Les combats de radiateurs
L'armement était l'objet d'une débauche d'imagination. Le principe était d'opposer deux gladiateurs aux armements différant le plus possible, de par leur provenance ethnique : un Gaulois contre un Thrace, un Espagnol contre un Arménien. Mais aussi, l'armement présentait des manques pittoresques : l'un des guerriers combattant par exemple avec une armure ne lui couvrant que la moitié du corps, ou avec deux épées, mais sans bouclier, ou avec un trident et un filet – ce qui lui donnait, au rétiaire, le droit de fuir et de se réfugier sur un plan incliné, dominant ainsi son adversaire qu'il pouvait envelopper de haut. Mais le plus souvent, c'était l'homme au filet qui se faisait vaincre.
Il fallait pour pimenter que la lutte fût inégale. Et le cœur des parieurs battait pour le plus faible, le plus défavorisé par ses armes biscornues. Les spécialistes s'en donnaient... à cœur joie, pour démêler la tactique de deux adversaires aussi disparatement armés, aussi dissymétriquement avantagés. Il existait aussi une forme inférieure de combats : celle des condamnés de droit commun. A la pause de midi, car le combat était permanent, ce n'étaient plus les spécialistes entraînés qui se battaient, mais de pauvres condamnés à mort dont on faisait servir l'exécution au divertissement dupeuple. On apportait son manger, et la bouche pleine on accablait d'insultes deux misérables qui ne savaient même pas tenir un glaive. Ils devaient s'entretuer, poussés par derrière par des bourreaux. Ils ne possédaient ni bouclier ni armure. Ils frappaient au hasard, mollement, et l'on devait les contraindre à porter des coups maladroits, qui provoquaient des blessures aussi horribles qu'inefficaces. Dans les gradins, c'était la joie la plus bouffonne. Nous rapprocherons ces divertissements, que les lettrés antiques tenaient déjà pour dégradants, des luttes entre animaux : l'un des amusements de ce peuple (formé d'autant d'étrangers que de Romains) était d'attacher par une patte deux animaux, un lion et un hippopotame, un tigre et un taureau, et de les voir tirer chacun dans sa direction, puis, voyant l'impossibilité de l'évasion, se retourner bêtement vers l'autre bête pour tenter de la déchirer.
Les plus bêtes assurément étaient les spectateurs. Et parfois les condamnés à mort étaient livrés aux bêtes, avant qu'il y eût des chrétiens. L'on poussa même le sadisme jusqu'à les livrer à des boucs et à des béliers, afin que ces animaux n'infligeassent que des blessures insuffisantes, et l'on mettait trop de temps à mourir sous ces coups. Et comme ce n'était ni beau, ni noble, cela n'eut lieu que rarement. L'amusant était encore de contempler, de haut, une forêt reconstitués dans l'amphithéâtre, par arrachages forcenés et transplantations hâtives d'arbres et d'autres plantes ; dans cette forêt artificielle erraient des bêtes féroces et des chasseurs. Depuis les gradins, les spectateurs suivaient les futurs adversaires dans le labyrinthe de verdure.
Inutilededirequ'ilsneseprivaientpaspourcrierdefaussesindicationsauxchasseurs.QuantàDomitien,citéplushaut,ilsepromenaitàgrandspassurlesommetdesgradins,etabattaitcommeaustandlesbêtesquierraientdansl'amphithéâtre.Lesapplaudissementsétaientobligatoires,cequivousprouvebienqu'iln'yavaitpasqueNérondefou.LelivredeRolandAuguetserecommandeaussiparl'abondancedesillustrations;ilestprésentédelamêmefaçonquelesChâteaux fantastiques d'Henri-PaulEydoux.Parcouronscespagesluisantesdesangséché,quin'estplusqueprétexteàrêveriesadmiratives.D'abord,voicil'illustrationreprésentantungladiateurtrouvéàLillebonne,Seine-Maritime:« Ilportelesubligaculum, sortedetuniqueencourtepointe,lesjambières,etlamanica aubrasdroit,celuiquimaniel'épée.Lebrasgaucheetletorsesontprotégésparlebouclier »,respectantainsileprincipedel'armementdissymétrique.
C'estau« MuséedesAntiquités,Rouen.PhotoEllebée,p.48Chapitre2:Dans l'arène – ilfaudraittoutlire!Etl'auteurnesaitpastout:« Làsebornent,nousdit-il,surcettequestion,les conjectures vraisemblables. » Il poursuit, sur cette question des myrmillons, qui sont une catégorie de radiateurs : « L'origine des myrmillons n'est pas moins mystérieuse que la nature exacte de leur armement : il est possible que l'on ait appelé ainsi, primitivement, des gladiateur « Gaulois », dont le casque était surmonté d'un poisson et auquel le rétiaire » (l'homme au filet) « était censé chanter quand il prenait la fuite : « Ce n'est pas toi que je cherche à attraper, c'est ton poisson ; pourquoi fuis-tu, Gaulois ? »
« Nous en savons d'ailleurs encore moins sur d'autres types de gladiateurs dont les techniques semblent avoir été originales. »
Renseignons-nous sur les sociétés d'exploitation du marché des fauves :
« Ces sociétés, plus ou moins liées aux propriétaires de haras, possèdent des ménageries qu'il leur est sans doute facile de constituer en échangeant avec des indigènes des confins des animaux contre des produits manufacturés et de la verroterie. A en croire B. Pace, certaines des peintures rupestres trouvées en Afrique du Nord et au Sahara auraient été laissées par leurs hommes aux soirs des étapes difficiles qui ramenaient lentement les convois vers les cités prospères ». Et je ne dis pas tout ce que l'on peut trouver dans ce livre. Page 188, l'on revient sur la possibilité de révolte des gladiateurs : « La surveillance était si bien organisée dans les écoles, qu'on ne craignit pas d'en installer en plein centre de Rome : le contrôle des armes d'entraînement était rigoureux, et des postes de garde se tenaient prêts à intervenir au moindre incident. Il n'eût d'ailleurs pas été, à cette époque, aussi facile de transformer en guerre civile généralisée une révolte de ce genre.
« On ne s'échappe plus de cet univers en forçant les murs, mais par le succès. »
Finissons par un peu de psychologisation : « Remarquons, par ailleurs, que le reproche formulé ici n'est pas celui de cruauté, mais de frivolité.
«PlineleJeunerenchéritencoresurlesméritesincomparablesdecesspectaclesetdesacteursquiyparticipent:« Onputvoirensuiteunspectaclequin'énervaitpas,quin'amollissaitpas,incapablederelâcheroudedégraderlesâmesviriles,maispropresàlesenflammerpourlesbellesblessuresetleméprisdelamortenfaisantparaîtrejusquedansdescorpsd'esclavesetdecriminelsl'amourdelagloireetledésirdelavictoire. »AencroirePline,lemunus » (lespectacledejeux)« seraitensommepresquelecontraired'unspectacle,puisquecedernier,danslamentalitétraditionnelledesRomains,sedéfinitprécisémentcommecequiénerveetamollit;lemunus exalteaucontrairelesvertuslesplushautes:lecourageetledésirdelagloire.C'estlàdumoinscequ'on sembleretenirhabituellementdecestextes. »Pourensavoirplusdoncsurlesjeuxducirque,procurez-vousLes jeu romains deRolandAuguet,chezFlammarion.