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Je vous ai laissé les intertitres parce que mon ordi m'efface n'importe quoi et qu'à la quatrième fois j'en ai eu plein le luc.
Les yeux plus gros que le ventre. Apercevant sur les rayons de quelque obscure librairie catholique un volume de Suger, Vie de Louis VI le Gros, “Ludovici Grossi”, il en fit l'acquisition en se pourléchant. Puis il le fit longuement sommeiller voire incuber sur ses étagères à lui, avant de s'en aviser de nouveau, bien plus de dix années s'étant écoulées : c'est peu de chose pour un garde-manger à lire. Mais le roulement de ses lectures ne ramenant un ouvrage qu'une fois l'an sous ses yeux (il avait en effet entrepris de lire simultanément plus de cent œuvres), il perdit le fil et l'intérêt de cette biographie comme de tant d'autres volumes, et n'y comprit plus rien, hors le fait qu'on s'y “foutait sur la gueule”.
De plus, sa pédanterie rituelle voulant qu'il sût lire le latin couramment (ce qui n'était pas le cas, surtout pour celui du XIIe siècle), il n'avait à sa disposition que des lumières confuses, de celles que jettent des textes étrangers mal compris : les æ s'écrivaient (et se lisaient) “e”, par exemple. Et la lecture du texte français, en regard, ne lui présentait que des conflits d'héritages que l'on venait demander au roi de régler, au besoin (et le plus souvent) les armes à la main. Notre Philippe Ier (méconnu, sauf pour avoir épousé la fameuse Anne de Kiev) en découd avec tous les seigneurs de son entourage frontalier, leur casse la gueule, et revient se reposer, en véritable Héraclès ou Superman, plus près de nous. Et voyez-vous, tout cela restait si peu clair à notre lecteur qu'il ignorait encore si le père de Louis VI le Gros était mort ou non : apparemment non, puisqu'on le voit diriger son ost et prendre d'assaut des forteresses.
Pendant ce temps, le paysan, le bourgeois, le noble rebelle surtout, souffraient mille mort, se faisant occire, ce dernier pour usurpation du pouvoir et faculté de piller les campagnes environnantes. Ce ne sont que principicules changeant de nom comme de chemise, s'alliant, cousinant et beaufrérisant à qui mieux mieux, se déshéritant et s'usurpant les fonctions, tandis que le peuple voir plus haut. Il faudrait se concentrer, rédiger des fiches, établir avec netteté les parentèles, et savoir si le conflit est justifié ou non. Pour les vaincus, pas de quartier : les impies se voient pieusement massacrés (c'est dans le texte, impios pie occidit), à moins qu'ils ne se rallient au souverain, voire en se roulant physiquement à ses pieds, au grand étonnement des barons rassemblés.
Peu importe donc sous quelle autorité l'on vit, l'essentiel étant d'avoir un bon maître et de craindre Dieu et ses représentants. Pour étudier les secrets arcanes d'une œuvre aussi touffue, il faudrait la consécration d'une vie, se passionner pour ces prises de châteaux, dont il ne reste parfois
COLLIGNON LECTURES « LUMIERES, LUMIERES »
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que des murs de fermes à demi-effondrés. Tout gît dans le détail : voici un seigneur qui, pour ne pas se faire trucider par ses proches, sepe lectum mutaret, changeait souvent de lit. Et souvent, par terreur nocturne (j'épargne souvent le latin, qui ne sert à rien c'est bien connu, à mes lecteurs éventuels) il multipliait les rondes de nuits, commandant de tenir prêts, toute la nuit, pendant son sommeil, son écu et son épée : vous voyez, quand on veut s'en donner la peine, “s'en donner les moyens” comme disent les je-sais-tout, le texte prend de l'épaisseur et de la vie. Mais vérifions : ce ne sont pas les rondes nocturnes, qui auraient dérangé par leur tintamarres, mais les “veilleurs armés”.
Qui ne bougeaient pas, ou si peu. Quant à son bouclier, à son épée, il ne fallait pas les “tenir prêts”, mais les “placer devant lui”. Mais seneçon là que des clausules de style, n'influençant pas réellement sur le sens. Horum vero unus, “mais l'un d'entre eux” (de ses chambellans) “nommé H.”, “intime de ses familiers” autrement dit de sa familiarité rapprochée, se trouvai être un espion, un traître. Nous ne le connaissons que par son initiale : le manuscrit G nous révèle qu'il s'agissait d'un certain “Henricus”, “Henri”. La note 2, en français, nous renseigne : ce serait “Hue”, d'après les Grandes Chroniques, traduisant le latin des clercs en français médiéval. “D'après Guillaume de Malmesbury, qui ne le nomme pas, il était de basse naissance et préposé à la garde du trésor royal”. Que tout cela reste naïf. Suivent les références relatives à l'histoire des rois anglais, Gesta regum anglorum. J'eusse aimé plonger dans certaines spécialisations, dont l'histoire médiévale : mais je me fusse privé de tous ces agréments de conversation érudite sans être pédante qui font l'essentiel de mon charme et de mon incomparable modestie. Pour notre espion royal, une brouettée de compliments vient ici s'interposer, entre le sujet et son verbe - j'en vois qui dorment au fond - il fut condamné à perdre les yeux et les organes génitaux – ah, un peu tard pour vous réveiller. Mais on l'a exécuté “miséricordieusement” : on les lui a bien crevés (les yeux) et coupées (les genitalia) : car il “eût mérité la corde”.
Aveugle et châtré, mais vivant. Ça se discute. Le roi, “qui ne se sentait en sûreté nulle part” ? mais alors, cet homme ou désormais castrat faisait partie des proches du roi ! Changement de perspective ! Le roi le comblait de bienfaits, et malgré cela, il projetait de l'assassiner dans son lit ! Le roi Philippe Ier se voit qualifié d' arto providus. Lançons les dés : “costaud”. Cela peut signifier tout autre chose. “Il prenait de mesquines précautions”. Je suis loin du compte. Il est providus, donc prévoyant, précautionneux. Mais arto, soit “dans l'étroitesse”. “Etroitement précautionneux”. Suger COLLIGNON LECTURES « LUMIERES, LUMIERES »
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nous la joue Tacite... 61 02 04 - mais reprenons je vous prie : Louis VI le Gros, c'est le prétexte chronologique des « Visiteurs », suzerain donc du comte de Montmirail, où le fils de l'aubergiste chie en chantant, et de son fidèlc « Jacques Houille »... Le vrai roi cependant, Ludovicus Grossus, en latin d'époque, se vit biographé par l'abbé Suger entre 1138 et 1145. L'édition que nous avons sous les yeux, bilingue, latin bâtard à gauche, français à droite, fut mise au point en 1929 par Henri Waquet, et republié en 1964 aux Editions des Belles-Lettres. C'est comme vous l'avez vu très difficile à lire. Le latin en effet se conforme plus ou moins à la prononciation médiévale, où la terminaison æ se dit et s'écrit « e », sans accent bien sûr.