Proullaud296

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Texte obsessionnel

 

 

Vitrines : des « monstres ». Où plastronnent où pullulent en désordre savant (déplacé, chaque objet fait son rond de poussière sur le bois) – cerfs de verre filé de Murano, oeufs d'onyx ou sottises de brocante voisinant avec des débris de grandeurs révolues : ainsi ce qui subsiste des salons, des ateliers d'antan : bestiaires ; portraits ; photos, classées en « hommes » et « femmes » par albums.

 

Tortue Fébrile peint. Peignait, peindra. Fier-Cloporte s'il voulait ne tarirait pas de sarcasmes voire de soupirs ; pour sa ruine, car, un membre du couple écrasé, comment l'autre survivrait-il ?

 

...Dosons plutôt : les Tableaux de la Tortue couvrent en tous sens l'espace libre, couvrent le premier salon, s'empilent dans un angle du second, tableaux évanescents par la minceur (économique) de la pâte, terribles à la fois, par les thèmes de Folie, de Nudité, de Mutilation.

 

Changement de décor : s'il s'agit pour Fier-Cloporte de présenter plutôt une concertiste- il s'agira pour justifier les toiles au mur d'invoquer quelque inexorable prurit de collection, inexplicable si l'on songe au peu de soin des yeux qu'affichent les musiciens, au peu de goût non plus d eces derniers pour les arrangements de leurs appartements : une inconciliabilité des deux arts. A moins que décidément ce ne soient plus aux murs qu'innombrables portées des maîtres les plus fameux, si bien qu'il n'y ait plus que des barres horizontales de prison ; que Tortuga n'ait rien de plus pressé que de clore en permanence, en morbide persévérance, toutes les issues, allant jusqu'à regretter de n'être pas aveugle, tels ces rossignols chinois aux yeux crevés par une épingle d'or afin de mieux chanter.

L'Hôtel de ville d'Aurillac.JPG

 

 

...Tortue Fébrile est possédée par la passion de peindre. Fier-Cloporte composa tous les commentaires, de ceux que l'on punaise soius plastique en marge sur les murs ; ô tableaux compagnons immortels, etc., et sans jus suffisant. Tortue Fée vit dans un monde encombré de toiles peintes, et dans se cauchemars elle écarte ses toiles encore humides et pesantes de lin et de cadmium, étouffe et se réveille et dans la nuit réclame de la lumière, un store juste soulevé même sans lune. Mais il n'arrive rien, telle est la volonté du Fier-Cloporte prisonnier de son trou ; ô mondes cette fois incommunicables, à jamais et sans cesse liés, unis par le simple mur de séparation d'entre chambre et salon...

 

Dépeindra-t-il sa compagne et peintre sous les traits péjoratifs dont il aimerait l'affubler ? Ou sous le charme caucasien dont rien ne peut la déparer ? ...deux pommettes podoliennes, un nez refait, des sourcils arqués. Elle est tout le bien du Cloporte, le mur, le plastron de ses vains assauts, car là n'est pas l'adversaire – dès lors, qu'importe de la charger de tous les maux, d'imaginer que de ses seuls atermoiements des décennies durant sont parvenues les ruines où l'on voit à présent se débattre ce couple miséreux ? la destinée remonte plus haut. Cloporte, écris : « Cette indéracinable velléitaire, me berçant d'espoirs, me faisait croire en sa mise au travail prochaine.

 

Nous gagnâmes peu d'argent, la cinquantaine nous surprend dans la gêne. Son caractère fut renfermé, refusant le contact des fâcheux, aussi son ambition échoua-t-elle » . Cloporte suinte, dégouline de torts. Qu'il dissimule avec soin. Se dessèche et se fuit. Tortue-Fée (concertiste ou peintre) a toujours refusé de jouer en public, d'exposer « moyennant [sa] vertu » disait-elle. « Cet homme voulait que je vienne dans son lit.  - Bon, disait-il, tu trouves ton prétexte. » Cloporte a perdu sa fonction du roman comme on perd la clef du champ de manoeuvres. Il a perdu l'art de s'éloigner de son modèle s'il existe, pour l'animer, le triturer ou le blesser.

 

Tortue-Fée va changer de lieu. Tout commencera ainsi : « Dans un faubourg ouest de Bruxelles, vivait une grosse dame en haillons, se tartinant de graisse humide, et peignant des seins durs vert et rouge, ou des rochers couverts de fongosités brunes. » (6-9-2047) « Elle s'habille sans goût, pensant camoufler sa graisse sous des monceaux de chiffons qui sont autant de vêtements. » Bien que ces écrits en recèlent aucune intrigue à venir, il faut aprler, face à la chambre du Cloporte. Ce dernier manque de maturité, toujours long, maigre, tourmenté ; cheveu hirsute, posté à la fenêtre, en retrait du store à demi baissé, et tire sur les passants avec une carabine à petits plombs.

 

Du premier étage, aucun danger. Mais les voisins se plaignent. Il y en a qui font un détour. La police n'intervient pas. Son père surgit : « Va voir les filles ! » Le fils continue à tirer.

 

Tortuga l'admoneste parfois, mollement : « ...et si les autres t'en faisaient autant ? » Personne en effet n'a jamais riposté, en un mot Cloporte et sa famille habitent une HLM. Blessé dans sa vanité, ce dernier parcourt alors l'appartement avec des cris inarticulés. « Un jour, les voisins t'enverront dans un asile ! - tu leur résisteras n'est-ce pas ? Tu leur résisteras ? » Tortue-Fé lui promet de résister et l'embrasse passionnément. Cloporte est parvenu à obtenir cet appartement après bien des démarches. C'est finalement l'assistante sociale qui lui a obtenu le droit d'y vivre ; cependant le niveau d'instruction de Cloporte lui rend difficilement supportable de cohabiter avec des semi-illettrés, des bas-de-classe, qui pourtant le tolèrent.

 

Il a bien observé cependant, par les fenêtres d'un rez-de-chaussée, l'abondante bibliothèque d'un voisin ; cet excellent père de famille lui semble trop raffiné. Il s'abstient, lucidement. Fier-Cloporte ne s'entend pas davantage avec son passé. Il a fui le midi par suite de dissensions familiales : « Je n'y reviendrais pour rien au monde. » S'il devait repartir, il penserait qu'il doit mourir. Ainsi le passé vient-il buter contre une grille d'égout, le présent, retenant tous les immondices. Fier-Cloporte sort de chez lui. Sur son palier il croise un Avignonnais, dont la seule conversation consiste à détester les Nord-Africains ; il se croit de gauche, et libéral.

 

Fier-Cloporte évite tant qu'il le peut les trois frères algériens du rez-de-chaussée, « toujours à traîner dans l'escalier avec leurs gueules d'assassins ». Pour quitter son appartement, il entrebâille la porte et la referme dès qu'il les aperçoit. Il ne se hasarde au dehors que s'il est certain de ne pas les croiser. La rue descend, gainée de trottoirs rouges, vers un alignement perpendiculaire de bâtiments surbaissés : le café, le boucher, l'épicier, la poste. D'autres commerces s'alignent sur la gauche. Des groupes de jeunes gens, à pied, à Mobylette, se forment et se déforment. Souvent il ralentit le pas pour qu'ils se dispersent.

 

D'autres stagnent interminablement, il doit les traverser pour gagner le tabac ou la boîte aux lettres. Il poste son courrier plus loin, s'impose des détours, crainte de voir ses enveloppes rejointes dans la boîte par des mégots, des chewing-gums. L'art consiste donc à louvoyer entre les confrontations ; il redresse le dos, qu'il a naturellement voûté, raffermit sa démarche et donne à ses yeux une allure planante afin d'éviter les regards : Cloporte enseigne au collège tout proche ; à tout moment il se trouve exposé aux sourires, aux salutations, aux éventuels quolibets. La peur décuple le danger.

 

Trop souvent il répond. Son seul nom prononcé à mi-voix le jette dans la rage, parfois des pièces de menue monnaie tintent au sol pour lui signifier qu'il ressemble aux clochards. Quand il peut il riposte, par des cris, des claques ; peu importe le coupable, puisque les enfants, la main dans le sac, nient l'évidence. Il a des envies de meurtre. La pire épreuve est de se rendre au travail. La modicité de ses revenus ne lui permettant pas d'entretenir deux voitures, Tortue-Fé mobilise toujours le seul véhicule pour d'éventuels déplacements, qu'elle n'effectue pas toujours. Aussi Cloporte fait à pied les 700 mètres qui le séparent, à travers les blocs rouges, de son établissement [...]

 

régulièrement en contre-bas. Traverser la route, franchir les derniers groupes descendus des autocars devant le portail, et le voilà sauf, c'est-à-dire dans la cour, lieu de sa juridiction, où nul théoriquement n'oserait plus le houspiller. Quand il a rejoint la salle des profs au premier, il est chez lui. C'est un grand malheur pour la littérature que la pléthore de professeurs qui y sont représentés. Quand il ne reste plus qu'eux pour écrire, et leurs étudiants pour les lire, c'est signe indubitable de décadence, dixit Courcelles in « Littérature latine tardive » p. 144. Les professeurs en effet ne peuvent parler que de ce qu'ils connaissent : les cours, et les élèves.

 

Leur ton est moralisateur, ou pédophile : on tourne en rond. Fier-Cloporte a souvent transposé, dans la meilleure tradition romancière, sa vie de con : désormais il se livre, misérablement perdu parmi la masse de ses collègues qui écrivent, pour leur tiroir. Dans cette salle où tous se retrouvent face à face, exhibant leurs lassitudes, Fier-Cloporte fait tout pour conserver son originalité : jeux de mots, histoires salaces. Tosu l'apprécient, à proportion directe de ces talents. Puis à la fin de l'année, il entend s'échanger, sous son nez, les invitations réciproques : tous se fréquentent, s'offrent et se rendent des repas.

 

Malgré toutes ses tentatives, les collègues, sans exception, se dérobent, invoquent des enfants à chercher aux sorties des écoles : Fier-Cloporte cultive sa grossièreté. Toute sa vie, on l'aura tenu à l'écart. Il comprendra, quand il sera trop tard. Il place des affichettes au mur : « Venez chez moi ; les vannes ne sont pas obligatoires, je me tiens correctement. » Réveille-toi, écrivaillon ! Retrouve le chemin de la charge ! Hélas. Bientôt on lui dit : « C'est ton anniversaire. Qu'est-ce que tu offres ? » Il comprend pourquoi sa vie s'est arrêtée : jamais il n'a consenti à la moindre concession, au moindre arrondissement d'angles : « Vous m'avez toujours refusé. Jamais vous n'avez voulu mettre les pieds chez moi. Je me suis ridiculisé avec mes affiches. Crevez maintenant avec tous vos gueuletons. »

 

Un homme lui a dit à la dérobée : « Tu peux finir ce vin et ce fromage qui traînaient dans l' armoire. » Il but et mangea, engueula diverses personnes toutes coupables de n'être pas conforme à sa propre morale. Nauchac fut traité plus bas que terre pour avoir voyagé plus loin que le Cloporte : « Au Sénégal, il fait trop chaud. On ne mange que des poissons. » « Je suis allé à Rouen ! » gueulait le Cloporte. « A Rouen ! Tout ce que mon budget m'a permis...! » Oh le niais, de mesurer toute chose à l'aune de son appétit ! Qui es-tu, Fier-Cloporte ? Rien d'un comique, crois-moi.

 

Tu fatigues les femmes de tes assiduités, tu te plains bruyamment de tes échecs en cours, tu récrimines. Tu exposes à tes élèves les théories les plus hallucinantes sur l'onanisme. Pourquoi les enfants t'aiment-ils ? ...Dans ce portrait que Fier-Cloporte a fait de lui, rien que du noir. Il faut bien qu'il y ait autre chose, pour qu'il ait seulement survécu. Mais il ne le voit pas. Un jour cependant, ayant organisé entre filles un concours à celle qui se ferait jouir le plus vite, il fut arrêté, dénoncé, disparut quelque temps. Vous le retrouverez fort justement en prison, où il rédigea ces mémoires que vous lûtes.

 

11 9 2037, 22h.

 

Commentaires

  • On voit souvent des zobs céder, moins souvent des zobs secs.

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