Les sentiers de la gloire
Les journalistes chatouilleux, donc, les gens de pouvoir, les préjugés ; quatrièmenent, la censure par l'argent : pas rentable, cassez-vous. Malicorne ? "Ça n'intéressera personne". Joe Dassin? Non, trop con, c'est moi qui censure. La famine ? Attendons le cap du million de morts, sinon Omo retire sa pub. Tel auteur ? Inconnu, je le vire. Parlez-moi, oui, d'un auteur-critique, d'un auteur-metteur en scène, d'un auteur-acteur, -comédien, -footballeur, ou -escroc, mais pas homophobe svp. Et sans télé, pas de blé, pas de percée. Le petit succès d'estime, 126 ventes en librairie. Ce qui fait que les refusés à leur tour crient au martyre : "Puisque nous sommes refusés, c'est que nous dérangeons, c'est que nous ne montrons pas notre cul" (nous disait une sexa qui nous embrouillait de sa famille et de sa cousinaille 120 pages durant, écrites à la pioche). Niveau minable, connerie. Il ne s'agit plus de censure, mais de l'éternelle aporie "Pourquoi lui, et pas moi". Cf. déclaration de Régoli Toi Coco, rien qu'à voir ta gueule, avant même que tu aies ouvert la bouche, on a envie de te dire non – j'ai eu de la veine de ne pas être un nègre. Censure donc brutale et sotte sous Ceauşescu, projetant une loi pour interdire "de ridiculiser le chef de l'Etat", mais sournoise en démocratie ("inintérêt des lecteurs", "manque de retour sur investissement") – vous aurez plus de chance (réalité !) si vous faites partie d'un groupe de pression, d'un groupe tout court, bien identifiable sur le marché médiatique, avec des amis (donc des ennemis, d'où clash, d'où visibilité).
Plus : bonne gueule, absence de toute timidité, tête froide face aux putes présentatrices – des nerfs, des nerfs – sens de la répartie. Etre déjà venu "à la télévision", connaître à fond les codes sociaux, souffler dans le sens du vent, mais juste un peu de travers : choquer, mais correct. Pratiquer l'autocensure, chiper sa petite niche d'emmerdeur dans la norme, car les vrais, les grands dérangeurs sont sur le banc de ton jardin public, avec ou sans minijupe, avec ou sans cartons, ou chez les fous. La censure ? c'est le jeu : Don Quichote, à la trappe. "Rentrez chez vous" disaient les flics aux SDF. Malgré mes émoussés sarcasmes donc, et ma hauteur de vue (ma modestie), la censure existe bel et bien, sournoise et précise. Et si je ne cause pas dans le poste, en dépit d'une lettre flatteuse du dirlo (Tsoff FM !) - c'est pour avoir signé en arabe. On ne change pas de programme à la rentrée – seule radio de France et de Navarre...
...Je n'invite personne à mon tour ? ce n'est pas par censure. Mais mon organisation foutraque en serait perturbée au point qu'il n'y aurait plus à proprement parler d'émission, avec l'autre, là, en face, qui me panique la vie, mais une succession ininterrompue d'étourderies techniques. Je vous lis à présent quelque chose sur Bertrand (...) - puis les charognards se sont précipités sur le livre, qui s'est vendu, pour les plus mauvaises raisons qui soient. Quant à vous, les raisons ne vous manqueront pas pour lire Les censurés de la télé. Egalement "La Drague" sur internet.