jambes se distinguaient du tronc... il y avait donc, eh oui ! un autre moyen d'appréhender les femmes en dehors de leur configuration génitale ! ça alors ! De même que pour les hommes, il existait de fortes différences entre celles qu'il valait la peine de connaître et d'aimer, et celles qui n'en valaient pas la peine !

    Je m'aperçois aussi, du haut de mes treize ans et demi, qu'il m'est difficile de me détacher, par mon style, par mes intentions et les choses si essentielles que j'aurais à dire, de tel ou tel ouvrage que je venais de lire, afin de m'amorcer la pompe : honte ! Que tout cela est passionnant ! Plus encore, ma sœur m'avait procuré un fascicule comportementaliste : "Améliorez vos points forts", disait-il, "et ne vous fatiguez pas en vain à remédier à vos points faibles" – en réalité, cette règle, comme toutes les autres, ne pouvait s'interpréter qu'à la lumière de soi-même : certaines choses cependant restaient bien à combattre, d'autres à fortifier – c'était donc, une fois de plus, l'éternel démerdez-vous, devise qui ne relevait donc pas tellement d'une incapacité à recevoir un enseignement (sauf de mon père l'instituteur après lequel nul n'avait le droit de me former), mais de ce sentiment toujours ancré en moi, ni positif ni négatif, ni bon ni mauvais, de dédoublement, de possibilité toujours envisageable, d'un monde parallèle et plus ou moins contraire. Porque yo no estaba de ellos. Aquel libro me abría otras perspectivas muy reveladores y opacifiantes. Moi aussi je me suis accaparé tout ce que je lisais.

    Moi aussi je l'ai refait. Comme tant d'autres. Il y a si peu de modèles d'hommes. Pas au point cependant de m'imaginer que je ne sois pas hijo de mis padres. Eso si que era totalmente impósible. Ce sont eux qui m'ont engendré – mais je viens d'ailleurs. "Si je ne réussis pas, que le bourreau, lui, m'abreuve de mille tortures". Tu seras cet homme. Impossible en vérité de rendre compte de cette excursion aux îles du Frioul (Ratonneau et Pomègues) sans tomber dans le convenu. Ces deux îles me fascinaient, par leur nom, dès ma douzième année, quand je les découvris sur mon Atlas. On les relia dans les années 1820, afin de faciliter la mise en quarantaine des marins de retour des tropiques avec la fièvre jaune.

    Je me suis d'abord attardé à Ratonneau, visitant la calanque de Morgivet, deux amoureux sur la plage déserte. Puis, déambulant d'une hanche sur l'autre, sous un vent fort, j'ai conbtourné le rocher pour me rendre au fort. Au passage, petit cliché du château d'If. Rencontré au sommet de Ratonneau cinq jeunes filles anglophones. L'une d'elle m'a demandé en parfait français si l'on pouvait redescendre. "Il n'y a pas d'issue par là. Vous devez revenir par le chemin que vous avez pris." Flatté qu'on m'ait honoré d'une parole. Je les ai retrouvés plus bas ; elles avaient découvert un raccourci trop ardu pour mes pattes.

     

     

    BOURGES

    Nous voici étrangement à Bourges, où SIDOINE a tenu un rôle important : mais il n’en est, dans mes lectures, qu’au Panégyrique d’Avitus. Pour l ‘instant, il ne vient que de le rencontrer.

    Puis j’ai rencontré Zoé (…) Elle a disparu. Je passe un demi-quart d’heure à rire. « À compléter ma rigolade ». Je fus reconnu à ces fameux cheveux longs nécessairement crasseux dépassant de mon chapeau arrière. Quand j’eus face à moi Zoé, guéridon 24, ce fut un choc : son visage était un triangle de vieille retraçant très exactement les trois rotors d’un rasoir électrique : deux pour les yeux, celui d’en bas pour la bouche. Cercles d’agrafes, rides et griffes de la décrépitude, méplats luisants. C’est elle qui m’a photographié, deux fois, moi une seule.en train d’utiliser son smartphone. Elle a montré des photos de son fils, qui ressemble à Guillaume qui ressemble à mon cul. Et de Clara psychiatre en EHPAD revenue de Toulouse à Bourges. Zoé me donne deux adresses, la sienne et celle de son « compagnon de si longues années ». Je la fixe de tous mes yeux. Je parle fort au point d’importuner deux filles au guéridon touchant, le vent soufflait sur la terrasse. Nous avons parlé du Limousin et de Meyssac, des randonnées de Flaubert e Du Champ excluant toute compagnie féminine… de mon fascisme trop ostentatoire pour être véritable, de Péguy (lucide sur le culte de la personnalité autour de Jaurès. Et je sentis peu à peu monter, sous sa peau tannée, une sensibilité ardente, une réactivité susceptible aux moindres nuances de mes insinuations, analogues (je m’en aperçus plus tard) aux affres d’Yves Saint-Laurent.

    Elle semblait depuis longtemps avoir hâte de partir. Elle aurait préféré une table de coin. À peine m’étais-je égaré après ces adieux (sur le bon mot ce sera répété, amplifié, et déformé), voici que je retombe sur elle ! ...qui me confirme son intention (« Tu vas te faire chier, Zoé ! ») de venir me prendre à l’hôtel pour la gare, ce qui lui occuperait toute la matinée du vendredi. Je l’ai trouvée extrêmement « gentille » : élan, sincérité, névrose ? Conquise par ma cynique insolence, pfff ! - ou bien se faisant un devoir de complaire à qui ne lui plairait pas ? Obéissance à ses lubies ? Obsession d’elle, en moi. Deux fois elle m’appelle (d’abord le long de l’interminable et sinueuse rue Durand, puis à table

    à La Boucherie) pour se faire confirmer l’horaire de mon train, Son dévouement m’inspira le cadeau d’un bouquet, aussi cher qu’un taxi… Il me vint sur cette vieille libérée les élucubrations érotiques les plus saugrenues, qui s’était jadis fait mettre dans le cul par un Corse sans capote. Toutes les femmes on bien de la veine, toujours aimées, désirées, pourvu qu’elles veuillent se ruer sur l’homme. Et je me figurai tomber amoureux de cette fée si laide et si protégée. Par cet homme que je n’avais plus vu depuis 25 ans. Durant le trajet de l’hôtel à la gare, j’imaginais de folles et profondes conversations, comme si j’avais toujours connu Zoé, car tel es le jeu dès l’instant où l’on se parle.

    ...En vue d’une amitié durable. Il y aura des fleurs en vente au buffet de la gare. Zoé, pour des fleurs, se montrera très reconnaissante. Sans que rien de sexuel se déclenche sur les fauteuils. Une autre femme, incompétente, blonde, étincelante et lancinante, nous aura tous bassinés avec son Duc DU Berry, comme elle aurait dit le roi de LA France. Nous étions 5 visiteurs âgés, tendres, dont une grande rousse qui me dévisageait en prenant de larges photos sur tablette ; un possesseur de caméra ventrale qui refermait les portes derrière lui pour éviter les coûts du chauffage...

     

     

     

    TULLE

     

     

     

    2062 06 19

    Assis sur un banc à l’ombre, luttant pour ne pas dévier dans la décrépitude. Je suis arrivé ici le 15, par la gare. J’ai gravi une interminable et dangereuse montée pour parvenir enfin, reprenant mon souffle tous les 120 pas, au P’Tit Déj, contacté par téléphone. C’est un hôtel en hauteur, à vue panoramique. D’emblée cependant, j’ai annulé ma réservation de quatre nuitées : « Aucun moyen de transport collectif ! - Prenez un taxi ! » - c’est ça, ma belle, fous-toi bien de la gueule des économes. Le soir, délicieux repas, serveuse sans âme assénant à chaque client, après chaque plat : « Ça a été ? », formule disgracieuse au double hiatus. Le merveilleux fut le petit chemin au jour tombant, sur plongeon de prairies à vaches, le tout photographié.

    Le lendemain matin, toujours ma roulante au cul, je suis redescendu dans la bruine ; tout est plus facile à la redescente… Je cherchais le ou les fameux « petit(s) hôtel(s) » auprès de la gare (qui se sont révélés plus tard plus chers encore que mon serial albergo de St-Adrian…) (???!) - et voici l’hôtel Dunant, une mère accorte aux seins bien serrés dans l’échancrure, qui me détaille, pour le justifier, le petit-déjeuner à 9€ (où s’arrêteront-ils!) « Je ne me laisserai pas mourir de faim » Et poursuivant involontairement mon obsession, je paye les 191€ tout de suite, « mais si je meurs, mes héritiers vous réclameront le supplément. « Pourquoi dites-vous ça ?

    - C’est pour conjurer. Pour que ça n’arrive pas.

    Une longue promenade Quai Péri, quai Chammard (avec buste de l’ancêtre, protecteur des jeunes mères abandonnées avec leurs enfants). Cathédrale, marché plan en main jusqu’au cimetière. Un cimetière conique et non comique, où les sections s’enroulent en spirale souvent interrompue, aux volutes reliées par des escaliers. Je photographie un magnifique chien de faïence, extraordinairement expressif et ressemblant… Qu’est devenu ce loup fou du zoo de Bâle, qui cherchait fébrilement une issue, au bas de sa grille ? « Il faut prévenir le gardien ! » Mes parents n’en ont rien fait. On ne délivre pas un prisonnier zoologique. Celui-là, le mort, derrière les grilles de sa chapelle, veillait son maître mort.

    Plus haut, face à la chapelle sommitale, s’étale un tombeau familial, celle du maire de 14-18, où figurent les de Siorac, et une femme décédée à l’âge de 118 ans ! Marie-Pascale me confiera que le graveur ce jour-là s’était bien servi en eau-de-vie…

    Seigneur prenez pitié de notre lassitude…

    Soudain le téléphone : « Êtes-vous le gardien du cimetière ? - Oui. - Pourriez-vous m’indiquer la sépulture de monsieur Parrical de Chammard, petit-fils de l’ancien maire ? - Avancez jusqu’à la grille. Penchez-vous sur l’allée inférieure. La première tombe n’a pas de nom, la deuxième non plus. La troisième : c’est celle-là. » Quel homme ! Connaît-il son cimetière par cœur ? Ce défunt fut inhumé en 2004. Un oncle en 2011. I shall return.

    Écoute-moi bien, brocanteur, fouille-fumier : je suis génial. J’atteins le ciel des idées. Bientôt le Train m’emportera comme toute chose.

    Sur l’autel gisait le Livre de Job : excellente qualité littéraire.

    Tandis que je redescendais du cimetière, croisant une vieille peineresse, j’exprimai le regret de ne pas voir pour elle s’ébranler un escalier roulant. Elle eût aimé parler. Puis ce fut l’achat d’une mandorle couchée, en verre, ornée d’un entrelacs de filetures émaillées. La vendeuse avait 82 ans. Sa cliente plus encore. Elles souriaient en évoquant le machisme de tous les hommes. D’accord. Voyez-vous, il m’a été dit que l’homme était là pour protéger la femme, et nous n’en sommes pas tous revenus de voir tant de femmes mieux tirer leur affaire du jeu que tant d’hommes !

    Les journées ainsi se passent, allongés dans une bienfaisante grisaille cérébrale, qui n’est pas sans danger par sa démotivation, au point qu’il faut ensuite réfléchir avant d’esquisser le moindre geste de relèvement physique : qui peut se souvenir de tout ?

    Le lendemain notre premier souci fut d’acheter des arums foncés, dits « calla ». en pot ; de nous confier à la fleuriste, révélant notre projet de fleurir une tombe, ainsi que me l’avait demandé Marie-Pascale. De mettre au rebut un vieux pot desséché. De redescendre de là-haut, de chipoter sur un livre des Pendus de Tulle, qui mélangeait trop de choses : Oradour, Mussidan (144 fusillés). Prise de congé, ici comme chez l’artisane à la mandorle, un peu sèche et surprenante (« prendre congé » : dire « au revoir »). Puis le lit, la bouffe malsaine sur le drap, l’empilement des oreillers sous la tête, le cinéma télévisé.

    Fou ce qu’on peut se crever vite à se dandiner ainsi d’un pied sur l’autre, en essayant de bien s’enfoncer les écouteurs en plastique. Hier, la D 167, liserée tout en vert sur le guide : sous des ponts, le long d’une grande usine en contrebas, des montées, des virages à prendre à gauche plaqué sur le talus de gauche cul tourné vers la chaussée pour ne pas affoler ceux qui surviennent). Puis la rencontre d’un type qui traverse la route devant sa maison, qui te demande où tu vas, tu réponds « aussi loin que mes pieds pourront me porter », « aux Quatre-Routes peut-être », mais était-ce à Moulins ?… Tu parles de ton enfance à la campagne, de ce Parisien prétentieux qui confond la vache et le cheval vous ne la connaissiez pas ? Il rit de bon cœur, n’a pas parlé de lui mais c’est un début, comme tout ce que je vis ; je mourrai vagissant. Mais l’amabilité fait venir et parler. Il avait failli s’arrêter en te doublant, mais il te suffisait peut-être de te dandiner dans la verdure.

    Je parviens à Naves, moins sauvage, plus envillanné : une église et des gosses criant autour d’un ballon, dont une fille, à boire et retour par Tharnaud, la descente est interminable, vou-ou-ou, vrou-ou-ou, voitures, épuisement – surtout, surtout : ne pas montrer sa fatigue, bien dresser la tête, grosse soif. Et le repas du soir, deux communications au gendre aux dépens de Sonia jalouse c’est mon père et pas le tien, qui suis-je ?

    Ce matin, adieu Tulle, plein soleil, pot de fleur, place à l’ombre, lecture du Crapoteux Nouveau Détective, débauche...

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    Etrange journée de voisinage avec un monstrum au sens de manifestation incarnée de la névrose. Néron ne supporte que les forts, exige autour de lui gloire et reconnaissance, intérêt et bienveillance à l'Autre, sans s'apercevoir ou reconnaître que chaque progrès en connaissance de soi augmente la connaissance de l'autre et l'intérêt qu'on lui porte. Nul ne peut s'abstraire des autres ; de même, les autres ne peuvent se dispenser de l'appréciation d'un sujet. Les opposer, prétendre pompeusement comme Télérama que telle artiste, au lieu de se pencher sur son nombril, s'est intéressée aux autres, témoigne de la plus complète niaiserie. C'est pourquoi nous avons acheté de nos deniers fléchissants ce livre où la guerre, loin d'être à l'opposé de la civilisation, se voit au contraire parée de toutes les attributions du progrès : polêmos patêr panntôn – ô crétins moralisateurs !

    Moralisateur, c'est ce que fut Néron en dépit des sommes qu'il prodigua pour moi : car ici, la moindre dépense est de dix euros. Ne voulait-il pas convaincre de plus son beau-fils de le l'équivalence entre un mot d'absence d'un professeur de fac et la défection dont nous fûmes victimes? Equivalence à la fois didactique et logique. Cependant, m'efforçant de ménager les deux antagonistes, car les dicussions de Néron dégénèrent vite, j'allais répétant que le beau-fils préférait sa fiancée à ma propre personne, ce qui était logique... Mais je m'appliquais à ne pas encourir l'ire du Prince, laquelle, détournée de moi, retombait sur ledit beau-fils. Et je céddais, à tout. J'approuvais tout, utilisant ma lâcheté naturelle à l'approfondissement de mes connaissances.

    Je développais chez l'autre un amour de moi qui deviendrait bien vite encombrant ; mais l'acceptation de tant de choses pouvant se révéler dangereuse, j'ai tenu aussi à payer une quote- part : un verre de whisky après deux cafés en terrasse couverte, où des gonzesses hurlaient leur alcool. Notre Néron avait déjà fourni deux versions de sa rupture avec Frédinaire, qui lui avait refusé une préface, ou bien, verrsion deux, l'envoi d'un service de presse. Par conséquent, et entre parenthèses, pouvais-je ajouter foi à l'anecdote de cette ivrognesse ayant perturbé un récital de textes sur la mort de Verlaine ? Tozy, grand comédien, grande âme, l'avait d'abord englobée dans ses paragraphes, puis s'était interrompu après un vigoureux Tu vas fermer ta gueule : “Mademoiselle, on ne s'adresse pas à moi comme cela ; vous dérangez à vous seule cinquante personnes depuis une emi-heure, veuillez sortir.” Sur quoi les autres avaient viré la perturbatrice.

    La femme de Néron n'aurait pas contredit ce récit, après tout plausible. Mais moi, sur ma ISSY-LÈS-MOULINEAUX 61 03 23 104

     

     

     

     

    terrasse nocturne, j'observais. Je pliais, dans la bonne humeur, sous les rafales de sarcasmes. Âme de laquais ? de courtisan ? Il en faut. “Qu'il crève”, répétait l'ancienne épouse de Néron. C'est un manipulateur, pervers narcissique. Il brisera le lien inexistant qui m'attachait à ce fameux Frédinaire, juif hollandais. Courir après toutes les carottes ? Je suis ainsi fait. Le tout est de s'accepter, d'engloutir les reproches avec ou sans preuves. Et de grapiller ce qui tombe, repas, promotions et présentations plus ou moins bidons. Néron terni conserve son panache. Voilà comment je me connais et déleste les autres.

    Feignant puis éprouvant le plus vif intérêt. Courtisan et bouffon, sans honte aucune. Recherchant le style coulant comme le nœud du même nom. Nous sommes revenus dans le froid, et nous rassemblons le foulard et la valse à traîner tout le jour.

    COLLIGNON ERRANCES

    MARSEILLE – BORDEAUX 61 03 27

     

     

     

    Comment puis-je longtemps demeurer immobile. Inactif. Comment ne pas rendre hommage à cette lecture si facile et si douce, si longue et maladroite d'un grand curé devant l'Eternel, Daniel-Rops si gauche et si sacristain, sans moisi toutefois – par simples allusions. Comme il serait malvenu d'ajouter des notes à des mots, en ce long cercueil de fer roulant, vivant, garni d'êtres chers. Les personnes me hantent. Les hautes femmes brunes enfardées, leur odeur surfaite et leurs ongles vernis, tout écaillés – ces dignités qui n'en sont plus, ces mystères dégradés tout grisés d'égalités paritaires. Le canal du Midi qui borde les voies. Sincérités vagues, souffrances évanescentes, deux lignes d'eau, deux lignes vertes, un embarcadère, juste vivre et deviner ce qui stagne.

    Superflu de l'épilogue – foi chrétienne plaquée, paysages trop vus d'où l'on se détourne. Votre sourire vaut tous les paysages – c'était à Saint-Bertrand de Comminges. L'Allemagne dans mon dos, la Gascogne arabe devant, de longues jambes noires et maigres sous un cul sans moulage, des yeux curieux prêts à se courroucer – rester intéressant. Non pour les femmes mais pour le dieu, dans l'allégeance à soi. Une autre femme parle fort au téléphone, personne auprès d'elle et pour cause. De grands champs détrempés par sillons. Tu me fais chier dans tout le train. Le moindre mouvement des femmes comme une invraisemblance, le mouvement des statues – les femmes sont des statues qui bougent et ressentent – que c'est bizarre.

    Absurde. Incongru. Frémissant d'absolu. Un roulement retentit par derrière : Restauration, dernier passage, ce soir mon ventre au poulet destiné ; que venez-vous nous encombrer de vos conneries molles ? Laissez-moi donc tranquille manger ma banane sur la plage ! Peupliers nains et grêles entre la voie et l'eau, guérets bruns sous le soleil couchant – la femme s'est remise à gueuler, son gros cul, sa tête anxieuxse et fière - qui donc leur enseigne de tout se permettre ? Voici la Garonne, plaques brunes mouvantes d'argile s'échouant à flanc de rive ? Gare à grande vitesse. Madame, auriez-vous des biscuits ? Le train secoue ; à l'aller un Gitan s'était jeté dessous. Les rails grondent.

    Ces abandons ne valent rien : la menace s'efface – tout ralentit – AGEN. Où je bouffais de la purée face à l'antisémite : Ce n'est qu'une opinion ! Pas après Izieu. J'ai vécu ici-même dans une autre ère. D'autres avenir nous attendaient. Ce n'est plus croyable. On ne peut y ajouter foi ; nous nous pensions pleins de passé, avec des quantités d'années devant : merde à la modestie, qui nous a COLLIGNON ERRANCES

    MARSEILLE – BORDEAUX 61 03 27 106

     

     

     

    fait tant de mal ! Un bassin de femme me frôle, maintenu par-dessus les sièges en instable équilibre, sans le moindre parfum signal sous mes coups de narines. Nous sommes des millions à écrie dans l'ombre, descendants saccadés ces longs degrés qui mènent au tombeau ; tous le stylo entre les dents; ainsi parlait Colaux le Belge. Des hommes au cul mince, pantalons tombants, nuques rasées.

    Le coup de fouet du train qui nous croise. Nostalgie du corps qui se dissout dans l'herbe et la rosée. Garonne. Personne ne te lit ni moi non plus. Couchant magnificent sur les plastiques protecteurs. Plus qu'une heure et vingt minutes. Arbustes sans feuilles alignés dans le rose et le roux, fleuve bienveillant grossi, panneaux de gares flagellant la vitre illisible, terrains et toits plats et blancs qui s'allongent dans l'ombre, routes grises et je dors comme une pierre, il y a plus à l'intérieur de mon bocal bercé que là dehors, où gisent les champs indéfinissables.

    Manque d'air. Pommettes chaudes. Et repartir demain. Ces hautes perches sont des plantations de tabac. Marcher ne suffirait plus mais fondre dans l'humus. Traits de visage ou contours animaux si souvent reproduits dans les roches, Christ ou Macchu-Picchu, talus obscurs jamais je ne rêve aussi vite Sylvie veut me voir si rayonnant dit-elle.

     

     

     

     

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    LA ROCHELLE 61 12 03 109

     

     

    La Rochelle c'est froid c'est moche et ça ne se livre pas comme ça. Sauf hier après-midi quand j'ai cherché l'Aquarium jusqu'aux Minimes en passant par la zone portuaire. Ciel gris sans apparat ni flonflons, mais de belles photos de mer calme. Plus cinq petits gosses de deux ans : Ismaël, Adèle (Adel?), qui gambadaient mignonnement sous leurs nounous. Alors j'ai rebroussé chemin : le déménagement datait de dix ans, au moins ; d'ailleurs, mon plan mentionne encore l'embarcadère pour l'île de Ré, c'est dire. Le Musée – c'est la grande construction en verre ! - ne m'a pas autant saisi que la première fois. Mais il fut visité avec la meilleure volonté du monde, sous une sonorisation maritime ou planante style Stivell.

    Nous avons bien tout admiré, le loup de mer (qualifié de « moche » par une mémère qui ne valait pas mieux), et même, un tout petit garçon m'a donné la main : « Ce n'est pas un poisson » ai-je dit, et grands-parents de sourire familialement. Le retour fut émaillé de courses et de renseignements : « la rue Thiers » ? j'y étais, et je pousserais jusqu'à l'hôpital, mais sans y rester. Après cela, on s'effondre sur sa couette et on roupille, somnole. Ici le moindre effort est inutile, tant il en fournit là-bas, sur place. Arielle nous pèse dans la mesure où son alitement excessif nous constitue en sorte de gardien, même si elle n'en exprime pas le désir. Ici, j'aimerais dormir, manger, lire, voir la télévision, c'est tout.

    Une glace à trois faces renvoie mon image qui me flatte bien ; pour 70 ans, je me trouve beau, intelligent, et modeste. Je plais aux femmes à présent que je ne puis plus rien faire, elles le savent et me sourient. Je suis à leur niveau. Il me reste à passer pour un con à es propres yeux, et à me tenir droit. À l'instant un jeune homme a cogné à ma porte, pour le contrôle – quel contrôle ? Giulia me téléphone avec sollicitude, s'enquiert de mes distractions et de mes appétits : ce midi, une pomme suffira, tant je me suis gavé ce matin. La visite des Beaux-Arts a coûté 4€ 50, pour une quarantaine (maximum) d'ignobles croûtes défraîchies, acquisitions d'une « bourgeoisie éclairée, mais peu audacieuse ».

    Quelques photographies au flash (ça crée des embuts) enrichiront la collection d'illustrations sans gloire. À l'étage, de je ne sais quel Bayon ou Rayon, sont exposées des « hédonites » (?) de femmes à contempler de loin, démantibulées comme des paquets de saucisses en décomposition (carrément verdâtres, même) : « il y a de la cellulite », texto à Giulia. Hier, elle n'a pas pu me parler « parce que C. et D. étaient là ». Je n'ai aucune confiance en ces deux lascars, qui prennent ma femme pour une conne. Il est vrai qu'elle fait tout pour. Nous verrons plus tard : demain soir, départ. Je mange ma pomme en regardant la télévision. Tout le monde y sourit en tartinant sa morale et sa bonne humeur, sa rondeur hors de propos et ses discours banalisés sur les Le Pen. Vu un reportage d'Arte sur le Liban face aux réfugiés syriens qui suscitent les rivalités de ligues… Après nous le déluge.

     

    03 12 2061

    Que fis-je, que fîmes-nous encore ? Un dépassement de tour, avec appareil photo. Une montée rue Sur les Mur, avec des jeunes gens qui déconnaient. Une tournée autour des planches de la Lanterne (travaux en cours). Une ou deux photographies de structures ingénieuses et maçonnes d'hydrauliciens. Une jeune femme en sphinx en haut des marches, laissant courir son chien le long des vagues ; il pataugeait, au comble du bonheur le plus pur. Toujours cette impossibilité de capter le moment précis, au zoom, où le chien tourne autour exactement de sa maîtresse (elle m'a repéré : pointez un objectif, il le sent illico). Alors nous avons joui avec le chien, en bord de friselis de l'eau. Et puis le casino, le bord de mer, le « raccourci pour l'île de Ré » sous 1m20 de marée haute, le parc Franck Delmas et ses merdes à 'écart, le château néo-go 1900 et quelque (administration du camping, ô honte) et le retour par le Mail. Cet atroce poilu blindé comme en armure, un poêle de fonte, ces cartes postales, cette épicerie du port, cette facture monumentale, cet empiffrement, ces minutes et 36 heures de déresponsabilité totale – alternance Tolstoï et télévision, les contorsion de Foresti et les discussions vides de Calvi et de ses invités…

    04 12

    Dernier petit-déjeuner. Surcharge. Deux tranches de cake dans la poche, bagages réservés en lingerie. Longue promenade glacée, sans plan sur soi, Quartier du Onze Novembre. Je demande à une passante de quel côté se trouve La Rochelle, « complètement perdu ». Marche, froid, marche, froid, rues droites, peu de pensées. Puis sur un banc, pris d'amitié pour un lacis de branches glabres au-dessus de la tête, et rabaissant les yeux, s'apercevoir soudain que ce tas de pierres familier se trouve exactement contre l'hôtel ! Libération des bagages par « Stéphanie », qui me suggère un chocolat chaud par la machine. Sourdine de télévision mais superflue, présence de cette femme qui pouvait m'attirer derrière le comptoir sans que cela implique (ou le souhaitant?) l'érotisme, que ces rapports sont bizarres, adieu La Rochelle, détour par La Coursive, adieu au Vieux Port, et cet ennui que je regretterai, la gare, un supplément de 7€ et la plume s'arrête à sec de lyrisme à deux balles.

     

    COLLIGNON ITINERRANCES

    GUERET

     

     

     

    63 02 05

     

    Peu à retenir. Ennui. Détente. Perte de repères. Ce qui est ennuyeux dans la vieillesse, ce n'est pas le désagrément du corps, mais l'indifférence de l'âme. 64 06 09 Dijon. « Qu'est-ce que la vérité ?

    Le 2, il fait froid. Je vais d'abord à l'office du Tourisme, pour avoir un plan. C'est une gouine hommasse charnue qui me tend le document. Et voici les rues. Un clodo, ou « SDF », devant la poste. Je devrais lui donner ma chapka. Ce sera deux euros quarante, et un toucher de main. Le voilà tout réjoui. Avant lui, égaré vers la rue des Amoureux, je m'étais renseigné près d'une puissante et gélatineuse mémé, toute contente d'avoir une contact humain. C'est fou, ce que je suis indispensable. Les autres aussi, car je tournais le dos à mon but. Tout cela s'emmêle. Et puis l'église, où je vois une pauvre vierge chlorotique prolongée renouveler de vieilles fleurs dans de vieux vases.

    Et qui au bout du fil ? non pas Dieu mais Didier, à qui je me lie par le mercredi de Cendres. Il a écouté ma dernière émission, a constaté qu'il n'y figurait pas : je n'avais emporté qu'un étui vide… Nous parlons de Dieu, il m'indique soudain que la conversation est désormais assez longue. Aussi bien lui ai-je montré le caractère léger de nos faux attachements. Il invoque une fuite psychiatrique… Je redescends vers mon Première Classe, sous la pluie froidouillette. À présent c'est Giulia qui me contacte sur un banc des galeries Leclerc. Elle aime les longues conversations téléphoniques, et c'est la rentrée dans ma petite bulle sous les eaux. Le soir je regarde peu la télévision.

    Ne pas oublier l'assertion orgueilleuse de Du Bellay : chacun ou presque possède un don de nature ; mais ce n'est qu'à force de travail que l'on s'envole au ciel de la célébrité. Autrement, dit Joachim, ce serait injustice, merde alors. Disons que nous avons voulu vivre, aussi, car dans l'autre monde il n'est ni glorieux, ni obscurs. Des bribes de villes qui se ressemblent toutes, flottent dans la mémoire, fragments insignifiants que je parviens toujours à resituer. Renseignements donnés par la Réunionnaise, victime de la Grande Déportation d'Assimilation Profonde (enfants introduits dans le cul de la France), clients de supermarchés, Leclerc : Providence ! Providence ! En croquant à même une providentielle carotte tombée à terre.

    Arielle chez soi, à trois départements de distance, reçoit Eugène Bourdin, comédien homo, qui pose à poil sans problème ni bander. Le trois, je travaille sur Servius, qui est un vrai supplice : le volume est énorme, d'un rouge violet ignoble, après l'incendie des stocks de Budé. Commentaire de commentaires, eux-mêmes d'un creux dingue. Ce jour-là il fait beau, je vais à Guéret à pied. Jour de chats possibles, enfin.

    date : début février 2063

     

    N'est-il pas extraordinaire, etc. Je n'avais pas grand-chose à dire. Devant l'autobus une pièce a roulé. « Il serait absurde de perdre la vie pour cinquante centimes ». Le conducteur moricaud sourit. Les voyages que je fais n'ont aucune importance. Il est déjà question de Marseille, de Digne. Ces jours-ci, c'est Guéret. Moins couru, certes. Une vaste mélasse, de flotte, de distances parcourues à pied, d'hôtel confortable mais spartiate : tu viens, tu payes, tu repars. Très pratique pour les adultères. A Guéret c'est la seule distraction. Je suis victime d'adultère imaginaire. Ici je trompe ma femme avec des vidéos pornographiques. Bonjour LECTEUR. Déjà Guéret n'est rien. Il est soluble sous la pluie.

    Il est contenu sous une chapka qui me couvre la tête, avec des oreillettes flottantes qui attirent les regards des automobilistes, surtout si je hurle. Il est dans ce supermarché Leclerc, qui a vidé le cente-ville de toute sa substance. Même, je trouve là-bas, comme à La Ciotat, comme partout ailleurs, un centre culturel où j'achète un calendrier dédié aux écureuils. Ce sera pour Maphâme. Il faut que je me foute de mes propres expressions, pour ne pas être pris pour un type qui se prend au sérieux. Le trajet aller se fait en train jusqu'à Limoges, et ma voisine se fait gauler pour voyajer sans ticket, de Bordeaux à Libourne. Sa carte bleue n'admet plus de retrait. Le contrôleur l'avait touchée du bout de son antenne, elle croyait que c'était moi : quelle mauvaise surprise ! Elle a jeté avec rage ses papiers dans son sac, et devra payer une amende. Lecteur, es-tu là ? Est-ce que tu comprends ?

     

    Me consoleras-tu dans ma tombe ? Serai-je enterré à l'endroit, les pieds tournés vers l'allée ? Où seront mes livres ? Serai-je en compagnie de celui que je n'aurais pas fini, juste à ce moment-là ? Puis à Limoges, un autocar pour Montluçon. Avec toilettes internes, utilisables juste à l'arrêt. On ne peut que s'y assoir, sauf à pisser very cambré. On s'en fout partout. Une présentatrice de JT est lesbienne : c'est insupportable. Qui suis-je, dans ce cas ? De l'autocar je vois le fronton jaune de l'Hôtel Première Classe : en comptant dans l'autre sens ; le plus simple, le plus économique, celui qui fait parcourir le plus de chemin avec la valise à roulettes : crr, crr. Et la rue descend, descend. Autant à remonter en sens inverse.

    Comprends-tu que ce qui m'arrive arrive à tout le monde ? Que des lectrices dédaigneuses estiment banales ces productions « de réflexions que n'importe qui peut faire » ? Que mon meilleur ennemi s'est retrouvé, en fin de carrière, au même point que moi, toujours au début, sans même avoir fait une excursion en boucle dans l'univers des Gagnants ? Alors voilà : je suis parvenu à payer me chambre, à obtenir une carte, auunetomatiquement, puis en passant la carte magnétique devant une porte, qui s'est ouverte comme une glissière de caverne ? Oh ! fait le Vieux Monsieur Mon Père, « jamais je n'ai vu un feu d'artifice aussi magnifique » ! Mais il n'y a personne d'autre, dans mes voyages, combien de fois faudra-t-il vous le répéter ?

    Croyez-vous que ce me soit un enrichissement d'entendre un Cap-Voui, erdien me confier sa misère matérielle et la précarité de son emploi ? Comment peut-on prétendre substituer aux magies du voyage de telles consternantes banalités ? C'est donc niais, de répéter que le voyage permet de ne rien faire, de rien, de rien, de rien. Que même après s'être reposé toute une demi-journée sur les fauteuils confortables et roulants, le premier rite est malgré tout de prolonger par un autre repos allongé, dans la pénombre ? « Il pleut. Je vais au magasin Leclerc » : c'est donc une honte de le dire ? Oui, oui, le monde coule, mais nous manquons de données sur la vie matérielle des gens : le nucléaire a tout rasé. Ermé,

    La chambre comporte trois lits de camp, dont deux superposés : « Il est interdit de faire monter un enfant de moins de 6 ans ». J'occupe le lit inférieur, car l'angle de la télévision est satisfaisant. Fermé, mais satisfaisant. Tes griffes sont sur mes épaules. Jamais je ne me ferai à cette fauconneri, à cette volerie. A la caisse, l'hôtesse m'appelle « mon petit monsieur », me dit que « mon saucisson sent bon », que la carte bleue doit être « mise dans le trou », et j'en passe. Puis elle se tait, « pour qui va-t-il me prendre » ? Dans une autre vie, la vie où j'aurai envie, je lui refilerai mon 06 (note en bas de page ? pas encore l'époque ?). Puis il faudra « trouver le trou », faire de la gymnastique, ne jamais savoir ce qu'elle pense, éviter de faire des promesses, Maphâme connaît mon numéro par coeur. Elle est toujours joyeuse au téléphone, mais vous le savez. Le soir, je vais la tromper avec le film« Camping », dont on multiplie les suites. C'est nul, nul à chier : on dirait Plus belle la vie, en plus con si possible (…en bas de page ? en bas de page?)

    Le merveilleux est de ne pas se retenir de s'allonger pour dormir, somnoler, un peu sur chaque côté façon escalope, je vous ai déjà dit que je me fous des autres, qui ne sont que mes imitations (c'est bien pour vous faire plaisir) , vous me ferez cinquante lignes de moimoimoi, et vous oublierez de considérer le sort des justiciables d'Amnesty International. Parce que je m'en fous de ceux-là. Un jour je gésirai dans la geôle, nul ne s'en souciera, et je penserai « C'est bien fait pour ma gueule ». Un jour je perdrai tout mon sang sur l'asphalte, attendant les secours, car un homme ne peut laisser un homme dans cet état, et personne ne viendra.

    Faites, faites que je puisse recevoir sans avoir donné. Il a veillé (celui dont je parle) jusqu'à plus de deux heures, grâca à la rediffusion d'un documentaire sur les tatouages tahitiens : ils viennent tous, en réalité, des Marquises. Il a fallu les réinterpréter, car les missionnaires les ont interdits dès l'époque la plus reculée. A présent cette coutume se modernise, se revivifie. Puis je sors mais très peu. J'adore le petit-déjeuner, «abondant, simple et varié ».

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    En ce lieu idyllique », etc.

    Nous ne voyageons plus beaucoup. Un âge nous est imposé par la coutume. Nous sommes partis vers 14h et des poussières. Nous avons traversé Bordeaux, nous, nous, nous. Nous nous sommes arrêtés à Tresses, après une demi-heure de ville. C’était une boulangerie, au bord d’un ruban carrossable à quatre voies. Une épine dorsale fendait en son milieu. Le ciel seul se montrait quelconque et beau. Deux Turcs de tee-shirt levaient les yeux vers l’étage, appelant une femme qui ne s’y trouvait pas. Nous sommes repartis munis de chocolatines du peuple et d’un palmier. Nous essayions de nous remémorer certains lieux, certaines impressions vives encore pochi anni fá. Mais nous n’avions repéré ni Fontenilles, ni Font Nègre, ni cet endroit du chien écrasé.

    Juste l’oblique du « parc » de Bonissan, où loge une nonagénaire, génitrice de Françoise D. Et la maison du 20 juillet n’était plus là non plus, ou bien, juste émergeant du toit, depuis ce léger bas-fond. Route plongeante de Camarsac. Maison de Marguerite M. à St-Quentin de Baron, détruite d’un mur jadis par un camion montant. Puis ce « moulin à vent » sans ailes à Garriga, et la descente à Branne. Café ? Le temps de pénétrer dans un bistrot où Arielle ne se trouvait pas. Dehors, je renverse ma sacoche cul par-dessus tête sur le trottoir. Nous écoutons en sirotant deux motards discutant sur la façon de s’incliner dans les virages (il y a pour cela des stages!) et nous regagnons notre roulotte roulante.

    Il paraît que le buraliste s’est montré désagréable, « madame je n’irai pas chercher midi à quatorze heures avec vous, je n’ai pas que ça à foutre », Môssieur se vexe de s’être vu préférer quelqu’un d’autre pour le café. Peu d’attention de notre part au paysage, d’énormes blagues pourries et surfaites tout au long du trajet,que j’affronte seul depuis mon volant. Dernier arrêt à Gardonne, où Arielle clopine jusqu’aux chiottes. La Noire serveuse nous a-t-elle reconnus ? Arielle boitait tout autant.Nous parlons fort en terrasse. Jusqu’à Beaumont tout baigne, la route s’étire au long de l’ancienne poudrerie qui pouvait jeter bas toutes les cloisons de la ville. Puis la fatigue nous guette. Nous nous perdons entre Léone Haute et Léone Basse.

     

    (ce qui manque figure dans l’agenda “des tortues” 2012-2013, du 1er juillet au 12 8.

    Ce qui suit concerne le 19 avril 2018, 2065 n.s.

    « Ce matin-là, il est de bon ton de laisser dormir mon endormie et d’explorer un chemin blanc qui zèbre le recreux. Il est encore possible de monter sous le soleil, qui n’est pas très chaud. Ma mécanique observatoire se met en route, je respire, je note ce qui ferait tache dans un film dit « d’époque » : ces tuyaux noirs flexibles qui parfois longent le chemin. Il y a une éternité que je n’ai pas foulé un de ces chemins blancs qui nommèrent un groupe « folk » éphémère. Une bifurcation modeste m’indique un  lieu-dit « La Forêt », un autre « Bois de Campagnac ». Poussons jusqu’au croisement formant delta : se trouve une petite demeure avec électricité, volets clos à peu près neuf, ruche unique en équilibre sur un rebord cimenté.

    Respecter la propriété, poser là une imagination qui vivra par elle-même et mes siècles des siècles, rebrousser chemin, sans avoir lu : tout est rude à mon cul, et je n’ai pas envie de dire. Dans la dernière légère montée, voici deux chiens bistre clair qui galopent vers moi. Je les flatte, ils me flairent, un troisième les rejoint, puis une propriétaire qui retient un mâle noir. « Alors madame, on promène sa meute ? » Elle répond, cheveux noirs et pull déchiré sur le sein : « Celui-là, il faut que je l’attache à cause d’une chienne en chaleur qui traîne par là ». Je réponds TRES finement : «C’est comme pour les hommes ». Sans me rendre  compte, espèce de con, qu’il en est de même avec les chiennes en chaleur en maraude.

    Justement n’en v’là deux, brunes, en contrebas sur leurs sièges de bagnole, su genre « je jouis 6 fois par jour et j’t’emmerde », qui me demandent avec une grande voix sucrée, GPS dans une main et clitoris dans l’autre, s’il n’y a pas par là un endroit appelé « La Forêt », putain que je suis fier de leur répondre avec mon plus grand sourire d’impuissant du cooin que « oui, en effet, plus loin à gauche, vous verrez l’petit panneau »,je me vanterai auprès d’Annie l’hôtesse, 74 ans, d’avoir eu trois touches dans la journée, « et en forêt », renchérit-elle. Ma femme est levée, alleluiah ! Nous irons à Cadouin, halleloudoin ! Mais auparavant, petit détour par Vielvic, et arrivée pile poil sur Belvès, again.

    Vous savez ce qu’il faut faire, bande de nazes, pour vous faire connaître éditer e tutti quanti ? Avoir une grande gueule, écrire n’importe quoi et se faire zig-zaguer le trou du cul par la sodomie. À Belvès, profiteroles au « Pourquoi pas », la serveuse n’a plus l’air ni arabe ni bronzée, son mec est jeune et lourdaud mais grosse bite, et « nous parlions de vous, sans doute d’anciens élèves à vous », ah ils on dû en raconter des belles mes élèves, pourtant je n’ai pas dit mon nom, mais les cheveux longs d’Apaches des Rocheuses rappellent tous les souvenirs. Il paraît que c’est le cancer qui tue partout dans les chaumières, bien plus que les accidents dus à la vitesse, 80kmh sur les routes c’est une vaste connerie. Ce gouvernement semble multiplier les mesurettes, ils m’approuvent, en réalité j’aime beaucoup Macron. Reste à vérifier mon lycée, sur l’emplacement d’un castrum romain, c’était tout de même plus surfaceux que ça. En route pour la fille Gibiat, passée de 12 à 59 an, maigre, fiévreuse, trouée par une grosse bite et tant mieux, mais qui me considère avec méfiance, méfiance !

    Ce qu’elle a dû entendre comme refrains baquiques ma quique lors des beuveries de 70, où je suis survenu bientôt en pyjama pour annoncer que Nasser était mort ! Nous prenons deux jus d’orange en terrasse, deux filles précisent que leur chien affalé entre leurs jambes s’appelle Astuce, et qu’elle jouit d’abondantes promenades dans le Puy-de-Dôme, c’est marrant comme nous parlons à tout le monde de plain-pied avec cette fausse aisance, et lorsqu’elles s’éloignent en traînant leur cabote, ma femme fait observer que si ça se trouve elles vivent ensemble, ah les veinardes, qui ont deux corps de femmes et qui jouissent ensemble, ah je ne m’en remettrai jamais.

    Cadouin, recafé avecPolo en terrasse, une femme qui fait l’intéressante en prétendant avoir fait l’abbaye au moins 24 000 fois, et Elvire fait des roues (9 ans) sous la halle, je repénètre dans l’auberge de Jeune Fesse, « don’t walk on the lawn » on ne va pas te l’esquinter ta lawn, on préfère piétiner la law. L’abbaye est nue, bien calme, en l’honneur du sudarium, qui, ici, veut dire « Saint-Suaire », on en a fabriqué des quintaux. La veille, un moniteur expliquait à un groupe de petites gouapes à casquette en arrière dans le sens du ridicule qu’il gueulait à Cadouin, qu’il gueulait à Monpazier, et, après une pose du meilleur effet pédagogique, car il semblait changer de sujet sur le mode rationnel : « Alors, c’est quoi l’objectif ? c’est de gueuler dans toute la Dordogne ? » - effectivement, présenté comme ça, c’était ridicule, et les connards ont fini par se taire, et jeter la clope.

    Après ça nous avons visité l’expo permanente, avec un petit arabe frisotté qui a filé l’adresse de Boghossian et nous a envoyé visiter l’étage en bois. Et là, fulgurances : les portraits au couteau de Laurence Nolleau, des filles de métal, branlées, gouines, métalloques, alcooliques, d’une puissance et d’une vulnérabilité dingues. J’ai dit au petit mettons Pakistanais que je serais amoureux de ce genre de fille, que je ferais n’importe quoi, que j’écrirais des romans, lui n’avait pas l’air d’accord avec sa gueule de petit pédé sensible, mais moi je me heurterais aux gueules de ces nanas supersemblables jusqu’à crever de jouissance maso, et elles tireraient de moi des personnalités vachement supérieures et gitanes, parce que pour se les sauter et les faire pleurer de chagrins il faut vraiment s’accroître les capacités du cortex. Peut-être, sûrement même, que les explosions de femmes supérieures susciteraient des explosions de mâles dominateurs et sensibles romantiques et cruels à mort dans les deux sexes. Maintenant, on fonce vers Beaumont, où les arcades résonnent de rugbymen qui transforment l’accent gascon en défaut de prononciation génétiquement transmissible. « Faites marcher un bœuf charolais », c’est une viande qui devient difficile à m’astiquer lorsqu’elle est trop cuite. Plus ma foi un petit vin blanc fruité pour ma belle. Ici pas envie de faire l’intéressant, clientèle de petits bourgeois qui jouent eux-mêmes aux intéressants. À côté un petit Lorris-Franco qui fait son intéressant avec sa man-man quelconque. Je ne lui dirai jamais qu’il porte le nom d’un grand poète du Moyen Âge, Guillaume de Lorris, qui d’ailleurs a produit des couplets gaillards et paillards.

    Ou alors je confonds avec Jean de Meung appelé Clopinel. Oui, c’est lui, le gaillard. Lorris était le spîritualiste. Mais mon Lorris petit con tête à claque fait déjà trop son petit cador de petite famille, pas la peine de le mettre sur une piste dont il n’est pas digne. Disons « pas encore » pour ne pas l’enfoncer. Arielle n’a pas fini sa viande, devenue froide et très tendre, je parle d’une « opération à l’estomac », ce qui est exact et inexact. Nous sommes revenus sans nous égarer, sans avoir besoin d’un jogger qui revient sur ses pas pour nous indiquer Léone-Basse. Notre merveilleuse hôtesse septuagénaire avait allumé le fanal pour nous guide si la nuit était tombée. Elle m’entraîne dans la rédaction du mot de passe, mais tout est déglingué, je suis bien le seul à ne pas y être arrivé.

    Ben oui. Tout arrive. On me demande un code que je n’ai pas. Et en route pour une connerie télévisée de la Taubira, qui prétend relever le niveau de la langue française par le recours au rap. En face de lui gît un intellectuel rabougri, qui tente sans succès de faire prendre conscience à l’animateur de la connerie de sa démarche : ne promouvoir que les grands éditeurs, alors que les petits libraires encore subsistant se mettent à vanter de petits éditeurs qui n’auront jamais l’occasion de passer par le portevois de Môssieur Busnel, qui prononce Sharon, şharõ, le batelier des enfers, et Eûdipê bien sûr comme tous les connards, sans oublier Umberto qui prononçait Ashab, et tous d’embrayer sur Ashab derrière lui, comme les convives avalant le rince-doigt tout tiède pour ne pas vexer le gaffeur.

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    Et voici le vent du retour. Le temps est chaud. Je m’égare pesamment vers Belvès, vers la hauteur de pente ou gît de part et d’autre le bâtimentage d’une ferme, et je monte jusqu’à la courbe supplémentaire de la route. Au retour j’aperçois les rangées de vaches encarcannées par le col au-dessus du son qu’elles bouffent par pur désœuvrement. Ce n’est pas encore l’élevage industriel, c’est déjà l’élevage débestialisant. Il règne dans ces yeux une indifférence divine. Personne. Un perron sombre où se chiffonne une literie peu propice au séchage. La voisine repromène ses chiens beiges. Il faut se lever, sinon, Arielle, tu ne pourras plus te relever.

    Le déjeuner long, co^pieux, avec du flan maison, dont nous mangeons trois parts, « aute chose que dans le commerce,où ça gélatine et pectine à tour de bras. Nous nous faisons la bise d’au revoir, « nous parlerons de vous, mais en bien « ! Je crois qu’elle supporte mon baiser sans la moindre raideur ni réticence. J’envisage toujours, à chaque femme que j’embrasse, un avenir, avec cette Périgourdine à l’accent délicieux, comme du brou de noix odorant.  « On a bien papoté ensemble » non madame, vous vous étiez confiée sur votre mari atteint d’AVC, sur vos déboires familiaux, et vous aimeriez les caresses d’un homme même impuissant pourvu qu’il soit tendre. Mais « l’amitié » passe moins du côté de Maphame, car elle y consent moins.

    Je sais que tout à l’heure viendront des marcheurs (et non pas « démarcheurs ») e qu’ils nous succéderont. Dieu merci j’ai la photo de mon hôtesse, très confiante dans le destin à venir des femmes d’Occident. A partir de Cadouin, Arielle se plonge justement dans les « Femmes au Moyen Âge ». Elle m’aura acheté une publication sur les soties exhibitionniste du Moyen Age, où l’on voit un homme de dos exhibant sa bite et ses couilles passant par-derrière leur exacte anatomie.Aristophane exploite déjà ce jeu de scène. Le modèle masculin ne l’a fait qu’une fois, sous la menace de ne pas se faire accepter pour poser à nouveau. Il se le tint pour dit, penaud. À Creysse, ayant retrouvé ladite civilisation, nous buvons dans un recoin ombragé tout en longeur, à deux mètres des camions qui passent tout au long.

    Les cartes ne sont pas acceptées. « Votre femme est aux toilettes, depuis pas mal de temps . - Elle est un peu... » (geste vers le bas-ventre). Et je reviens sur mes pas, de 2km, car il ne faut pas penser non plus je suppose à proposer un vieux chèque ébréché. Le livre sur la bite de pecquenod est très érudit. Je le commence et le finirai. Arrêt à Castillon, sur une place-parking, tout en longueur comme une plate-bande, où nous consommons à l’ombre, dos tourné à la sortie d’un enterrement « il avait 95 ans », « je suis bien heureux de vous connaître, j’aurais préféré en d’autres circonstances », « vous voyez, je vais avoir 80 ans, je ne me suis jamais disputé avec personne ». L’interlocuteur dans mon dos s’exprime d’une petite voix chevrotante correspondant à ce qu’on en imagine au théâtre, telle que pourtant jamais mon père n’en a eu. Ensuite, chers enfants, c’est le ruban connu, la chaleur connue, la « voie rapide » de rocade encombrée le nez sur un cul de camion, le passage du Pont d’Aquitaine, ici enfin, avec mes appareils qui fonctionne, et bien peu de souvenirs à faire mousser. Le chat malgré notre absence ne nous a pas fait la gueule. Il vieillit.

     

    TRAIN DE PARIS 60 06 03 2

     

     

     

     

    Le sommeil est le pire des maux. Ce matin je sortais de mon lit, Anne entrait en souffrances. C'est ainsi que nous vivons. Par la fenêtre d'un bus j'ai rencontré une jeune fille qui pleurait en marchant très vite, à gros sanglots devant le monde entier à fendre l'âme. Que vous est-il arrivé ? la perte d'un proche est plus sombre, plus sourde. Ce désespoir public venait de trahison. Comment peut-on trahir et pourquoi l'ai-je fait. Je ne drague pas. Qui vous fait souffrir ? Mon Dieu je n'avais pkus vu cela depuis la série des Femmes qui pleurent. Vous a-t-on manqué de respect. De tels chagrins lorsque Françoise a foncé sur la route imbibée de whisky, lorsque Katy a voulu mourir. Ce désespoir résonnera toujours en moi.

    Le train longe une prairie à faible allure. Est-ce Vivonne, où Ravaillac médita le meutre d'Henri ? Port-de-Piles. De la fatigue d'être soi. Ammien Marcellin. Couverture blanche, écriture penchée de mon père. Déploration des vices sénatoriaux. Permanence de l'engourdissement. Syllabes anglaises au fond de la voiture. Talus jaune. Vingt maisons autour d'une église. Est-il si nécessaire d'apporter quelque chose ? Suffit-il de remplacer "je" par "nous" ? Seigneur prends pitié de la douleur humaine. Qui sont ces hommes autour de moi ? Cet enchifrené qui se lève dans mon dos pour filer son catarrhe à sa belle ? Cerveau secoué comme celui d'un nourrisson. Chercher la mire.

    Reconstruction du cerveau. Ne pas se laisser démolir. Les autres sont autour de moi. Je ne les retiens pas. Comment fait-elle pour ne pas sombrer dans la désintégration ? Rêver, mais en ligne narrative... Café. Notre chemise est sale et manque au respect que nous nous devons à nous-même et aux autres. En changer dès que possible. Des jeunes gens me tenteraient pour les serrer très fort, à condition qu'il ne soit pas question de verge. Derrière moi le jeune enrhumé converse avec sa bien-aimée sur les plates-formes de jonction. Devant moi un jeune homme qui planche sur des lignes très serrées, des schémas chimiques. Sur ma droite un jeune homme encore tripotant son mobile sur ses genoux relevés.

    Dans mon dos à droite un jeune homme à côté duquel j'aurais dû m'assoir en tenant compte de mon numéro de réservation. Au bar, le garçon porte la barbe ; forte mâchoire et l'air vigoureux et rusé. Il vend des tickets de métro, une chocolatine et un autre café. "Sur place ou à emporter ? - Sur place." 7€90. Il m'indique à nouveau le sucre sous mes yeux : "J'ai vraiment besoin de prendre un café". Ce sera le modèle de mes contacts à venir. Il n'y a aucun risque à engager une conversation ; il faut essayer de tout. Toujours cette scrutation des vsiages, et des sexes de femmes sous les étoffes. Désir des corps aussi, indépendamment des glandes génitales. Importance excessives du système uro-génital. Impression de liberté toujours en arrivant à Paris, mes idées sont des catins et je joue avec elles. Rencontrer Sylvie en acton, cele qui milite pour Mélenchon – j'encule les manchons. Il n'y a pas d'ici une drague directe, mais désir d'échapper à l'étouffoir : désaccords incessants recouverts d'un passé de complicités, voilà ce qui nous lie, spectacles à jouissance commune (ballets, cinéma). Recommencer serait une perpétuelle peur, de manquer d'éloquence, de soubassements.

    Le train de Caen s'arrêtera souvent, "suite à l'agression d'un agent de la SNCF" – l'information a bien été rediffusée 8 fois en 4 minutes. Ce climat est soigneusement entretenu. La peur. "Faites, ne faites pas". Tous ces gens que je vais croiser descendront des pecquenods de Maupassant. Je brûle de raconter mon expédition au Mémorial caennais de la Paix, où je brûlais de me faire remarquer, alors que le spectacle, ce sont tous de même, bien mis en scène, les millions de morts des deux Guerres mondiales, et que personne autour de moi n'éprouvait le besoin d'attirer les regards sur soi ou de les fixer sur moi. Ecœurant. Même la visite au Musée des Baux-Arts qui s'invite ici, j'écris dans tous les sens, en diarrhée diffusante, "stellaire", c'est cela ; aux balayettes de faire le boulot, d'effectuer le tri.

    A présent dans le train, grand stimulateur. Un jour tout me viendra par bribes, à reclasser par colonnes. Signac, moins la méthode, moins le projet... Et ma voisine (ouf, une femme) pourrait cependant avoir meilleure haleine : il lui suffit de respirer pour que je la sente, sur le côté... dieu merci elle possède une bouteille d'eau minérale et décortique des chewing-gums. Demandons-nous le pourcentage des pages consacrées aux moyens de transport ; ils l'emportent assurément sur les séjours proprement dits. Quelle étrange façon de composer. Suis-je le premier à découvrir ce procédé hérétique ? Ce n'est après tout que mon évolution logique vers l'émiettement. Le contrepied systématique des écriveurs professionnels, dont le consensus bêlatif ne cesse de se faire écho.

    Qui êtes-vous, êtres à trois bouches, trois poils entre deux os (il faut bien rire...) - comment ressentez-vous les choses ? Existe-t-il quoi que ce soit dans vos attitudes et façons de voir de commun avec nous autres hommes, soi-disant “neutres” ? Ruminations sans cesse reprises, comme un rocher de Sisyphe, heureux bien sûr, heureux... Observations de voyageurs. Deux blaireaux bien charpentés de 22 ans, plongés dans une langue invérifiable : igassté répète l'un d'eux, igassté. Toujours cette envie irrépressible de s'introduire dans la vie de qui que ce soit, homme ou femme, et de la torpiller. Ma voisine tousse le tabac dont elle porte l'odeur. Arrivée au Mans, patrie des Lémovices.

    Succession de HLM flétris. À présent le soir tombe sur Caen : si je végétais ainsi, je me flinguerais le tube digestif, à boustifailler. Ce ne sont que des réflexions que tout un chacun peut se faire ! Ta gueule, stagiaire. Ne supra crepidam. Hier soir de mon lit de Caen j'entendais bruire tout l'horizon des 22h de juin d'une perpétuelle et sourde déflagration, d'Isigny à Honfleur. Mais ce n'était que la circulation crépusculaire, progression répandue dans les rues de Caen. Jusqu'aux crissements de pneus dans la cour (locals only) m'annonçaient le progrès des fissures et de l'éboulement. Tout de même, 50€ pour une chambre dont la porte de balcon ne ferme pas, c'est un peu fort. Le nombre de pédés parmi les hôteliers est incroyable, beaucoup travaillent par couples, deux fois que j'ai vue sur la cour intérieure pelée. Hier soir une femme gueulait d'un immeuble “Pourriture d'infirmière !”, deuxième hôtel de la ville.

    Vérifier qu'au premier feu rouge à droite il existe une autre rue parallèle à la rue St-Jean pour amener à la rue de Vaucel. Et lisant une biographie de Monluc, je m'avise soudain que sur toute la côte ce 6 juin nous fêterons justement le 69e anniversaire du débarquement ; n'y aura-t-il pas une prise d'armes ou quelque feu d'artifice ?

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    Etrange journée de voisinage avec un monstrum au sens de manifestation incarnée de la névrose. Néron ne supporte que les forts, exige autour de lui gloire et reconnaissance, intérêt et bienveillance à l'Autre, sans s'apercevoir ou reconnaître que chaque progrès en connaissance de soi augmente la connaissance de l'autre et l'intérêt qu'on lui porte. Nul ne peut s'abstraire des autres ; de même, les autres ne peuvent se dispenser de l'appréciation d'un sujet. Les opposer, prétendre pompeusement comme Télérama que telle artiste, au lieu de se pencher sur son nombril, s'est intéressée aux autres, témoigne de la plus complète niaiserie. C'est pourquoi nous avons acheté de nos deniers fléchissants ce livre où la guerre, loin d'être à l'opposé de la civilisation, se voit au contraire parée de toutes les attributions du progrès : polêmos patêr panntôn – ô crétins moralisateurs !

    Moralisateur, c'est ce que fut Néron en dépit des sommes qu'il prodigua pour moi : car ici, la moindre dépense est de dix euros. Ne voulait-il pas convaincre de plus son beau-fils de le l'équivalence entre un mot d'absence d'un professeur de fac et la défection dont nous fûmes victimes? Equivalence à la fois didactique et logique. Cependant, m'efforçant de ménager les deux antagonistes, car les dicussions de Néron dégénèrent vite, j'allais répétant que le beau-fils préférait sa fiancée à ma propre personne, ce qui était logique... Mais je m'appliquais à ne pas encourir l'ire du Prince, laquelle, détournée de moi, retombait sur ledit beau-fils. Et je céddais, à tout. J'approuvais tout, utilisant ma lâcheté naturelle à l'approfondissement de mes connaissances.

    Je développais chez l'autre un amour de moi qui deviendrait bien vite encombrant ; mais l'acceptation de tant de choses pouvant se révéler dangereuse, j'ai tenu aussi à payer une quote- part : un verre de whisky après deux cafés en terrasse couverte, où des gonzesses hurlaient leur alcool. Notre Néron avait déjà fourni deux versions de sa rupture avec Frédinaire, qui lui avait refusé une préface, ou bien, verrsion deux, l'envoi d'un service de presse. Par conséquent, et entre parenthèses, pouvais-je ajouter foi à l'anecdote de cette ivrognesse ayant perturbé un récital de textes sur la mort de Verlaine ? Tozy, grand comédien, grande âme, l'avait d'abord englobée dans ses paragraphes, puis s'était interrompu après un vigoureux Tu vas fermer ta gueule : “Mademoiselle, on ne s'adresse pas à moi comme cela ; vous dérangez à vous seule cinquante personnes depuis une emi-heure, veuillez sortir.” Sur quoi les autres avaient viré la perturbatrice.

    La femme de Néron n'aurait pas contredit ce récit, après tout plausible. Mais moi, sur ma ISSY-LÈS-MOULINEAUX 61 03 23 104

     

     

     

     

    terrasse nocturne, j'observais. Je pliais, dans la bonne humeur, sous les rafales de sarcasmes. Âme de laquais ? de courtisan ? Il en faut. “Qu'il crève”, répétait l'ancienne épouse de Néron. C'est un manipulateur, pervers narcissique. Il brisera le lien inexistant qui m'attachait à ce fameux Frédinaire, juif hollandais. Courir après toutes les carottes ? Je suis ainsi fait. Le tout est de s'accepter, d'engloutir les reproches avec ou sans preuves. Et de grapiller ce qui tombe, repas, promotions et présentations plus ou moins bidons. Néron terni conserve son panache. Voilà comment je me connais et déleste les autres.

    Feignant puis éprouvant le plus vif intérêt. Courtisan et bouffon, sans honte aucune. Recherchant le style coulant comme le nœud du même nom. Nous sommes revenus dans le froid, et nous rassemblons le foulard et la valse à traîner tout le jour.

    COLLIGNON ERRANCES

    MARSEILLE – BORDEAUX 61 03 27

     

     

     

    Comment puis-je longtemps demeurer immobile. Inactif. Comment ne pas rendre hommage à cette lecture si facile et si douce, si longue et maladroite d'un grand curé devant l'Eternel, Daniel-Rops si gauche et si sacristain, sans moisi toutefois – par simples allusions. Comme il serait malvenu d'ajouter des notes à des mots, en ce long cercueil de fer roulant, vivant, garni d'êtres chers. Les personnes me hantent. Les hautes femmes brunes enfardées, leur odeur surfaite et leurs ongles vernis, tout écaillés – ces dignités qui n'en sont plus, ces mystères dégradés tout grisés d'égalités paritaires. Le canal du Midi qui borde les voies. Sincérités vagues, souffrances évanescentes, deux lignes d'eau, deux lignes vertes, un embarcadère, juste vivre et deviner ce qui stagne.

    Superflu de l'épilogue – foi chrétienne plaquée, paysages trop vus d'où l'on se détourne. Votre sourire vaut tous les paysages – c'était à Saint-Bertrand de Comminges. L'Allemagne dans mon dos, la Gascogne arabe devant, de longues jambes noires et maigres sous un cul sans moulage, des yeux curieux prêts à se courroucer – rester intéressant. Non pour les femmes mais pour le dieu, dans l'allégeance à soi. Une autre femme parle fort au téléphone, personne auprès d'elle et pour cause. De grands champs détrempés par sillons. Tu me fais chier dans tout le train. Le moindre mouvement des femmes comme une invraisemblance, le mouvement des statues – les femmes sont des statues qui bougent et ressentent – que c'est bizarre.

    Absurde. Incongru. Frémissant d'absolu. Un roulement retentit par derrière : Restauration, dernier passage, ce soir mon ventre au poulet destiné ; que venez-vous nous encombrer de vos conneries molles ? Laissez-moi donc tranquille manger ma banane sur la plage ! Peupliers nains et grêles entre la voie et l'eau, guérets bruns sous le soleil couchant – la femme s'est remise à gueuler, son gros cul, sa tête anxieuxse et fière - qui donc leur enseigne de tout se permettre ? Voici la Garonne, plaques brunes mouvantes d'argile s'échouant à flanc de rive ? Gare à grande vitesse. Madame, auriez-vous des biscuits ? Le train secoue ; à l'aller un Gitan s'était jeté dessous. Les rails grondent.

    Ces abandons ne valent rien : la menace s'efface – tout ralentit – AGEN. Où je bouffais de la purée face à l'antisémite : Ce n'est qu'une opinion ! Pas après Izieu. J'ai vécu ici-même dans une autre ère. D'autres avenir nous attendaient. Ce n'est plus croyable. On ne peut y ajouter foi ; nous nous pensions pleins de passé, avec des quantités d'années devant : merde à la modestie, qui nous a COLLIGNON ERRANCES

    MARSEILLE – BORDEAUX 61 03 27 106

     

     

     

    fait tant de mal ! Un bassin de femme me frôle, maintenu par-dessus les sièges en instable équilibre, sans le moindre parfum signal sous mes coups de narines. Nous sommes des millions à écrie dans l'ombre, descendants saccadés ces longs degrés qui mènent au tombeau ; tous le stylo entre les dents; ainsi parlait Colaux le Belge. Des hommes au cul mince, pantalons tombants, nuques rasées.

    Le coup de fouet du train qui nous croise. Nostalgie du corps qui se dissout dans l'herbe et la rosée. Garonne. Personne ne te lit ni moi non plus. Couchant magnificent sur les plastiques protecteurs. Plus qu'une heure et vingt minutes. Arbustes sans feuilles alignés dans le rose et le roux, fleuve bienveillant grossi, panneaux de gares flagellant la vitre illisible, terrains et toits plats et blancs qui s'allongent dans l'ombre, routes grises et je dors comme une pierre, il y a plus à l'intérieur de mon bocal bercé que là dehors, où gisent les champs indéfinissables.

    Manque d'air. Pommettes chaudes. Et repartir demain. Ces hautes perches sont des plantations de tabac. Marcher ne suffirait plus mais fondre dans l'humus. Traits de visage ou contours animaux si souvent reproduits dans les roches, Christ ou Macchu-Picchu, talus obscurs jamais je ne rêve aussi vite Sylvie veut me voir si rayonnant dit-elle.

     

     

     

     

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    ANGOULEME - ROUMAZIERES 61 03 27 100

     

     

     

    Tout voyage, pour nous autres fauchés, commence par les chemins de fer. Ce matin encore, je bataillais avec l'ordinateur pour savoir s'il restait quelque gîte çà et là. Il a fallu que le train de Strasbourg se mît en marche pour que je me renseigne auprès du Comité de Tourisme. Il me fut répondu que, pour le Festival de la BD, tout était archicomble. Cependant me furent communiquées trois adresses, dont l'une à Cognac, l'autre au relais de Je-ne-sais-quel-saint, et la troisième en “Charente nord”. Ce fut donc Roumazière, sur la route de Confolens. Dommage pour Anne, qui, dans le restaurant (premier étage) où je reçois mon hors-d'œuvres “sur ardoise”, se désole que je ne puisse pas déjà faire le tour des stands.

    Mais on m'attend à l'hôtel du Commerce. Un brave homme sans doute, que je rejoindrai à 18h, après je ne sais quelle pérégrination pluvieuse. Je me trimballe donc la valise-trolley, puisque les gares sont délestées de leurs consignes... au nom de la lutte antiterrorisme... Averse sur averse après le resaurant bien chaud (“je peux envisager une grève de la faim jusqu'à nouvel ordre”. Musée: fermé le lundi. Cathédrale St-Pierre : je me découve dès le narthex ; une vieille taupe dans sa loge vitrée vient me reluquer puis repart s'assoir dans son antre obscur. Puis j'opère une lonue descente vers la gare, passant au pied de l'oblisque à Madame, fille de louisXVI Un charmant sexagénaire, portant un panier d'osier, m'indique la gare : “Descendez la rue de Bordeaux, c'est toujours tout droit” - oui, mais combien de kilomètres, mon brave ?

    Photographies au zoom d'un immode tag vert sur paroi moisie ; d'un établissement Masey-Fergusson, d'un monument aux morts des camps avec tous leurs noms (Neuengamme, Mauthausen). Je me mets sur un banc à l'abri. Une fille de 14 ans jacasse avec un jeune homme de son âge, elle n'a pas besoin de queue tout de suite, elle en est aux ragots de flippeuses, voix acidulée. Le train où je prends place se fait attendre quai 3, en décrochement de la gare à droite, comme à St-Charles ; il semble du moins que ce soit le même modèle. Wagon unique à double sens de conduite. Une pisseuse pressée prend MA place à peine la rame en route. Je lui succède, mais MOI, je tire la chasse. Revenu à mon siège, agacé de scrupules crétins, nous tâchons d'éviter le regard d'une fille timide de 15 ans, pour qu'elle ne puisse pas penser qu'un vieux voudrait capter son attention. La voilà descendue, après La Rochefoucauld – soulagement inepte ! Une autre s'entend dire dans l'oreille : “Savez-vous où se trouve l'Hôtel du Commerce ?” A droite, “à quelques mètres”. Au moins 100, tout de même : ne voyant rien venir le long de ce trottoir glacé, je jette mon Dévoluy sur une boulangère : “Voyez-vous cette voiture stationnée, avec des inscriptions ?” je fesse en blanc de distinguer les inscriptions : “C'est là”. Je décline mon nom en réception, la tête ébouriffée de mon interlocuteur (39 ans, cheveux courts et mine expectative) je devine que mon apparence doit être celle d'un fameux hurluberlu. “Je suis fatigué.

    - Je vous attendais plus tôt. Par le train de 3h. - Il n'y en avait qu'à 17h. - C'est vrai, tantôt oui, tantôt non, je m'y perds.” Chambre 6. Je le rappellerai pour brancher la télévision : “Ce n'est rien”. Lecture de Toutankhamon par Violaine V. Littérairement nul, je progresse à grands pas dans cette honnête daube de gare. Et puis rien, sieste réparatrice, courses chez U, les nouveaux commerçants (depuis 2022), bon vent dans le dos pour le retour, bureau de poste repéré. Bled absurde et rouge, beau sourire de la sucebite boulangère, gavage au flan plus pâte feuilletée sans compter les biscuits à me faire péter le diabétomètre, avant la soirée chinoise télévisée de Roumazières.

    Plus haut les camions foncent à 50 à l'heure entre les maisons, plus haut c'est le clocheton de briques au-dessus de son pavillon, avec des murs de tuiles empilées de chant sur 1,5m de haut mettons 2 pureaux d'épaisseur, marcher droit, visière bien tirée sur le front sous le chapeau, pardessus bien tombant malgré le bouton qui saute, et sourire, surtout, sourire. C'est chiant d'avoir l'air con, vous savez, pire encore que d'être en surpoids ; parce qu'il y a toujours plus con que vous : les gens. Certains héros n'entendent pas les réflexions dans la rue ; les grosses et moi, si. Les autres, n'est-ce pas, comme le cheval, comme le chien, sentent que vous avez peur. Eviter les cabots, les chevaux, et les pecquenods.

    Il fait si froid dans ces rues mornes qu'il faut vite regagner le calfeutrage hôtelier. Donc, bourgeoisement, informations, déconnection, allongement. Parler de Roumazières ? Impossible. Trottoirs de terre ou de goudron râpeux. Magasins en faillite (moins 60% avant fermeture définitive) il est vrai qu'un marchand de jouets ne doit pas faire affaire ici. Quant à la chambre 6, c'est un cube. Piles d'ordi qui faiblissent. La favorite de l'Empereur porte une coiffe à deux balles, six boules rouges devant, six boules rouges derrière. L'Empereur manque se faire empoisonner, tend le flacon à la femme du neveu qui crève en pleine danse, toujours ça d'éliminé. Mais l'Empereur de Chine boit exprès le reste et crève en faisant des bulles, tout le monde meurt à la fin même le neveu, c'est beau comme du Shakespeare et tous les personnages parlent français sauf les chanteuses en mandarin, chi et quelque chose mais je peux me tromper.

    La nuit se passe à digérer (la pâte feuilletée plus les biscuits), petit-dèj à 7 balles ne nous gênons pas, le patron calcule tout au poil près, je me souviens qu'une femme a dit merde à travers la cloison tandis que son mec émettait un vaste bâillement. Ne pas claquer les portes à partir de 10h du soir, oui, éviter de baiser, aussi. Ou de mettre les infos du soir trop fort. Ben oui c'est ça le voyage d'un blaireau. Par temps froid le blaireau rédige un petit texte sur l'historien de Louis VI le Gros et son historien, Suger. Il n'y a plus que les blaireaux pour savoir qui c'est. Que faire dans ce Je sors du hall de gare tout en échos : devant moi l'éternelle femme aux yeux clos, que j'embrasserais comme toutes. A la fois d'un coup et doucement. Grande marche sans plan de ville, aboutissant à ce grand mur de caserne, interminable, infranchissable. Sous peine de lourdes amendes prévues par la loi du tant. Des élagueurs élaguent, ficelés comme des sous-singes dans les branches nues qu'ils scient, retour par l'autre côté du rectangle, et 50 bonnes personnes de queue compacte avant l'ouverture : Festival de BD, toutes les villes se confondent. À 10h ouverture de la tente, commencer les allers et venues, chez Glénat, chez Dargaud. Je cherche la série des Druides, repérée la veille à la Médiathèque ; un trou, Roumazières ? allez voir le monument aux morts : 153 tués sur trois communes, je vois que vous avez compris.

    Mais Les druides sont bien décevants, jusqu'au n° 7 où l'auteur enfin s'affirme. On ne commence pas sa série au n° 7... Sous mon manteau à deux boutons je suffoque ; le troisième a sauté. Certains albums soignent leurs couvertures, mais le dedans reste conventionnel, graphisme et disposition sommaires, une héroïne blondasse qui ne peut présider à tant d'aventures et de décisions sous son masque de gamine au miel. Un autre album présente d'épatants dessins, mais gâche tout par ses textes verbeux. Enfin, Tome I de Ténèbres, collection Soleil. Je dis exprès très fort qu'il faut que je sorte, avec mon cadeau. Et je marche. Je marche. Ma fille au téléphone me dit qu'elle a juse le temps de manger : ménage cet après-midi, couture – comment fait-elle ? chat,plume,tiroir

    Nous ne connaissons rien de ceux que le métier absorbe, sans voyages, sans imprévu. Cécité paternelle. Sur les bancs, surabondance de lycéens. Des jeunes filles de 14 ans comme s'il en pleuvait, leurs lamelles au creux des jambes, leurs exigences d'amour pur. Le lycée Guez de Balzac déborde sur le terre-plein comblé d'un parking pathétique et cerné d'un gros mur de soutien. De là-haut ce serait aussi bien Aurillac ou Privas. Jusqu”à mi-chemin du coteau vis-à-vis ce ne son que quartiers pavillonnaires au petit bonheur. Ici s'est arrêté en 31 Paul Valéry pour admirer le paysage et faire pipi sournoisement contre le parapet.

    Les lettres sont à demi-effacées. Partout ça blague et ça bouffe, à l'abri du vent derrière les véhicules stationnés, veinards et plein vent si souvent cotoyés filles et garçons, abreuvés d'histoires de cul bientôt illégales. Parvenu rue d'Epernon de Nogaret de la Vallette, chez qui servirent leurs aïeux vers les seize cent cinquante ! Voûtes de la cathédrale Madame, c'est trop beau, trop beau ! je veux petits merdeux bien aimés, même qu'il existe une salle Bandes Dessinées chrétiennes ! “Les Familières”, “Le pélerin”, “Shaoul” et la vie de saint Paoul je présume ? Tout pour enfants, la Bible à la lettre près, Shaoul, pourquoi me persécutes-tu ? Puis il se mit à converser avec le Christ, le Christ cet ectoplasme, de Paul naquit toute la tradition latine et médiévale du repentir, et l'on meurt sans avoir vécu – vous savez, ce fameux “examen de conscience” avant de s'endormir, à ne plus pouvoir s'endormir.

    Errances sous d'autres tentes à stands plus cloisonnés, “Jeunes talents”, le nonagénaire de beau-père atteint de sommeil constant puis définitif, nous n'aurons tous que des souvenirs, insolvabilité manigancée de longue date et vaine réconciliation : est-ce qu'on a des gueules de captateurs d'héritage ? Franchement ?... Puis je me suis dirigé vers la gare, lentement, yavaş, yavaş, bancs de bois et filles de treize ans, partout, partout – la vie, voyez-vous, la vie comme tout le monde, m'aura bien plus tourmenté, taraudé, que le désir de gloire. Je lis une vie de Néron, qualis artifex, quel artiste... piaulements de pucelles... respectables, vénérables, Maud avec o fermé, etc. D'autres enfants encore inondent le wagon, et se tiennent disciplinés ; parents inquiets sur le bord du quai, je voudrais les complimenter, cela sonnerait si faux, si inapproprié, c'est à tout cela que je pense en vivant – pardons, que “nous pensons”, parce qu'il y a toujours un connard en embuscade pour me taxer de “nombrilisme” - ta gueule.

    Revoici Roumazières + Lambert, son hôtel, sa “journée fatigante” lancée au tenancier de clés, puis le remagasin, la caissière ne veut plus rendre service aux ingrats qui se mettent à l'éviter ; elle me passe tout de même un Sopalin pour ma goutte au nez : Vous ne me reverrez plus non plus ! - Pourquoi ? - Parce que je retourne à Bordeaux où j'habite” - pas de cheval ici. En redescendant la pente à pied, je manque rouler sous un camion Toi aussi, petit-fils ? m'aurait dit le grand-père.. Ce 30 au soir, nouveau tour de piste des 19 chaînes, toutes vulgaires à souhait. ARTE seul m'apaise, une fille seule se fait draguer par un vieux lourd, stà hellinikà. Elle feint de dormir. Puis parvient sur une plage déserte et danse dans les vagues avec son chien.

    Grâce à l'universelle lenteur, nous avons le temps de laisser autour de nous se former une résonnance, un puits foré vers l'intérieur. Le film se termine ainsi. Lui succède une série californienne, avec hystérique folle menaçant une femme enceinte (de son propre partenaire !) avec un couteau de cuisine. Ça larmoie ferme, et les flics éprouvent des états d'âme. Ils s'aimeraient même, d'un sexe à l'autre, est-ce possible ? Deux Lexomils, un Doliprane et au lit. Le matin, s'extraire. Comme un grand. Montesquieu d'abord, départ à pied (valises confiées sous le comptoir), première à droite après le passage à niveau. Depuis ma confusion du nord et du sud, méfiance : une fois de plus, les directions indiquées ne correspondent pas à ma carte.

    Je photographie l'eau sale sous les branches, les dégradés de frondaisons, la Charente vers l'amont. Deux chevaux bien vieux. Une école communale à l'écart de tout, par effet d'un remembrement de communes. Je me hisse aux Essarts, juste après les Landes de la Commanderie (les templiers faisaient ici des friches au XIIe s.), et d'un seul coup m'aperçois que, si je veux profiter du restaurant sans rater l'autocar, j'ai intérêt à presser le pas. Bien s'immobiliser dès qu'une voiture s'avance, bien regarder derrière soi pour se remettre en marche, le patron m'avait oublié : poisson, c'est vendredi. Cabillaud fade, petit chausson aux pommes, 13€ et mes compliments pédants : “C'est mon métier Monsieur”.

    Le métier implique également d'imprimer 31 pour 13, ou bien, déjà ce matin, de me compter 4 petits-déjeuners au lieu de 3 : bien repérer les têtes de gogos, et tenter sa chance - “mais je ne suis pas du genre à porter plainte” et toc mon gars, je récupère la plus belle courbette de Roumazières avec mention de mon nom de famille !... ainsi que mon bagage, “la porte n'est pas fermée-z-à clé !” Me voici derrière la conductrice, quinqua flamboyante, quel effet ça fait d'appartenir au sexe désiré, doigts longs, fins et forts sur le volant, l'air noble sans hauteur ne pas parler au conducteur. Pare-brise panoramique, La Rochefoucauld et Ruelle. Je perds mon foulard violet. Seize heures trente en gare.

    COLLIGNON ITINERRANCES

    LA ROCHELLE 61 12 03 109

     

     

    La Rochelle c'est froid c'est moche et ça ne se livre pas comme ça. Sauf hier après-midi quand j'ai cherché l'Aquarium jusqu'aux Minimes en passant par la zone portuaire. Ciel gris sans apparat ni flonflons, mais de belles photos de mer calme. Plus cinq petits gosses de deux ans : Ismaël, Adèle (Adel?), qui gambadaient mignonnement sous leurs nounous. Alors j'ai rebroussé chemin : le déménagement datait de dix ans, au moins ; d'ailleurs, mon plan mentionne encore l'embarcadère pour l'île de Ré, c'est dire. Le Musée – c'est la grande construction en verre ! - ne m'a pas autant saisi que la première fois. Mais il fut visité avec la meilleure volonté du monde, sous une sonorisation maritime ou planante style Stivell.

    Nous avons bien tout admiré, le loup de mer (qualifié de « moche » par une mémère qui ne valait pas mieux), et même, un tout petit garçon m'a donné la main : « Ce n'est pas un poisson » ai-je dit, et grands-parents de sourire familialement. Le retour fut émaillé de courses et de renseignements : « la rue Thiers » ? j'y étais, et je pousserais jusqu'à l'hôpital, mais sans y rester. Après cela, on s'effondre sur sa couette et on roupille, somnole. Ici le moindre effort est inutile, tant il en fournit là-bas, sur place. Arielle nous pèse dans la mesure où son alitement excessif nous constitue en sorte de gardien, même si elle n'en exprime pas le désir. Ici, j'aimerais dormir, manger, lire, voir la télévision, c'est tout.

    Une glace à trois faces renvoie mon image qui me flatte bien ; pour 70 ans, je me trouve beau, intelligent, et modeste. Je plais aux femmes à présent que je ne puis plus rien faire, elles le savent et me sourient. Je suis à leur niveau. Il me reste à passer pour un con à es propres yeux, et à me tenir droit. À l'instant un jeune homme a cogné à ma porte, pour le contrôle – quel contrôle ? Giulia me téléphone avec sollicitude, s'enquiert de mes distractions et de mes appétits : ce midi, une pomme suffira, tant je me suis gavé ce matin. La visite des Beaux-Arts a coûté 4€ 50, pour une quarantaine (maximum) d'ignobles croûtes défraîchies, acquisitions d'une « bourgeoisie éclairée, mais peu audacieuse ».

    Quelques photographies au flash (ça crée des embuts) enrichiront la collection d'illustrations sans gloire. À l'étage, de je ne sais quel Bayon ou Rayon, sont exposées des « hédonites » (?) de femmes à contempler de loin, démantibulées comme des paquets de saucisses en décomposition (carrément verdâtres, même) : « il y a de la cellulite », texto à Giulia. Hier, elle n'a pas pu me parler « parce que C. et D. étaient là ». Je n'ai aucune confiance en ces deux lascars, qui prennent ma femme pour une conne. Il est vrai qu'elle fait tout pour. Nous verrons plus tard : demain soir, départ. Je mange ma pomme en regardant la télévision. Tout le monde y sourit en tartinant sa morale et sa bonne humeur, sa rondeur hors de propos et ses discours banalisés sur les Le Pen. Vu un reportage d'Arte sur le Liban face aux réfugiés syriens qui suscitent les rivalités de ligues… Après nous le déluge.

     

    03 12 2061

    Que fis-je, que fîmes-nous encore ? Un dépassement de tour, avec appareil photo. Une montée rue Sur les Mur, avec des jeunes gens qui déconnaient. Une tournée autour des planches de la Lanterne (travaux en cours). Une ou deux photographies de structures ingénieuses et maçonnes d'hydrauliciens. Une jeune femme en sphinx en haut des marches, laissant courir son chien le long des vagues ; il pataugeait, au comble du bonheur le plus pur. Toujours cette impossibilité de capter le moment précis, au zoom, où le chien tourne autour exactement de sa maîtresse (elle m'a repéré : pointez un objectif, il le sent illico). Alors nous avons joui avec le chien, en bord de friselis de l'eau. Et puis le casino, le bord de mer, le « raccourci pour l'île de Ré » sous 1m20 de marée haute, le parc Franck Delmas et ses merdes à 'écart, le château néo-go 1900 et quelque (administration du camping, ô honte) et le retour par le Mail. Cet atroce poilu blindé comme en armure, un poêle de fonte, ces cartes postales, cette épicerie du port, cette facture monumentale, cet empiffrement, ces minutes et 36 heures de déresponsabilité totale – alternance Tolstoï et télévision, les contorsion de Foresti et les discussions vides de Calvi et de ses invités…

    04 12

    Dernier petit-déjeuner. Surcharge. Deux tranches de cake dans la poche, bagages réservés en lingerie. Longue promenade glacée, sans plan sur soi, Quartier du Onze Novembre. Je demande à une passante de quel côté se trouve La Rochelle, « complètement perdu ». Marche, froid, marche, froid, rues droites, peu de pensées. Puis sur un banc, pris d'amitié pour un lacis de branches glabres au-dessus de la tête, et rabaissant les yeux, s'apercevoir soudain que ce tas de pierres familier se trouve exactement contre l'hôtel ! Libération des bagages par « Stéphanie », qui me suggère un chocolat chaud par la machine. Sourdine de télévision mais superflue, présence de cette femme qui pouvait m'attirer derrière le comptoir sans que cela implique (ou le souhaitant?) l'érotisme, que ces rapports sont bizarres, adieu La Rochelle, détour par La Coursive, adieu au Vieux Port, et cet ennui que je regretterai, la gare, un supplément de 7€ et la plume s'arrête à sec de lyrisme à deux balles.

     

    COLLIGNON ITINERRANCES

    GUERET

     

     

     

    63 02 05

     

    Peu à retenir. Ennui. Détente. Perte de repères. Ce qui est ennuyeux dans la vieillesse, ce n'est pas le désagrément du corps, mais l'indifférence de l'âme. 64 06 09 Dijon. « Qu'est-ce que la vérité ?

    Le 2, il fait froid. Je vais d'abord à l'office du Tourisme, pour avoir un plan. C'est une gouine hommasse charnue qui me tend le document. Et voici les rues. Un clodo, ou « SDF », devant la poste. Je devrais lui donner ma chapka. Ce sera deux euros quarante, et un toucher de main. Le voilà tout réjoui. Avant lui, égaré vers la rue des Amoureux, je m'étais renseigné près d'une puissante et gélatineuse mémé, toute contente d'avoir une contact humain. C'est fou, ce que je suis indispensable. Les autres aussi, car je tournais le dos à mon but. Tout cela s'emmêle. Et puis l'église, où je vois une pauvre vierge chlorotique prolongée renouveler de vieilles fleurs dans de vieux vases.

    Et qui au bout du fil ? non pas Dieu mais Didier, à qui je me lie par le mercredi de Cendres. Il a écouté ma dernière émission, a constaté qu'il n'y figurait pas : je n'avais emporté qu'un étui vide… Nous parlons de Dieu, il m'indique soudain que la conversation est désormais assez longue. Aussi bien lui ai-je montré le caractère léger de nos faux attachements. Il invoque une fuite psychiatrique… Je redescends vers mon Première Classe, sous la pluie froidouillette. À présent c'est Giulia qui me contacte sur un banc des galeries Leclerc. Elle aime les longues conversations téléphoniques, et c'est la rentrée dans ma petite bulle sous les eaux. Le soir je regarde peu la télévision.

    Ne pas oublier l'assertion orgueilleuse de Du Bellay : chacun ou presque possède un don de nature ; mais ce n'est qu'à force de travail que l'on s'envole au ciel de la célébrité. Autrement, dit Joachim, ce serait injustice, merde alors. Disons que nous avons voulu vivre, aussi, car dans l'autre monde il n'est ni glorieux, ni obscurs. Des bribes de villes qui se ressemblent toutes, flottent dans la mémoire, fragments insignifiants que je parviens toujours à resituer. Renseignements donnés par la Réunionnaise, victime de la Grande Déportation d'Assimilation Profonde (enfants introduits dans le cul de la France), clients de supermarchés, Leclerc : Providence ! Providence ! En croquant à même une providentielle carotte tombée à terre.

    Arielle chez soi, à trois départements de distance, reçoit Eugène Bourdin, comédien homo, qui pose à poil sans problème ni bander. Le trois, je travaille sur Servius, qui est un vrai supplice : le volume est énorme, d'un rouge violet ignoble, après l'incendie des stocks de Budé. Commentaire de commentaires, eux-mêmes d'un creux dingue. Ce jour-là il fait beau, je vais à Guéret à pied. Jour de chats possibles, enfin.

    date : début février 2063

     

    N'est-il pas extraordinaire, etc. Je n'avais pas grand-chose à dire. Devant l'autobus une pièce a roulé. « Il serait absurde de perdre la vie pour cinquante centimes ». Le conducteur moricaud sourit. Les voyages que je fais n'ont aucune importance. Il est déjà question de Marseille, de Digne. Ces jours-ci, c'est Guéret. Moins couru, certes. Une vaste mélasse, de flotte, de distances parcourues à pied, d'hôtel confortable mais spartiate : tu viens, tu payes, tu repars. Très pratique pour les adultères. A Guéret c'est la seule distraction. Je suis victime d'adultère imaginaire. Ici je trompe ma femme avec des vidéos pornographiques. Bonjour LECTEUR. Déjà Guéret n'est rien. Il est soluble sous la pluie.

    Il est contenu sous une chapka qui me couvre la tête, avec des oreillettes flottantes qui attirent les regards des automobilistes, surtout si je hurle. Il est dans ce supermarché Leclerc, qui a vidé le cente-ville de toute sa substance. Même, je trouve là-bas, comme à La Ciotat, comme partout ailleurs, un centre culturel où j'achète un calendrier dédié aux écureuils. Ce sera pour Maphâme. Il faut que je me foute de mes propres expressions, pour ne pas être pris pour un type qui se prend au sérieux. Le trajet aller se fait en train jusqu'à Limoges, et ma voisine se fait gauler pour voyajer sans ticket, de Bordeaux à Libourne. Sa carte bleue n'admet plus de retrait. Le contrôleur l'avait touchée du bout de son antenne, elle croyait que c'était moi : quelle mauvaise surprise ! Elle a jeté avec rage ses papiers dans son sac, et devra payer une amende. Lecteur, es-tu là ? Est-ce que tu comprends ?

     

    Me consoleras-tu dans ma tombe ? Serai-je enterré à l'endroit, les pieds tournés vers l'allée ? Où seront mes livres ? Serai-je en compagnie de celui que je n'aurais pas fini, juste à ce moment-là ? Puis à Limoges, un autocar pour Montluçon. Avec toilettes internes, utilisables juste à l'arrêt. On ne peut que s'y assoir, sauf à pisser very cambré. On s'en fout partout. Une présentatrice de JT est lesbienne : c'est insupportable. Qui suis-je, dans ce cas ? De l'autocar je vois le fronton jaune de l'Hôtel Première Classe : en comptant dans l'autre sens ; le plus simple, le plus économique, celui qui fait parcourir le plus de chemin avec la valise à roulettes : crr, crr. Et la rue descend, descend. Autant à remonter en sens inverse.

    Comprends-tu que ce qui m'arrive arrive à tout le monde ? Que des lectrices dédaigneuses estiment banales ces productions « de réflexions que n'importe qui peut faire » ? Que mon meilleur ennemi s'est retrouvé, en fin de carrière, au même point que moi, toujours au début, sans même avoir fait une excursion en boucle dans l'univers des Gagnants ? Alors voilà : je suis parvenu à payer me chambre, à obtenir une carte, auunetomatiquement, puis en passant la carte magnétique devant une porte, qui s'est ouverte comme une glissière de caverne ? Oh ! fait le Vieux Monsieur Mon Père, « jamais je n'ai vu un feu d'artifice aussi magnifique » ! Mais il n'y a personne d'autre, dans mes voyages, combien de fois faudra-t-il vous le répéter ?

    Croyez-vous que ce me soit un enrichissement d'entendre un Cap-Voui, erdien me confier sa misère matérielle et la précarité de son emploi ? Comment peut-on prétendre substituer aux magies du voyage de telles consternantes banalités ? C'est donc niais, de répéter que le voyage permet de ne rien faire, de rien, de rien, de rien. Que même après s'être reposé toute une demi-journée sur les fauteuils confortables et roulants, le premier rite est malgré tout de prolonger par un autre repos allongé, dans la pénombre ? « Il pleut. Je vais au magasin Leclerc » : c'est donc une honte de le dire ? Oui, oui, le monde coule, mais nous manquons de données sur la vie matérielle des gens : le nucléaire a tout rasé. Ermé,

    La chambre comporte trois lits de camp, dont deux superposés : « Il est interdit de faire monter un enfant de moins de 6 ans ». J'occupe le lit inférieur, car l'angle de la télévision est satisfaisant. Fermé, mais satisfaisant. Tes griffes sont sur mes épaules. Jamais je ne me ferai à cette fauconneri, à cette volerie. A la caisse, l'hôtesse m'appelle « mon petit monsieur », me dit que « mon saucisson sent bon », que la carte bleue doit être « mise dans le trou », et j'en passe. Puis elle se tait, « pour qui va-t-il me prendre » ? Dans une autre vie, la vie où j'aurai envie, je lui refilerai mon 06 (note en bas de page ? pas encore l'époque ?). Puis il faudra « trouver le trou », faire de la gymnastique, ne jamais savoir ce qu'elle pense, éviter de faire des promesses, Maphâme connaît mon numéro par coeur. Elle est toujours joyeuse au téléphone, mais vous le savez. Le soir, je vais la tromper avec le film« Camping », dont on multiplie les suites. C'est nul, nul à chier : on dirait Plus belle la vie, en plus con si possible (…en bas de page ? en bas de page?)

    Le merveilleux est de ne pas se retenir de s'allonger pour dormir, somnoler, un peu sur chaque côté façon escalope, je vous ai déjà dit que je me fous des autres, qui ne sont que mes imitations (c'est bien pour vous faire plaisir) , vous me ferez cinquante lignes de moimoimoi, et vous oublierez de considérer le sort des justiciables d'Amnesty International. Parce que je m'en fous de ceux-là. Un jour je gésirai dans la geôle, nul ne s'en souciera, et je penserai « C'est bien fait pour ma gueule ». Un jour je perdrai tout mon sang sur l'asphalte, attendant les secours, car un homme ne peut laisser un homme dans cet état, et personne ne viendra.

    Faites, faites que je puisse recevoir sans avoir donné. Il a veillé (celui dont je parle) jusqu'à plus de deux heures, grâca à la rediffusion d'un documentaire sur les tatouages tahitiens : ils viennent tous, en réalité, des Marquises. Il a fallu les réinterpréter, car les missionnaires les ont interdits dès l'époque la plus reculée. A présent cette coutume se modernise, se revivifie. Puis je sors mais très peu. J'adore le petit-déjeuner, «abondant, simple et varié ».

     

    COLLIGNON ITINERRANCES 02

    ST-AVIT- RIVIÈRE 11

     

     

     

    En ce lieu idyllique », etc.

    Nous ne voyageons plus beaucoup. Un âge nous est imposé par la coutume. Nous sommes partis vers 14h et des poussières. Nous avons traversé Bordeaux, nous, nous, nous. Nous nous sommes arrêtés à Tresses, après une demi-heure de ville. C’était une boulangerie, au bord d’un ruban carrossable à quatre voies. Une épine dorsale fendait en son milieu. Le ciel seul se montrait quelconque et beau. Deux Turcs de tee-shirt levaient les yeux vers l’étage, appelant une femme qui ne s’y trouvait pas. Nous sommes repartis munis de chocolatines du peuple et d’un palmier. Nous essayions de nous remémorer certains lieux, certaines impressions vives encore pochi anni fá. Mais nous n’avions repéré ni Fontenilles, ni Font Nègre, ni cet endroit du chien écrasé.

    Juste l’oblique du « parc » de Bonissan, où loge une nonagénaire, génitrice de Françoise D. Et la maison du 20 juillet n’était plus là non plus, ou bien, juste émergeant du toit, depuis ce léger bas-fond. Route plongeante de Camarsac. Maison de Marguerite M. à St-Quentin de Baron, détruite d’un mur jadis par un camion montant. Puis ce « moulin à vent » sans ailes à Garriga, et la descente à Branne. Café ? Le temps de pénétrer dans un bistrot où Arielle ne se trouvait pas. Dehors, je renverse ma sacoche cul par-dessus tête sur le trottoir. Nous écoutons en sirotant deux motards discutant sur la façon de s’incliner dans les virages (il y a pour cela des stages!) et nous regagnons notre roulotte roulante.

    Il paraît que le buraliste s’est montré désagréable, « madame je n’irai pas chercher midi à quatorze heures avec vous, je n’ai pas que ça à foutre », Môssieur se vexe de s’être vu préférer quelqu’un d’autre pour le café. Peu d’attention de notre part au paysage, d’énormes blagues pourries et surfaites tout au long du trajet,que j’affronte seul depuis mon volant. Dernier arrêt à Gardonne, où Arielle clopine jusqu’aux chiottes. La Noire serveuse nous a-t-elle reconnus ? Arielle boitait tout autant.Nous parlons fort en terrasse. Jusqu’à Beaumont tout baigne, la route s’étire au long de l’ancienne poudrerie qui pouvait jeter bas toutes les cloisons de la ville. Puis la fatigue nous guette. Nous nous perdons entre Léone Haute et Léone Basse.

     

     

     

     

    (ce qui manque figure dans l’agenda “des tortues” 2012-2013, du 1er juillet au 12 8.

    Ce qui suit concerne le 19 avril 2018, 2065 n.s.

    « Ce matin-là, il est de bon ton de laisser dormir mon endormie et d’explorer un chemin blanc qui zèbre le recreux. Il est encore possible de monter sous le soleil, qui n’est pas très chaud. Ma mécanique observatoire se met en route, je respire, je note ce qui ferait tache dans un film dit « d’époque » : ces tuyaux noirs flexibles qui parfois longent le chemin. Il y a une éternité que je n’ai pas foulé un de ces chemins blancs qui nommèrent un groupe « folk » éphémère. Une bifurcation modeste m’indique un  lieu-dit « La Forêt », un autre « Bois de Campagnac ». Poussons jusqu’au croisement formant delta : se trouve une petite demeure avec électricité, volets clos à peu près neuf, ruche unique en équilibre sur un rebord cimenté.

    Respecter la propriété, poser là une imagination qui vivra par elle-même et mes siècles des siècles, rebrousser chemin, sans avoir lu : tout est rude à mon cul, et je n’ai pas envie de dire. Dans la dernière légère montée, voici deux chiens bistre clair qui galopent vers moi. Je les flatte, ils me flairent, un troisième les rejoint, puis une propriétaire qui retient un mâle noir. « Alors madame, on promène sa meute ? » Elle répond, cheveux noirs et pull déchiré sur le sein : « Celui-là, il faut que je l’attache à cause d’une chienne en chaleur qui traîne par là ». Je réponds TRES finement : «C’est comme pour les hommes ». Sans me rendre  compte, espèce de con, qu’il en est de même avec les chiennes en chaleur en maraude.

    Justement n’en v’là deux, brunes, en contrebas sur leurs sièges de bagnole, su genre « je jouis 6 fois par jour et j’t’emmerde », qui me demandent avec une grande voix sucrée, GPS dans une main et clitoris dans l’autre, s’il n’y a pas par là un endroit appelé « La Forêt », putain que je suis fier de leur répondre avec mon plus grand sourire d’impuissant du cooin que « oui, en effet, plus loin à gauche, vous verrez l’petit panneau »,je me vanterai auprès d’Annie l’hôtesse, 74 ans, d’avoir eu trois touches dans la journée, « et en forêt », renchérit-elle. Ma femme est levée, alleluiah ! Nous irons à Cadouin, halleloudoin ! Mais auparavant, petit détour par Vielvic, et arrivée pile poil sur Belvès, again.

    Vous savez ce qu’il faut faire, bande de nazes, pour vous faire connaître éditer e tutti quanti ? Avoir une grande gueule, écrire n’importe quoi et se faire zig-zaguer le trou du cul par la sodomie. À Belvès, profiteroles au « Pourquoi pas », la serveuse n’a plus l’air ni arabe ni bronzée, son mec est jeune et lourdaud mais grosse bite, et « nous parlions de vous, sans doute d’anciens élèves à vous », ah ils on dû en raconter des belles mes élèves, pourtant je n’ai pas dit mon nom, mais les cheveux longs d’Apaches des Rocheuses rappellent tous les souvenirs. Il paraît que c’est le cancer qui tue partout dans les chaumières, bien plus que les accidents dus à la vitesse, 80kmh sur les routes c’est une vaste connerie. Ce gouvernement semble multiplier les mesurettes, ils m’approuvent, en réalité j’aime beaucoup Macron. Reste à vérifier mon lycée, sur l’emplacement d’un castrum romain, c’était tout de même plus surfaceux que ça. En route pour la fille Gibiat, passée de 12 à 59 an, maigre, fiévreuse, trouée par une grosse bite et tant mieux, mais qui me considère avec méfiance, méfiance !

    Ce qu’elle a dû entendre comme refrains baquiques ma quique lors des beuveries de 70, où je suis survenu bientôt en pyjama pour annoncer que Nasser était mort ! Nous prenons deux jus d’orange en terrasse, deux filles précisent que leur chien affalé entre leurs jambes s’appelle Astuce, et qu’elle jouit d’abondantes promenades dans le Puy-de-Dôme, c’est marrant comme nous parlons à tout le monde de plain-pied avec cette fausse aisance, et lorsqu’elles s’éloignent en traînant leur cabote, ma femme fait observer que si ça se trouve elles vivent ensemble, ah les veinardes, qui ont deux corps de femmes et qui jouissent ensemble, ah je ne m’en remettrai jamais.

    Cadouin, recafé avecPolo en terrasse, une femme qui fait l’intéressante en prétendant avoir fait l’abbaye au moins 24 000 fois, et Elvire fait des roues (9 ans) sous la halle, je repénètre dans l’auberge de Jeune Fesse, « don’t walk on the lawn » on ne va pas te l’esquinter ta lawn, on préfère piétiner la law. L’abbaye est nue, bien calme, en l’honneur du sudarium, qui, ici, veut dire « Saint-Suaire », on en a fabriqué des quintaux. La veille, un moniteur expliquait à un groupe de petites gouapes à casquette en arrière dans le sens du ridicule qu’il gueulait à Cadouin, qu’il gueulait à Monpazier, et, après une pose du meilleur effet pédagogique, car il semblait changer de sujet sur le mode rationnel : « Alors, c’est quoi l’objectif ? c’est de gueuler dans toute la Dordogne ? » - effectivement, présenté comme ça, c’était ridicule, et les connards ont fini par se taire, et jeter la clope.

    Après ça nous avons visité l’expo permanente, avec un petit arabe frisotté qui a filé l’adresse de Boghossian et nous a envoyé visiter l’étage en bois. Et là, fulgurances : les portraits au couteau de Laurence Nolleau, des filles de métal, branlées, gouines, métalloques, alcooliques, d’une puissance et d’une vulnérabilité dingues. J’ai dit au petit mettons Pakistanais que je serais amoureux de ce genre de fille, que je ferais n’importe quoi, que j’écrirais des romans, lui n’avait pas l’air d’accord avec sa gueule de petit pédé sensible, mais moi je me heurterais aux gueules de ces nanas supersemblables jusqu’à crever de jouissance maso, et elles tireraient de moi des personnalités vachement supérieures et gitanes, parce que pour se les sauter et les faire pleurer de chagrins il faut vraiment s’accroître les capacités du cortex. Peut-être, sûrement même, que les explosions de femmes supérieures susciteraient des explosions de mâles dominateurs et sensibles romantiques et cruels à mort dans les deux sexes. Maintenant, on fonce vers Beaumont, où les arcades résonnent de rugbymen qui transforment l’accent gascon en défaut de prononciation génétiquement transmissible. « Faites marcher un bœuf charolais », c’est une viande qui devient difficile à m’astiquer lorsqu’elle est trop cuite. Plus ma foi un petit vin blanc fruité pour ma belle. Ici pas envie de faire l’intéressant, clientèle de petits bourgeois qui jouent eux-mêmes aux intéressants. À côté un petit Lorris-Franco qui fait son intéressant avec sa man-man quelconque. Je ne lui dirai jamais qu’il porte le nom d’un grand poète du Moyen Âge, Guillaume de Lorris, qui d’ailleurs a produit des couplets gaillards et paillards.

    Ou alors je confonds avec Jean de Meung appelé Clopinel. Oui, c’est lui, le gaillard. Lorris était le spîritualiste. Mais mon Lorris petit con tête à claque fait déjà trop son petit cador de petite famille, pas la peine de le mettre sur une piste dont il n’est pas digne. Disons « pas encore » pour ne pas l’enfoncer. Arielle n’a pas fini sa viande, devenue froide et très tendre, je parle d’une « opération à l’estomac », ce qui est exact et inexact. Nous sommes revenus sans nous égarer, sans avoir besoin d’un jogger qui revient sur ses pas pour nous indiquer Léone-Basse. Notre merveilleuse hôtesse septuagénaire avait allumé le fanal pour nous guide si la nuit était tombée. Elle m’entraîne dans la rédaction du mot de passe, mais tout est déglingué, je suis bien le seul à ne pas y être arrivé.

    Ben oui. Tout arrive. On me demande un code que je n’ai pas. Et en route pour une connerie télévisée de la Taubira, qui prétend relever le niveau de la langue française par le recours au rap. En face de lui gît un intellectuel rabougri, qui tente sans succès de faire prendre conscience à l’animateur de la connerie de sa démarche : ne promouvoir que les grands éditeurs, alors que les petits libraires encore subsistant se mettent à vanter de petits éditeurs qui n’auront jamais l’occasion de passer par le portevois de Môssieur Busnel, qui prononce Sharon, şharõ, le batelier des enfers, et Eûdipê bien sûr comme tous les connards, sans oublier Umberto qui prononçait Ashab, et tous d’embrayer sur Ashab derrière lui, comme les convives avalant le rince-doigt tout tiède pour ne pas vexer le gaffeur.

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    Et voici le vent du retour. Le temps est chaud. Je m’égare pesamment vers Belvès, vers la hauteur de pente ou gît de part et d’autre le bâtimentage d’une ferme, et je monte jusqu’à la courbe supplémentaire de la route. Au retour j’aperçois les rangées de vaches encarcannées par le col au-dessus du son qu’elles bouffent par pur désœuvrement. Ce n’est pas encore l’élevage industriel, c’est déjà l’élevage débestialisant. Il règne dans ces yeux une indifférence divine. Personne. Un perron sombre où se chiffonne une literie peu propice au séchage. La voisine repromène ses chiens beiges. Il faut se lever, sinon, Arielle, tu ne pourras plus te relever.

    Le déjeuner long, co^pieux, avec du flan maison, dont nous mangeons trois parts, « aute chose que dans le commerce,où ça gélatine et pectine à tour de bras. Nous nous faisons la bise d’au revoir, « nous parlerons de vous, mais en bien « ! Je crois qu’elle supporte mon baiser sans la moindre raideur ni réticence. J’envisage toujours, à chaque femme que j’embrasse, un avenir, avec cette Périgourdine à l’accent délicieux, comme du brou de noix odorant.  « On a bien papoté ensemble » non madame, vous vous étiez confiée sur votre mari atteint d’AVC, sur vos déboires familiaux, et vous aimeriez les caresses d’un homme même impuissant pourvu qu’il soit tendre. Mais « l’amitié » passe moins du côté de Maphame, car elle y consent moins.

    Je sais que tout à l’heure viendront des marcheurs (et non pas « démarcheurs ») e qu’ils nous succéderont. Dieu merci j’ai la photo de mon hôtesse, très confiante dans le destin à venir des femmes d’Occident. A partir de Cadouin, Arielle se plonge justement dans les « Femmes au Moyen Âge ». Elle m’aura acheté une publication sur les soties exhibitionniste du Moyen Age, où l’on voit un homme de dos exhibant sa bite et ses couilles passant par-derrière leur exacte anatomie.Aristophane exploite déjà ce jeu de scène. Le modèle masculin ne l’a fait qu’une fois, sous la menace de ne pas se faire accepter pour poser à nouveau. Il se le tint pour dit, penaud. À Creysse, ayant retrouvé ladite civilisation, nous buvons dans un recoin ombragé tout en longeur, à deux mètres des camions qui passent tout au long.

    Les cartes ne sont pas acceptées. « Votre femme est aux toilettes, depuis pas mal de temps . - Elle est un peu... » (geste vers le bas-ventre). Et je reviens sur mes pas, de 2km, car il ne faut pas penser non plus je suppose à proposer un vieux chèque ébréché. Le livre sur la bite de pecquenod est très érudit. Je le commence et le finirai. Arrêt à Castillon, sur une place-parking, tout en longueur comme une plate-bande, où nous consommons à l’ombre, dos tourné à la sortie d’un enterrement « il avait 95 ans », « je suis bien heureux de vous connaître, j’aurais préféré en d’autres circonstances », « vous voyez, je vais avoir 80 ans, je ne me suis jamais disputé avec personne ». L’interlocuteur dans mon dos s’exprime d’une petite voix chevrotante correspondant à ce qu’on en imagine au théâtre, telle que pourtant jamais mon père n’en a eu. Ensuite, chers enfants, c’est le ruban connu, la chaleur connue, la « voie rapide » de rocade encombrée le nez sur un cul de camion, le passage du Pont d’Aquitaine, ici enfin, avec mes appareils qui fonctionne, et bien peu de souvenirs à faire mousser. Le chat malgré notre absence ne nous a pas fait la gueule. Il vieillit.

     

    CONQUES

    Diapos :
    Merci pour ce beau document sur S., où le photographe a fait tout ce qu'il a pu pour éviter la présence obsédante d'une horde de touristes transpirants et caquetants, à qui l'on doit de voir en ces lieux des bataillons de culs de Boches en short plus que partout ailleurs. Les prétendues fresques extérieures de S. représentent le degré zéro de l' « art » contemporain ici largement synonyme de pure et simple indigence ; Dieu merci, on les a au moins enlevées du clocher, où, de loin, en vue plongeante, le touriste avait la nette impression que les baies étaient obstruées par les planches on ne peut plus esthétiques d'un chantier. Le parking est obligatoire et coûtait voici dix ans trois euros, les toilettes puantes étaient payantes, le village grouille de bistrots avec glaces à 4 euros et sandwiches imbouffables à l'avenant. La visite du cloître et la boutique perpétuent la tradition du hors de prix, et les marchands sont dans le temple, et tout autour sur 2km². On exposait dans l'église de hideux empilement de bouts de bois accompagnés chacun d'une notice explicative pour bien montrer au peuple ignare que là résidait le chef-d'oeuvre de la fine fleur contemporaine. En revanche, d'admirables sculptures de bois n'avaient droit à aucune notice, et il fallait bien chercher en se penchant longtemps le nom du plouc qui se permettait encore de faire de l'art figuratif éminemment ringard. Bref, une capitale du fric et du snobisme. S. a été défiguré par la prostitution touristique. Je ne sais pas ce qu'il en est à présent, mais franchement, s'il y a un endroit où je n'ai plus envie du tout de refoutre les pieds,c 'est bien S. J'oubliais : à partir de D., tous les horaires de cars sont minutieusement et vicieusement étudiés pour qu'il soit impossible de faire l'aller-retour dans la même journée, afin de bien engraisser les hôteliers, au prix fort. Bravo pour l'office du tourisme, j'espère qu'il a créé beaucoup de hemplois. Bravo S., vous préfigurez l'avenir de la France, patrie du bronze-cul et de la glace à l'eau.

  • Humeurs cérébrales

     

     

     

    C O L L I G N O N

     

    H U M E U R S

     

    C É R É B R A L E S

     

     

    ÉDITIONS DE LA MERDE EN BOÎTE

    Collection de la Couille Pendante

    À la fin du deuxième millénaire, une radio libre associative nommée

    LA CLEF DES ONDES

    diffusait à Bordeaux une émission tardive, que ses fondateurs avaient appelées

    "HUMEURS CÈRÈBRALES"

    Ce titre n'est donc pas de moi, et si la radio existe toujours, l'émission a disparu. Ils étaient jeunes, et je frisais la cinquantaine passée. Ils ont disparu dans la nature, et moi, je suis resté. Qu'ils soient ici remerciés pour m'avoir accueilli, pour avoir accepté de joindre aux leurs mes propres élucubrations, ici rajeunies de vingt ans, et que vie leur soit rendue.

     

     

    COLLIGNON HUMEURS CÉRÉBRALES

    LE FIS ET VARIA 2

     

     

     

    Curieux. Ce soir, dès le premier soir, je n'ai pas envie de "faire comique". J'apprends à la radio – que n'apprend-on pas à la radio – que des dizaines de condamnés avaient été massacrés par leurs gardes, en Algérie. Des intégristes. Je n'arrive pas à m'attrister. Ni tragique, ni comique. On a massacré des huîtres, hermétiques à l'homme, là-bas de l'autre côté de la mer. Des nazisont été à leur tour liquidés.

    Pauve Bousquet planqué dans les couvents,

    Brillante et généreuse Église catholique.

    On me dit qu'il y a des nazis modérés – où çà ?

    ...Les femmes sont les juifs du Djihad algérien

    Qu'ils foutraient dans des camps, avec droit de cuissage

    Chacune dans son camp personnel, la cuisine -

    - veinardes : un camp pour chaque femme avec tout le confort

    pour leur apprendre un peu ce que sont de vraies femmes

    et qu'elles s'estiment encore heureuses :elles ne sont pas encore excisées – mais pour peu qu'elle insistent, on le leur fera, le petit coup de rasoir.

    Il y a des cinéastes assez cons pour regretter les harems – pourquoi, tu veux faire eunuque ? ...et des gens bien intentionnés instituent la Journée de la Femme, ou des Femmes, ou des Droits des Femmes, au choix, le restant de l'année, pas de problème. Une journée des hommes ça ne serait pas mal non plus, des juifs, des pédés, des pédés juifs, bossus, rouquins, plus, courant septembre, une pleine semaine des amateurs de girolles. Quant aux femmes algérienes, qui ont des couilles au cul même si c'est pas toujours les mêmes eût dit Clemenceau, elles ont érigé (on aura tout vu) un Tribunal, pour juger "symboliquement" (pourquoi ?) les intégristes pour crimes contre l'humanité.

    Allez les femmes.

    Ce qui me rappelle ces cours de planning familial donnés à des Tunisiens : ils auraient gardé la boîte à pilules, et ils en donné à leurs femmes quand il auraient voulu. Tout compris, on vous dit – un peu plus drôle, maintenant : un meurtre de Comorien à Marseille par des colleurs d'affiches du FN : ça n'a pas fait baisser d'un poil le pourcentage des lepénistes : les noirs ça se reproduit comme des lapins. Total quand le 626 Yemenia s'est planté en mer, je n'ai pensé qu'aux morts - nous avons COLLIGNON HUMEURS CÉRÉBRALES

    LE FIS ET VARIA 3

     

     

     

    Roger à l'instant au téléphone, il ne trouve pas ça drôle non plus. Fais gaffe Roger, avec ta grosse barbe t'as plus la gueule d'un Blanc. Je n'arrive toujours pas à décoller. Je reste sur les barbus fusillés à ravers les barreaux ou en course poursuite dans les couloirs de dos ou de face en criant Allah hou akbar comme on gueule Heil Hitler, ou sur les SA massacrés à la mitraillette en pleine gueule de bois juste avant la branlette de 6h 18.

    Ces coulées de sang sur les murs quel gaspillage. Et je n'ai pas de pitié pour les membres du FIS ? (Front Islamiste du Salut). Tiens, à propos de partouze homo, après Oradour, les SS (dont un bon nombre d'Alsaciens – voulez-vous bien vous taire) se sont enculés par paquets dans le fumet de la viande grillée. Je m'en voudrais de finir sans la petite note de gaieté: au XVIe siècle on avait tellement brûlé de sorcières qu'il ne restait plus que les ours à baiser ? Salopes dès le plus jeune âge, halte-là – halte-là – les montagnards – on s'arrête, on s'ankylose les zygomatiques, astiquez vos pavés ça peut resservir, pourvu que je me sois garé du bonc ôté, je me casse j'ai des haricots sur le feu.

    COLLIGNON HUMEURS C É R É B R A L E S 4

    JE M'FOUS D'TOUT 17 03 2042

     

     

    Je m'fous d'tout. C'est l'âge. N'atttend pas le nombre des années. La campagne me rase. La présidentielle, s'entend. J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans. Et Turin donc. Ils disent tous la même chose. Avec d'autres gueules, mais la même chose. Sauf JMLP (Le Pen) et PDV (de Villiers) qui tranchent , quelle reluisance...

    La Fontaine ce soir à Tublure de Couillons – Bouillon de culture. Rien Mahfoud, ma meuf enregistre. Il y a les célibataires qu pleurent après leurs fesses et leurs queues, j'm'en fous, j'ai bobone à la maison j'vous dit, même qu'elle n'aura pas préparé la bouffe, j'm'en fous j'ai le frigo plein, non c'est pas ma femme.

    On vient de trucider deux soeurs, sept et deux font neuf, j'm'en fous c'est en Algérie je vis en France mais j'en cause quand même dans le poste faites passez je me colle un voile sur le visage – la honte- non – sa nostalgie.

    Tapez sur l'Église le cadavre bouge encore elle finira bien par crever vouslui faites bien de la pub. Je cracherais bien sur le gouvernement mais j'ai la bouche sèche et je bave du miel pensez à moi pour le renouvellement Secrétaire d'État au Latin dès la Maternelle je commencerais par virer lesconlègues en comparaison Castro est un enfant de chœur, tous ces cons de la Salle des Profs qui m'ont tenu à l'écart 10 ans 120 mois 520 jours à la file parce que je dis MERDE à chaque phrase et TROUDUC et PUTAING CONG aussi même que l'un d'eux aussi m'a dit "Coco, tu seras invité chez moi le jour où il y aura les chiottes au milieu du salon" je suis resté coi comme une vieille nouille, et voilà seulement que je pense à la réponse : T'auras qu'à y faire ton entrée. Joubert, prof d'allemand.

    Bref si que je serais quelqu'un niveau ministère, vice-sous-chef de bureau adjoint-auxiliaire en stage, qu'est-ce que je serais heureux. J'ai bonne mine de gueuler contre le ministre. Se foutre de tout je vous dis. Et je gueule aussi contre la pub à la télé – la publicité vous rend cons, la publicité vous prend pour des cons, c'est du Cavanna, mais si on m'offrait ne serait-ce qu'un minute, entre les putes Panzani et les Tampax cramp shaft incorporated (vilebrequin, pour les ploucs) je te ferais péter l'audimat à moi seul tellement que je suis

    COLLIGNON HUMEURS C É R É B R A L E S 5

    JE M'FOUS D'TOUT 17 03 2042

     

     

     

    excellent et modeste c'est par où les caméra, projo nom de Dieu encore lui – j'ai bonne mine de râler contre la télé. Je me fais vieux je m'gratte la tête fais gaffe pépé y a ton scalp qui se détache, dis pépé c'est vrai qu'on peut mourir de la grippe, pépé c'est quoi l'incontinence urinaire tourne-toi morveux que je t'explique, j'ai vu mon père pisser dans la cuisine en la prenant pour les chiottes, je l'ai vu tout macchabée tout raide je touche son front v'là les pieds qui bougent droits dans l'alignement – tu nous gonfles on t'a dit "des coups de gueule" c'est pas un sujet ça, on gueule pas contre la mort voilà c'est fait, coucouche pépé papattes en rond c'est l'heure du frigo plein et de bobonne à remplir enfin si peu, ça ira mieux demain Messie Messie dit Jésus – ça se passe en région parisienne, y a un chiraquien qui dit "2 à 3% de Français sont fondamentalement racistes et xénophobes, le reste c'est juste des gens qui craignent la montée de l'immigration et de l'insécurité" le reste c'est 97 à 98% non ? Tiens y fait pas chaud d'un seul coup.

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    Le bourge, c'est un gonze qui débarque en émission contestataire avec sa cravae et qui vous explique toutes les conneries à ne pas faire parce qu'il les a faites lui-même, Le Hussard sur le doigt par exemple. Le découpage, d'autre part, pourrait être autre chose qu'une succession de chocs ? Un mouvement sur la droite en lumière, sur la gauche en sombre. Un passage silencieux, un passage vachement bruyant, on s'attend tellement à être surpris on n'est plus surpris du tout. Et une scène de bagarre, il faut toujours une scène de bagarre coco. Voilà voilà tout de suite, cinq conre un, dix contre un, vingt contre un, toujours vainqueur blessé au bras – et s'il vous plaît, monsieur Rappeneau, les personnages pourraient-ils s'exprimer autrement qu'en crachant de la mitraille et bouger autrement qu'en se lançant tous les membres dans tous les sens comme une fatma sur une grille à gégène ?

    Et toujours, enfermés-libérés, enfermés-libérés. Et toujours la belle gueule de bellâtre du bellâtre Martinez, qui rit quand il ne baise, qui joue de plus en plus mal, qui connaît trois grimaces et qui s'y tient ? Oui, les beaux paysages desAlpes du Sud ; oui,le son omniprésent; oui,la lâcheté des foules, oui, le chat, oui, le toit – comme dans le roman, trop court, la séquence du toit : une femme survient dans l'intrigue, et tout est foutu. Il en fallait bien une pour qu'on la voie nue, se faisant frictionner devant le feu, seul instant d'émotion à 5mn de la fin. Le reste est beau, se laisse voir. Bon, allez-y, c'est mal foutu, comme le roman d'ailleurs, mais on trouve de quoi se rattraper.

    Pour Lancelot, il n'y a rien, rien, rien. Relisez plutôt un vieux Kit Carson ou un vieux Blek le Roc... Donc, n'allez pas voir Lancelot du Lac. Vous vous y feréch. Ça n'a pas le droit de s'appeler Lancelot du Lac. D'abord c'est Richard Gere, avec son nez à dépuceler des gouines. Lutteur de foire, carrément : "Avec qui voulez-vous lutter ? le pédé gominé ou le petit nain jaunâtre avec une grosse queue ?" Ce n'est pas parce que le film est américain qu'il est mauvais. Il y a de bons films américains. Cendrillon. Mais trop con c'est trop con. Leur Lancelot pourrait être n'importe quel dézingueur d'un Moyen Âge de pacotille. Le massacre d'un village, c'est bien peu de chose.

    Si vous voulez voir du vrai massacre, revoyez Conan le Barbare. Ça c'est de la COLLIGNON HUMEURS C É R É B R A L E S 7

    J'AI PERDU QUATRE-VINGTS BALLES

     

     

     

    tripaille. Et voici la reine Guenièvre. L'air conne et la vue basse. Tête à claques de couverture de magazines. Scène de séduction. Coup d'œil appuyé du mâle quatre cents grammes de bite faut-il vous l'envelopper? ...ça se traîne, ça se traîne ! Rabats ta queue, rabats ta queue, traîne tes couilles par terre mais qu'ils copulent par Hercule qu'ils copulent et qu'ils dégagent la pellicule ! - non : Gueule-de-Con et Tend-la-Fesse marivaudent en gros sabots sous les yeux de cocu de Sean Connery. Le cocu se rend à l'église et s'effondre au pied de l'autel en gueulant Pourkvâââ, pourkvâââ, et Dieu ne lui répond pas même "Pourquoi pas" du haut de la voûte.

    Aucune dignité. Aucun rapport avec le Graal ou la choucroute, boyaux de la tête niveau Américain moyen soit 8 ans cinq mois pas un seul instant de ce qui pourrait ressembler de loin à l'ébauche d'une méditation, j'avais envie de crier Bresson, Bresson ! Moi qui aime le roi Arthur, Markale et Chrétien de Troyes, j'ai perdu 80 balles. Et ça, pour un bourge, c'est terrible.

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    J'emprunte à Gilles Dreux ce titre de chansonnette vachement métaphysique afin de me mettre au net avec moi-même, de me torcher l'âme.

    Dieu ou pas, pourquoi ceci, pourquoi cela. Pourquoi 200 000 jeunes de plus au chômage cette année, pourquoi vient-on encore jeter à la face des enseignants qu'ils n'ont pas fait leur boulot en lâchant sur le marché, pas celui de Sarajevo, le problème serait vite réglé – des jeunes sans qualifications ? Pourquoi les profs sont-ils cons, sauf moi ? Pourquoi certains élèves se mettent-ils en mode chômage de la 6e à la 3e et viennent-ils ensuite, la bave aux lèvres et la batte de base-ball dans l'autre gueuler à l'ANPE qu'ils n'ont rien appris à l 'école ?

    Pourquoi entendent-ils toujours dire qu'ils sont des personnes à part entière ?

    Suis-je une personne à part entière ? Et ma moitié ?

    Pourquoi se rebiffent-ils dès qu'un prof les traite d'incapable et de tête de mule, et commencent-ils à lui parler de sa mère et des parties génitales de son père ?

    Pourquoi les sales parents ne leur apprennent-ils pas qu'il faut plier l'échine pour écouter le maître, et qu'en plus ça efface les hémorroïdes par frottement répété ?

    Pourquoi ai-je engueulé une bande de branleurs en leur expliqnant que plus tard je paierai la contribution sociale généralisée sur ma feuile de paie, et qu'ils m'auront emmerdé deux fois, une première fois comme cancres et une deuxième comme chômeurs ?

    Pourquoi un si petit pourcentage de CSG sur un bulletin de salaire fait-il une si grosse somme en fin de mois ?

    Pourquoi gagné-je autant ?

    Pourquoi gagné-je si peu ?

    Pourquoi trouve-t-on des instites qui font visiter des musées, qui promènent les enfants dans une forêt, qui leur font voir des CRS pour apprendre le code de la route, au lieu d'apprendre à lire et à écrire ?

    Pourquoi faut-il que l'épanouissement personnel passe par le refus des apprentissages obligatoires ?

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    POURQUOI MON DIEU 42 03 31 9

     

     

    Pourquoi je pose des questions de vieux con ?

    Pourquoi cette bête facho tapie dans un coin de mon crâne, et qui ne demande qu'à se réveiller dans ses pustules ?

    Pourquoi ai-je claqué vigoureusement un élève qui m'avait accusé de ne pas faire mon boulot alors que lui-même n'avait pas dépassé les 3 de moyenne et refusait systématiquement de rendre les devoirs ?

    Pourquoi on appelle ça "un devoir" ?

    Pourquoi devrais-je me remettre en cause à dix ans de la retraite ?

    Vais-je devenir excellent ou minable ?

    Pourquoi les réformes de l'enseignement ne s'attaquent-elles jamais aux problèmes fondamentaux au lieu de se pencher sur des histoires de structure ou de programmes ?

    Pourquoi lesdites réformes de l'enseignement me semblent-elles aussi efficaces qu'une réforme de l'administration des pharmacies pour lutter contre le sida ?

    Pourquoi la seule chose primordiale n'est-elle jamais évoquée, à savoir la façon dont les profs s'adressent aux élèves ?

    Pourquoi n'apprend-on nulle part aux profs à n'être ni rasoirs, ni agressifs, ni stressés, ni copains ?

    Pourquoi dès qu'on est un prof qui sort un peu de l'ordinaire peau de vache se retrouve-t-on automatiquement avec l'administration et ces chiens de parents d'élèvers sur le dos ? et pourquoi les profs sont-ils toujours si susceptibles, si persuadés que le con, c'est l'autre ?

    Pourquoi tous ces gosses en face de moi ?

    Je crois en Bayrou, Ministre non éternel, grand dispensateur des payes, et en mon cul, son fils unique, notre Sauveur, qui est né de sa mère sur la table de la cuisine, a souffert sour le Directeur, a été crucifié par la tête, est mort, a été enseveli sous le Lexomil, est descendu aux breneuses limbes du plus grand Doute, est ressuscité après dix-sept mois de sieste, est remonté couvert de gloire et de glaire à la droite du Chef d'où il reviendra à la fin des temps pour séparer les cancres et les ingénieurs au chômage.

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    Je crois en la Sainte Éducation Nationale, une, sainte et apostolique, en la communion des cons, à la rémission des mains sous les slips, et j'attends la résurrection de ma Foi.

    Cœur sacré de Voltaire, priez pour nous.

    Sainte Céline, priez pour nous.

    Fesses et langues sacrées de Proust et Genet, priez pour nous.

    Bismillah er-rahman er-rachîd, amîn.

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    ARS GERBANDI NAGUI 42 04 07 11

     

     

    L'autre jour je me suis sali en regardant la télé.

    Il ne suffit pas de dire que la télé c'est con, il faut encore y aller pour le croire.

    À ma très grande honte et salissure j'ai suivi l'émission (ça, une émission?) de Nagui, N'oubliez pas votre brosse à dents. Je savais très bien que ma revue favorite de télévision, catho réac, Télérama pour ne pas la nommer, ne faisait que répéter (à présent de guerre lasse elle ne répète même plus, elle se contente d'annoncer, puisqu'il faut bien le faire : "N'oubliez pas votre brosse à dents. Jeu. Présentation Nagui") – de répéter jadis dis-je "N'y allez pas, c'est crétin, ça fait vomir, ça rabaisse la dignité humaine", bon je me suis dit c'est de la morale de curé, passons outre et voyons.

    Et j'ai vu.

    J'ai vu une bonne femme se mettre à poil devant la caméra dans une partie de strip-poker (et ça allait vite :la barrette et les chaussures étaient comptées comme "accessoires" et non comme "vêtements") – pour gagner une maison, "vous avez bien entendu madame, parfaitement, une maison, alors il ne s'agit pas de plaisanter, vous allez vous mettre à poil, parfaitement" – elle s'est retrouvée en soutif elle a eu de la veine, le public scandait en bavant "la jupe, la jupe".

    Elle a gagné sa petite baraque.

    Je suis un vieux puritain moraliste, mais ça s'appelle de la prostitution.

    "Oh mec arrête, on peut plus rigoler !

    - Je répète : de la prostitution.

    Deuxième jeu.

    On fait venir un type sur le plateau. Il veut gagner de l'argent ? Soit. Une scène tournante amène devant les spectateurs sa propre bagnole, piquée à son insu dans son garage. Il doit à présent répondre à des questions culturelles – il y a un prétexte culturel ! - et à chaque mauvaise réponse – le mec parfaitement affolé répond au hasard - un technicien – ça doit s'appeler comme ça, non ? - lui démolit une partie de sa voiture avec une masse : le pare-brise, puis les phares, puis les ailes, alouette, la portière et le toit.Le glorieux animateur, COLLIGNON HUMEURS CÉRÉBRALES

    ARS GERBANDI NAGUI 42 04 07 12

     

     

     

    Nagui donc, réfrène les ardeurs démolisseuses de son acolyte, parce que tout de même on va la lui réparer, sa bagnole qu'est-ce que vous croyez on n'est pas des barbares, pour les conneries il y en aura toujours, du pognon. D'accord, on n'est pas des barbares. Mais la barbarie consiste à filmer dans l'assistance à son insu la pauvre sœur de l'interrogé, et de la voir presque chialer à voir le véhicule de son frangin massacré à la masse sous ses yeux, pendant que le public se marre sadiquement. Que voulez-vous, le peuple est attaché à sa bagnole, parce que ce ne sont pas des gens fortunés qui participent à ce genre de jeu, et moi aussi je tiens à ma guinde – même si pour finir le candidat gagne une superbe caravane.

    Troisième jeu : un couple de chômeurs bien paumé se voit proposer un voyage à Djerba (symbole de la prostitution touristique tunisienne). Là encore il faut répondre à une profusion de question ahurissantes (date exacte de l'indépendance tunisienne...) - et si l'on perd, c'est un membre du public tiré au sort qui gagne à votre place.

    Nos deux chômedus, affolés par les hurlements sadique du public, ont perdu, et se sont vu pousser en coulisses avec un ciré pour passer un week-end sous le soleil de Thiais, en banlieue. Et savez-vous qui fut tiré au sort dans le public ? tout le public, avec deux charters. Tout le monde s'est embrassé en dansant. Quelle tête faisaient les deux chômeurs qui avaient mis leurs habits du dimanche pôur participer aux jeux ? Pourquoi ne les a-t-on pas montrés en train de chialer, les pauvres cons de chômeurs seuls exclus du vioyage ? Est-il bien sûr qu'on soit venu leur dire "Ne pleurez pas, on vous fait partir avec les aures" ?

    Le spectacle continue.Voici un couple. On annonce à l'homme qu'il va devoir recconnaître, les yeux bandés, seulement les yeux admirez la finesse, quatre de ses anciennes peites amise qui siègeront sur de hauts tabourets. Il ne doit ni les voir ni entendre le son de leurs voix. En revanche il peut les tâter, et les flairer. Et c'est ce qu'il fait ! Il touche les épaules; au plus près possible de la poitrine, les genoux, il sniffe les cheveux, non, le public ne crie pas "plus bas, plus bas" mais ça s'entend quand même. Tête des filles effleurées et flairées, certaines encore amoureuses, une autre amusée, une autre horrifiée,

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    croisant bras et jambes, car on ne lui avait pas dit que ça se passerait comme ça.

    Tête de l'épouse légitime, qui murmure au présentateur Tout de même, je suis un peu gênée,gênée pour les autres femmes, cela vous honore, mad

    ame, même si vous étiez de loin la plus moche du lot, parce que vous avez du cœur, vous...

    Une scène tournante amène sur le plateau le salon entier d'un célibatère au crâne rasé, l'air tendre d'un parachutiste angolais. On lui a enlevé son salon. Il en bée. Un jeune homme de bonne famille doit fouiller dans ce salon et trouver une enveloppe contenant le code, et non pas le queaude bande de nazes, d'un coffre, contenant à son tour un beau chèque.

    Le jeune homme, en bousculant toute la bonne ordonnance du salon de beauf, trouve enfin l'enveloppe 27 secondes avant la fin. Au tour du beauf rasé. Il y va au couteau, le salaud ! Dans le salon des jeunes gens ! Ramené ici ! Il éventre le canapé, les coussins, pendant qu'on filme le jeune homme et sa compagne en train de sangloter de voir tout son bel intérieur éventré !

    Le beauf a gagné, parce qu'à lui, il restait encore 35 secondes. Il se rue sur le coffre, s'embrouille dans la combinaisonc en bavant comme un porc sur sa truie, et trouve un chèque de 2000F. Croyez-vous qu'il remerie ? Que nenni, il éructe :

    " C'est tout ? "

    Bien fait pour la gueule de ceux qui posent leur candidature pour assister, voire participer à ce genre de jeu, ils savent ce qu'ils risquent, il y a de l'argent à la clef, eh bien non, pour la dignité humaine, vous ne devez pas venir, ni être candidats, parce que le sentiment de la dingnité humaine, on a mis des siècles

    à l'élaborer, ça s'appelle peut-être les Droits de l'homme, et des connards nous le font perdre, parce que je n'ai pas arrêté de rigoler comme une baleine, faut pas être fier.

    Et savez-vous quel est le seul argument que m'a fourni une jeune femme pour me dire que cette émission était particulièrement conne ?

    ..."C'est vraiment la meilleure émission de jeux que je connaisse, parce que vraiment on rigole bien, mais j'ai arrêté de la regarder parce que ça ne se renouvelle pas beaucoup".

    ...En toute fin, Nagui s'est rapproché en gros plan : "...Ils vous ont plus nos acteurs ? - eh merde...

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    ARLETTE, CHAMBORD ET LE CANARD 42 04 14 14

     

     

    Quarante ou quelques pour cent d'indécis encore en cette obsédante et insignifiante campagne présidentielle. J'en connais en effet qui hésite entre Chirac et Jospin.

    Or j'ai eu l'occasion d'observer, in vivo, c'est-à-dire sur moi-même, avec cette acuité qui me caractérise, les véritables et minables coups d'épingle qui déterminent le choix.

    Fidèle de Laguillier, malgré comme on dit ses "grands soirs sans lendemains", en dépit de ceux qui la présentent comme un prête-nom de futurs Pol-Pot et Thieu-Sampan, et bien que son programme soit rigoureusement inapplicable, ou pour cette raison même, je me préparais non sans profonds soupirs à glisser dans l'une mon bulletin arlettophile.

    Re-or, au Bébête-Show, je vois un soir une vieille souris déplumée qui proclame les bienfaits de l'autogestion : quoi ? Il faudrait que je m'occupasse, fût-ce à temps partiels, de la gestion de mon établissement ? Ô tâche ingrate, indigne de mes hautes facultés, tâche ultra-chiante, alors qu'il y a des chefs compétents qui m'en déchargent et se déchargent dans mon cul ?

    Donc, par honneur, et par utilité, je vote Jospin.

    Quoi ! me dit alors (c'est Le Meunier, son Fils et l'Âne) me dit alors, dis-je, le mari de la meilleure amie de ma femme (on a les références qu'on peut), ne vaudrait-il pas mieux, plutôt que de voir Jospin au second tour, ce qui réduirait le scrutin au désuet affrontement gauche-droite qui est dépassé comme chacun sait, lancer l'un contre l'autre ces deux brontosaures de la droite, Chirac et Balladur ?

    Voilà qui serait instructif, et destructeur !

    Pour la France, je n'en doute pas, mais étant grand amateur de bordel, je vais donc de ce pas non plus voter utile et Jospin, mais revenir à Laguillier. Voilà, chers auditeurs et citoyens, selon quels reluisants critères se détermine le vote de ma reluisante personne – encore suis-je comme d'habitude le moins con et le plus modeste, pour être parvenu à saisir mes faibles neurones la main dans le sac à connerie.

    Et Chambord dans tout ça ? Aucun rapport ? Si. Les communistes de Venise en 1980 voulaient transformer Venise en musée, raser toutes ces constructions inutiles et

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    ARLETTE, CHAMBORD ET LE CANARD 42 04 14 15

     

     

     

    condamnées, en ne conservant que les plus beaux palais. Ils me rappellent ceux qui voulaient supprimer les toits d'ardoises en Touraine pour y placer des logements sociaux supplémentaires en terrasses.

    Alors, peut-être qu'Arlette serait d'accord pour transformer Chambord en champ de foire, afin que "les habitants de la région bénéficient eux aussi des retombées économiques entraînées par des centaines de milliers de visiteurs qui visitent et puis s'en vont" : un Disney-Vinciland aux portes de Chambord, ce serait rentable, non ?

    Eh bien non. Je veux que Chambord demeure isolé dans sa forêt. Cette affaire me rappelle aussi celle de Bonaguil, dans le Lot-et-Garonne : des petits futés voulaient recueillir un lac artificiel autour dudit château, et y faire flotter des planches à voile et des pédalos. Projet refusé, ouf.

    Que croyez-vous qu'ils réclamassent, les ploucs des alentours ? Des indemnités pour le manque à gagner que l'annulation de ce beau projet impliquait pour leur porte-monnaie !

    Dans le cul les pecquenods, jusqu'au fer de la fourche. Non mais ! Comme disait un député des Deux-Sèvres :

    "Mais non ! Les paysans du Marais Poitevin ne souhaitent pas la disparition du patrimoine écologique de leur région ! Ils l'aiment, leur région ! Puisqu'ils y habitent !" Ben voyons ! c'est mêmle pour ça qu'ils remblaient leurs canaux et qu'ils y foutent du pesticide par infiltrations, mais ce n'est pas pour les éliminer ! C'est parce qu'il faut bien qu'ils gagnent de l'argent avec leurs terres ! On conservera juste deux-trois canaux pour le tourisme !

    Électeurs de goche, il faut bien vous y faie : les cultivateurs n'en ont rien à foutre, de la culture. Prêts à vendre des frites à Chambord pourvu que ça rapporte. "Les retombées économiques", on vous dit. Comme disait le marquis de Montesquiou : "Je n'aime pas les pauvres. Ces gens-là ne pensent qu'à l'argent". Et cet autre, un samedi soir : "Il leur reste toujours assez d'argent pour boire !" - c'était notre parenthèse malsaine "un coup à gauche, un coup à droite".

    Et Le Canard, dans tout ça ? Le Canard vient d'être condamné pour publication de feuille d'impôts. Il disait, pour l'invasion de la Tchécoslovaquie après le Printemps de Prague, sous le titre

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    ARLETTE, CHAMBORD ET LE CANARD 42 04 14 16

     

     

     

    "Carnets tchèques" (très drôle), en substance : "À partir du moment où un gouvernement, quel qu'il soit, s'arroge le doit d'interdire un journal quel qu'il soit, votre premier devoir, n'eussiez-vous que le prix dudit journal en poche, est de vous précipiter vers le premier kiosque à journaux venu et de l'acheter". Jen excepterais personnellement le Völkische Beobachter et autres. Mais pour le Canard, aucu Monsieur, aucu Madame, aucune hésitation, achetez le Canard, soutenez le Canard, abonnez-vous au Canard.

    Dernier soutien de la démocratie, amour sacré de la Liberté, Canard, ris pour nous.

    Rempart du peuple, temple de l'information, conçu sans pub, ris pour nous.

    Chœur sacré du Canard, ris pour nous.

    Car ils ont oublié, ces gros sénateurs, que la révolution de 1830, celle des Trois Glorieuses, celle à qui doit son nom le Cours du XXX Juillet à Boreaux, est née dans la fureur d'une simple et crétine série de décrets contre la liberté de la presse. À bas Charles X et Pasqua, à bas Louis-Philippe-Édouard, evviva Libertà.

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    Vive la France, Herr Le Pen, parfaitement, pas question que vous soyez le seul à pouvoir le crier, vive Jeanne d'Arc, héroïne de mon père pendant ses cours d'Histoire, la France et Jeanne que vous salissez toutes les deux dans votre crasseurs ignorance, non pas celle d'une hypothétique absence de diplômes, mais l'ignorance du cœur.

    "Vous n'avez pas le monopole du cœur", sauf du cœur du porc, qui est une bien brave bête, ni le monopole du patriotisme. Ce sont les gens de gauche, les syndicalistes, en piétinant le corps de Jaurès, qui sont allés défendre la partie de ma Lorraine sous la botte, bicots et nègres en tête, envoyés au front en octobre pour qu'il en crève le plus possible avant l'hiver : toujours ça de moins pour payer le retour en Afrique.

    En Quatorze-Dix-Huit, Herr Le Pen, trente mille juifs sont morts pour la France : faut-il qu'ils aient été hypocrites, tout de même, pour s'en aller crever dans les tranchées, c'était pour donner le change, ah les salauds.

    En 1429, quand Jeanne voulut "bouter les Anglais hors de France", ils étaient partout, les rosbifs, ils occupaient le sol, ils tenaient l'administration. Ils avaient proclamé un roi de France et d'Angleterre, Henri VI. Il a fallu les battre à Castillon pas loin d'ici, où est-ce que tu as vu, Jean-Marie, les Arabes à la tête du gouvernement, où les as-tu vus piller les campagnes à la tête de leurs armées ou violer nos filles par paquets de dix ? Il n'y a que la mauvaise foi ou l'ignorance la plus crasse qui aient pu te faire à ce point amalgamer des situations qui n'ont absolument rien à voir. Lutter contre l'intégrisme ce n'est pas balancer des petits épiciers à la Seine, c'est même le renforcer, imbécile.

    Ce serait même envoyer du pognon, parfaitement, du pognon français à l'Algérie pour qu'elle sorte de la misère et couper l'herbe sous le pied des islamistes qui favoriserait, si peu que ce soit, le retour là-bas de la démocratie. Et non pas les laisser se débrouiller genre "maintenant qu'ils ont voulu leur indépendance qu'ils se démerdent, et qu'ils se tuent entre eux le plus possible".

    Ce n'est pas ce que tu as dit plus haut, mais c'est ce que tu penses tout bas. Parce que sans la peur tu ne peux plus rien. Et la vraie France n'a pas peur. Et tu transformes la France ou voudrais la transformer, en ramassis de petits bourgeois branlants, de puceaux qui se chient dessous et en profs qui ferment les yeux quand le surgé vient faire le recensement des élèves étrangers classe par classe, tu veux voir la tête qu'ils faisaient, les élèves, après la visite du surgé ?

    VIVE LA FRANCE 42 05 04 18

     

     

     

    Ma France à moi c'est celle qui donne aux étrangers l'envie d'y rester, non pas seulement pour profiter des allocations familiales mais pour participer à la vie publique et se faire des amis chez les Visages Pâles.

    Ma France à moi c'est celle des Romains qui ont donné le droit de cité à toutes les tribus gauloises conquises, aux Grecs et aux Syriens, qui ont fait l'Europe pour la première fois. Seulement, plus personne n'étudie les bienfaits de la civilisation romaine, et, je vais lâcher le grand mot, de la colonisation romaine.

    Ta France à toi c'est le pays des salauds qui faisaient payer le verre de flotte aux familles qui fuyaient les nazis pendant l'exode. C'est le pays des gens qui voyaient l'étoile jaune aux revers des vestons et qui détournaient la tête au lieu de dire "Enlève ça, tu n'es pas du bétail".

    Bon sang ce serait difficile d'expliquer ce que j'entends par La France. Bleu blanc rouge pour vous Herr Le Pen, c'est le bleu du choléra, le blanc du mollard et le rouge des passages à tabac, face de fesses.

    Ma France à moi c'est celle de Proust, juif et pédé ; de Montaigne, juif et Portugais ; celle de Chopin le Polac, de Cavanna le Rital, de Bérégovoy l'Ukrainien, de Marie Curie née Sklodowska, de Tahar Ben Djelloun et de toutes les Algériennes qui crèvent pour la liberté.

    Enfermons Le Pen dans une cage et que tous les petits enfants de France viennent lui lancer des cacahuètes pourries... et sénégalaises.

    COLLIGNON "HUMEURS CÉRÉBRALES"

    EN CE BEAU JOUR DU SEIGNEUR 43 03 10 19

     

     

     

    C'est le jour du Seigneur mes frères et mes ouailles, Seigneur avec un e s'entend. Nous allons en foutre plein la gueule aux imbus et aux imbuvables. Et loi je reviens du théâtre où je me suis voluptueusement fait trembler voire chier à jouer successivement un mari impuissant et un bourreau qui brûle la femme de l'impuissant – comme disait Guitry, "mesdames, il est bien plus facile de rester la bouche ouverte que le bras tendu" – bref j'ai eu le trac et non pas le tract, je vosu raconte ma vie. Et comme la troupe a eu des embrouilles avec le proprio de la salle, je vais donc me déchaîner contre les propriétaires, hissant ma misérable individualité portative .

    au niveau de l'exemplarité.

    C'est fou ce que la moindre responsabilité peut transformer un brave type en salaud.

    Adoncques, notre Propriétaire de Salle acceptait de nous la prêter, à nous autres. Pour tel week-end. Puis non, finalement, pour tel autre – et réfection faite, pour tel autre, parce qu'il fallait consulter la Reine-Mère, parce qu'il y avait un déménagement à telle date, pardon à telle autre – en fait, le mot qui gênait c'était "prêter", bon sang mais c'est bien sûr, comment n'avons-nous pas immédiatement pensé qu'une salle, ça ne se prête pas, ça se loue. Sous prétexte de frais d'électricité par exemple.

    Un chiffre fut lancé comme ça, par-dessus l'épaule, au dernier momen de l'entretien. Puis-je faire observer que le patron de la troupe est au RMI, et que les autres sont de vilains avares. C'est vrai, il faut être humain avec les avares, comme disait Charlemagne – amis historiens, bonsoir.

    La ralité numro deux, c'était : "Chers amis, je détiens un petit pouvoir. Vosu dépendez de moi, haha. Nous allons donc vous démontrer que je suis supérieur, et que je peux vous tenir la dragée haute. Ma salle, vous l'aurez, voyons voyons, consultons notre petit carnet vide, le... le..." on s'en est passé, de ta salle, mon con, parce que réunir cinq amateurs le même jour à la même heure, ça ne peut pas se faire comme on pète.

    Parlons d'autre chose.

    Voilà une sacrée paye que vous m'attendez sur la violence à l'école – au diable l'unité d'inspiration. Un enseignant, un pépé quinqua bien requinqué par trente ans d'Éducation Nationale, ça doit avoir pas mal de choses à dégoiser. Eh bien je vais vous le faire : la violence à l'école, c'est bien fait pour leur gueule. Parce que ça ne remonte pas à la veille au soir. Simplement, et comme d'hab, les pourris de journalistes ont décrété que ça avait commencé le 18 octobre 1995 au journal

    COLLIGNON "HUMEURS CÉRÉBRALES" 43 03 10 20

    EN CE BEAU JOUR DU SEIGNEUR

     

     

     

    de vingt heures. Dans six semaines, ils diront "C'est terminé" – ils vous fourgueront de la Bolivie, de l'Alaska ou de la sexualité sur les coquillages de la Haute-Marne.

    Depuis plus de trente ans les profs se font chier dessus. Ma première année c'était 67/68 et je sais de quoi je parle, même si ça fait ancien combattant, morveux... J'ai donc commencé, gros Jean comme devant, à me plaindre de l'indiscipline dans mes classes. J'ai illico appris du groin de mon ivrogne de principal (mort l'année suivante et pas d'inanition) que c'était ma faute, et rien d'autre : "Il y a deux classes qui se tiennent mal dans l 'établissement, monsieur K., et ce sont les vôtres" – devant les élèves, naturellement – bref, j'étais trop "libre" avec eux – trop grossier, trop nègre et trop juif – tant qu'à faire... Comme disait un inspecteur (autre fléau) qui n'avait pomme de terre jamais foutu les pieds dans une classe depuis quinze ans, "l'indiscipline ça n'existe pas, vous devez les in-té-res-ser parfaitement les in-té-res-ser".

    Donc, si une pionne se fait dire "Tu me casses les couilles", c'est qu'elle ne sait pas se faire respecter – monsieur l'Inspecteur, je vous fous à quatre pattes sur mon bureau, je me bouche le nez et je vous encule – vous n 'aviez qu'à vous faire respecter spèc'eud'bâtard.

    Un enseignant apprend très vite à ne jamais se plaindre. Comme les femmes violées : c'est aussi leur faute. Ben voyons. Mais elles portent plainte – il n'y a pas plus de viols, qu'allez-vous chercher là ? il y a plus de plaintes, c'est ça le problème... Alors, maintenant, si j'entends mes collègues et tout le monde gueuler, je me frotte sadiquemen les mains :

    "Bien fait pour vos tronches. Si les principaux et autres directeurs n'avaient pas engueulé leur personnel au lieu de les soutenir, et ce, du haut en bas de la hiérarchie – tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, etc. Qu'est-ce que les collègues doivent être grossers ! ...J'avais trente ans d'avance... transformer les établissements en parkings... Virer les neuf dixièmes des profs... Fin de l'éducation obligatoire... Jamais les petites frappes n'oseront murmurer le dixième de ce qu'elles osent vomir sur un prof à un patron. Disons que c'est la faute des politicards et de la télé – OK ? Maintenant place à la connerie – à mon tour : on apprend pour savoir, et non pour savoir faire. Entrez-y donc dans la vie, puisque l'école c'est débile, gagnez-le donc votre hârgent et rotez-le dans tous les bars, et ne venez plus nous faire chier avec vos cris de bestiaux et vos concours de pets.

    C'est con, mais ça défoule. Et défense d'engendrer des fils de pute sans diplôme d'État. promptitude,dompteur,mont

    CATHOS SPÉCIEUX

     

     

     

    Décidément je les gnaque au cul, les curetons, je ne les lâche pas.

    Ma radio est mal réglée, j'attrape toujours sur ma présélection "Radio Chrétienne en France" et j'écoute, fasciné, répugné. J'entends ceci, sur un ton de profonde componction :

    "Mais non, Dieu n'a pas voulu punir Adam et Ève après leur horrible péché. Il a dit à l'homme "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front", et à la femme "Tu enfanteras dans la douleur" – mais c'est pas grave !

    "Ne comprenez-vous donc pas que Dieu accorde ainsi une chance infinie de participer à sa création, l'homme en travaillant, c'est-à-dire en augmentant la part des choses faites dans l'univers ? La femme en souffrant, c'est-à-dire en mettant au monde, même jeu, en se sentant pleinement responsable par a souffrance ? D'ailleurs l'homme souffre aussi dans son travail" – youpppiiii !

    Parce que dans le Paradis Terrestre, Dieu était tellement con qu'il avait créé des êtres qui ne participaient pas à sa Grandeur, dis donc. Ils étaient seulement parfaits, éternellement beaux, jeunes et immortels. Ça n'était pas participer de la nature, de la grandeur et de la créativité du Créateur ? C'était quoi, de la merde ?

    Il faut souffrir pour participer à Dieu ?

    Un peu plus tard, même émission (Voltaire, pour écraser l'infâme, connaissait la Bible sur le bout des doigts) :

    "Mon père, que signifie le jeûne pendant le Carême ?

    - Il signifie l'importance de notre foi. En effet, si le jeûne se prolongeait, nous mourrions, ce qui est bien la preuve que nous tenons à notre croyance au point de pouvoir éventuellement mourir pour elle.

    ...Je rêve ou c'est eux ? Que signifie cette façon de se servir de notre raison ? n'est-elle pas plutôt pour le croyant cette étincelle d'intelligence qui nous rend semblable à Dieu ?

    Voltaire évoquait ces musulmans très savants en toutes choses, médecine, astronomie, qui devaient croire sous peine d'excommunication que la lune, tous les mois, rentrait dans la manche de Mahomet et finissait par en ressortir, petit à petit, quartier par quartier. Et ce brave savant se mettait à le croire, par superstition !

    Ça ne vaut pas ces braves couillons diplômés, architectes, chirurgiens, paraît-il instruits, qui se demandent au téléphone si après leur mort ils se réincarneront sur Mars ou sur Vénus, et su par

    COLLIGNON "HUMEURS CÉRÉBRALES" 43 04 07 22

    CATHOS SPÉCIEUX

     

     

     

    hasard ils ne seront pas jugés dignes de se faire envoyer sur Sirius ? ...vous allez vous griller les poils du cul bande de macchabes. Poursuivons, toujours aussi con : la Vache Folle. Dès que je tourne un bouton qui n'est pas celui de ma femme je tombe sur des raisonneurs bouseux ; il faudrai donc abattre les chiens, ces transvecteurs de puces qui pourraient donner la peste à un quart d'humain ?

    Il est éminemment certain qu'un quart d'humains vaut infiniment plus que dix millions de chiens.

    Je vais vous en donner, des cibles d'abattage, parce qu'il n'y a pas que les cerveaux qui se transforment en masses spongieuses : il y a aussi l'auditoire de Radio Chrétienne en France.

    N'oubliez pas, mes frères : chaque fois que surgit une catastrophe, c'est Dieu qui l'a voulue pour qu'il en résulte un plus grand bien autre part. Chaque fois qu'un méchant prospère yop-là boum, c'est pour être mieux puni plus tard. Et comme disait Chirac :

    - Vous tenez vraiment à devenir riche mon pauvre ami ? Ah, vous ne savez pas ce que c'est que le malheur d'être riche !"

    Et chaque fois que le brave homme est puni par sa vie de con, c'est que Dieu veut l'éprouver !

    Il est touchant, dans les bas de pages de Bible, de voir combien depuis des générations des escouades de moines exégètes s'efforcent de démontrer que Dieu n'a pas dit ce qu'il a dit, que les massacres bibliques sont à prendre comme des métaphores, que le sens apparent est justement le contraire du sens évident, bref, qu'on lit le contraire de ce qu'il faudrait lire, et si vous criez à l'imposture, sachez que la parole de Dieu est obscure exprèe, pour que n'importe qui ne puisse pas l'interpréter n'importe comment.

    Comme ça t'as toujours raison curé.

    Méfiez-vous, Jésus revient. J'espère que cette fois-ci on ne le ratera pas.

     

     

     

     

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    FOOTBALLEURS

     

     

     

    Amis footballeurs, bonsouaire !

    Alors c'est vous comme ça qui nous pourrissez depuis perpète la première de Sud Ouest avec vos tronches de débilos toujours prêts à s'entuber après chaque but devant le virage sud, c'est vous les gnoulbous du sud de la Loire que les Munichois prennent pour des macaques en cavale ?.

    Parce qiu'à München on se fout bien de votre quart de sous-coupe à perdre ou à gagner. Vous savez ce qu'ils ont dit, les Chleus ? Que d'une part ce n'était pas la première fois que la capitale de la Bavièrese retrouvait en finale, et qu'un coupc gagnée ou perdue de plus ou de moins ne leur agitait pas le bock.

    Que d'autre part la vie culturelle était assez intense à Munich ta mère pour qu'on ait autre chose à foutre que de s'occuper de foot. Aber, Fut tut gut ! Intraduisible autant qu'obscène.

    Bordeaux, ça fait Amérique du Sud, on se pile déjà la gueule pour avoir les places, les rigolos qui passent la nuit en sac de couchage devant les guichets ont déjà des tronches de cadavres piétinés, chef, pas besoin de jouer le match, les macchabées sont déjà là tout empaquetés tous livrés. Et pas un, commentait-on, pour se reculer quand la foule se pîétinait comme un gros tas de bœufs, pas un pour laisser passer les ceusses qui avaient obtenu leur billet, au cas où on les leur aurait fauchés. Il a fallu les évacuer par-dessus grilles piques en l'air !

    Plus beau qu'un concert de Johnny, man, mêle qu'il y en a eu pour piétiner une Deux-Chevaux, c'est sacré, les Deux-Chevaux.

    Après le massacre du Heysel, une vanne a couru la Belgique et la France : "Savéï-vous qu'il y a eu encore une fois 52 morts au Heysel ?

    - ...Ils ont recommencé ?

    - Oui, pour la reconstitution !"

    Foot, école du crime ?

    Moi, j'aime bien les foules – deuxième volet : si ce n'avait pas été si cher, je serais bien allé m'animaliser avec les autres. Les ovations entendues sur les ondes me montent les larmes aux lacrymales. Il paraît que c'est normal – réaction physiologique.

    Et puis réflexion faite, dans les foules je ne gueule pas les mêmes choses que les autres ni au même moment. Alors je sortirai à la Victoire, pour me soûler à la Leffe sans alcool...

    À propos de manif, pour vous montrer mes convictions : "Garçon ! Un rouge, comme mes

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    FOOTBALLEURS

     

     

     

    opinions !" - il me répond : "Quignon, poil au champignon ! " - je ne vais pas vous faire le coup du vieux Soixante-Huit, vous avez de l'artère, je ne vous parle que de Soixante-Quinze, aux derniers temps du Caudillo. Je gueule Muere Franco – juste à côté d'un vieux Républicain mal rasé vert olive et me corrige, d'un ton à rectifier les entrailles d'un cardinal : MUERA. Rien de te qu'une bonne manif pour réviser son subjonctif espagnol, hijo de puta y mierda de cabrón en palo que me cago en tu madre – voilà que devant les CRS en rang tous les antifrancos Smet à faira la chaîne. Rien de tel pour se faire gueuler la casse.

    On chante L'Internationale. Je braille avec conviction le premier couplet en levant le poing gauche, au deuxième je tends le poing droit dans l'enthousiasme le plus prolétarien et je me barre genre délire interprétatif sauve qui peut. Non poins lâches, mais de goche, les Gentils Organisateurs s'exclament : "Changement de stratégie ! On se disperse et on les sème ! Demi-tour !" La tête devient la queue, je prend sur la main gauche une bouel de plomb et je détale en perdant mes lunettes. Faut pas jouer les héros quand on est bigleux, et comme disait Pandrault Si j'avais un fils sous dialyse je ne le laisserais pas aller faire le con pendant la nuit, amis de Malik Oussekine bonsoir, et vive le foot.

     

     

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    SEPT MOINES

     

     

     

    Mon frère – il fuat mourir c'est ainsi que se saluent les Trappistes en latin Memento mori. Sept saints hommes sont morts dans des conditions atrices que je me refuse à imaginer crainte d'en jouir. Nulle intention de retrancher à la grandeur de leur sacrifice. Ni de ronfler les formules façon Guignol de TV. Quelques observations toutefois.

    D'une part l'Église s'est bien moins émue et moins encore mobilisée pour les milliers de massacrés par la clique à Pinochet ; pour les millions de victimes d'Adolf

     

     

  • HISPANIOLADES

     

     

    C O L L I G N O N

    H I S P A N I O L A D E S

    Merde en tube

    Collection de mes Deux

     

     

    Cette année-là, en plein été, tandis que pèse sur les abdomens l'implacable potée des bâfreries et autres tablées caniculaires, je décide de fuir : España por favor. Plutôt crever de chaud que de connerie humaine. Plein sud, tracer, foncer, la Grande Lande et la Chalosse entre eux et moi, mais avec moi tout seul, mes rites à moi et ma liturgie, tout calculé, tout chronométré. Prochaine à droite à 300 mètres et ne plus revenir : la France a le réseau routier le plus dense d'Europe, en Espagne on en verra plus que des autopistas et des drailles à moutons, caminos nacionales y de ovejas. C’est un pays comme ça. Arrêt en sortie de G., sale village, pas de panneaux, y a que moi de beau, des toits partout, des soues à porcs abandonnées qui puent, y a que moi de propre, y a que moi d’intelligent.

    Je tourne le dos à l’église Napoléon III Véritable, au volant je crie et chante et rate de peu le cul d’une bétaillère qui tourne et je me fous de ma propre gueule. Puis je descends. Sur la route toute droite, je m’assois pour lire : feuillage clair, vue limitée sur des broussailles. Le Rite me dit de tirer le Sophocle de ma poche, édition Budé bilingue, en prononciation démotique ça donne un pépiement d’oiseaux, et sous le texte, tout l’apparat critique : quinze cents vers d’Électre, « cett. » ceteri, « dett. » deteriores, « d’autres (manuscrits) », « défectueux », quand les syllabes me sautent en langue je rectifie, repartir à pied sur le bas-côté en sens inverse, bien à gauche pour voir en face. Toute une famille en pique-nique sur un sentier rouge entre les pins, pas de papiers gras ; plus tard plus loin petite allure un couple aventurier sexagénaire devant sa porte de caravane, vue sur la télé qui gueule, cinquante-et-un, Marne. À Pau je bouffe des pêches sur un banc près d’un sportif que je bêche. Fromage. À Laruns pour changer sa thune c’est file de gauche avec les frontaliers du cru, fesses qui transpirent et qui tombent comme les miennes, direction Pourtalet, Val Gallego, marché le long d’un lac de retenue sans photographier le petit village en pyramide rive gauche ne pas oublier que je fuis. Que je roule. Que je pense à moi. Que je marche en me trouvant le plus beau, la mère et la fille appuyées au parapet je remonte sur mon siège sans rien apprendre, juste un autre vallon 2km plus loin plus beau pas le temps de tout voir, comme le géologue qui carotte au pif. Sabiñanigo, contourner Huesca, repérer à l’écart de la ville – brique rouge et fenêtres à carreaux – l’Asile Psychiatrique Asilo Psiquiátrico et comment soigne-t-on les fous en Espagne ?

    Route de Sariñena. Tombée de la nuit. Déjà ces pans de ciels jaunes sur les pentes. La Almolda. Halte rapide sur esplanade caillouteuse. T rop tard : c’est l’orée d’un chantier d’autoroute,une bretelle ? - vent vif sud-ouest. Soleil rouge couchant sur les monticules, cavalcade immobile d’engins déserts. Vaste saignée en contrebas où je peux lire encore zanjas - « tranchées » ? ...de nuit,enseveli dans ce mille feuilles géologiques… Venus du sud deux cyclistes vers ce site suspect – en clignant des yeux je vois les premiers réverbères de B. que je prenais de loin pour des chenillements de véhicules immobilisés.

    Premier plateau de la province de Saragosse (César-Auguste). Fromage sec, sol rouge, cyclistes qui se parlent très vite en leur langue et repartent vers l’horizon, suivis, doublés aux premiers réverbères de Bujaraloz, arrêt au pied de l’Ayuntamiento – place minuscule très éclairée, au bar d’en face téléphone en Francia No Señor a Francia je l’ai fait exprès guignol ici El Tubio espagnol désastreux,premiers effarements de l’étranger face à l’indigène c’est réversible ne pas crier en roulant des yeux obtenir la communication Personne. Au fond du Tubio, Tubo, des vieux tapent le carton de toute éternité, l’un d’eux me désigne ¡ ès un original ! et baisse les yeux car ce mot est le même dans toutes les langues.

    Et debout au bar par dessus les têtes cerveza más por favor suivre les vociférations d’un vieux match aux couleurs baveuses. Plus d’enfants ni de chastes vierges aux culs moulés jusqu’au clito mais dans le dos, juste derrière, un vieux con hors d’âge qui fait glousser sa machine à sous – une hyène, très exactement une hyène - ¡ cerveza ! - bonne intonation cette fois parfaite indifférence de l’interlocuteur, par-fait. Rejoindre de nuit la crèche roulante près de l’église que barrent deux camions-remorques. Dormir ainsi recroquevillé après avoir tendu aux vitres des chiffons sauf côté pieds, corps allongé sous la coulée de (vague) lumière peut-être un cadavre. Se relever poour lâcher de l’eau dans un renoncement carré violemment fusillé d’électricité, se réveiller parmi les premières silhouettes au travail.

    Un peintre en bâtiment dresse sur le trottoir étroit son escabeau pour les lattes d’un battant de volet j’enjambe le siège passager puis je le redresse, d’où l’avantage de pouvoir instantanément conduire tout chaud tout crasseux. Juste rajuster le verre de lunettes coincé sous le cul donc trouver opticien urgence óptico vaste horizon d’Aragon sous la lumière rase du matin. Route élevée de trois

    mètres aussitôt quinze lieues de circonférence déployées Il est à peine huit heures et voici Caspe : bouquet de rues montantes, à droite de l’avenue que bloque un gros camion sur ses vérins. Une nacelle se soulève jusqu’au troisième étage. Ça trépigne, ça hurle, ça fusille les pifs de clebs à grandes rafales de fioul.

    Un titre en librairie : Compromeso. La couverture brochée montre les maisons basses d’une rue de là-haut, des corps tordus sur le sol, une femme qui s’enfuit en hurlant les deux mains sur la tête - de quel compromis s’agissait-il, comment se sont-ils crispés dans leurs silence, de quelle réconciliation a-t-il bien pu être question entre victimes réciproques et bourreaux des deux camps…(j’ignorais alors que ce Compromis confirma l’avènement des Trastamare en Aragon ; ce que c’est que l’ignorance…) - l’église d’où je sors où s’entrechoquent à peine assourdis les échos de métal torturé affiche sur son mur occidental une longue liste descendantes de morts gravés par ordre alphabétique, sur et sous les bras d’une croix creuse et nue, où se repère en tête le nom de José Primo de Rivera, fondateur de la Phalange.

    Montée en touriste à la Rue des Martyrs, asphaltée, nettoyée des cadavres. Redescente sans conscience vers le glapissement trépidant du chantier, achat d’un gâteau bourratif au boulanger du cru, qui me fait la gueule, me hace la boca, je le jure sur la tête à Franco, me pone cara, J’avale consciencieusement le pastel de Caspe, le gâteau de Caspe, aux tripes de rouges. Cara de gruñón. Jusqu’à la moindre dernière miette, et tant pis pour l’óptico, l’opticien qui n’ouvre qu’à neuf heures. Masatrigos. Pousser jusqu’à Muella. Devant l’église, trois tirs de mortier coup sur coup annonçant le feu d’artifice en plein jour, l’artificier guardia civil s’esquive à toute allure trois fois de suite l’échine basse sous le porche devant les vieux assis rigolards sous leur casquette.

    Je me prends dans l’oreille une déflagration de rythme surgie d’un bouge obscur dont la porte déborde de tout un paquet de jeunes serrés comme du pilchard collés sous le néon – insolente – absurde – magique : la móvida – banderoles – matin éclatant – rock y fiesta, casse-toi touriste, pêches à vendre pas de carte ici, « Rue de Teruel » à deux tranchées à pic, carretera 420 Alcañiz o Tarragona ? « Ciudad romana » va pour Tarragone « tout ce qu’il faut absolument connaître » - petit tor à pied d’un microvignoble entre ses murets de pierres, portefeuille perdu portefeuille retrouvé je suis en Alcañiz – changé d’avis. Le nom m’a plus. Garé coincé là-bas dans un virage comme une bite dans un trou de balle en plein soleil, bâfrant à même la portière ouverte deux pêches qui bavent, exploration.

    D’abord le Parador, point de vue occupé par l’hôtel, deux gonzesses accoudées sur la rampe qui donne abruptement, comme ça, sur une porte close, je les refrôle toutes les deux tout confus à la descente mais de quoi, même pas enlacées. Cathédrale, o-bli-ga-toire : appareil photo en rébellion. La photographe à son comptoir me touche de partout pour me parler, se passe les mains dans le manchon, me palpe l’appareil, je dis en espagnol que je suis un peu lent, no importa señor, de verdad, me répond dans le dos la clientèle en queue. La photographe me ramène sur le pas de la porte en me palpant du coude à l’épaule, indiquant l’artère salvatrice (¿ salvdora?) en direction de l’opticien : « Trois côte à côte ! Dans une avenue larga,larga, larga – prononcer [lar-ha], [lar-ha] cón mímicas tan expresivas, écarquillements d’yeux comme pour un débile.

    Sans donner suite à tant d’attouchements, qu’elle prodigue à d’autres après moi, sigo los pasos j’emboîte le pas de un viejecito (un petit vieux) – qui justement passe devant les opticiens « Attendez-moi là » me dit-il « 5mn àla banque » - si je le suce, combien ? - planté au croisement des rues piétonnières, j’observe l’incessant va-et-viens au pied du parvis en pente et je trace derrière le petit sexa qui trottine à perde haleine – rien d’embarrassant comme d’escorter ainsi son propre guide au pas gymnastique. Mon espagnol rudimentaire permet d’esquiver la conversation de politesse de rigueur essoufflée. Tous en chemin saluent mon cornac, à tous il répond en soulevant son chapeau comme un couvercle de bouilloire – tchip tchip tchip – et comme je lui demande s’il vit ici depuis longtemps – ¡ ès claro ! - il me plante en face des trois vitrines alignées.

    C’est une jeune lesbienne comme elles sont toutes qui me redresse en deux minutes ma petite branche mais autour de l’oreille, laquelle me cuit toujours vingt jours après : apretar veut dire serrer puis j’achète en vitrine un gros Atlas Routier bien épais tout en doubles pages de part et d’autre d’une spirale de plastique aussi blanc que malcommode comme tout ce qui n’est pas français de France t’as qu’à rester chez toi.

    En route pour de nouvelles aventures. Chaleur déjà pesante. Partout des panneaux VIÑAROZ où je veux parvenir avant toutes les plages à éviter à tout prix, j’étouffe en pleine campagne, c’est super, Puerte Torre Miró 1250m. Je roule souvent à plus de mille mètres. D’après ma carte d’un autre monde, c’est donc le Más del Cap que j’ai visité, ou del Barranc – Via pecuaria c’est ATTENTION TROUPEAUX calqué sur le latin : une draille de gros cailloux qui me descend droit dessus. Devant le petit bois de pins qui susurre sous le vent j’ai regretté de n’avoir pas emporté le Sophocle, mais une carcasse de bagnole bleue me ranime le sang : je me vois l’enflammer de nuit dans son ravin, plus un chien, petit, pelé, jaune et misérable.

    Je le prends en photo. Voilée. Quand je m’éloigne, il me rappelle à lui. Je reviens sans eau ni salive, mitraille les pierres sèches et la cabane creuse en tombeau, la charrue et l’angle du mur, le chien encore, hirsute : « C’est tout ce que je peux faire pour toi ». Il garde un grand portail de bois neuf au milieu d’un pan de mur pourri, qu’un coup de poing descendrait. En partant je me retourne : c’est une vraie voiture humaine qui stoppe devant le bâtiment neuf d’à côté que je n’ai voulu ni voir ni décrire, le tout déjà rapetissé dans le lointain ; ni le chien ni la porte neuve n’avaient été abandonnés, j’ai toujours évité les humains. Ne jamais voir personne, autrement pourquoi voyager.

    Sauf ceux qui me vendent à boire et à manger. Ou des pellicules argentiques. Ou le lit pour la nuit. Morella. Clichés de murailles aussi flous qu’ailleurs. Étouffant sans vent, bonne bifurcation, les arcades de San Mateu, boisson, les jeunes que je suis – movida movida – les vieux que je cherche, tout en catalan – finales -áts pour -ádos. Dans l’église, touché l’harmonium frais, les vieux à casquettes sans décoller du banc de bois pour m’entendre. L’autochtone s’identifie à son falzar crème crade qu’il n’abandonne jamais sous canicule, à son indécrottable et morne incuriosité.

    Plein pot plein sud. Brûlant. Rien n’ouvre avant 18h. Je m’emmène avec moi. Au rebours de tous. Catalans, Valenciens, tous m’emmerdent. Tout au long de la route et jusqu’à Elx ! [Elche…] - les panneaux arborent de gros barbouillages où les Gens-du-Pays tiennent à rectifier le moindre signe diacritique. Jusqu’à transformer le « c » en « k » : Kreatividad  ! Ah mais ! ¡ Filólogo, si Senyor ! À Castello même : rien à voir. Je réussis même un numéro : l’humain externe enfin ravalé au rang de Simple Fournisseur ; se montrer revêche à  l’égard d’une jeune femme en short jusqu’à la moule, tout de même, c’est un exploit – voyager ne change rien, de rien : voici donc ce magasin de photocopie, climatisé. Enfin mes cuisses au frais. Je me compose une gueule particulièrement rogue.

    Une affiche intérieure publicise pour un Centre Culturel français. Je tends mes feuilles non pas à la séduisante et sexy Señoita Equis (« ikse ») mais à la simple employée qui veut se foutre de ma gueule en me réduisant à une simple érection et en plus tu banderas pas na-na-nère. Parfaitement. String dans la fente ou pas. J’ai le vagin qui bâille. Elle me tire la tronche à égalité : elle me sert, je la paie. C’est qu’on n’est pas des objets sexuels nous autres. Qu’est-ce que tu crois ? J’allais tout de même pas soulever ma viande pour ta fendasse ! C’est ton refus qui nous offense. Comme l’enfant dont on capte la confiance, qui rigole, et qu’on fusille d’un coup de pistolet dans le crâne. Une femme ne peut pas comprendre ça.

    Ne pourra jamais le comprendre. Cracher sur le désir d’autrui. Ici : rapport hygiénique. Hiérarchique. Où chacun voit bien en face la faute à ne pas commettre. Je ressors. Tout fier. Je lui ai bien fait voir qui j’étais. Un homme. Voyagez ! Voyagez ! Enrichissez vos contacts humains. Et la chaleur qui vous retombe dessus de partout. Même sur les cuisses. Villareal. Nules. Camions. Camions. Sagonte - ¡ Sagunt ! « Luxemb(o)urg sur les panneaux belges, le (o) entre parenthèses ! Salut connerie des nations ! ...C’est de Sagonte qu’est parti Hannibal, pour conquérir l’Italie. Juste au pied de la butte, une haute structure, en hémicycle, exhibe sous verre épais un petit millier de débris certifiés romains.

    Une fois gravie la pente bien raide, je me suis retourné pour embrasser du regard toutes ces rognures, ces rogatons fossilisés dans leurs petite niches vitrées à ras de muraille. Poignant. Ces autres ruines devant moi ne sont riches que d’une autre histoire : ni romaine, ni punique. Cinquante pas encore de montée entre les cigales, reste une demi-heure avant la fermeture – deux ados maghrébins devant moi visitent trois siècles étalés sur la crête, et je m’épuise aussi, plan touristique en main, à chercher partout à ras du sol une Ciudad Historica bien hypothétique. Or la Cité Historique, la vraie, ce serait bien plutôt Sagonte elle-même, au bas de la pente, que je contourne, avec ses ruelles tortueuses, barrées de chaises de mémés : car ce sont leurs rues, à elles seules.

    Quant au Forum de Sagonte, ce n’était donc plus que ce petit parking à trois places, trente pieds de long, haut-parleurs de rock – c’était pour ce stationnement de 100m² que Romains et Carthaginois s’étaient étripés vingt ans durant. Et moi, Nisard, voyageur bourgeois, je cherchais un terrain de camping. Après une conversation téléphonique et haletante avec Mafamm, j’éblouis la serveuse locale avec ma baratinación. Le camping, répondit-elle, se trouve au Grao, terrain du Canet (on ne prononce pas le « t »). J’ai d’abord longé, à pied, une vaste esplanade, grouillante à n’en plus pouvoir de tout ce que la jeunesse espagnole pouvait avoir de plus insolent, de plus puant et de plus jeune – la Movida – c’étit mieux sous Franco, me confiait un supérieur hiérarchique.Il s’élevait de cette multitude un intolérable nasillage de canard en escale. Les cercles de conversation se succédaient sans cesse, aussi violemment animés qu’imperméables les uns aux autres. Et partout le même étalage d’autosatisfaction, d’autocélébration décérébrée.

    Affublé de mon âge et de ma nationalité, j’ai soliloqué à mon tour en ma langue, sournois, dardant des doigts en douce. Puis reprenant à l’écart mon vieux véhicule, je me suis perdu dans les sens uniques et les indications confuses, au point d’effectuer entre deux interruptions de rambardes un demi-tour suicidaire sur quatre voies, et renseignements pris à quatre jeunes branleuses, dont la plus jeune me tutoya à travers son chewing-gum en moulinant des bras. Le terrain de camping fut atteint la nuit tombée, au bout d’une banlieue méthodiqu0ement saccagée : industries bidon, tôles, fondations abandonnées – tout était bondé. On ne voit pas la mer. Je joue l’aimable, délibère, déblatère.

    L’écran affiche capacidad maximum traspasada – effacé d’un clic – et me voici tant bien que mal coincé entre une grosse tente et la porte grillagée du hangar de secours. Demain j’enlève la crasse. Le camp où je marche regorge de Vanencianos entassés sous la toile à 34 bornes de chez eux. Tous insolents, cacardant, vivaces. Caravanes et télé couleur. On n’avait pas ça sous le Generalísimo Francisco Franco, caudillo de España por la gracia de Dios. Je contourne à tout prix deux voitures françaises. Direction la mer non sans mal. Ce n'est pas à Sagonte que la plage sera débétonnée. HLM HLM HLM. NE PAS DEMANDER DE QUEL CÔTÉ LA MER, PLUTÔT CREVER.

    La haine de l'humour naquit un jour de la timidité.

    J'arpente des hectomètres de laideur, ponctués d'affiches noir et blanc d'un festival de cinéma gore – Entrailles Sanglantes – Entrañas Sangrientas



     

    Trois tours carrées de douze étages. Trente-six étages plantés sur le sable tout déchiquetés de lumières en triple Titanic toutes fenêtres ouvertes à cacarder en espagnol comme des oies en batteries dans les relents de friteuses. Bouffées d’olive et de graillou. Et traversé tout le lotissement de prolos je me retrouve en pleine fête foraine avec les frites et les morveux qui courent. Alors seulement j’ai demandé la mer : « De l’autre côté de la plage ! ¡ al otro lado de la playa ! - tel quel ! - et je l’ai vue enfin, délaissée, digne, déserte - après un long chemin de caillebotis : l’heure du bronzage utilitaire était passée, je suis resté seul – talons trempés, accomplissant le rite ; l’eau s’abattait par boucles sur mes pieds - mais à 20 pas de là, dans l'argent terni de l'écume, dans ce sourire, commençait la mort, et je suis resté là sans émotion, par nécessité, comme devant la tombe d'un inconnu. Puis j'ai tourné le dos pour rejoindre ma boîte en tôle, au campement. Lelendemain matin, le gérant refoulait une immense caravane italienne, reculant gauchement sur la voie parmi les cris étranglés du guidage, et j'ai pensé comprendre, avec ces riches Italiens drapés de hauteur, qu'on les aimait bien peu en Hispanie – en vérité je n'en sais rien. J'ai repris ma route au sud, manquant de peu me faire écharper dans l'angle mort : à 8h pile, sortant d'une interminable oliveraie aux sentiers perpendiculaires, goudron coupé net de part et d'autre des canaux d'irrigation interdisant tout demi-tour, j'ai buté net sur quatre voies de fous furieux de la ferraille roulante, et j'ai brûlé le stop sous les roues d'un 18t.

    Acculé j'étais sur le bas-côté dans un hurlement de klaxon, la mort qui défile à trois centimètres, terrible, au ralenti, ras la peau. De Sagonte à Valence règnent ainsi des trois-quatre voies surchargées de dingues à 4 roues, sans la moindre trouée vers la mer.Valencia s'annonce par d'immondes monceaux de blockhaus kaki mauves caca d'oie pistache-citron à faire vomir une couille, juste avant la Puerta dels Forns et el Centre Històric en catalan. Photographie sans pellicule (je l'ignore encore) d'une longue, longue chienne maigre tétant l'eau d'un robinet sous le egard torve de son maître. Je me perds à 10h sous le cagnard qui tue, le long d'interminables fondations allignées où grouille en contrebas sur les remblais une foule de chats non stérilisés – Valence, 720000 âmes.

    À ma première banque je me coince dans le sas, à la deuxième on se fout de ma gueule à tous les guichets, la troisième enfin m'accueille en français sans accent, prof au chômage car c'est l'anglais qu'il faut apprendre. J'attends impatiemment l'arabe et le chinois. "Ce que vous faites est aussis très utile". Parfois les consolations démolissent encore plus. Elle me renvoie "dehors, au caissier automatique"- je n'ose pas corriger. Plus tard en ville, engloutissant un énormes sandwich aux frites, je suis fraîchement abordé par un Roumain réfugié, soigneusement vêtu. J'offre 100 pesetas, il en faut mille pour passer la nuit – il montre avec humeur la liasse qui dépasse de mon portefeuille - je l 'envoie chier en mâchant, sans bras d'honneur – avarice, prudence et lâcheté - codicia, prudencia y cobardía – ou mieux, en roumain, lăcomie, prudență și lașitate. Rien à Valence. Mauvaise humeur et canicule - mal humor y ola de calor. Je veux le Sud.

    Il faut foncer. Le plus vulgairement possible. Éviter, ne rien voir. Contourner Benifaió-Algemes, et subir l’expiation : toute une heure coincé dans la laideur en briques d’Alzira, centre du monde pour les Alciñeros - puis à Carcaixant (« Carcassonne »), Xativa ou Jativa, puis les directions Alicant/ Alacant - ¿ pero dónde hablamos español ?J’ai crevé de chaud sur les boulevards d’Alcoy, ça m’a fait un bien fou. Observant en contrebas le clocher-coupole d’émail bleu. Un chien, littéralement fou de faim, m’arrache sous les roues une atroce charogne imprégnée d’asphalte. .Avant que j’aie osé lui lancer mon fromage, il a détalé dans la circulation. D’un coup c’est la campagne comme un terrain vague : qui vit là et de quoi ? - un bar ! perdu dans la rocaille horizontale, trois arbres – bondé à crever, venus d’où ? poussant la porte je reçois une bordée de hurlements féroces, couvrant les vociférations de la télé plus le juke-box mis à fond. J’écris sur le zinc une carte postale en français. Le patron m’aborde je m’appelle crie-t-il Agusto Policarpe ; j’ai suivi mes parents dans l’Aude pour fuir Franco ». Scolarisé jusqu’à neuf ans puis revenu chez lui, repart en France chaque année pour vendanger quinze années de suite.

    Il me tend de sous le comptoir une liasse de d’où ressort un droit de retraite dérisoire – à moins qu’il ne touche à 65 ans sa pension intégrale – je n’en ai que 62 quel bonheur pour lui de parler français. Les clients l’admirent dans le tumulte. Je lui apprends que son patronyme, Policarpe, signifie « qui porte beaucoup de fruits », « qui a beaucoup de profits ». Ravi d’apprendre, si tard dans sa vie, ce que signifie ce nom ; il pensait jusqu’ici que cela voulait dire « Un homme », «Untel », « Fulano » - Polycarpe ? c’est le nom d’un homme – certes ; mais que signifie, ô crétinissime informateur, le nom de cet homme ? « Celui qui en profite » - El, que aproveche – il reprend, répète avec enthousiasme – el, que aproveche, ses yeux brillent.

    Il retournera dès que possible à Carcassonne, en France, éclaircir les arcanes des formulaires. J’achève ma carte postale au sein du vacarme ; Quand je lui échappe, Polycarpe  me rejoint sur le parking où je lis, toutes vitres ouvertes, Eschyle à haute voix : « Vous oubliez votre bouteille d’eau ! - je ne vous la fais pas payer ».

    ...Route d’Alicante. Puerto de la Carrasqueta. Heure de la pause. Derniers soubresauts de lacets descendants. Arrêt sur une vire, à l’ombre de justesse. Ici encore, photographies sans pellicule… Un bar silencieux. Devant le seuil un distributeur de batatas fritas. Le sachet qui se bloque, la patronne et sa fille rajoutent deux pièces, tout dégringole, un bon goût naturel d’épluchures et de terre, je ne bois rien. Descente des derniers zigzags, soleil et goudron, maisons ordinaires àune près, vaguement mudejar, soixante secondes d’arrêt, je ramasse sur la chaussée des cartes routières – batatas : une langue d’enfants – je veux éviter Alicante, déjà vue – trente ans plus tôt – je ne me souviens que de la silhouette du fort de la Sainte-Barbe – Santa Bárbara – dominant le jardin du grand-père – jardín del abuelo « laissez-le – il est fou – il est tuberculeux » il est vieux – il vivait là dans sa cabane - ¡ holá viejo ! - tout au fond, « à l’escale, venez nous voir »- el señorito Cuesta, élève de mon père, y passait les vacances en famille.

    Et comme il avait 13 ans, moi-même alors âgé de 17 ans – un gouffre – je m’étais copieusement emmerdé entre père et mère. En ville ma mère ne cesse de râler, mais quand le cessa-t-elle… Mon père s’est retourné tout d’une pièce sur un fauteuil roulant, comme sur une curiosité naturelle. Plus loin, c‘est un nabot boiteux qui m’exhibe son doigt tiré de sa propre braguette ; tel père tel fils. Un grand nombre de Pieds-Noirs se sont exilés ici, rapatriés pas le général Franco, et non par les Français… Trois de ces rescapés se sont fait menotter en terrasse, pour avoir mal parlé de leur bienfaiteur : beaucoup de guardias civiles connaissent parfaitement la langue française… j’entends parler ma langue autant que l’espagnol. Me voici épuisé dans des rues rebattues.

    Jacques,violon,violent

    Sur une place en contrebas deux gouines punks flamboyantes boivent à la canette en plein cagnard, si je les flashe elles vont m’engueuler. Ça rend fou, la branlette. Jamais je ne guérirai de ma connerie. À pied vers le front de mer, Paseo de Playa. Palmiers, marchands de glaces (¡helados!) et viejecitos, petits vieux, sur les bancs.

    Mosaïques de trompe-l’œil sur les trottoirs, en vagues miroitant dans le vertige. Plage comble, du parapet jusqu’au rivage, en pleine ville, c’est ce que j’ai vu de plus impersonnel et de plus moche – et ce quartier remontant contre le fort, cette ruelle barrée à la lettre par des chaises à vieilles – ¿ Avenida Castañero por favor ? - je retrouve mon char et roule vers Elche (¡Elx!) hurlant de joie et de canicule au volant, douleur et passion de vivre, soleil couchant et hurlements de fille, si belle et si forte ma vie filant dans le rétro et ceux qui me croisent se mettent à rire. L’espace se comble et j’atteins le rond-point d’entrée où trône cent fois grossie la Dama de Elche aux extraordinaires armatures.

    À vingt heures plein jour encore et fournaise, tandis qu’à ma rencontre sur le trottoir même viennent les familles endimanchées luisant de brillantine, fillettes exhibées dans leurs éclatantes confiseries vestimentaires. En bas s’embranche un cul-de-sac blanc de chaux où roucoule un ténor de zarzuela que l’assistance applaudit à grand-peine malgré les gueulantes au loukoum d’une présentatrice. Le chœur de fillettes faiblardes qui lui succède obtient en revanche une explosion ovationnelle. Les gamines enrubannées retardataires entraînent leurs parents qui se trébuchent l’un sur l’autre dans leurs beaux habits parfumés. Des portières claquent sourdement. Par mes vitres baissées je marque les rythmes sur la tôle, suivant du regard les couples enlacée, l’homme trop grand déhanché biais contre les fesses de sa femme.

    La recherche d’un gîte nocturne prend des allures de jeu de piste  ¡huerta del Cura ! ous le répètent, « jardin du Curé », je tourne en rond dans la ville envahie peu à peu de fête, foules, flics, rues barrée, fruits confits à bouts de bras - « Première à droite au fond, tournez » - me crient près d’un terrain vague deux filles de 13 ans, short à ras du poil, protégées par l’inconscience et la panique, tendant la main qui guide en rigolant – ne plus compter que sur mes yeux, tout ce qui me reste… je tourne en rond… le haut de la ville, puis le bas successivement indiqués por d’autres indigènes – les flics embarquent un clodo à l’arrière d’un break, matraque souple sur le crâne et bien solide, injures et menottes au mec très rouge avec la barbe de 5 jours (voix pâteuse et dents gâtées rien ne manque) ses yeux bouffis comme aspergés d’insecticide, l’ambiance est à la fête, bientôt 41 blessés dans une émeute ENFIN la palmeraie.

    Aux murets blonds très ronds avec au pied des troncs un paillasson constant d’aiguilles mortes, comme des chiens très roux perdant leurs poils. Puis le camping de luxe vide aux bornes électriques orphelines. Le tenancier m’accueille bras ouverts au tarif minimum, je téléphone en France Longuement. Précipitamment. La nuit tombée sur la terrasse et 30mn avant concrétisation de la commande. Je lis Phocas de Jean Lorrain, quintescence évanescente avant Assassinat subtil – un tel contraste avec cette touffeur et la tension constante des pupilles alors qu’il suffirait de s’enlise. Alors éclate une bestiale échauffourée entre queutiers de billards qui roulent au sol en grappes.

    Mes quatre voisins Français de France accompagnés d’in vieux chow-chow tirent d’un coup le nez de leur messe basse Fais quelque chose dit l’épouse Et qu’est-ce que tu veux que j’aille foutre grogne l’homme tu ne vois pas combien ils sont déjà par terre à se taper dessus à se colleter comme on s’encule et deux qui se crochent par le cou pour mieux se fracasser contre les vitres et ça repart avec les loufiats de service J’en aile frisson de voir ça Y a pas assez de guerres faut qu’y se cognent comme des branques – baisables Françaises connes de Françaises – les branleurs se repointent bras-dessus bras-dessous Tu vois ce que tu m’as fait je saigne cara de coño ALORS ALORS triomphe l’Employé Français c’était bien la peine que j ‘aille me faire démolir je passe pour me coucher devant la tlé noir et blanc qui gueule en anglais dans le salon vide

    et sitôt rallongé dans ma caisse à roulettes je ressens physiquement les pulsations lointaines d’un tel vacarme comme d’un reporter sportif qui gueule sur fond de caisse claire que je me relève et gagne la grille – dont le vigile armé me laisse marcher devant lui huit cents mètres sur la route au jugé vers le tumulte La marche au canon Jean Meckert/Amila jusque dans une cour d’hôtel ouverte, où trois gueulards piétinent une grosse estrade sous les projos

    La eroína

    Que ilumina

    devant un grouillement fébrile – ne pas montrer mon short ni mon âge ça sent la baston plein pot partout sur des panneaux Aborto libre y grátis – Abolición de la policia y del ejercito – et de l’armée plus le Capitalismo nécessairement asesino (« contre tout racisme et xénophobie » s’il me repèrent Françaoui 48 ans sûr que je me fais tabasser au nom de la tolérance entre Espingoins de souche et contemporains. Dans le bordel je demande une bière mais il faut retirer Dieu sait quel ticket à je ne sais quel comptoir en bois de tout côté ça hurle alors pas de bière

    es total

    una maquina más

    para destruir

     

     

     

     

     

     

  • HAINES ENCLOSES

    COLLIGNON HARDT VANDEKEEN

    HAINES ENCLOSES

     

    AVANT-PROPOS

    Le vieil Adam, agenouillé de dos, pleure au fond de sa caverne. Son torse est nu, ses cheveux blancs sur les épaules. Il jette les bras au travers d'un brancard à même le sol. Je suis celui qui gis, pleuré par mon père, jambes brisées.

    Eve assise sur une pierre mâche indéfiniment du filament de viande. Elle parle à son maître à travers ses mâchoires serrées. Ils ont brisé les membres de ton fils. Ils nous ont relégués sous la voûte. Tel est le sort des traîtres.

    De mon brancard j'invoque le secours de l'Ange : « Gabriel délivre-moi d'eux, qui m'ont fait tant de mal.

        • Je te purifierai dit Gabriel.

          Depuis longtemps Caïn mon frère nous abandonna pour mesurer la face du monde – et l'ange nous mena au voisinage du désert de sel nommé Dasht-i-Kévir. Partis chercher de l'eau dans cette immensité, Adam ni Eve ne reparurent jamais ; je n'éprouvai ni haine ni remords. Gabriel qui sans cesse volait au-dessus de ma tête me dit :qu'ils seraient refondus au brasier pour de nouvelles incarnations.

    « Ta faute désormais » ajouta-t-il « pourra s'expier. Faute immense assurément, mais non plus péché ; tu ne sentiras plus au ventre cette morsure dégradante.  Relève-toi. » Je fus guéro, et l'ange fit sur mon front une onction de salive, de la largeur d'un pouce, et je fus transporté. Où étais-je ? L' Archange répondit : « A Tanger. Tu trouveras là-bas la Liberté, que les Grecs appellent Elefthéria. » Quand je me suis éveillé, les hommes sont venus m'arrêter.

     

    FIN DE L'AVANT-PROPOS

     

    CHAPITRE UN – LE CANCER DE LA GORGE

    Ils m'ont enfermé sous la terre. Le monde autour de moi. Kragen me hait profondément. Je ne puis le supporter cet homme que séparé de lui par une planche horizontale – l'échiquier. Häszlich signifie à la fois « laid » et « haïssable » ; ce sont les enfants qui assimilent le moche et le méchant – je suis un enfant allemand, ich bin ein deutsches Kind, depuis plus de cinquante ans. Quelques mots sur Kragen : il est grand, même assis, dans notre cellule. Son âge est le mien, il meurt lentement, mais survit, un trou au creux de la gorge : le souffle va et vient, la cicatrice autour de la canule palpite rouge et gris, sous l'ampoule disciplinaire et nue. C'est par ce trou qu'il renvoie la fumée que ses lèvres rongées, au-dessus du col, aspirent.

    Nous partageons la même pièce souterraine ; jadis notre patrie fut asservie par une race supérieure : ce peuple bien bâti, nous lui vouons une haine séculaire. C'est lui qui nous contraint à l'enfouissement. Et je n'ai rien commis, que de naître. « Mon temps, dit Kragen, est compté. » L'orifice respiratoire empeste l'iode et le goudron. Le sang. Kragen tire sur ses maïs aux embouts cartonnés, entre le pouce et l'index, et projette la main devant soi, d'un geste exaspéré ; la fumée lui sort par la bouche et le cou. De mon côté le mur souterrain reste nu – mon lit tout plat, ce bout de miroir au-dessus, la carte du Wisconsin. De son côté une profusion de petits meubles noirs, contournés, d'usage indécis, parmi lesquels titube sa carcasse cancéreuse.

    « Je dois choisir mon successeur » dit-il, je réponds « Tu as fait ton temps. » Il règne ici un manque total d'aération. Si j'étais autorisé à sortir, là-haut, en surface, je rapporterais de l'air, entre les plis de mes habits, entre mes paumes rapprochées qu'il viendrait laper.

    Permission

    Prochainement, je verrai le jour.

    Je tourne et retourne dans ma main le bristol d'invitation.

    INVITATION AU JOUR

    Qui peut dire ce qu'il en est d'un homme, et des pensées que vous levez en lui ?

    J'ai plu à Daniel Tag, le chef. Qui me convie très vite à sa table, « en vue d'adoption distinctive ». « Adoption » ? ...Deviendrais-je Présentateur ? Dissimulons... Kragen me voit... Je hume à grands traits l'odeur du bristol : un estuaire à marée basse – et sur l'imprimé, le secrétaire ou un enfant a gravé le carton d'un profond sillon de stylo bille. Kragen tousse. Le progrès de son mal entrave sa

    parole ; il m'accorde à présent de changer moi-même sa gaze. Je me retire ensuite, sous monpetit bout de miroir. Il n'existe pas le moindre Bordel dans ce royaume souterrain – où je me rendrais fréquemment, si j'avais l'argent : ce sont les seules relations que j'imagine avec les femmes – car mes passions vont aux hommes, seulement, jamais je ne m'y plierais. Croyant, mais non pratiquant.

    Je ne suis pas seul de cette espèce. Sans presque voir le soleil. L'invitation précise : Midi douze, aux Voiles. Ils sont venus me chercher. Kragen ne m'a pas regardé. Mes yeux n'ont pas été bandés. Je suis monté en surface par les voies naturelles. Parvenu sur le sable, humant à pleins poumons les effluves de la Seine - au loin passaient les voiles régatières – j'ai senti l'iode et la vase. Daniel Tag m'attendait : une longue table ovale ornée de têtes inconnues, vue par la véranda sur le Fleuve, auquel ma place réservée tourne le dos. Je résister à l'enivrement - ce grand air de vase et de vent ne dilue pas ma haine. Daniel Tag se lève à gauche en fond de table : « Par loi de succession, je vous demande d'accepter » - ici mon nom – je me lève et m'incline, ils me regardent tous en parlant d'autre chose. Daniel Tag poursuit d'un ton monocorde et nasal, j'entends « mérites », « Kragen », « état de santé ». S'il ne m'aime pas ce sera plus facile. Me rasseyant j'entends nommer juste à côté de moi Jérémie qui boit sa bière avec de gros yeux bruns et du ventre ; je ne suis plus sensible aux charmes des femmes, qui s'en croient toutes. J'éprouve une apaisante absence d'espoir. Une si éternelle jeunesse de l'homme, ce poids que nous acquérons tous lorsque la Mort à nous s'adosse : voilà comme il faut aime ; dans cette bouffée d'amour Dieu merci sans retour je trouverai prétexte à refonder ma vie, mon souffle, afin que de ma tête aveugle je refende les flots de mes haines. Tout au long de ce repas de fruits de mer je me suis efforcé de me mouvoir avec naturel, absorbant ce léger blanc d'huîtres sur la vase de l'air, mais à mon désespoir trop vite s'échappe mon corps et ma rapide ivresse attire l'attention de tous : mes amours sont malheureuses.

    Quelques bouffonneries radiophoniques m'auront sans doute acquis les faveurs de Daniel Tag. Sourire étiré de requin. Le miroir mural me renvoie les convives au fond du tain bruni, ballons flottants agitant les mâchoires et parlant – je m'arrange toujours, sous terre ou en surface, pour trouver, vis-à-vis, un miroir . A côté de Jérémie, je me laisse couler dans mes creux confortables, et je pousse en secret de petits cris de chien - progrès indéniables : j'étais naguère infiniment plus niais devant l'amour ; Jérémie tourne vers moi vitreux comme ceux des lions lorsqu'ils ont sailli, sa respiration est forte. Devant lui les canettes vides se tapissent à mesure demousse et de salive. J'oublie qu'aujourd'hui le Clan me reçoit, qu'il s'agit de ma seule et dernière chance – tandis que je m'épuise à gagner les yeux seuls de mon protecteur - sitôt dégrisé je devrai retourner à mes haines. Devant moi les huîtres que je gobe font de dérisoires pyramides. Boire encore. Le rythme de mon sang se brouille. Perceptions. Sentiments. Le véhicule qui passé le repas m'entraîne en ville emporte dans mon ivresse la résolution de ne rien attendre. En bas, sous la terre, nous ne connaissons pas les femmes ; c'est un trou permanent au creux de la poitrine - les femmes nous foutent à la porte, voilà – le dire comme ça.

    Daniel Tag pilote. Les Hommes de Surface et moi pénétrons dans les entrailles d'un immeuble. Un couloir sombre où donnent des portes opaques, étroites, cirées. Nous nous suivons à touche-touche sous les veilleuses. Tag, cheveux tirés laqués, pèse sur un bec-de-cane en bois. La réunion dans la pénombre tourne à la beuverie. Certains se déshabillent. Je m'en vais. Je suis arrêté.

     

    X

    Je suis conduit au troisième niveau d'un bâtiment de métal vert, au bas duquel règne et conspire Pomarès, portier, cerbère, œil torve et vitreux. Peau bilieuse : cancer de l'estomac. A présent prisonnier sur terre, prisonnier sous terre - non pas combat, mais condition. La ville s'appelle T. Le corridor d'entrée s'ouvre sur la rue par un vantail battant, vitré, vibrant sous le Vent d'Est : sept jours de file, à vos tempes, l'été, sans relâche, cette infinie tension métallique - le sirocco prend le relais à grandes charrois de sable roux. Les jours sans vent sont un four. Cent mètres de la mer et c'est le four. Sous le vantail battant mal appliqué le moindre souffle houle repoussant puis relâchant sans trêve au ras du sol les volants de caoutchouc dans lequel s'incruste le sable crissant, quand il ne file pas s'amonceler en tourbillons mourants jusqu'aux angles du fond.

    Le mur de gauche où s'ouvre l'accès aux cages supporte une longue rangée de boîtes aux lettres, paupières basses, bouches abandonnées ; celui de droite est plaqué de miroirs biseautés qu'écartèlent de gros clous plaqués or. Le bras qui pousse le battant interne déclenche une seconde grande aspiration qui suce l'âme. L'immeuble a pour non Baalbek ce qui me terrorise un bref instant mais les gardes impatients me tirent vers le haut ; la seule fraîcheur, le seul répit remontent avec nous l'escalier, aux lourds montants de fer engagés sur cinq étages dans la céramique. La cage d'escalier présente des marches à carreaux blancs et vert pâle. Une porte cirée haute et mince s'entrouvre à l'entresol : « Tes gardiens, les Drüften ». Deux vieux Flamands, homme et femme, tous deux très laids tout couturés de longues rides, au fond desquelles vrillent quatre petits yeux gélatineux. Le couple cache mal derrière soi ses meubles bas et bon marché ; sur le sol de cuisine règne une superposition de journaux pisseux où se prélassent d'affreux chiens. Ils me flairent et se recouchent ; relent tenace et contre-jour. Lèvres avalées devinées de l'homme, lunettes rondes de l'épouse et nez luisant. Troisième gauche. Nous montons tous : mes deux gardes et moi, les Drüften en croupe.

    L'escalier blesse les yeux de son éclat, à deux volées inverses par étage. Les paliers intermédiaires exhibent la même porte étroite où l'on accède l'aile opposée. Parvenu d'une cellule souterraine à cette autre, en hauteur, je découvre mon codétenu, trapu, le front bas, le poil roux : Dorimon. Sa voix est rauque. Seul avec Kragen en bas, seul ici. Deux gorges rêches, deux haines sans écran, ce rouquin, sournois, les lèvres au rasoir, l'œil glauque et vitreux, par-dessous : je gagne au change. D'ici trente ans je le découvrirai quoi qu'il advienne, dehors, indépendant, la paupière battante et l'échine voûtée dans l'embrasure de sa porte, et je ne le reconnaîtrai.

    Tant d'années lui auront plaqué, dartré le crâne, il sera veuf, entre deux internements d'office. A présent, ce jour de décembre 52, Dorn ou Dorimon m'accueille en maugréant, à reculons pour me laisser entrer, poussant de brefs grognements de gorge : « Bienvenue ». Nous occuperons lui et moi deux pièces de part et d'autre d'un corridor au fond duquel s'ouvre la salle de bain. La première nuit je pose sur le sol un matelas, un drap : « Tout sera prêt chez vous, mettons – demain. » Les gardes s'en vont. Dorn ou Dorimon baisse la tête en se frottant les mains : «  ¡Feliz Navidad ! Je parle espagnol, allemand, français. » Sur le coup de minuit, les Ibériques descendent en masse dans les rues, pour la dernière fois avant l'exil.

    Une sirène couvre tout Tanger, tandis que la Casbah reste obscure : mon récit n'en fera plus mention. A minuit, trois chapelles perdues dans la ville européenne recueillent une poignée de vieillards perclus des deux sexes, et la population profane, gorgée de victuailles, déferle Cours de France, au croisement de notre rue. Tout le restant de la journée, tout le soir, je les avais passés dormant, à même le matelas. Et le soir même, penchés aux fenêtres, nous avions vu défiler sous nos yeux le monde libre, ivre, soutenant à deux frères leur cadette de quinze ans hurlant et vomissant, et lorsque tous les Andalous se durent renfermés, la tempête éclata.

    Dans leurs caissons de bois, nos stores claquent à s'arracher - le vent figurant le cri étranglé continu d'une femme en couches, et l'anémomètre bloqué à 220 kmh. Il y eut des inondations. Des gens moururent qui n'auraient pas dû, persifla Drüften : «S'obstiner à construire à côté du fleuve ! on le leur dit pourtant ! » Sifflement strident des martinets tout le lendemain. Plus jamais je ne revis la foule de Navidad Cinquanta y Ocho. Tous les Andalous s'enfuirent et ne revinrent plus. Lorsque j'enroulai nos stores à l'aube, j'aperçus vis-à-vis, barrant tout, le mur ocre rouge d'un vaste immeuble, fendu par quantité de meurtrières étroitement vitrées. .

     

    X

     

    Quelques jours s'écoulant révélèrent, ici comme en bas, l'impossibilité où je suis à présent de relater nos existences prisonnières : activité nulle, société nulle. Je ne communique ni ne parle. J'ignore à quel nombre mon peuple se monte, soupçonnant les autorités et gardiens de s'être ligués pour nous laisser dans l'ignorance de nos forces.

     

    X

     

    Cependant, loin dessous :

    Profondément gît toujours l'ancien codétenu Kragen, compagnon dans l'agonie. Ceux de l'Ingonnen, ceux de l'Autorité, n'acceptent l'amitié que si l'un des deux meurt. Les femmes ici n'ont ni lieu ni place, nul accès ; ce sont aux carrefours d'éphémères contacts de pénombres – chuchotements d'humains gardés. Kragen mort – à supposer qu'il meure – je craindrai à mon retour l'imposition d'un compagnon trop jeune – ce qui signifierait « C'est bientôt à toi de partir » et l'on m'inhumera plus loin, plus profond, enterré deux fois .

    X

    Sous terre encore :

    La condition, la qualité de prisonnier sous terre développe comme chez l'aveugle une lucidité, l'acquiescement. Est ce qui doit être. Es muß sein. Pas de tricherie. Le soubassement. Toi

    qui sors à présent par les rues, dans le vent, toi qui remets à Jérémie-Aimé la maquette de tes ondes sur indication et recommandations de Daniel Tag, n'oublie pas. « Une bande enregistrée de « Lumières, Lumières » - ma référence. Qui m'aura coûté tant d'efforts, j'y aurai tant et tant travaillé - qu'à présent je n'y tiens plus. Kragen l'apprend, il en conçoit de la jalousie : « Devras-tu remonter en Surface ? » Quelques mots encore sur Kragen : il occupait parmi son peuple de faux-jour la fonction si enviée de propagateur, dans un studio aménagé, Unterirdische Rundfunk, la Radio Souterraine ; cette pièce enterrée de métal transmet la voix de notre peuple.

    C'est pour moi de la part d'Ingonnen une faveur insigne, malgré la censure. De 16 à 20h.

    Le peuple souterrain

    Je suis redescendu revivre chez les mien, et je comprends pourquoi chacun s'imagine seul, privé de toute possibilité de communication, comme les chiens enclos dans les jardins de maitres – ils se répondent cependant de loin en loin par-dessus les haies vives, par leurs salves d'abois désespérés ; le seul espoir de tous ici est de se concilier les bonnes grâces d'un humain. En vérité, nous ressemblons à ces races maudites domestiques vivant et ne survivant que dans l'attente et l'adoration ; ainsi les chats ne peuvent-ils supporter le moindre contact avec ceux de leur race : ils les griffent et les pourchassent.

    Jalousie de Kragen

    Je suis nommé nouveau propagateur au fond des terres et j' aboierai dans le micro de mousse noire. Nul ne répond jamais à l'animateur. Aux chiens fichés en laisse tenues par les chefs d'En-Haut, loin par-dessus nos échines osseuses (Daniel Tag). J'accompagne Kragen dans le studio. Il maintient sur son cou son carré de gaze, et les couloirs sont pleins troupe : «Passez. » L'antichambre d'abord aux murs garnis d'affiches, dont la femme accroupie nue de dos devant le Christ en croix ; au micro je dis touche pas à mon sexe, les techniciens rient.

    Le lendemain soir je diffuse ma première émission.

    Pourquoi je suis entré en bonnes grâces : retour à l'avant-veille, en-surface 

    Jérémie habite à T. une loge désaffectée ; par devant s'étend l'herbe sale, sous de grands arbres souffreteux, parc négligé depuis les guerres. Pour lui j'escalade le portail de fer, je passe le contrôle dans un bâtiment trapu, éclairé de petits points vifs, « La Salamandre ». Jérémie n'aime pas les hommes ; chez Daniel Tag parmi les ombres, avant le passage à la baise en groupe, je n'ai pas vu trace de lui. Jérémie-Aimé loge avec sa femme en guenilles et sa fille de cinq ans : nous n'avons pas, sous terre, de télévision. Jérémie la regarde : trois-zéro, mi-temps. Il me passe une bière en boîte - « Pose ça  là, sur la table » - c'est mon enregistrement sur les serviettes au jaune d'œuf. Jérémie me regarde, bovin, ivre. Je sens sur ma peau ces plaques mauves qui passent au blanc par fortes contrariétés ; le reste de mon visage se couvre de duvet, le sang monte à mes joues.

     

    Sous terre Kragen et moi formons un saisissant contraste (il pense à d'autres choses). Il m'a choisi pour compagnon parce que mes yeux sont rouges et mes paupières vulnérables. A son insu souvent je m'examine : ma gueule. On nous relègue sous un coin de terre, comme des morts pour ceux d'en haut - « ce que je ne crois pas dit Kragen ; les mots que tu lis devant ton micro portent chacun deux sens : le premier pour les maîtres qui meurent un jour, et seront expulsés ; et l'autre sens, que nous seuls comprenons. » Je comprends que je suis sacré, mais c'est malgré moi. 

     

    Beuveries et pétards

    A minuit la sirène en surface déploie ses ailes veloutées. Les trompes rauques du port braillent en répons aux klaxons éraillés, continus, sans répit, de la ville. Mon compagnon me dit qu' « entassés sur les parkings, les Espagnols attendent minuit pile et tout d'un coup déboulent Cours de France. » Des farandoles de soûlards déferlent de part et d'autre en hurlant ; du rez-de-chaussée tendant le cou nous voyons défiler de profil en bout de rue la bacchanale vineuse. Notre gardien sarcomateux nous souffle dans le cou en traînant ses pantoufles et mâchant ses moustaches. Il se laisse tomber sur sa chaise paillée : « Si vous passez le coan de la roue, dit-il, jé vous descends. » Il tient sur ses genoux son PM de démobilisé franquiste.

    Nous progressons jusqu'à l'angle pour contempler de bout en bout le Gran Paseo de Navidad. Nous n'éprouvons aucune crainte, car si nous plongeons d'un coup dans la foule, Pomarès ne pourra tirer. Dorimon me dit : « Méfie-toi. Il est con. Il le ferait. »

    (Rappel : Kragen est mon codétenu d'en bas ; Dorimon, celui d'en haut. J'alterne. Vous suivez ?)

     

    Noche de Navidad

    Je revois les femmes accourant des deux bouts du Cours de France, agitant avec frénésie des arceaux de fleurs sur leurs têtes, bras nus, complètement bourrées dit Dorimon. Au milieu des danses ronfletafond les De Soto, les Ibarretas. Les machos borrachos passent le corps jusqu'aux couilles par les vitres, arrachent les roses en s'écorchant le front, claquent le cul des moukères qui les traitent de cocus et de maricones. Cavalcades hurlantes, imbibées, pétards, éjaculations de Campo Lasierpe à la régalade, les hommes sastiquent la zambomba, calebasse trouée d'un bout de bambou qu'on branle à plein poignet, qui grince jusqu'aux dents.

    C'est le seul soir où Dorimon rigole de l'année. Je revois cette grosse pucelle vomissante sur sa robe à volants, raînée, portée par ses frères qui la soulèvent par-dessus chaque massif de fuchsias - « Ce ne sont pas ses frères ! - Tienes razón ! dit Dorimon – deux détonation sur nos têtes ¡Pomarès !...¡ Pomarès ! - T'es fou je dis - nous regagnons nos places en bord de foule, les mains dans le dos comme deux braves types qu'auraient jamais profité de l'occase, la jeune dégueulante a disparu, la folie rompt les chaînese, l'air est très doux puis le vent souffle et les femmes pour une fois dit Dorimon rabattent les jupes, les bourrasques forcissent, nous humons trois quarts d'heure les farandoles bestiales des exilés qui soudain se débandent, le vent cette fois rabat les robes sur les têtes, bites et foule refluent l'orage éclate sur les plus tardifs.

    Dorimon et moi, certains d'une prompte retraite (la cellule au troisième, derrière) sommes demeurés pour tout observer : les derniers clowns, parmi les confettis, pourchassent leurs cônes de tête sous les coups de vent. « On rentre ! » crie Pomarès de sa chaise, au pied de l'immeuble ; le cerbère se met debout, tape au sol ses terribles pantoufles et tire son siège par le dossier, PM sous l'aisselle. Nous escorte par l'escalier jusqu'aux Drüften, homme et femme, qui nous remettent nos clés : « On vous a fait confiance ! - Allez chier, répond Dorimon - puis, à voix basse : que ce vieux con de Pomarès n'est plus  foutu de quitter son pas de loge. « Mais il est malade », ai-je répliqué, « verdâtre ! il va mourir !

    « Pour sûr », dit mon codétenu - franchissant les derniers degrés, je le reluque de travers : bien des années plus tard, j'en ai la vision soudaine, cet homme engloutira bière sur bière en compagnie de son épouse Elisabeth que je ne connais pas, destinée à crever d'un cancer au cervau CASUS INOPERABILIS de la taille d'une orange et l'éblouissement s'en va, derrière nous la porte se referme à double tour, tandis que le Vent d'est (trois jours, sept ou neuf) secoue déjà les stores pris dans leurs caissons comme des morts épileptiques - Dorimon se fourre au lit, je reste contre les carreaux, les cartons volent avec les tôles en pleine nuit sous les réverbères aveugles ; sur une borne dans les bourrasques deux clebs copulent en titubant, je me couche sur le duvet de sol, honteux de bander.

    Mon codétenu se tourne en geignant sur sa couche et je descends les stores dont la manivelle rue à me briser le poing ; les lattes libérées tour après tour branlent dans leurs glissières avec un vacarme croissant, ça bat, ça hurle - ta gueule je dors vocifère le Veuf qui ronfle, et le vent se fait immense - je vois d'avance Dorimon, Elisabeth, roulant sur les canettes et vomissant l'alcool - je me suis relevé dans le noir. Le lendemain dans le ciel dégagé les martinets sifflent toujours en battant des ailes dans les coffres à stores, ils rebâtissent leurs nids. Nous avons appris que les cuillères d'anémomètres s'étaient bloquées à 235 kmh, 45 habitants de Soukh-Oumar ont disparu dans l'oued - « On le leur dit, pourtant que c'est inconstructible ! on les aura prévenus c'est bien fait pour leurs gueules. »

     

    Sous terre : éléments de réponses

    Dans l'antichambre souterraine où je demeure prisonnier, j'observe au mur le poster mal collé, rayé noir et blanc par le store. Je distingue Madeleine agenouillée de dos devant le Christ en croix ; Jésus dans un rais de lumière lève au ciel un visage figé de plaisir – je reconnais le nez saillant, les pommettes et les coins tombants de la bouche, et Sa hauteur en entrant dans la mort. Quand j'ai fait mon entrée dans la salle aux micros, ils m'ont lâché Liz dans les pattes comme un chien –sans Liz la radio s'enLiz – laide, encombrante, inefficace. Je suis un bouffon toléré. « Reste vivant » me dit mon introducteur main pressée sur la gaze, «inspire lentement, accède au monde » - Kragen tousse - je n'aime pas à mon micro l'humour que je fais.

     

    T. (Maroc), sur terre

    Les deux Drüften assermentés de surface nous apportent le Plateau Captifs. Cela se mange ; ils ont tous deux passé l'homme la vareuse de gnome à bonnet de mineur, la femme la superposition des jupes. Monsieur a peint ses lèvres en rouge et se dandine, les rides colmatées de plâtre cosmétique, et j'entends en contrebas, contre la porte en bois, les clabaudements de chiens prisonniers. Pour flatter le Vieux nous l'insultons « vieille tante, charogne», et sans répit dans le coffre à stores les martinets s'envolent et reviennent en sifflant, assourdissants.

     

    Kragen et moi

    C'est face au néant que l'homme éprouve au plus fort sa puissance. Kragen me somme de répondre en me passant sous la torche murale, par-dessus le bar, de petits messages froissés ; il ne peut plus s'exprimer autement, sa gaze autour du cou s'imprègne de bave ocrée : « Définis-moi littérature, dimension littéraire » - ces mots que j'ai toujours aux lèvres. Je réponds qu' « [il est] trop proche de la mort pour savoir. - Tu es facile » répond-il, « facile ». Une quinte le secoue, la gaze mousse, un filet de sang le balafre. Cultive ta haine écrit-il, sauve l'homme. Je pense à Jérémie, grâce à qui j'ouvre mes micros, lançant ma voix dans l'infini des galeries ; mon maître a toute licence d'aller et venir du sol au sous-sol par ce monte-charge des mondes, sur la Terre et sous Terre. En haut sont les chefs de l'Ingonnen, en bas les Enfers - Inferi, Inférieurs.

    Jérémie si je m'adresse aux détenus d'en bas passe à pied dans mon dos sur les tapis sans me voir. Lui qui vit à demeure en atmosphère ventilée, avec des femmes en chair qui font des enfants et pochent de vrais œufs ; malaisé de lier connaissance. Dans ma cellule à l'insu de Kragen je me vois au miroir mural : très sale gueule. Kragen se tourne sur son bat-flanc : « Qui hais-tu ? - je pense donc je hais. Il écrit «amour, bâtardise, anecdote et fromage» ; il écrit sous l'ampoule nue, appuie sur le crayon, déchire du papier, passe les feuilles une à une sur le bord de pierre, « le bar » : Sauve-toi seul au moins. Je ne te parle pas de femmes. En effet Kragen ; ne me parle pas de femmes. Je suis très timide mon ami. Tu es plus atteint que moi. Je relis tes mots raturés.

    Tu soulignes, comme on barre.

    T(ANGER) – PRISONNIERS D'EN HAUT – ME RECEVEZ-VOUS ?

    PROGRAMME :

    Beethoven ; le violoniste sans talent ; quartier des femmes, la mère de Christian Labotte, « Et t'aimer follement », l'Américaine et son boy-friend : « Elle rase » - Grande et Petite Babette ; Dorimon m'enseigne quelque chose et moi le Cartodep, Jeu de Société.

     

    Nous vivons Dorimon et moi des semaines de pluie d'hiver. Plus de sortie même en laisse (Drüften Mijnheer och Madame, Señor Pomarès y ametralladora). Notre rue, Balzac, large impasse, n'a que deux immeubles : nous et le bâtiment rouge en face, vue de dos (briques sans grâce, bouchant la vue, fenestrons décalés par étage en quinconces, meurtrière par où je vois le vieux qui joue du violon sans fin ni talent – c'est un bien patient professeur qui vient deux fois par semaine, pièce nue, pupitre au centre. De chez moi je guette d'en haut, passants poussés par les averses, rasant le cul d'immeuble - pas d'entrée - deux autres chiens qui s'accouplent, peut-être les mêmes.

    Crépuscule et masturbation. Deux humains baisent sur une borne, vite, pour de l'argent. « Pourquoi es-tu taulard ? - A ton avis ? » Je n'en ai pas. Je connais son avenir. C'est une grâce qui m'est advenue. Ce sera dès la mort de sa femme. Je ne l'explique pas. Il ne la connaît pas encore. Dorimon passera par l'asile. Chez les fous près de Gap. Inutile que j'en parle. Que je lui révèle. Mes visions plus précises de nuit en nuit. « Pourquoi regardes-tu toujours en bas dans la rue ? il n'y a rien à voir. » En me penchant, à gauche, j'aperçois la lisière du terrain vague et de la ville, où s'achève notre rue Balzac. Dorimon me déplie des projets d'urbanisation, les rues en pointillés déjà baptisées : des crêtes poussiéreuses pour l'instant parcourues par les ânes, entre les fondations carrées qui se remblaient pluie après pluie. « L'argent manque » dit-il (d'après les journaux fournis avec la soupe : Echos de Tanger – pour moi Les Nouvelles d'Alger ; il s'étonne parfois de mon ignorance : « Je suis enfermé Dorimon, sous la terre comme ici. » Il ne répond pas.)

    Un gosse à poil au crâne ras monte au galop le talus raide, une pierre acérée frôle sa tempe à une ligne de la mort – il détale en sanglotant - « Comment es-tu venu ici ? » - j'esquive ; à vrai dire nul ne sait pourquoi on l'enferme.

    Quand Dorimon ne lit pas Les Echos il se muscle ; se coince un Bullworker à coulisse dans l'épigastre et pompe d'en bas sur l'angle supérieur du chambranle. Puis sur le ventre. Il transpire. Me tend l'appareil, je décline. Je lui enseigne un jeu de société de mon cru : le Cartodep ; une carte de France départementale, 52 cartes, deux dés. But du jeu : s'étant chacun approprié un bout de territoire intitulé département, cerner celui de son adversaire en annexant, par une série de coups de dés, les départements limitrophes, jusqu'à étranglement total, sans oublier de se préserver des attaques de l'adversaire. Avantageux : la Côte-d'Or, la Dordogne, sept départements limitrophes. Dangereux - le Finistère : bloqué le Morbihan, bloquées les Côtes-du-Nord, Quimper asphyxié capitule.

    Nulles hostilités par voie de mer ne seront envisagées.

    Pas de secours de l'étranger.

    Moi j'aime bien les guerres civiles.

    Le « go » c' est la même chose. Mais sans la guerre.

    Par la meurtrière en face sur trois rangs, percées dans le cul de l'immeuble en briques – par l'une d'elles sans rideau – toujours le même spectacle. Situation :

    « Un petit homme ordinaire dans sa pièce nue joue du violon debout deux fois par semaine devant son pupitre, près du même professeur immense, blond et patient, reprend sans cesse les mêmes mesures. Nous n'entendons rien d'ici. Obstination, lassitude et résignation : les efforts de l'élève restent. La leçon terminée, les deux hommes s'en vont ; la pièce reste, sans autre meuble que le pupitre en cuivre sur le parquet brun.

    Ma chambre donne sur la cour fermée de trois côtés ; le quatrième, par-dessus le mur, sur un terrain vague, poussière et chardons, et si je penche cette fois la tête vers la gauche (balcons verts, volets clos) j'aperçois en oblique les fenêtres de Vrouw en Mijnheer Drüften, nos sénilesgardiens. Et leurs trois chiens demeurent silencieux.

     

    X

     

    Rapport courant sur nos incarcérés de Dessous-Terre

    Daniel Tag (rappel : chef, cheveux blonds plaqués, lunettes métallliques) : parle de communication ; de concorde. Je hurle au micro, vu de dos par la vitre intérieure. Je chante. Liz mon auxiliaire,

    piquante et haïssable, ne me hait point pourtant. Juste sa sale gueule, c'est tout.

    L'émission de ce jour portera sur Biély, auteur de « Petersbourg »: « Une œuvre « fulgurante », «décalée», « toute en haine rentrée », « boursouflée d'incessants calembours » - Liz dans mon dos, abat les lourdes tâches imposées par le chef. Sans Liz, la radio s'enLiz – mon slogan paraît-il n'a pas plu.

     

    X

     

    Retour en surface. Matinée de soleil, tous les matins soleil. Nous sommes secoués de cuivres par les fortissimi du Troisième Mouvement : l'Américaine encore, Daïena, toujours ignare, face deux avant la face un (Fifth Beethoven's Symphony) je me lève, me lave, m'habille, sikonomè, plinomè, dynomè; par les fenêtres ouvertes côté cour je vois la sexa platinée, ridée, svelte, les mains veinées diaphanes sur le balcon vert : « John ! John ! » - éphèbe dont j'entends de loin dans l'ombre les protestations excédées, précieuses et nasillardes au-delà des plantes vertes : just coming, dear ! just coming ! Et tout ce temps que nous vécûmes prisonniers rue B., Dame Diana, nouvelle reléguée, chaque matin s'est obstinée à inverser les faces A et B de son microsillon, direction Carl Schuricht : deux derniers , deux premiers mouvements.

    Nous ne serions jamais descendus lui révéler, pour nulle chose au monde, à la Vieille Pathétique, son manque de sens musical – comment ne pas se hérisser sur cette fausse ouverture absurde quatre fois sol aux trombones ? … la symphonie la plus connue au monde... Obligeamment les Drüften nous informent : « Diana Valdez, Américaine d'origine argentine, se fait tromper par son Johnny : chaque chemise offerte se fait reluquer le soir même dans une boîte à tantes, sous les sphères tournantes. Plus bas la Veuve Biotte, ou Biord, 36 ans, qui dès l'enfant couché se touche en douce à sa fenêtre, sous la rambarde verte du balcon. Dans l'aile en retour je vois juste en face, accoudé, les parties de cul d'un homme et d'une femme dont le cadrage découpait pieds et cuisses imbriqués, dans les éclats de rire, et la musique fait :

    De t'aimer-er follement / Mon amou-hour

    De t'aimer-er follement / Nuit et jou-hour...

     

    Subway-Studio

    Mes lèvres collées à cette boule de mousse noire.

    (« Nous allons lui jeter ») - la femme dans les pattes.

    Le Chef Daniel se fait pousser le bouc, pointe pékinoise, traits tirés, teint laqué, lunettes étincelantes: « ...vous présenter Liz ». Une femme sous terre comme j'en voulais tant, moricaude et vierge, touffe hirsute aux tendons adducteurs jaunes et raides en pattes de poulet. Perpendiculaires à l'axe du losange et qui blessent. Daniel Tag me désigne la table de mixage, ses curseurs dans leurs glissières. La bouche de Liz maquillée «Vieilles Guignes » Old Mazards pourpre et fripé au fond d'un bocal. Prolixe sur l'accessoire électronique et succincte sur l'essentiel - je ne comprends ne comprendrai pas grand-chose «pourtant c'est évident » répète-t-elle – poser les disques, lancer la voix, je commets faute sur faute.

    Derrière moi dans sa cage vitrée Liz disparaît, Daniel Tag m'observe, bonze homosexuel aux tifs plaqués.

     

    Surface

    Dorimon et moi, on nous prend pour des pédés.

    « On » ?

    Chacun sa honte.

    Deux femmes en même cellule auraient fait moins d'embarras.

    Le vieux Drüften, seul, ou flanqué de sa vieille, nous délivre : « Promenade ! » Nous trébuchons dans leurs pas de vieux, pantoufles traînées sous les murs carrelés du Treppenhaus - leurs grands chiens muets descendant derrière eux dans le cliquètement des pattes et les mugissements du vent, queues dressées – il nous remet sur le trottoir au Portier Pomarès – Verdoso, Verdâtre, qui nous accompagne PM au poing, ce matin Beethoven m'a tiré violemment du sommeil – premier mouvement, premier mouvement you ignorant woman ! - Dorimon parle sérieusement de nous tuer «Qu'est-ce que tu veux que ça me foute ? - Señor Pomarès, por favor, conduisez-moi chez le marchand de musique » le portier prend son arme.

    J'ai fait l'acquisition de la Cinquième que j'ai passé à toute force à la fenêtre de la cour, dans le bon ordre – puis la Sixième et la Septième, que j'ai achetées moi aussi.

     

    Transfèrement

    Sous terre je dors douze heures sans relâche dans une alcôve en pleine paroi – enfeu : « niche funéraire à fond plat pratiquée dans le mur d'une église afin d'abriter un tombeau - les plus beaux se trouvent à St-Mer(d) (Corrèze) » - en vérité sous terre je vais bien. J'étouffe et c'est bon. C'est à l'heure du coucher sans soleil – extinction des feux ! extinction des feux ! - que je me sens soudain pris d'une irrépressible exaltation. Je mourrai en faisant des projets. « Tu es un peu jeune » dit Kragen (canule trachéique, gaze tachée de sang voix rauque) – d'autres près de moi rêvent depuis l'enfance, ils se sont brodé une immense fresque : personnages récurrents, variantes, séquences dédoublées – puis s'endorment.

    Ils se repassent les mêmes épisodes et dorment.

    Sous terre, juste ma journée. Ma sainte journée. « L'examen de conscience » dit le chrétien – au fond de galeries où Dieu sait bien que je ne vais jamais. Rien de tel qu'examen de conscience pour rater sa nuit. Liz m'espionne dans mon dos derrière la vitre. « Secrétariat », « Studio », « Personnel autorisé » : les espions entravent les guerres dit-on ? mais nous avons été vaincus. Liz est une vraie femme, tout sexe et ongles. Je parle d'elle au soir, sous le flambeau qui charbonne : Kragen ne peut presque plus se mouvoir ni parler, me passe ses messages sur le mur intérieur à mi-hauteur en ciment juste sec : c'est sur ce rebord de barman que nous plaçons parfois l'échiquier, le Schachbrett, pour de longues, interminables parties (dont nous notons le soir les schémas sur papier froissé).

    Kragen s'exprime peu pour ne pas expectorer à grand-peine et douleur les glaires pulmoniques de sa gorge râpée, trouée, sanglante. Il rédige à la plume ses petits billets, d'une écriture tremblante et grêle. Aux échecs la règle veut que trois fois reproduites, les mêmes positions entraînent partie nulle nous le prononçons en même temps.

    Kragen regagne son fond de cellule et par gestes cérémonieux change la gaze de son cou. Sa respiration siffle et je me détourne. Avant la nuit, réfléchir à tout cela. Sous terre je me souviens d'au-dessus. En-Surface je vis dessous. C'était dans la fournaise optique du carrelage - les murs, le sol des corridors, les marches et jusqu'aux contremarches – du carreau blanc dans la lumière – nous avons croisé, Dorimon et moi, ce jeune homme malingre, efflanqué, menotté, deux gardiens de part et d'autre l'acompagnant de front – gare, gare ! - en plein jour ou de nuit captivité partout ; le jeune homme là haut leva sur nous son regard.

    Le vent se remet à houler. « Au-dessus de vous on a logé toute une famille. Ils s'engueulent, ils traînent des meubles. » Le vieux Drüften tend au plafond son index merdeux : bruits de pas, homme et femme (ces derniers plus pressés) - « Ils n'ôtent pas leurs chaussures ! écoutez ! » Il se lèche les doigts. Le père de famille pianote La méthode rose. Il engueule ses gosses : « Jean-Pierre ! Tu nous emmerdes ! Marie-Paule ! Tu nous fais chier !  - Vous entendez? » Drüften ridé comme un vieux con rabat le couvercle dentelé. Au-dessus c'est le lit, c'est l'armoire qu'on traîne. Le plafond tremble. Ce n'est pas le moment murmure Dorimon de revendiquer. Le lendemain le Drüften, hilare, nous fait mener aux femmes dans le grand immeuble rouge. S'il n'avait rien dit, râle Dorimon, jamais je n'aurais entendu les voisins – le piano, Jean-Pierre, Marie-Paule - par bonheur le vent se lève chaque soir ; nous enveloppe, estompe nos souffles, car désormais nous dormons côte à côte, habillés, raides, sans nous toucher.

    Les soirs où le grand air circule à 120 nous restons pétrifiés, les yeux grands ouverts, sous le tonnerre itinérant de Gibraltar, hurlements éternels du fils d'Alcmène forçant à coups de pieds l'isthme d'Afrique. Le lendemain, nous le savions, le 33t. ee Beethoven éclaterait une heure plus tôt que de coutume. Face 2 d'abord...

     

    Droit de visite

    Nous sortons du BALZAC, le cancéreux Pomarès dans les reins (P.M) jusqu'à l'autre rive, à travers vent. Vitrines frémissant sous le blanc d'Espagne, borne fixe où les chiens de nuit copulent. Contournant le pied de l'immeuble nous franchissons le porche houleux, sous son architrave de marbre. Pomarès nous place dans l'ascenseur, j'entrevois dans cette mécanique d'innombrables possibilités d'évasion. Dorimon ne songe pas à fuir. L'ascenseur donne directement dans un salon de femmes ; Dorimon s'empare de la plus charnue qui l'entraîne derrière son rideau sur un coin d'édredon. Ma pute à moi devient mon amie, d'emblée : j'adore ces femmes. J'abaisse le haïk et lui prends les deux seins, fermement.

    Elle me fixe, je suis curieux, elle bat de l'œil, mon bras retombe, nous nous sommes assis, je ne sais plus de quoi nous avons parlé. Pendant ce temps de l'autre côté des tentures les secousses révèlent l'accomplissement de l'Acte : ma pute et moi baissons la voix, je relève le bras vers sa boucle d'oreille : «Un souvenir ! - Tu rêves, connard. » Je me suis emporté - l'abstinence, vous comprenez. J'ai voulu arracher la boucle et le collier, elle s'est défendue, Dorimon sort en se rebRainiertant, je n'étrangle personne, les deux filles ont remis leur voile, plus tard la mienne a prétendu que je l'avais serrée, c'est faux, Pendant trois jours Dorimon fait la gueule, jusqu'aux vieux Drüften, les gardiens, qui se méfiaient, leurs chiens grondant, franchement, c'est exagéré.

     

    Sous terre. Jérémie, moi. D'autres femmes.

    L'Ingonnen obtempère aux réclamations : l'intensité sera augmentée, afin que Herr Kragen, Monsieur Col, agonise dans le confort. Chaque jour au QG Souterrain d'Emission, Liz entre dans mon dos, le gros Jérémie me salue, sent la bière, je capte leur reflet sur la vitre intérieure, eux le mien. Je reste sous tutelle et je veux acquérir de la considération. Sinon du gros que j'aime du moins de la femme, Liz. J'écris à Jérémie : « Par l'Ingonnen. Destination Surface. » Je n'abdique pas. Ma prose est noble. Jérémie se dit, devant sa table tachée d'œufs : « Ce type se fout de ma gueule. ». Il écrase son verre au sol. « J'en ai ma claque de ces pédoques qui veulent se faire sauter. » Il décachète : Jérémie, la route s'encaisse – tu ne comprends rien – tu crois à la vie – ton ventre roule quand tu marches » Jérémie lorsqu'il descend sous terre ne me salue plus.

    Il s'est payé des lunettes cerclées Sécurité Sociale. Kragen me dit que c'est peu de chose de penser à lui : « Le présentateur que je fus ne sert plus à rien. La vue va lui baisser comme à nous

    tous sous terre. » Kragen voit plus loin que moi dans les ténèbres : des formes et de la poussière. A ceux qui lui murmurent « Cet homme mourra de trop d'indulgence » Kragen répond : « Mes solitudes sont immenses. » Il faut lui tenir compte du noir des parois, de la fumée des torches, et de cet étau dans la gorge. Il n'existe pas d'autres existences que lui sous la terre : en vérité, il ne les sent pas . (ce document est antérieur à l'installation de l'électricité au quartier des relégués). Tout homme qui refait le monde - doit souffrir.

     

    Surface

    Je convaincs Dorimon d'ajouter foi aux prophéties que je lui révèle après nos coups de dés ou les cartes tirées - la règle n'est plus connue que de moi-même et de mon père, qui mourut. Tu épouseras Liz que tu ne connais pas, nous serons séparés - Je l'espère bien dit-il. « Tu auras d'elle deux filles, Diang, Evita. Tu resteras veuf, d'une tumeur cérébrale dont elle sera grosse, dont nul obstétricien ne l'aura délivrée : ce sera de la taille et de la consistance d'une orange. Supposé m'écriras-tu que ta femme ou toute autre personne attrape – ça ne s'attrape pas - un carcinome encéphalique – un temps : évite à tout prix le protocole de Clermont qui prolonge d'un an la patiente au prix de mille souffrances. » Dorimon se tait en frissonnant et nous encerclons nos possessions respectives, piquant au cœur des préfectures nos petits épieux d'allumettes, verts et bleus.

    Comme il veut aussi m'enseigner quelques tours, il pousse à toute force le ressort télescopique d'un Bullworker, puissamment calé dans l'angle supérieur de l'embrasure -: à s'en péter le biceps ; et dans le séjour, traînant la table, il m'enseigne les jetés de judo, se recevoir sur tout le plat du bras pour bien répartir le choc. « On épatera les gonzesses sur la plage. - Tu veux t'évader ? » A son tour il prédit : Tu épouseras telle femme, qui te fera tant d'enfants, veuve à tel âge, etc.- selon que je retombe coude à gauche, à droite ou devant ; selon telle douleur, expiration, grimace – contrôle ton souffle. Mais il calque à ce point sur les miennes – irréfutables celles-ci – ses prédictions qu'il me vient pour lui de l'amitié. Alors je me redresse, feignant de vives douleurs.

    Puis nous sommes revenus chez les femmes de l'immeuble rouge aux meurtrières :

    • Les fauteuses de troubles nous dit le garde ont été expulsées.

            • En effet poursuit la Drüften en se grattant le crâne à grands coups d'aiguille, toute putain se doit de s'abstenir de toute répugnance.

    - Sinon saquée, dit l'homme.

    - Je suis timide, ai-je fait sèchement.

    - C'est elle qui engage l'homme à poursuivre, dit-elle, poussant sa poitrine – l'homme érige, la femme dirige.»

    Nous avons remercié notre vieille gardienne. « Voici » dit la Drüften « les sœurs Babis ; ce qu'il y a de mieux. » Nous avons retenu nos soupirs de soulagement ; nos visites au placard masturbatoire se faisaint de plus en plus fréquentes : lequel tenait toute une cloison de l'appartement contigu, vide, sur le palier. Nous y avions accès, Dorimon et moi, clandestinement, à tour de rôle : une clé tombée, subtilisée. Il restait là des meubles et des coussins, et ce placard ou penderie gorgé de livres dont le Traité de Gynécologie, que nous feuilletions fébrilement, l'un ou l'autre, le mouchoir à la main. Nous laissions là nos marques, bien que nous polissions de l'ongle le tirage offset.

    Je repérais celles de Dorimon, lui les miennes, et nous évitions de les superposer : misères de l'homme ! Je crus déceler pourtant d'autres souillures : ce bouffe-bran de Mangonneau ne montait-il pas, lui aussi; à l'appartement vide ? exploitant lui aussi notre gisement ? Vers la même époque j'ajoutai aux paragraphes et croquis cliniques un catalogue épais, broché, charnu, de lingeries féminines, que je dissimulai à mon usage – bref, le temps que les sœurs Babis était largement venu.

        • Ce sont des femmes très soignées, précisa la vieille Belge.

        • X

     

    Babe, 23 ans, brune européenne, annonce d'emblée : « Moi, je ne supporte pas la sodomie. » Ce qui signifia vite que nous ne ferions que ça ; elle rit, nous tient tête et nous engueule : c'est le jeu. Mais nous n'avons jamais pu faire sandwich à trois : l'un prend son tour et l'autre prend patience en observant, de l'autre côté de la rue B. au même étage, nos rideaux translucides. Sous nos yeux successifs, ce sont bien les ombres parfaitement reconnaisables des Drüften, l'homme et la femme, fouillant consciencieusement notre cellule, ou bien, d'un coin de nos fenêtres, fixant les nôtres de ce côté-ci, où nous péchons péniblement par alternance. A l'heure du retour, le soir, posant sur notre table les plateaux qu'ils nous apportent, ils commentent grassement ce qu'ils ont cru apercevoir de nous.

    « C'est insupportable » rage Dorimon. Nos vraies difficultés pourtant commencent, dans l'immeuble rouge, avec sa propre fille. Une enfant. Vingt ans ferme. Que sa mère forme dit-elle en l'asseyant sur un pouf de Fez. Assistant aux ébats, tantôt morne et bâillant, tantôt participante du geste ou de la voix. Dorimon et moi disposions désormais tous deux d'inépuisables inquiétudes : au lieu de commenter nos performances, nous formions des projets d'évasion, de kidnappins et de séquestrations. Babs étant la seule femme que nous connussions, croisant dans nos eaux solitaires, nous sommes devenus jaloux l'un et l'autre. « Délivrez-nous » confirmaient-elles, mère et fille ; « traversez plus souvent notre rue - demandez à P. de vous seconder, offrez-lui d'autres armes !

    - Illégal, rétorquait Dorimon. Que diraient nos camarades ? - Quels camarades ? répliquait Babs. Pendant que j'allais seul chez les Drüften, à l'entresol, me plaindre de l'exiguïté de nos mouvements, de notre insuffisante culture et autres griefs, Dorimon un jour introduisit les Babs à l'intérieur de notre appartement cellule. Nous les avons séquestrées, sous les yeux fermés des Drüften. La fillette s'enchanta de tout un lot de diapos sur Tanger, Rabat et Marrakech : « montagne et océan », « poussière et or », sur une musique indicible, arabo-andalouse. Nos destinées désormais sans contrôle, une vraie femme qui ne refuse pas, une fillette trop souvent témoin de nos ébats - nous méritions à présent plus que jamais, éclaboussés de honte et de boue, notre Prison.

    Que les vieux gardes, que Pomarès, s'avisent seulement d'ébranlent le secret, et nous serions tués, mais nous n'éprouvions nulle crainte. Pomarès tient à la main son P. - M. et nous crache ses insultes sur tout le trajet, de notre cellule au grand bâtiment rouge. La gardienne Drüften traduit à mesure, et nous n'avons rien vu de plus suave que cette écume aux lèvres du geôlier, convulsivement cramponné à son arme, tandis que des joues roses pomme de la vieille s'écoulaient d'une voix flûtée les épithètes les plus ordurières. Mais il ne nous a pas flingués. La fillette pour elle n'a rien compris, et deviendrait folle ou peu s'en faudrait. C'est ainsi que disparurent en définitive, éloignées à tout jamais, les deux femmes, l'adulte et l'enfant, de nos deux vies bousculées par le gardien chef Pomarès qui sacrait en pur castillan vous purgerez double peine - ¡ Ya váis a cobrar el doble ! nous reçûmes alors en pleins tympans – la scène se passait dans l'escalier - la Cinquième, pour la première fois dans le bon ordre. L'éclat de Pomarès ayant ainsi retenti jusqu'au dernier étage, il ne fut plus jamais question de raffermir ces liens fragiles et progressifs que nous avions tenté de tisser avec les autres prisonniers : dans tout établissement pénitentiaire, les violeurs d'enfants sont appelés ceux de la pointe et mis au ban : voleurs, braqueurs, maquereaux, ont leur honneur. Les pointeurs se font tant violer à leur tour qu'il faut les reléguer isolément, et sans relâche les transférer. Dorimon médite l'évasion. Nos mois d'été s'écoulent.

     

    Sous terre, ce qu'ils ont pensé vivre

    Ici ni femmes ni musique audibles ou dignes d'amour ; juste ces prétentieux maîtres, qui si nous déplorons de ne pas « pouvoir » nous répliquent « vouloir » ; qui nous enjoignent, nous exhortent, au lieu de remédier à nos douleurs. Monde sans enfants, pourri de Penseurs – comme ils aiment se faire appeler.

    Note de service

    « Il faut aimer les autres hommes. Tout ce que la régie compte d'animateurs » - il y a en donc d'autres ? ...qui me succéderaient ? « Notre base émettrice fut fondée par suite de la Grande Reddition, pour ne pas écraser le peuple vaincu, et lui laisser Sa Voix sous le creux de la terre. »

     

    Trop d'hommes gravitent autour de moi (Kragen est d'un autre registre), que je m'entraîne à ne pas désirer. Tout est prison, souterrains ; chauves-souris, vespertilions, vampires. Je tremble aussi d'inspirer du désir ; celui qui bandera pour moi sera castré. Quant à ceux de mes rêves, je leur ôte le sexe, leur donne force et chasteté. Les femmes ? quelles femmes ? Elles n'ont aucun droit à me dominer. Pas elles.

     

    Parole de Liz

    On me l'a mise entre les pattes.

    « Je hais cet homme. J'aurais voulu rester indifférente. Je l'aperçois de dos penché sur le micro. Toujours incliné. Pas un ne m'ordonne de coucher avec lui. J'ai choisi Daniel, Daniel Tag ; cela me fait l'effet dans le cul d'un rouleau de beurre frais. Quant aux Vaincus, nous les voyons peu.

     

    Parole de Philippe Maertens

    C'est celui qui vous dit tout :

    « Tu t'imagines, Kragen, qu'ils vont me remonter, comme un cheval fourbu, aveugle,

    celui de Germinal, englouti sans retour, la sangle sous le ventre. Or voyant Jérémie là-haut sur terre, ses yeux capotés, ses plis de bière sur le ventre, j'avais cru, voici longtemps, flotter avec lui sur un seul fleuve - dis-moi si je mens, Jérémie, dis-moi si je m'y prends bien. Je n'aime pas les enregistrements de moi sur la bande. Si je respirais jusqu'au bout, posément, largement, le gros air poisseux de ces galeries, la sagesse même regonflerait mes poumons. Chacun vit, Jérémie, au-dessus ou au-dessous de soi. Je décris mon amour interdit : barbe orange, des yeux de bœufs élargis par la stout et nageant dans le gras des pommettes.

    « Le front haut et borné, le souffle fort. Il ne dit rien (« Wotan, le dieu qui se tait ».) Face Large  Europe sous le sein de l'Ourse – je cherche l'amour dans le ciel - je suis sûr au moins de ne rien trouver -  ...et une Pureté pour le six, une ! »

     

    TANGER – Ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait d'autres

    La chaleur est venue les premiers jours de juin. Les stores et la prison nous protègent. Nous avons peur du jour, l'air chauffé s'infiltre et imbibe la chair et l'esprit. Nous camouflons les vitres encore et rien n'y fait : le chaud s'introduit comme le sable en un cercueil. Le Vent d'Est se lève, brûlant. Dans la rue les Maghrébins portent un linge à leurs lèvres. Pomarès l'Ibérique, cancéreux, ne sort plus. De nouveaux gardes sont venus, en uniformes réguliers. Ils nous parlent du temps, de la « météo ». Ils s'expriment à travers voile, soulèvent le couvercle de nos plats semés de sable - «vous êtes mieux ici » disent-ils ; je réponds que « j'aime [leur] humour ».

    Ils nous décrivent les quartiers, dont Dorimon se souvient. Quand ils tournent les talons, Beethoven éclate ; cet hymne devient notre supplice. Nous chantons, sifflons ces mélodies. « Je pourrais les diriger » dit Dorimon. Alors le vent souffle sous les portes et contre les fenêtres, et le sable ne passe plus. Je dis aux gardes : « Le Vent d'Est ne durera pas. » Ils répondent « 7, 14 ou 21 jours. - Nous aimerions sortir. - Quand on aura dégagé les congères. » Je fais semblant de croire à leurs congères. Un jour Dorimon me dit : « Pomarès est mort. Je le sens. » Comment le sait-il ? lui qui ne sent pas même la mort de sa femme à venir - finalement, le P.-M. de l'Espagnol était bien sympathique, dans nos côtes, comme un jouet.

    Plus de femmes en surface non plus : défense d'aller dans la cellule vide, en face, pour se masturber devant le dictionnaire médical. Il faut peu de choses au Masculin pour rêver. Les gardes réduisent avec nous leurs rapports. C'est le règlement. Si nous n'avions pas touché de illes impubères, nous n'eussions pas été incarcérés. Je demande au moins des photos, des catalogues de dessous féminins : « Nous transmettrons », disent les gardes en replaçant à grand bruit le couvercle sur la soupière (« par grande chaleur, la soupe désaltère »). «Ne revoyez jamais » disent-ils « ces vieux Drüften qui vous ont débauchés.

    • Ils sont suspendus dit le second gardien. - A cause de la petite fille dit le premier.

      Nous ne trouvons rien à rien répondre.

       

    Emetteur souterrain

    Ordre du jour -

    Intérieur nuit

    « ...convertir le présentateur de l'émission » (culturelle) «Lumières, Lumières » - à moins d'exubérance, moins de bouffonnerie. Personnalité complexe. A ne pas brusquer. Multiplier les marques de déférence. Je ne suis pas un pion que l'on déplace, observation du 12 mars 199. - Signé D.[aniel] T.[ag] » - (« aux cheveux plaqués ») - pour moins que cela Kragen jadis (monsieur «Col ») fut saqué comme un malade ; et soudain tant d'égards pour M. Philippe M. ? « Le chef, dit Kragen, rampe, comme nous autres... » - wem vor ? devant qui ? ...signe de quoi ? Liz Savitzki aurait dit (parlant de moi) « Je ne peux plus haïr cet homme ». Peut-être que j'ai séduit Daniel Tag. Il m'appelle « Sergent Serpent ».

    Je mords à l'hameçon. Je recommence à rire, à m'agiter sur mon siège à roulettes. « Que manque-t-il à cet animateur ? de croire en la lumière. » J'observe le bouffon dit Liz – Daniel Tag : la façon dont son regard fuyant glisse sur nos visages comme une lame de rasoir - sans pouvoir empêcher (pourtant) nos yeux de se croiser – de pupille à pupille. « Quel âne à Liz » ajoute-t-il, - « votre émission indispose en haut lieu. ». D'une voix vinaigrée, Tag me suggére « quelques adoucissements ». Il faudrait que je m'humilie, que je ressentisse une immense gêne d'avoir mis en œuvre de telles audaces, et je m'y emploie, je l'enjôle, renchéris - je l'écœure. « Il propose » dit Savitzki - Rapport sur Philippe M., animateur - « de moins parler ; de brider tout humour ; d'admettre à son micro des invités, devant lesquels il s'effacerait ; de proposer ses textes à la censure. Aussi, Herr Daniel Tag, tirons-nous tous deux de ce sac à merde. » Signé Liz.

    Désormais revirement total, immédiates exigences : puisque c'est ainsi, que je me fous d'eux, que le moindre écart justifie d'immédiates sanctions. « Hé bien hé bien », confie le chef à sa complice, « on joue son petit Couthon ? » (1755-1794 ; « il organisa la Grande Terreur »). Liz a la fragilité même d'un accusateur public. Elle éprouve j'en suis sûr dans ses étreintes une froideur totale, sous la barbiche du chef, lunettes à petits verres ; et s'adonne, comme toutes, au plaisir solitaire au sortir de l'acte, avec honte et détermination. C'est la première femme au monde dont je suis certain, en vérité, qu'elle se masturbe dans la résolution, l'autodérison et le désespoir.

     

    MALIK M-MAT !!

    Soudain dans les rues déferle en surface une marée humaine - malik mmat ! le roi est mort, malik mmat ! Nous autres Métropolitains cloîtrés casqués, nos gardes en pleurs, Dorimon les yeux secs. Penchés malgré tout sur le balcon dominant la foule effarée qui se hâte drapée de blanc vers la Mallah, convergeant vers l'Oraison du Gouverneur - pendant des semaines, en dépit des vacances d'été, nous attendons les décrets d'amnistie. Nous renforçons les portes. La chaleur croît, la grâce ne vient pas.

     

    Rétablissement de la promenade quotidienne

    Trente-cinq minutes avec les gardes. Ces derniers ne sont pas armés. Je préférais le P.M. de Pomarès - vieux cancéreux jaunâtre, muté d'office - nous déambulons le jour tombé, le thermomètre enfin sous 35, fenêtres battantes au troisième, chez nous.

     

    Musicales

    Plus de Beethoven. L'Américaine, le gigolo, sont à jamais partis. Ainsi en taule. Ainsi dans la vie. Mets la radio ! Depuis que le Roi est mort, règnent sur les ondes d'infinis flots sirupeux arabo-andalous : deuil national. Ou du classique européen. Juste les heures, en arabe, en rifain. Je soupçonne Dorimon de feindre une parfaite compréhension du dialectal. Nous demeurons silencieux, recueillis : presque religieux. Reprenons nos parties de Cartodep : victoires, défaites, équivalences... Aujourd'hui nous avons bien ri : le bouton rond cranté transmet deux heures durant toute une opérette d'Offenbach... Le programmateur n'y connaît rien – classique, classique ! Donc, La vie parisienne... Entre deux couplets, je prédis à Dorimon d'atroces détails sur la phase terminale d'un cancer à venir : son épouse Elisa, sur sa fin, ressemblera à un crapaud ; il ne me croit pas. Il se marre encore : « Offenbach ! Tu te rends compte ! Les cons ! Offenbach ! » Il me projetteen diagonale à travers chambre et vestibule. Je dois alors, comme il me l'a répété, prendre garde à passer le chambranle en pleine vitesse sans me péter le coude, à retomber bien à plat sur mes avant-bras pour absorber le choc.

     

    Espérances

    La grâce ne vient pas. Nous nous demandons si notre inconduite n'a pas provoqué la mort du Roi. « Ces gens-là sont si superstitieux ! » Mingot le petit foireux – mangiatore di merda ! – monte et descend toujours, flanqué de ses gardes, l'escalier carrelé de blanc. Toujours au-dessus de nous les lancinantes leçons de piano - « Jean-Pierre ! Tu nous emmerdes ! Marie-Paule ! Tu nous fais chier ! » - en ce temps-là tout francophone prononçait encore Marie-Paule avec un « o » fermé : chameau, bateau, Marie-Laure. Dorimon demande comment le voisin du dessus se démerde pour se soûler, par quarante degrés « de chaleur, et d'alcool !». Je ris la première fois - puis neuf jours de vent d'Est, plus que 30. Le Balzac secoué gémit. Nous aidons nos deux gardes, retour de promenade, à déblayer sur le marbre du corridor l'angle d'ouverture des portes : sable crissant sous les volants de caoutchouc, semelles tapées, gencives agacées.

    Au dixième jour, le bruit se répand dans l'immeuble : « Le Roi ! Le nouveau Roi fait grâce ! 

    - Annoncez-le à Miss Valdez, disent nos deux gardes – elle est donc revenue – seule - nous nous précipitons chez elle, dévorés de curiosité :

    My God !

    Une grande blonde ravagée par la soixantaine, dans une grosse bouffée de Ludwig van, face striée, rayée, labourée de haut en bas de longues rides vulvaires, cernes violets, masque et fanons violets, triple feston de mentons mous – my God ! mon Diou ! - tournant le dos dans son parfum poudré, coupant net le disque – pour la première fois, le petit diarrhéique ne mangea pas sa merde sur sa tartine, à travers l'escalier tout émaillé de blanc retentissaient de joyeux appels, et le piano se tut ou presque.

     

    Gibraltar, Gibraltar

    Ils nous ont tous menés hors la Ville. Imaginez tout le panorama du grand détroit, juchés comme nous fûmes sur la Colonne sud d'Hercule, flanc herbu dévalant sous nos pieds jusqu'au grand passage bleu où s'évitent les navires – la rive opposée tout escarpée aussi, mais sèche, à en crever – nos pantalons flottant dans le vent. L'administration pénitentiaire a disposé ici sur l'ultime promontoire, et dans l'ordre :

    - l'Américaine, son gigolo lui aussi de retour

    - la veuve du colonel Biord ou Biotte et son fils, Christian (prononcez Chrich-chian) huit ans ;

    - les petits pianistes («Jean-Pierre ! ... Marie-Paule !... ») et leurs parents – à jeun - sans le piano.

    - le fourgon d'où sortent à présent Babs, du Bâtiment rouge, et sa fille, scandaleusement tendre – tous autant que nous sommes, enveloppés, tout étourdis d'espace et de vent libre – jamais, de si longtemps, nos corps n'avaient inspiré de tels souffles – en vérité je ne pouvais abaisser ma poitrine, dilatée à l'extrême, abreuvée de beauté. Ne manquaient que les anges – les flics en fourgonnette azur – Dorimon se rapprochait de la femme, éphémère, Babs, qui nous avait relégués en prison, et de sa fille ingénue.

    Les policiers tous descendus se marrent lourdement, Dorimon murmure à l'oreille de Babs, qui baisse les yeux en secouant la tête, et la petite fille accourt vers moi, qu'elle aimait bien, je pensais que jamais je n'y toucherais, soudain il se passait quelque chose, dans la douceur d'un mauvais rêve, Dorimon contourna le fourgon sans être vu, faisant signe de la main - « Viens !... viens !... » J'étais gêné, à peine j'avais eu le temps de contempler le Grand Détroit, l'air libre et l'eau, le Rocher d'El Aktar, car même à supposer que l'on me renfermât jamais dans un cachot, ma liberté n'aurait plus eu de fin - malgré la vermine - et tandis que ma bouche puisait encore à l'horizon tout le bleu, tout le libre, le cou tordu vers mes splendeurs, ma main saisissait l'enfant et nous avons couru; couru pour dévaler la pente au volant du fourgon volé parmi les rafales et le fracas des tôles, tous gueulant dehors et dedans, pas elle criait Babs pas elle ! - Dorimon fonçait - « Vous vous aimiez » ironisait le juge, « Vous vous aimiez ! » Les confrontations me trouvent silencieux, la fille de Babs me fixe avec rancune, je fus astreint à suivre des soins - « Pour le cancer, c'est cuit ; mais pour le sexe, il n 'est jamais trop tard : en tôle !

    - Docteur, combien de fois puis-je faire l'amour ? - Une fois par semaine à votre âge, amoureux comme vous l'êtes – répondit-il avec emphase, estimant peu afin que ses patients surpassassent toujours ses prévisions ; je savais que jambes ouvertes l'épouse à venir d'Alain

    Dorimon lui crierait de son lit « Je suis prête ! » et que jamais il ne pourrait bander, ni donner du plaisir. Mais si je racontais cela au juge, il me dirait Vous avez besoin de repos.

     

    Au sein du palais souterrain

     

    Et cependant sous terre les émissions se succèdent. Le calembour de  « l'âne à Liz » poursuit sa carrière. Kragen éclate de rire en crachant ses derniers alvéoles. Il écrit dans les spasmes : « Jamais » - souligné - « ni Maerten » - c'est moi - « ni personne n'obtiendra la moindre caution du Chef Tag » - « ni de ceux qui gisent sous lui » - il existe donc, sous Herr Tag, une pyramide hiérarchique, d'ombres conscientes - je dis « Je veux me débarrasser du bouffon » Kragen répond « Tu es ce bouffon ». « Plonge, plonge » crayonne-t-il fiévreusement « ...qu'il ne soit pas question pour toi de conquérir cette femme » - qui songe à cela.

    Liz, cheveux noirs, livide, seul auditoire derrière la vitre du studio – si, j'y songeais, justement – qui sait ce qui se cache à l'autre bout des ondes, là-bas, de l'autre côté de la boule de mousse du micro ? Liz m'écoute. Kragen en cellule écrit comme on gratte sa plaie, sous son ampoule à 40 W, assujettit sa gaze, renoue son foulard. Le papier ne suffit plus, il émet sa langue à lui, agite buste et bras dans son trou mal cimenté : « Elle te fera passer par où elle veut, par tous les trous dans lesquels Tag veut te voir ramper - cette pédale décadente » - ce cancéreux de la glotte ne veut donc pas crever ?

    Kragen entre en fureur sous son ampoule et se rue dans le sommeil. Avant d'être transféré, je relis ces mots griffonnés : je ne me soucierais plus de mes « compagnons de captivité », je m'apprêterais à « trahir ». « On peut servir l'idéal par la pitrerie » écrit-il mais « par trahison, ou reniement, nul n'y parvient jamais parvenu » - sans blague Kragen, sans blague ? Je prie, comme au Prologue : « Gabri-èl, « Dieu est fort », délivre-moi de tous, au-dessus comme au-dessous. »

     

    Séparation. Retrouvailles.

    Le lendemain transfert. Dorimon ne m'apportait plus. Ne m'enrichissait plus. Il me dit « Amen », comme « adieu ». Je ne l'ai plus revu jusqu'en 2039, date lointaine, mon passé en cendres. A Grönstadt-Universität, il souffre deux années pour perdre son Epouse tout ainsi que je l'ai prévu, cancer encore, cancer encéphalique, ce vieil homme ouvre sa porte, «...mais c'est moi !

    ho ! Maerten ! c'est moi ! » - je ne le remets pas, voûté, crâne ras dans l'embrasure – « moi ! Dorimon ! » Dans ma tête Gavri-èl archange déploie tout le destin qui fut cet homme, sa descendance (Eva, Diana) et la condamnation du père par ses filles en jugement du tant de telle année. J'entre chez lui : trente années de plus, délaissé, avec sa mitraillette à crosse de buis, ses trois fusils couchés sur le râtelier en bois de cerfs, « qu'ils y viennent ! qu'ils y viennent !  - Qui donc ? je dis Qui donc ? Il répond par un vague murmure. Juste des mois et des années, sa voix écorchée la veille dans le répondeur : ...n'est pas là pour le moment – j'échappe à son histoire, à l'histoire.

     

    Analepse

    « Vous êtes arrivé ». La portière s'ouvre. Je descends seul. Dans mon dos les Drüften, 72, 73 ans, transférés eux aussi, le détenu et les deux gardes, qui ne crèvent jamais. Rue poussiéreuse à l'autre bout de T., trottoirs défoncés, ascenseur à trois collés à la verticale, je les sens je suspends mon souffle, à deux doigts sifflent les câbles tout pelés frôlant l'habitacle vitré. L'autre cellule est au sixième étage, les déménageurs éventrent une caisse d'où tombe la paille et la cafetière ébréchée, bleu vert, qui recueillait mon sperme par faveur spéciale.

    Frau Drüften s'en empare et la flaire.

     

    Lettre de Kragen

    « L'interminable agonie du cancéreux permet de parcourir toute l'échelle des vanités. » Sur l'échiquier qu'il me tend aujourd'hui à travers le passe-plat, Kragen pince du pouce un message ainsi rédigé : « Je ne souffre plus de devoir enfin mourir » - il raye le premier mot, je chiffonne tout. La partie se déroule avec faste, j'interviens pour qu'une meilleure lampe nous soit attribuée, tandis que là-haut Daniel Tag, informé, se lisse la mâchoire : « Ce petit progresse ».

     

    Analepse, suite

    Aux alentours de T., le vieux Drüften fut jadis ouvrier, très estimé. « A force de crédit et de compétence, il est parvenu à se faire confier la gérance [...] (...) tement, scrupuleusement - » tout est écrit petit ; plus gros, en bas de son contrat : Il traitera les détenus comme un père ». Tes doutes tu lui confieras.

    Les ouvriers charrient les meubles, la vieille garde crie, le Drüften mâle encule mon âme, plus tard il me promène au fond d'un vallon, sous un toit de tôle en ruines : « Mon ancien atelier », je ramasse au sol de vieilles revues humoristiques belges, soudées d'humidité, qui feront mes délices de prisonnier - aujourd'hui j'emménage : « Tu seras maté » me jette le vieux garde en se levant d'une caisse vide. Je demande : « Avez-vous des filles ? » Il s'éloigneet me laisse seul. Dans ma seconde geôle tout est clair, par une grande baie vitrée la seule mer en vue est celle des terrasses - Dorimon, qui te surveille ? et qui encombres-tu ? ...te raccompagnent-ils en Métropole, ta mère est-elle encore au monde, etc.) - dans ma cellule lumineuse un petit tas d'objets surexposés soit trois microsillons (Strauss, Messager, Wagner), plus une boîte étrange très compacte et capitonnée, contenant un accordéon d'Europe.

    L'instrument trop petit, deux octaves d'étendue sur clavier droit, bretelles rouges à se meurtrir les côtes et ventre rebiglant sous le soufflet : «...à chaque prisonnier sera gracieusement remis le Chtoudennt Fir afin d'améliorer leur sort en nos établissements » - nos établissements ! C'est dans la cour pour peu qu'ils jouent à deux ou trois une cacophonie à hurler, de ces plats arpèges aigrelets juste bons pour les hameaux – je cours donc au garde-fou du balcon, ne trouvant au sixième ni cour ni vis-à-vis, et je joue pour le ciel et la lune : 1m 20 de haut sur un demi de large parapet compris.Mes progrès sont rapides ; et par l'ascenseur ô prodige ! il me sera possible de rejoindre la prison d'en bas.

     

    Je redescends. Radio.

    Où je suis en bas le même qu'au sommet, comme nous l'avons toujours su. Sous terre, à ces 3 femmes que séparément l'Instance nous délègue, je n'accorde aucune prérogative : se succèdent la chanteuse, la versifiante et la musicale, au sexe de laquelle je prête une saveur d'endive, avec le nez en lame et l'accent traînant – comment vous est venue l'idée de composer de si jolies chansons (de si charmants poèmes) ? Mon chien Pataud / A le nez gros / Et lève la patte / Sur les tomates - ô terroir ! épargne-moi de respecter tout ce qui vit – voir et être vu – sur la terre comme au ciel. Ici très bas je n'ai que l'écroué Kragen, moribond sans issue au fond des galeries, à la dernière lampe ; en fin de conscience il me voit comme une brume, ses derniers doutes sardoniques galvanisent encore mes neurones en sursis.

     

    Rainier. Dorimon. Souvenirs.

    Pour le Premier du mois est arrivé Rainier, petit homme vert à la voix de crécelle, Belge Lorsque j'étais enfant dans ma rue de surface : ma préoccupation essentielle resta toujours de bien passer au large, au large de la boîte à tantes, tout juste visible de chez moi en me penchant à fond de mon balcon ; ils me hélaient au passage, grossiers, fardés : « Viens nous voir - 'aji ! 'arrouah ! » - du haut de mes culottes courtes je traçais en crachant la croix chrétienne dans la poussière. J'ai pris pour rentrer chez moi cette rue parallèle, m'imposant un long détour, passant ainsi devant les émigrés de Mourmansk, aux cheveux blancs si transparents. Je ne parvins jamais pas à séduire le fils afin de contempler la mère.

    Et je me demandais aussi rentré là-haut ce qu'était devenu à l'ancienne adresse Mingot-Mâche-Merde, que ses parents forçaient à bouffer sa diarrhée sur tartines, mon partenaire au jeu dont je lorgnais, par le puits d'aération, le postérieur scrofuleux ; c'est bien là de ma part un vif intérêt pour les autres. Rainier donc. Petit, myope et méfiant – un mouton ? dormant dans un coin, à même le duvet que j'ai fini par lui passer ? Un mouchard. Drüften apportait sa soupe, vieux, patelin, son gros nez rouge surplombant l'écuelle - artisan belge en retraite – il se prend, oui, pour un agent hors pair. Le Rainier m'est profondément antipathique : à ma grande honte - mais nul n'est maître de ses sentiments (nous connaissons vous et moi ces amis traîtres, révélateurs de vos faiblesses, de vos failles intimes, les sexuelles par exemple, à vos pires ennemis – mes ennemis du temps d'avant se moquaient de moi publiquement) - ce fut bientôt mon nouvel ami Rainier.

    Ce qui vient, ce qui se présente. Dorimon roux, le cheveu ras, le teint brouillé d'orange. Mon nouvel ami Rainier pose le cul près de sa pipe à côté des disques – il les sort de leurs pochettes,

    les laisse retomber d'un bruit sec : « Beethoven...! Messager !... Delibes !... » avec la moue : même sac, même panier. « Ils vont te mettre en liberté conditionnelle. » Décontenancer l'interlocuteur par de brusques lacets : ce qu'ils savent bien faire. Je reste incrédule. Rainier place mes disques noirs sur le plateau – je vois ses lèvres roses sur sa gueule verte. Il esquisse des mouvements de bras, de tête et d'épaules ; un air bourru, désapprobateur – j'avais pensé qu'il s'efforçait de ressembler à Beethoven – il battait la mesure en grognant. Il éclata : « OUM, pah... OUM, pah... qu'est-ce que c'est que cette musique : « OUM-pah... »

    Beethoven, un peu mieux, mais tout juste : « LA – pompe... LA – pompe... » - et sur les Quatre Coups du destin : « La pompe à mêêêrde, la-pom-pa-mêêêêrde... »

     

    ...Libre à Dorimon de rejoindre plus tard, hors de moi, sa femme à venir dévorée par la tumeur – toute la partie gauche du cerveau – tous deux se mettront à boire – les deux dernières années - les filles de dix et six ans trébucheront sur les canettes – mon nouvel ami Rainier ne me quitte plus, je suis sans abandon, privé de la moindre solitude sans apprentissage – un petit homme vert me veut du bien. Je n'ai pas la capacité de plisser les yeux – tandis que la disposition de cette pièce empêche qu'on s'abrite des lumières ; l'automne se révèle cruel et lumineux, Rainier s'absorbe: « Que fais-tu ? » - je le regarde brider ses yeux de rat au-dessus de ses lèvres roses : « Tu changeras ma musique? » Je dépends tant d'autrui.

    La façon qu'ils ont tous de confisquer, de m'obstruer comme un tuyau pincé. Le jour est proche où si Rainier se lasse, je me tue - la mort comme un dieu : y recourir en temps et heure.

     

    Antenne souterraine

    Une haine rentrée - vulgaire,  agressive, impensable, corps de garde  - est de règle absolue pour le présentateur : tout est rédigé mot à mot dans son morne galetas puis il s'assied plud loin face au micro sur le tabouret tournant, curseurs glissant sur la table de mixage. Liz vue de dos vernit ses ongles, abat la tâche administrative ; dans une histoire que j'écris un peuple fatigué de race blanche en un pays comme l'Egypte antique se laisse envahir par un second peuple, épuisé, de race noire, venu d'un pays semblable à l'Ethiopie («pays des Visages Brûlés »). Nul ne croit plus en rien, ni le premier, ni le second - deux fleuves alourdis, confluant à bout de basse pente dans les sables. « Khyrs et Tzaghîrs », tels sont leurs noms, Blancs et Noirs, et le titre du récit. « Hélas » dit Kragen, tout rongé de cancer : «Mon successeur diffuse mollement, dans un style avachi, les sujets les plus graves : Déclin et mort des civilisations, Renoncements économiques et tittéraire, Vie quotidienne ; La coagulation des sangs nouveaux – pourquoi noirs  ? Pièces confinées bâillant sur d'autres pièces confinées, à l'infini» - vrai que mes peuples, Mâle et Femelle, Noir et Blanc, se voient périr de contagion l'un l'autre.

    Se contemplent et se contaminent les Blancs, alanguis, littéraires ; femmes noires guerrières, affaiblies, croupissantes - (« les véritables inférieurs sentent bien qu'ils méritent leur sort ; ils se mangent entre eux dans leurs galeries »). Philippe Maertens, animateur, peut bien bouffonner, pitrifier : les souterrains regorgent de nous. Dénoncer la souffrance n'est pas soigner. »

     

    Surface, dernière

    Nous avons débouché en pleine ville. Libres non évadés : Rainier nous est venu de l'extérieur, service commandé ? Je découvre la ville, Tanger, Maroc, c'est son nom. Cent mélopées du fond des âges, litière à porteurs vêtus de peaux de bêtes, le chant retenu de leurs voix graves - et six microsillons pour tout bagage – marche à la délivrance – rue montante, sable et gooudron, et les collines aux buissons verts piquants, souliers sales.

    Tu verras une femme tu la reconnaîtras – on n'avait pas le droit de m'enfermer ainsi au début de ma vie, si long, si long – c'est une vaste demeure sur la crête, où se presse une foule qui danse – les cheveux noirs et les yeux froids - et la chanson fait Poïsen aï-vé-é-é-é-é-é – ce lierre empoisonné collant du Missouri rongeant la peau des bras – modulation finale envoûtante et non plate aaï-vé comme l'ont rectifiée pensaient-ils les porcs adaptateurs mais la vera monteverdiana sulla finale et tout est accompli, chante et danse au milieu de la foule et des chambres bondées au sommet de la côté et l'hôtesse Babetter du grand bâtiment rouge aux meurtrières il est tant d'ombres au bas du ventre où s'ouvrent et se ramifient les femmes, autant de portes au pied des murs aux clés perdues - soudain Babetter se met à hurler, me vole la vedette devant tous, convulsée sur un grand lit rose dans la chambre tamisée - avale, avale - vous l'étranglez  - de l'eau rien que de l'eau chagrin d'amour ? En vérité, une femme ?

    Ce sont des sanglots, des hoquets, un glaçon, le soutien-gorge ôté par-dessous, je découvre tant de choses et ces incalculables pièces aux volets clos tandis que j'allume à mesure tant de lampes aux abat-jour crevette, Combinaison  Cinquante-Trois le Vrai Sous-Vêtements Toutes Tailles. Rainier me surprend à fouiller : «  Tu quittes Babetter ? - Trop femme. - Que sais-tu des femmes ou des hommes, Maertens, ou de toi ? - Ou de la vie - qui m'a donc enfermé ? » Babetter si vite baisée cessait enfin de sangloter sous l'abat-jour et j'aurais dit mais n'ai pas dit « j'aime ton fond de teint, ton blush, ton mascara ; sur les méplats cuivrés de tes joues plates de kazakhe l'incarnation du cuivre martelé de vos ceintures acceptes-tu mon bras »?  - En vérité elle eût accepté dit Rainier. -Je l'aurais serrée contre moi.

    - N'y pense plus » dit-il – répandez à présent la nouvelle que j'aime torturer les femmes, les rendre folles sous les abat-jours de soie rose – et seul je redescends la colline sans congé, tandis que là-haut la fête bat son plein, serrant sur mon ventre le mocrosillon volé de Stravinski, Le sacre du printemps, portrait du maître sur carton glacé - musique : seule agitation permise.

    Ce ne sont plus les quatre coups de Louis Beethove [à la néerlandaise] ni les cordes à l'unisson sous le Vent d'Est mais Stravinski aux parfums de bourbon, mon cœur , étouffant d'espoir, bat : ni l'aventure ni la vie je n'ai rien. Je me souviens des câbles d'ascenseurs frémissants c'était le  tremblement de terre  aussitôt je bondis aux premiers staccatos du Sacre j'ignore la danse mais je bats des ailes escalade les murs et me cogne en poussant des sons entrecoupés rien n'est semblable au plaisir de heurter ses barreaux, d'intensément crier jamais je ne me suis senti plus libre qu'en cellule sur mon disque volé bien payé de neuf longs mois de taule. Séjour lumineux Main qui me guide impossible de me perdre.

    J'écoute jusqu'au bout, creux de l'estomac, faim et satiété, souffle approfondi, plus tard j'ai vu la danse primitive tous en rond tenus par les épaules dos de crabe à dos de crabe et pinces dessus dessous - crustacé tressaillant multiple ingéré par son propre corps – pulsion musique éternité peut-être.

     

    X

     

    De mon balcon de pierre blanche du sixième à parapet trop bas où je vis seul et dominant la ville, oublieux (par accès) des tourments du jeune prisonnier que je suis – vous ne savez pas mon âge - voici ma vie : au-dessus du dernier palier trône au-dessus de la cage d'ascenseur le mécanisme à levée-descente, bête métallique suspendue au ras du carré de plafond. Dehors tout en bas, très étroit, bosselé, le trottoir défoncé en cuvettes d'asphalte aux rebords coupants laisse échapper le sable qu'il veut recouvrir. Deux amis passent portant la moustache arabe, qui fait d'en haut sa ligne étroite et noire. Même veston, même chemise chic. Je crache alors dessus. Je ne crois pas d'abord que le crachat volera sur l'un d'eux.

    C'est juste pour voir, comme à New-York la poussière par vent moyen (vingt centimètres d'amplitude au 120e étage) qui forme entre les buildings des figures : mon mollard tombe en s'aplatissant, souple galette hélicoïdale. Pour autant que j'en puisse juger, au grand sursaut que fait le premier ami, le crachat ne s'est ni dissous ni désagrégé : l'homme se tourne avec douleur, pousse son ami des deux mains, ils s'insultent et le vent leur emporte les mots de la bouche. Le dédicataire, le récepteur – escalade alors en furie dans son petit costume la terrasse la plus proche, au-dessus d'un garage et cernée d'un placage aluminium/goudron ; il piétine à quatre pattes en

    grinçant des dents. Je le vois creuser les angles, racler, se retourner les ongles. Il ressaute à terre, écumant, se frotte le falze, les deux s'éloignent en braillant, les bras giclant comme des pattes de crabe, ils finissent par se casser la gueule – et moi j'étouffe sur mon balcon, je suffoque, plié en deux, je m'enferme sans le moindre bruit et je me roule sur le lit en hurlant de rire.

     

    X

     

    Le vieux Drüften me voit le soir même. Sans révolte et sans sagesse. Se laisse tomber sur le pouf, main rouge pendante, blair d'inquisiteur – sa lippe de vieux. A présent dit-il tu es fort . Nous t'avons vu danser. Je suis filmé même quand je me branle. Tourné vers le mur. Tu aurais pu t'évader dix fois. Cela me regarde. Ils m'auraient viré. J'en doute. Pour le mollard pas davantage – nul n'a pensé à lever les yeux. Ton short est plein de sperme. On ne m'aura plus. De cette façon. Les tortues fraîches écloses crèvent par milliers sous le bec des prédateurs avant qu'une ou deux atteigne le rivage. J'avais apprivoisé une tortue sur mon balcon. Elle a disparu. Du sixième étage. Bizarre. Je m'incline sur le parapet trop bas, jusqu'au creux du ventre : j'aperçois le visage levé d'Ingeborg Josz, Danoise.

    N'estimer personne en dehors de sa présomption d'innocence. Se faire un droit de ses persécutions afin de reléguer le monde hors perception. C'est pourquoi je suis prisonnier. Mon geôlier prévoit pour moi la plus belle des rencontres : « Tu feras connaissance avec une femme auprès de qui la Babetter, prostituée en fuite, ainsi que sa fille – dont tu n'oserais préciser l'âge – te paraîtront ternes, à oublier, jusqu'au jour de ta mort ; ce jour-là tu réclameras un prêtre et un rabbin, dans les sanglots. » Je meurs de honte ; Ingeborg Josz, nouvelle femme, me poursuit dans la rue à grandes enjambées, talons hauts sur trottoir défoncé. Je me refuse à elle. Jamais je n'ai cru aux souffrances des femmes.

    Babetter était plus qu'une pute. Je ne m'en doutais pas alors. Je ne l'ai jamais retenue. Ni ne me suis demandé la raison de sa présence, ou de son absence. Ni comment il se faisait que la Danoise, Ingeborg, se trouvait le lendemain devant moi : « J'ai reçu ta lettre » dit-elle (écrite en danois ?) - les yeux brillants. Si les Drüften mes gardes n'étaient pas si horriblement laids, ne serait-ce pas la chose la plus désespérante au monde ? Je me suis laissé rattraper ; j'ai pris Josz dans les bras. « Il se sent prisonnier » dit Rainier. « Il se plaint beaucoup ».

    X

     

    Soudain mon lit captif se met à bouger, secoué d'arrière en avant, d'avant en arrière, nauséeux, maritime. Tout l'immeuble. Dans ma pièce centrale, mes deux Drüften, mâle et femelle, se sont regardés dans la terreur. Le séisme d'Agadir est encore en mémoire : 10 000 morts le 29 février ; un colon s'exclama : « Ce n'est que du bétail ! » Cela fit rire. De toutes les rues de T. monte une rumeur, puis une tempête de klaxons : c'est un flot de population qui s'enfuit le plus loin possible des immeubles – et où cela ? – Vers la plage ! » Nos voisins de palier sortent blêmes, décomposés, réconciliés : la femme ne veut plus quitter son mari - « Remontez-moi ça ! » disait-il la veille aux déménageurs – un collègue l'avait averti : « Ta femme se taille avec les meubles, les mômes ! » - à présent dans les yeux dilatés de tous l'épouvante tranquille – devant nous les câbles de l'ascenseur vibrent en interminable accord grave – d'immenses les tentacules noirs pelés.

    Pour peu que la pendulation forcisse, chutant de biais ou de haut, nous serons morts ; si l'immeuble se replie, nous pourrons survivre. Une forte odeur de merde s'éleva, et la terre cessa de trembler ; je ne reverrai Tanger que lorsqu'il sera trop tard : mes vieilles mains frémiront, mon regard s'assombrira. Je veux dans mes bras serrer de vraies femmes. Et me rouler, vite, sur des chairs clandestines. J'ai dévalé par les escaliers, sans que les deux vieillards aient osé me poursuivre; Josz attend au pied des marches, nous nous précipitons parmi la ville effervescente, nous aimons debout contre un mur de briques, arc-boutés, branlants, rapides, elle s'enfuit nue et seule sous les pierres tombantes, je la vois s'effondrer sous un porche dont le linteau glissant l'aura tuée dans sa peau blonde.

    Affolé sans chagrin je cours dans les rues parcourues de frissons et de véhicules, mais tout grouille vers les navires à quai exigeaient le prix fort, il se rend aux autorités, nul jugement ne fut prononcé.

     

    TRANSFÈREMENT RUE LAFAYETTE

     

    Prison numéro 3. Immeuble aux balcons de faux silex ventrus sur le carrefour, tout prêts à s'écrouler en sandwichs mortels. Disparition des Drüften. Semi-liberté. Josz et Maertens ont réchappé. Entre deux lippes du balcon les voici enlacés L'immeuble tint bon. Ses lèvres de ciment

    ne se refermèrent pas. Notre héros obtint Josz Ingeborg par droit de sauvetage (d'épave). Ils en rient. Partagent leur vie sous les plafonds bas, entre balcon du haut et balcon du bas : "Je fuyais nue par les rues. Tu m'attrapais par le bras, évadé, en pyjama, la main sur la ceinture." Comme les citoyens de revenus aisés prennent le soleil entre les lourdes lèvres de façade. La rue tangue sous les coups de vent, les camionnettes filent, chargées d'hommes assis criant cramponnés aux ridelles, brandissant des armes de leurs main libres. Cela distrait les amants. Maertens vivait enfin son grand amour, une fille rieuse et blonde sur un balcon fleuri, et qui ne pose pas de questions ("D'où viens tu? Quelle est ton histoire ?") Excellente humeur. Dents propres. L'immeuble tient bon.

     

    Noms oubliés

    Jérémie des Instances descend en sous-sol, messager de sa ville : un effondrement s'est produit (cet homme à lui seul occupe un espace considérable ; un gros ne saurait trouver place en nos galeries étroites enfumées) - ainsi se trouve vérifiée la Prophétie : « crevaison », « rupture du sol », « infiltration », «monde morne », éternelle expiation » – jadis je croyais que je pouvais vivre. Je reportai les yeux sous ma terre : un groupe a surgi dans une de nos salles, sous son ciel peint a giorno : seules y resplendissent les faces de nos dieux, en qui je place ma confiance – ainsi Jérémie, messager, un collier de barbe orange et des yeux en mares de bière, pommettes grasses. Front haut et souffle fort. "Il est le dieu qui ne dit rien". Une grâce m'est offerte.

    Supposé que tant d'hommes débouchent dans les couloirs obscurs de notre station émettrice ; que Liz en soit sur-le-champ subjuguée (tous bien portants, jeunes et forts). Daniel Tag leur parle à voix haute, ses mains soudain volubiles, ses lunettes de fer cerclant ses yeux de supplicié, souriants : « Un vote » réclame-t-il, « un vote » - il prononce "veaute". Au-delà des verrières de notre studio éclatent des flashes multicolores – l'homme d'ombre que je suis ne s'éblouit que des faces divines. Et c'est alors, le vote dépouillé, que nous apprenons tous la destitution de Daniel Tag, qui pleure tout droit, les yeux rougis d'un gosse, décomposé sans geste de défense, exit, exit Daniel Tag, tandis qu'autour de lui se pressent les restes d'une cour aux échines inclinées, Tag exécute sa sortie, s'appliquant à ne pas chanceler.

    Sous l'ovation Jérémie dit que désormais [je] parlera[i] librement. Il me sourit. C'est alors que dans son dos s'élèvent deux gigantesques ombres, dont l'une porte un melon volhynien de juif. La Volhynie est une région forestière du nord-ouest de l'Ukraine. L'autre ombre, en retrait,

    indistincte, prétend me représenter, passer pour moi ; que va-t-il dire ? seul à détrôner mes dieux !

    Faites sauter tout le couvercle (sky, skull/ ciel et crâne).

     

     

    Attention, espoir

     

    Tout s'est passé simplement. Je conduis Rappoport, juif volhynien, et la seconde ombre, dans le labyrinthe (il fait le brave) : il décline son nom, sa classe (marquis), sa religion : "Je viens de Tanger" - je n'en crois rien : Tanger c'est blanc, clair et venteux. Nous descendons encore, suivant les rampes. Le plafond baisse. L'air pulse d'en bas. Les camionnettes en surface fuient toujours. Tanger ressemble aux Vosges, aux Pyrénées : versant doux, versant raide. Les camionnettes repiquent sur Alcazaba-Vieja, la Kasbah. Le tsunami ne vient pas, le vent reluit, le soleil de ma rue frémit comme un chat qui dort, les deux amants se contemplent.

    A l'étage Rappaport, petit juif de Volhynie, médite pour leur bien. On ne vit pas d'eau claire. Maertens et Josz (l'amour par ses Noms de famille) dînent à la fenêtre ouverte. Rappaport leur apprend la terrible nouvelle de la Catastrophe de Colombie : Tremblement de terre oublié – trente mille morts d'un coup sous la coulée de boue dévalée d'un volcan – de l'autre versant téléphonait une postière à sa collègue : « Fuyez ! ¡ por Dios, huíste ! » - la calotte gorgée d'eau pour s'abate d'un coup comme une claque, trente mille habitants saisis de boue de la gorge aux poumons – ¿ Aló si ? - puis le silence - Ya màs encontraré el descanso « jamais plus » dit la survivante « je ne connaîtrai le repos » - Rappoport affiche le calme qui sied aux rescapés - quel intérêt, je vous le demande, à se faire passer pour juif ?

    « Snobisme insupportable » dit Maertens - « Odieux » renchérit Josse « N'exagère pas » dit Maertens. La boue liquide s'effondra sous la poussée de lave mille millions de mètres cubes de diarrhée glacée « Tais-toi dit Josse Tais-toi » – les relations avec le juif de Volhynie restent froides - la mort en masse. Camps et volcans. Assassins, assassins, répète Rappoport. C'est la première fois que je rencontre un juif rancunier. D'habitude ils se terrent. Atterrés. « Je suis montée chez lui » dit Josz, «Tout blotti haletant dans son angle – est-ce qu'on en a enterrés vivants ? » Naïveté de Josz. Maertens planqué à l'étage au-dessous remâchant ses frustrations, sur la chance d'être juif - c'est proprement intolérable.

    A peine sorti de prison. Pomarès et son flingue, les Drüften septuagénaires et leurs haillons n'étaient pas dangereux – bien qu'une balle soit vite partie ; le vieux partisan belge porte toujours un gros Mauser sous ses guenilles. Rappoport occupe au-dessus un deux pièces qui serait éblouissant s'il n'avait pas bourré jusqu'aux fenêtres un tas de meubles, coffres ou bahuts laissés là par ses sœurs avec tout leur beau linge - son regard plonge sur la cour depuis la baie vitrée, chapeau bas sur les yeux, pensées fourmillantes entre ses épaules, recueilli, dissimulé, nourri jadis par un vieil oncle catholique - «On n'allait pas tuer un juif aussi jeune » - alibi, alibi. «  Attention, dit Maertens, il n'est pas juif.

    - Il avait cinq ans à la fin de la guerre. - Josz, je n'ai pas de preuve. » Une lettre interceptée : le marquis Rappoport exprime en vers des sentiments « sincères et dévoués ». Mentionne expressément les yeux, la  bouche , les volutes d'une longue boucle cendrée - j'ai moi aussi observé la bouche. Rappoport offre chez lui le thé, s'assoit près de Josz sans gestes excessifs, parlant de choses légères et graves. « Charmeur » dit-elle. Puis il insiste (« sottement », dit-elle) pour la raccompagner sur le palier. Je les aperçois tous deux, se dirigeant vers notre porte dans le le long corridor à moquette sous les spots, l'un tenant l'autre. A mon tour d'inviter Rappoport : il passe alors ma porte sous mon bras levé puis s'assoit en, soufflant doucement, sur le voltaire vert, et nous voici tous : j'ai retrouvé ma dignité.

    Ma clairvoyance. Le marquis s'est fait discret, contrairement aux codétenus précédents, sitôt dans ma cellule vite encombrants. Josz : « Jamais mon mari » - de qui s'agit-il ? - « n'accepte d'autres hommes à moins qu'ils ne ressemblent trait pour trait » - de moi ? - « à celuiqui l'a précédé » - un donneur de leçons, voilà ce qu'il doit être». Rappaport se retire – je le rattrape en plein couloir : je m'en contentais bien, moi, d'une relation ordinaire ! ...Depuis je me vautre, dans mon confort, comme un porc. L'hiver mord la ville lumineuse. C'est effrayant quand on y pense. Coincés comme nous sommes tous entre ces tranches pâtissières de granite - balcon dessus, balcon dessous – mâchoire mortelle.

    Jusqu'ici nous évitons d'installer chez nous, Josz et moi, ce faux juif et faux marquis, bien qu'il ne semble manifester aucune excitation sexuelle incongrue, silhouette découpée sur le balcon d'en haut. Tant de soleil me dissuade : je ne serai jamais Tangérois. « Tingitan », rectifie le Marquis ; il me reprend à part : « Assez de faux-fuyants», je réponds «j'ai trouvé le bonheur une-femme-que-j'aime-et-qui-m'aime  - Non sans mal » conclut-il. Josz et moi jouons ainsi : nous montons et descendons ventre à ventre dans les ascenseurs de bois vernis, cercueils verticaux, scarabées doubles portes battantes, un aller-retour par cage – l'immuable portière andalouse en haillons locaux nous crie depuis sa loge ¡ y qué ya no os vuelvo a pillar ! - que je ne vous y reprenne plus ! Nous détalons galopins de trente ans nous explorons la Ville d'immeuble en immeuble Tanger Européenne Quartier Blanc Barrio Blanco enserrant le Zoco Casbah féconde « aux terrasses imbriquées » – de tant de métropole je n'aurai connu que les «buildings trop neufs» plaqués de marbres aux veines glauques, déserts depuis peut-être ou démolis, ciments verticaux sur le sable et le vide, lifts étroits claquants leurs vantaux de saloons à grilles losangées, coulissantes, pinçant, bloquées.

    Arrêts d'urgence et déclics décalés, sifflements reptiliens des poulies huilées, souffles caoutchoutés des câbles et clôtures, avec au ras des yeux les parois défilant plâtrées striées de hiéroglyphes : Aqui me quedo (« j'habite ici ») je reste suspendu d'un geste inadapté nous aurions détaché le panier métallique précipitant coupant nos poings sur les fers ouvragés nous empalant sur les ressorts du fond. Il y a des enfants sans famille qui se suspendent aux câbles et tirent à toutes forces et lâchent tout, d'un cri, la cabine file crever le plafond plâtré puis retombe écrasée par le contrepoids – PENDANT LES TREMBLEMENTS DE TERRE NE PAS EMPRUNTER L'ASCENSEUR - DURANTE LOS TERREMOTOS SE PREGA ENCARECIDAMENTE « instamment » - (…) Rappoport à qui nous ne cachons rien répète « je t'en sortirai » - mais nous ne voulons pas sortir - quand Dorimon, au moins, ne disait rien – je n'aime pas les gens qui crient « je t'aime » (Ingeborg) – j'ignore, en définitive, le véritable sens des ascenseurs.

    Le père du marquis fut un escroc à présent mort qui lui légua cette démarche de faussaire, sang bizarre et moustache blanche, teint mat et grains de beauté douteux sous le col. « S'évader », dit-il : je n'y tiens pas. Il nous enseigne l'hébreu – d'un accent velouté, voilé. Josz répète adonaï élohénou, blonde aux ongles vernis, Rappoport eût aimé je le crains la mettre en rapport avec moi pour en toucher le pourcentage et cela l'impatiente. Il nous lit ses écrits de jeunesse dit-il, sur un mystérieux vélin, bien que je voie par translucidité la succession foncée des paragraphes : « L'amour sous les bombardements – contre les pierres sèches avant qu'elles s'effondrent » - « Notre histoire ! » dit Josz à voix basse, le juif imaginaire agite les feuillets qu'il tend devant ses yeux ; ses paupière sont bordées de rouge – il raconte des fuites échevelées, gravats et poussière, vêtements déchirés sur les seins, femmes hurlant sous les sirènes – Ingeborg : « Il vient de l'écrire ! vois, l'encre est encore fraîche ». Dans la nouvelle suivante : un homme fou d'amour, une femme éperdue tendant les bras du fond d'un transformateur éventré, tous deux électrocutés grillés dans les déflagrations – nous nous confondons en admirations évasives « une ignoble odeur de brûlé s'éleva ».

     

    X

     

    Si jusqu'ici le Marquis espère vivement notre évasion, les comparses discrets qui se succèdent à nos chevets sont proprement ses auxiliaires. La vision exaltée d'amour n'est pas si véritablement passionnelle : tremblements de terre, rapts, bombardements, tout ce qui s'ensuit. Le sauvetage où s'astreint Rappoport impose une tâche malaisée : rechercher en la femme non pas un bonheur, ni l'accomplissement, une harmonie peut-être – prisonniers qu'ils sont comme nous de la ville, de ces arrachement, de ces passions de prisonniers, incapables d'en éprouver d'autres que cette injustice qui leur est faite. L'étendue de la perte à subir lui est représentée par le biais d'une série de photographies : Ingeborg sur le balcon, parmi les plantes vertes fraîchement acquises, et souriant à contre-jour ; nous lui montrons cela.

    Poker. Enjeu Josz, Ingeborg. Je perds, le faux Marquis modifie les règles à mesure , tu vas perdre ta femme dit-il, « je n'en ai pas » lui ai-je répondu, je l'entrevois courbée dans l'autre pièce au-dessus d'un rouleau d'exégèse massorétique ; « elle a progressé !» s'exclame Rappoport « jamais je n'aurais cru qu'elle eût progressé à ce point » - il rafle les mises et nous baissons la voix. Nous sortons lui et moi dans la rue, sous un auvent trois Arabes assis en djellabas blanches, comme trois figurants prisonniers à vie. Rappoport et moi programmons à mi-voix quelque viol de femme, Josz nous rejoint et dit « J'y pensais justement », « Ta gueule » dit le Marquis en hébreu.

    Ingeborg s'enfuit, Je ne te retiens pas lui dis-je, Prisonnière ! et le Marquis devint imprévisible ; je vis la volupté de sa joue d'enfant mat, le dessin souple de ses lèvres, sa moue pour un chapitre de grammaire mal su, ou toute idée obcure où se concentre tout l'humain.Rappoport veut m'isoler, m'avoir tout à lui, se servir de moi, me passer dessus, me délivrer sous lui. C'est le premier homme de cette sorte. Il invente à mesure un poker dont les règles changent, de sorte que je perde : je perds mes jours de liberté que j'ai misés, il consent à recevoir des indulgences au sens ecclésial du terme ; quelle Eglise ou Synagogue représente ce petit homme, ce goy honteux ? j'abats

    mon jeu « pour voir » : il me prend six jours encore, plus une semaine. J'ouvre la fenêtre. Toute femme a disparu. Grande. Inextricable Casbah. Je respire à pleins poumons, cerclé d'angoisse, au balcon d'angle arrondi – baigné de soleil tout le jour ; mais pour Tanger, pour le Maroc, il fait froid. Le faux Marquis me propose de partir à sa recherche – je gonfle ma poitrine d'air sec et frais – je devine au-delà du Détroit ce vent d'est qui crête les vagues au-delà du ressaut... Rejoindre ou ramener mon Ingeborg ? ma Josz ? ma Bettendorf ? l'amour pour moi n'interroge plus rien ni personne, juste ces motifs bleus de tenture immobile, sans tous ces remuements d'obscurités que nous brassent les femmes, les autres, celles que j'imagine dans les ténèbres si propices aux cauchemars... Pari tenu dis-je, mon Ingeborg est lumineuse, je suis le marquis par la porte vitrée du corridor aux moquettes mates, car je tiens en mains ce marché si resplendissant, quelques points au poker, en regard de l'éternité. « Nous la rattraperons » dit-il « et nous la forcerons » - Tu en prends pour perpète » - un tel propos chez lui est inhabituel, il faut qu'il soit sous l'emprise d'un souvenir atroce. « Avant qu'un fou n'en vienne là, poursuit-il, de combien de refus émerge le violeur, absous par les mépris accumulés – en vérité dit-il la femme porte sur son dos la responsabilité de la moitié des meurtres et viols du monde – il me vole au poker, il me rendra ces doux ongles vernis dont elle se griffait si violemment le sexe devant mes yeux hagards. TROMPE,coulanges, barboteuse

    Les muscles intérieurs des cuisses s'appellent virginitatis custodes, gardiens de la virginité, je sens dans les yeux de cet homme et leur flamme l'accomplissement de son Moi pervers et véridique ; son calmant n'agit plus, il halète, ses traits se crispent – c'est un trisme ou phase tétanique terminale et je verse de l'eau pour qu'il prenne un cachet : le tube est du plus fort dosage en vente au sud de la mer Méditerranée. Tout son corps tremble – nous ne pourrons pas prende l'ascenseur, je le soutiens dans les cages et le hall où je le remonte ; l'étends tout habillé, lui prends la main et lui dis des mots tendres : « Demain... Demain... » Il s'endort et je baisse la tête.

    C'est ainsi que j'apaise un violeur, sans un mot de pitié, tandis qu'il ronfle doucement. Le lendemain remis drogués tous deux nous parcourons en haletant les boyaux chauds de la Casbah (même souffle, même sexe que cet homme), chassons côte à côte parmi les rues blanches au sol poussiéreux, souillées de loin en loin par un crachat séché et véritablement tuberculeux en pleine efficace diffusion - au dernier moment j'écarterai ce chien d'un coup de pied j'entraînerai mon Ingeborg aux ongles faits (soyez tendre avec une femme , jamais vous ne saurez faire l'amour aussi longtemps que vous ne saurez pas qu'une femme, avant tout, veut s'imaginer ne fût-ce qu'un instant,

    se sentir unique pour vous. Tanger n'est pas ce que l'on dit : mais le point de contact, la ligne de fracture avec l'Au-Dessous, par la faille même qui le 29 de février dernier détruisit Agadir. Ainsi toute femme s'est enfouie, aspirée à travers l'un de ces trous d'enfer fumant d'écume du Cap Spartel : la vague sape, recule et frappe encore, les geysers jaillissent et le sol tremble encore, l'eau frotte dans sa gaines, je sens sous ces bouches de roc une infinité de vies. Rappoport souffle sous sa moustache : je le trouve grossier. Pestilentiel. Halètement du bouc en quête de reproduction. «La voici » crie-t-il à voix basse. Nous ne sommes pas où je l'aurais souhaité : c'est, un autre jour, une espace de terre battue, noire, un de ces polygones en ville mal délimités par des murs bas, mi-écroulés au-dessus du Détroit, très loin.

    Dans un angle le soleil se couche : une masse allongée de buissons et de ronces recouvre une dépression du sol si féminine que je retiens un éclat de rire – j'ai appris à me défier, en de longues captivités, des manifestations si incongrues de joie, des enthousiasmes, des compagnons. « La voilà » répète-t-il en écartant les épines. Recroquevillée sur une toile de sac, main levée sur les yeux, le coin de son voile mordu, c'est une femme de ce pays. Elle s'est étendue pour dormir, attendant la pleine nuit pour descendre les pentes jusqu'au port. Il écarte son voile d'un coup sec, et je lis sur les traits de la femme une extrême fierté. Nous l'avons violée dès son révéil, et notre épouvante devint extrême : derrière nous dans le jour déclinant quantité de parents, amis et voisins, accouraient hérissés d'armes découpées sur le ciel. «Ils me tueront avec vous » souffle alors la femme : levée d'un bond elle ouvre plus profond sous les ronces une trappe de fer qu'elle a verrouillée sur nous tous. Les premiers coups retentissent : « Je ne vous sauverai pas » dit-elle. « Vous sentez toute les lâchetés, la sueur et l'excrément. » Nous suivions dans l'ombre la frange plus claire de son vêtement glissant de marche en marche. J'ai traité Rappoport de gommeur, sale gommeur de viol. Autour de nous la terre gronde sourdement. Le souterrain où nous allons devient une infinie prison, des dizaines de femmes s'assemblent autour de nous dans la pénombre, des galeries bientôt s'éclairent d'une série d'ampoules crues, monotones, irrégulièrement espacées. L'ai vicié monte à la tête, malgré le ronflement croissant de gigantesques aspirateurs. Je crains de disparaître. Un garde surgi là nous enchaîne : « Voici votre cellule » - un plafond noir, de vastes bruissements plus profonds, plus mugissants ; ces prisons cesseront-elles un jour ? les foreuses défonceront la terre : nul territoire n'est un abri pour la conquête. Dans les galeries éventrées, je prendrai fait et cause pour ce peuple, grouillant sur l'excavation en cercles concentriques, comme la houille ou le diamant. Il n'y a plus ni haut ni bas, juste domination de la masse inculte Vous devez comparaître et j'appris que c'était désormais « le matin ». J'ai vu près de moi les chaînes ballantes du Marquis de Rappoport, il m'est apparu libre aux côtés de Kragen, que je vis pour la première fois ; je me suis alors uni à mon double. Ce fut sans effort particulier, ni secousse, ni commotion d'aucune sorte. Nos maîtres alors se lancèrent dans un long marchandage.

    Mon double à l'intérieur de moi m'a proposé d'explorer cette matière gisant sous nos pas, multiple et uniforme, surface et profondeur, car les excavatrices échouaient à tout extirper. Contemplant Rappoport demeuré seul, Kragen à l'intérieur éclata en moi d'un rire déchirant, muet, qui nous emporta dans une gigantesque quinte de toux. Nous manquâmes mourir. « Artistes de cirque » lança le faux marquis, faux juif, devenu maladif et véritablement cireux. L'éclairage des galeries s'était fait particulièrement blafard. Kragen et moi nous étions considérablement améliorés, par cet inexplicable rémission maintes fois rapportée par les thanatologues ; notre fusion serait-elle éphémère ?

    J'étais venu, moi, du haut de la terre, de cette ville obstinément nommée par tous Tanger, dont ils ignoraient tout. Nous évitions mon double et moi tout mouvement, mais nous étions un homme, entier, fragile encore mais inépuisable. Vers moi seul vrai valide se tendent les micros, les caméras tournent, les articles paraîtront jusqu'après notre mort, à supposer que nous mourrions. Le double coulait dans nos veines et notre lymphe étrange diffusait une bienfaisante sensation de chaleur. Nos maîtres discouraient toujours. Tendant l'oreille enfin par-dessus leur rumeur, après qu'il eurent épuisé tous les penseurs passés, j'approuvai, parmi le ronflement double de nos sangs neufs, la découverte enfin que la Littérature, loin, bien loin par-delà tous les prêtres ou philosophes épris de vérités ou de mensonges, explore seule et catalogue sans rien omettre la totalité de l'homme.

    Les journalistes alors s'égaillèrent parmi les souterrains, ils ne nous recherchèrent plus. Bientôt ce dernier cercle des Enfers sera une carrière à ciel ouvert, amphithéâtre aux gradins effondrés, où grouilleront encore un peu, fourmis sans toit, les hommes noirs que nous ignorons. Nous tombâmes d'accord mon double et moi que tant d'efforts et tant de terre ne pouvaient avoir été remués pour notre seule union si exceptionnelle fût-elle ; nous avons éprouvé le caprice d'obtenir l'aval de cette femme de rencontre, forcée au moins par l'un de nous : « Ne craignez rien » dit-elle, « mes lèvres écrasées, ces griffes sur ma peau et mon viol, ne sont que symboles ou littérature ». Cruauté pure. Nos deux prisons d'en haut, d'en bas : verbe, verbiage. « Prenez garde dit-elle à ne pas mourir. Cette fois pour de bon. - Qu'importe » répond Kragen en toussant. La dernière femme nous installait dans un vaste fauteuil rouge face à l'écran. De telles salles fleurissaient partout, les ouvriers fouisseurs et déblayeurs s'étant pourvus d'amples distractions. Mais ce film-là n'était mobilisé que pour Kragen et moi.

    Nous avons attendu tous deux le défilé de nos vies antérieures, sous-titrées ; la femme nous apprit en dernière instance à presser, sur nos accoudoirs, les touches « accélérer », « retour », « image fixe », comme dans les cabines de pornographie. « Veux-tu dire, Constance, que tous nos compagnons de réclusion défileront devant nous, si peu qu'ils soient venus, afin de justifier nos vies à tous ?  - Tu es épuisé me dit-elle - par ce viol que tu as commis. » A la fin j'étais libre, et Kragen trépassé. Je salue de tout cœur mon peuple souterrain et mes amis d'en haut. S'ils ont volé ma place, la première au monde, ne vous attendez à rien de plus.