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Et Robinson crut Zoé

 

Remarquez latechnique particulière de l'auteur, qui "raconte son journal", en s'aidant des temps du passé, de narration, exclus par définition du genre de l'autobiographie quotidienne : cela fait une mise en abîme ou abyme, un habillage littéraire, une proximité de but édificateur. La question est de savoir ce que fera, pragmatiquement, Robinson Crusoé, plus que ce qu'il pensera, puisque la seule pensée ne consiste à se positionner que par rapport à la divinité, en dernier recours et consolation. Enfin, après avoir vu qu'il n'y avait pas moyen de les laisser en un monceau, ni de les emporter dans un sac, parce que, d'un côté, ils seraient pressés et écrasés sous leur propre poids, et que, de l'autre, ce serait les livrer aux bêtes sauvages, je trouvai une troisième méthode qui me réussit : j'interromps là cette phrase, pour faire observer à quel point notre héros raisonne en bon physicien ; il reprend même les éléments matériels précédemment indiqués, rejette les solutions envisagées, réfutées par l'expérience précédente, et se sert de l'ingéniosité de son raisonnement.

 

Il n'affirme pas péremptoirement, n'impose pas sa réussite au lecteur, mais au contraire expose ses échecs, tant qu'ils ne sont pas uniquement facteurs de découragement stérile et mortel. Se manifeste aussi le sentiment d'appartenir à la race humaine, reine de la création, pour qui les fruits ont été créés, sans interrogation sur l'égalité ou non des humains et des bêtes : c'est non. L'être légitime sur cette terre, c'est l'homme, qui ne doit pas exterminer son gibier, mais se conformer aux recommandations de Dieu, écrites dans la Bible, qu'il lit désormais : c'est en priorité aux humains, pourvu qu'ils se montrent raisonnables, mais cela va sans dire au XVIIe siècle, que sont réservés les fruits de la terre...

 

58 06 14

LE PONT www.anne-jalevski.com

 

 

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Nous voici à présent rendu en des temps fort différents. Notre Robinson, une fois Vendredi sauvé des cannibales, n'a pas eu de tâche plus pressée que d'en faire son esclave et de lui fournir des habits, "ce dont il se montra fort ravi, car il allait nu sur tout le corps" – ce qui m'étonnerait pour le ravissement. Le tout accompagné de réflexions bien nauséabondes pour nous autres modernes concernant la couleur de sa peau, "point trop désagréable comme celle de" tels ou tels peuples tropicaux rencontrés lors de navigations précédentes". Pour moi je ne sache pas, quand je l'eus lu pour la première fois, que l'intrusion de Vendredi se fût révélée pleine d'intérêt : c'était tricher, l'homme devait mourir seul sur son île.

 

Je ne pense pas non plus que le sauvetage de l'Espagnol et la découverte du propre père de Vendredi, ligoté au fond d'un canot, m'aient particulièrement exalté : l'on revenait aux bons vieux combats de pirates, ou de Blancs contre les Caraïbes désarmés face aux fusils. Mais quoi ! Il faut bien finir une histoire d'isolement ("isola", "île") et préparer le retour du Pauvre Robinson en Angleterre, ce qui ne constitue pas même la fin de ses aventures dans le roman. Il ne me semble même pas qu'il eût éprouvé le désir, finalement, de retourner dans son île, au large du delta de l'Orénoque. Je ne sais plus si le Robinson de Tournier n'y repart pas de lui-même, écœuré par la corruption et l'insensibilité occidentales, autant que Greystoke dans le film. L'épisode sur lequel je porte mon regard se situe après que Vendredi a retrouvé son père et lui a frotté les membres engourdis par les liens.

 

Notre Robinson donc (près de qui manque la femme, et qui prodigue "des caresses" (exquise pudeur) à son Vendredi), observe les débordements de joie de ce dernier lorsqu'il a sauvé son père promis à la dévoration (inversion du rite chrétien). Quoique mon pauvre sauvage s'acquittât de ce devoir avec affection, il ne pouvait pas s'empêcher de moment à autre de tourner les yeux vers son père, pour voir s'il était toujours dans le même endroit et dans la même posture. Il se trouve en effet en train de frotter les pieds d'un second chrétien découvert lui aussi entravé avant d'être dépecé. Le tout me semble bien observé, Vendredi représente à merveille le bon sauvage du XVIIIe siècle, qu'il suffit de frotter de christianisme et de mauvais anglais pour l'amener au bon niveau de la morale occidentale.

 

Le rhum pour l'instant ne sert encore que de remède en cours de friction. L'esclave obéit, reçoit les bienfaits de l'éducation, manifeste son attachement à Robinson en refusant d'être rendu à son peuple primitif dans les deux sens du texte. Il a des mouvements gracieux et naturels. Une fois entre autres, ne le voyant pas, il se leva avec précipitation, et courut de ce côté-là avec tant de vitesse qu'il était difficile de voir si ses pieds touchaient à terre – humour de colon : ces gens-là touchent aux bêtes par tant de côtés... encore que l'amour filial ne soit pas une qualité si répandue chez les animaux. Mais il faut montrer le respect des anciens, authentique chez les peuples tropicaux.

 

Nous savons d'autre part que Selkirk échoua sur l'île de Más a Tierra, au large du Chili, et n'y profita d'aucune compagnie. Se renseigner sur lui, dont l'aventure n'est pas moins merveilleuse. ...mais en entrant dans le canot, il vit qu'il n'y avait rien à craindre, que son père s'était couché seulement pour se reposer. Il n'est donc pas mort. On ne l'a pas de nouveau enlevé. Dès que je le vis de retour, je priai l'Espagnol de souffrir que Vendredi l'aidât à se lever et le conduisît vers la barque, pour le mener de là vers mon habitation, où j'aurais de lui tout le soin possible. Les Espagnols sont grands massacreurs de sauvages, ayant exterminé toute la population des Caraïbes par le travail forcé ; ce sont également les ennemis jurés des Anglais. Robinson, en 1689, éloigné de tous pendant si longtemps, n'a plus de ces préventions. Mais il anticipe la répugnance du chrétien à subir le contact d'un Noir, et qui pis est, son aide

 

Commentaires

  • Ils sont nus ! quelle horreur ! vite, donnons-leur des vêtements civilisés gorgés de virus !

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