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Regain de Giono

 

Giono. Regain. C'est un monument. Délaissé, qu'on ne visite plus, sauf historiquement. Mais un monument tout de même. Au point que le critique en prendrait bien le style, ample, marchant l'amble, pré-durassien s'il n'était pas si différend par ce qu'il recouvre. D'abord, vérifier : le regain, c'est quoi ? « Retour ou accroissement d'un avantage, d'une qualité, etc., qui paraissaient décliner : Regain de santé » : c'est sur internet, on s'incline ; j'aurais cru que c'était aussi quelque chose d'agricole. «  Herbe qui repousse après la première fauchaison ». C'est mieux. En effet, le Panturle, abandonné par la Mamèche si j'ai bonne mémoire, se laisse aller, puis se retrouve femme, une certaine Arsule, provençalisme d'Ursule, « la petite ourse », « l'oursonne ».

 

 

Au-dessus d'Aurillac.JPG

Alors forcément, il se remet à espérer, elle lui fait emprunter de la semence de blé, qu'on rendra juste après la première moisson ; il a l'idée d'aller trouver un vieux qui sait parfaitement forger les socs de charrue, et leur adapter un manche en bois bien solide. Il trouve le vieil homme paralysé, à ne pas pouvoir lever les mains de sa canne, mais qui lui indique sa dernière production ; bien cachée, bien solide, juste avant l'attaque. Et puis il emprunte aussi, le Panturle, dont le nom ressemble à Panurge, « l'ouvrier universel », un cheval pour tirer sa charrue et son soc pour couper la terre. Et puis ces deux-là, Panturle et l'Arsule, s'entendent bien sur cette terre fertile à condition qu'on s'y mette comme des bœufs : elle lui a fait acheter des allumettes, étendre des draps.

 

Pour la séduire, l'homme quadragénaire a mis le paquet : il s'est étendu sur le dos, à poil au crépuscule, et l'a laissée venir ; elle a d'abord saisi le poigner, puis autre chose sans doute, et ça s'est fait comme ça. Essayez donc un peu les gars si vous voulez finir à la gendarmerie. Là-haut en Provence pas de gendarme, juste le ciel, la terre et les muscles, si on veut s'en donner le courage. Carrément la Bible, mais vous connaissez Giono. Il ne m'a jamais décu : une respiration qui vient du sol et du haut pays, d'entre Manosque et Digne. Les gens de là-bas ne l'aimaient pas : « Comment il nous a décrit le cong ! On n'est pas des bêtes ! » Il les fait parler, hommes et femmes, par formules courtes et denses, juste ce qu'il faut, avec des régionalismes que vous découvrirez tout à l'heure.

 

Des régionalismes qui sentent l'archaïsme de bibliothèque : est-ce du haut provençal, ou du Giono . Saint-John-Perse nous fait de ces trucs-là. Des distorsions, « il fait bon tiède », « il fait bon chaud », « il fait grand beau » (celui-là c'est du Lausanne). Des femmes qui marchent à l'homme comme la chèvre au bouc. Des étreintes rudes et sans chichis, à la masculine. « On n'est pas des bestiaux ». Oui, mais il se trouve que ces paysans de Giono nous attirent plus, nous enseignent plus, dans leurs partis-pris hugoliens d'Ancien Testament, que les crétins qui tuent les éleveurs de chèvres parce qu'ils sont venus de Paris, ou qui assaillent un avocat dans le dos parce qu'il défend un enfanticide, ou qui cherchent à plumer le touriste ou simplement celui du village voisin parce que ce- lui-là il n'est pas de chez nous putaing. Vivent les paysans et les gratteurs de terre de Giono, qui ébranlent le monde dès qu'ils font un geste ou qu'ils disent une phrase. Des gens qui s'aident et qui se prêtent du matériel et de la semence au lieu de dauber sur le compte du voisin, des femmes qui ne voient pas le problème de coucher avec un homme au lieu de s'exciter la myrtille sur les présentateurs de télé.

 

Rien n'a peut-être existé tel quel, dans cette grandeur, dans ce dépouillement pacifique. Avant la guerre, Giono fondait un mouvement campagnard pratiquement communautaire avec 45 ans d'avance, et ce n'était pas l'amour de la guerre qui le faisait marcher. Y compris en 39. Mais ses hommes sont immenses jusqu'à l'horizon, ses femmes taciturnes et robustes recousent les pantalons avec gravité en fermant fascistement leur gueule. C'est la nature. Pas marrant pour elles, pas marrant pour les hommes non plus qui bouffent comme quatre ou comme un demi les mauvaises années, pour se coucher à soixante ans sans se relever. Pas de police, pas d'école, pas de flics, pas de vacanciers.

 

Un monde pas possible, ou vers 1901, bien rafistolé, bien étayé par la littérature, qui dépeint les choses de façon tellement plus vraie, à grandes respirations universelles sous le vent qui soulève. Et nous pourrions continuer longtemps comme ça, de Regain à Que ma joie demeure en passant par Les âmes fortes, avec la sublime Arielle Dombasle, jusqu'au Roi sans divertissement qui reste le chef-d'œuvre de Giono avec Le hussard sur le toit. Et tout cela inspira des films, Regain en 1937 réalisé par Marcel Pagnol, avec Fernandel, Gabriel Gabrio et Orane Demazis, la même que Fanny. Alors avant de radoter, nous vous emmenons dans le livre, quand le renouveau ou regain de Panturle s'est déjà bien enraciné, grâce à l'Arsule, sans autres évènements que la reconstitution d'un hameau de trois habitants : c'est vers la fin, dans une petite ville qui n'est guère qu'un marché, où convergent les rudes habitants du coin qui n'aimait pas Giono.

 

« Malgré le mauvais an, le grand marché d'été a rempli la villotte. Il y a des hommes et des chars sur toutes les routes, des femmes avec des paquets, des enfants habillés de dimanche » et non pas « en dimanche », mais nous n'allons pas vous le faire observer à chaque fois, « qui serrent dans leurs poings droits les dix sous pour le beignet frit. Ça vient de toutes les pentes des collines. Il y en a un gros tas qui marche sur la route d'Ongles, tous ensemble, les charrettes au pas et tout le monde dans la poussière ; il y en a comme des graines sur les sentiers du côté de Laroche, des piétons avec le sac à l'épaule et la chèvre derrière ; il y en a qui font la pause sous les peupliers du chemin de Simiane , » dans les Bouches-du-Rhône en dessous de Gardanne pour vous situer, « juste dessous les murs, dans le son de toutes les cloches de midi. Il y en a qui sont arrêtés au carrefour du moulin ; ceux de Laroche ont rencontré ceux de Buëch. Ils sont emmêlés comme un paquet de branches au milieu d'un ruisseau. Ils se sont regardés les uns les autres d'un regard court qui va droit des yeux aux sacs de blé. Ils se sont compris tout de suite.

 

« Ah ! qu'il est mauvais, cet an qu'on est à vivre ! »

 

« Et que le grain est léger ! «  - « Et que peu il y en a ! »

 

« Oh oui ! »

 

Les femmes songent que, là-haut sur la place, il y a des marchands de toile, de robes et de rubans, et qu'il va falloir passer devent tout ça étalé, et qu'il va falloir résister. D'ici, on sent déjà la friture des gaufres ; on entend comme un suintement des orgues, des manèges de chevaux de bois ; ça fait des figures longues, ces invitations de fête dans un bel air plein de soleil qui vous reproche le mauvais blé.

 

« Dans le pré qui pend, » (entendez : sur la pente) « à l'ombrage des pommiers, des gens de ferme se sont assis autour de leur déjeuner. D'ordinaire, on va à l'auberge manger la « daube ». Aujourd'hui, faut aller à l'économie ». Mais ce n'est pas du Zola, tout de même.

 

« Ça n'est pas que l'auberge chôme ; oh ! non : à la longue table du milieu, il n'y a plus de place et déjà on a mis les guéridons sur le côté, entre les fenêtres, et les deux filles sont rouges, à croire qu'elles ont des tomates mûres sous leurs cheveux » (pouah...), « et elles courent de la cuisine à la salle sans arrêter, et la sauce brune coule le long de leurs bras » (repouah). « Ça n'est pas qu'on ait le temps de dire le chapelet à l'auberge, non, mais ceux qui sont là c'est surtout le courtier du bas pays, le pansu qui vient ici pour racler le pauvre monde parce qu'il sait mieux se servir de sa langue et qu'il veut acheter avec le moins de sous possible » pour Auchan ou pour U, les nouveaux commerçants. « Pas du beau monde. Sur la place, les colporteurs et les bazars ont monté des baraques de toile entre les tilleuls. Et c'est, répandu à seaux sous les tentes : des chapeaux, des pantoufles, des souliers, des vestes, des gros pantalons de velours, » des i-pods, « des poupées pour les enfants, des colliers de corail pour les filles, des casseroles et des « fait-tout » pour les ménagères et des jouets et des pompons pour les tout-petits, et des sucettes pour les goulus du tété (RECORD DE VULGARITE : BATTU)  dont les mamans ne peuvent pas se débarrasser.

 

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