Proullaud296

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der grüne Affe - Page 164

  • En errant

     

     

     

     

     

    Sidoine Apollinaire Lettre I, 5

     

     

     

    J'étais planqué à Marseille quand j'ai reçu ton fax. Tu te demandes si tes projets se réaliseront, et aussi par quelles traverses je suis réfugié ici, quels intermédiaires j'ai contacté, au moyen de quels codes indéchiffrables ; quels élus municipaux j'ai soudoyés, quelles montagnes de paperasses hantées de charançons j'ai fait brasser, quelles mornes plaines d'ennui (...) - tu trouves en effet je ne sais quel plaisir (à t'entendre) à ouïr de ma bouche édentée ces informations qui me suivent à la trace dans la rubrique des faits-divers. Dieu merci tu me permets toutefois de t'écrire, ce qui présente l'avantage d'échapper aux affectueuses écoutes de la flicaille.

     

    Commençons donc, sans nous éclaircir la voix (j'ai chopé une angine de première), et recourant à notre seule mémoire, par notre premier pas, qui fut d'écraser une merde au métro Saint-Germain.

     

    Il est de moins en moins rare de découvrir, dans les stations les plus huppées, des restes alimentaires tout chiés de nos illustres clochards. La puantueur qui se dégage de ces débris dépasse l'imagination. J'y vis cependant un heureux présage, car tous s'éloignaient de moi dans la rame, alors que je fuyais, précisément, les filatures. C'est ainsi que j'atteignis le terminus de la ligne 6. Le plus simple était de voler un véhicule. Comme il neigeait, je fis courir au-devant de l'auto un employé des pompes funèbres semant au vent des cendres humaines. A mesure que j'allais vers le méridien, les conditions climatiques s'amélioraient.

     

    Quoique j'évitasse les grands axes, le bombement des routes ne causa aucun frottement sous la caisse de mon véhicule d'emprunt. Je le fis rapidement verser dans un fossé à proximité de Lyon, jugeant le train plus sûr. Bien emmitouflé dans un recoin de compartiment j'ai repassé dans ma tête les vers extraordinaires de Sigourney Beaver où elle relate l'envol des anges au-dessus des peupliers de la plaine du Pô. Ce tableau figure au musée d'Edimbourg, à côté de cette “Vue par une fenêtre” si chèrement acquise “at Sotheby's”. Ainsi passèrent Vienne, Montélimar la nougateuse, Orange la fachotte, Avignon-la-Conne , qui reçoit chaque année bouche bée son festival implanté décati.

     

    Je me suis souvenu de Véra, qui parlait du nez en bouffant ses harengs, vitupérant lasottise des élus municipaux. Toutes ces gares brimballaient derrière un grillage mouvant de fils télégraphiques. Je voyais luire en un éclair l'éclat faïencé des toilettes en bouts de quais. Parfois des forêts de poteaux me cachaient le paysage, tant il est vrai que les humains se complaisent à bouziller. Je me tournais alors vers mon giron, palpant dans ma banane l'épaisse liasse de billets américains que j'avais fauchés, regrettant de n'en avoir pu dérobe rune deuxième. Car tout est argent, nourri par les cotisations des retraités morveux, croupissant dans une banque à demi-inondée au bord de la Seine. Lutrin de marchandises.JPG

     

    En gare de Marseille Saint-Charles, j'aperçus le Corse au crâne glabre tout prêt à m'assener un de ses soupirs ajacciens dont il a coutume d'amorcer les conversations. Nous entrâmes dans un bar au nom sympathique de “Téléfone” avec un f. La télé retransmettait la rowing-party entre Oxford et Cambridge de Dieu sait quelle année : vraiment de quoi meubler le vide intersidéral d'un dimanche après-midi. Tandis que je voyais les barques concourir, mon compagnon Angelo, refoulant mal de forts renvois d'ail, partageait mon maigre butin. “Il reste le magot de l'expédition précédente”, articula-t-il, “au fond du lit côté pied sur la droite à la chambre 106 du “Saint-Alphe”, rue du Maracandier. Quartier du Panier.” Je demeurai perplexe, car le Panier ne comporte pas cette rue. “Et puis c'est si tranquille, si fermé aux touristes ! “ En attendant, nous avons bouffé une de ces choucroutes marseillaises à la sauce tatami comme on n'en fait plus.

  • Ce qui nous joint

     

     

     

     

     

    Si je dis délivrez-mo d'elle,ils me regardent tous et se mettent à rire. (L'Avare). L'Histoire, celle des autres, la nôtre,nous  aligotésl'unàl'autre,nouspouvonsbien nousrejeterlafaute àl'infini(revenirsur

    cemonde intérieurdeSylvieNerval).

     

     

     

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    Nous avons tous deux subi les mêmes échecs ,les mêmes humiliations, les mêmesattentesdevantlesgrillescloses.(Exemple,dèslapremièreannéequenousavonsvécueensemble:cecriminelDirecteurdesBeaux-ArtsdeTours,l'incompétencecriminelledesarecommandationàSylvieNerval:Vousallezvousennuyer:nosélèvesnedépassentpas17ans.Elleenavait22.Cen'estqu'en1975,huitansplustard,qu'elleaétéadmiseàBordeaux,pardérogation.Criminel. Salopard. Sadique. Sous-merde.Toute uneviegâchée.Deux vies..Vous auriezfaitci,vousauriezfaitça:vousn'auriezr

    rienfaitdutout

    Cestmoi quiécris,c'estmoi quiinsulte.

     

    Jamais nous ne nous sommes séparés. “Scier nos chaînes”, comme vous dites, c'eût été retrouver , de l'autre côté, tous ces paquets de mâles vulgaires au lit, de gonzesses inquisitrices et crampons, tous et toutes dépourvus du moindre vernis cérébral, de la moindre folie. Toutes et tous exclusifs, exigeant tout sans restriction, conformistes jusqu'à la moëlle comme tout révolutionnaire qui se respecte, ayant bien su depuis virer de bord. J'aimerais, j'aimerais encore à vingt-cinq ans de distance pouvoir péter la gueule de cet Egyptien qui s'est permis, le pignouf, de faire éclater Sylvie Nerval en sanglots en plein café, au vu et au su de tout le monde, avec supplications

     

    L'inconnu d'Auteuil.JPGJ'ensouffreencorecommed'unaffrontpersonnel.Vousauriezfaitci,vousauriezfaitça.Vos gueules. C'estenraisondecettefidélité.quejen'aijamaispuévoluerBaudelairenonplusn'asuévoluer,cedontl'ablâméM.Sartre,ProfesseurdephilosophieauLycéeduHavre.Etcequenousremarquonsencore,SylvieNerval,chezlesAutres,lesConnards,c'estl'inimaginable,l'immondeetrépugnantecruautéaveclesquelsilsrompent,sedéchiquètentl'undel'autre,sanslamoindrenilaplusélémentairepitié,lamoindrenotiondelaplusminimehumanité,fût-cedusimplerespectdesoi-même.Aunomdel'illusoiregrandeuretbouffissureduDestinAmoureux,etdesamystiqueetignobleirresponsabilitéJe suis amoureux j'ai tous les droits ; jepiétine,jeconchie.Mortàl'aimé.Répudiationenpleinedéprime,risquedesuicideinclus;viragedemecsousprétextequ'ilatrouvésonpetitrythmedebaisequotidienne-veinarde!-etqu'ilse croit chez lui etautres,etmaintsautres.

     

    Onn'apasledroit,pas le droit defairedumal,pasledroitderompre.Tantd'atrocitésquiravalentl'humainauniveaudelacourtilièreoudelamantereligieuse.Jenevoulais,moi,confiermafemmequ'àdessuccesseurdûmentapprouvés,j'allaisdireéprouvésavantelle.Voilàcequ'estl'amour.Nepasfairesouffrir,nejamaisinfligerlapluslégèresouffrance.Tu ne tueras point. Tu ne mourras point. Plutôt millefoisnerompreavecrien,riendutout,traînantavecmoitousmespetitssacsdesaletés,pourassimiler,comprendreenfin,digérer,ruminer,incorporer.Revivresansfin.

     

    Au rebours exact de ce que vont prêchi-prêchant tous ces ravaudeurs de morale à deux balles, “savoir tourner la page”, “dépasser son passé, autrement il vous saute à la gueule”, que j'ai entendus toute ma vie. Tous ces moralistes. Tous ces étouffoirs, avec leurs formules inapplicables. J'ai conservé, absorbé, stratifié, j'immobilise, j'étouffe le temps et ma vie, momifiant, pétrifiant tout vivant, tordant le cou aux lieux commun et autres petits ragoûts de bonheur précuit.Constance, renaissance, éternité.

     

     

     

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    ToutmonemploidutempsserègleenfonctiondeSylvie.Qu'elleselève,jesuisdéjàdeboutdepuisuneheure.Deuxheuresc'estmieux.Jemesuisassisauxchiottes(jeneconservepastout).J'aientr'ouvertlesvolets,lu,regardédeuxminuteslachaînesuivantedetélévision,ouvertunpeupluslesvolets,mesuislavé.Faitchaufferlethé,ditlesquelquesmotsquiréveillentsansbrusquerie,ouvertengrand.Auparavant,j'auraijetél'œilsurl'Agendapourprendrenotedescorvées,projets,visitesetspectaclesdepuislongtempsprévues-sansquecelapuissememettreàl'abrid'exaspérantessurprises-jecoulemontempsautourdusiencommeunbrassurunetaille;horsdemoi,enrevanche,sipeuqu'elles'accordedevivresanstenircomptedemespropresobligations,passagesàl'antenne,cocktailsàvenir.Jenesaispourquoij'aimissilongtempsàvivreenfinheureuxàsescôtés,àmoinsquenemetransperceunjourl'épouvantableévidence(maisjelesaisdéjà)quel'onmettouteunevieàtransformerdesinconvénientsenavantages,destorturesendouceurs...J'aipensé,assurément,qu'ilétaithonteuxdeparaîtreamoureux,afindem'imaginerdisponibleàtouteslesdestinées,àtouteslesfemmesquipassent. J'aiditàSylvieNervalTu as modifié toute ma vie.

     

    Mais qu'ai-je proposé d'autre ? Bordel, soûlographies, flippers ? Que pouvais-je vivre d'autre ? “On peut transformer sa propre vie, encore faut-il en avoir la volonté” : de telles assertions, fusssent-elles signées Alice Miller, me font hurler de rire.

     

     

     

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    Direàprésentcombiennoussommesl'unetl'autreengagéssurlesvoiesdelamort.AcetteheurequejesuisengagéditMontaignedanslesavenuesdelavieillesseaucommencementdesesEssais. Certainssententvenirlamortdeloin.

     

  • Balzac le drôlatique

     

    Ajoutez à cela les digressions, tel débordement d'affection pour la ville natale de Tours, fendue en deux par une avenue "si large que jamais nul n'a eu besoin d'y crier "gare !", tels et tels bavardages, et toujours, cette référence au langage, à la bonne humeur, aux assauts de truculence de Rabelais, natif d'Indre-et-Loire, qui jamais n'aura écrit de français plus compliqué. Je ne vois guère, pour cette imitation forcenée, que Robert Merle dans ses histoires de princes valois. Oyez donc, bonne gens, ces histoires de faux étudiants ou goliards, qui tels Panurge s'amusaient à répandre sur les femmes des extraits d'essence de chiennes en rut, pour que les chiens viennent pisser sur leurs belles robes, et semaient un bordel digne des Rolling Stones dans les palaces anglo-saxons. (Noter aussi qu'une femme, dans un conte précédent, s'était interposée entre son mari furieux et son amant, s'écriant "Ne tue pas le père de tes enfants !" sur quoi le mari avait lâché son épée empoisonnée... sur le pied du dénonciateur, un bossu, qui mourut – belle réplique, ma foi, plate pourtant, et digne de la pire comédie de boulevard du plein XIXe siècle, mettons Alexandre Dumas fils, mais passons) – et Balzac va enfin se déployer, pour vos oreilles seules, suivez sur le texte, bizuths :

     

    "Puys, ils donnoient des poussées au monde, faisoyent des trouées aux sacqs de bled, cherchoient leur mousche-nez en l'aumosnière des dames," (sans accent à "aumonières", monsieur Balzac ! selon les règles du XVIe siècle !) et en relevoient les cottes, plourant, questant ung ioyau" (tous les "j" écrits "i", bien sûr) "tombé, et leur disant :L'ETREINTE www.anne-jaleh.com

     

     

    L'étreinte.JPG

    "- Mes dames, il est dans quelque trou !..." (finesse...)

     

    "Ils esguaroient les enfants, se tappoient en la pance de ceulx qui bayoient aux corneilles, ribloyent, escorchioyent, et conchioyent tout. Brief, le dyable" (avec un ygrec) "eust esté saige en comparaizon de ces damnez escholiers, qui se fussent penduz s'il leur avoit fallu faire acte d'honneste homme ; mais aultant auroyt valu demander de la charité à deux plaideurs enraigez.

     

    "Ils quittoyent le camp de foire non fatiguez, mais lassez de malfaisances ; puis, s'en venoient disner iusques à la vesprée, où ils recommençoient leurs ribleries, aux flambeaux. Doncques, aprez les forains, ils s'en prenoyent aux filles de ioye auxquelles, par mille ruzes, ils ne donnoyent que ce qu'ils en recepvoient, suyvant l'axiosme de Iustinian : Cuicum jus tribuere, à chascuns son jus." ("Selon son droit, mais "jus" en latin veut dire aussi "le jus"...) "Puis, en se gaussant après le coup, disoyent à ces paouvres garces :

     

      • Que le droict estoyt à eux" (étudiants en droit, bien droits en un certain endroit) "et le tord à elles."

     

    "Enfin, à leur soupper n'ayant poinct de subjects à pistolander, ils se cognoyent entre eulx ou, pour se gaudir encores, se plaignoient des mousches à l'hoste en lui remonstrant qu'ailleurs lers hostelliers les faisoyent attacher, pour que les genz de condition n'en fussent poincs incommodez.

     

    "Cependant, vers le cinquiesme iour, qui est le iour critique des fiébures, l'hoste n'ayant iamais veu, encore qu'il escarquillast très-bien ses yeulx, la roïale figure d'ung escu chez ses chalands, et saichant que si tout resluit estoit or, il cousteroyt moins chier, commença de renfroigner son museau, et de n'aller que d'un pié froide à ce que vouloyent ces gens de hault négoce. Or, redoubtant de faire un maulvais" (m-a-u-l-vais) "trafic avec eulx, il entreprint de sonder l'aposteume de leurs bougettes." (la bosse de leurs bourses...)

     

    "Ce que voyant, les trois clercs lui dirent avecque l'asseurance d'ung prevost pendant son homme, de vistement leur servir un bon soupper, attendu que ils alloyent partir incontinent. Leur ioyueuse contenance desgreva l'hoste" (h-o-s, bien sûr) "de ses soulcis. Or, pensant que des draules sans argent debvoyent estre graves, il appresta ung digne soupper de chanoines, soubhaittant mesme de les voir ivres afin de les serrer sans desbats dans la geole, le cas eschéant.

     

    "Ne saichant comment tirer leurs grègues de la salle où ils estoyent aultant à l'aize que sont les poissons en la paille, les trois compaignons mangièrent et beurent de raige, resguardant la longitude des croisées," ("l'éloignement des fenêtres") espiant le moment de descamper, mais ne renconstroient ni joinct ni desjoinct. Maudissant toust, l'ung vouloyt (o-y-t bien entendu) aller destacher ses chausses en plein aër pour raison de cholique ; l'aultre quérir ung médecin pour le troisième qui s'esvanouyroyt comme faire se pourroyt.

     

    "Le maudict hostellier baguenaudoyt touiours de ses fourneaulx à la salle et de la salle aux fourneaulx, guettoyt les quidams, avançoyt ung pas pour saulver son dû, en resculoyt deulx pour ne poinct estre cogné de ces seigneurs, au cas où ce seroyent de vrays seigneurs, et alloyt en brave hostellier prudent, qui aymoit les denniers et haïssoyt les coups. Mais, soubz umbre de les bien servir, touiours avoyt une oreille en la salle, ung pied" (u-n-g, comme partout, ce qui est de la haute fantaisie philologique) "en la cour ; puys, se cuydoit touiours appelé par eulx, venoyt au moindre esclat de rire, leur monstroyt sa face en guise du compte et touiours leur disoyt :

     

      • Messeigneurs, que vous plaist-il ?

     

    "Interroguat en response duquel ils auroyent voulu lui donner dix doigts de ses broches dedans le gozier, pour ce que il faisoyt mine de bien sçavoir ce qui leur playsoit en cette conjuncture, vu que, pour avoir vint escus tresbuchants, ils eussent vendu chascun le tiers de leur esternité.

     

    "Comptez que ils estoyent sur leurs bancqs comme sur des grilz, que les pieds leur desmangeoyent très-bien, et que le derrière leur brusloyt ung peu. Déjà l'hoste leur avoyt mis les poires, le fourmaige et les compostes soubsle nez ; mais eulx, beuvant" (écrit "e-u" comme chez Rabelais) "à petits coups, maschant de travers, s'entre resguardoyent pour voir si l'ung d'eulx treuveroyt en son sacq ung bon tour de chiquane ; et tous commençoient à se dibvertir trez tristement.

     

  • Ma mère, la guerre et le dragon

     

    Je me rends au cimetière militaire de Sailly-Saillisel. Je vois des gratteurs de tombes, groins de porc sur la gueule, pulvérisateur en bandoulière, projetant des gouttelettes au chlore, méphitiques, vert sombre, dans la pénombre crépusculaire, sur les dalles british, dont la pierre exsude un imputrescible lichen. « Tous pédés » disait G-D. « On leur sciait la branche par-dessous, dans les feuillées. Ils tombaient tous dans la merde » - et Gaston imitait les gargouillis indignés de la langue anglaise. Çac'étaitdelavanne.

     

    La Marseillaise. Gaston-Dragon l'écoute au garde-à-vous, tandis que mon père s'est assis en tailleur, exprès, sur l'herbe : « Je ne me lève que pour L'Internationale. » Gaston grommelle : « Je te la lui ferais écouter la Marseillaise moi, à grands coups de pied dans le cul... »

     

    Gaston-Dragon a perdu (fait de guerre ? scie circulaire ?) une phalange. Un jour il réclame à l'administration une revalorisation de pension. Le préposé du guichet répond : « Pour avoir droit à la tranche supérieure, il faudrait que vous ayez perdu une phalange de plus. -Ma phalange, vous savez où vous pouvez vous la mettre, ma phalange ?

     

     

    Les flèches des Chartrons.JPG

    Pendant la sonnerie aux morts, Gaston-Dragon se sent envahi d'une extraordinaire émotion. C'est comme un frisson de larmes et de fierté. Cela commence par deux notes plaintives et nobles, chevauchées à l'arrière par des fla de tambours à contre-temps : un, un-deux, un-deux trois. Puis tout s'éteint dans un dernier roulement assourdi, le linceul retombe sur la plus grande mélancolie du monde...

     

    Alcmène jeune fille a visité tous les charniers. Douaumont. Lorette, où reposent les six autres Soldats Inconnus. Elle en a contracté une haine farouche de la mort. Ce qui ne se compense absolument pas, pas du tout, par un quelconque amour de la vie : elle ne la hait pas moins. Elle raâle, ma mère, elle geint, elle gâche tout.

     

     

     

    Note

     

    (138) Ce sont des anecdotes, relatives à Gaston-Dragon, sur le même sujet : la Patrie.

     

     

     

    48

     

     

     

    SAPIENTIA DRACONTEA (« de dragon »)

     

    Pour mettre un terme aux discussions sans fin, que ce soit en matière politique, ou religieuse, mon  aïeul Gaston-Dragon use d'une formule magistrale, ménageant toutes les susceptibilités ; pour peu que le ton vire à l'aigre, il coupe court : « Ecoute » dit-il, - tu as raison, et moi je n'ai pas tort. » Suprême sagesse -

     

    • FIN des oracles de Gaston.

     

     

     

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    • A MOI MAINTENANT (139)

     

    Je n'ai pu connaître l'épreuve de la guerre.

     

    Mon absence totale de ce qu'il est convenu d'appeler Virilité me permet en revanche de surmonter plus tard L'EPREUVE DE LA JALOUSIE.

     

     

     

    Note

     

      • (139) On le voit, la liste de mes épreuves réussies se limite à ces deux lignes ; il ne s'agit que d'un exploit négatif.

     

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    LES EPREUVES D'ALCMENE, MA MERE

     

    • Toute sa vie ma mère malade. Hideux sac à chagrin. Pourquoi ? Remontons un peu : Gaston-Dragon, poilu, cocu, la rime est bonne. On ne cocufie pas un poilu. Un héros. Beaucoup ont dû s'en accommoder. Mais pas Dragon. Dont le vrai fils, le Légitime, est mort (de la peste espagnole) tandis que le Bâtard, le fils de l'autre, a survécu. « On ne l'a jamais appelé que le Bâtard », dit ma mère, « je ne me souviens même plus de son nom » - honte au « bon vieux temps » : l'ivrogne, le boiteux, le cocu du village. Alcmène détestait tout ce qui rappelait le passé, jusqu'aux « films à costumes » : « Regarde-moi toute cette misère », disait-elle au milieu des plus belles mises en scène – « toute cette misère » - c'était vrai ; tout était miséreux dans le temps, préjugés, superstitions. Les hommes crevaient à trente ans et les femmes frottaient leurs linges tous les mois sur la planche.

    • Ma mère Alcmène, à sept ans, derrière les rideaux de sa fenêtre – Tu resteras à la maison pour garder l'bâtard - assista au départ du convoi funèbre du vrai petit frère. De mon petit oncle dehuit ans, Lucien fils légitime de Gaston-Gustave, dans la boîte -Tu n'as pas su le garder en vie celui-là – sans qu'on me l'ait dit je suis sûr qu'il l'a crié à sa femme, Delphine Bort, comme Bort-les-Orgues disait-elle, Tu n'as pas su le soigner celui-là répétait Gaston-Dragon - et Bâtard de survivre, Alcmène réquisitionnée « Toi, tu resteras à la maison pour garder le bâtard » - voyant s'éloigner son petit frère dans le cercueil à travers la vitre et la pluie (140)

      • S'étonner après cela qu'elle ait été si malheureuse, si dramatique. Si malade.

     

    (140) Je sais bien que je me répète, mais je trouve ça si poignant...

     

  • Le Robinson méconnu

     

    Mon sauvage n'attendit pas que l'espagnol fît le moindre effort ; comme il était aussi robuste qu'agile, il le chargea sur ses épaules, le porta jusqu'à la barque, et le fit assoir sur un des côtés du canot ; ce grand cœur chrétien aurait dû, aurait pu du moins enseigner à son maître tous les tours et les trucs de la vie "indienne", apportant à son maître autant de sciences indigènes que ce dernier lui en avait révélé d'européennes.

     

    Pas un instant notre colonisateur ne s'est avisé d'apprendre la langue de son colonisé, non plus que les principes de sa religion ou ses coutumes. On ne peut exiger d'un narrateur de trois cents ans plus vieux que nous de se muer en anthropologue contemporain, ni en partisan de l'égalitarisme. L'Espagnol reculera-t-il devant l'autre cuivré qui hante le fond du canot ? ...puis sortant de la barque il la lança à l'eau, et quoi qu'il fit un grand vent, il la fit suivre le rivage plus vite que je n'étais capable de marcher. En route donc pour le palais de Robinson.

    LES DENIERS DE LA LUNE ww.anne-jalevski.com

     

     

     

    Les deniers de la lune, par Anne Jalevski.JPG

    Il reste peu de choses à dire, sinon que je fus fort surpris de découvrir à quel point une excellente éducation à l'ancienne avait préparé les lecteurs d'âge tendre à lire ce chef-d'œuvre truffé d'imparfaits du subjonctif, et sans trop d'images. Mais, direz-vous, Robinson Crusoë n'a-t-il pas été tenté par l'évasion ? N'a-t-il pas eu du moins l'intention de faire le tour de son île en canot, par curiosité de marin ? Si. Et cela donne l'occasion d'une lecture, avant que Vendredi n'apparaisse : "Voilà donc mon petit canot fini ;" Robinson est d'une grande robustesse, on l'a choisi pour cela. "mais sa grandeur ne répondait point au dessein que j'avais lorsque je commençai à y travailler : c'était de hasarder un voyage en terre ferme, "(on la voit de très loin par temps clair, car Daniel Defoe plaçait son île dans la mer des Caraïbes) "et qui aurait été de quarante milles. J'abandonnai donc ce projet ;" (en effet, la terre ferme est peuplée de cannibales) « mais je résolus au moins de faire le tour de l'île, je l'avais déjà traversée par terre, comme je l'ai dit ; et les découvertes que j'avais faites alors me donnaient un violent désir de voir les autres parties de mes rivages. Je ne songeai donc plus qu'à mon voyage ; » Incorrigible Robinson. « et afin d'opérer avec plus deprécaution et plus de sûreté, j'équipai mon canot le mieux qu'il me fut possible ; j'y mis un mât et une voile. J'en fis l'essai, et trouvant qu'il prendrait très bien le vent, je pratiquai des boulins ou des layettes à ses deux extrémités, afin d'y préserver mes provisions et mes munitions de la pluie et de l'eau de mer qui pourraient entrer dans le canot. J'y fis encore un grand trou pour mes armes ; » Cet homme humain pense à tout ; à se demander comment il n'est pas mort dix fois de crise cardiaque pour efforts physiques excessifs prolongés. Mais ce roman comporte une grande part de démonstration et d'édification théologique. « ...je couvris ce trou du mieux que je pus. Je plantai ensuite mon parasol à la poupe de mon canot, pour m'y mettre à l'ombre.

     

    « D'abord je me servis de mon canot pour me promener de temps en temps sur la mer, mais néanmoins sans m'écarter jamais de ma petite baie. Enfin, impatient de voir la circonférence de mon royaume, je résolus d'en faire entièrement le tour. Pour cet effet je pourvus mon bateau de vivres. Je pris deux douzaines de mes pains d'orge (je devrais plutôt les appeler des gelettes), un pot de terre plein de riz sec, dont je faisais beaucoup d'usage, une autre pleine d'eau fraîche, une petite bouteille de rhum, la moitié d'une chèvre, de la poudre et du menu plomb pour en tuer d'autres ; enfi, deux des gros surtouts dont j'ai parlé ci-dessus, l'un pour me coucher dessus, et l'autre pour me couvrir pendant la nuit. » Le vrai manuel du parfait randonneur, si vous avez envie d'en faire autant.

     

    Facile, « y a qu'à » penser à tout. Mais vous sentez bien qu'il va arriver quelque chose : l'homme dans les épreuves, qui ne se décourage pas !

     

    « C'était le six de novembre et l'an sixième de mon règne ou de ma captivité (vous l'appellerez comme il vous plaira) » (c'est qu'il a de l'humour, notre Anglais d'origine allemande) «que je m'embarquai pour ce voyage qui fut plus long que je ne m'y étais attendu. L'îleen elle-même n'était pas fort large ; mais elle avait à l'est un grand rebord de rochers qui s'étendaient deux lieues avant dans la mer ; les uns s'élevaient au-dessus de l'eau, et les autres étaient cachés ; il y avaitoutre cela au bout de ces rochers un grand fond de sable qui était à sec et avancé dans la mer d'une demi-lieue ; tellement que pour doubler cette pointe, j'étais obligé de m'avancer beaucoup en mer.

     

    « A la première vue de toutes ces difficultés je fus sur le point de renoncer à mon entreprise, à cause de l'incertitude tant de la longue route qu'il me faudrait faire, que de la manière dont je pourrais revenir sur mes pas. Je revirai même mon canot et je jetai l'ancre ; car j'ai oublié de dire que je m'en étais fait une d'une pièce rompue d'un grappin, que j'avais sauvée du vaisseau. » Evidemment, nous ne sommes pas ici en compagnie du père de famille dans le film Liberté-Oléron.

     

    « Mon canot « était en sûreté, je pris mon fusil et je débarquai, puis je remontai sur une petite éminence, » (oh, Monseigneur...) « d'où je découvris toute cette pointe et toute son étendue, ce qui me fit résoudre à continuer mon voyage.

     

    « Entre autres observations néanmoins que je fis sur ces parages, je remarquai un furieux courant qui portait à l'est, et qui touchait la poinde bien près. Je l'étudiai donc autant que je pus ; car j'avais raison de craindre qu'il ne fût dangereux, et que, si j 'y tombais, il ne me portât en pleine mer, d'où j'aurais eu peine à regagner mon île. La vérité est que les choses seraient arrivées comme je le dis, si je n'eusse eu la précaution de monter sur cette petite éminence ; car le même couranr régnait de l'autre côté de l'île, avec cette différence cependant qu'il s'en écartait infiniment plus. Je reconnus aussi qu'il y avait une grande barre au rivage : d'où je conclus que je franchirais aisément toutes ces difficultés, si j'évitais le premier courant ; car j'étais sûr de pouvoir profiter de cette barre

     

  • Vieilles lunes et châteaux

     

    Chers auditeurs, nous avions déjà rendu compte, quelques semaines ago, des Châteaux fantastiques d'Henri-Paul Eydoux dans leur ensemble. Mais nous nous aperçûmes que le tome V et dernier n'avait pas été lu depuis son acquisition, id est 1973. Puis il est mort, comme dit l'autre. Toujours est-il que je me suis plongé dans ce tome cinq tout comme neuf, et que j'y ai retrouvé les mêmes qualités que dans les quatre autres, avec toujours en fin de volume les noms et la tomaison des bâtisses mentionnées par notre précieux guide. Les derniers mots qu'Eydoux a tracés : Une chaleur retrouvée. Voilà bien le projet en effet. Aider les vieilles constructions ignorées, ensevelies sous le lierre ou le gravat, à retrouver la chaleur de leur vie passée.

     

    Le voleur.JPGParfois, une association vient de se constituer pour sauver ce qui peut l'être encore (nous sommes dans les années 70) ; mais la plupart du temps, ces châteaux médiévaux sont à l'écart de toute route, à l'abandon, à demi-écroulés sans que nul s'en soucie. Car on s'est abondamment occupé de recenser et de commenter les églises, tandis que l'architecture militaire – et aussi de prestige – constituée par les murailles de nos forteresses n'ont que peu excité l'attention des chercheurs, historiens ou esthètes. Ce cinquième volume ne comporte pas de différence notable avec les quatre autres. Toujours autant de précision, d'amabilité, de facilité cependant érudite. Toujours un souci de s'adresser familièrement au lecteur, comme un qui raconte des histoire plus que comme historien.

     

    Mélange agréable d'architecture et d'histoire locale au moment où les considérations techniques risqueraient de lasser. Variété des angles d'attaque : tantôt l'auteur décrit, tantôt il évoque les ombres, tantôt il élargit le champ de vision en retraçant une généalogie, en rattachant les seigneurs du cru à telle époque ou a telle anecdote bien connue de la chronologie nationale. On retrouve dans le cinquième volume des Châteaux fantastiques le même scrupuleux débat entre le désir de sauvetage et le désir d'intégrité : cette dernière a bien souvent souffert de l'invasion des touristes consécutive au succès, précisément, de ce qui est devenu la « collection » des Châteaux fantastiques. L'auteur préfère toujours en définitive les risques de la vie aux risques de la mort par abandon.

     

    Et jamais la fatigue ne se fait sentir, jamais Henri-Paul Eydoux ne donne l'impression de tirer à la ligne par lassitude ou de bâcler une rubrique. Les photos, datant de 1972, sur des lieux qu'il a toujours scrupuleusement visités voire hantés d'années en années, présentent désormais la double patine du Moyen Age et de l'époque plus récente où elles furent prises : sont-elles encore un témoignage fidèle ? Faisait-il beau cette année-là ? Les broussailles ont-elles gagné du terrain, cédé devant le défrichage ? On sait combien précieux sont les dessins ou les photos du XIXe ou du début du XXei, quant à l'état des châteaux. Le donjon de Coucy jusqu'à 1917, le plus gros du monde, était encore debout. Sont étudiés dans ce volume les châteaux de Villandraut, où erre encore le fantôme de Clément V, pape bordelais inhumé à Uzeste ; de Lavardin, qui traîne son éventration gravateuse au bord du Loir ; de Murol, en Auvergne. Notez qu'au passage Henri-Paul Eydoux mentionne maints autres châteaux dans les environs de celui qu'il étudie, car souvent ces constructions vont par lignes défensives ou par massifs compacts et impénétrables.

     

    Mais il ne veut retenir que ceux qui l'ont marqué par leur aspect mystérieux, soit que des ombres s'y promènent encore, soit que précisément rien ne soit su à leur sujet, ni sur leurs habitants, et que l'imagination y puisse ainsi se livrer plus libre cours. Mentionnons aussi l'énorme tas de pierres donc de Coucy dans l'Aisne, ruine pathétique s'il en fut, victime de la stupidité guerrière de notre siècle ; Beaucaire face à Tarascon, où combattirent les croisés du nord contre Raymond VII de Toulouse ; Rochebaron et son mur éperon, unique en France par cette originalité architecturale ; Montfort en Bourgogne et sa tour Amélie ; Vaujours, désormais sauvegardé grâce à une active association ; Rochechinard et le fantôme, peut-être, de Djem-Zizim ; et l'auteur de recenser tous les châteaux où ce prince ottoman est censé avoir légendairement séjourné.

     

    Chacun d'entre eux mérite le détour, et parfois le quart d'heure ou la demi-heure de marche à pied en terrain accidenté ; le Tournel de Lozère en particulier, mon préféré du lot, sur la route du Bleymard à Mende, brûlant l'été, balayé de tourmentes l'hiver, à 1060 mètres d'altitude ; l'extraordinaire complexité du château de Ranrouët, dans les terres gorgées d'eau de la Loire-Atlantique ; n'oublions pas la Haute-Guerche, dominant la vallée du Layon en Vendée ; Armentières dans l'Aisne, contemporain de la Ferté-Milon que construisit le duc d'Orléans, frère de Charles VI et amant de sa femme ; Saint-Ulrich en Alsace, au milieu d'une véritable constellation de forteresses frontière ; Arques près de Limoux, dans une région déjà surreprésentée, quasiment inépuisable ; Montaler, sur lequel nulle étude n'avait encore paru ; et Busséol, remonté par les soins et par la modeste fortune de son restaurateur, Henry-Claude Houlier, Normand converti à l'Auvergne.