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  • Cimetières frais

     Des lieux de sépultures collectifs remontent à la préhistoire. C'est aux traces de cérémonies funéraires que l'on distingue la présence de restes humains : les humains se font inhumer. Au Moyen Âge, on s'est volontiers regroupé autour d'une tombe de martyr, contenant ses reliques. Le cimetière dit "moderne", regroupé autour d'une église paroisssiale, n'apparaît pas avant le Xe siècle. Ils quittent progressivement les abords d'icelle à partir du XVIIIe siècle ; mais les isolements de cimetières, pour cause d'hygiène, n'ont cessé d'être rappelés, tout au long des siècles par des lois, régulièrement enfreintes, surtout par les rois... Le dépôt de l'urne à domicile n'est plus autorisé depuis le 19 décembre 2008. Café de l'Avenir.JPG

     

    Ce mot n'a rien à voir avec le ciment sont seraient faites les pierres tombales (de caementum, "mortier", plus exactement "pierre concassée"), mais avec le mot "lieu de repos" en grec, κ ο ι μ η τ η ́ ρ ι ο ν « lieu où l'on dort » et « lieu où reposent les morts », une espèce de dortoir, donc. En allemand, c'est le Kirchhof, "cour de l'église" ; en Danois, Kierkegaard veut dire "ferme de l'église" ; le cimetière, c'est kirkegård, prononcé "gôôd" - on peut s'y tromper. Quel plus beau et plus faux rapprochement avec son Traité du désespoir...

     

    1. Pour notre pays, il est conseillé de consulter le site "cimetières-de-France.fr".

     

    De rares cimetières sont monumentaux. Celui du Père Lachaise est rebattu, inépuisable. La première fois, épouvanté par ce déferlemennt de tombes, qui ondule sauvagement d'un horizon à l'autre, et dans les quatre dimensions, j'en suis sorti en courant, sous l'œil effaré des gardiens. Plus tard j'ai repéré la tombe de Proust, Marcel, dissimulé comme un œillet dans la mousse. Le Cimitero monumentale di Staglieno à Gênes,célébré par Mark Twain et par Hemingway, trône sur les hauteurs, au bout de la Via Bobbio. Aussi dit-on volontiers, "Où il y a Gênes, il n'y a pas de plaisir". Il expose un extraordinaire ensemble de sépultures sculptés - parfois donc les amateurs de Riviera éprouvent l'impérieux besoin de se confronter au Grand Calme. Le plus grand d'Europe n'est pas, contrairement à ce que murmure un personnage de Ceux qui m'aiment prendront le train, celui de Louyat à Limoges ("C'est loin, loin !" me disait une viei tout au long de siècles lle dame - dans l'espace, en effet... juste dans ton dos...)- mais une fois de plus l'incontournable Père-Lachaise. D'innombrables ouvages illustrés sont consacrés à ces lieux sacrés. J'ai perdu sans retour celui que m'a offert ma fille, sur les cimetières de France, département par département.

     

    Les cimetières sont souvent au bout d'une Rue de l'égalité : il en est ainsi à Lourdes, ce qui est le comble de l'humour, et à Champagnole (Jura), qui se vit retoquer une Impasse Budgétaire par la Préfecture du Jura, laquelle manquait d'humour. Le cimetière de Sète contient le caveau de famille des Brassens, qui révérence parlée est plein comme un œuf. J'y ai perdu mon portefeuille en 94. Georges, sacré farceur. D'autres cimetières sont crasseux d'anonymat. Il en est de parfaitement combles, accablés d'un grand entassement de tombes mesquines. Pas une qui rachète l'autre. Celui de Jarnac contient Mitterrand : mais à quel étage ? Les noms se pressent sur les plaques avant, mais nul ne peut dire avec précision où repose, dessus ou dessous, le grand président.

     

    Le musée contenant les divers cadeaux qu'il reçut lors de ses nombreux déplacements fut transféré à la salle des donations, rue de l'Orangerie.

     

    Mes chers amis, quand je mourrai,

     

    Plantez un saule au cimetière.

     

    Hélas, le terrain se prête mal aux saules ; Colette, voisine de Musset, en est fort dépourvue. Aussi replante-t-on le saule, régulièrement, désespérément, tout neuf.

     

    Le cimetière est un sujet inépuisable. Il faillit même devenir le seul objet de cet ouvrage. Deux versions circulèrent : "La mort, c'est trop vaste ; bornons-nos aux cimetières" ; "Vous voulez traiter "les cimetières" ? "les cimetières", "la mort", c'est un peu la même chose, non ? disons "la mort"..." - cher ami, sachez donc ce que vous dites, et ne changez pas vos propos les plus anodins en fonction de vos interlocuteurs. J'ai encore rêvé de vous l'autre nuit. Vous m'extorquiez des chèques dans une gare, au milieu de la foule. C'est aussi une métaphore de la vie.

     

  • Texte obsessionnel

     

     

    Vitrines : des « monstres ». Où plastronnent où pullulent en désordre savant (déplacé, chaque objet fait son rond de poussière sur le bois) – cerfs de verre filé de Murano, oeufs d'onyx ou sottises de brocante voisinant avec des débris de grandeurs révolues : ainsi ce qui subsiste des salons, des ateliers d'antan : bestiaires ; portraits ; photos, classées en « hommes » et « femmes » par albums.

     

    Tortue Fébrile peint. Peignait, peindra. Fier-Cloporte s'il voulait ne tarirait pas de sarcasmes voire de soupirs ; pour sa ruine, car, un membre du couple écrasé, comment l'autre survivrait-il ?

     

    ...Dosons plutôt : les Tableaux de la Tortue couvrent en tous sens l'espace libre, couvrent le premier salon, s'empilent dans un angle du second, tableaux évanescents par la minceur (économique) de la pâte, terribles à la fois, par les thèmes de Folie, de Nudité, de Mutilation.

     

    Changement de décor : s'il s'agit pour Fier-Cloporte de présenter plutôt une concertiste- il s'agira pour justifier les toiles au mur d'invoquer quelque inexorable prurit de collection, inexplicable si l'on songe au peu de soin des yeux qu'affichent les musiciens, au peu de goût non plus d eces derniers pour les arrangements de leurs appartements : une inconciliabilité des deux arts. A moins que décidément ce ne soient plus aux murs qu'innombrables portées des maîtres les plus fameux, si bien qu'il n'y ait plus que des barres horizontales de prison ; que Tortuga n'ait rien de plus pressé que de clore en permanence, en morbide persévérance, toutes les issues, allant jusqu'à regretter de n'être pas aveugle, tels ces rossignols chinois aux yeux crevés par une épingle d'or afin de mieux chanter.

    L'Hôtel de ville d'Aurillac.JPG

     

     

    ...Tortue Fébrile est possédée par la passion de peindre. Fier-Cloporte composa tous les commentaires, de ceux que l'on punaise soius plastique en marge sur les murs ; ô tableaux compagnons immortels, etc., et sans jus suffisant. Tortue Fée vit dans un monde encombré de toiles peintes, et dans se cauchemars elle écarte ses toiles encore humides et pesantes de lin et de cadmium, étouffe et se réveille et dans la nuit réclame de la lumière, un store juste soulevé même sans lune. Mais il n'arrive rien, telle est la volonté du Fier-Cloporte prisonnier de son trou ; ô mondes cette fois incommunicables, à jamais et sans cesse liés, unis par le simple mur de séparation d'entre chambre et salon...

     

    Dépeindra-t-il sa compagne et peintre sous les traits péjoratifs dont il aimerait l'affubler ? Ou sous le charme caucasien dont rien ne peut la déparer ? ...deux pommettes podoliennes, un nez refait, des sourcils arqués. Elle est tout le bien du Cloporte, le mur, le plastron de ses vains assauts, car là n'est pas l'adversaire – dès lors, qu'importe de la charger de tous les maux, d'imaginer que de ses seuls atermoiements des décennies durant sont parvenues les ruines où l'on voit à présent se débattre ce couple miséreux ? la destinée remonte plus haut. Cloporte, écris : « Cette indéracinable velléitaire, me berçant d'espoirs, me faisait croire en sa mise au travail prochaine.

     

    Nous gagnâmes peu d'argent, la cinquantaine nous surprend dans la gêne. Son caractère fut renfermé, refusant le contact des fâcheux, aussi son ambition échoua-t-elle » . Cloporte suinte, dégouline de torts. Qu'il dissimule avec soin. Se dessèche et se fuit. Tortue-Fée (concertiste ou peintre) a toujours refusé de jouer en public, d'exposer « moyennant [sa] vertu » disait-elle. « Cet homme voulait que je vienne dans son lit.  - Bon, disait-il, tu trouves ton prétexte. » Cloporte a perdu sa fonction du roman comme on perd la clef du champ de manoeuvres. Il a perdu l'art de s'éloigner de son modèle s'il existe, pour l'animer, le triturer ou le blesser.

     

    Tortue-Fée va changer de lieu. Tout commencera ainsi : « Dans un faubourg ouest de Bruxelles, vivait une grosse dame en haillons, se tartinant de graisse humide, et peignant des seins durs vert et rouge, ou des rochers couverts de fongosités brunes. » (6-9-2047) « Elle s'habille sans goût, pensant camoufler sa graisse sous des monceaux de chiffons qui sont autant de vêtements. » Bien que ces écrits en recèlent aucune intrigue à venir, il faut aprler, face à la chambre du Cloporte. Ce dernier manque de maturité, toujours long, maigre, tourmenté ; cheveu hirsute, posté à la fenêtre, en retrait du store à demi baissé, et tire sur les passants avec une carabine à petits plombs.

     

    Du premier étage, aucun danger. Mais les voisins se plaignent. Il y en a qui font un détour. La police n'intervient pas. Son père surgit : « Va voir les filles ! » Le fils continue à tirer.

     

    Tortuga l'admoneste parfois, mollement : « ...et si les autres t'en faisaient autant ? » Personne en effet n'a jamais riposté, en un mot Cloporte et sa famille habitent une HLM. Blessé dans sa vanité, ce dernier parcourt alors l'appartement avec des cris inarticulés. « Un jour, les voisins t'enverront dans un asile ! - tu leur résisteras n'est-ce pas ? Tu leur résisteras ? » Tortue-Fé lui promet de résister et l'embrasse passionnément. Cloporte est parvenu à obtenir cet appartement après bien des démarches. C'est finalement l'assistante sociale qui lui a obtenu le droit d'y vivre ; cependant le niveau d'instruction de Cloporte lui rend difficilement supportable de cohabiter avec des semi-illettrés, des bas-de-classe, qui pourtant le tolèrent.

     

    Il a bien observé cependant, par les fenêtres d'un rez-de-chaussée, l'abondante bibliothèque d'un voisin ; cet excellent père de famille lui semble trop raffiné. Il s'abstient, lucidement. Fier-Cloporte ne s'entend pas davantage avec son passé. Il a fui le midi par suite de dissensions familiales : « Je n'y reviendrais pour rien au monde. » S'il devait repartir, il penserait qu'il doit mourir. Ainsi le passé vient-il buter contre une grille d'égout, le présent, retenant tous les immondices. Fier-Cloporte sort de chez lui. Sur son palier il croise un Avignonnais, dont la seule conversation consiste à détester les Nord-Africains ; il se croit de gauche, et libéral.

     

    Fier-Cloporte évite tant qu'il le peut les trois frères algériens du rez-de-chaussée, « toujours à traîner dans l'escalier avec leurs gueules d'assassins ». Pour quitter son appartement, il entrebâille la porte et la referme dès qu'il les aperçoit. Il ne se hasarde au dehors que s'il est certain de ne pas les croiser. La rue descend, gainée de trottoirs rouges, vers un alignement perpendiculaire de bâtiments surbaissés : le café, le boucher, l'épicier, la poste. D'autres commerces s'alignent sur la gauche. Des groupes de jeunes gens, à pied, à Mobylette, se forment et se déforment. Souvent il ralentit le pas pour qu'ils se dispersent.

     

    D'autres stagnent interminablement, il doit les traverser pour gagner le tabac ou la boîte aux lettres. Il poste son courrier plus loin, s'impose des détours, crainte de voir ses enveloppes rejointes dans la boîte par des mégots, des chewing-gums. L'art consiste donc à louvoyer entre les confrontations ; il redresse le dos, qu'il a naturellement voûté, raffermit sa démarche et donne à ses yeux une allure planante afin d'éviter les regards : Cloporte enseigne au collège tout proche ; à tout moment il se trouve exposé aux sourires, aux salutations, aux éventuels quolibets. La peur décuple le danger.

     

    Trop souvent il répond. Son seul nom prononcé à mi-voix le jette dans la rage, parfois des pièces de menue monnaie tintent au sol pour lui signifier qu'il ressemble aux clochards. Quand il peut il riposte, par des cris, des claques ; peu importe le coupable, puisque les enfants, la main dans le sac, nient l'évidence. Il a des envies de meurtre. La pire épreuve est de se rendre au travail. La modicité de ses revenus ne lui permettant pas d'entretenir deux voitures, Tortue-Fé mobilise toujours le seul véhicule pour d'éventuels déplacements, qu'elle n'effectue pas toujours. Aussi Cloporte fait à pied les 700 mètres qui le séparent, à travers les blocs rouges, de son établissement [...]

     

    régulièrement en contre-bas. Traverser la route, franchir les derniers groupes descendus des autocars devant le portail, et le voilà sauf, c'est-à-dire dans la cour, lieu de sa juridiction, où nul théoriquement n'oserait plus le houspiller. Quand il a rejoint la salle des profs au premier, il est chez lui. C'est un grand malheur pour la littérature que la pléthore de professeurs qui y sont représentés. Quand il ne reste plus qu'eux pour écrire, et leurs étudiants pour les lire, c'est signe indubitable de décadence, dixit Courcelles in « Littérature latine tardive » p. 144. Les professeurs en effet ne peuvent parler que de ce qu'ils connaissent : les cours, et les élèves.

     

    Leur ton est moralisateur, ou pédophile : on tourne en rond. Fier-Cloporte a souvent transposé, dans la meilleure tradition romancière, sa vie de con : désormais il se livre, misérablement perdu parmi la masse de ses collègues qui écrivent, pour leur tiroir. Dans cette salle où tous se retrouvent face à face, exhibant leurs lassitudes, Fier-Cloporte fait tout pour conserver son originalité : jeux de mots, histoires salaces. Tosu l'apprécient, à proportion directe de ces talents. Puis à la fin de l'année, il entend s'échanger, sous son nez, les invitations réciproques : tous se fréquentent, s'offrent et se rendent des repas.

     

    Malgré toutes ses tentatives, les collègues, sans exception, se dérobent, invoquent des enfants à chercher aux sorties des écoles : Fier-Cloporte cultive sa grossièreté. Toute sa vie, on l'aura tenu à l'écart. Il comprendra, quand il sera trop tard. Il place des affichettes au mur : « Venez chez moi ; les vannes ne sont pas obligatoires, je me tiens correctement. » Réveille-toi, écrivaillon ! Retrouve le chemin de la charge ! Hélas. Bientôt on lui dit : « C'est ton anniversaire. Qu'est-ce que tu offres ? » Il comprend pourquoi sa vie s'est arrêtée : jamais il n'a consenti à la moindre concession, au moindre arrondissement d'angles : « Vous m'avez toujours refusé. Jamais vous n'avez voulu mettre les pieds chez moi. Je me suis ridiculisé avec mes affiches. Crevez maintenant avec tous vos gueuletons. »

     

    Un homme lui a dit à la dérobée : « Tu peux finir ce vin et ce fromage qui traînaient dans l' armoire. » Il but et mangea, engueula diverses personnes toutes coupables de n'être pas conforme à sa propre morale. Nauchac fut traité plus bas que terre pour avoir voyagé plus loin que le Cloporte : « Au Sénégal, il fait trop chaud. On ne mange que des poissons. » « Je suis allé à Rouen ! » gueulait le Cloporte. « A Rouen ! Tout ce que mon budget m'a permis...! » Oh le niais, de mesurer toute chose à l'aune de son appétit ! Qui es-tu, Fier-Cloporte ? Rien d'un comique, crois-moi.

     

    Tu fatigues les femmes de tes assiduités, tu te plains bruyamment de tes échecs en cours, tu récrimines. Tu exposes à tes élèves les théories les plus hallucinantes sur l'onanisme. Pourquoi les enfants t'aiment-ils ? ...Dans ce portrait que Fier-Cloporte a fait de lui, rien que du noir. Il faut bien qu'il y ait autre chose, pour qu'il ait seulement survécu. Mais il ne le voit pas. Un jour cependant, ayant organisé entre filles un concours à celle qui se ferait jouir le plus vite, il fut arrêté, dénoncé, disparut quelque temps. Vous le retrouverez fort justement en prison, où il rédigea ces mémoires que vous lûtes.

     

    11 9 2037, 22h.

     

  • Portrait présumé de Plotin

     

    Mal m'en prit, j'achetai un jour pour moins de 10€ ce volume sous jaquette consacré à des extraits du grand néo-platonicien Plotin. C'est la plupart du temps rigoureusement incompréhensible à tout non spécialiste. Une femme a tracé le portrait de couverture et le dos du livre, et cela se voit : ligne claire, absence totale de vigueur. Mais il s'agit peut-être d'une recommandation de l'édition du Monde, "Le Monde de la philosophie", et de mon sexisme. Bref, le front vaste et direct se trouve envahi par le nom du philosophe, "Plotin". Le cou porte le titre général, "Sur le beau" et autres traités. Nous traiterons en d'autres lieux de la matière de ces écrits. Aujourd'hui, c'est le portrait qui nous préoccupe.

     

    Un homme jeune, quarante ans selon nos critères, à fine barbe en pointe, avec moustaches claire et lèvre inférieure imberbe, dégageant une clairière ovale au-dessus du menton. La pilosité remonte au-devant des oreilles bien plaquées, pour faire pont avec une chevelure juste esquissée par la mise en page. Le bouche est droite et moyenne, la lèvre supérieure légèrement saillante, les coins juste un peu abaissés, réfléchis mais point sévères. Le nez, de face, très difficile à dessiner pour qui ne sait pas la technique d'ombrage, se dispense peut-être de l'adjectif "grec" ; il présente, exactement comme il le faut, deux plis inclinés latéraux symétriques, et la fameuse souple ondulation qui mène au centre de l'arc labial. Pommettes hautes, sourcils harmonieux, regard perdu dans les lointains de la philosphie, qui n'empêchent pas la rectitude ni l'amabilité latente.

     

    Le col est dégagé, la pomme d'Adam se signale par un subtil jeu d'ombre, et le bas des pommettes, les joues, se relèvent par un beau travail d'estompe au crayon. Le parfait jeune homme, propre sur lui, bien abstrait, perdu dans la gravité à demi-souriante, expression plastique de l'harmonie hellénique, avec un je ne sais quoi de latin dans la barbiche en feuille d'artichaut, juste à la dimension du poing qui va la tirer. Cet homme dégage une impression de forte banalité, de fiche anthropométrique, de conformisme, de froideur voire d'inhumanité, à cause de son crayon maigre et de l'académisme de ses formes. Il n'est certes pas exclus qu'il s'anime, dans la chaleur d'un exposé ou la détente d'un entretien privé.

     

    Fresques hongroises.JPG

    Mais il semble bien plutôt refléter le conformisme de la dessinatrice, bien belle et comme-il-faut, que les rêveries du profond penseur qui se perd dans ses lacets – peut-être en effet songe-t-il. Pour lui tout est clair, comme en témoigne l'assurance de son regard, dépourvue toutefois d'insolence, puisqu'il a découvert la vérité de Platon, tout en la complétant de façon personnelle : il en a tiré les conséquences logiques. La légère ombre de l'œil droit (par rapport à nous) ne provient pas d'un doute, mais de l'étourdissement de l'homme qui accède aux mystères de l'univers, voire de la vérité, dont la contemplation laisse des brumes dans le regard. J'ignore si nous avons des reproductions de Plotin contemporaines de son vivant

     

     

    . Nous aurions préféré cela sans doute, quoique l'art du portrait se bornât sans doute alors à quelques indications stéréotypées, barbe du sage ou nimbe du saint. Plotin me regarde d'un air engageant, prêt à débattre avec moi dans l'amitié et la sérénité, proche et lointain, propre et austère, sobre et joyeux si les circonstances y prêtent : c'est un homme libre, qui respire la droiture et la franchise.

     

    Un peu raide comme tous ceux qui ont la foi de ce qu'ils disent ou écrivent.

     

  • Sénèque, "De la vie brève"

     Sénèque et sa pensée contredisent l'aventureux Michel Onfray dans son affirmation qu'il n'existait pas, dans l'Antiquité, de philosphes n'exerçant pas leur vie de la même façon que leur doctrine : voici en effet un intrigant, un captateur présumé de testaments, le précepteur enfin de Néron, qui prête le flanc à la critique au point que c'en est pathétique ; cela nous le rend sympathique et attirant. Il nous dit, il reconnaît, qu'il n'est pas facile de vivre selon d'excellents préceptes, que l'on peut fort bien transmettre aux atutres. "Faites ce que je dis, et pas ce que je fais", n'est qu'une opposition mesquine. Je crois avoir utilisé une psychiatre qui reléguait sa mère à l'état de secrétaire et dont la salle de bain était, à la lettre, dégueulasse.

     

    Elle me fut cependant indispensable, et j'ai réappris l'amour grâce à elle, le temps des séquences d'entretien. Je suis retombé amoureux juste en l'abandonnant. Mon plaisir d'amour ne m'est pas tombé du ciel par enchantement. Si, un ivrogne peut apprendre à ne plus boire. Si, un boiteux peut apprendre à courir : il existe bien des maîtres de ballet vieillis, qui ne peuvent plus éxécuter les mouvements, mais qui façonnent les futures étoiles. Cette objection préliminaire, que nul ne nous avait faite, mène à d'autres compliments : Sénèque nous entretient De la brièveté de la vie. C'est exactement ce qu'il nous fallait l'avant-veille de notre septantième anniversaire. Il y a donc la partie de notre vie que Dieu même ne pourrait changer, le passé, qu'il nous reste indéfiniment à commenter, à faire entrer dans la fosse comme on danse sur un cercueil récalcitrant ; l'avenir, si court, et le présent, si négligé.

     

    Il nous faudrait donc être avare de ce peu de temps qui nous est imparti. Le temps que nous arrachent "les autres" est du temps perdu. Assurément, Sénèque ; mais tu concèdes que le temps consacré à nous-mêmes par nous-mêmes est également perdu, puisque tout fuit, puisque tout meurt. Tu es avare, tu ne l'es pas ? Tu crèves quand même. Adoncques, dira Montaigne, Michel de, l'essentiel est de vivre à propos. Eh quoi ! N'avez-vous point vécu ? Envoyer chier les importuns, certes, assurément. Mais aussi les rappeler, de temps en temps, malgré les dégâts du "double-lien". Travailler, moins se poser de questions, et s'il nous en survient, laisser passer l'interrogation, laisser fuir l'angoisse avec le reste, et engranger notre passé dans notre grenier. Le virage au tracteur.JPG

     

    Nous voilà aussi sage que Sénèque. Nous voilà pleins de contemplation pour ces humains qui se rassemblent autour d'une table de verre pour exposer, devant Taddéi, leurs deux petites idées (c'est à peu près le nombre) qui sauveront, infailliblement ! la France. Un Attali ! "Faire de sa vie une œuvre d'art !" Que chacun devienne ce qu'il a envie de devenir ! Mais qui voudra vider nos poubelles, ou fabriquer nos râpes à fromage ? Personne, Attali, personne... Il est pathétique de voir chacun des participants balayer les arguments des autres (à condition qu'ils finissent leurs phrases) et vite vite disposer les deux ou trois pièces du jeu de cubes dont il a compris le fonctionnement. De la discussion ne jaillit jamais la lumière – c'est de Henri-François Rey, vous savez, celui qui termine son roman par "les aboiments des chiens le distrayèrent" – à moins que ce ne soit Bernard Frank, autre penseur du samedi soir. Ed anch'io son' pensatore... Notre passé ainsi, pense Sénèque, "ne peut retomber au pouvoir de personne" ? Ah mais si. Je reprends la vie de Jeanne d'Arc, ma propre vie, on se rejoue Les mains sales. Nos évènements nous appartiennent.

     

    Ils n'existent que dans la mesure où l'on peut les réinterpréter. Les conseils de Sénèque sont revigorants, mais il n'est pas interdit de broder, de contredire. "Voilà ce qui échappe aux gens occupés ; car ils n'ont pas le loisir de jeter un regard sur le passé" – ins Zahnfleisch, Mensch ! Sénèque vise son cœur de cible : ceux qui remuent, qui remuent, qui remuent. Les blaireaux. Les cons. Tes cons et blaireaux à toi, les mêmes, ceux qui seront plus tard les plus actifs du cimetière. Nous raisonnons sur la représentation, sur l'arbitraire et le rien. Très exactement comme ces mathématiciens que tu conspues si volontiers. C'est dans le De beneficiis : "Nul d'entre nous" (je tâche de traduire) "n'a même connu ce temps qui passe à vive allure, peu retournent leur esprit vers le passé" – car il n'est pas donné à tous, comme tu crois, de se retordre le cou vers l'arrière.

     

    Ils existeraient donc, ces gens qui proclement "Le passé, c'est le passé" – "Il y a longtemps de cela", "Comment ? vous travaillez encore là, vous ?" - oui, braves connes, vous voilà donc aussi mordues par le virus de l'ambition de l'homme – et, l'auraient-ils, [ce regard], il leur serait désagréable de se rappeler ce qui doit leur inspirer du remords. Nul n'est plus seul que dans la foule – de même, nul n'est plus sincère que l'homme plongé dans le bain pour désirer la sécheresse. Le bain, c'est la cour de Néron. La sécheresse serait la pure méditation, la pure contemplation, l'union avec le Grand Principe. Ne rien faire et penser, sentir comme un chat, dormir à la Milarépa. Mais ne voyons avec Sénèque et jusqu'ici que ces agités du neg-otium, ces traficants du temps pour de l'argent (dont on ne se sert pas), du pouvoir (illusoire), de la frime. Aussi mettent-ils peu d'empressement à se remémorer le temps mal employé – ce qui contrevient à la morale, voire à l'éthique personnelle fût-elle réduite à ses linéaments. J'ai passé mon temps à des conneries. J'ai honte. "Eh ! Aliocha, qui peut dire ce qui sert, et ceu qui ne sert pas ?" "Vous vous arrangez pour toujours traîner les propositions à leur point limite, afin de conclure qu'elles n'existent pas : six sur vingt." Pauvre chère Françoise Licari morte ! Ils auraient honte donc, ces vibrillons, d'avoir gaspillé toute l'eau de la vie ? Et ils n'osent pas s'arrêter à ces moments dans lesquels (ea retemptare) leurs vices, même ceux que masquaient l'attrait de quelque volupté présente, se dévoilent à la réflexion. Les coupables visés pourraient pourtant prétendre qu'ils ont appliqué le "carpe diem" d'Horace. Mais cet hédonisme n'est pas dans Sénèque, soigneusement zappé lui aussi par Onfray ; le philosophe cordouan nous parle de morale, de choses auxquelles nous devrions, toutes affaires cessantes au sens propre de l'expression, nous consacrer. Qui ne serait ni la volupté passagère, ni la méditation sur le monde et le néant du monde, mais la conscience du soi peut-être, en tout cas pas la boustifaille ni la chasse aux places

     

  • La femme, le prêtre et le psychiatre - Version argotique

     

     

    Le jour de mes cinquante-six ans je me suis pris une grosse claque dans ma gueule.

     

    Je reviens du travail et qu'est-ce que je trouve chez moi, deux arnaqueurs du genre à m'emprunter sept briques remboursables au compte-gouttes en criant misère tous-les-mois-quand-j'y-pense, total c'est encore moi le blaireau qui râle, ma meuf me dit j'avais pensé tu penses ma conne ? que ça te ferait plaisir d'avoir des invités putain c'est tes amis pas les miens, ton idée pas la mienne, ce prêt à la con dans le dos pendant que je bosse et que t'as rien à foutre at home à part glander, ni talon de chèque ni reconnaissance de dette merci bobonne t'es l'amour de ma vie, bon anniversaire et bonne soirée jusqu'à deux heures du mat' à 7h je repartais bosser ma femme toujours au lit et d'un seul coup d'un seul j'ai plus voulu voir personne plus parler ni boulot ni famille, ma carte bleue le train jusqu'à St-Flour et me v'là.

     

    Taurillon.JPGCeux qui me disent que c'est pas le bout du monde Bordeaux-Clermont par St-Germain je les emmerde parce qu'ils ne sortent pas de leur trou franchement qu'est-ce que j'irais foutre à Sucre à Mexico à me chier la tourista sur les grolles Rapatriement Europe-Assistance vos gueules. Avant j'avais l'avenir derrière, pension des vieux et agagah parce qu'en ce temps-là y avait pas les progrès de la médecine la longévité tout ça c'était 65 70 et la mort porte en face au fond du couloir où qu'il est passé ce foutu couloir et j'encule tous les magazines et les campagnes de presse et les papy-mamies qui se traitent de jeune homme en se tapant sur l'épaule t'es bien conservé pour ton âge. Moi je me vois bien dans ma glace mon menton qui s'affaisse

  • Regain de Giono

     

    Giono. Regain. C'est un monument. Délaissé, qu'on ne visite plus, sauf historiquement. Mais un monument tout de même. Au point que le critique en prendrait bien le style, ample, marchant l'amble, pré-durassien s'il n'était pas si différend par ce qu'il recouvre. D'abord, vérifier : le regain, c'est quoi ? « Retour ou accroissement d'un avantage, d'une qualité, etc., qui paraissaient décliner : Regain de santé » : c'est sur internet, on s'incline ; j'aurais cru que c'était aussi quelque chose d'agricole. «  Herbe qui repousse après la première fauchaison ». C'est mieux. En effet, le Panturle, abandonné par la Mamèche si j'ai bonne mémoire, se laisse aller, puis se retrouve femme, une certaine Arsule, provençalisme d'Ursule, « la petite ourse », « l'oursonne ».

     

     

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    Alors forcément, il se remet à espérer, elle lui fait emprunter de la semence de blé, qu'on rendra juste après la première moisson ; il a l'idée d'aller trouver un vieux qui sait parfaitement forger les socs de charrue, et leur adapter un manche en bois bien solide. Il trouve le vieil homme paralysé, à ne pas pouvoir lever les mains de sa canne, mais qui lui indique sa dernière production ; bien cachée, bien solide, juste avant l'attaque. Et puis il emprunte aussi, le Panturle, dont le nom ressemble à Panurge, « l'ouvrier universel », un cheval pour tirer sa charrue et son soc pour couper la terre. Et puis ces deux-là, Panturle et l'Arsule, s'entendent bien sur cette terre fertile à condition qu'on s'y mette comme des bœufs : elle lui a fait acheter des allumettes, étendre des draps.

     

    Pour la séduire, l'homme quadragénaire a mis le paquet : il s'est étendu sur le dos, à poil au crépuscule, et l'a laissée venir ; elle a d'abord saisi le poigner, puis autre chose sans doute, et ça s'est fait comme ça. Essayez donc un peu les gars si vous voulez finir à la gendarmerie. Là-haut en Provence pas de gendarme, juste le ciel, la terre et les muscles, si on veut s'en donner le courage. Carrément la Bible, mais vous connaissez Giono. Il ne m'a jamais décu : une respiration qui vient du sol et du haut pays, d'entre Manosque et Digne. Les gens de là-bas ne l'aimaient pas : « Comment il nous a décrit le cong ! On n'est pas des bêtes ! » Il les fait parler, hommes et femmes, par formules courtes et denses, juste ce qu'il faut, avec des régionalismes que vous découvrirez tout à l'heure.

     

    Des régionalismes qui sentent l'archaïsme de bibliothèque : est-ce du haut provençal, ou du Giono . Saint-John-Perse nous fait de ces trucs-là. Des distorsions, « il fait bon tiède », « il fait bon chaud », « il fait grand beau » (celui-là c'est du Lausanne). Des femmes qui marchent à l'homme comme la chèvre au bouc. Des étreintes rudes et sans chichis, à la masculine. « On n'est pas des bestiaux ». Oui, mais il se trouve que ces paysans de Giono nous attirent plus, nous enseignent plus, dans leurs partis-pris hugoliens d'Ancien Testament, que les crétins qui tuent les éleveurs de chèvres parce qu'ils sont venus de Paris, ou qui assaillent un avocat dans le dos parce qu'il défend un enfanticide, ou qui cherchent à plumer le touriste ou simplement celui du village voisin parce que ce- lui-là il n'est pas de chez nous putaing. Vivent les paysans et les gratteurs de terre de Giono, qui ébranlent le monde dès qu'ils font un geste ou qu'ils disent une phrase. Des gens qui s'aident et qui se prêtent du matériel et de la semence au lieu de dauber sur le compte du voisin, des femmes qui ne voient pas le problème de coucher avec un homme au lieu de s'exciter la myrtille sur les présentateurs de télé.

     

    Rien n'a peut-être existé tel quel, dans cette grandeur, dans ce dépouillement pacifique. Avant la guerre, Giono fondait un mouvement campagnard pratiquement communautaire avec 45 ans d'avance, et ce n'était pas l'amour de la guerre qui le faisait marcher. Y compris en 39. Mais ses hommes sont immenses jusqu'à l'horizon, ses femmes taciturnes et robustes recousent les pantalons avec gravité en fermant fascistement leur gueule. C'est la nature. Pas marrant pour elles, pas marrant pour les hommes non plus qui bouffent comme quatre ou comme un demi les mauvaises années, pour se coucher à soixante ans sans se relever. Pas de police, pas d'école, pas de flics, pas de vacanciers.

     

    Un monde pas possible, ou vers 1901, bien rafistolé, bien étayé par la littérature, qui dépeint les choses de façon tellement plus vraie, à grandes respirations universelles sous le vent qui soulève. Et nous pourrions continuer longtemps comme ça, de Regain à Que ma joie demeure en passant par Les âmes fortes, avec la sublime Arielle Dombasle, jusqu'au Roi sans divertissement qui reste le chef-d'œuvre de Giono avec Le hussard sur le toit. Et tout cela inspira des films, Regain en 1937 réalisé par Marcel Pagnol, avec Fernandel, Gabriel Gabrio et Orane Demazis, la même que Fanny. Alors avant de radoter, nous vous emmenons dans le livre, quand le renouveau ou regain de Panturle s'est déjà bien enraciné, grâce à l'Arsule, sans autres évènements que la reconstitution d'un hameau de trois habitants : c'est vers la fin, dans une petite ville qui n'est guère qu'un marché, où convergent les rudes habitants du coin qui n'aimait pas Giono.

     

    « Malgré le mauvais an, le grand marché d'été a rempli la villotte. Il y a des hommes et des chars sur toutes les routes, des femmes avec des paquets, des enfants habillés de dimanche » et non pas « en dimanche », mais nous n'allons pas vous le faire observer à chaque fois, « qui serrent dans leurs poings droits les dix sous pour le beignet frit. Ça vient de toutes les pentes des collines. Il y en a un gros tas qui marche sur la route d'Ongles, tous ensemble, les charrettes au pas et tout le monde dans la poussière ; il y en a comme des graines sur les sentiers du côté de Laroche, des piétons avec le sac à l'épaule et la chèvre derrière ; il y en a qui font la pause sous les peupliers du chemin de Simiane , » dans les Bouches-du-Rhône en dessous de Gardanne pour vous situer, « juste dessous les murs, dans le son de toutes les cloches de midi. Il y en a qui sont arrêtés au carrefour du moulin ; ceux de Laroche ont rencontré ceux de Buëch. Ils sont emmêlés comme un paquet de branches au milieu d'un ruisseau. Ils se sont regardés les uns les autres d'un regard court qui va droit des yeux aux sacs de blé. Ils se sont compris tout de suite.

     

    « Ah ! qu'il est mauvais, cet an qu'on est à vivre ! »

     

    « Et que le grain est léger ! «  - « Et que peu il y en a ! »

     

    « Oh oui ! »

     

    Les femmes songent que, là-haut sur la place, il y a des marchands de toile, de robes et de rubans, et qu'il va falloir passer devent tout ça étalé, et qu'il va falloir résister. D'ici, on sent déjà la friture des gaufres ; on entend comme un suintement des orgues, des manèges de chevaux de bois ; ça fait des figures longues, ces invitations de fête dans un bel air plein de soleil qui vous reproche le mauvais blé.

     

    « Dans le pré qui pend, » (entendez : sur la pente) « à l'ombrage des pommiers, des gens de ferme se sont assis autour de leur déjeuner. D'ordinaire, on va à l'auberge manger la « daube ». Aujourd'hui, faut aller à l'économie ». Mais ce n'est pas du Zola, tout de même.

     

    « Ça n'est pas que l'auberge chôme ; oh ! non : à la longue table du milieu, il n'y a plus de place et déjà on a mis les guéridons sur le côté, entre les fenêtres, et les deux filles sont rouges, à croire qu'elles ont des tomates mûres sous leurs cheveux » (pouah...), « et elles courent de la cuisine à la salle sans arrêter, et la sauce brune coule le long de leurs bras » (repouah). « Ça n'est pas qu'on ait le temps de dire le chapelet à l'auberge, non, mais ceux qui sont là c'est surtout le courtier du bas pays, le pansu qui vient ici pour racler le pauvre monde parce qu'il sait mieux se servir de sa langue et qu'il veut acheter avec le moins de sous possible » pour Auchan ou pour U, les nouveaux commerçants. « Pas du beau monde. Sur la place, les colporteurs et les bazars ont monté des baraques de toile entre les tilleuls. Et c'est, répandu à seaux sous les tentes : des chapeaux, des pantoufles, des souliers, des vestes, des gros pantalons de velours, » des i-pods, « des poupées pour les enfants, des colliers de corail pour les filles, des casseroles et des « fait-tout » pour les ménagères et des jouets et des pompons pour les tout-petits, et des sucettes pour les goulus du tété (RECORD DE VULGARITE : BATTU)  dont les mamans ne peuvent pas se débarrasser.