Proullaud296

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • A l'aurore

     

    Seul à sept heures parmi les pierres et les grincements de coqs. Un chien gueule en contrebas. La route gravillonnée se redresse et percute de plein fouet l'église, à cent pas – qu'on devine à son maigre pan de mur ajouré où se balance une cloche, comme une figue oubliée. Cela ressemble à une grange. Recroquevillée, tassée-boulée contre la vieille agglomérée qui s'effrite, elle dresse son flanc aveugle au fond d'une aire poudreuse, mi-place mi-cour. À main gauche une ligne de maisons blanches, ébréchée de jardins qui dévalent ; à droite l'aire-place s'indécise, court à un arbre, se bute à un roc d'achoppement, monte vers le Calvaire, m'attire et me propulse, s'ouvre en panorama : j'ai sous les yeux la vallée du Lot, de Puy-l'Evêque à Villeneuve, infestée de villas blanches, des œufs de fourmis ; en bas grouille la vermine qui renâcle dans son lit avant de courir aux fonderies de Fumel.

     

    À l'horizon les serres se découpent sur le bleu acidulé. Sous mes pieds la falaise de roc, à l'assaut de laquelle monte un enchevêtrement de ronces et de boîtes à conserves, litrons de plastique et lianes ; un fourré, une décharge, les fleurs d'orties mauves entre les cartons. Vers la gauche, entre moi, l'arbre et la croix, une butte témoin obstrue la vue et hausse un occiput herbu, hanté de possibles chèvres. Un fossé qui m'en sépare se creuse en U, à profondeur d'homme, j'y descends pisser. Au-dessus le roc s'y soulève et me fixe de ses orbites aveugles. Je l'empoigne, comme avant moi bien des gosses de montserrat, et me retrouve sur une petite plate-forme de quatre mètres carrés, à pic sur trois côtés, la cime des arbres à mes pieds. Le vent désarçonne mes cheveux, ronfle à mes tempes, l'arbre au-dessous de moi s'agite. Le chemin jaune en bas puis la prairie jusque plus bas encore. Le temps d'une accalmie j'entends deux chiens chassant jaunes aussi je pense, un tracteur pétarade entre d'autres roches. À gauche le calvaire. À droite, profonds, les immondices. Je reste ainsi longtemps sous les boulets du vent, blasonné de soleil, écartelé de vent, j'ouvre les br as et danse dans mes bottes en frappant mes cuisses, inattentif au gouffred'où souffle, décanté des vapeurs d'usine, le vent sidéral directement sur moi. Le cul, l'escalator.JPG

     

    Le ciel s'est dégagé, le soleil donne, les yeux rougis, je redescends. Du regard, sur la place, je cherche un bistrot, un bureau de tabac. Des volets bâillent ou claquent en révélant leurstrognes somnolentes, papillotes, faciès fripés, cols avachis. Sur le seuil de ce qui me semble une auberge, une ménagère, croupe haute, tape un paillasson. Ses hémisphères jambonneux me montent l'eau en bouche. "Pardon madame – pardon madame - est-ce que je peux déjeuner ? La tapeuse se redresse et me prend pour un fou. Je demande si la mansarde du premier est toujours libre – mes bagages arriveront en fin de matinée - mais ce n'est pas un hôtel ici Monsieur – regard fuyant - vous ne reprenez pas votre logement ?

     

    - Pas question. - Je vais voir si je peux vous garder, disons quinze jours ?" Brune boulotte d'âge indécis, large face aux yeux glauques, boucles sur le front – c'est le regard surtout qui attire : perçant et mousse à la fois, hésitant et déterminé, fixe et mouvant – comme un cache qui palpiterait au fond de l'œil. 54 ans, hagarde. "Me ferez des œufs. - Monsieur Ménestrel ?

     

      • Oui ?

      • Faudra vous raser.

     

    Elle tourne le dos et m'invite à la suivre. Le vent me pousse aux épaules. De plein-pied s'ouvre une haute et sombre salle que le soleil levant n'arrive pas à désobscurcir. Les coins sont rongés d'ombre. La table d'hôte, lourde et sans nappe, occupe le mitan. Un vaisselier me fixe de ses plats ronds. Je m'assieds sur la banquette au skaï crevé, mes yeux s'accommodent, je distingue à main droitel'horloge que je touche et les murs écaillés. À gauche dans la cuisine la Gignard, puisqu'il faut l'appeler par son nom, prépare le frühstück : larges tartines, demi-sel, bol crémeux ? Non : plateau de teck avec geisha, fleurs de pommier rose et Fuji-Yama ; un petit pot pour le lait, l'autre pour le café, quatre sucres dans la coupelle, rondelles de pain, tasse bleue myosotis, miel, confiture, serviette en papier de riz "Et voilà" dit l'hôtesse.

     

    Qui sent le vin. Puis, couvrant le vacarme des coqs, la complainte obstinéede l'aspirateur. Alors arrive le vieux. Petit. Ramassé. Replié. Pas à pas, un par un, il atteint la banquette crevée qui court le long du mur. Je soulève la cafetière en maintenant le couvercle, le café noie au creux du bol les pieds du sage, son drapé, son rouleau et sa barbe imprimés dans le creux ; les yeux du Chinois disparaissent dans ses rides, son chignon bleu est cerclé d'or. Je vois sur le mur oblique la silhouette en lente reptation du vieux, ses orbites à présent devant moi sous la visière et puis la canne et le poing sur la canne – ses doigts ne tiennent que par le nœud des veines "Je ne suis pas encore mort" dit-il ajoutant : ma tombe n'est pas encore creusée- j'espère qu'il mourra sans m'avoir touché - le voici qui s'assoit. Le bois craque et la bourre du skaï ressort en hernie. Par la porte de la cuisine passe la tête inquiète bouche en fer à cheval de la patronne qui se retire aussitôt -l'oncle Jonasa ici ses entrées.

     

    Progressant de côté d'une fesse sur l'autre, ouvert, fermé, ouvert, fermé, il parvient à ma gauche et cette fois, oui, il me fixe. Tartine aux lèvres et bouche pleine et sans goût, je m'incline, déglutis - le voici juste sur ma gauche, au pied de l'horloge où pendule un balancier d'or comme au fond d'une blessure. L'oncle dit Je t'ai fait peur Ses yeux sont vitreux, striés aussi, écartelés sous le creux des arcades – ses doigts me serrent le coude, ses lèvres s'entr'ouvrent et ma bouche se sèche Quand je chie –dit-il - je chie des bouts d'intestins. J'imagine la migration massive, instantanée, d'une horde de cellules cancéreuses, tandis que lui, Jonas, demeurerait soudain à tout jamais vrillé, grêlé de cavernes suintantes ; des taches verruqueuses et noires cribleraient la peau de mon visage – à ce moment paraît dans l'embrasure la tête contractée de la logeuse – qu'est-ce que t'en dit ?

     

    - Baisez-lui le creux de la main dit-elle - une main noire et creusée jusqu'à l'os. Je m'exécute.

     

  • Histoire et autres

     

    Quel sérieux ! Quelle gravité ! Le commentateur ne doute pas un instant que le lecteur ne se rue, sitôt l'ouvrage refermé, sur ces chefs-d'œuvre de gestion, qui eux, au moins, servent à quelque chose ! L'analyse du contenu d'une telle réforme amène certains observateurs supercifiels à penser que l'U.R.S.S. (bien placer les points après chaque abréviation) fait un pas décisif vers la restauration du capitalisme. Erreur grossière ! Penser à ces classifications de bibliothécaires sur les livres de religion, disséquées à fond sous diverses cotes, au moins 10, pour les chrétiens, tandis qu'une seule de ces mêmes cotes rassemblait les “autres religions” !

     

    La divinité floue.JPGDevant la complexité des approfondissements, certains autres esprits non moins superficiels rejettent toutes les subtilités, les décrètent de vanité, pour se réfugier dans la présence de Dieu ou le néant âprement dénoncé, ce qui est le même gloubiboulga. Le tout témoigne d'une grande paresse et d'un manque total d'originalité, voire de personnalité. En résumé, je m'emmerde à lire – car, s'il y a bien rapprochement des économies capitalistes et collectivistes sur le plan de la gestion, l'utilisation du profit qui en résulte reste fondamentalement différente puisque dans le premier cas, il s'agit d'un profit privé et dans le second d'un profit collectif. Notre client de bar en zinc ne manquera pas d'objecter que bien des industriels soviétiques se sont taillé de belles fortunes personnelles, et que les sales entreprises privées des USA se sont tournées vers le bien-être de la ou

     

    d'une collectivité. Encore le "tout se vaut". Encore l'éloge de la liberté sur le prévisionnisme. Encore le schéma d'une dissertation sur le général et le particulier, la disparition par émiettement ou par dilution. Alors ? Qu'en penses-tu ? N'y a-t-il pas net avantage en faveur de la générosité collectiviste? En réalité ce qui change ce sont les moyens qu'emploie le communisme soviétique pour parvenir à ses fins : direction collégiale et non plus dictature d'un seul homme ; coexistence pacifique et non plus guerre froide ; autogestion des entreprises et non plus gestion bureaucratique et centralisée. On ne saurait mieux dire : la forme, en effet, et non le fond : car la direction collégiale fut pourchassée, cassée, sitôt qu'elle s'éloignait d'un fil des directives gouvernementales, et ses promoteurs envoyés aux camps - pas question d'autogestion ; la dictature d'un seul homme ne correspond pas du tout, que je sache, aux méthodes de production en Occident, mais s'exerce bien plus en descendant des hautes sphères du Parti, et tout à l'avenant.

     

     

    Et nous voici rendus, Mesdames et Messieurs, à l'indispensable tableau chronologique de fin de volume, où voisinent par colonnes les “relations internationales”, “la France”, “les nations occidentales y compris le Japon”, “le monde communiste”, enfin les “sciences, arts et faits religieux”. Ces derniers, en 1971 ancien style, ont paru si essentielles à notre brave Thibault qu'il les place en conclusion ultime, en position d'arbitrage, à son très inégal volume sur Le temps des contestations. Ce ne sont qu'avertissements apocalyptiques, sur l'équilibre de la terreur entre les deux superpuissances atomiques, et déclarations amoindrissantes sur les grands mouvements sociaux de la dernière décennie d'alors, qui est bien autre chose qu'un prurit étudiant ou libertaire.

     

    Eh oui pépé, la boîte de Pandore est ouverte (dans la version des vices qui s'en échappe, version sans charme) et Zeus sait quand elle aura fini de se vider. Dans la version primitive, c'étaient les bienfaits qui s'envolaient au ciel ; au fond de la boîte restait l'espérance, de façon bien plus poétique. Mais allez demander de la culture aux journalistes... Bref, à l'entendre, nous étions au bord du précipice... Or depuis que nous y sommes, nous avons fini par nous apercevoir que nous étions le précipice, de même que nous étions l'horizon, et qu'il fallait nous contenter de ces immenses limites. Et le spectacle continnue, de ces pantins qui grimacent au bord de l'abîme avant de s'y abîmer, puisqu'il faut faire dans le littéraire.

     

    Cette année-là (1950) Kurosawa sortait Rashomon. Quatre versions différentes d'un crime. Pas vu. Ou si peu, en dormant sur un canapé face au petit écran. Confondu avec Ran, s'il existe, épopée guerrière avec plein de fanions japonais. Luis Buñuel met en scène Los Olvidados, production hispano-mexicaine. Celui-là, je l'ai vu, en noir et blanc, avec la fameuse scène du répugnant piétinement des têtes par les chevaux des riches, qui font semblant de ne rien voir à leurs pieds, tout en jouissant du cul sur leurs selles. Vu sur grand écran, puis sur petit. C'est la première fois qui fait le souvenir. Un de ces films nasillards et terribles, axés sur la misère. Le communisme a passé, toujours autant de misères. Elles se passent le relais, nous autres sur nos chevaux nous plaignons des selles de travers, sous nos sabots éclatent les têtes. Mais nous nous en foutons.

     

    C'est la vie, n'est-ce pas. Nous n'y pouvons rien. Nous sommes dans nos jus de mort prochaine, dont il va bien falloir s'occuper un jour. Ils n'avaient qu'à, ces pauvres, s'en sortir seuls. Je paye mes impôts, moi, Monsieur. Je ne peux pas accueillir toute la misère du monde, je ne peux pas remédier à tout. Tout est banal. Je donne à ma mendiante de la poste, qui va en avion à Rabat pour voir la famille. Nous n'avons pas l'habitude de réfléchir à ces choses-là. Le clochard de la médiathèque avait un appartement, une télévision, une femme et des enfants, l'an dernier encore peut-être. Il erre toute la nuit et s'endort au chaud dans son fauteuil ergonomique. Je lui chipe son Charlie-Hebdo à ses pieds, car je suis un contestataire, et même, un rigolo.

     

    Assis sur mon fauteuil à moi, je l'entends grommeler qu'il ne faut pas se gêner, puis, ma lecture révolutionnaire achevée, je replace l'hebdomadaire sur son présentoir. Il n'aura qu'à se relever pour le lire. “Il ne nous reste plus que le courage d'être lâches” disait Philippe Noiret. Cela ne saurait tenir lieu de conclusion.

     

  • Pro Marcello

     

    Le champ d'honneur.JPG

    Le Pro Marcello de Cicéron devrait se prononcer à l'italienne, ça aurait de la gueule, mais, selon nos philologues, il se prononce [Markello], et nous dirons, nous autres Français, au nominatif, Marcellus. De plus, il y en a deux, cousins germains, Caïus et Marcus. Mais pour les distinguer, l'un est un ami de César, l'autre un ennemi de César. Être ennemi de César, cela signifie montrer de l'amitié pour Pompée, républicain, magouilleur, prétentieux, plein de morgue, fourbe professionnel, et retournant sa veste chaque fois qu'il le faut, bref, la vraie bête politique. Or ce Marcus, ennemi de César, lui ressemblait. C'est curieux n'est-ce pas comme on déteste ceux qui ont finalement le même caractère que soi.

     

    Cicéron était dans le même cas. Il choisit d'évoquer, du haut de la tribune, ledit Marcus, prorépublicain. Cicéron aimait la République, le Sénat, tout ce qui était sincère et légal. Or, il s'était vite rendu compte que le champion de la République et du Sénat, Pompée, ne valait pas grand-chose en tant qu'homme : bouffi d'orgueil, ne rêvant que d'écraser son adversaire sous le poids des procès, un type assez puant. Et Cicéron, malgré son républicanisme, aimait beaucoup César. Et réciproquement. L'avocat va donc remercier César d'avoir pardonné à Marcus Marcellus, un pro-Pompée, qui a préféré ses convictions républicaines personnelles à son indine représentant, faisant donc passer les convictions avant les sentiments personnels.

     

    Cicéron a fait le contraire : il s'est rendu compte que le vilain candidat dictateur avait de la valeur, tandis que le gentil républicain, Pompée, n'était qu'un vil blaireau à la fin de sa carrière. Vous suivez bien la tactique de Cicéron ? Il défend un homme qui a conservé ses convictions, devant César, auquel il s'est rallié en soupirant comme une fiancée qui aime bien les grosses brutes. Comme ça, si le Marcellus vient faire ronron aux pieds de César, il aura suivi le même itinéraire que Cicéron ! Et Cicéron pourra dire : "Vous voyez bien ! Il n'y a pas que moi qui ait changé d'avis !" Ô combien tout cela est confus !

     

    On dirait l'intérieur d'une âme humaine, tiens. Le discours, vous n'en entendrez pas une miette, car le sort m'a mené jusqu'au seuil, nec plus ultra, c'est-à-dire "et pas au-delà". Les discours de Cicéron m'ont toujours fait ronfler. Ce ne sont que longues périodes et balancements interminables, agrémentés d'arguments bidons, de mauvaise foi recouvrant la bonne foi ou l'inverse, de grandes envolées, de flatteries absolument immondes, car après la langue de Cicéron, les culs étaient bien propres. Et puis il me ressemble trop, voir plus haut – flagorneries mises à part bien entendu, eh, faut pas exagérer non plus. Mais pour les valses hésitation, les recroquevillements pas courageux en attendant que ça se passe, "qui des deux j'aime le mieux, papa ou maman", là, oui, je me retrouve bien, mais je ne suis pas le seul. Tel est le drame des intelligences supérieures (Cicéron, bien sûr, Cicéron...) qui cultivent la démocratie : ils sont déchirés entre la médiocrité, parfois, souvent, des représentants de ladite démocratie, et l'allure, le panache, des représentants du pouvoir personnel. Et voilà, sans aucun rapport avec la choucroute, comment de sincères démocrates, amoureux du peuple et de ses valeurs, en arrivent à se rouler admirativement aux pieds d'un Staline, d'un Mao, d'un Castro. Entre gens supérieurs, n'est-ce pas...

     

    Nous ne parlons ici que des pourris de la tête, évidemment. Nous proposons une grille de lecture un peu élémentaire, mais qui n'a jamais été bien explorée à mon avis, et pas seulement parce qu'elle est nulle, mais parce qu'elle plongerait bien des gens dans l'embarras. De plus, Cicéron fut également courageux. Il est même mort de façon violente, parce qu'il s'était opposé au successeur de Jules César, mais après s'être réjoui de la mort de César (encore un qui s'aperçoit que le pouvoir, même d'un homme admirable, rend autoritaire, rend injuste, et fait perdre la tête à grands coups de poignards dans le buffet). Ah, si seulement César avait été un dictateur débonnaire, ou si les Républicains s'étaient montrés dignes, comme Caton !

     

    Mais Caton manquait de souplesse. Au début, oui, César, avant de devenir maraud, s'était montré clément : le nommé Marcellus avait voulu le débarrasser de son proconsulat des Gaules, en accordant même le congé à son armée conquérante. "Viens César, à Rome, tout seul, comme ça nous pourrons te mettre en procès avec toutes les casseroles que tu te trimballes, et sans armée, tu finiras dans les chicanes et peut-être même en prison, gnak gnak gnak". César dit "Non", franchit le Rubicon et marche sur Rome. Il vainc celui-ci, il vainc celui-là. Vous savez ce que c'est, vous autres Français moyens, quand un vainqueur vainc, on se précipite à ses pieds, "J'étais avec l'autre mais je ne le ferai plus".

     

    César, bienveillant avec ses compatriotes (avec les Gaulois, c'était une autre paire de toge), faisait les doux yeux de Raminagrobis : "Relève-toi mon enfant, va et ne pèche plus". Et les autres se relevaient les yeux humides, chantant les vertus de ce méchant si modéré, qui interdisait par exemple à ses soldats de circuler en armes dans les cités qu'il venait de reconquérir. Clémence louée partout, peut-être, sûrement même, manœuvrière, mais qui finissait par devenir sincère. Mais ceux qui ensuite revenaient en arrière n'avaient plus droit à l'indulgence. Cicéron, qui avait des relations amicales avec César, se méfia, puis relâcha sa méfiance. Il rentra chez lui, car il n'avait rien fait de trop grave, Pompée s'était fait un peu décapiter par les Egyptiens (il était courageux dans la fuite), mais ses fils combattaient encore en Espagne, et César, décidément partout à la fois, leur taillait croupières et culottes.

     

  • Souvenirs et pensées à deux balles

     

    Elle m'avait confirmé que l'on pouvait dire, éventuellement, en allemand « es wird gekommen ». Simplement à prendre sans énervement. Il m'aurait suffi de si peu d'autorité. De distance. De calme. East-Side, nasillarde, que j'essayais de persuader qu'il n'y aurait pas toujours des guerres. J'étais exaspéré. Mais elle avait raison. Abrusović me disant “Vous n'êtes même pas capable de faire taire une bande de gamins”. Du coup je l'avais puni, lui, pour lui montrer, justement... Abrusović : “Je sais que vous me prenez pour un abbruttitch”. Il tenait absolument à la bonne prononciation de son nom : Abrouzovitch... Devenu écologiste.

     

    .

     

    Filles silhouettes

     

    Beretti paraît-il, « Sheila », quoique je ne m'en souvienne que très vaguement. Ou plus exactement je crois m'en souvenir. Nous ne nous sommes pas « impressionnés » en ce temps-là, malgré nos prétentions respectives à l'extrême originalité. Jaunet (qui a dit « Mais tu es folle» à une camarde qui se prenait une baffe de ma part pour avoir raillé mon pantalon rouge) ; je servais ainsi caricaturé de cible dans un lancer style « jeu de massacre ». Les ballons à crever étaient arrivés avec un retard énorme, juste avant la séance. J'étais bourré comme un coing, et des parents auraient dit « Ce sera ça, ton prof ? » La fille Guinche, ou Guiselli, qui refusait d'avoir du poil et se le coupait. Monde et Toulemonde : “Tout le monde m'emmerde !

     

    - Mais Monsieur, je n'ai rien fait !” J'ai eu quelqu'un d'autre qui s'appelait Toutlemonde, à Grénolas - brune et maigre, peut-être ? ...même famille ? - qu'est-ce que j'essaie de rattraper, comme de l'eau entre les doigts ? jamais je n'aurais voulu avoir vécu cela. Je ne reconnais plus le paysage. Tous mes grands sages ou singes allant répétant : « C'est toi qui as choisi, tu devais bien trouver ton avantage à mener ta vie de la sorte. » Assurément, ô Grands Hommes. Simples perroquets de la doxa du moment, qui paraîtra si étrange à nos archéologues. Mais ce choix, voyez-vous, personne ne s'en rend compte. Et lorsqu'on s'en avise, il est infiniment trop tard. Se dire que l'on a choisi sa destinée, jusqu'en ses détails fâcheux et humiliants, c'est une pure et simple vue de l'esprit.

     

    Une grosse ficelle. Je dirais même que c'est de la philosophie de comptoir en zinc ; nous sommes tous désespérés de devoir mourir. Alors, pour ne pas sombrer dans le désespoir, nous inventons que nous avons voulu tout cela. Et nous nous glorifions de nos moindres bourdes. Rien à voir avec la noble stature d'un Nietzsche et de l'Absurde Eternel Retour – tout juste de la petite monnaie petite-bourgeoise. J'avais même un jour en classe outrageusement célébré les cimetières : « Au moins, tout est en ordre. Pas d'astuces tortillées. Pas de justification de la vie, tout le monde à la même enseigne, une dalle, deux dates, bien carrées, bien alignées. Comme ça au moins on le sait, comment ça se termine. Ah, le désir d'être aimé, je t'en foutrais, de l'amour, allez tous au trou, que ce soit bien net. Et la vie n'est que de la merde ». Etc, etc... L'un de mes élèves alors de murmurer : « Si c'est pas malheureux d'entendre ça... » Les jeunes gens se suicident volontiers ; je n'aurais pas dû me laisser aller - memento mori. Rien ne tient devant cela.

     

    Nos penseurs à deux balles s'arrêtent juste à tant, à la couche de vérité qui les arrange - sociologie, politique, psychanalyse – c'est plus commode. A moins que ce ne soit la mort, le néant, la solution de commodité. Mais ils deviendraient fous, mes semi-sociologues, autant que moi si je me détournais de ma commode fascination, si j'entrais dans l'incommensurable jungle du relatif et de l'actif. La vie de tout le monde. Sans oublier – soupapes ou coups de sonde ? - les excursions vers Dieu, qui est l'incommensurable folie par excellence – juste par bouffées - « j'ai choisi ce que je suis » dit Porcher- tronche blême de bonne sœur du Vide... Alors j'émiette mon passé, qui est tout ce que j'ai, complaisamment. Suant de narcissisme n'est-ce pas. Je me souviens de l'Eurasien Tran-Anh, buvant mes commentaires sur Malraux, prenant des notes jusque pendant cet oral même du bac.

     

     

    Flanc de nef.JPG

    Sa beauté, son intelligence, avaient dû m'exalter. Encore une drague inconsciente et risible ; tel collègue et moi n'en sommes-nous pas venu à nous étreindre par les doigts lors d'une conversation exaltée dans la salle des profs ? N'avait-t-il pas pourtant voulu me présenter le grand écrivain Jean Brenaud : « C'est un homosexuel » - EN-CORE ! ai-je hurlé – cri du cœur. Aussitôt de baisser la voix, comprenant que sa vocation (« J'aime présenter les gens les uns aux autres » - ne réussirait pas son coup avec moi.

     

     

     

    X

     

    Je me rappelle dans ce même oral du bac ces imbéciles à têtes de garçons qui ne voyaient rien de musical dans Baudelaire ou Apollinaire. « La musique ? » répétaient-ils d'un air bovin. « La musique ? » En vérité, un nombre immense de professeurs de lettres ne connaissent pas leur métier. Forcément : ils se conforment en tout point aux instructions du ministère...

     

     

     

    X

     

  • Tous les noms zontété changés




    8 décembre 2045
        Point de départ zéro. Les Athéniens sont dans la merde. Rien à foutre ou plus grossièrement peu m'en chaut. Ce sont toujours de petites magouilles mesquines, des demi-mesures, style gouvernement de Jospin. La France est une mémé paralytique. La Grèce est toujours pleine de gnignis, de gnagnas, de renversements d'alliance, de ceci et de celà. Jamais pu encaisser l'histoire de la Grèce, un ramassis de petites mesures et de coups d'épingles.
        L'histoire romaine, c'est franc, c'est carré, une conquête, un massacre, une révolte, un massacre, et vogue la galère. Est-ce que je plaisante ? je ne crois pas ou à peine. Ma mémoire rechigne. Je sors de la "Constitution d'Athènes" d'Aristote, c'est chiant au possible. Quant à la vie quotidienne, je suis effrayé de son manque de rigueur : pas de massacre, rien de franc ni de brusque.
        Et puis Julie est rentrée de ce qu'elle appelle "son boulot", soit une journée à Beauséjour avec ses amis peintres. Je ne lui ai même pas demandé ce qu'elle avait dessiné, de toute façon c'est toujours un peu la même chose, ces croquis de nus sont très austères et je ne sais pas toujours très bien que dire. Nous nous racontons plus ou moins nos journées puis nous nous isolons à nouveau pour bouquiner, nous vivons comme beaucoup de couples plus à côté l'un de l'autre qu'ensemble véritablement.
        En fait ce que nious souhaitons serait un fusionnisme analogue à celui de la famille autrefois, mais il paraît que cela serait mauvais. Moi je n'ai jamais beaucoup aimé le monde extérieur, et quand je me plains de mes emmerdements, je pense à la mort qui viendra tout apaiser, et sans cinéma cette pensée me soulage. Rien n'est grave, tout finira. Quoique. Je suis banal.
      

    Cintres et coupoles.JPG

      C'est à cette banalité que veulent me renvoyer avec rage tous ceux qui me trouvent encombrant : "Tu es comme les autres finalement". Evidemment, connards. Qui vous dit le contraire ? Tiens, me voilà remonté. Je fonctionne comme ça : je m'invente un adversaire, et je me mets à ferrailler. Même pour les articles littéraires, je me figure être le seul qui aime, mettons, Marguerite Duras.
        Et il y a des connes pour s'offusquer de ce que je me gendarme. Bon : c'est un mode de fonctionnement. Tiens : cet après-midi, comme ce matin d'ailleurs, j'ai fait un cours d'histoire sur la deuxième république et le Prince-Président. C'était intéressant. j'ai besoin d'agresser les jeunes filles pour leurs doigtés qui se répètent un peu plus souvent qu'à leur tour.
        C'est vrai quoi, la légende de la pureté des jeunes filles m'a toujours exaspéré. Je me souviens de la jouréne du 8 décembre 1962, il y a 36 ans. J'ai noté dans mon carnet que j'avais tenu la main d'une fille pendant dix minutes, pour la première fois. A dix-huit ans ! ils sont bien plus avancés de nos jours. Elle s'appelait T. L., cette conne. Et nous avons échangé du courrier quelques semaines ou mois, et cela s'est interrompu parce que je l'engueulais : quel effet cela fait-il d'être une fille ?
        Ou quelque chose d'approchant. En fait ça ne fait aucun effet du tout. Je voulais qu'elle me communique un secret qu'elles n'ont pas. Je me figure que c'est tellement mieux de pouvoir  se branler, se gouiner, se faire sodo, en passant inaperçues, mais je ne veux pas non plus passer d'une prison à une autre, de la masculinité à la féminité.
        Je suis sûr en fait que c'est encore moins drôle d'être une femme que d'être un homme. Après T. L. fut E.P., dont  je disais pis que pendre à ma mère, qui répondait : "Ne dis pas tant de mal d'elle, si ça tombe elle va devenir ta femme". Ce qui fut fait, et ma mère fut bien embêtée. Je ne sais donc que ressasser mes radotages passés ?
        Souvenir : celle qui avait dit "Oh que c'est bête" au théâtre La Bruyère, quand j'avais dit à propos dd'une gabardine en équilibre sur le rebord du balcon : "Si ça tombe ça ne tombera pas. - Oh qu'il est bête !" - avec rage bien éduquée, car n'est-ce pas on vient ici pour écouter Terzieff, pas pour écouter des conneries. J'espère qu'il aime bien rigoler, celui-là, et il détient un de mes manuscrits depuis trois ans je suis sûr.
        Les revues pour le théâtre se cassent la gueule à peine parues, c'est cher, et les théâtreux sont fauchés. Je vais aller répéter pour la nième fois mon "Banquier anarchiste" de Pessoa, sans le moindre enthousiasme, parce qu'il me fait chier, le metteur en scène, avec ses exigences impossibles à remplir.  impossibles à remplir. Il en est du théâtre ce qu'il en fut pour les femmes, les études, la célébrité : tout le monde sait très bien me dire ce qu'il ne faut pas faire, ce qu'il aurait fallu ne pas faire.
        Mais pour ce qu'il aurait fallu faire, bernique. Plus personne. Tout devient d'un coup très mystérieux, et Brojagnac lui-même n'arrive pas à me donner le moindre procédé que ce soit. Il en est réduit à se rabattre sur un "instinct", un "feeling" - pourquoi pas la destinée ? Me voilà bien avancé. Pour en revenir au théâtre, j'ai bien envie de faire mes efforts minimums, moi je ne sais pas ce qu'on me veut, il rpessent un "grand acteur" en moi, mais ne sait toujours pas comment le mettre au jour.
        Je sais en  tout cas qu'il n'y a aucun rapport entre les efforts qu'on fait et le résultat qu'on obtient. Telle est du moins mon expérience de vie, meine Erfahrung.  Et quand je me plains de mes emmerdements, je pense à la mort qui viendra tout apaiser, et sans cinéma

     

  • Après la dernière

     

    Chantier.JPGAdieu. Adézats Poželskie Maïakovnié mbolod. A nouveau retirer boudin Dauburne Šklavalod. Edzbordollem à lire à haute voix simple feuille diarrhée rat qui ronge. Eliminer le n° 4, représenté deux fois. Puis l'ouverture épanimée de flombe St Dante Fanti Dantec bis bald. Apourmiéné boire sans doute et puanteur intestinale, coise de boiron semblard de bilbetdequet. A quoi ressemble sans histoire Croix sur Vie l'étouffante envie de tuyaux salamandre après l'orage Vergincit de Ste Eutropine, jamais jamais Carole ensanglantée que la terrasse s'effondre et l'étagère incohérente somnolence lueurs blafardes rat qui ronge 2 fois.

     

    Jermain Alastair Ektoplesmil, absence de réflexion rat qui ronge. Empalfe-moi bon zé gaôthé boudgimiguier. Bientôt reprendra le temps des abeilles. Nous irons moins vite. Passé le temps des embrassades je retrouve ma solitud epremière et mes lentes articulations théâtrales. Il n'y a plus de chapeau dans les vestiaires, chacun se congratule et s'agglutine au bar, et tous sont capables d'accomplir ce que j'ai fait. La modestie à la fois détruit et construit. Le relatif est un abîme, bien plus que l'absolu spontanément familier. Mais j'avais besoin d'un masque. Il me fallait pénétrer. Pour être logique, ne plus signer, seul l'homme médiéval créait dans la sincérité, dans l'humble imitation de son Dieu, et l'émergence de l'individualité s'il est faste à l'égalité devient néfaste à qui se prétend au-dessus de tous, et s'aperçoit avec terreur et pis, ennui, que sous lui s'est creusé un abîme où il disparaîtra aussi bien que s'il eût été une foule de Bourguignons ou d'Armagnacs.

     

    Mon Dieu l'on vivait donc en ce temps-là, et déjà l'individu mourait. Toujours cet horrible mystère de l'à quoi bon de la multiplicité donc de la création, et je sais pourquoi le rat ronge, il veut sortir de sa cage et sait parfaitement malgré les vastes dimensions qu'il découvre qu'il s'y trouve enfermé, l'homme dans sa folie de représentation éprouve le besoin de revoir sous ses yeux la condition du rat en cage, tant il est vrai qu'il n'a à faire que de se contempler, encore et toujours seule merveille et seule horreur de la création, résolvant ainsi la question de Dieu. Que fait l'être s'il ne se contemple, et tire de cette contemplation la pulsion même de créer, en une intercation triangulaire et figurant fort bien le Mystère si simple de la Trinité. J'écris sur la planchette de ma loge après avoir tissé pousi déployé deux masques, ceux du langage incompréhensible et de la métaphysique ressentie mais de bazar, car après l'épuisement de ces munitions une chose me manque et seule, c'est à savoir le public incessamment sollicité par l'enfance de fils unique sans autre lieu, déménageant sans cesse, que les Parents. Alors qu'ils me voient tous et viennent me chercher.