Indécences
X LE VIOLONCELLISTE www.anne-jalevski.com
Une rencontre, en totale contradiction avec ce qui précède. La première eut lieu sur la route. Je revenais à Farmoutiers de quelque kinési, suivi par un jeune homme au pas résolu. Il m'aborda dans le dos, par mon nom. Je me retournai, il me dépassait de vingt bons centimètres, car le temps m'a rapetissé. Il me dit ses nom et prénom, que je ne me rappelais plus (depuis, cela m'est revenu : Victor Tristur ; et je me suis souvenu de lui, à peu près). Il tint à me serrer la mains, les yeux dans les yeux, et à me dire combien il voulait me remercier, pour tout ce que mes cours « extraordinaires » lui avaient apporté, « et [lui] apportaient encore ». Je lui répondis : « Ça en fera déjà un ».
J'ai en effet de ces forfanteries. Nous nous sommes donné de nos nouvelles ; il avait repris l'entreprise familiale, sans me révéler laquelle ; et moi, j'avais abandonné le théâtre, mais je bloguais à tout va, et lui répétai ma référence sur Fesse-Bouc – il n'y donna pas suite, car les souvenirs ne se revivifient pas si aisément. Mais juste avant de nous séparer, comme une faveur suprême, il m'a demandé la permission de m'embrasser, avec une extrême émotion.
X
Je comprends mal ce qui m'arrive. Le fait de ne plus m'intéresser à rien est-il le signe d'une guérison complète, ou d'un irréversible plongeon dans la vieillesse ? Ce refus obstiné de ma profession, de ma vie passée, préfigure-t-il ce renoncement des agonisants ? Je n'ai déjà plus qu'une envie : trouver un fossé à peu près sec pour m'y faire secourir, puis hospitaliser. Je me ferais appeler « Monsieur Cohen ». Puis, je parviens à remonter la pente. Je préfèrerais crever en pleine jeunesse et féconde perplexité, au milieu d'un foutoir de notes éparses ; je voudrais amorcer plus de choses que j'en saurais jamais achever, car ce sont les amorces qui m'intéressent, et je hais la spécialisation, et tout effort. Je suis affamé de connaissance et de vie. Pour une femme cependant, si je commence, je poursuis avec elle notre existence entière.
Gourous et psychiatres : la sagesse au litre
Du premier au dernier Sage du dernier rang, je vois des Bouddhas de vitrines en rangs d'oignons avec des bides hideux et des sourires de têtes à claques - morale des trois singes,“ne-rien-voir-ne-rien-entendre-ne-rien-dire” - s'écraser, crever tout de suite ! Ou des Christs vomisseurs d'Evangile, tends l'autre joue. Toute sagesse me répugne. Il existe deux choses contre quoi toute sagesse se fracasse : le quotidien, et la force. Bouddha, va me ranger le beurre. Et que ça saute. Jésus, sors-moi donc la poubelle. C'est le plus fort qui gagne. Le plus riche, le plus intelligent. Le plus sage torche les culs et se fait mettre. Toujours. Pour toujours et pour l'Eternité. Amen. Et je refuse consciemment, de plus en plus consciemment, de mûrir et mourir dans l'adulte, qui est une figure à jamais honnie - que veulent-ils donc, tous ces guérisseurs ? que je « prenne mes responsabilités », que je vienne « efficace », pour devenir un jour l'homme le plus efficace du cimetière ?
Que d'évidences, mes maîtres ! Que de blâmes condescendants sur « le sentiment de toute-puissance puérile », qui DOIT absolument s'évanouir pour se résoudre en ACTION dans le domaine du CONCRET ! Je serai le vieux le plus jeune du monde, quitte à me chier dans les couches.
La peur du sexe
Répandre son sperme, quelle horreur. Ces macrofilms d'aspirations glougloutantes utérines en tourbillons d'évier, les spermatozoïdes engouffrés là-dedans comme des merdes dans une chasse d'eau, avec des trémoussements de friture, ce répugnant gargouillis de mes couilles précipité ridicule dans un vagin de cuvette à chiottes, sous les récris d'admiration de toutes ces spectatrices niaiseuses ; les cellules mâles engouffrées comme autant de tétards moulinant de la queue pousse-toi de là que je m'y mette comme une bousculade de fachos pour gagner la course imbécile et décrocher le prix, cette ignominie infrabestiale des pires délires de la sélection naturelle me débectent, j'en gerbe, tout le monde rit, moi c'est de terreur.
Interférences
Je suis Eux. Le Sacerdoce Professoral transmute, transcende tout cela. Terrible époque à revivre. J'ai déversé sur eux, sur mes élèves, la manifestation de mes névroses. Nous faisons tous cela. Tout le monde le reproche aux autres, pousse les hauts cris, mais tout le monde le fait, car telle est la nature même des relations humaines, « faire payer »... « Tu vas voir ! Il va te faire payer pour ceci, pour cela, qu'iil a vécu ; qui ne te concerne en rien ! » - « Tu vas voir ! Pour marcher, il va mettre un pied devant l'autre ! » Quel scoop, ô Maître Philosophe de Banlieue rennaise !!!... J'éprouve envers l'ensemble de ma vie passée un profond sentiment de désintérêt, de désapprobation, de dégoût. De mépris. C'était donc là tout ce que j'ai su faire ? Je m'écœure profondément, et ne mérite que de vieillir.