Proullaud296

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  • Les grands de ce monde

     Richelieu fut informé au lendemain de la mort de Marillac" fraîchement décapité donc. "Le Coigneux, s'étant brouillé avec son maître, lui avait déjà fait savoir que, grâce à la mise en gage des pierreries de Madame, le prince rassemblait environ cinq mille hommes, rebut de l'armée espagnole, et que le marquis de Valençay, gouverneur de Calais, se disposait à livrer la place à Marie de Médicis" – mère du roi.

     

    "Jamais le Pouvoir n'eut des réflexes si prompts. Le Roi en personne courut immédiatement à Calais, renvoya Valençay et l'exila. Le Cardinal, tout en préparant une nouvelle expédition, obtint de Mme de Chevreuse qu'elle écrivît à son amant, le duc de Lorraine, pour le ramener dans le droit chemin. Il s'occupa ensuite de Montmorency, comme les cerises, qu'il avait fort ménagé jusque-là en souvenir de leur ancienne liaison.

     

    "Malheureusement le vainqueur de Veillane jugeait dérisoire les honneurs que le ministre croyait lui prodiguer. Il était le chef d'une Maison que la faveur de plusieurs rois, puis les guerres civiles avaient grandie jusqu'à en faire une des maîtresses tours de l'édifice féodal. Point de région du royaume en laquelle il ne possédât des terres. Il était premier baron chrétien, duc et pair, maréchal et, naguère encore, amiral de France. Sa gloire le suivait partout. Une véritable Cour l'environnait à Montpellier, à Pézenas, à la Grange-aux-Prés, à Chantilly enfin (comme la crème) où la délicieuse duchesse, Félicité des Ursins (Orsini), cousine de Marie de Médicis, protégeait les poètes empressés à la chanter sous le nom de Silvie" Bromasseurmarchepatalédoigts. "Henri IV avait été son parrain.

     

    "L'évêque d'Albi dont le frère, l'abbé d'Elbène, était un des plus anciens conseillers de la Reine-Mère, cherchait à le persuader que, s'il contribuait à renverser l'homme rouge, il aurait enfin au Conseil du Roi une place digne de lui. Ses discours ne restant pas sans effet, l'abbé vint de Bruxelles sous un déguisement, apporter au duc des tentations précises." Un vrai roman feuilleton, mais pour de bon.

     

    Calanque à Ratonneau.JPG"Montmorency ne se laissa pas convaincre d'emblée. Richelieu l'avertit des soupçons qui pesaient sur lui et le pressa de les dissiper. Le duc protesta de son loyalisme, mais la révolte s'amplifiait à travers le Languedoc et son attitude ne paraissait pas nette.

     

    "Au contraire, celle de Charles IV de Lorraine ne permetait aucun doute. Le Cardinal agit dans les deux sens à la fois. L'armée française se remit en marche vers la Lorraine, tandis que le marquis des Fossés, gouverneur de Montpellier, recevait l'ordre d'arrêter le gouverneur du Languedoc au cours de la représentation d'une pièce consacrée à la bataille de Veillane.

     

    "Charles IV, fort effrayé, obligea Monsieur" (Gaston) "à quitter ses états et à entrer immédiatement en campagne. Cette précipitation risquait de tout faire manquer. Aussi Gaston marquait-il "une profonde mélancolie" lorsqu'il pénétra en Frane à la tête de ses troupes. Il envoya cependant à sa mère un message martial et lança un appel contre le ministre "perturbateur du repos public, ennemi du Roi et de la Maison royale". C'était une fois encore le signal d'une guerre civile, la sixième en quinze ans !

     

    "Cela n'arrêta nullement Louis XIII et Richelieu. En six jours ils arrivèrent aux portes de Nancy et obtinrent la capitulation de Charles IV qui dut abandonner Stenay," ville de naissance de mon grand-père ce dont vous n'avez rien à foutre, "Jametz et le traité de Clermont-en-Argonne (traité de Liverdun). La solution de continuité entre le territoire français et Verdun était supprimée" (Verdun cessait d'être une enclave française). Mais nous rendions Bar-le-Duc.

     

    "Le marquis des Fossés réussit moins bien. Ses préparatifs ayant donné l'éveil, il ne put mettre la main sur Montmorency. À la suite de quoi Richelieu revint à la méthode douce. Le capitaine des gardes du gouverneur, Soudeilles, était venu lui parler de l'affaire des Elus. Le ministre le chargea de donner un nouvel avertissement à son maître et de l'exhorter à la fidélité. Soudeilles s'acquitta le mieux possible de sa mission. Il dit :

     

    - Qui voudrait se déclarer pour un jeune prince qui se laisse trahir par ses favoris et qui a déjà plusieurs fois abandonné ceux qui avaient tout sacrifié pour lui ?" - pensant à Gaston, frère cadet. Et la suite ? Je laisse cela aux fouineurs qui se lanceront dans le Richelieu d'Erlanger, lequel n'a pas oublié que l'Histoire est constituée d'histoires, et non pas seulement de statistiques sur le prix du sel au XVIIe siècle ou les contrats de corporations sous Colbert. Rétablissez-donc, Messieurs en costume trois-pièces n'ayant jamais vu les baskets d'un élève, les programmes d'histoire dans leur ancienne façon, et vous verrez que nos jeunes têtes brunes la retiendront bien mieux, et cesseront plus tard de dire des conneries avec leurs bulletins de vote. Amen.

  • Rêves

     

    Je partage le lit d'une femme qui ressemble à la fois à la petite fille de L'exorciste et à la sœur aînée de Muriel. Ses dents sont très proches de ses lèvres, qu'elle porte serrée en forme de petit mufle. Ses jambes sont couvertes de tavelures plus ou moins lépreuses, très raides et remuant sans cesse dans le lit. Elle semble avoir envie de faire l'amour et moi aussi, elle alterne aguicheries et rebuffades. Quant à moi, mon désir n'étant tout de même pas irrésistible, je me flatte de parvenir au moins à des fins partielles, car j'ai grande envie de l'apprivoiser. Elle grogne terriblement. Quand je m'éveille, eh bien, c'est ma femme qui ronfle...

     

     

     

    60 05 22

     

    Avec Brigitte Joseph, ancienne élève, plus jeune, dans une chambre gratuite à dominante bleue d'un gîte pour pélerins. Nous nous sommes seulement caressés car je suis impuissant, mais à la satisfaction des deux. Cette chambre jouxte une cathédrale où j'aimerais rejoindre un groupe de touristes religieux enthousiastes devant une chapelle interne à saint Antoine de Padoue, des gens entrent et sortent par des portails étroits. Quelqu'un nous précise que les chambres sont réservées aux retraitants, il sera difficile de la réutiliser. Brigitte m'entraîne vers la sortie, et après une montée assez boueuse nous parvenons à un bistrot plus ou moins privé. Devant une amie, B.J. me dit que jusqu'à la fin du dîner que nous avions pris la veille elle était vraiment avec moi ; ensuite, je l'aurais étourdie avec des plaisanteries incessantes.

     

    Je réponds, prenant l'amie à témoin, que je n'ai malheureusement le choix qu'entre devenir ennuyeux ou devenir bouffon. Pas de remède.

     

     

     

    Bel immeuble.JPG60 05 24

     

    Décide d'aller voir seul un match de foot contre une équipe d'Angleterre qu'il faut absolument avoir contemplée dans ses œuvres... La foule est considérable dans les entrailles du stade : ceux qui s'en vont, ceux qui arrivent. Je dépasse une ancienne élève (14 ans) qui me sourit, et c'est une autre qui me précède. Dans les gradins se vendent les tickets (prix : 6€50). J'ai sur moi deux billets de 10 000 AF. Le vendeur me dit : "Rangée 12, il faut jeter l'éponge après telle porte." Je parviens à une salle aux fauteuils de luxe, sans visibilité, où les gens attendent, face à des écrans luxueux – mais je n'ai pas payé pour voir un match à la télé ! Je retourne auprès du vendeur : "Tant que vous ne m'aurez pas conduit vous-même jusqu'à ma place je n'y arriverai pas". Il le fait. C'est un emplacement d'où l'on ne voit rien du tout, d'autres s'en plaignent. Un voisin entre en conversation. Je lui demande d'où vient la chanson Père Dupanloup. Il me répond qu'il a connu ce joueur, qu'il a joué avec lui, qu'il a récolté une grosse cicatrice à la lèvre supérieure (de près, c'est impressionnant).

     

    Il avait sur ce camarade composé une chanson qui ensuite le rendit célèbre, il m'en montre les paroles, très élogieuses, mais pas comique du tout. Et comme je veux lui demander de quelle façon tout le monde en est venu à ces autres paroles grotesques, il se détourne en se retenant de pleurer : "Excusez-moi". Ses pleurs me gagnent à moitié et je réponds : "Je suis navré". Mais il ne faut pas se faire remarquer. Or, les gradins s'ébranlent, nous voici tous dans un wagon automatique , devant rejoindre un emplacement d'où nous pourrons voir le match. Tantôt le train s'arrête, tantôt il repart, mes compagnons de voyage ne semblent pas inquiets, j'aurais bien envie de déconner mais il faut se fondre au groupe.

     

    La chaleur est étouffante, ma montre marque 2h1/2 et le match ne commence qu'à 3h : peut-être, enfin arrivés, trouverons-nous un "chauffeur de public" – pour l'instant, c'est bien guindé. Majorité de mecs habillés de blanc, très musclés.

     

     

     

    REVE LONG ET TOUFFU DU 31 05 2060

     

     

     

    Lors des préparatifs d'un grand repas de fin d'année au Lycée d'Aspartang, Blronzo et un autre installent des lustres dans la grende salle de réception. Ils sont juchés sur des échelles. Bronzo ne cesse de dire des horreurs sur moi, que je suis lâche et traître. Il ne sait pas que d'en bas j'entends tout. Je décide, profondément vexé, de ne plus jamais lui adresser la parole de toute la soirée. Il me fait consulter un correcteur pour me faire expliquer trois erreurs graves dans une version grecque d'agrégation. Il y consent, avec des notes qu'il tient à la main. J'ai confondu avec un autre, de façon étourdie, le verbe "empoisonner". Puis le raout se déroule. Des discours ont lieu, un bal terminal.

     

    Pour éviter cela, je me réfugie dans des toilettes aux parois réfléchissantes, où grouillent des enfants des deux sexes qui courent partout. Certains me regardent avec curiosité, et voudraient même jouer les voyeurs. Quand je reviens dans la salle, tout le monde mange, il y a là plus de cent personnes. Je quitte ces lieux avec mélancolie en fredonnant du faux Nino Rota, et le dis à un jeune collège sympathique marchant à côté de moi : je suis en retraite, mais avais besoin lui dis-je de me renseigner sur une version grecque. Mmes Corral, Verdon et Dessonu se plaignent de l'ambiance détestable du repas, Boussachon n'a pas cessé d'accaparer toute la conversation, et de plus, ce n'étit jamais elles qu'on photographiait.

     

    Pour une fois qu'il ne s'agit pas de moi... Pour regagner Bordeaux, je prends dans ma camionnette Mme Dessonu et sa petite fille. Cette dernière doit maintenir une tige de métal graisseux qui ballotte debout près de son siège, ce n'est pas très commode. Avec son mari, Mme Dessonu née Klapfenstein s'installe à l'arrière. Le retour s'effectue de nuit, heureusement, le parking du lycée n'était pas fermé derrière son portail grillagé. Des coureurs nocturnes visiblement ivres ou drogués s'exercent imprudemment sur la route, ils sont en shorts rouges, ils proviennent d'une base militaire toute proche où l'on a la bouteille facile. Puis un autre s'abat presque sous nos roues ; je n'ai rien pour le soigner, mais d'autres, derrière nous, s'arrêtent pour lui porter secours.

     

    Une 4L débouche en zigzaguant d'un chemin forestier. Mme Dessonu n'est pas rassurée. Passé le rond-point, nous faisons escale dans un grand café. Ma passagère et sa famille boivent un soda à une table ; son mari prendra le relais, il est venu à sa rencontre dans un véhicule en bien meilleur état que le mien. C'est très bel homme aimable et cultive, ressemblant à Scipion Emilien. Je ressens à faire sa connaissance un certain malaise de nature raciste, car il est marocain. De plus un autre collègue également maghrébin s'est assis à côté de nous. Pour repartir, seul, je rejoins mon véhicule. D'abord, je cours à pied, un aller-retour, sur une tombe de poète occitan aux mentions effacées, il mourut en 1917, sa tombe mal entretenue porte la mention de ce qu'il fut, dans sa langue. À ceux qui m'observent, par manière de plaisanterie amère, je dis que c'est ce qui m'attend, et encore, au mieux. Mon véhicule se trouve bien coincé entre un scooter et un pilier, à l'étage. Comment sortir ? Il est possible de se dégager par une savante manœuvre latérale, il faudra redescendre en marche arrière par des escaliers plats, de la hauteur d'un entresol. Ici, ma femme m'accueille gentiment car elle était inquiète.

     

  • Les pêcheurs de lune

     

    Bonsoir. Ici l'on est sérieux, ici l'on cause, on emmerde le peuple pour son bien et pour sa culture. On vous matraque Malicorne et Manset, une fois par semaine à la même heure, ce qui est insoutenable. On vous fourgue du feuilleton sur sauce cambodgienne, des textes sur fond d'Irène Papas, rien que du superchiant, du superbâclé. Ce n'est pas ainsi qu'on attire le client. Mais nous en avons marre du discours "tout le monde il est beau tout le monde il est gentil", dentifrice et Jean-Pierre Foucaud. Ici c'est le club des grognons. Salut tout le monde, salut les Hures Graves ! Heureusement qu'il y a Costès, Desproges et Marie-André en quatrième, j'ai bien dit quatrième disque ! Place au club.

     

     

     

    / Deux disques de variété /

     

     

     

    Bon ! aujourd'hui, qu'avons-nous pêché ? Les pêcheurs de lune de Raspail, encore lui, l'inévitable, parce qu'il n'y a que lui qui me plaise en ce moment. Et qu'est-ce qu'un "pêcheur de lunes" ? un ramasseur de vieilleries, déboucheurs de flacons vides, traqueur de petits riens, de peuples disparus. Vous vous souvenez de Qui se souvient des hommes ? Raspail y déplorait la disparition lente, par civilisation européenne interposée, des derniers Indiens de la Terre de Feu. Cette fois, ce sont tous les Indiens du monde qui font défiler devant nous leurs fantômes, des Nord-Américains aux derniers Blancs du Japon... Ce qui pousse Raspail à répertorier ainsi les dernières peuplades, c'est la certitude qu'avec elles, c'est nous qui disparaissons.

     

    Il n'y a pas que des espèces animales en voie de disparition, il y a aussi les peuples humains. Quand il n'y aura plus qu'un seul peuple, le nôtre, ce peuple disparaîtra. "Nous autres civilisations..." - après nous, nulle autre ne viendra. Malheur à qui dévore, il sera dévoré. Jean Raspail rassemble ici les os et les poudres de toutes les civilisations dévorées. Où sont passés les Indiens de New-York, ceux de l'altiplano péruvien, qui se croyaient des dieux ? les Aïnos du Japon, ces Blancs qui se trompèrent de direction, l'est au lieu de l'ouest ? Il me souvient en effet que je fus passionné de Sciences et Voyages, dans les années 53-57 : ma grand-mère m'en offrait un volume par an.

     

    Bonne Mère.JPG

    En ce temps-là les Aïnous existaient encore ; ils s'incisaient la lèvre supérieure et tatouaient des moustaches à leurs femmes ; ils célébraient la fête de l'Ours. En 1987, il n'en restait que trois, posant gras et dégénérés sur une carte postale. Combien avons-nous supprimé de primitifs, au coiurs des siècles ? Que reste-t-il des Romains ? La roue du temps passe, écrasant les peuples. Mais qui dit que les hommes obéissent à la seule nature ? Nous avons appris à voler, à nager sous l'eau, pourquoi n'irions-nous pas contre les lois ? Pourquoi laissons-nous pourrir les patois ? Pourquoi le dernier Cornouaillais s'est-il éteint en 1778 sans que nul n'ait noté un mot de sa langue ? Raspail rejoint Dumézil, qui sauva une langue du Caucase. Pensez, maris et femmes, aux frustrations qui vous dévorent si vous émettez une idée, puis que survient votre conjoint qui vous en souffle une autre, tellement meilleure, objectivement meilleure ; vous abdiquez.

     

    Nécessairement. Pourquoi, nous autres races inférieures, ne parvenons-nous pas à survivre ? Pourquoi le meilleur toujours doit-il l'emporter ? Pourquoi n'aurions-nous pas, dans notre propre Histoire, conservé des plages de XVIe, de XVIIe siècle ? Personne n'y croirait donc plus ? Serait-ce si difficile de créer des conservatoires du temps comme autant de parcs nationaux, traitant le temps comme l'espace ? Pourquoi ne ferions-nous pas de la piété le moteur du souverain ? Le Puy du Fou, à cet égard exemplaire : le monde chouan reconstitué, vu et revisité par les descendants des Chouans. Mais nous devons, ensuite, poser le masque et redevenir modernes. C'est insoluble. L'Indien emplumé des stations d'autoroute n'y croit plus. Mais quand même. Rien qu'un petit vestige. Reste à parcourir les pages du volume (...)

     

  • C'est tellement bon que je vous en remets une couche

     

    Quel âge avez-vous ? - Je suis mort

     

    à quarante-cinq ans.

     

    « Mais ça fait dix ans que j'habite le caveau treize. On compte dix ans d'âge. Mon nom, c’est Michel

     

    Parmentier - je reviendrai plus tard. Pour l'instant, dormez. Les jeunes morts ont besoin de

     

    beaucoup de sommeil." ...Ou plutôt je m'enfonce dans une sorte de glaire onirique, une longue

     

    coulée de rêves emmêlés. Ma femme se penche sur moi. Le souvenir des derniers coups d'artères au

     

    fond de mes tympans "...j'entends des pas dans l'ombre" - puis des vagues, des roulis de songes -une musique poignante et lancinante de requiems mêlés, de Mozart, de Jean Gilles, de Cherubini (I

     

    et II) pour la mort de Louis XVI ; des éclairs glauques, une sourde douleur dans la nuque.

     

    Des gargouillis en bulles à la surface de mon cerveau. Et, au milieu de déchirants points d'orgue ,

     

    une voix qui me transperce : « Bernard ! Bernard ! Je te verrai la nuit prochaine !" et la face de Dieu

     

    m'éblouissait, et mon corps amoindri me semblait voltiger entre les murs de mon cercueil - je

     

    m'éveillai trempé de sueur : « Voisin ! Michel Parmentier ! » La voix me semble douce : « Vous

     

    m'avez fait peur, dit-il. Comment vous appelez-vous ? - Le Rêve ! Le Rêve ! - Quel rêve ?

     

    Comment vous appelez-vous ? - Collignon ! Bernard Collignon ! - J'aurais dû vous prévenir. Ne

     

    vous tracassez pas. Dieu n'est pas si terrible. Vous vous en tirerez avec un sermon et quelques rêves

     

    de purgatoire."

     

    A travers la vitrine.JPG

    Ce jour-là, j'eus tout le temps de penser - à ma vie, ni plus ratée ni plus perdue qu'une autre. C'était

     

    ma petite fille de sept ans que je tenais dans mes bras. C'était ma femme qui me baisait tendrement

     

    la joue avant de s'endormir - nous faisions cela religieusement. C'était le terrible accident du 18 juin

     

    40 où mon père avait laissé la vie. Le fleuve à nouveau se déroulait sans fin, avec de longues

     

    échappées ensoleillées sur ce qui aurait pu être, des paysages inconnus où mon corps s'ébattait, de

     

    voluptueuses reptations subaquatiques dans l'Aisne, mon corps ruisselant, et, à mon côté, la Fiancée

     

    me tenant par la main.

     

    La prairie inondée, les grenouilles, une de nos maisons au dos si large contre la crue épanchée de la

     

    Vesle... Quelques heures plus tard, une lueur s'infiltra par le couvercle soulevé. « Salut ! » La tête

     

    hideuse et sympathique de Parmentier : "C'est le terrain qui conserve par ici". Il inspecte le

     

    cercueil : « Ce n'est pas grand, chez vous. On ne vous a pas gâté. Nous ne pouvons pas tenir à deux,

     

    je reste sur le bord. Mais plus vous vous décomposerez, plus vous aurez de liberté de mouvements.

     

    Quand vous serez bien décharné, vous pourrez commencer à sortir.

     

    « En attendant je vous amènerai du monde. - Arrangez-moi les plis du linceul sous le pantalon, c'est

     

    insupportable. » Il le fit. "Je suis venu vous réconforter un peu avant la visite à Dieu. C'est le trac,

     

    non ? - Plutôt. » Je lui révèle que j’ai touché » ma petite fille, que j'ai sodomisé ma femme, que je

     

    me suis prostitué quelque temps, lorsque j'étais étudiant... « Diable ! fait-il en se grattant

     

    précautionneusement la tête. Avez-vous tué ? - Oui, sur une barricade. - Ecoutez - je ne veux pas

     

    être pessimiste, mais vous en aurez lourd.

     

    « Je connais un abbé, dans l'allée, en face, qui doit subir toutes les nuits des cauchemars de remords.

     

    Parce qu'il faut que je vous explique : l'enfer, le purgatoire, ce n'est pas du tout comme vous vous le

     

    figurez là-haut. Il n'y a pas d'enfer, juste le purgatoire, et même pas à jet continu, parce que le

     

    Patron sait bien que nous ne pourrions pas tenir." Il hoche la tête en soupirant : « Croyez-moi, le

     

    purgatoire, c'est infernal. Et tout le monde y passe. Le ratichon, en face, ça fait vingt ans qu'il tire. Il

     

    appréhende les nuits, il réveille ses voisins.

     

    « Enfin un conseil, soyez bien calme, bien humble, et il vous sera beaucoup pardonné. Je vous

     

    quitte, ma femme m'appelle" (je n'entendis rien) "elle ne m'a rejoint que depuis deux ans, elle est

     

    encore très... tourmentée." Je m'étonne de l'entendre parler avec cette crudité. "Oh vous savez, ici,

     

    on ne fait plus attention. Au revoir !" Je le retiens, anxieux. « Allez du courage. Tout le monde doit

     

    y passer. » Après quelques instants d'angoisse, je me sentis plongé dans un profond sommeil. Une

     

    voix me déchirait les oreilles en criant mon nom, avec les inflexions écrasées d'un haut-parleur mal

     

    réglé : « Bernard ! Bernard ! » - et il me semblait que le couvercle appuyait sur moi de toutes ses

     

    forces, comme pour expulser mon âme de mon corps.

     

    En outre, pour autant que j'en pusse juger, je sentis que j'étais sorti de ma tombe, et qu'une part de

     

    moi flottait bien au-dessus, dans un espace d'une autre nature. Je ne pouvais voir ni mon corps ni

     

    mes membres, mais je sentais, loin sous moi, ma poitrine et mes os broyés à suffoquer, tandis que,

     

    distinctement et simultanément, une espèce d'autre corps, projeté et immobilisé "en l'air" à une

     

    distance incommensurable, se trouvait maintenu là en position repliée, la tête sur les genoux, les

     

    mains derrière le dos. Osant à peine relever les yeux, je vis une immense estrade de bois nu, où

     

    trônaient des anges noirs, drapés dans leurs ailes. Je compris que ce qui me ligotait ainsi, ce qui me

     

    forçait à rester immobile, c'était la présence, l'essence même de Dieu. Je me trouvais englobé en

     

    Lui, et Sa force me pressait de toutes parts. Un Souffle Ardent me parcourut, qui intimait

     

    compréhension, sans qu'il fût besoin de mots.

     

    Il m'accusait d'inceste, et du meurtre d'un flic. Alors le Souffle m'enserrait plus âprement. Et je

     

    baissais la tête en murmurant. Et je sentais mon corps, celui d'en bas, pressés entre deux grils

     

    rougis. Je voulus regarder au moins les Anges en face! Ils se tenaient fort droit, comme il est juste :

     

    Juges, et Témoins. Ils me semblèrent ridicules, et Dieu lut en mon coeur. Je m'inventai de nouveaux

     

    crimes, et chaque aveu me courbait un peu plus : n'avoir plus assisté à la messe depuis... « Je m'en

     

    fous ! » tonna DIEU, et les Anges éclatèrent de rire, en découvrant leurs dents aiguës comme des

     

    poignards.

     

    Tranchant enfin mon sexe avec mes propres dents je le tendis à l'Ange le plus proche, qui l'enfouit

     

    sous ses plumes. Enfin je murmurai, écrasé de repentir et d'amour : « Seigneur, je ne suis que

     

    poussière. - TEL EST TON REVE, ECOUTE, dit le Seigneur.

     

    TU SENTIRAS TON AME COMBLEE DE REMORDS. ET CE REMORDS TE SERA

     

    VOLUPTE, ET CETTE VOLUPTE TE SERA PLUS GRAND HONTE ENCORE. ET DE LA

     

    HONTE MEME TU TIRERAS TA VOLUPTE. Retourne dans ta tombe, et crois en Ma

     

    Miséricorde."

     

    Tel fut Son ordre. Et les anges s'envolèrent, agitant leurs ailes noires en poussant des cris rauques.

     

  • A Jérôme B.

    2046 06 20
        Violent, terrible, grouillant de mammifères et de poireaux comme de raves analphabètes et troublants, qui peut ignorer le monde absurde de Robert Schmehl ? Souvent, de plus, vous irez au-devant de ses désirs en vous abîmant au fond des voluptés droguaires - joie : plus d'enfants, plus de renouvellement, la chair humaine enfin incessamment réparée, enfin en passe d'être éternelle, grâce aux bienfaisantes matrices des vaches et des truies.
        Les oiseaux sont tout petits.
       

    Aquarium flash.JPG

    Les fraises croissent artificiellement. Fin de l'anthropocentrisme biblique, saint Thieuloy enfin comblé : l'homme n'est plus seul à régner. Je me fouts (orthographe célinienne) de la perte de ma liberté : vous imaginez-vous, humains, qu'un seul instant il vous est donné de vivre libres ? Ni gloire, ni argent, ni conquêtes amoureuses ; ni même de voyages, les bienheureux voyages - et je devrais, vous devriez danser de satisfaction ?
         Pauvres, pauvres humains en proie aux moralistes, aux hypocrites donneurs de leçons, libérez-vous de vos chaînes, seule la mort est au bout, et nous ne sommes pas libre ! Quel message veux-tu donner aux humains ? Celui-ci : mangez, tuez et pillez, car demain est la Mort. Hélas, je ne puis supporter la vue du sang, je ne puis tolérer l'injustice ! Mon Dieu que je suis faible !
        Je ne sais plus, dit le Personnage, celui que l'auteur veut à toute force  faire passer  pour un personnage - lequel se replia sur lui-même, en position foetale, et coincé en lui-même se mit à prier, à gémir, à s'en remettre à ce Dieu qu'il niait. Robert Schmehl est le peintre que j'aurais pu être, si j'avais su dessiner, car il est très facile de dessiner : j'aurais - comme d'habitude ! - écrasé le genre humain, j'aurais humilié tout le monde de ma réussite et de ma gloire, et voilà pourquoi je ne suis pas devenu glorieux : pour ne pas vaincre éhontément.
        Il ne faut pas faire de peine à ton père.   
        Pauvre papa. C'est malin.
        Ma bibliographie est le monde entier, les livres tout entiers de laplanète entière, qui croulent et fondent sur vous dès que vous levez les yeux vers ces innombrables rayonnages d'ouvrages à vendre.  Seigneur, je suis moins intimidé chz les bouquinistes, dont les auteurs, au moins, sont morts. Je peux me situerparmi eux, mort parmi les morts.
        Les peintures neproduisent pas d'effet semblable : ce sont des livres qu'on lit d'un coup, qu'on éventre sous les spots, de la première à la dernière ligne. Une claque. Non un effeuillement. Je ne pense pas qu'aucun peintre, visitant un musée, se soit montré découragé. Mais stimulé. Je voulais me concentrer sur moi-même, sur l'oeuvre à faire. Je devais mêler ma voix à ce grand concert de feuilles convergentes.
        Ne pas se laisser détourner. Me croire absolument le seul au monde, infiniment supérieur à tous ceux-là. Non pas la modestie : une crispation d'homme seul, une élimination de tous afin d'être le meilleur. Mon lecteur trouvera tout ce qu'il souhaite : de la folie surtout, déclinée sous tout aspect, du désarroi, de l'abandon à Dieu, de la facilité, beaucoup de facilité.
        Vous aussi - il faudra bien que je vous interpelle et vous secoue à bras le corps pour vous faire tomber les ressemblances du corps comme des fruits rétifs - vous aimeriez n'est-ce pas vous permettre ces trépignements affolés - je vous ai damné le pion, j'aurai pour une fois damé le pion à tous ces redresseurs de torts, comprendrez-vous que je vous aime et vous déteste ?
        - Mais tu es comme tout le monde, comme tout le monde, rien inventé, etc...
        Complaisance. Et amour du français. Suivez je vous prie : la peinture, une représentation, du moins chez Schmehl ; littérature, expression ; langue française, belle menacée, moi en pointe, toujours ! la construction viendra plus tard. Later.  Mes ouvrages sont disponibles à mon adresse. Personne ne veut prendre le risque d'une telle médiocrité. Lassante, je veux dire.
        - Laisse-nous juger par nous-mêmes.
        - Jamais. Jamais. Vous êtes trop nuls. Et surtout, jamais libres. Jamais jamais. Je ne vous laisserai pas libres, pas plus que vous ne me l'avez laissé. Quoi, pas de gloire, pas de femmes (voir plus haut) - et vous voudriez être libres ? Vous qui m'imposez la mondialisation ?  La mort de ma langue ? ("Week-end" sournoisement remplacé par "fin de semaine" ; "one-man-show" ou "one-woman-show" par "seul(e) en scène", bravo, allez les Don Quichote, pour l'honneur, pour l'honneur,  en français dans le texte), libérez-vous de vos chaînes, seule la mort est au bout, et nous ne sommes pas libres

  • Richelieu et son dur métier

     

    Il paraît qu'un mendiant avait dit au Cardinal, sortant de la messe, qu'après tout ils étaient frères tous les deux. L'affirmation fit bien rire autour de l'ecclésiastique, lequel répondit à peu près : "A vous voir, on ne le dirait pas". Qui nous prouve que nos descendants ne s'indigneront pas devant nos différences entre hommes et femmes encore bien distinctes aujourd'hui, ou bien entre les adultes et les enfants ? Mais Richelieu se démenait sur tous les fronts à la fois. La guerre ? C'était bon pour l'Allemagne avec sa Guerre de Trente Ans. Les paysans de Normandie ? Au bout des branches.

     

    Ceux de Provence ? Ils se battent contre les artisans de ladite Provence, comme ça, l'aristocratie a la paix. Les protestants ? On les écrase à La Rochelle, et les Anglais repartent sur leurs beaux bateaux inefficaces. La ligne de conduite de Richelieu a toujours été droite comme des rails de chemin de fer : le roi, rien que le roi. Fidélité absolue au principe royal. Tenir bon. S'obstiner, ce qui donne toujours raison à la longue. Toutes les crises ont été résolues par cette fidélité sans failles, au point que nous savons le dénouement dès que le nœud se noue ; et à la fin de la Journée des Dupes, qui devait voir sa chute, c'est encore l'homme d'Eglise qui triomphe. Au point que c'en est aussi prévisible que les épisodes de Zorro, mis à part que c'est le méchant, le policier, l'espion-chef, le vindicatif et le cruel mais nécessaire Richelieu qui l'emporte.

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    Fasciste ? C'est un anachronisme. Le seul point commun, si l'on y tient, est la subordination de tout à l'intérêt de l'Etat. Mis à part que les fachos font semblant d'être purs alors qu'ils se battent pour tricher sur tout ce qui rapporte du pognon, alors que Richelieu a peu pillé par rapport aux courtisans avides. Vous le voyez, nous avons brossé à grands traits un portrait bien agité, tout à fait différent de la célèbre peinture de Philippe de Champaigne, où le Cardinal nous domine de ses airs altièrement hiératiques. Le propos n'est pas ici de suppléer les carences de l'Education Nationale qui n'apprend plus ces choses-là aux enfants n'est-ce pas, en retraçant les grandes étapes de la carrière de notre grand homme.

     

    Reportez-vous aux manuels des années 60, où s'étale cependant une erreur : le Cardinal de Richelieu ne défendait nullement les "frontières naturelles de la France", mais essayait d'éviter par exemple que les armées suédoises de Gustave-Adolphe, front carré, grand nez, grosse bite et myope, ne franchissent le Rhin, les détournant plutôt vers l'intérieur de l'Allemagne, où les massacres épargnaient du moins les ressortissants français. Il évitait que les Espagnols ne dépassassent Corbie, car ils étaient à la fois au nord et au sud en ce temps-là. Autrement, nous tombions sous un régime bigot et catholique à nous flinguer tous. Et ce qui ressort comme toujours de ces immenses biographies, c'est l'incroyable morcellement, pullulement, émiettement, pulvérisation, de tant et tant d'actions, cet inextricable écheveau d'intrigues, dont on ne voit ni ne pressent la fin (sauf celle de la fidélité au roi) : mais Richelieu ne pouvait prévoir que tout finirait à son avantage et à celui de la France. Bien des fois il se crut perdu, à deux doigts du renvoi ou de l'enchaînement au sens propre. Eut-il du courage ? Ou bien le courage faisait-il partie de sa destinée? Et la prévoyance, la présence d'esprit ?

     

    A sa mort, la première Fronde est momentanément écrasée. La bataille de Rocroi sauvera la frontière nord. Les vicissitudes ne seront pas terminées pour autant, mais Louis XIV, fils de Louis XIII à la suite d'une nuit d'orage à St-Germain-en-Laye, réglera tout cela de façon bien autoritaire – il fallait aussi résoudre le problème de la succession génitale, et le Cardinal ne pouvait pas tout de même s'y mettre en personne. Nous allons explorer quelques diverticules de ce dédale évènementiel excrémentiel : le roi vient d'apprendre l'exécution d'un ennemi intérieur, et se réjouit. Nous sommes en 1632, notre historien Philippe Erlanger suivant l'ordre chronologique avec une application totale, ce qui permet de rapprocher toutes les activités de son héros ecclésiastique : cela témoigne de la multiplicité microscopique des soucis d'icelui, loin des grandes conclusions d'ensemble qui simplifient au contraire un peu trop.

     

    Le roi donc s'exclame "Vous m'avez fait bonne justice !" Erlanger commente : "Le récit de la mort digne et pieuse du vieux soldat n'éveilla aucun scrupule en sa conscience ordinairement tourmentée. Les Mémoires de Richelieu devaient tirer l'implacable enseignement de ce déni de justice : "La multitude des coupables fait qu'il n'est pas convenable de les punir tous. Il y en a qui sont bons pour l'exemple et pour retenir à l'avenir, par crainte, les autres dans le respect des lois." Eh oui. Pragmatisme. Machiavélisme. Cynisme. J'entends bêler d'ici. C'est La raison d'Etat, titre du chapitre suivant, de mai à octobre 1632. "Au cours de l'automne 1631" (revenons en arrière pour plus de clarté, ce dont Erlanger ne se prive pas) "le duc de Roannez, un autre de ces Grands que Richelieu voulait abaisser, avait été traduit devant la Chambre de l'Arsenal et le terrible Laffemas pour crime de fausse monnaie. Il s'enfuit à Bruxelles. En mai, espérant obtenir son pardon, il alla conter au représentant de Louis XIII le vaste complot tramé par la Reine-Mère, Monsieur, les ducs de Lorraine, de Savoie et de Bouiillon. Il accusa MM. de Montmorency, de Créqui et de Chaulnes "d'être de la partie". Ouh le vilain cafteur.