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L'or de la terre, de Bernard Clavel

 

Mais survient un homme orchestre diabolique de bonne humeur, qui ouvre un bordel, qui vend des boissons, bref, qui se fait sa petite place sur le grouillement fasciné. Bagarres, crises d'autoritarismes face aux révoltes, couvaison très habilement menée de quelque gros malheur à venir.

 

Pourquoi ne pas le dire, il faudra que le découvreur, promu grand patron bien riche, force ses hommes à creuser encore et toujours et fort maladroitement, pour que la catastrophe minière se produise. L'habileté de l'écrivain consiste alors à doser le sentiment de montée des périls et d'inéluctabilité avec une espèce de suspens vain, puiLève les yeux, et regarde.JPGsque tout a été mis en place pour éclater : le lecteur serait déçu que cet orgasme cataclysmique ait été si minutieusement préparé pour ne pas éclater.

 

Ici deux points de référence encore, puisque Bernard Clavel oeuvre dans le connu- inconnu : suffisamment de points de repère pour ne pas effaroucher le lecteur ( un ouvrage sur les bobines de fil en Colombie risque de trouver un public des plus restreints), mais suffisamment d'inconnu aussi (le genre de sujet sur lequel on croit savoir déjà quelque chose, mais sur lequel il reste encore beaucoup à apprendre) - pour éviter toute impression de déjà vu.

 

Quant à la catastrophe minière, elle ressortit aux scénarios de gros malheurs qui totalisent de confortables audiences. Et dans ce cas précis, l'on peut se rapporter à Zola, dans "Germinal", dont nous sommes relativement éloignés vu le caractère non pas anecdotique à proprement parler de la revendication ouvrière mais particulier - Bernard Clavel traitant plus de l'affrontement de personnalités que de conflits véritablement traités sous l'angle socialisant globalisateur , mais aussi et surtout à un roman social devenu pour enfants, "Sans famille".

 

Et là, Bernard Clavel, le mythe en moins, réussit à capter le filon de la littérature populaire - je dis le mythe en moins car nous ne lisons plus aussi religieusement qu'autrefois, et les enfants ne lisent plus du tout.

 

Cependant ceux que leurs parents sont parvenus à faire lire ( c'est d'ailleurs plus une question de destinée, y compris celle de notre civilisation, que d'éducation) lisent du Bernard Clavel. L'adulte sera passionné.

 

Permettons-nous à présent quelques incursions :

 

P. 47 du livre de poche collection "J'ai lu" :

 

"Quand on aura piqueté, faudrait découvrir tout ce qu'on peut. Echantillonner en surface. C'est plus facile que de descendre."

 

Nous sommes au tout début de la découverte : les hommes établissent leurs marques. Piqueter, c'est carotter en surface. L'or, ici, affleure. Mais il faut se donner des ampoules aux mains, et moins il y a de gens au courant, moins le secret s'ébruite. L'exploitant au début est un piocheur.

 

P.. 94 :

 

"L'interprète traduisit. Les regards s'éclairèrent. Les hommes se levèrent, plusieurs parlèrent entre eux tandis que Jordan leur distribuait l'argent."

 

Nous sommes en compagnie d'une équipe de Polonais, franc comme l'or, durs comme le granit, qui ne veulent travailelr que si "ça paye". Il y a une typologie bien marquée de l'homme du grand nord canadien, tout à fait semblable à celle des westerns. Ecole de virilité et de rudesse, j'en passe. Jordan, c'est le découvreur embaucheur.

 

P. 141 :

 

"Des hommes qui avaient fait la guerre en France soufflaient à l'ancien draveur :

 

- On en a vu de plus amochés qui s'en tiraient.

 

Ils le remontèrent, toujours geignant.

 

Comme s'il eût attendu ce mome,t; c'est lorsqu'il respira sa première goulée d'air glacé qu'il perdit connaissance."

 

C'est ici la séquence de l'accident du travail. Un draveur, c'est celui qui assur ele flottage du bois, en plein air sur les rivières. Celui-ci est descendu au fond, et les boisages ont dû céder. Scène attendue, mais l'art du conteur ne consiste-t-il pas justement à faire d'une scène attendue quelque chose de nouveau et d'attachant, à la fois en dépit des conventions et grâce à elles ? et à ce compte, qu'est-ce qui n'est pas convention ? Le musicien n'utilise-t-il pas sans cesse des combinaisons de sons à la portée - c'est le cas de le dire - de tous ?

 

Et lorsqu'on enterre l'accidenté (pas de fin heureuse ici comme dans l'épisode de Jean Valjean sauvant le père Fauchelevent de l'écrasement sous la charrette ) , tout le peuple du Canada est là pour le commentaire du choeur antique:

 

P. 188 :

 

"L'aveugle était là avec les quatre prostituées sous deux grands parapluies bleus. Bastringue demanda à Jordan :

 

- Est-ce que tu diras la prière ?

 

- Je la sais pas bien, moi."

 

 

 

Je laisse aux exégète le soin de déterminer s'il y a message social sous le pittoresque. Je réponds d'ailleurs : oui. Non explicite, mais présent.

 

Et grâce sans doute aux prostituées, facteur d'équilibre - je plaisante... - les familles s'accroissent :

 

P. 235 :

 

"Le trapu était aux petits soins pour sa femme, répétant comme un enfant :

 

- Attention de pas te cogner le ventre. C'est trop petit, cette maison.

 

"C'était lui qui heurtait constamment l'évier ou le fourneau dans la minuscule cuisine où ils s'installaient pour manger, à la table dont une extrémité touchait le mur de planches sous la fenêtre."

 

Il s'agit d'un des deux fondateurs de la mine, qui pense déjà à s'agrandir. Mais la catastrophe arriva :

 

P. 235 :

 

"Je le savais...

 

"Les dents serrées sur une espèce de rage qui lui glace l'intérieur, Jordan fonce. Il ne répond à aucun appel."

 

Le patron, désespéré, seul responsable du désastre matériel et humain de sa mine inondée, fuira la vindicte populaire, mais sera rejoint malgré tout par le destin...

 

Nous espérons que ces quelques extraits, joints à une appréciation que j'estime naïvement favorable, vous donnerons en vie de vous dépayser, tout en vous retrouvant, par la lecture de "L'Or de la terre", de Bernard Clavel. efois, et les enfants ne lisent plus du tout.

 

Cependant ceux que leurs parents sont parvenus à faire lire

 

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