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der grüne Affe - Page 183

  • L'or de la terre, de Bernard Clavel

     

    Mais survient un homme orchestre diabolique de bonne humeur, qui ouvre un bordel, qui vend des boissons, bref, qui se fait sa petite place sur le grouillement fasciné. Bagarres, crises d'autoritarismes face aux révoltes, couvaison très habilement menée de quelque gros malheur à venir.

     

    Pourquoi ne pas le dire, il faudra que le découvreur, promu grand patron bien riche, force ses hommes à creuser encore et toujours et fort maladroitement, pour que la catastrophe minière se produise. L'habileté de l'écrivain consiste alors à doser le sentiment de montée des périls et d'inéluctabilité avec une espèce de suspens vain, puiLève les yeux, et regarde.JPGsque tout a été mis en place pour éclater : le lecteur serait déçu que cet orgasme cataclysmique ait été si minutieusement préparé pour ne pas éclater.

     

    Ici deux points de référence encore, puisque Bernard Clavel oeuvre dans le connu- inconnu : suffisamment de points de repère pour ne pas effaroucher le lecteur ( un ouvrage sur les bobines de fil en Colombie risque de trouver un public des plus restreints), mais suffisamment d'inconnu aussi (le genre de sujet sur lequel on croit savoir déjà quelque chose, mais sur lequel il reste encore beaucoup à apprendre) - pour éviter toute impression de déjà vu.

     

    Quant à la catastrophe minière, elle ressortit aux scénarios de gros malheurs qui totalisent de confortables audiences. Et dans ce cas précis, l'on peut se rapporter à Zola, dans "Germinal", dont nous sommes relativement éloignés vu le caractère non pas anecdotique à proprement parler de la revendication ouvrière mais particulier - Bernard Clavel traitant plus de l'affrontement de personnalités que de conflits véritablement traités sous l'angle socialisant globalisateur , mais aussi et surtout à un roman social devenu pour enfants, "Sans famille".

     

    Et là, Bernard Clavel, le mythe en moins, réussit à capter le filon de la littérature populaire - je dis le mythe en moins car nous ne lisons plus aussi religieusement qu'autrefois, et les enfants ne lisent plus du tout.

     

    Cependant ceux que leurs parents sont parvenus à faire lire ( c'est d'ailleurs plus une question de destinée, y compris celle de notre civilisation, que d'éducation) lisent du Bernard Clavel. L'adulte sera passionné.

     

    Permettons-nous à présent quelques incursions :

     

    P. 47 du livre de poche collection "J'ai lu" :

     

    "Quand on aura piqueté, faudrait découvrir tout ce qu'on peut. Echantillonner en surface. C'est plus facile que de descendre."

     

    Nous sommes au tout début de la découverte : les hommes établissent leurs marques. Piqueter, c'est carotter en surface. L'or, ici, affleure. Mais il faut se donner des ampoules aux mains, et moins il y a de gens au courant, moins le secret s'ébruite. L'exploitant au début est un piocheur.

     

    P.. 94 :

     

    "L'interprète traduisit. Les regards s'éclairèrent. Les hommes se levèrent, plusieurs parlèrent entre eux tandis que Jordan leur distribuait l'argent."

     

    Nous sommes en compagnie d'une équipe de Polonais, franc comme l'or, durs comme le granit, qui ne veulent travailelr que si "ça paye". Il y a une typologie bien marquée de l'homme du grand nord canadien, tout à fait semblable à celle des westerns. Ecole de virilité et de rudesse, j'en passe. Jordan, c'est le découvreur embaucheur.

     

    P. 141 :

     

    "Des hommes qui avaient fait la guerre en France soufflaient à l'ancien draveur :

     

    - On en a vu de plus amochés qui s'en tiraient.

     

    Ils le remontèrent, toujours geignant.

     

    Comme s'il eût attendu ce mome,t; c'est lorsqu'il respira sa première goulée d'air glacé qu'il perdit connaissance."

     

    C'est ici la séquence de l'accident du travail. Un draveur, c'est celui qui assur ele flottage du bois, en plein air sur les rivières. Celui-ci est descendu au fond, et les boisages ont dû céder. Scène attendue, mais l'art du conteur ne consiste-t-il pas justement à faire d'une scène attendue quelque chose de nouveau et d'attachant, à la fois en dépit des conventions et grâce à elles ? et à ce compte, qu'est-ce qui n'est pas convention ? Le musicien n'utilise-t-il pas sans cesse des combinaisons de sons à la portée - c'est le cas de le dire - de tous ?

     

    Et lorsqu'on enterre l'accidenté (pas de fin heureuse ici comme dans l'épisode de Jean Valjean sauvant le père Fauchelevent de l'écrasement sous la charrette ) , tout le peuple du Canada est là pour le commentaire du choeur antique:

     

    P. 188 :

     

    "L'aveugle était là avec les quatre prostituées sous deux grands parapluies bleus. Bastringue demanda à Jordan :

     

    - Est-ce que tu diras la prière ?

     

    - Je la sais pas bien, moi."

     

     

     

    Je laisse aux exégète le soin de déterminer s'il y a message social sous le pittoresque. Je réponds d'ailleurs : oui. Non explicite, mais présent.

     

    Et grâce sans doute aux prostituées, facteur d'équilibre - je plaisante... - les familles s'accroissent :

     

    P. 235 :

     

    "Le trapu était aux petits soins pour sa femme, répétant comme un enfant :

     

    - Attention de pas te cogner le ventre. C'est trop petit, cette maison.

     

    "C'était lui qui heurtait constamment l'évier ou le fourneau dans la minuscule cuisine où ils s'installaient pour manger, à la table dont une extrémité touchait le mur de planches sous la fenêtre."

     

    Il s'agit d'un des deux fondateurs de la mine, qui pense déjà à s'agrandir. Mais la catastrophe arriva :

     

    P. 235 :

     

    "Je le savais...

     

    "Les dents serrées sur une espèce de rage qui lui glace l'intérieur, Jordan fonce. Il ne répond à aucun appel."

     

    Le patron, désespéré, seul responsable du désastre matériel et humain de sa mine inondée, fuira la vindicte populaire, mais sera rejoint malgré tout par le destin...

     

    Nous espérons que ces quelques extraits, joints à une appréciation que j'estime naïvement favorable, vous donnerons en vie de vous dépayser, tout en vous retrouvant, par la lecture de "L'Or de la terre", de Bernard Clavel. efois, et les enfants ne lisent plus du tout.

     

    Cependant ceux que leurs parents sont parvenus à faire lire

     

  • Le maître, son disciple, son épouse et ses chats

     

     

    Mon disciple de 20 ans s'envole pour l'Irlande. Il déclare m'écrit-il sa flamme à quelque Irish Girl rousse aux yeux verts , qui lui répond en bon anglais « Sorry, but my sentiments are not on the same scale as yours », autrement dit FUCK OFF. J'ai perdu de vue l'Omer d'alors, toujours au bord de la déprime, et bien que je lui aie seriné (prêchant pour ma paroisse) de ne «jamais abandonner personne » : il m'a laissé choir aschwöh, comme il est juste, logique et nécessaire à vingt ans de hisser les voiles (Ô Mort, vieux capitaine...) - mon petit-fils du même âge balaie des McDo.

     

    Un jour Omer deviendra journaliste, électronicien, chimiste, informaticien, dans le bac à sable qu'ils appellent « la Vie », sans bien savoir. Je me suis collé du sable plein les yeux. Je me suis relevé en me frottant les paupières, jurant de ne plus redescendre là-dedans. Je rejoindrai sous les lames la cohortes des macchabées, et nous aurons vécu : je n'écris pas mieux que mon admirateur. Cet été, sur la longue table de la profonde et fraîche cuisine commune, je reprends mes critiques sur feuilles volantes et les envoie. « N'écrivez que si votre vie véritablement est en jeu ». Et qu'est-ce que je peux réellement en savoir, Monsieur Rainer, avant d'avoir atteint, justement, la fin de ma vie ?

     

    Jules Renard écrivait : « Je récrirais bien mon œuvre, en mieux ; mais personne ne s'en apercevrait... » S'est envolé avant d'être pesant.

     

    X

     

    La Bouffiture, où nous logeons, comporte un restaurant. Autre longue salle voûtée en contrebas du pathio. Lièvre aux figues confites à tomber de bonheur. Il existe donc des plaisirs gustatifs. Et le plaisir de se torcher, comme dans Gargantua. Nous complimentons le cuisinier et lui filons un billet de zéro balle. Mon épouse de bon poil pour le restant de ses jours. Même après l'estomac rogné. Ils n'aiment pas les Hollandais, nos hôtes : « Les Koucasses », dit la femme : « Les Hollandais ». Je refuse le moindre effort. Aucun d'eux jadis ne m'a rapporté strictement aucun avantage. Rien. Que dalle. Walou. Le matin, ma femme dort : ainsi avant son opération, ainsi depuis.

     

    Elle s'assoupit : trop froid, trop chaud, trop pluvieux... Caresses, autorité, harcèlements : aucun remède rien. Alors, puisque c'est vacances, et que nous payons cette chambre, je sors me promener seul en campagne, en voiture et à pied, avant le plein midi du Languedoc. Je prends la route et fais le tour des églises perchées, des églises cadenassées. Très vite le plein soleil. Un bas de pente envahi de goudron cuit et de superbes goudronniers torse nu, gorgés de vapeurs sur le gravier puant, cuisant, juvéniles, torse nu, pompant le carbone à pleins poumons, mais rigolos, bonnes bites. Je monte en première, d'épingle en lacet. Chaleur suffocante, zigzags à voie unique, atteins le sanctuaire entraperçu d'en bas : des bâtiments propres, ocres et déserts. Je vois ici même, dans les garrigues du Putois, une cloche à bascule rasant le sol, suspendu à son mouton sous la poulie.

     

    L'herbe haute.JPGPour peu que j'eusse actionné le palan à travers le maillage, tiré sur la corde enroulée dans sa gorge, une autre là-bas m'eût répondu, symétrique, sur le versant d'en face, que j'aperçois près d'autres bâtiments tout semblables. Tout le vallon se fût précipité, tous auraient su qui j'étais (les goudronniers du bas m'ayant dénoncé) - scandale public, internement d'office. Il se tient donc ici chaque été, plus chaud encore !... des pèlerinages, retraites et dévotions, avec scouts, curés, colonies de vacances, vulgarité, aménité chrétienne et bon enfant - puis tout retombe à l'abandon. Retourne en solitude. Ces endroits-là servent à quelque chose, doivent s'utiliser, se rationaliser, règlements, réfectoire, dortoirs, juste pour la fête du saint (lequel ?) - passée la fête, adieu le saint - qui peut prier ici ?

     

    Tout est fait pour des gens, des vrais, des concrets, des matériels, des irrémédiable - juste de la foule - alors que nous serons guéris, dit le philosophe, dans la mesure exacte où nous serons éloignés de la foule : Sanabimur, dum a turba relegabimur – l'Autre, c'était le Diable, mais à présent, c'est l'Autre qu'on adore. Plus d'adoration, juste un ramassis de lieux communs, Guy Lux et Patrick S. prêchant au lieu d'un prêtre, dans la plus promiscuitaire des fraternités. Aujourd'hui, cerveau cuit de soleil dès 10h ; buissons poudreux, sol inégal et calciné. Les chats faméliques me suivent et se dérobent sitôt effleurés. J'entends des miaulements de toutes parts, de plus en plus proches, flairant mes doigts, puis s'esquivant. J'ai demandé plus tard le sens de ce manège : ils crevaient de faim me dit-on. m'a-t-on répondu - tels dans les rues escarpées d'Amorgos ces chats blancs consanguins sentant le caillé, mourant de faim me dit-on d'où leur docilité.

     

    C'étaient des moribonds que je posais sur mon bras, les flattant de la main dans leur agonie. Et la femme qui nous guidait poussait de petits cris de vive répugnance, et si je l'avais pu je je les aurais nourris, sauvés. Je me souviens aussi d'Arcueil à l'autre bout du monde, près de Paris, au rez-de chaussée surbaissé d'un donnant sur le remblai d'un talus battu de vent et de pluie froide ; sous ma fenêtre près du sol se pressaient les bâtards détrempés. Je leur offris tout ce que j'avais raflé de pâtée avant fermeture de l'épicerie, puis voyant que les plus forts s'emparaient de tout, j'ai projeté le plus haut que j'ai pu la nourriture sur la pente, afin que les plus petits eux aussi l'engloutissent - et là encore, les moins faibles bouffaient tout.

     

     

     

  • Les sentiers de la gloire

     

    Les journalistes chatouilleux, donc, les gens de pouvoir, les préjugés ; quatrièmenent, la censure par l'argent : pas rentable, cassez-vous. Malicorne ? "Ça n'intéressera personne". Joe Dassin? Non, trop con, c'est moi qui censure. La famine ? Attendons le cap du million de morts, sinon Omo retire sa pub. Tel auteur ? Inconnu, je le vire. Parlez-moi, oui, d'un auteur-critique, d'un auteur-metteur en scène, d'un auteur-acteur, -comédien, -footballeur, ou -escroc, mais pas homophobe svp. Et sans télé, pas de blé, pas de percée. Le petit succès d'estime, 126 ventes en librairie. Ce qui fait que les refusés à leur tour crient au martyre : "Puisque nous sommes refusés, c'est que nous dérangeons, c'est que nous ne montrons pas notre cul" (nous disait une sexa qui nous embrouillait de sa famille et de sa cousinaille 120 pages durant, écrites à la pioche). Niveau minable, connerie. Il ne s'agit plus de censure, mais de l'éternelle aporie "Pourquoi lui, et pas moi". Cf. déclaration de Régoli Toi Coco, rien qu'à voir ta gueule, avant même que tu aies ouvert la bouche, on a envie de te dire non – j'ai eu de la veine de ne pas être un nègre. Censure donc brutale et sotte sous Ceauşescu, projetant une loi pour interdire "de ridiculiser le chef de l'Etat", mais sournoise en démocratie ("inintérêt des lecteurs", "manque de retour sur investissement") – vous aurez plus de chance (réalité !) si vous faites partie d'un groupe de pression, d'un groupe tout court, bien identifiable sur le marché médiatique, avec des amis (donc des ennemis, d'où clash, d'où visibilité).

    Les hauteurs de Floirac.JPG

     

    Plus : bonne gueule, absence de toute timidité, tête froide face aux putes présentatrices – des nerfs, des nerfs – sens de la répartie. Etre déjà venu "à la télévision", connaître à fond les codes sociaux, souffler dans le sens du vent, mais juste un peu de travers : choquer, mais correct. Pratiquer l'autocensure, chiper sa petite niche d'emmerdeur dans la norme, car les vrais, les grands dérangeurs sont sur le banc de ton jardin public, avec ou sans minijupe, avec ou sans cartons, ou chez les fous. La censure ? c'est le jeu : Don Quichote, à la trappe. "Rentrez chez vous" disaient les flics aux SDF. Malgré mes émoussés sarcasmes donc, et ma hauteur de vue (ma modestie), la censure existe bel et bien, sournoise et précise. Et si je ne cause pas dans le poste, en dépit d'une lettre flatteuse du dirlo (Tsoff FM !) - c'est pour avoir signé en arabe. On ne change pas de programme à la rentrée – seule radio de France et de Navarre...

     

    ...Je n'invite personne à mon tour ? ce n'est pas par censure. Mais mon organisation foutraque en serait perturbée au point qu'il n'y aurait plus à proprement parler d'émission, avec l'autre, là, en face, qui me panique la vie, mais une succession ininterrompue d'étourderies techniques. Je vous lis à présent quelque chose sur Bertrand (...) - puis les charognards se sont précipités sur le livre, qui s'est vendu, pour les plus mauvaises raisons qui soient. Quant à vous, les raisons ne vous manqueront pas pour lire Les censurés de la télé. Egalement "La Drague" sur internet.

     

     

     

     

     

     

     

  • Il m'est arrivé tout ça

     Une chanson ! Une chanson !

     

    Moralès-seu, Moralès-seu ! Il s'agit du sketche du soldat Moralès par un comique de haute volée. Benuro. Bien meilleur dans ses rôles dramatiques. Je n'avais jamais écouté son numéro en entier. En dépit des avertissements des filles dont les grands frères se sont initiés avant moi, je persiste à barrir toujours les mêmes couplets : “Toi qui aimais voyager / Te v'là tout éparpillé” - sur une mine... “Toi qui aimais batt' des r'cords / A vingt ans déjà t'es mort” - je n'ai connu la richesse férocement antimilitariste du sketche lui-même que bien plus tard, quand je n'avais plus personne à faire rire... D'ailleurs les autres numéros dudit comique n'atteignent pas la cheville de celui-là.

    X

     

    La manif CGT

    LE PEUPLE, PUTAING CONG...

    L'allée calme.JPG

    J''éprouve une une répulsion effroyable envers tout ce qui fait peuple. “Culture prolo” me semble toujours un de ces assemblages artificiels particulièrement vide de sens : belote et pastis face à Mozart ou Rachmaninov. Ceux qui établissent là une équivalence me répugnent par leur démagogie ; le degré zéro du slogan me semble atteint par “Tous ensemble – tous ensemble – ouais ! ouais !” - avec ce hideux accent toulousain qui n'arrive pas à produire le son « an » : tous angsangbleu tous angsangbleu - alors que j'avais pleuré à simplement ouïr la foule des ouvriers toulousains psalmodier sur la place du Capitole archicomble : “Unité ! Unité ! Unité !” interminablement – j'en ai encore le frisson – jusqu'à ce que les représentant des différents syndicats tombent enfin dans les bras l'un de l'autre et s'étreignent en sanglotant à la tribune... Mais “Tous ensemble, Tous angsangbleuh” – au-dessus de mes forces. Vraiment. Le degré zéro du slogan. Tous ensemble – tous ensemble – gnouf ! gnouf ! Il suffit donc d'être ensemble pour avoir raison ? Deux filles, deux amies, sont entrées dans mon cours au pas en scandant ces mots. J'aimais particulièrement l'une d'elles, métisse, fortunée, à qui j'avais laissé entendre que j'aurais aimé passer ma vie avec elle, pour peu que nos âges eussent concordé...

     

    Elle murmura à l'oreille de sa compagne : « Tu ne te figures pas que j'aurais épousé ce vieux machin... » Je ne me souviens plus de son nom. « Dites-moi » - « est-ce que vous ne parleriez pas couramment l'allemand, par hasard ? » Elle me regarde stupéfaite : « Comment avez-vous su cela, vous ? - Parce que j'ai souvent eu l'impression, faisant des allusions en allemand, d'être particulièrement bien compris. » (la langue latine se prête bien à ces comparaisons grammaticales). Elle reconnut que ses origines plus que variées (sénégalaises entre autre) comportaient également une tante autrichienne, qui l'avait initiée à la langue allemande à l'âge de huit ans. Peut-être s'appelait-elle Séverine.

     

     

     

    Les deux Djek

     

    Je mêle souvenirs d'élève et de prof. Le premier Djek était un grand dégingandé, rouquin, fils du commissaire, viré d'un lycée à l'autre, Laon ou St-Quentin, alternativement. Il jouait du saxo. Toujours le même air de jazz. Je l'ai fait tomber dans une flaque bien boueuse, de tout son long. Les autres, à l'abri sous le préau, m'encourageaient, m'acclamaient. Hélas, chevaleresque, je lui ai tendu la main pour se relever. Il m'a mis une solide rouste, outragé de sa première défaite. J'ai compris que jouer fair-play, c'était passer pour un con.

     

    DJECK, fille de patron de supermarché, gênée par son fric. « Je me suis fait voler mon scooter » ; mon père : « Ça ne fait rien, tu n'as qu'à aller t'en acheter un autre ». Ce genre de gêne dure peu...

     

     

     

    Le disc-jockey

     

    « Je regarde le disc-jockey »

     

    C'est une chanson très naze. Je l'ai fait chanter à toute une classe. “Les garçons à voix grave » (je n'ai pas dit « aiguë », poour ménager leur susceptibilité) à ma droite, les garçons à voix claire à gauche, les autres au milieu. Ceux à voix grave, scandez “boum, boum” ; à voix claire : “tchac, tchac” ; on essaye : boum-tchac, boum-tchac. « Ceux du centre : imitez la cornemuse, en frappant le pharynx du tranchant de la main : ouin-ouin-ouin, ouin-ouin-ouin-ouin, ouin-ouin-ouin-ouin, touououou ! Ouin-ouin-ouin... On essaye – OK ! Ensemble à présent : boum-tchac-ouin-ouin – c'est bon ! » Les filles devaient chanter avec l'air le plus con possible “Je regarde le dis-jockey... TOUT FEU TOUT FLAMMES ! Allez les filles, encore plus con ! Et pour finir, l'hystérie ! Allez, l'utérus entre les dents !” Une rigolade épique.

     

    Et c'est à présent seulement que je m'avise de ceci : j'aurais dû les faire nasiller, les filles, pour obtenir cette sonorité de la plus épaisse sottise... Mais c'était vraiment humiliant ; auraient-elles accepté ? - nez en moins, quel triomphe... !! Et de manière inexplicable, pour la deuxième classe, ça n'a pas marché...

     

  • Touriste écrasé de chaleur

     

    Route d'Alicante. Puerto de la Carrasqueta. Lacets descendants. Heure de la halte. Derniers soubresauts des méandres routiers. Je m'arrête sur une vire, à l'ombre de justesse. Photos sans pellicule. Bar isolé, cette fois silencieux. Devant le seuil un distributeur de batatas fritas, le sachet se bloque, la patronne et sa fille rajoutent deux pièces, tout dégringole, bon goût naturel d'épluchures, je ne bois rien. Descente des derniers zigzags, asphalte et soleil, maisons éparses ordinaires, à une près, vaguement mudejar. Soixante secondes d'arrêt, je ramasse au sol des cartes routières tombées là – batatas : mot d'enfant.

     

    J'aurais voulu éviter Alicante, car j'y suis déjà passé voici trente ans ; je ne me rappelle que la silhouette du fort, au-dessus d'un jardin au fond duquel gisait un grand-oncle :

     

    "Laissez-le. Il est fou. Il est tuberculeux."

     

    Il est vieux.

     

    El señorito Cuesta, élève de mon père, passait là ses vacances en famille : "Pendant l'escale de l'Azemmour, venez nous voir." Je m'étais copieusement emmerdé entre père et mère, à 17 ans, el señorito 13 : un abîme. En ville ma mère ne cesse de ronchonner, mais quand cessa-t-elle ? mon père s'est tourné tout d'une pièce sur un infirme en fauteuil roulant, comme sur une curiosité naturelle. Nombre de pieds-noirs sont venus s'installer ici, dont trois arrêtés en terrasse pour avoir parlé mal de Franco en français ; j'ai entendu parler ma langue autant trente ans après qu'en espagnol. Trop épuisé pour sortir des rues battues. Sur une place en contrebas deux punk flamboyantes boivent à la canette en plein soleil, si je les photographie elles vont m'engueuler ou exiger du fric – d'emblée je les affuble de conformisme, de solitude et de branlette : c'est bien à moi...

     

    Mal garé, à pied vers la plage et le paseo. Palmiers, marchands de glaces et vieux sur les bancs. Le trottoir en mosaïques trompe-l'œil figure des vagues et miroite à donner le vertige. Plage comble du rivage au parapet, en pleine ville, c'est ce que j'ai vu de plus beau, de plus terne, de moins local - ¿ español ? ... ¿ qué quiere decir ? - et ce quartier en remontant contre le fort, cette ruelle barrée de chaises à mémères, je me perds. Saturé de pitttoresque. Récupérer mon véhicule.

    La terrible église.JPG

     

     

    ¿ Avenida Castañero ? Je retrouve mon bien et roule vers Elche (¡ Elx !) Hurlant de chaleur au volant, de joie de vivre dans le soir qui tombe, je pousse des cris déchirants d'allégresse, des cris de douleurs de femmes, voyant dans mon rétroviseur ma vie trop forte et belle encore, les conducteurs qui me croisent se mettent à rire, j'emplis l'espace, parviens à Elche où m'accueille la fameuse Dame au centre d'un rond-point puis me gare en quelque rue écartée. À vingt heures plein jour et chaleur extrême, tandis que contre ma portière descendent les familles endimanchées, les fillettes exhibées dans leurs froufrous de bonbons chauds : en bas de la rue commence la fête scolaire ; au fond d'un cul-de-sac chaulé roucoule un ténor d'opérette, personne n'applaudit en dépit d'un discours de présentatrice sucrée, tandis que les petites filles en hâte poussent sur les trottoirs ou traînent leurs parents trébuchant dans leurs beaux habits.

     

    Des enfants chantent de loin sur scène, applaudis de leur famille soigneusement lavée ou parfumée. J'entends des portières claquer, des pierres trop chaudes qui craquent, je suis ce décalé qui de la main trace des lignes à l'intérieur de son salon de tôle aux vitres abaissées, suivant des yeux tant d'œillades et de couples enlacés – l'homme trop grand se déhanchant contre les fesses de sa femme. La recherche du camping prend des allures de jeu de piste : Jardin du Curé ! ¡ Huerto del Cura ! Tous me le répètent, et la fête gagne la ville, foule, flics, rues barrées, marchands de confits. La zone scolaire – zona escolar - n'était rien "Première à droite au fond, tournez" ce sont près d'un terrain vague deux jeunes filles de treize ans, le short à ras du poil, protégées qu'elles sont par l'inconscience et ma peur, qui tendent la main pour me guider tout en riant – les yeux, c'est tout ce qui me reste – je tourne en rond, me fais indiquer le haut puis le bas de la ville.

     

    La police embarque de force un clochard à l'arrière d'un break, matraque souple et bien solide sur le crâne, menottes et injures du mec très rouge, barbe de cinq jours, voix pâteuse et dents gâtées. Ses yeux sont bouffis comme sous un jet d'un insecticide et l'ambiance est à la fête, ici bientôt des émeutes feront quarante-et-un blessés. Voici la palmeraie d'Elche aux murets blancs très ronds avec au pied des arbres un paillasson constant d'aiguilles mortes, comme des chiens perdant leurs poils. Puis le camping, de luxe, bien vide avec ses bornes électriques. Le tenancier m'accueille à bras ouverts au tarif minimum. Je téléphone en France, longuement, précipitamment. Je prends place en terrasse à la cafeteria.

     

    Trente minutes plus tard, j'obtiens ma commande. Je finis Monsieur de Phocas : quintessences d'âme suivies d'un bel assasssinat quintessencié, contrastant avec la touffeur d'ici et la douleur constante de fixer les yeux sur la page alors qu'il suffirait de se faire envahir de présent vaseux. Eclate alors une bestiale bataille entre queutiers de billards qui se roulent à terre en grappes. À côté de moi sur leurs sièges quatre Franco-Français avec leur chien chow-chow lèvent soudain le nez de leurs messes basses : "Fais quelque chose !" dit une femme qu'est-ce que tu veux que j'aille foutre murmure l'homme tu ne vois pas combien déjà ils sont à se taper dessus cependant les jeunes bien bourrés se collètent comme on s'encule et se crochètent par le cou pour se fracasser le crâne contre les vitres et on repart se casser la gueule jusque avec les garçons de café Ça me fout des frissons de voir ça – y a pas assez de guerres comme ça faut encore qu'ils se cognent comme des cons – puissance en vérité des propos de touristes – femmes baisables et connes - les branleurs se repointent bras dessus bras dessous Tu vois ce que tu m'as fait je saigne cara de coño "Alors !" triomphe l'employé français (à mi-voix) "c'était bien la peine que j'aille me faire démolir !

     

  • Quelle belle Beyrouth !

     

     

     

    A St-Rupt dans les Vosges vit un fou. Il surgit carabine en main. Il s'appelle Dominique PAZIOLS, tue sa mère, ses frères et ses soeurs. Emprisonné, il étudie Kant et Marivaux. Evadé, il rejoint une ville comme B., port de mer, où chacun se bat pour sa vie, où les maisons s'effondre sous les tirs d'obus, où l'on se tue de rue à rue, comme ça. Dans cette ville de MOTCHE (Moyen-Orient), Georges ou Sidi Jourji, fils de prince et de président, cherche tout seul dans son palais six ou sept hommes chargés de négocier la paix. A ce moment des coups retentissent contre sa porte, une voix crie « Ne laisse plus tuer ton peuple », celui qui frappait détale au coin d'une rue, le coin de la rue s'écroule.

     

    Et c'est ainsi que l'histoire commence, Georges heurte à son tour chez son père : « Kréüz! ouvre-moi! » et le vieux père claqué son volet sur le mur en criant « Je descends  ! prends garde à toi! » Les obus tombent. « Où veux-tu donc aller mon fils ? - Droit devant. - Il est interdit de courir en ligne droite ! » Ils courent. Lorsque Troie fut incendiée, le Prince Enée chargea sur son épaule non sa femme mais son père, Anchise ; son épouse Créuse périt dans les flammes – erepta Creusa / Substitit. Georges saisit son père sur son dos ; bravant la peur, il le transporta d'entre les murs flambants de sa maison.

     

    Ce fut ainsi, l'un portant l'autre, qu'ils entrèrent à l'Hôpital. « Mon père », dit le fils, « reprenons le combat politique. Sous le napalm, ressuscitons les gens de bien. Il est temps qu'à la fin tu voies ce dont je suis capable. » Hélas pensait-il cependant, voici que j'abandonne mon Palais, ses lambris, ses plafonds antisismiques, l'impluvium antique et ses poissons. Plus mes trois cousines, que je doigtais à l'improviste. Les soldats de l'An Mil, poursuivaient-ils, se sont emparés du palais, ou ne tarderont pas à la faire ; et ceux du Feu nous encerclent – même les dépendances ne sont pas à l'abri puis il se dit Mon Père est sous ma dépendance IL montrera sa naïveté de vieillard.

     

     

     

    X

     

     

     

    Georges avait aussi son propre fils. Coincé entre deux générations. Le fils de Georges sème le trouble au quartier Jabékaa ; il s'obstine à manier le bazooka. « Va retrouver ton fils ! - Mon père, je ne l'ai jamais vu ! j'ai abandonné sa mère, une ouvrière indigne du Palais – une cueilleuse d'olives – père, est-ce toi qui a déclenché cette guerre ?... s'il est vrai que mon fils massacre les civils, je le tuerai de mes mains. A l'arme blanche. »

     

    Liseur, au loin.JPG...Les bombes ne tombent pas à toute heure. Certains quartiers demeurent tranquilles pendant des mois. Leurs habitants peuvent s'enfuir ; la frontière nord, en particulier, reste mystérieusement calme. Gagner le pays de Bastir! ...le port de Tâf, cerné de roses ! ...pas plus de trente kilomètres... Georges quitte son vieux père. Voici ce qu'il pense : « Au pays de Motché, je ne peux plus haranguer la foule : tous ne pensent qu'à se battre. En temps voulu, je dirai au peuple : voici mon fils, je l'ai désarmé ; je vous le livre. » Il pense que son père, Kréüz, sur son lit, présente une tête de dogue ; avec de gros yeux larmoyants.

     

    Puis, à mi-voix : « S'il était valide, je glisserais comme une anguille entre les chefs de factions ; je déjouerais tous les pièges. Avant de sortir du Palais, mon père s'essuyait les pieds. C'était pour ne rien emporter au dehors. » Le Palais s'étend tout en longueur. Des pièces en enfilade, chacune a trois portes : deux pour les chambres contiguës, la troisième sur le couloir qui les dessert. Chacune a deux fenêtres, comme deux yeux étroits juste sous le plafond. Georges évite les femmes: il emprunte le corridor, coupé lui aussi de portes à intervalles réguliers dans le sens de la marche afin de rompre la perspective.

     

    Au bout de cette galerie s'ouvre une salle d'accueil, très claire, puis tout reprend vers le nord-ouest, à angle droit : le palais affecte la forme d'un grand L . Cet angle défend contre les fantassins ; grâce à Dieu, aucune faction n'est assez riche pour se procurer des avions. Cependant chaque terrasse porte une coupole pivotante. « Dans les tribus sableuses d'alentour, on nous considère avec méfiance : faut-il attaquer le palais, s'y réfugier ? ...nous n'avons rien à piller – personne ne découvrira les cryptes – et mon père, Kréüz – a fait évacuer presque toutes les femmes... Je reviendrai, ajoute Georges, quand l'eau sera purgée de tout son sable... » Ou : « ...quand les brèches seront colmatées.