Proullaud296

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Le maître, son disciple, son épouse et ses chats

 

 

Mon disciple de 20 ans s'envole pour l'Irlande. Il déclare m'écrit-il sa flamme à quelque Irish Girl rousse aux yeux verts , qui lui répond en bon anglais « Sorry, but my sentiments are not on the same scale as yours », autrement dit FUCK OFF. J'ai perdu de vue l'Omer d'alors, toujours au bord de la déprime, et bien que je lui aie seriné (prêchant pour ma paroisse) de ne «jamais abandonner personne » : il m'a laissé choir aschwöh, comme il est juste, logique et nécessaire à vingt ans de hisser les voiles (Ô Mort, vieux capitaine...) - mon petit-fils du même âge balaie des McDo.

 

Un jour Omer deviendra journaliste, électronicien, chimiste, informaticien, dans le bac à sable qu'ils appellent « la Vie », sans bien savoir. Je me suis collé du sable plein les yeux. Je me suis relevé en me frottant les paupières, jurant de ne plus redescendre là-dedans. Je rejoindrai sous les lames la cohortes des macchabées, et nous aurons vécu : je n'écris pas mieux que mon admirateur. Cet été, sur la longue table de la profonde et fraîche cuisine commune, je reprends mes critiques sur feuilles volantes et les envoie. « N'écrivez que si votre vie véritablement est en jeu ». Et qu'est-ce que je peux réellement en savoir, Monsieur Rainer, avant d'avoir atteint, justement, la fin de ma vie ?

 

Jules Renard écrivait : « Je récrirais bien mon œuvre, en mieux ; mais personne ne s'en apercevrait... » S'est envolé avant d'être pesant.

 

X

 

La Bouffiture, où nous logeons, comporte un restaurant. Autre longue salle voûtée en contrebas du pathio. Lièvre aux figues confites à tomber de bonheur. Il existe donc des plaisirs gustatifs. Et le plaisir de se torcher, comme dans Gargantua. Nous complimentons le cuisinier et lui filons un billet de zéro balle. Mon épouse de bon poil pour le restant de ses jours. Même après l'estomac rogné. Ils n'aiment pas les Hollandais, nos hôtes : « Les Koucasses », dit la femme : « Les Hollandais ». Je refuse le moindre effort. Aucun d'eux jadis ne m'a rapporté strictement aucun avantage. Rien. Que dalle. Walou. Le matin, ma femme dort : ainsi avant son opération, ainsi depuis.

 

Elle s'assoupit : trop froid, trop chaud, trop pluvieux... Caresses, autorité, harcèlements : aucun remède rien. Alors, puisque c'est vacances, et que nous payons cette chambre, je sors me promener seul en campagne, en voiture et à pied, avant le plein midi du Languedoc. Je prends la route et fais le tour des églises perchées, des églises cadenassées. Très vite le plein soleil. Un bas de pente envahi de goudron cuit et de superbes goudronniers torse nu, gorgés de vapeurs sur le gravier puant, cuisant, juvéniles, torse nu, pompant le carbone à pleins poumons, mais rigolos, bonnes bites. Je monte en première, d'épingle en lacet. Chaleur suffocante, zigzags à voie unique, atteins le sanctuaire entraperçu d'en bas : des bâtiments propres, ocres et déserts. Je vois ici même, dans les garrigues du Putois, une cloche à bascule rasant le sol, suspendu à son mouton sous la poulie.

 

L'herbe haute.JPGPour peu que j'eusse actionné le palan à travers le maillage, tiré sur la corde enroulée dans sa gorge, une autre là-bas m'eût répondu, symétrique, sur le versant d'en face, que j'aperçois près d'autres bâtiments tout semblables. Tout le vallon se fût précipité, tous auraient su qui j'étais (les goudronniers du bas m'ayant dénoncé) - scandale public, internement d'office. Il se tient donc ici chaque été, plus chaud encore !... des pèlerinages, retraites et dévotions, avec scouts, curés, colonies de vacances, vulgarité, aménité chrétienne et bon enfant - puis tout retombe à l'abandon. Retourne en solitude. Ces endroits-là servent à quelque chose, doivent s'utiliser, se rationaliser, règlements, réfectoire, dortoirs, juste pour la fête du saint (lequel ?) - passée la fête, adieu le saint - qui peut prier ici ?

 

Tout est fait pour des gens, des vrais, des concrets, des matériels, des irrémédiable - juste de la foule - alors que nous serons guéris, dit le philosophe, dans la mesure exacte où nous serons éloignés de la foule : Sanabimur, dum a turba relegabimur – l'Autre, c'était le Diable, mais à présent, c'est l'Autre qu'on adore. Plus d'adoration, juste un ramassis de lieux communs, Guy Lux et Patrick S. prêchant au lieu d'un prêtre, dans la plus promiscuitaire des fraternités. Aujourd'hui, cerveau cuit de soleil dès 10h ; buissons poudreux, sol inégal et calciné. Les chats faméliques me suivent et se dérobent sitôt effleurés. J'entends des miaulements de toutes parts, de plus en plus proches, flairant mes doigts, puis s'esquivant. J'ai demandé plus tard le sens de ce manège : ils crevaient de faim me dit-on. m'a-t-on répondu - tels dans les rues escarpées d'Amorgos ces chats blancs consanguins sentant le caillé, mourant de faim me dit-on d'où leur docilité.

 

C'étaient des moribonds que je posais sur mon bras, les flattant de la main dans leur agonie. Et la femme qui nous guidait poussait de petits cris de vive répugnance, et si je l'avais pu je je les aurais nourris, sauvés. Je me souviens aussi d'Arcueil à l'autre bout du monde, près de Paris, au rez-de chaussée surbaissé d'un donnant sur le remblai d'un talus battu de vent et de pluie froide ; sous ma fenêtre près du sol se pressaient les bâtards détrempés. Je leur offris tout ce que j'avais raflé de pâtée avant fermeture de l'épicerie, puis voyant que les plus forts s'emparaient de tout, j'ai projeté le plus haut que j'ai pu la nourriture sur la pente, afin que les plus petits eux aussi l'engloutissent - et là encore, les moins faibles bouffaient tout.

 

 

 

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