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En errant

 

 

 

 

 

Sidoine Apollinaire Lettre I, 5

 

 

 

J'étais planqué à Marseille quand j'ai reçu ton fax. Tu te demandes si tes projets se réaliseront, et aussi par quelles traverses je suis réfugié ici, quels intermédiaires j'ai contacté, au moyen de quels codes indéchiffrables ; quels élus municipaux j'ai soudoyés, quelles montagnes de paperasses hantées de charançons j'ai fait brasser, quelles mornes plaines d'ennui (...) - tu trouves en effet je ne sais quel plaisir (à t'entendre) à ouïr de ma bouche édentée ces informations qui me suivent à la trace dans la rubrique des faits-divers. Dieu merci tu me permets toutefois de t'écrire, ce qui présente l'avantage d'échapper aux affectueuses écoutes de la flicaille.

 

Commençons donc, sans nous éclaircir la voix (j'ai chopé une angine de première), et recourant à notre seule mémoire, par notre premier pas, qui fut d'écraser une merde au métro Saint-Germain.

 

Il est de moins en moins rare de découvrir, dans les stations les plus huppées, des restes alimentaires tout chiés de nos illustres clochards. La puantueur qui se dégage de ces débris dépasse l'imagination. J'y vis cependant un heureux présage, car tous s'éloignaient de moi dans la rame, alors que je fuyais, précisément, les filatures. C'est ainsi que j'atteignis le terminus de la ligne 6. Le plus simple était de voler un véhicule. Comme il neigeait, je fis courir au-devant de l'auto un employé des pompes funèbres semant au vent des cendres humaines. A mesure que j'allais vers le méridien, les conditions climatiques s'amélioraient.

 

Quoique j'évitasse les grands axes, le bombement des routes ne causa aucun frottement sous la caisse de mon véhicule d'emprunt. Je le fis rapidement verser dans un fossé à proximité de Lyon, jugeant le train plus sûr. Bien emmitouflé dans un recoin de compartiment j'ai repassé dans ma tête les vers extraordinaires de Sigourney Beaver où elle relate l'envol des anges au-dessus des peupliers de la plaine du Pô. Ce tableau figure au musée d'Edimbourg, à côté de cette “Vue par une fenêtre” si chèrement acquise “at Sotheby's”. Ainsi passèrent Vienne, Montélimar la nougateuse, Orange la fachotte, Avignon-la-Conne , qui reçoit chaque année bouche bée son festival implanté décati.

 

Je me suis souvenu de Véra, qui parlait du nez en bouffant ses harengs, vitupérant lasottise des élus municipaux. Toutes ces gares brimballaient derrière un grillage mouvant de fils télégraphiques. Je voyais luire en un éclair l'éclat faïencé des toilettes en bouts de quais. Parfois des forêts de poteaux me cachaient le paysage, tant il est vrai que les humains se complaisent à bouziller. Je me tournais alors vers mon giron, palpant dans ma banane l'épaisse liasse de billets américains que j'avais fauchés, regrettant de n'en avoir pu dérobe rune deuxième. Car tout est argent, nourri par les cotisations des retraités morveux, croupissant dans une banque à demi-inondée au bord de la Seine. Lutrin de marchandises.JPG

 

En gare de Marseille Saint-Charles, j'aperçus le Corse au crâne glabre tout prêt à m'assener un de ses soupirs ajacciens dont il a coutume d'amorcer les conversations. Nous entrâmes dans un bar au nom sympathique de “Téléfone” avec un f. La télé retransmettait la rowing-party entre Oxford et Cambridge de Dieu sait quelle année : vraiment de quoi meubler le vide intersidéral d'un dimanche après-midi. Tandis que je voyais les barques concourir, mon compagnon Angelo, refoulant mal de forts renvois d'ail, partageait mon maigre butin. “Il reste le magot de l'expédition précédente”, articula-t-il, “au fond du lit côté pied sur la droite à la chambre 106 du “Saint-Alphe”, rue du Maracandier. Quartier du Panier.” Je demeurai perplexe, car le Panier ne comporte pas cette rue. “Et puis c'est si tranquille, si fermé aux touristes ! “ En attendant, nous avons bouffé une de ces choucroutes marseillaises à la sauce tatami comme on n'en fait plus.

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