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Souvenirs littéraires de Maxime Du Camp

 

En ce jour béni de la saint Dimitri nous abordons de front la délicieuse inconstruction d'un incertain Maxime Du Camp. Il fut avec Louis Bouilhet le meilleur ami de Flaubert. Il l'accompagna dans ses voyages mais non dans sa folie. Il n'avait pas dit-il lui-même la taie d'admiration qui fait se prosterner les cloportes aux pieds des grands hommes. Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre. A Maxime Du Camp, on ne la fait pas. Flaubert avait du talent, qui aurait pu virer au génie s'il eût été plus ceci, moins cela. Vous savez, c'était simplement un épileptique, roulant des yeux et bavant, et souffrant de son état dont les crises l'accablaient à intervalles fréquents ; pas question cependant pour Du Camp de mettre tant soit peu en question la supériorité du Grand Gustave sur lui-même ; admis à partager le quotidien, les confidences de l'auteur futur de Bovary, il recueille précieusement pour nous les paroles du chef, les silences, les murmures, les attitudes, les tonitruations du Maître, lequel l'estimait d'ailleurs ou feignait de l'estimer son égal.

 

Ils écrivirent ensemble “Par les Prés et par les Grèves” à l'occasion d'un voyage en Bretagne et en Normandie. Flaubert et lui écrivaient alternativement leur chapitre ; seuls ceux de Flaubert ont été édités en bonne collection ; et vient la question hideuse et indispensable, que s'est posée avant nous Maxime Du Camp : pourquoi lui et pas moi ? Car ce fut lui. Du Camp ne proteste pas. Il ne publie ses souvenirs sur Flaubert que pour avoir compris la seule justification des écrits de Du Camp : avoir connu Flaubert ; ou Fromentin ; ou tel autre rapiat obscur, écrivain besogneux, tant qu'à faire.

 

Mais quelle horreur : se savoir une ombre éternelle. Pourtant sur lui reste l'éclat obscur du Grand Nom, un reflet sourd du phare ; un autre reflet de Nerval aussi ; et puis, soi-même, tout Maxime Du Camp tout petit qu'on soit, l'on tire de l'ombre tant de personnages annexes, tant de documents “pris sur le vif” ; l'on est si précieux, et tant de grands hommes auraient trouvé leur compte à la présence d'une souris froide qui eût tout noté de leurs tics, de leurs travers, que l'auteur des “Souvenirs Littéraires” peut être satisfait d'avoir déjà rempli la manne de tant d'amoureux idolâtres de Flaubert.

 

Et même s'il eût pu pénétrer l'âme et les arcanes de son illustre compagnon, ou de Nerval, ou de Gauthier, il ne nous eût pas plus renseigné sur l'élaboration, sur la concoction du génie que ces biographes américains nous dévoilant ce que fit Mahler le 12 janvier 1906 après s'être brossé les dents. Il n'y a pas de biographie du génie. Seul le génie frère y peut descendre avec sonpetit lumignon. L'opération du Saint-Esprit est difficilement décelable. Posées ces limites, nous nous délecterons d'apprendre, par le petit bout de la lorgnette, que Flaubert prônait plus que quoi que ce fût sa “tentation de saint Antoine”, qui fut ravalée au rang de brillant bavardage par un aréopage de bornés, dont Du Camp. Il faut ce correcteur à tout écrivain, ce terrain neutre, juge et non partie, sans autre talent que celui de discerner où le bât blesse. Rôle irremplaçable, inappréciable.

 

Votre lecteur ne saura pas, ne voudra pas écrire. Un écrivain voudra écrire aussi bien ou mieux que vous. Il fera des interférences entre vous et lui, vous jalousera ou vous imitera. Il faut à chaque écrivant ce miroir-neutre, cet élève qui n'a qu'à bader, qui ne demande qu'à bâiller d'admiration, pourvu que ce soit admirable. Tous les mélomanes ne savent pas composer ni même jouer (car la musique bénéficie d'un stade intermédiaire) ; tous les gourmets ne savent pas cuisiner. Reste à Du Camp un ton mélancolique et de bon ton, de celui qui se sent inférieur mais indispensable, digne et excellent dans son écriture, sans aigreur, acceptant sa condition de vassal à condition d'être respecté comme tel.

 

Beaucoup moins douloureux que le Salieri montré par Forman face à Mozart. Avec quelques coups de patte cependant, car seule la patine du temps et tant de respect met à l'abri des petits crocs des rats menus. Et tenez, voici le portrait de Pradier, sculpteur qui se croyait, qui cultiva le genre artiste, puis qui plus rien. Vous ne le connaissiez pas. Ni moi. Ecoutez la cruauté, le petit esprit lucide, et comparez avec la tendresse à l'égard de Flaubert. [P. 47] : “Il avait de lui une haute opinion, et rien n'est plus légitime, car cette opinion était justifiée par son talent et par sa réputation, mais je ne serais pas étonné qu'il eût cru à son génie universel et que, mentalement, il se fût comparé à Léonard de Vinci et à Michel-Ange. A cet égard, il ne faisait pas de confidences, mais l'aspect de son atelier dévoilait sa pensée. Un orgue, une piano, une guitare, voire même une lyre construite d'après ses dessins, prouvaient que la musique ne lui était pas inconnue et j'affirmerai qu'il avait essayé de composer des romances, une symphonie et une sorte de marche funèbre qu'il appelait Orphée au tombeau d'Eurydice. Aux murailles, à côté des couronnes obtenues par ses élèves, étaient accrochées quelques peintures peu modelées, rappelant de loin la facture de Carlo Maratta, et entre autres une Sainte Famille, qu'il avait faire, disait-il, en ses moments perdus. Les albums qui traînaient sur les tables ne contenaient pas que des croquis, on y lisait des vers dont les rimes boiteuses, les hiatus, les césures déplacées n'indiquaient que du bon vouloir. Je me souviens d'une de ces pièces de vers dédiée à la reine Marie-Amélie, et qui ne ressemblait en rien aux sonnets que Michel-Ange adressait à la Colonna. C'étaient là pour Pradier des passe-temps, et aussi des déceptions. Il sentait qu'il était inférieur dans ces arts latéraux, où il n'aurait pas dû s'égarer, et il revenait à la statuaire, à l'art dans lequel il était passé maître. Le soir, au coin du feu, dans son appartement du quai Voltaire, il taillait des pierres dures et en faisait des camées, dont quelques-uns ne sont pas inférieurs à ceux de Picler et de Cappa.”

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Voyons radoter Du Camp, préparant l'expédition en Egypte [p.94] : “Je retournai à Paris, où Flaubert devait me rejoindre deux ou trois jours avant notre départ et où les occupations ne me manquaient pas. Je voulais que notre voyage fût entouré de toutes facilités, et j'avais demandé au gouvernement de nous confier une mission qui nous servirait de recommandation près des agents diplomatiques et commerciaux que la France entretient en Orient. Ai-je besoin de dire que cette mission devait être et a été absolument gratuite ? Elle ne nous fut pas refusée. Gustave Flaubert – il m'est difficile de ne pas sourire – fut chargé par le ministère de l'Agriculture et du Commerce de recueillir, dans les différents ports et aux divers points de réunion des caravanes, les renseignements qu'il lui semblerait utile de communiquer aux chambres de commerce.

 

“Je fus mieux partagé : j'obtins une mission du ministère de l'Instruction publique, où je connaissais François Génin, qui était alors directeur de la division des sciences et des lettres.”

 

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