Ca divague ferme en Norvège
Démontrez-moi seulement qu'il se trouve quelque chose de mieux que la puérilité ; que si l'enfance sert de ressourcement... vous voyez bien. La science en effet - vers l'aval - que découvre-t-elle ? La Mort. Merde.
Démontrez-moi que la mort est lointaine. Que les analyses cesseront de se succéder. Que je ne prendrai pas mon amie dans mes bras : la rigueur - la dureté - ne sont pas des remèdes (elle m'aimera dans la honte et la gêne de ramener cette si archaïque tendresse) - je passerais d'un lit à l'autre, de la folie au cancer, le coeur gonflé de bonne action, comme un enfant précisément dont on dit : "Tu n'es pas digne d'être aimé."
Qui n'a pas connu ce gonflement de coeur ?
Mon père avait aidé une vieille femme à pousser sa brouette, le visage littéralement déformé de bonheur (fébrile, tiqueux) - C'est un gamin, avait dit ma mère - touchée-coulée ma mère.
Je conclus qu'il ne faut pas déformer son visage.
Je maîtrise très bien cela à présent.
Je m'apitoie sur mes sacrifices. J'ai moi aussi droit aux petites douceurs compensatrices. A force de buter contre les murs de ma prison, je les avais très bien senti peu à peu s'enfoncer ; je me résoudrais bien un jour à demander à mon gardien quelque corvée d'entretien, afin qu'il se sente utile, le gardien...
Chère Norvège,
Je ne peux supporter plus longtemps tes pics enneigés, tes golfes bleus, tes moeurs tant vantées. Tu vis sur du vieux bois. Tout se dépareille. Mes bas s'oxydent. Mon appareil dentaire ne tient plus dans une bouche desséchée par la morue. Je me surprotège, je m'englue de gestes interdits. Je me vois bien faire du cheval sur le Hardanger Vidda ! Tout est bien froid au bord du Stavanger Fjord - tous les habitants de la Norvège ne veulent-ils pas émigrer ?
Je serai donc seul traître à mes ancêtres ?
Ils sont enterrés autour de l'église en bois.
Le clocher présente des sortes d'écailles ; il m'en poussera bientôt sur le corps. Les forêts norvégiennes s'étiolent. Est-ce que je dois sortir de mon congé de maladie pour retaper sur le sapin ? La neige est sur la Norvège. L'écureuil s'est enterré dans l'arbre. Mes huskies glissent sur les glaces banquisaires. Les torrents gèlent, les fillettes apparaissent dans la glace par transparence.
Je reviens au presbytère.
Je baisse la tête sous mes oreillettes pour ne plus rien voir ; la folie de l'hiver cerne mon crâne emmitouflé - la Norvège étale ses champs de neige bossus comme des seins, ses superbes usines hydrauliques et son poisson. Mais seul, vieux, bûcheron malade, enfermé - dans le bois mi-pourri d'un délabré presbytère... Le poêle fume, les bas dépareillés s'évaporent, une servante de pasteur balaie négligemment, c'est assez difficile à expliquer, un livre déplacé, aussitôt vu, tout cela n'est pas sans rapport avec l'immobilisme rigoriste de cette Norvège, avec ses visages roses inexpressifs et longs, tôt ridés
Commentaires
Le mois où l'on a le moins d'emmerdements, c'est février, parce que c'est le plus court de l'année.