Proullaud296

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  • Je fais mon petit avantageux...

     

    Lorsque sa mère est morte, tous les collègues et moi-même voulions assister aux funérailles ; ce connard de Sellong... Il y avait là-bas un directeur adjoint de grande qualité, dont j'ai tout oublié, tant il était souple et bon, humaniste. Je ne me souviens hélas que de ce connard (je persiste et je signe) de Sellong, juste capable de masquer de la main ses appréciations, « que je n'ai pas besoin de connaître », avant de me faire signer ma feuille de notation. Si vous saviez tout ce qu'on peut forcer à faire, quand on est un petit maître auxiliaire tout jeune et tout frais. Il m'engueulait, le Sellong, de ne m'être pas présenté après cinq semaines de grève de la SNCF – trente-cinq jours d'absence tout de même : « On n'entre pas dans mon établissement comme dans un moulin ». Qui refuse que j'aille, j'y reviens, aux obsèques de Mme Dudon : « Je ne vais pas, ricanait-il, mettre un panneau sur mon établissement fermé pour cause d'enterrement ». Froid, sec, péteux, petite moustache, excessivement veule, comme tout chef d'établissement qui se respecte...

     

    X

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    Je me trouvais dans la salle aux ordinateurs. Derrière moi, huit femmes, mon métier étant féminisé à mort. Ce grand fendard de Carfini entre dans mon dos. Il sexe-clame niaisement : « Ouh là là ! Huit femmes ! » J'hésitais entre plusieurs formulations : « Qu'est-ce que tu veux que ça me foute ? » me semblait grossier, “...que j'en fasse” : incorrect, car on n'emploie pas “en” pour des êtres animés - je me suis décidé à retardement pour un faiblard  “Qu'est-ce que tu veux que j'en aie à faire ?” - qui me permit tout de même de percevoir, sorti des minces lèvres d'une de nos pimbêches : “Si c'est pas malheureux d'entendre ça...” La pimbêche en question filait paraît-il le parfait amour avec le nommé Carfini. Elle avait une tête de faux-jeton typiquement féminine. Bonne chance, Carfini...

     

    Je me suis toujours demandé comment une si belle femme à l'air si chafouin, si vicieux, pouvait avoir besoin de faire l'amour avec un homme, alors qu'il était si clairement lisible sur son visage que trois branlettes par jour devaient pourtant largement lui suffire... Je m'avisai trop tard, plusieurs semaines après, que j'eusse pu donner libre cours à ma grossièreté en m'exclamant: “Et alors ? Faut qu'je bande ?” Au moins, c'eût été drôle... enfin... Ou mieux encore : « Eh bien quoi ! Huit femmes et huit chaises, ça ne fait jamais que seize meubles ! » Mentionner Rinaud, qui tenait absolument à faire prononcer son prénom à l'anglo-saxonne, Braïce, au lieu de Brice (nous étions bien avant Dujardin) : Zinnia, collègue de géographie au long nez en couteau, lui fit observer que nous n'étions pas en Angleterre, et maintint sa prononciation à la française.

     

    Sur quoi, renchérissant moi-même, je m'appliquai quelque temps à prononcer son patronyme à l'anglaise : « Raïnowd ». Je fus le seul à trouver ça drôle. C'était d'ailleurs souvent le cas... Il m'en revient de plus en plus : Bossuet (« Monseigneur », évidemment), dont j'ai défoncé le pied d'un coup de talon pour m'avoir décerné je ne sais plus quel adjectif (de nos jours, cela me vaudrait trois jours de garde à vue sans pisser) ; son père est venu. C'est le fils qui s'est pris la raclée du siècle à la maison, parce que j'avais demandé de mon ton le plus patelin à son père : « Dites-moi, M. Bossuet, quelle est donc la profession de votre femme ? -Secrétaire, pourquoi donc ? - Parce que dans mes cours j'entends sans cesse votre fils s'exclamer « Putain de ta mère ! » - alors je me posais des questions... » Je crois que le fils Bossuet n'a pas pu s'assoir de quinze jours pleins.

     

    Le même, parlant à tout propos de « sodomie » en cours de musique, ce qui malgré Saint-Saëns n'a qu'un rapport lointain avec la matière, se vit infliger une rédaction sur ce même thème, afin de bien évacuer, une bonne fois, cette obsession. Nous nous sommes passé entre nous en salle des profs un torchon rédigé dans un français infâme truffé de fautes d'orthographe (l'émotion sans doute) sur la sodomie, d'où il ressortait qu'une telle pratique, après tout, pouvait apporter un certain renouvellement dans la vie conjugale, et contribuer à son équilibre...

     

     

     

     

     

    Garçons turbulents indifférents, à peu près beaux

     

    St-Léon (2012/ 2013) Lemanche, Denousautres, Méditerra, qui répétait son nom dans une extatique litanie, Rédora (qui réussit à se faire lever une punition, sa mère étant venue m'agiter ses bijoux et ses nichons sous le nez).

     

     

     

    Garçons turbulents, et que je n'aime pas

     

    Bouillon des Champs, noir, à qui j'ai fait ranger « ce torchon » (le drapeau américain) (c'était la guerre du Vietnam) (on m'en a beaucoup admiré). L'épicier arabe m'appelait « chef ». Moi, jamais je n'oserais appeler qui qui ce soit « chef » (malgré mon gendre qui m'a dit que tous « ces gens-là » nommaient « chef » les personnes qui leur semblaient sympa). Il m'a toujours semblé à moi que c'est l'expression du plus grand mépris, et il m'est arrivé si souvent de prendre publiquement des airs de chien battu que je me demande pourquoi les autres en ont ainsi profité, au lieu de m'avertir fermement de reprendre, sur les traits de mon visage, mes esprits et ma dignité.

     

  • Signification de Hanouccah

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    LE PETIT LIVRE DES GRANDES FETERS RELIGIEUSES - EDITIONS DU BORD DE L"EAU

     

    SIGNIFICATION DE HANOUCCAH

     

    Cette fête, de la “re-dédication” (du temple), symbolise la victoire sur les ténèbres. Mais elle a trop souvent tendance, aux yeux des traditionalistes, à se substituer à celle de Noël, pour les enfants qui vivent dans un milieu chrétien. C'est aussi en raison de cette proximité dans le calendrier qu'elle est bien plus célébrée qu'autrefois... Cependant les familles hésitent à s'afficher comme juives en exposant la “hanoukia” sur le pas de leurs portes...

     

    Hanouccah est donc historiquement la première confrontation à une réelle menace d'absorption, d'assimilation d'ordre culturel. Ce n'est pas ici l'extermination, mais l'assimilation qui menaçait déjà en effet en ces époques antiques l'identité juive. Les Juifs s'étaient approprié tout un mode de vie exclusivement hellénique, afin de se faire accepter. La culture hellénique était le modèle dominant. Athènes célébrait la puissance du génie humain, la splendeur du corps, le plaisir des yeux, mais aussi la corruption. Si la famille sacerdotale des Macchabées ne s'était pas révoltée, incitant à prendre les armes, le judaïsme eût été en grand péril de disparaître.

     

    Aussi les petites lumières de la hanoukiah, dans leur isolement, symbolisent la communauté juive unie dans l'obscurité, au-delà des conflits, pour tenir tête à l'adversaire commun. Le Hallel (“chant de grâce”) manifeste la joie du peuple juif et sa reconnaissance envers les miracles de Dieu. Les Juifs n'auraient garde d'omettre, tous les ans, la célébration de Hanouccah. En effet, les docteurs de la Loi ont dit : “Si toutes les fêtes sont supprimées un jour, la fête de Hanouccah continuera à être célébrée avec joie dans nos maisons et nos cœurs seront illuminés par ses lumières.” Tandis que la ménorah s'allume à l’intérieur, et de jour, la hanoukia s'allume vers l'extérieur, et de nuit, depuis notre monde intérieur et spirituel vers le monde extérieur et matériel. Les flammes de Hanouccah évoquent la valeur morale, les sentiments nobles et constants que l'âme juive puise au sein de la Torah.

     

    C'est ainsi que depuis 165 avant l'ère commune, cette fête rend régulièrement hommage aux héroïques martyrs de la foi et de la culture juives : fête de la lutte contre l'assimilation, question toujours essentielle dans la conscience de la judéité : harmonie ou identité ? Dernièrement encore, les autorités éducatives d'Israël ont très mal pris l'initiative de certains lycéens, qui voulurent fêter Hanouccah en utilisant nombre de symboles chrétiens, pour faire plaisir à leurs camarades chrétiens. Aux États-Unis, certaines familles "mixtes" ou assimilées garnissent des Hanukkah bushes (buissons de Hanoukkah, bien proches des arbres de Noël...) et s'échangent des “happy choliday” avec le “het” de “hanouccah”, voire des “chrismukkah ») – aimons-nous tous, “Dieu reconnaîtra les siens...”

     

  • La fin de l'Espagne

     

    La brèche.JPGC'est la fin. À Hendaye, en Franfrance, je me fais remplir au bar une bouteille d'eau. Les serveuses me toisent, comme pour me dire Nous sommes des serveuses, mais faudrait pas nous prendre pour des connes. Nous condescendons à vous remplir votre bouteille. La France en effet, ce beau pays où tout le monde râle, sans que je fasse exception à la règle. Où chacun se dégoûte de sa situation sociale, et s'imagine que tout est pire qu'ailleurs. Je rentre au bercail, au-devant des visites à faire, à rendre, et des indifférents qu'il faut flatter. Au monastère de Labastide-Clairence, j'assiste à une cérémonie chrétienne parfaitement chiante, en totale opposition avec les mascarades de Tafalla : sous une lumière blafarde tombant d'un toit transparent, vingt moines blanc crème psalmodient a capella de mornes et méditatifs versets.

     

    Assistance recueillie, jusques et y compris les enfants. Une boîte se tient à ma disposition, dans un vestibule, pour les intentions de prières. J'écris : "Seigneur, à chaque fois que je fais le bien, j'en attends une récompense. Aidez-moi à découvrir le véritable sens du don de soi".

     

  • Anna Sam "Les tribulations d'une caissière"

     

    Cadeau de Noël pris à la légère, Les tribulations d'une caissière par Anna Sam sont à coup sûr une œuvre légère, mais instructive, amusante, et superficielle comme nous imaginons volontiers les hôtesses de caisse (on ne dit jamais « hôte de caisse », les hommes étant réservés aux entrepôts pour soulever les caisses lourdes). Je me souviens d'un supermarché où le poste 1 jouissait d'un jeune homme ; la principale préoccupation de ces dames était, d'une caisse à l'autre, et pas très discrètement, de savoir s'il était pédé. Vous me direz que ces femmes avaient bien de l'impudence d'ignorer ainsi la queue (si j'ose dire) qui se pressait à leur caisse, avec un « c ». Rassurez-vous : il est bien plus fréquent hélas que les clients ignorent la caissière, la prenant pour une mécanique ou pour une débile : « Ma fille, travaille bien au collège, sinon tu finiras comme madame à compter les articles ».

     

    Sur quoi la caissière se doit de répondre : « Madame, il n'y a pas de sot métier, et j'ai bac plus trois » - ah quand même. Les diplômés eux-mêmes sont souvent réduits à faire ce que personne ne veut faire. Ne pensez pas que la caissière effctue un travail de tout repos. Les brefs chapitres de ce livre, toujours souriants comme doit l'être une ou un employé de caisse, exposent les petits et grands inconvénients de cette profession méconnue : des inconvénients qui, accumulés (ils ne viennent jamais seuls) finissent par pourrir la vie à la limite, parfois franchie, de la dépression. Et n'oubliez pas que jamais personne n'a fait fortune en tenant une caisse (et surtout pas en volant, ce qui est tout de suite repéré) : les merveilleuses réductions que vous procurent les « tickets de remise » sont retirées de leus salaires.

     

    Dans les deux cas d'ailleurs ce sont des clopinettes : adieu le nounours en polystyrène ou la cocotte-minute de 30cm3 ! Classons un peu je vous prie : la caissière est une cible idéale. Du chef et des sous-chefs, qui l'ont toujours dans le collimateur : vous avez peu d'argent, des horaires élastiques, une tenue ridicule (en Mère Noël, en petit lapin ou en blouse élégante à chier). Trois minutes de pause par heure – avez-vous déjà essayé de pisser en courant?). Des salaires à faire grève (les caissières en grève, c'est la fermeture du magasin ; une grande surface un jour à Toulouse a voulu ouvrir quand même : à la fin de la journée le magasin ressemblait à votre main laissée tremper dans l'Amazone dans un banc de piranhas).

     

    Après les sous-chefs et les sous-chefs adjoints, le lieu de travail : exigu, parfois sans chaise comme en Espagne, vous obligeant à rester mi-debout mi-assise, sans compter les charges lourdes que certaines directions vous obligent à soulever du caddie, packs de bouteilles ou cartons de lessive ; de quoi se muscler les abdominaux, et de quoi vous plaignez-vous) ; un jour un petit garçon a même demandé : « Tu es en prison ? » C'est mignon les enfants. Surtout quand ça hurle - et voici le troisième inconvénient, le plus grave de tous : les clients. Vous vous faites engueuler à longueur de journée. Traiter de « fonctionnaire » quand vous annoncez que votre caisse est fermée depuis dix minutes : « Oui, mais je n'ai qu'un article » - OK, le suivant aussi n'aura qu'un article. Autre engueulade quand vous en êtes au dernier client, qui fait bien exprès de déposer ses articles un par un bien lentement, avec une râlade entre chaque article. Et l'impératif est à respecter : toujours sourire et ne rien dire, comme Mme Butterfly, qui a fini par se suicider avec le sabre de son père ; on ne vous en demande pas tant ; mais la déprime, ça existe.

     

     

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    En tout cas, si vous êtes malade, restez chez vous, pour ne pas « éternuer dans mon pain », comme l'avait fait remarquer un client aussi con que préhensif. Les clients d'ailleurs vous immunisent, un sur sept est porteur de virus en cas d'épidémie, sans compter que vous êtes en courant d'air, près de la porte automatique (ouvert, fermé ; ouvert, fermé ; ouvert, fermé). Et les enrhumés qui vous éternuent dessus, ce sont les clients. Exigeants. Toujours pressés, sauf à l'heure de la fermeture voir plus haut. N'ayant pas de monnaie. Vous engueulant si vous demandez leur carte d'identité (« Prenez-moi pour un voleur tant que vous y êtes » - et pourquoi pas ?) et repartant sans leurs achats, à vous de débarrasser le tapis roulant (qui se coince, autre engueulade).

     

    C'est curieux, jamais je n'aurais eu l'idée d'engueuler une caissière. Il est vrai que la très large diffusion de ce livre plein d'humour, de tact et de légèreté (on ne va pas transformer tout de même la vie quotidienne d'une caissière en tragédie de Shakespeate), a permis à la clientèle de se rendre compte (car la clientèle sait lire, ainsi que, mais oui, les caissières) des conditions difficiles de cette profession, comme de toutes les autres. L'idéal serait que vous présentassiez les articles en plaçant les plus lourds en tête, et ainsi de suite, avec le code-barres face à la caisse. Peu de gens y pensent encore, mais essayez.

     

    La caissière n'est pas une esclave. Mais ce n'est pas une raison pour la draguer lourdement, ni pour lui raconter des vannes, car, hélas, vous vous croyez très drôle, tandis qu'elle les a déjà entendues dix fois. Quand le code-barres ne veut pas passer : « C'est gratuit ? » Présenter sa carte Vitale pour que ce soit remboursé par la sécu. « Salut, t'es russe ? » - authentique, garanti par moi, eh non, ce n'était pas moi – personne n'a ri, pourtant c'est fou le nombre de clients qui se prennent pour Gad el Maleh. Et qui terminent leur numéro entre deux agents, car il était destiné à vous endormir, mais vous connaissez tous les trucs, y compris celui de passer en trombe - attention, les gardiens connaisent les techniques de plaquage – ce sont souvent des Noirs : parce que le noir fait peur, ce qui est à peine raciste. Vous voyez, nous papillonnons, comme le petit livre d'Anna Sam, qui ne se départ jamais de sa bonne humeur, conservant ainsi toute sa capacité de persuasion : depuis, les clients se sont un peu calmés. Ils sont parfois aimables à présent, les clients, vous lancent un « bon courage » sans prendre pour autant une tête d'enterrement ; ils vous voient au passage, échangent quelques mots qui vous changent de vos sempiternels « Vous avez la carte du magasin ? » ou de leur « fais pas chier » (si si, parce que le client avait plus de dix articles dans son chariot à la caisse « moins de dix articles »).

     

  • Flaubert et l'empire de la bêtise

     

    Il aurait dit "connerie". Mais Flaubert était un modèle de distinction, bien digne de représenter cette bourgeoisie du Second Empire, et son incommensurable bêtise. Il pensait même que les Français méritaient très exactement ce genre de gouvernement, tout à fait adapté à leur tempérament. Mais il faut également contempler sa propre bêtise, faute de quoi l'on sombre inévitablement dans la stupidité - pourtant, s'en rendre compte n'est pas non plus une preuve d'y échapper. Nous ne savons pas dans quelle mesure Bouvard et Pécuchet représentaient Flaubert : il ne s'est pas confié à ce sujet. Mais les explicateurs (car il ne s'agit pas ici de recenser seulement) nous révèlent que, pour l'instant, il en existe deux causes : l'ignorance, et la trop grande science.

     

    C'est une grande crétinerie que de vouloir tout savoir, comme les employés précités ; en effet, tout a déjà été dit, en matière littéraire, en matière scientifique ; à moins d'être un grand découvreur, force nous est de répéter en d'autres termes et d'autres perspectives ce que les siècles passés ont déjà pensé, remué, mis en forme ; et c'est pourquoi Bouvard et Pécuchet se livrent, pour finir, à la copier : ils taillent leurs plumes devant leurs écritoires et se mettent à recopier l'univers. Et même à suposer que nous découvrions quelque chose, eh bien, ce sera écrit sur les feuilles ou les écrans de l'avenir... Une fois résumé ce que j'ai cru comprendre de ce gros volume réunissant des textes de Françoise Gaillard, Anne Herschberg Pierrot et autres, il est temps pour votre serviteur de saisir le clavier pour "écrire encore après l'écriture", c'est-à-dire gloser : la répétition est un bégaiement, un rocher de Sisyphe, avec lesquels il faut nous réconcilier.

     

    Je le vois bien dans les yeux de mon ami Max, lorsqu'il les lève : un immense sentiment de lassitude, de constatation que tout est répétition du même, y compris dans les contraires. Et lorsqu'on a compris cela, il ne reste plus qu'à se replonger dans l'action, dans le détail, dans la répétition inutile, comme le tourneur de barreau de chaise que Mme Bovary voit de sa fenêtre. Laissons la parole à Gustave : "Détendons-nous un peu et commençons par des choses plus légères". En effet. Les lourdeurs métaphysiques ne servent qu'à nous démontrer "l'insoutenable légèreté de l'être". Intenable en effet. Ici la citation comporte une lacune volontaire, [...]. Et Flaubert, par la voix d'un de ses héros, poursuit : "Il y a une loi de penser les textes philosophiques, que l'on peut traduire à peu près comme suit : nous sommes capables de comprendre ce qui est écrit dans un texte philosophique seulement si nous sommes capables de reproduire ce qui est dit – comme une possibilité de notre propre penser, dans le sens que nous aussi nous pouvons penser cela." Monsieur Pierre Senges pêche par optimisme. Nous ne savons pas ici quel personnage est en train de parler. Il est certain que rien n'est plus agréable que de reconnaître sa penser, son sentiment, ses subtilités mêmes si parfaitement exprimées par un Marcel Proust ou Gustave Flaubert, que nous ne saurions mieux dire ni même autrement : alors, nous recopions ces formules sur nos tablettes et tâchons de les resservir, en évitant le plus possible (j'ai appris cela) d'en citer l'auteur, car l'intrelocuteur vous reproche alors de "parler par citations" – et que fait-il d'autre, ce cuistre ? Je suis donc bête de citer, par connaissance, et lui, bête de se croire original. "Si par exemple, mécaniquement, sans penser, nous répétions après Descartes que nos idées sont innées, j'estime qu'il y aurait là une atteinte manifeste à notre dignité humaine" – et ne serait-ce pas tiré plutôt de la Correspondance de notre auteur ?

     

    A vrai dire j'estime que notre dignité humaine est bien peu de chose, et je n'ai pas cette susceptibilité. Il me semble même, dans ma petite cuistrerie, que Descartes aurait pu dire "Ça pense, donc ça est". "Je suis" peut sembler outrecuidant. Mais il paraît qu'il faut se sentir responsable, sous peine d'être bête. Ah bon. "De fait, il est impossible que nous pensions ainsi" – de façon innée ? C'est antiplatonicien, certes, les sens engendrent notre pensée, et autres chansons bien connues. "Mais si nous reproduisons une chose qui a été dite ou écrite de manière telle que nous pouvons vraiment la penser, alors on trouvera tout dans la chose qui a été aussi une pensée de Socrate, de Platon, de Wittgenstein, de Husserl".

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    Dieu me préserve (formule toute faite) des deux derniers, moi qui n'ai pas pu comprendre les deux premiers. Mais c'est une boutade. Mais encore, je ne suis pas ce que veut dire Flaubert : les mathématiciens, les philosophes, les raisonneurs en règle générale et sans péjoratisme, procèdent toujours par bonds, et le sot que je suis ne parviens pas à sauter de la sorte ; selon Gustave, la petite pensée que nous lirions et reproduirions dans notre esprit, que nous reconnaîtrions, aurait aussi figuré dans les discours et les pensées des philosophes précités. Cela signifierait-il que toute la pensée "x" nous permettrait d'accéder à la pensée totale de ces philosophes ? Se pourrait-il que x = X ?

     

    Ou que, déjà, dans le petit x, tout le grand X fût inclus, comme le corps entier du Christ dans chaque hostie ? Je vois que Flaubert veut nous entraîner dans sa conviction que tous les discours se valent, et j'en suis bien convaincu. Mais je ne comprends pas le chemin qu'il emprunte. Car une pensée de Socrate, ou de Husserl, ne peut tout de même pas comprendre toutes les pensées... "Je le répète : si nous avons vraiment pensé une pensée - par exemple celle de Descartes – alors il s'avère qu'elle est aussi une pensée de Socrate, de Platon, de Wittgenstein, de Husserl." Ou alors, Flaubert ne prend pas en compte le contenu d'une pensée, sa pertinence, sa profondeur, mais son existence même, sa naissance même. Alors, tout devient plus clair : moi-même, et tout homme, pouvons émettre des pensées à l'égal de tous les autres penseurs de toute époque. Je flaire le sophisme, ou ma sottise, disons mon insuffisance de logique, l'un n'excluant pas l'autre. "La loi consiste en ceci : à un moment donné une personne donnée a accompli l'acte philosophique de penser, il s'y trouvera tout ce qui est dans le penser philosophique d'une manière générale".

     

    Oui, monsieur Flaubert, mais de façon embryonnaire, virtuelle. Chez moi, cela reste embryonnaire, chez Platon, cela s'élève hors de ma portée (Platon est compréhensible, mais mortellement ennuyeux) (dès qu'il cesse de raconter). Tout le génie humain se trouve en germe dans la première pensée humaine. Ce qui est plus discutable, c'est la suite : "En ce sens, il n'y a rien de nouveau en philosophie ; il n'y a pas de découvertes." En effet, chacun de nous possède cette virtualité de toutes les explorations de la pensée. Nous avons tous l'outil. "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée". Nous pourrions même extraire Marx de Platon, mais ce serait ardu. Nous savons bien, depuis L'Ecclésiaste, depuis La Bruyère, que tout a été dit, "depuis qu'il y a sur terre des hommes, et qui pensent". Le détour par Descartes me semble pittoresque, présentant les choses sous une perspective originale, mais cela ne me paraissait pas indispensable ; cependant, l'originalité de la pensée concerne aussi son caractère originel : le pessimisme de Flaubert, enclin à tout niveler au ras du sol humain, se couplerait alors avec l'orgueil ou du moins l'honneur du fait d'être un humain. "Nous pouvons penser ou ne pas penser, mais nous pensons ce qui a déjà été pensé dès lors que nous pensons." Dans un sens, oui. Dans le sens où les cellules-souches sont susceptibles de tout développer. "C'est pourquoi Descartes ressemblera à Kant, Kant ressemblera à Socrate, et ainsi de suite." Ressemblera, et non pas "sera" ni "équivaudra". Dans ces lignes, dans ce qui pourrait ressembler (sans l'être) à une version cartésienne et mamardachvilienne de l'Ecclésiaste ou de Platon, on devine la possibilité d'une rédemption" – dont acte.

     

  • Parentèle

     

    Les obsèques se passent bien. Tante Albertine repart à Morlaix. Magdalena dit après les obsèques “Vivette mon cabinet n'attend pas. Mes patients comptent sur moi. Cousin Ange te tiendra compagnie.” A peine sa mère morte qu'on vous pousse dans les bras d'un autre. Vivette dit à son cousin qu'il “ne dor[me] pas dans le lit de [s]a mère” dit Vivette, ils rangent leurs achats dans le frigo le cousin dit qu'il pleut autant à B.qu'en Bretagne, Vivette a pris en affection ces deux étages où sa mère a vécu où survivent les odeurs, les parfums, soudain il y avait cet Ange mal nommé aux petites oreilles, le syeux verts, un blouson râpé gisant désormais sur le lit “après tout” pense Vivette “c'est amusant”.

     

    L'inattention du lecteur se déplace, un gros Ange prête attention à Vivette, quinze ans, qui se confient l'un à l'autre des lambeaux de souvenirs : ma mère” dit Vivette était croyante, pas du tout dit Ange, “elle s'est lavé les mains dans un bénitier, avec du savon apporté exprès ; quand le curé” etc. - Ma mère a joué l'Infante... - Pas du tout ! Avec ses moustaches elle faisait Flambeau de L'Aiglon. Mais on voyait ses seins (plus tard) – son engagement politique : juste des défilés, des fanfares... - Ange, trouve-lui tout de même quelque chose de bien !” Ange alors lui découvre un cœur d'or et des goûts exquis, des convictions progressistes. On peut tout dire sur ma mère dit l'Orpheline.

     

    Lettre : “Chère Magdalena, cher Térence, Vous êtes partis si vite après l'enterrement. Térence n'a pas dit un mot. Tante Albertine est partie, je reste seule avec le cousin Ange, il parle de Rachel ma mère comme s'il l'avait mieux connue que moi. Au lycée on me regarde bizarrement ; à la maison le cousin m'aide pour mes devoirs et ne me quitte pas, il me fait la moral et nous passons d'agréables soirées, il est toujours d'accord pour les programmes télé. Il couche sur le divan et ferme sa porte à clef mais la mienne est perdue. L'assistante sociale m'a dit que j'habiterais bientôt chez vous, j'attends votre réponse pour me décider, je vous embrasse bien fort Vivette.” Dialogue : Ange et sa cousine se prennent les doigts sur le divan vert, Ange dit “Je ne suis pas beau, j'ai des grosses joues” Vivette répond qu'il se laisse pousser les cheveux, “Tu vois d'ici ma tête ?” dit-il, ajoutant “J'ai du ventre”, elle n'enlève pas sa main. “Veux-tu que je t'embrasse ?

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    - Caresse-moi dit Vivette. Et comme ils se font ils couchent. “Une seule fois” dit Vivette. La scène se déplace chez Térence (et Magdalena) sur un sofa plat recouvert d'indienne. Un mois s'est écoulé, nul ne prend de décision “ici c'est trop petit” disent-ils “pour loger Vivette”. Comme l'année scolaire touche à sa fin, Térence veut héberger sa belle-sœur orpheline qui “prend des risques”. Tu ne penses qu'à ça” dit Magdalena. “Nous sommes ses seuls parents” répond-il. Magdalena s'anime, “pas question, Vivette est grande et s'en tire toute seule. - Se tire toute seule. - Connard. J'ai d'autres choses où me consacrer. Nous avons déjà tant de mal à vivre tous les deux.” - Térence la traite de psychologue. Vivette au téléphone : “...Je suis enceinte !” Magdalena : “Qu'elle vienne immédiatement !...immédiatement ! Pas toujours toute seule dit Térence, Vivette raccroche, elle se roule en boule sur le canapé jaune (rouge, bleu).

     

    Cousin Ange est parti. Sans savoir. Elle voit Rachel, sa mère morte, se pencher sur elle dans son cauchemar, et lui offrir un petit cœur en céramique du Stand Socialiste. Magdalena sa sœur aînée de la Région Parisienne engueule Térence son beau-frère : “Elle s'appelle Joëlle, je sais tout Et alors ? Ça continue sur ce ton-là Bien la peine d'être psychologue (in petto) “Tout Gnampe ne parle que de vous” Voilà donc l'argument. “Gnampe”, c'est le surnom que l'épouse donne à ce bled pour l'abaisser – Térence ou le bled. “Elle a seize ans !” gueule la psy. “Tu aurais peut-être préféré que je la baise ici ?” D'un seul coup Magdaléna se met à pleurer, je ne la voyais pas comme ça, elle dit que Térence pouvait trouver des raisons, lassitude, inconscience, au lieu de fuir dans l'insolence, l'inhumanité Térence ne me regarde pas comme ça Elle avait besoin de moi. - Cette bâtarde, cette pourrie, etc. ?

     

    - J'avais besoin d'elle. - Plus que de moi, etc. ? Tu dis que tu l'aimes pas de grossièreté jamais tu n'as été grossier avec moi - Je ne m'estime pas dit Térence je n'ai pas honte, sa femme se met à pleurer il la prend dans ses bras elle se dégage etc. On frappe c'est Vivette avec une valise dans chaque main (“La scène à faire”) les deux autres se font pleurer Vivette pose ses valises et s'abat sur le sofa les mains sur le ventre. “...Fatiguée froid faim...” etc. “Tu ne peux pas avoir mal maintenant” dit l'aînée “alors enlève tes mains merde”. Dialogue VIVETTE J'ai quinze ans !

     

    MAGDALENA Tu vas me faire sauter ça tout de suite VIVETTE Je l'ai je le garde TERENCE Tu vois c'est à ta con de sœur aînée qu'il faut faire la morale VIVETTE Je repars là tout de suite ? MAGDALENA à TERENCE Ta pouffiasse est peut-être pleine aussi tant qu'on y est ? VIVETTE Qui c'est Joëlle ? TERENCE Et c'est ma faute aussi connasse si ma capote a crevé ? VIVETTE : se marre – MAGDALENA à VIVETTE, même jeu : Ton connard d'oncle a tringlé une connasse de seize ans VIVETTE Pourquoi y a un âge limite ? MAGDALENA On est mariés nous autres pauvre enclume VIVETTE J'ai quinze ans merde !