Vieilles lunes et châteaux
Chers auditeurs, nous avions déjà rendu compte, quelques semaines ago, des Châteaux fantastiques d'Henri-Paul Eydoux dans leur ensemble. Mais nous nous aperçûmes que le tome V et dernier n'avait pas été lu depuis son acquisition, id est 1973. Puis il est mort, comme dit l'autre. Toujours est-il que je me suis plongé dans ce tome cinq tout comme neuf, et que j'y ai retrouvé les mêmes qualités que dans les quatre autres, avec toujours en fin de volume les noms et la tomaison des bâtisses mentionnées par notre précieux guide. Les derniers mots qu'Eydoux a tracés : Une chaleur retrouvée. Voilà bien le projet en effet. Aider les vieilles constructions ignorées, ensevelies sous le lierre ou le gravat, à retrouver la chaleur de leur vie passée.
Parfois, une association vient de se constituer pour sauver ce qui peut l'être encore (nous sommes dans les années 70) ; mais la plupart du temps, ces châteaux médiévaux sont à l'écart de toute route, à l'abandon, à demi-écroulés sans que nul s'en soucie. Car on s'est abondamment occupé de recenser et de commenter les églises, tandis que l'architecture militaire – et aussi de prestige – constituée par les murailles de nos forteresses n'ont que peu excité l'attention des chercheurs, historiens ou esthètes. Ce cinquième volume ne comporte pas de différence notable avec les quatre autres. Toujours autant de précision, d'amabilité, de facilité cependant érudite. Toujours un souci de s'adresser familièrement au lecteur, comme un qui raconte des histoire plus que comme historien.
Mélange agréable d'architecture et d'histoire locale au moment où les considérations techniques risqueraient de lasser. Variété des angles d'attaque : tantôt l'auteur décrit, tantôt il évoque les ombres, tantôt il élargit le champ de vision en retraçant une généalogie, en rattachant les seigneurs du cru à telle époque ou a telle anecdote bien connue de la chronologie nationale. On retrouve dans le cinquième volume des Châteaux fantastiques le même scrupuleux débat entre le désir de sauvetage et le désir d'intégrité : cette dernière a bien souvent souffert de l'invasion des touristes consécutive au succès, précisément, de ce qui est devenu la « collection » des Châteaux fantastiques. L'auteur préfère toujours en définitive les risques de la vie aux risques de la mort par abandon.
Et jamais la fatigue ne se fait sentir, jamais Henri-Paul Eydoux ne donne l'impression de tirer à la ligne par lassitude ou de bâcler une rubrique. Les photos, datant de 1972, sur des lieux qu'il a toujours scrupuleusement visités voire hantés d'années en années, présentent désormais la double patine du Moyen Age et de l'époque plus récente où elles furent prises : sont-elles encore un témoignage fidèle ? Faisait-il beau cette année-là ? Les broussailles ont-elles gagné du terrain, cédé devant le défrichage ? On sait combien précieux sont les dessins ou les photos du XIXe ou du début du XXei, quant à l'état des châteaux. Le donjon de Coucy jusqu'à 1917, le plus gros du monde, était encore debout. Sont étudiés dans ce volume les châteaux de Villandraut, où erre encore le fantôme de Clément V, pape bordelais inhumé à Uzeste ; de Lavardin, qui traîne son éventration gravateuse au bord du Loir ; de Murol, en Auvergne. Notez qu'au passage Henri-Paul Eydoux mentionne maints autres châteaux dans les environs de celui qu'il étudie, car souvent ces constructions vont par lignes défensives ou par massifs compacts et impénétrables.
Mais il ne veut retenir que ceux qui l'ont marqué par leur aspect mystérieux, soit que des ombres s'y promènent encore, soit que précisément rien ne soit su à leur sujet, ni sur leurs habitants, et que l'imagination y puisse ainsi se livrer plus libre cours. Mentionnons aussi l'énorme tas de pierres donc de Coucy dans l'Aisne, ruine pathétique s'il en fut, victime de la stupidité guerrière de notre siècle ; Beaucaire face à Tarascon, où combattirent les croisés du nord contre Raymond VII de Toulouse ; Rochebaron et son mur éperon, unique en France par cette originalité architecturale ; Montfort en Bourgogne et sa tour Amélie ; Vaujours, désormais sauvegardé grâce à une active association ; Rochechinard et le fantôme, peut-être, de Djem-Zizim ; et l'auteur de recenser tous les châteaux où ce prince ottoman est censé avoir légendairement séjourné.
Chacun d'entre eux mérite le détour, et parfois le quart d'heure ou la demi-heure de marche à pied en terrain accidenté ; le Tournel de Lozère en particulier, mon préféré du lot, sur la route du Bleymard à Mende, brûlant l'été, balayé de tourmentes l'hiver, à 1060 mètres d'altitude ; l'extraordinaire complexité du château de Ranrouët, dans les terres gorgées d'eau de la Loire-Atlantique ; n'oublions pas la Haute-Guerche, dominant la vallée du Layon en Vendée ; Armentières dans l'Aisne, contemporain de la Ferté-Milon que construisit le duc d'Orléans, frère de Charles VI et amant de sa femme ; Saint-Ulrich en Alsace, au milieu d'une véritable constellation de forteresses frontière ; Arques près de Limoux, dans une région déjà surreprésentée, quasiment inépuisable ; Montaler, sur lequel nulle étude n'avait encore paru ; et Busséol, remonté par les soins et par la modeste fortune de son restaurateur, Henry-Claude Houlier, Normand converti à l'Auvergne.
Commentaires
Comme disait le réalisateur d'Agaguk, tourné avec des esquimaux : "Nous avons tourné en anglais ; ON N'ALLAIT TOUT DE MÊME PASAPPRENDRE LEUR LANGUE !!!"Quelle horreur en effet...