Proullaud296

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  • Alix au pays des merdeils

     

     

     

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    Suis allongé dans une vaste salle avec des candidates, nous attendons que l'examinateur nous appelle pour l'oral. À l'écrit, j'ai produit un poème censé en expliquer un autre, mais je me demande s'il ne faudrait pas le commenter, tout de même. La fille de l'examinateur, sur le lit de derrière, me laisse entendre finalement que cela vaudrait mieux. Ce dernier passe et choisit ses candidats, je me signale car c'est mon auteur... Je rejette mon drap et apparais, comme les autres, en pyjama. Mais il m'ignore. Je me confie à l'une de ces grandes filles dont j'étais si dévotement amoureux à Tanger. Un nommé Serfaty, que j'ai bien connu, me téléphone, et me prodigue aussi des conseils. Atmosphère d'extrême confiance, d'extrême tension, de danger. "Danger à Tanger".

     

     

     

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    Partons Anne et moi de chez mes parents pour passer quelques heures à l'hôtel afin de revivifier nos ardeurs amoureuses. Nous sommes logés dans une alcôve donnant sur une brasserie, tout le monde sait ce que nous allons faire là-dedans. Cette alcôve a des rideaux ("Nous ne restons que l'après-midi !") qui ferment mal et se déchirent, parce qu'ils glissent sur des barbelés. Je serais assez disposé, mais il s'agit, d'un seul coup, de Sonia, qui nous fait ressortir, traverse une étendue d'eau où l'on a pied la plupart du temps. Elle m'éclabousse, montre beaucoup de joie, de jeunesse et d'énergie. Elle veut que je lui vole une poupée à l'étalage (il suffirait de faire coulisser une vitrine arrondie en plastique), se fait chiper une boîte d'allumettes par un Japonais qui demandait du feu mais la récupère un peu plus tard en la lui resubtilisant avec le sourire.

     

    Et moi je déplore de ne plus être jeune, de n'avoir jamais été audacieux.

     

     

     

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    Je passe un oral d'agrèg, ayant été dispensé d'écrit. L'examinateur me remet un très vieux livre mal relié, de Thucydide. Je voudrais bien en acheter un semblable. L'examinateur reste de marbre. Il m'indique d'un mot grommelé le début de mon texte : Ἴαρτας. Or mes connaissances ne me permettent pas de retrouver ce nom. Je feuillette les vieilles pages sans succès. Il me dit : "C'est dans les écrits de jeunesse". Alors j'erre dans le bâtiment, immense, aux salons luxueusement parquetés. Des fauteuils rouges ou pourpres sont en carré, avec des numéros semblant correspondre à des notes : 0,5 – 5,5 – 8,5. Des lecteurs vont de ci de là. Quand je reviens, une candidate m'a remplacé, d'autres attendent, parmi lesquelles une demoiselle "Mélenchon". Je ramasse mon cartable, l'examinateur ne me salue pas, je n'ai pas proféré une parole. Je redescends les étages, passant d'une salle à l'autre, immenses, toutes boisées.

     

    Auparavant, un de mes amis avait voulu demander une chambre d'amour pour son copain et lui, sans connaître la procédure d'obtention ; l'autre, en pleine dépression, était désespéré. Il m'avait été impossible de m'empêcher de pouffer : "Quoi ! Tu veux demander une chambre devant un film télévisé, et tu ignores la démarche administrative ?" Les lits sont rouges, larges, ronds, fréquemment utilisés.

     

     

     

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    En voyage avec Annie, qui se réveille tard et veut s'arrêter presque tout de suite pour le déjeuner. Elle s'engage à pied dans une impasse au bout de laquelle se tient un supermarché. Je l'attends au volant en grognant, des voitures me frôlent pour sortir de l'impasse car je suis mal garé. Très vite nous nous retrouvons dans un restaurant, à une table ronde où discute déjà tout un groupe. Ce sont des comédiens locaux déjà bien connus dans le quart Nord-Est. Ils parlent d'un gros bourg dont les habitants, par alternance, pratiquent une mise en avant, puis un retrait. Je dis que cela me rappelle les Amazoniens de Johann Strauss, puis je me reprends, non sans me récrier bruyamment sur ma sottise retentissante ! je voulais dire Lévy-Strauss...

     

    Ils n'y croient pas tellement, car ils ne connaissent pas Lévy-Strauss. Au bout de la table le costumier présente des oripeaux verts ; un autre homme vient d'une table voisine vêtu d'oripeaux comparables, mais pour la pièce suivante, qu'ils projettent. En repartant, j'avise les petits-beurres sur une table, et j'annonce à un client que je ne les prends pas, que je n'ai plus faim. Nous partons à pied avec une jeune comédienne charmante ; Anne discute avec elle. Cependant je cours dans les feuilles mortes sur le bas-côté d'une route très fréquentée, sous des surplombs de rochers semblables à la Grotte de Lourdes. Un homme nu (sauf le slip en nylon) déambule au centre de la circulation routière très dense.

     

    Je distance Anne et la comédienne, qui s'est fait inviter pour la prochaine Fête des livres, car elle est vraiment plus jeune que nous. Nous n'avons pas pensé à lui demander la route la plus courte pour gagner Marseille. Nous l'avons perdue derrière nous, j'ai pris les devants. Nous arrivons dans les faubourgs d'une grande ville, Le Puy... mais qui ressemble à Bayonne. Nous rencontrons deux jeunes hommes très grands, en qui je reconnais deux visages de mon enfance, mais sans pouvoir les identifier. Le premier, lui, m'a parfaitement reconnu, refuse de dire son nom et se retire pour m'éviter. Je demande au second s'ils n'étaient pas l'un et l'autre mes persécuteurs, jadis. Il le semble en effet, il m'évite à son tour.

     

    Annie me dit que s'ils sont assez mufles pour nous traiter ainsi, cela ne vaut pas le coup d'essayer de leur reparler. Nous entrons donc dans Le Puy en Velay, ville très animée.

     

  • Ca divague ferme en Norvège


        Démontrez-moi seulement qu'il se trouve quelque chose de mieux que la puérilité ; que si l'enfance sert de ressourcement... vous voyez bien. La science en effet - vers l'aval - que découvre-t-elle ? La Mort. Merde.
        Démontrez-moi que la mort est lointaine. Que les analyses cesseront de se succéder. Que je ne prendrai pas mon amie dans mes bras : la rigueur - la dureté - ne sont pas des remèdes (elle m'aimera dans la honte et la gêne de ramener cette si archaïque tendresse) - je passerais d'un lit à l'autre, de la folie au cancer, le coeur gonflé de bonne action, comme un enfant  précisément dont on dit : "Tu n'es pas digne d'être aimé."
        Qui n'a pas connu ce gonflement de coeur ?
        Mon père avait aidé une vieille femme à pousser sa brouette, le visage littéralement déformé de bonheur (fébrile, tiqueux) - C'est un gamin, avait dit ma mère - touchée-coulée ma mère.    
        Je conclus qu'il ne faut pas déformer son visage.
        Je maîtrise très bien cela à présent.
        Je m'apitoie sur mes sacrifices. J'ai moi aussi droit aux petites douceurs compensatrices. A force de buter contre les murs de ma prison, je les avais très bien senti peu à peu s'enfoncer ; je me résoudrais bien un jour à demander à mon gardien quelque corvée d'entretien,  afin qu'il se sente utile, le gardien...


        Chère Norvège,
        Je ne peux supporter plus longtemps tes pics enneigés, tes golfes bleus, tes moeurs tant vantées. Tu vis sur du vieux bois. Tout se dépareille. Mes bas s'oxydent. Mon appareil dentaire ne tient plus dans une bouche desséchée par la morue. Je me surprotège, je m'englue de gestes interdits. Je me vois bien faire du cheval sur le Hardanger Vidda ! Tout est bien froid au bord du Stavanger Fjord - tous les habitants de la Norvège ne veulent-ils pas émigrer ?
        Je serai donc seul traître à mes ancêtres ?
         Ils sont enterrés autour de l'église en bois. 
        Le clocher présente des sortes d'écailles ; il m'en poussera bientôt sur le corps. Les forêts norvégiennes s'étiolent. Est-ce que je dois sortir de mon congé de maladie pour retaper sur le sapin ? La neige est sur la Norvège. L'écureuil s'est enterré dans l'arbre. Mes huskies glissent sur les glaces banquisaires. Les torrents gèlent, les fillettes apparaissent dans la glace par transparence.
        Je reviens au presbytère.
        Je baisse la tête sous mes oreillettes pour ne plus rien voir ; la folie de l'hiver cerne mon crâne emmitouflé - la Norvège étale ses champs de neige bossus comme des seins, ses superbes usines hydrauliques et son poisson. Mais seul, vieux, bûcheron malade, enfermé - dans le bois mi-pourri d'un délabré presbytère... Le poêle fume, les bas dépareillés s'évaporent, une servante de pasteur balaie négligemment, c'est assez difficile à expliquer, un livre déplacé, aussitôt vu, tout cela n'est pas sans rapport avec l'immobilisme rigoriste de cette Norvège, avec ses visages roses inexpressifs et longs, tôt ridés

  • Ferdinand Buisson

     

    Assez divagué. Le texte parle de ces calomnies ecclésiastiques : “car la lourde injure de M. Barrès a fait fortune au-delà du gré de l'auteur, et c'est sa punition.” Je connais assez peu le rôle de Barrès, en matière politique. Il valait mieux, d'après cela, que sa phrase pamphlétaire : il se soumettait à l'Eglise, mais pliait le genou avec noblesse. D'autre part, que le sentiment de ma mamamouchesque grandeur, dû à quelque caprice hormonal, ne vienne pas guinder mon stystyle à sa mémère. Barrès, intelligent, croyant, du côté des croyants les plus abrutis. Erreur d'aiguillage. De n'avoir pas vu la grandeur, l'héroïsme de ces moralistes sans Dieu. Capable ô combien de discerner les vertus de la tolérance – et se repentant d'avoir sali les Maîtres.

     

     

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    Les Maîtres d'Ecole. De s'être allié aux salisseurs de réputations. “Cette “information” anonyme passe inaperçue.” Les prêtres ainsi ne tombent pas sous le coup de la loi. Ils s'insinuent venimeusement comme une douve. Je voulais dire que mon père était victime de toutes sortes de médisances et de calomnies. Je pensais avoir fait le tour de sa question, réglé son compte. A présent je pourrais peut-être approfondir. La grandeur que j'ai sentie ne s'applique pas essentiellement au domaine de l'écriture. Il faut que je rattrape ma naïveté d'expression. Il s'agit d'un sentiment d'assurance. Je le recherche. Il s'enfuit et revient comme une réminiscence magdélénique, proustienne (c'était une biscotte).

     

    Je tiens quelque chose. Une dignité. Une mission. Un honneur à exercer. Une invitation à ne pas déchoir, à m'élever au-dessus des ragots. “On en jase dans les villages où l'on a reconnu l'allusion.” Mon père faisait des allusions à ses petites élèves. Il soutirait aux femmes des confidences, plutôt des acquiescements, dont elles se repentaient. Ma mère me l'a dit. Pénétrer dans l'âme,même recomposée, de mon père, n'est pas une perte de temps mais assurément une recherche, en quête de vérité, quelle qu'elle soit. C'est en lui que je me trouverai,en l'idée de lui. A mon enfance, dont s'épuise la provision d'anecdotes, il faut adjoindre la vie antérieure de mon père, sa vie, conjointe aussi, tandis que nous vivions tous deux. Nous sommes en plein Barrès (pour ma mère nous verrons). Et ainsi de suite à travers ces générations inconnues, reconstituées. “Quelque temps après, elle est reproduite dans La Croix de la région, dans Le peuple du dimanche. Buisson, Ferdinand Buisson, tu nous rechantes l'air de la calomnie. De même était-il impossible de retrouver le moindre mot précis que j'aurais prooncé dans mes prétendus débordements verbaux. Le mot. Ce sont les mots que l'on condamne. Je cherche : “Je préfèrerais avoir à garder un troupeau de cochons que vous.

     

    Il n'a pas pu dire cela.” Il l'aura dit, j'en suis persuadé. Il engueula bien tout une classe pour l'avoir trempée sous la pluie lors d'une promenade infiniment trop longue (vers Nanteuil-la-Fosse ou Sancy-les-Chemineaux). Les parents sont revenus chercher leur progéniture dans la classe, où il avait cru bon de les retenir pour qu'ils séchassent... Pourquoi s'en est-il pris à la classe entière de sa propre erreur d'estimation ? J'étais à part, j'écoutais ce discours en détournant la tête vers le bas. Il était dans le faux. Cela ne me concernait pas. Il criait par peur d'être blâmé. D'où vient le sentiment de ma grandeur ? d'avoir déchiffré mon père, de suivre ses traces ?... comme un chasseur le gibier...

     

    ...En raison de ses louanges de l'Ecole Laïque ? En fonction du manque à sa mission de mon père, dont il a été douloureusement conscient ? Certains se confient, parlent à tour de culpabilité qu'il faut chasser : je sais que je pourrais ainsi le manipuler, le détruire. Je connais le point faible de chacun, Père, Editeur, Collaborateur (Jean Devy). Mais, disait Claudine, disait Christine, j'aurais la générosité de n'en point user, parce qu'on en aura trop usé envers moi. Certains ne me parlent plus : c'est que le roi est nu. Nous n'avons plus rien à nous dire. Les ficelles, les fils électriques sont à nu. Mon père m'a légué d'inépuisables filons. Ce texte de Ferdinand Buisson traite de “Qu'est-ce que l'Instituteur”. Il est contemporain de Péguy. Il m'interroge sur l'idéal de mon père, sur le flambeau que j'ai repris à peine plus haut sur la pente, de la sixième au bac. C'est donc par estime aussi que j'ai adopté ce métier, sachant qu'on ne pouvait faire mieux que d'être “un bon instituteur”. Par mon père, je puis recouvrer la dignité de mon métier, de ce moi que j'ai renié. J'ai voulu comme lui éclairer le chemin de la connaissance pour les génératiosn montantes (en style de distribution des prix). Nous avons exercé lui et moi exercé “le plus beau métier du monde”. En dépit des calomnies que nous avons méritées, car le plus beau métier ne peut jamais s'exercer dans la perfection : lui par penchants pédophiliques, moi par allusions clitoridiennes. Et, au bout de quelques semaines ou de quelques mois, elle prend place dans un de ces relevés de la lutte scolaire, publiés par le Bulletin de la société générale d'éducation. C'est dans ce va-et-vient tumultueux entre le personnage enseignant et la rumeur qui l'escorte, approbatrice ou défiante, que se situe le mystère de la mission éducatrice. C'est dans ce que l'on pense, dans ce que pensent les parents du peuple, que se situe l'essence de l'enseignement, et c'est quand le pays dit du mal de ses enseignants, de l'école en général et du savoir, qu'il est le plus malade et susceptible de sombrer.

     

    L'Eglise de Buisson, c'est la Rumeur – et quel écho plus puissant pour elle que la voix déformatrice des enfants. Nous n'avons à nous que le mot. Du mot découle tout le reste, le renom. Même sans Eglise : il a dit ceci, fait cela : “Que vos parents ne viennent pas se plaindre ou je les recevrai à grands coups de pied dans le cul.” Or ma mère défendit mon père. Après la guerre, elle l'a défendu. Que s'est-il passé entre eux pour qu'elle le défende. Ma femme aussi me défendit en des circonstances analogues. Puisque j'ai reproduit le destin de mon père, il faut bien que j'y mette du sien dans le mien. Tout n'a pas été si grave, “Il a enfin réussi ce raté”, dira la mère d'Hervé Bazin. L'étiquette qu'on vous inflige... Ni mon père ni moi-même n'avons été si indignes ni condamnés que nous avons cru l'être, quelque éloignés que nous ayons pu nous estimer de notre idéal. Il faut que nous nous pardonnions chacun nos manquements. Nous n'avons pas été si seuls. Et je retrouverai l'unité de ma vie, et par-delà sa mort je rachèterai le père. Nous nous délivrerons.