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der grüne Affe - Page 179

  • Un chef-d'oeuvre méconnu : Gaston-Dragon

     

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    L'ENFANT, LE TEMPS (116)

     

    Au loin, les balançoires.JPG

    J'ignorais qu'il fût si proche encore (117), qu'il m'eût tenu lui-même dans ses bras : le temps commence pour l'enfant à sa venue au monde ; son atelier restait maniaquement rangé : gouges, poinçons, chignoles par rang de tailles sur le mur. Je sentais le parfum des copeaux (estompé au cours des années), je touchais l'établi couvert de cicatrices. Couturé. Gaston-Dragon irréparable avait tourné de sa main mutilée (scie circulaire) cette petite meule verticale et roussâtre que je lançais : accélération, extinction progressive, dans un mugissement de rame de métro – ces voies souterraines récemment découvertes (un voyage à Paris pour L'auberge du cheval blanc) me pénétrèrent de ravissement - je pouvais donc m'échapper ; les souterrains devant la meule s'étendent à l'infini, perdus à l'extrémité clignotante de longues lignes perdues - j'annonce à haute voix toutes sortes de noms.

     

    Avant de m'endormir je me chuchote une infinité de toponymes villageois, par ordre alphabétique. Je me souviens d'être allé jusqu'à « V ».

     

    Notes

    (116) Encore un paragraphe victimaire.

    (117) Gaston-Dragon, bien sûr.

     

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    L'ENFANT, LE PÉCHÉ(118)

     

    Le temps de la Question Ordinaire sous les yeux cerclés d'or du Masey-Ferguson survient deux ans plus tard – au sein d'un temps immobile - quand je m'avise d'avouer à ma mère - n'est-ce pas dans ce gros volume d'Histoire Sainte – lis donc,tu nous foutras la paix - que je découvre entre deux gravures - Massacre des Macchabées / Daniel dans la fosse aux lions - l'assertion sans réplique suivante : les bons enfants n'ont aucun secret pour leurs parents. Je confie donc à ma mère l'étrange chose que nous commettions cousine Berthe et moi dans cet autre village - ah ! ce sont là de bien étranges époques pour vous autres - comment Valery Larbaud a-t-il bien pu parler sans frémir du "vert paradis des amours enfantines" ...?

     

    Cousine Berthe - qu'elle soit bénie, et à jamais - se branle au-dessus de moi, très loin, très longuement et trèsvigoureusement, comme font les filles, sans révéler jamais, sans m'expliquer ce qu'elle fait, tandis qu'à l'intérieur d'elle j'attends qu'elle s'achève, sans jamais révéler à l'enfant le plaisir qu'elle se donne. On me cachait des choses. Forcément, à un gosse. Juste avant je fais mes prières - on les recommencera les cochonneries d'hier soir ? - Tais-toi, tais-toi si tu veux qu'on puissecontinuer – tout mon répertoire de prières m'affluait aux lèvres, Confiteor compris, je me vidais ensuite, tout l'esprit, pour m'étanchéifier ; pour me dédoubler ; me dédouaner, m'insensibiliser.

     

    Juste après l' « acte de contrition ». L'acte bien. Merveilleux. Extraordinaire. Bien que je ne connusse pas l'éjaculation. Ou puisque.Sous le calendrier « Masey-Ferguson » aux phares cerclés d'or ma mère feignait d'étouffer devant la Veuve Gaston en se couvrant les yeux de son mouchoir : "Mon Dieu !" - quel Dieu ? - mon père, écœuré, m'évita. Toute information, tout choc, me furent épargnés. Lorsque j'apprends un jour qu'ainsi se font les enfants je ne peux imaginer que je sois né au prix de cette ignominie ; je suis assurément le seul de toute la terre suffisamment dépravé pour imaginer semblable saleté, d'introduire son sexe dans le sexe d'une fille, fille du frère de son père – la chose est en vérité si lointaine que j'ai grand tort, promis à de si hautes destinées, de m'y attarder aussi sottement.

    Notes

    (118) Il me faut donc absolument y revenir...

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • De Brioude à La Chaise Dieu

     

    A Brioude, chargé de mes deux lourds bagages, je m'aperçois qu'il y a un hôtel parfaitement miteux juste en face de la gare. Les renseignements ont été très difficiles à obtenir.

     

    Aurore.JPGJe ne saurais me souvenir de tout. Ma chambre est au deuxième étage, il faut tourner la clef deux fois, à l'envers, pour ouvrir et fermer. Je suppose que je me suis reposé, puis qu ej'ai mangé. Il y a une salle à manger au premier, raide, le couvert mis depuis des semaines pour un repas fantôme. Voulant faire peuple, je demande au bar si le repas a lieu "là-haut" ou "ici". "Ici". Malgré l'étonnement léger du garçon (38 ans, petit brun), je demande à être servi à l'intérieur. Vue sur un flanc de voiture. Repas honnête, je n'ai même pas demandé "ce qu'il y avait". Derrière moi des routiers tout simples parlent métier avec des intonations d'enfants ou de braves gens.

     

    Ils discutent de conditions de travail et de revenus, sans aigreur. Je suis allé me promener après le repas, d'abord sous la pluie. Voilà ce que j'ai remarqué : Brioude est une ville mal

     

    foutue, où l'on sent encore l'absence de plan d'urbanisation, ce qui prévalait encore bien sûr aux siècles dernier. Un gros bourg mal grossi. Rien de pittoresque, une basilique Saint-Julien fermée, et mon bourdonnement intérieur : "Je vais réussir à me perdre à Brioude, et il faut le faire". Une espèce de demi-fou m'entend, croit que je lui adresse la parole, je le détrompe avec des mines effrayées. Mes airs naïfs, pour ne pas dire couillon, m'attirent toujours des abordements pique-assiette ou pédés. Je ne veux pas avoir affaire aux pédés, aux drogués, aux originaux. Cela devient tout de suite revendicatif ou agressif. J'aperçois encore une silhouette de ce type. Les faux soixante-dizards et faux clodos doivent pulluler ici, l'été. Rester chez soi en juillet-août. Comme il n'y a pas de télévision en chambre et que je dois me lever aux aurores, je me suis contenté de radio. Je savais que la patronne serait debout dès cinq heures et demie. Les clients m'avaient bientôt expliqué tous les horaires de car, avec leurs arrêts, "là derrière, pas loin".

     

    Je ne suis pas d'ici. Sottement, je me fixe un petit 6 h à la gare. Donc à 5 h ½, j'aide moi-même la patronne à descendre les chaises des tables ("Vous permettez ?"- ça fait peuple, et serviable.) Et je me mets en route à travers la petite ville aux premiers passants parmi les poubelles. Je demande au boulanger s'il faut prendre à gauche ou à droite d'un chantier, avec ses échafaudages. Il faut passer devant lui, en short, progresser sous son regard en gardant l'air naturel, lui dire par exemple alors qu'il ne m'a rien demandé, que je prends le car vers Le Puy. A l'horaire qu'il m'indique, le car est déjà parti.

     

    Mais je ne me presse pas. Le départ est devant la gare, et nul détour dans l'agglomération, que je sache, n'est prévu. Ou j'ai mal compris. Le chauffeur, 40 ans, brun, mince, portant beau. Les passagères sont des dix-sept ou dix-huitenaires qui le tutoient avec une familiarité titillante. Il m'est demandé si j'ai une réduction, je dis que je ne sais pas, le chauffeur me répond que ce n'est pas lui qui va me le dire. Elles sont si jeunes que je n'ose exciper de mon âge pour demander une réduction-de-vieux. Tout le long du trajet, les conversations vont se succéder, où l'on ne parle que de cul sans jamais y faire allusion.

     

    Le chauffeur s'appelle Tonio. Les filles le houspillent, lui parlent de ses nuits blanches, de sa petite amie, de leurs petits amis, de la pluie et du beau temps, sottises d'adultes aussi bien, échanges d'insipidités acidulées. Telles qu'elles en diront plus tard, devenues dures et âpres au gain, comme le laisse deviner un profil de mâchoire près de moi. Mais je sais de quoi l'on parle avec des jeunes filles : "Ce ne sont que des copineries", mais je sais bien, moi, pour l'avoir pratiqué des années durant pendant ma carrière de prof, que l'on parle de cul, de cul, et exclusivement de cul. De vitesse de doigt le long de la hampe, de précision dans les effleurements. Mais uniquement par la pluie, le beau temps. C'est la voix, c'est le charme qui font tout. J'ai aimé un nombre incalculable de jeunes filles. Je leur ai imaginé à toutes le sexe et la technique. Celles-ci se rendent aux oraux du bac, section vente, peur-être, un bac de filles, un bac de montagne.

     

    Je repense à ces filles agglutinées sous les porches d'Oloron-Sainte-Marie, le dimanche soir avant le retour au pensionnat. Que d'innombrables branlettes se préparaient là... Entre filles, chacune sa chacune... Que c'est beau, que c'est avantageux d'être une fille... L'une d'elles, montée en cours de route, toute petite, avec du rouge dans les habits, m'a souri. Il y a des vieux que l'on trouve sympathiques, même si l'on ne couche pas avec. Je n'ai jamais eu que cela comme succès féminin. N'empêche que j'étais bien satisfait en arrivant à la gare du Puy. Les bavardages devenaient un peu passe-partout.

     

    Des garçons étaient bien montés, puis redescendus, ce qui fait une phrase plus cocasse que je n'eusse cru ; mais plus jeunes, plus neutres, plus balourds. Engoncés. Considérant leur sexualité comme sale. Et j'ai dit au revoir au chauffeur, arrivé là trois bons quarts d'heure trop tôt, consigne inefficace (les fentes à pièces encore en francs, et inutilisables). Xxx 59 02 16 xxx Puis vers huit heures est venu vers moi un employé, jeune et nettement maghrébin, qui m'a emmené non loin de là pour signer le contrat. Ce fut un spectacle étrange. Le petit Marocain remplissait des papiers, me réclamait des documents et des garanties, d'un air empressé, fébrile, tandis que son petit patron de petite entreprise paradait au téléphone, le ventre avantageux, le verbe haut : il n'avait plus de véhicule disponible, même jusqu'à Brive, et pérorait sans fin.

     

    Je sentais qu'il exerçait une autorité outrancière, y compris auprès de sa secrétaire, toute grise et victime de ses frustrations (à elle ou à lui ? “le français, langue de la précision” : pas ici). Je me souviens cependant que le petit employé m'avait dit que de "La Chaise-Dieu", j'aurais vite fait le tour", parce qu'il n'y avait "pas grand-chose à voir". Et la prière, connard ?

     

  • You're in the army now...

     

    Arbres et buissons.JPG

    [Iam tempore brumae / Alpes marmoreas atque occurentia iuncto] saxa polo rupesque uitri siccamque minantes/ per scopulos pluuiam prilmus pede carpus et idem/ lubrica praemisso firmas uestigia conto.

     

    Commençons fort. En plein latin, pour ce deuxième tome du Zohar de Sidoine, suivi d'un troisième s'il plaît à X. "Déjà, en plein hiver, vous gravissiez à pied les Alpes marmoréennes, les sommets qui s'élancent vers le ciel et le rejoignent, les rochers de verre et la pluie sèche parmi les aiguilles menaçantes ; en tête de colonne, à l'aide d'une pique, vous vous frayiez un chemin et assuriez vos pas glissants". Très malcommode. Aux éléphants près, très hannibalien. Peu de romantisme : les Romains faisaient tirer les rideaux de leur litière pour ne pas voir ces paysages dégingandés. Les notes 77 et 78 jouent les indispensables : obtempérons. Cela se passe en décembre, puisque "Majorien légiférait encore à Ravenne le 6 novembre Nou. Maior, 7)" Observation : il existe donc encore des "Nouvelles Majoriennes", qui seraient ses décrets ?

     

    Ma curiosité les feuilleterait bien. La note 78 éclaircit une métaphore précieuse : "les rochers de verre" sont la glace, et la "pluie sèche" la neige. Quinze siècles plus tard, "le bronze s'agitant dans le marbre" signifiera, chez d'Annunzio, les cloches retentissant dans les clochers... Nous avons donc en Majorien le héros, le chef d'armée, capable à lui seul, mais trop tard, de rajuster sur l'épaule de Rome le fardeau de son empire. Mais les méchants Germains sont là, perfides, jaloux, et celui-là aussi sera assassiné. Quand il est trop tard, il est trop tard. "Au milieu de la montée, le gros de la troupe, maxima turba, s'était mis à frissonner jusqu'aux moëlles" : pas très chaudes, les jupettes sous la cuirasse.

     

    Mais le général, Majorien, saura supporter le froid, le chaud, l'épuisement, et par son exemple galvanisera la troupe : Hannibal, encore ; et les Scipions, et tous les autres. ..."car la pente était forte et les hommes, enfermés dans des défilés [dan-dé-dé] monsieur Loyen, [dan-dé-dé], "reculant au lieu d'avancer, pouvaient à peine se traîne sur le sol gelé." Plaisant tableau. Ne craignons pas les amplifications, accentuons la détresse : "alors un de ces guerriers dont le char avait foulé les [fou-lé-lé] monsieur le traducteur, [fou-lé-lé], glaces de l'Ister, s'écrie :" - s'écrie je suis claqué. Les Romains et assimilés (pas plus de Romains dans cette armée que de Blancs dans l'équipe de foot) surpassent les Barbares !

     

    Du moins au concours de claquettes de glaçons : "J'aime mieux les combats et le froid qu'apportent à tous (solemne ?) le repos de la mort". Plutôt crever. Pauvres fragiles tribus hunniques, ayant passé le Danube sur leurs chariots (je pensais qu'il s'agissait de Wisigoths) ! Je vais vous montrer, moi le futur Empereur, ce que c'est que la vaillance romaine. Bande de tapettes ! Ce n'est pas un Hun, c'en est Hune ! "un engourdissement", poursuit le faiblard, "enchaîne mes membres dans une raideur qui les paralyse", inerti rigore ! Intervention surprise de l'ami rigoré ! "mon corps, brûlé en quelque sorte" – j'aime cette clausule de style, "en quelque sorte" : voilà un soldat qui sait le prix de la litote – "par l'ardeur du froid, se meurt". Il meurt en vers, le Hun, en vers sidoniens. "Nous suivons un jeune homme". Sequimur iuuenem. "Majorien a dû naître vers 428 ; il a trente ans." Il porte toute la jeunesse du monde, il est "attaché sans fin à la peine".

     

    Vraiment quelle pitié. Le vaillant guerrier de l'Altaï incapable de survivre aux Alpes. Ridicule ! "Les plus braves, quels qu'ils soient, rois ou peuples, sont enfermés aujourd'hui dans le camp, castris modo clausus, ou même se reposent sous la tente, au soleil." Mais c'est qu'il demanderait bientôt les 35 heures, ce flemmard ! ce métèque ! ce jaunâtre ! Et quel bavard ! "Nous, nous bouleversons l'emploi des saisons" : eh oui ! Par contrat, pas de travail l'hiver, surtout dans la neige ! ...cette neige où les jeunes citoyens romains trempaient leurs couilles pour s'endurcir aux travaux militaires... "les ordres de Majorien seront pour la nature la loi", lex rebus erit. Voilà de l'ironie, mon bon syndicaliste.

     

    Sidoine de reprendre à son compte la pique rebelle, afin de la retourner contre son auteur : eeeeeh oui ! notre Hun, Majorien commande aux tribus là dis donc, et même aux éléments ! "Rien ne le détourne de ses entreprises", il serait temps de se taire, mais non, le Hun ignore les règles de la sobriété, il amplifie comme un vulgaire poète gaulois : "et il pense", le Majorien, "qu'il se ferait du tort, damnumque putat, à redouter la colère des éléments, même s'il ne peut les affronter qu'à ses dépens." Voilà bien de la sauce, bien de la daube, mais le râleur est lancé, rien ne l'arrête : "Dans quelle nation dirai-je qu'est né cet homme qui lasse l'endurance d'un Scythe comme moi ?" - in the USA, men, in the USA – nous pouvons bien confondre Américains et Romains, notre Sidoine mêlant allègrement les Huns et les Scythes, autant dire les Mongols et les Ukrainiens.

     

    Mais notre vaillant auxiliaire se laisse aller à l'admiration : "De quelle tigresse", tiens ça fait longtemps qu'on ne l'avait pas vue celle-là, d'Hyrcanie bien entendu ("a-t-il bu le lait, tout enfant, dans une grotte" – d'où, la grotte ? "d'Hyrcanie", bingo !) - vous pensez bien que Sidoine n'allait pas la rater. "Près de la Caspienne". Et Loyen d'ajouter : "Notre "Scythe" se souvient de Virgile" – ce dernier fut le premier à parler d'Hyrcanie – et encore. Mais combien reprirent Virgile... "Quelle terre plus rude que mon pôle l'a élevé ?" - axe meo grauior – "voici qu'il rallie au sommet de la côte ses escadrons transis" bravo le mono "et il se rit du froid car chez lui seul la chaleur du cœur l'emporte", ah, tirons l'échelle, tirons, je vous prie. V 534.xxx59 08 30xxx

     

  • Les mineurs et l'homme orchestre

     

    Mais survient un homme orchestre diabolique de bonne humeur, qui ouvre un bordel, qui vend des boissons, bref, qui se fait sa petite place sur le grouillement fasciné. Bagarres, crises d'autoritarismes face aux révoltes, couvaison très habilement menée de quelque gros malheur à venir.

     

    Pourquoi ne pas le dire, il faudra que le découvreur, promu grand patron bien riche, force ses hommes à creuser encore et toujours et fort maladroitement, pour que la catastrophe minière se produise. L'habileté de l'écrivain consiste alors à doser le sentiment de montée des périls et d'inéluctabilité avec une espèce de suspens vain, puisque tout a été mis en place pour éclater : le lecteur serait déçu que cet orgasme cataclysmique ait été si minutieusement préparé pour ne pas éclater.

     

    Ici deux points de référence encore, puisque Bernard Clavel oeuvre dans le connu- inconnu : suffisamment de points de repère pour ne pas effaroucher le lecteur ( un ouvrage sur les bobines de fil en Colombie risque de trouver un public des plus restreints), mais suffisamment d'inconnu aussi (le genre de sujet sur lequel on croit savoir déjà quelque chose, mais sur lequel il reste encore beaucoup à apprendre) - pour éviter toute impression de déjà vu.

     

    Quant à la catastrophe minière, elle ressortit aux scénarios de gros malheurs qui totalisent de confortables audiences. Et dans ce cas précis, l'on peut se rapporter à Zola, dans "Germinal", dont nous sommes relativement éloignés vu le caractère non pas anecdotique à proprement parler de la revendication ouvrière mais particulier - Bernard Clavel traitant plus de l'affrontement de personnalités que de conflits véritablement traités sous l'angle socialisant globalisateur , mais aussi et surtout à un roman social devenu pour enfants, "Sans famille".

     

    Et là, Bernard Clavel, le mythe en moins, réussit à capter le filon de la littérature populaire - je dis le mythe en moins car nous ne lisons plus aussi religieusement qu'autrefois, et les enfants ne lisent plus du tout.

     

    Cependant ceux que leurs parents sont parvenus à faire lire ( c'est d'ailleurs plus une question de destinée, y compris celle de notre civilisation, que d'éducation) lisent du Bernard Clavel. L'adulte sera passionné.

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    Permettons-nous à présent quelques incursions :

     

    P. 47 du livre de poche collection "J'ai lu" :

     

    "Quand on aura piqueté, faudrait découvrir tout ce qu'on peut. Echantillonner en surface. C'est plus facile que de descendre."

     

    Nous sommes au tout début de la découverte : les hommes établissent leurs marques. Piqueter, c'est carotter en surface. L'or, ici, affleure. Mais il faut se donner des ampoules aux mains, et moins il y a de gens au courant, moins le secret s'ébruite. L'exploitant au début est un piocheur.

     

    P.. 94 :

     

    "L'interprète traduisit. Les regards s'éclairèrent. Les hommes se levèrent, plusieurs parlèrent entre eux tandis que Jordan leur distribuait l'argent."

     

    Nous sommes en compagnie d'une équipe de Polonais, franc comme l'or, durs comme le granit, qui ne veulent travailelr que si "ça paye". Il y a une typologie bien marquée de l'homme du grand nord canadien, tout à fait semblable à celle des westerns. Ecole de virilité et de rudesse, j'en passe. Jordan, c'est le découvreur embaucheur.

     

    P. 141 :

     

    "Des hommes qui avaient fait la guerre en France soufflaient à l'ancien draveur :

     

    - On en a vu de plus amochés qui s'en tiraient.

     

    Ils le remontèrent, toujours geignant.

     

    Comme s'il eût attendu ce mome,t; c'est lorsqu'il respira sa première goulée d'air glacé qu'il perdit connaissance."

     

    C'est ici la séquence de l'accident du travail. Un draveur, c'est celui qui assur ele flottage du bois, en plein air sur les rivières. Celui-ci est descendu au fond, et les boisages ont dû céder. Scène attendue, mais l'art du conteur ne consiste-t-il pas justement à faire d'une scène attendue quelque chose de nouveau et d'attachant, à la fois en dépit des conventions et grâce à elles ? et à ce compte, qu'est-ce qui n'est pas convention ? Le musicien n'utilise-t-il pas sans cesse des combinaisons de sons à la portée - c'est le cas de le dire - de tous ?

     

    Et lorsqu'on enterre l'accidenté (pas de fin heureuse ici comme dans l'épisode de Jean Valjean sauvant le père Fauchelevent de l'écrasement sous la charrette ) , tout le peuple du Canada est là pour le commentaire du choeur antique:

     

    P. 188 :

     

    "L'aveugle était là avec les quatre prostituées sous deux grands parapluies bleus. Bastringue demanda à Jordan :

     

    - Est-ce que tu diras la prière ?

     

    - Je la sais pas bien, moi."

     

  • Bibliographie exégétique

     

    Adoncques, brave gens, passons à l'exégèse :

     

    II – HISTOIRE

     

    Histoires universelles Se verront-ils.JPG

     

    et histoires générales de l'antiquité (ce qui je le rappelle ne sert absolument à rien)

     

    E. CAVAIGNAC, Histoire de l'Antiquité (Paris, I, jusque 480, 1919, - II, 480-330, 1913, - III, 330-117, 1914).Le tableau ci-dessus est d'Anne Jalevski

    Premièrement, il s'agit de dates précédant l'ère chrétienne. Deuxièmement, le tome I, ou bien fut écrit en dernier, ou bien fit l'objet d'une remise à jour. Troisièmement, je serais curieux de savoir s'il s'agit d'un descendant du Cavaignac platement battu en 1848 au profit de Bonaparte, futur Napoléon III. Je regarde mon Larousse : Eugène en effet, 1876-1968, auteur d'une Histoire du monde en 22 volumes, fut le fils de Jacques, et le neveu du candidat malheureux prénommé Louis-Eugène. Piganiol, qui mêle son grain de sel aux bibliogaphies qu'il indique, ce qui les rend précieuses et dignes d'être lues ligne à ligne, précise : "Sous la direction du même auteur a paru une Histoire du Monde," - ce qui changeait des "Histoires de France" alors florissantes, "où les tomes qui nous intéressent le plus sont : V, 1, la Paix romaine," (la fameuse pax romana) "par E. CAVAIGNAC (Paris 1928), et V, 2, L'Empire romain et l'Eglise, par J. ZEILLER (Paris, 1928) – son collaborateur ; à ceux qui objecteraient l'ancienneté de ces travaux, je préciserais que l'historien Cavaignac et son équipe donnaient la plus grande importance aux faits économiques et financiers des époques étudiées. "E. CAVAIGNAC" poursuit Piganiol " a publié en 1946 une Histoire générale de l'antiquité, de 330 a.c. à Tibère (Publicat. de la Faculté des Lettres de l'Université de Strasbourg, CII) – pourquoi Tibère, mystère. "G.GLOTZ, Histoire générale, I. Histoire ancienne ; dans cette collection, l'Histoire romaine forme 4 tomes : I. Des origines à l'achèvement de la conquête, par E. PAIS, adapté par J. BAYET ;" – auteur par ailleurs d'une excellente histoire de la littérature – enfin, qui serait excellente s'il ne faisait pas systématiquement la fine bouche pour les auteurs qu'il présente.

     

    Un peu à la Télérama, vous voyez. "- II. La République romaine de 133 à 44" – soit des Gracques à la mort de Jules César : Ire section, Des Gracques à Sulla," (d'autres écrivent "Sylla",

     

    S-y) par G. BLOVH et J. CARCOPINO" grand admirateur de César, "(Paris, 1935), - 2e section, César, par J[érôme] CARCOPINO (Paris, 1936) ; - III. Le Haut Empire, par L. HOMO" qui ne l'était pas, édité à "(Paris, 1933) ; - IV. Le Bas Empire jusqu'en 395, Ire partie, L'empire romain de l'avènement des Sévères au concile de Nicée," où fut concoctée la version officielle du Credo catholique c'est-à-dire, à l'époque, universel, "par M. BESNIER" – Fourré-de-Merde, "Paris, 1937), - 2e partie, L'empire chrétien par A. PIGANIOL, Paris 1947). " Il ne faut donc s'enfiler que les chapitres sur l'Antiquité, à laquelle je mets personnellement une majuscule. "Pour le Ve siècle", ajoute André Piganiol, il faut consulter, dans la même collection, Histoire du Moyen Age, I, Les destinées de l'Empire en Occident (partie rédigée par F. LOT, Paris, 1928)." Ce sont de grands noms pour les professeurs classiques.

     

    Notez que le Moyen Age, daté traditionnellement de 476, chute du dernier empereur d'Occident, ne s'est établi que très progressivement, et que la date fatidique avait bien moins marqué les esprits en ce temps-là que la prise de Rome elle-même par Alaric en 410. "- III, Le monde oriental de 395 à 1204, par CH. DIEHL." Mais il s'agit là, très vite, de l'empire de Constantinople, de langue grecque, jusqu'à la prise de ladite métropole par les Croisés. Belle balade historique, ne trouvez-vous pas, don't you troove ?

     

  • Péguy paysan

     

     

    Péguy n'a pas connu la méchanceté paysanne. Péguy parle paysan. Je ne l'ai jamais été. Ma famille ne l'a jamais été. Quel écrivain à présent est paysan. Quel écrivant. Ou bien il se prétend tel, il est tel en se prétendant paysan, il vous fait de la mauvaise littérature, il vous fait de la mauvaise poésie (Bazin, L'Eglise verte), “les champs, les prés, les p'tits oiseaux, les fleurs”), il vous inonde, il vous fait de la poésie de déjà-vu, de toujours vu. J'habitais de tout petits villages. Je ne m'en rendais pas compte, que j'étais à la campagne, que j'étais de la campagne. En fait nous ne l'étions pas, je ne l'étions pas, mon père l'Instite était là justement pour sortir les ploucs de leur plouquerie, pour apprendre aux fils de ploucs à devenir employés, à sortir de la paysannerie, à s'en sortir. Péguy avait laissé derrière lui la paysannerie proprement dite, mais dans la même lignée, dans la même continuité, dans une même rupture qui est encore continuité : la campagne- les études – Paris – et le retour du regard en arrière vers ce qu'on a quitté, depuis l'endroit où l'on est, l'intellect, qui en est précisément le contraire, le contraire attendu, le contraire logique.

     

    Mais moi, l'auteur, l'indécent, dont l'intervention ici même est le comble de l'indécence, je suis passé directement de ma campagne axonienne (de l'Aisne) à Tanger, urbaine, exotique, sans rien de commun avec Paris ou quelque étude universitaire ou quelque journalisme que ce fût, comme en une superposition immixable d'une enfance tardive, seconde, surappliquée (de ma quinzième à ma dix-huitième année) en guise d'adolescence sur la première : une enfance à la campagne, puis une enfance au Maroc. Rigoureusement, à tout jamais imperméables. Ni paysan, ni Pied-Noir, changeant de village, extérieur à tout, vivant reclus chez ma grand-mère, et les fils du fermier, puis d'un coup les filles espagnoles et juives de Tanger, bien plus pour moi objets de timidité que d'étude d'un milieu social, attentif à mon sexe, à mon nombril, à l'injustice qu'il y avait à ne jamais pouvoir franchir les infranchissables barrières – seul, seul, seul.

     

    Le bord de Garonne.JPGTout l'opposé de Péguy, pénétré de rédemption collective dès son plus jeune âge, collectant des fonds pour soutenir les grèves des sublimes travailleurs jusque dans la cour de l'E.N.S. Rue d'Ulm. Je me souviens comment les ivrognes de C.V. près Soissons, qui avaient bu pour se donner du courage, sont montés à l'étage pour dire Allez Monsieur Collignon on est venu boire un coup avec vous, tous complètement ronds et en dimanche, se bousculant sur le palier, et mon père et ma mère, puritains en diable, refusant avec des mines pincées, “on ne va tout de même pas se mêler à tous ces ivrognes”, et c'est vrai qu'ils étaient complètement ronds, le maire et l'adjoint en tête, et ils sont allés fêter ça tout seuls, au bistrot, l'arrivée du nouvel instituteur, qu'est ben fier, qui veut pas se soûler avec nous, et de ce jour-là ils ne l'ont pas aimé.

     

    Moi je n'y voyais pas malice, je ne voyais que des gens sympas, à qui mes parents me disaient qu'il ne fallait plus parler, qu'il fallait que je me méfie, qui m'empêchaient d'aller chez eux, d'ailleurs les parents ne recevaient plus le fils de l'instituteur, prenant les devants, “Tu n'iras plus chez ces gens-là”. Moi je ne rendais pas compte que j'étais à la campagne, la campagne c'était l'état normal, dans Michel Tournier il n'y a pas de mots au Sahara pour désigner “le désert”, “on appelle ça le pays”, pour moi c'étaient les paysans c'étaient “des gens”