Guggenheim
La carte postale du jour présente, suite à son long séjour dans un tiroir, une pliure irréversible dans son angle inférieur gauche : ce pli coupe en biais le reflet dans l'eau nocturne du musée Guggenheim à Bilbao. C'est une eau sombre et lisse, où se reproduisent avec minutie les structures merveilleusement foutraques d'un bâtiment révolutionnaire. À y regarder de plus près, s'élève à peine au-dessus du bassin une rambarde cimentée de route urbaine à grande circulation, surmontée d'une lisse sur poteaux métalliques ultracourts : le clair-obscur qui règne en cet endroit ne permet pas de décide si l'on y circule ou pas, à pied ou autrement, ou bien s'il ne s'agitr pas d'un soulignement continu, imperceptiblement bombé, de ce château des arts plastiques.
Or c'est dans cette bande noire, entre la silhouette en haut et le reflet du bas, que nous devrions distinguer le rebord du miroir aquatique, lequel se dérobe au sein de cette symétrie voilée. Ce qui unit, autant qu'il les sépare, l'univers terrestre à l'univers liquide. Le double bombement de cette barrière descend en s'élargissant vers nous, de gauche à droite : une bande noire entre deux bandeaux gris, au-dessus de la moitié à gauche, au-dessous à droite : comme la diagonale d'un parallélogramme très étiré. Dans l'eau, le reflet perd très progressivement de sa netteté. L'inversion permet l'équilibre visuel d'une quille immobile, immergée dans la transparence. Se succèdent ainsi, en position antipodique, et dans une lumière gris bleu fantastique, une double tour oblique à son tour barrée (deux fois) d'une autre barrière où ne circule à cette heure aucun véhicule ; un bâtiment cuirassé au château central pesamment étagé, inversé dans l'eau ; un plan bleuâtre qui monte (ou qui descend) pareil à quelque immaculé plan de glisse, dominé ou souligné d'un ressaut lumineux.
Avant de poursuivre notre double panoramique, notons la naissance en ce névé nocturne d'une luminescence bleutée qui règne comme une écharpe symétrique, effet de lumière sans doute, voilant les bâtiments qui s'élèvent ou s'immergent, de part et d'autre d'un étincellement vitré transparent soutenu par une armature métallique interne ; ce bâtiment iluminé occupe la moitié de la succession de ces structures imaginatives. Le voile bleu semble descendu du ciel nocturne ici concrétisé en lave. C'est sur une nuit claire que se découpent les fortifications repliées de cette citadelle : donjons de papiers enroulés, de drapés d'acier, acérés en haut, émoussés dans l'eau du bas.
Puis un autre élancement de lumière, un très haut toit qu'on dirait de chaume, une fenêtre à six carreaux traditionnels égarée là, et d'autres bâtiments illuminés, un très haut réverbère, la ville...