Poulet kasher
Poulet casher, polar de Konop (vraisemblablement « Konopnicki ») c'est un jeu de mots, vous pensez bien : le poulet, c'est un flic, et s'il est casher, c'est qu'il est juif (effectivement, ils s'appelle Benamou). De plus, le milieu du meurtre est juif, de la Côte d'Azur qui plus est : la plaine de La Brague, lès Antibes, c'est là que mon oncle et ma tante vivaient à côté de l'antenne émettrice, qu'ils reposent au diable. La victime s'appelle Ariel Cohen ; celui qui s'accuse, c'est David Siksou, petit jeune surdoué style Normale Sup embarqué dans une secte hassidique tenue par un certain rav Lioubavitch (ça tombe bien, c'est le patronyme du fondateur des hassidim au XVIIIe siècle). Mais le vrai coupable, ce serait plutôt le faux professeur Bardolo, antisémite notoire, qui tient une maison de cure d'amaigrissement par le travail forcé.
Et le petit jeune, il n'a rien fait du tout, il est chargé de couvrir un professionnel du meurtre, parce que le méchant docteur voulait descendre un des amants de sa femme qui n'en manquait pas. Je vous dis tout ça parce que je viens de l'apprendre dans les dernières pages, comme ça se fait d'habitude, et parce que je l'avais oublié, vous pensez bien ; j'avais dû me farcir tant de péripéties embrouillées, tant de jeux de mots à la noix, que j'avais dû ramer comme un malade, non moins comme d'habitude. « Comme d'habitude », devrais-je fredonner, car le texte de Konop est superfarci de titres ou de paroles de chansons ou de films des années 60, les primitives, celles de Vince Taylor, des Chats Noirs et autres Chaussettes Sauvages.
Bien sûr, des tas d'allusions aux pailless (papillotes, je suppose), à la circoncision, à l'Etat d'Israël et au Mossad qui n'est jamais de bonne humeur, haha ! et surtout ce jeu de mot du meilleur goût : l'adjoint de l'inspecteur Benamou est un Viet, ou un Chinetoque, appelé Liou Pin – vous avez compris . « L'youpin ! » Mort de rire on vous dit ! Même que c'est lui, le Jaune, qui découvre le vrai coupable ! Et je m'en fous rabbiniquement de chez Letemple. Oui, c'est original, oui, c'est spirituel (encore que...), mais c'est un livre Kleenex, tu prends tu jettes. Le fourgueur de drogues s'est reconverti dans le sermon interchangeable interreligieux, changeant de drogue ainsi que le fait judicieusement remarquer le bon inspecteur Benamou.
De la bonne littérature de confection comme on dit rue d'Aboukir. Et basta. Je vais déjà vous en lire un bout, ça se passe en voiture entre l'inspecteur et son chauffeur Liou Pin :
«Au troisième ou au quatrième virage, Liou Pin se frappe le front :
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Chef ! Le garage ! J'en suis sûr... c'était de la terre battue. Il y a une dalle de béton. » (par-dessous ? je no comprendo.)
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Liou... Depuis le temps que tu fouines autour de Bardolo, » - c'est le faux docteur directeur de l'établissement de cure - « tu as tout retourné. Tout.
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Voue ne comprenez pas. Je l'ai toujours vue, cette dalle de béton. Je suis certain qu'avant, il y avait de la terre battue.
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Mais quand, puisque tu as toujours vu le béton !
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Je viens de voir la terre battue, je viens de la voir. Je me suis concentré. » (Ah, ces Asiatiques...) Un instant. A cause du mainate. Dans la boutique, il chantait la Hatikva, » - c'est l'hymne israélien - « vous vous souvenez ? [Allah] maison, il chantait autre chose. Je t'attendrai à la porte du garage... Alors, au lieu de jeter seulement un petit coup d'œil, je me suis concentré. J'ai vu le lieu avant le meurtre.
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Il y a des kilomètres de collines désertes. Des bois. Du maquis. Des friches.
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Non, chef. Vous avez tort. On a fait une battue monstre. Tout un escadron de gendarmerie. Les sapeurs pompiers. Des volontaires. Et puis, ici, les collines ne restent pas longtemps désertes, vous le savez bien. Un petit incendie et les promoteurs arrivent pour faire un lotissement avec piscine. Il n'y a pas un coin de terre que l'on puisse déclarer inviolable dans tout le département des Alpes-Maritimes. Les sites classés, les terrains dangereux, les surfaces agricoles, tout finit par y passer. Il n'aurait pas pris le risque d'enterrer le corps sur un de ces terrains voués aux pelleteuses, aux villas et aux lotissements. La meilleure méthode pour escamoter un cadavre, c'est le béton. C'est la seule chose qui soit inviolable par ici !
Ça se tient le raisonnement ! A mesure que nous descendons vers Nice les lotissements et les villas se multiplient. Ils en ont foutu partout. Ils ont trouvé de l'eau pour les piscines dans les coins où les paysans n'en trouvaient jamais assez pour les courgettes et les aubergines. A certains endroits, il y a des pelouses de gazon gras, comme en Normandie. Liou insiste.
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On a creusé dans les caves, mais jamais dans le garage !
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Pourquoi Cohen a-t-il fait chanter ça au mainate ? » (c'est un marchand d'oiseaux, et la victime, aussi).
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Justement. Il venait de trouver... Il attendait l'occasion de vérifier. Il ne voulait pas me le dire avant d'en être certain. Il était comme ça. Jamais d'hypothèse à haute voix. Il avait trouvé, Bardolo s'en doutait... » Tiens, le motif ne serait pas seulement le cocufiage ? « Ecoutez, pendant que le toubib est à la boîte, j'investis la clinique. Je prends une grosse équipe. Et on
défonce le sol du garage.
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Demande la permission au juge !
Liou Pin empoigne le téléphone portable. A l'autre bout, je parierais que le guignol n'apprécie pas. Le Chinetoque argumente. Patiemment. Je crois que ça marche.
A la boîte Gambotti se met à vociférer quand Liou réclame une bonne douzaine d'hommes et un marteau-piqueur. Mais puisqu'il y a un mandat en règle, il cède. Je monte décrocher Lioubtchansky » - c'est le rabbin hassidique, accroché au mur avec des menottes. « Il suffoque. Il est décomposé. Je le pose sur une chaise. Il tient à peu près. Mais tout juste. Il réclame à boire. Je me méfie. Un souvenir d'école. L'Espagnol de l'armée en déroute. Le général Hugo. Ne jamais se précipiter pour donner à boire à un adversaire. Grand humaniste, Hugo. Fallait être gonflé pour se vanter des exploits de papa en Espagne. Ce héros de l'armée en déroute. Ah, la douceur des Français en Espagne ! » - et la douceur des Espagnols, donc : des officiers sciés vivants entre deux planches devant leur femme et leurs enfants...
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« Le rabbin dealer semble avoir envie de causer. On croirait qu'il est en manque de sermons. Toute l'histoire est là. Camé à mort, trafiquant, il se réfugie dans une yéshivah » - école religieuse. « On le désintoxique. Drogue de substitution, la religion à haute dose. Un petit manque de prières, de cantiques et de sermon et il a l'air d'un pensionnaire d'Olivenstein à qui l'on refuse la méthadone.
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Inspecteur... Ce n'est pas Siksou qui a tué... Mais ce n'est pas moi non plus. Nous avions prié, c'est vrai . » - pour que Cohen crève. « Et nous avons préparé les repérages. Mais quelqu'un a fait le travail à notre place.
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Sans vous prévenir ?
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En nous prévenant. Nous sommes complices. Justes complices. Un goy est venu me voir.
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Arrête ton cirque, Thélonious ! Tu veux un condé pour éviter l'extradition, c'est ça ? » (vers Israël). « A quoi ressemblait le type qui est venu te voir ? À ça ?
Je fouille dans le tiroir, je lui sors une photo de Bardolo. Ce n'est pas lui. Martin Thelonious ne l'a jamais vu.
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Il était beaucoup plus jeune. Dans le genre skinhead, si vous voulez.
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Et toi le rabbin, tu traitais avec ces gens-là ?
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Il a payé les renseignements. Assez cher.
Je n'en tirerai rien de plus, mais ça prend forme. Le doc a dû recruter des petits voyous, nazillons sur les bords. C'est fastoche à retrouver. Surtout si je le fais craquer. Je donne quand même à boire au rabbi. Je le garde pour complicité. Je lui filerai peut-être son condé plus tard, s'il m'aide à retrouver les tueurs. Je vais reprendre l'interrogatoire de David Siksou. Je prend un PM saisi dans la villa, j'engage un chargeur vide et je boucle le cran de sécurité. Quand Liou m'amène David, je défais les menottes et je colle l'arme dans les pattes du gosse. »
Qui ne saura pas s'en servir, je parie. Mais je ne sais pas comment on dit « je m'en fous » en hébreu. Dommage. C'est de la littérature de gare, même pas. On appelle ça Poulet casher, c'est d'un certain Konop, édité chez Gallimard tout de même, et ça ne vaut pas un shekel...