Proullaud296

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Sept heures

 

Sikonomè, plinomè, dynomè : je me réveille, je me lave, je m'habille – tel est le Mané, Thécel, Pharès de mes journées. Tout y est déjà emballé, pesé, divisé. C'était un vendredi, de temps beau et lourd. Et plus rien n'en reste. Il a fallu se justifier de vivre, comme je fais chaque matin. Flairer les gants de toilette pour témoigner de leur propreté. Supporter les longs réveils marécageux de ma moitié, que j'aime plus que je ne crois. Et jusqu'à seize heures, travailler à des choses qui ne seront plus. Enfin seize heures vinrent, et je dus m'enfourner dans un bus. 25 minutes planté au soleil à lire, après avoir passé de mortelles minutes à peindre un grand volet en bleu grec.

 

Belle chose que les trajets en bus. Je ne cède pas ma place aux femmes, estimant suffisant qu'elles aient de la beauté : l'une d'elle accusait ses plus de soixante ans, avec une peau dorée comme une croûte à pain. Blonde platinée, grande bouche et poitrine discrète. Près d'elle sa fille assurément, noire de cheveux, noire de lunettes, avec une grande ressemblance de bouche. Des liens affectueux les rassemblaient, malgré leurs coquetteries respectives. On se parlait beaucoup dans ce bus-là : une sexagénaire à dents proéminentes expliquait à deux Noires qui n'en pouvaient mais ses goûts culinaires et la répercussion qu'ils avaient sur ses digestions, comme si c'eût été la chose la plus intéressante du monde.

 

 

Quand le bâtiment va....JPG

Et le chemin roulant se prolongea, cahin-caha, non sans l'appel de ma douce et tendre, qui s'informait de l'état de ma progression. Mon grand plaisir dans ce cas est de jargonner un mélange de mauvais boche et de mauvais hébreu, comme si c'était la chose la plus intéressante au monde. En descendant, la mère blonde et la fille brune échangèrent une phrase ou deux en mauvais espagnol, pour bien montrer qu'elles aussi, ma foi, valaient le détour. Pendant ce temps je lisais. Je lisais si bien Les gens heureux lisent et boivent du café que je manquai ma correspondance et descendis "Bourse du travail" : ligne 4 ? je l'ai cherchée sous le cagnard, en aval, en amont, en vain, en trente.

 

S'ensuivit une marche bien rude vers le cours d'Albret, soleil, poids du paquet, arrêt, attente encore, des gens, des gens. Cela prit encore du temps. Parvenu à l'arrêt Lewis Brown à 17h 43 (départ à 16h), j'imaginai d'utiliser ce petit laps à sa mémère pour poster mes atroces Singes Verts, plus un manuscrit aux éditions de l'Olivier, qui ne publient absolument pas de recueils de rubriques radiophoniques : mais il faut bien faire marcher le commerce ! Et l'émission commença, sans retour de casque, avec maints cafouillages : disques annoncés qui ne partent pas, titres remplacés par d'autres. La décision de rester un enfant se paye par une éternelle inefficacité, une éternelle incompétence : "Tu n'as toujours rien appris en plus de vingt ans de radio ?" Rien, mon ami : m'y connaître "en technique" me semblerait de la plus parfaite platitude, de nature à ternir mon bel esprit d'enfant tout neuf. Comment y remédier ? En habillant mes défaillances de bouffonneries verbales, ainsi que j'ai toujours fait. Daniel Ilyak, disque 7, ne marchait pas : tant mieux ! Indochine s'était pourvu d'un remixage poétique pour Trois nuits par semaine, un merveilleux mélange de Philip Glas et de Manset : quelle excellente surprise ! Et j'ai lu tout mon baratin sur Lourdes, de Zola, en articulant bien, en variant les tons mais sans trop, en diminuant la place de mes propres élucubrations, celles que je signe de mon nom dans Le singe vert.

 

Le retour s'effectua mieux. Deux sœurs affectueuses ou gouines se battaient à coups d'avant-bras sensuels, effleurant leurs seins et leurs hanches : égarées par le désir, exhibitionnistes, comme si c'eût été. Je lisais. Changement à Gambetta. Je lis toujours. Et puis, rue Judaïque, autre sonnerie de téléphone : David me demande de descendre immédiatement, il vient me chercher avec ma propre voiture qu'il a enfin et pour la nième fois réparée. Cela prolongera mon supplice voyageatif. Mais quel plaisir n'aura-t-il pas de me démontrer que mécaniquement, cette fois, tout va bien...

 

Commentaires

  • A partir d'un certain âge, les lèvres supérieures des femmes se strient... C'est dommage.

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