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Anna Sam "Les tribulations d'une caissière"

 

Cadeau de Noël pris à la légère, Les tribulations d'une caissière par Anna Sam sont à coup sûr une œuvre légère, mais instructive, amusante, et superficielle comme nous imaginons volontiers les hôtesses de caisse (on ne dit jamais « hôte de caisse », les hommes étant réservés aux entrepôts pour soulever les caisses lourdes). Je me souviens d'un supermarché où le poste 1 jouissait d'un jeune homme ; la principale préoccupation de ces dames était, d'une caisse à l'autre, et pas très discrètement, de savoir s'il était pédé. Vous me direz que ces femmes avaient bien de l'impudence d'ignorer ainsi la queue (si j'ose dire) qui se pressait à leur caisse, avec un « c ». Rassurez-vous : il est bien plus fréquent hélas que les clients ignorent la caissière, la prenant pour une mécanique ou pour une débile : « Ma fille, travaille bien au collège, sinon tu finiras comme madame à compter les articles ».

 

Sur quoi la caissière se doit de répondre : « Madame, il n'y a pas de sot métier, et j'ai bac plus trois » - ah quand même. Les diplômés eux-mêmes sont souvent réduits à faire ce que personne ne veut faire. Ne pensez pas que la caissière effctue un travail de tout repos. Les brefs chapitres de ce livre, toujours souriants comme doit l'être une ou un employé de caisse, exposent les petits et grands inconvénients de cette profession méconnue : des inconvénients qui, accumulés (ils ne viennent jamais seuls) finissent par pourrir la vie à la limite, parfois franchie, de la dépression. Et n'oubliez pas que jamais personne n'a fait fortune en tenant une caisse (et surtout pas en volant, ce qui est tout de suite repéré) : les merveilleuses réductions que vous procurent les « tickets de remise » sont retirées de leus salaires.

 

Dans les deux cas d'ailleurs ce sont des clopinettes : adieu le nounours en polystyrène ou la cocotte-minute de 30cm3 ! Classons un peu je vous prie : la caissière est une cible idéale. Du chef et des sous-chefs, qui l'ont toujours dans le collimateur : vous avez peu d'argent, des horaires élastiques, une tenue ridicule (en Mère Noël, en petit lapin ou en blouse élégante à chier). Trois minutes de pause par heure – avez-vous déjà essayé de pisser en courant?). Des salaires à faire grève (les caissières en grève, c'est la fermeture du magasin ; une grande surface un jour à Toulouse a voulu ouvrir quand même : à la fin de la journée le magasin ressemblait à votre main laissée tremper dans l'Amazone dans un banc de piranhas).

 

Après les sous-chefs et les sous-chefs adjoints, le lieu de travail : exigu, parfois sans chaise comme en Espagne, vous obligeant à rester mi-debout mi-assise, sans compter les charges lourdes que certaines directions vous obligent à soulever du caddie, packs de bouteilles ou cartons de lessive ; de quoi se muscler les abdominaux, et de quoi vous plaignez-vous) ; un jour un petit garçon a même demandé : « Tu es en prison ? » C'est mignon les enfants. Surtout quand ça hurle - et voici le troisième inconvénient, le plus grave de tous : les clients. Vous vous faites engueuler à longueur de journée. Traiter de « fonctionnaire » quand vous annoncez que votre caisse est fermée depuis dix minutes : « Oui, mais je n'ai qu'un article » - OK, le suivant aussi n'aura qu'un article. Autre engueulade quand vous en êtes au dernier client, qui fait bien exprès de déposer ses articles un par un bien lentement, avec une râlade entre chaque article. Et l'impératif est à respecter : toujours sourire et ne rien dire, comme Mme Butterfly, qui a fini par se suicider avec le sabre de son père ; on ne vous en demande pas tant ; mais la déprime, ça existe.

 

 

La calanque et les  rocs.JPG

En tout cas, si vous êtes malade, restez chez vous, pour ne pas « éternuer dans mon pain », comme l'avait fait remarquer un client aussi con que préhensif. Les clients d'ailleurs vous immunisent, un sur sept est porteur de virus en cas d'épidémie, sans compter que vous êtes en courant d'air, près de la porte automatique (ouvert, fermé ; ouvert, fermé ; ouvert, fermé). Et les enrhumés qui vous éternuent dessus, ce sont les clients. Exigeants. Toujours pressés, sauf à l'heure de la fermeture voir plus haut. N'ayant pas de monnaie. Vous engueulant si vous demandez leur carte d'identité (« Prenez-moi pour un voleur tant que vous y êtes » - et pourquoi pas ?) et repartant sans leurs achats, à vous de débarrasser le tapis roulant (qui se coince, autre engueulade).

 

C'est curieux, jamais je n'aurais eu l'idée d'engueuler une caissière. Il est vrai que la très large diffusion de ce livre plein d'humour, de tact et de légèreté (on ne va pas transformer tout de même la vie quotidienne d'une caissière en tragédie de Shakespeate), a permis à la clientèle de se rendre compte (car la clientèle sait lire, ainsi que, mais oui, les caissières) des conditions difficiles de cette profession, comme de toutes les autres. L'idéal serait que vous présentassiez les articles en plaçant les plus lourds en tête, et ainsi de suite, avec le code-barres face à la caisse. Peu de gens y pensent encore, mais essayez.

 

La caissière n'est pas une esclave. Mais ce n'est pas une raison pour la draguer lourdement, ni pour lui raconter des vannes, car, hélas, vous vous croyez très drôle, tandis qu'elle les a déjà entendues dix fois. Quand le code-barres ne veut pas passer : « C'est gratuit ? » Présenter sa carte Vitale pour que ce soit remboursé par la sécu. « Salut, t'es russe ? » - authentique, garanti par moi, eh non, ce n'était pas moi – personne n'a ri, pourtant c'est fou le nombre de clients qui se prennent pour Gad el Maleh. Et qui terminent leur numéro entre deux agents, car il était destiné à vous endormir, mais vous connaissez tous les trucs, y compris celui de passer en trombe - attention, les gardiens connaisent les techniques de plaquage – ce sont souvent des Noirs : parce que le noir fait peur, ce qui est à peine raciste. Vous voyez, nous papillonnons, comme le petit livre d'Anna Sam, qui ne se départ jamais de sa bonne humeur, conservant ainsi toute sa capacité de persuasion : depuis, les clients se sont un peu calmés. Ils sont parfois aimables à présent, les clients, vous lancent un « bon courage » sans prendre pour autant une tête d'enterrement ; ils vous voient au passage, échangent quelques mots qui vous changent de vos sempiternels « Vous avez la carte du magasin ? » ou de leur « fais pas chier » (si si, parce que le client avait plus de dix articles dans son chariot à la caisse « moins de dix articles »).

 

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